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No.778 du 27 octobre au 2 novembre 2010

au nouve

2.50€

il faut sauver le president Obama

WikiLeaks les coulisses d’un scoop

Bruce Springsteen entretien exclusif M 01154 - 778 -F: 2,50 € Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

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j’ai chiné vintage avec

Xavier Dolan et Monia Chokri ais oui, prends-le, il te va bien. Il te fait un beau dos. Et un beau cul aussi, parce que ça t’allonge la silhouette.” Face à un miroir, Monia Chokri fait la moue, hésite. Tourne une nouvelle fois sur elle-même, un blouson en daim bleu nuit sur le dos. Malicieux, Xavier Dolan s’exclame : “Voilà l’origine de notre amitié : le meilleur ami gay. C’est toujours utile !” De retour de Namur, où ils viennent de présenter Les Amours imaginaires, le deuxième film du Québécois, le réalisateuracteur et son actrice nous ont retrouvés à Paris dans un magasin vintage. Vintage, comme les fringues que porte Marie, le personnage interprété par Monia. “Au départ, Xavier m’a dit qu’il avait envie qu’elle soit tout le temps en robe, expliquet-elle en regardant quelques manteaux en fourrure. Le vintage, c’est aussi très Montréal, les gens s’habillent beaucoup comme ça.” Xavier surgit, un blouson rouge à la main et renchérit : “Pour moi, le vintage sert à montrer la pluralité temporelle du film. Le problème d’amour dont il traite est intemporel, on gambade allègrement des années 1990 aux années 1960, des années 1950 aux années 2000. La musique a également cette fonction.” De fait, la bande-son saute de Dalida à de l’electro suédoise plus pointue. “Monia et ses goûts musicaux m’ont énormément influencé, poursuit-il. C’est elle qui m’a fait découvrir The Knife et Fever Ray.” Et Indochine ? “Le groupe est culte au Canada. On a tous écouté ça ados”, se souvient Monia. “Et je trouve que les paroles de la chanson (Troisième sexe – ndlr) illustrent à la perfection les intentions silencieuses de la scène, ce qui se passe entre le trio”, ajoute Xavier. Silencieux, Xavier Dolan l’est rarement. Volubile, le garçon ne tient pas en place. Une seconde, et le voilà reparti. Dans la boutique de la rue Tiquetonne, on a la sensation d’avoir basculé dans un autre espace-temps, d’être tout à coup soumis à l’énergie pop irrésistible qui traverse Les Amours imaginaires. Et les deux amoureux éconduits du film semblent aujourd’hui avoir trouvé chaussure à leur

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“tu te souviens des années 1980, cette époque où les gens n’avaient aucun discernement ?”

pied : Monia checke les sacs et les paires de bottes, dont elle est grande amatrice, tandis que Xavier s’affaire quelques mètres plus loin, concentré. “Tu es dingue de m’avoir emmené ici ! J’ai envie d’acheter plein de trucs pour mon prochain film ! A l’époque de J’ai tué ma mère, j’achetais énormément. Dès que je vois quelque chose qui irait bien à un personnage, je prends.” Il a déjà achevé l’écriture de son prochain film et le tournera l’an prochain. Le pitch : le soir de ses 30 ans, en 1989, un homme annonce à sa femme qu’il va changer de sexe après Noël, et lui demande de l’accompagner dans cette transition. Elle accepte. “Ils ignorent alors qu’ils s’engagent dans une chute inéluctable, qui conduira à leur séparation et à plus dramatique encore”, prophétise Xavier. Monia sera de l’aventure. Elle jouera Fred, la sœur d’un des deux protagonistes. “Une lesbienne arrogante, mal dégrossie. Le personnage qui fait marrer quand il arrive, l’inverse de Marie. J’adore ce registre”, confie la comédienne qui songe sérieusement à s’installer à Paris. “J’y ai déjà vécu quelques années. Là, je sens un intérêt de la part de metteurs en scène, mais je ne sais pas encore si on va me proposer des choses ou s’il va falloir que je passe des castings.” Xavier réapparaît, les bras chargés d’imprimés flashy. Il a trouvé un blouson bleu pétard, incrusté de petites pièces de métal. Kitsch. “Tu te souviens des années 1980, cette époque où les gens n’avaient aucun discernement ? Ça à l’écran, ça peut péter. Le problème, c’est si tu le portes dans la vie. Je pense que parfois ce qui est à l’écran doit rester à l’écran.” Géraldine Sarratia photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

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No.778 du 27 octobre au 2 novembre 2010 couverture Barack Obama photo Brooks Kraft/Corbis

03 quoi encore ? Xavier Dolan et Monia Chokri

08 on discute l’édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono 14 événement procès en appel du “gang des barbares”

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16 événement dans les coulisses de WikiLeaks

18 photosynthèse jeunes et engagés

Danny Clinch/Contour by Getty Images

le paperblog de la rédaction

20 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

22 nouvelle tête Hippolyte Hentgen

24 ici rencontre avec des dépendants sexuels

48 China Foto Press/Getty Images/AFP

26 ailleurs les femmes infusent les Tea Parties

28 parts de marché la crise de la distribution de la presse

30 à la loupe la SNCF vise les seniors

58 où sont les obamaniaques ? même à Harlem, ils n’y croient plus

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41 un président pour Noël ? Sarkozy tente de se refaire la cerise les politiques en quête de défaites

45 presse citron revue d’info acide

Christian Lartillot

43 que le meilleur perde

46 contre-attaque le renouveau de la presse libertaire

47 propagenda petit vocabulaire des manifs

48 débats d’idées

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la démocratie au tamis vert

32 Bruce Springsteen entretien exclusif avec le Boss, chez lui

50 Angela Merkel live David Pujadas l’a interviewée à Berlin

52 l’homme derrière “Vénus noire” 64 Richard Yates, illustre inconnu auteur culte en Amérique, enfin traduit

68 bienvenue au festival à voir au festival Les Inrocks Black XS

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Ruvan Wijesooriya

c’est Abdellatif Kechiche, cinéaste torturé

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74 Very Bad Cops d’Adam McKay

76 sorties cinémas Fin de concession, Je ne peux pas vivre sans toi, Nostalgie de la lumière…

79 livre Wanderer de Sterling Hayden

80 dvd Dario Argento, les Straub…

82 Winter Voices – Avalanche + Front Mission Evolved…

84 Florent Marchet anatomie de la bourgeoisie

86 mur du son Benjamin Biolay, Kele, prix Constantin

87 chroniques The Legendary Tiger Man, AfroCubism, Anoraak, Belle And Sebastian...

93 morceaux choisis The Wave Pictures…

94 concerts + aftershow au Festival Iceland Airwaves

96 Patti Smith l’histoire d’amour d’une marraine punk

98 chroniques romans/essais Pierre Bayard, Michel Foucault…

100 tendance la psychanalyse contre-attaque

102 agenda les rendez-vous littéraires

103 bandes dessinées l’érotico-gore selon Suehiro Maruo

104 Philippe Decouflé + Puccini à l’Opéra Bastille…

106 l’art russe et le politique + Daniel Buren

108 la mode des indés + semaine critique de la mode

110 Berroyer squatte le poste il est partout et on aime ça

112 Frédéric Pommier contre la novlangue médiatique

113 “Grands reporters” le prix Albert-Londres à l’honneur

114 séries les sagas historiques font un malheur

116 télévision tout Terminator en une soirée

118 Inaglobal la webrevue pointue de l’INA

121 la revue du web le multikulti en débat outre-Rhin

122 best-of le meilleur des dernières semaines 6 les inrockuptibles 27.10.2010

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs Emily Barnett, Guillaume Binet, Romain Blondeau, Thomas Blondeau, Patrice Blouin, Michel-Antoine Burnier, Alexandra Compain-Tissier, Michel Despratx, Alain Dreyfus, Renaud Dumesnil, Pascal Dupont, Valentine Faure, Bruno Fert, Vincent Flouret, Jacky Goldberg, Erwan Higuinen, Olivier Joyard, Laurent Laporte, Christian Lartillot, Judicaël Lavrador, Noémie Lecoq, Thomas Legrand, Hugues Le Tanneur, Hugo Lindenberg, Léon Mercadet, Benjamin Mialot, Paul Moreira, Pascal Mouneyres, Philippe Noisette, Vincent Ostria, Olivier Père, Elisabeth Philippe, Jérôme Provençal, David Pujadas, Emilie Refait, Yal Sadat, Alexandre Seba, Patrick Sourd lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary, graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Thi-bao Hoang, Caroline Fleur conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65

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abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un supplément de 24 pages “Chéreau” encarté dans l’édition générale ; un encart “Le 106” dans l’édition du département 76.

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sauvons le soldat Barack Ainsi donc, Barack Obama “déçoit” et se présente aux élections de mi-mandat dans la peau de l’idéaliste trop consensuel qui va se faire déchirer. Les républicains les plus réactionnaires crachent des flammes nauséabondes, ce qui était prévisible, mais les obamiens font aussi la moue, à l’image de Bruce Springsteen. Ces élections ne sont pas perdues d’avance, certains sondages ont relevé une remontée démocrate. Et si on veut analyser honnêtement son bilan à mi-mandat, il n’est pas si mauvais. Certes, la paix en Israël-Palestine demeure une chimère, les G.I.’s s’enlisent en Afghanistan, Guantánamo est toujours ouverte et le taux de chômage frise les 10 %, sans parler des dettes, abyssales. Mais ce qu’on semble oublier, c’est qu’Obama a reçu comme cadeau de bienvenue à la Maison Blanche trente années de dérégulation libérale (administration Clinton incluse) conclues par huit années w-bushiennes qui ont sabordé le paquebot Amérique : ce n’est pas un relais que l’abruti texan a transmis à Obama mais un bâton merdeux, un paquet de dynamite, mèche allumée. Dans ces circonstances, les deux premières années de présidence Obama sont peut-être historiques, comme l’analyse le magazine Rolling Stone, économistes et historiens à l’appui. Obama a d’abord éteint l’incendie financier allumé par les républicains en jugulant le crack de 2008. Il y a 9,6 % de chômeurs ? Selon une étude d’économistes de Princeton et de l’agence Moody, ce taux aurait dépassé 16 % avec les républicains. La réforme de la santé, même amendée, est un accomplissement historique : on en rêvait depuis Roosevelt, Obama l’a faite, permettant à 32 millions d’Américains l’accès aux soins. Côté régulation financière, il a fait les premiers pas, mêmes timides. A l’international, on le créditera du grand discours du Caire à l’adresse des musulmans, de la fin de l’occupation de l’Irak, et d’une image des Etats-Unis. Tout cela en deux ans. Il fallait croire qu’Obama était Superman pour être déçu. Le président bosse dans l’austérité des réformes, l’ingratitude des combats législatifs et des coups bas républicains, dans un souci de profondeur et de moyen terme pas toujours visible et glam. Si le peuple américain est intelligent et réfléchi, il accordera à Obama le temps dont lui, son pays et le monde ont besoin.

Serge Kaganski

Guillaume Binet/M.Y.O.P

l’édito

C’est drôle que ce soit la maison de retraite la plus richement dotée de France, le Sénat, qui se charge d’enterrer le système de retraite des citoyens français ! François Lebert, Vendôme Rama Yade, Je suis professeur de philosophie dans un lycée de la banlieue de l’est de Lyon. J’enseigne depuis onze ans, j’aime toujours autant mon métier et les élèves, dans une très large majorité, me le rendent bien. Néanmoins, les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. Mon service est par exemple constitué de six classes (essentiellement des séries technologiques), pour un total de 200 élèves environ (je vous laisse imaginer la facilité du suivi pédagogique de chaque élève...). Enseigner en banlieue est un choix. Les élèves sont pour la plupart curieux, désireux d’apprendre... et inquiets quant à leur avenir. Je ne crois pas faire preuve de – je vous cite – démagogisme issu de Mai 68 ni d’un autoritarisme d’un autre temps (quand vous parlez d’estrade, de bonnes sœurs et de garde-à-vous lorsque le professeur entre en classe, je me demande si vous vivez encore au temps de la IIIe République...). Je suis (…) d’abord bienveillant et à l’écoute. A la lecture de l’entretien, je me demande également si vous avez déjà mis les pieds dans une salle de cours (...) Un professeur parmi d’autres

ascenseur pour le supermarché Un encart publicitaire annonce l’arrivée en France de Nikki Yanofsky en ces termes laudatifs : “A 16 ans, elle est la révélation jazz-pop de la rentrée… Quand elle chante, c’est vingt ans de métier que l’on entend.” Seize moins vingt… C’est dur de ne pas encore être bébé, hein Jordi ? (…) Depuis l’avènement de Norah Jones, (…) les industriels de la chansonnette nous débusquent une brunette, blondinette ou roussette au minois charmant, au sourire enjôleur lui tenant lieu de passeport musical, chargée “d’exploser le record des ventes” avec une ritournelle racoleuse. Tenez-vous bien, Joan Baez et feue Ella Fitzgerald, toutes ces savonnettes sont proposées sous étiquette “jazz-pop” ou “jazz-folk”… On vend, comme on dit, un concept : un physique agréable, un brin de voix passé au tamis des techniciens, des requins de studio, pour peaufiner l’accompagnement et l’on tient là une œuvrette éthérée pour réveil en douceur, musique pour ascenseur, mais attention pas l’Ascenseur pour l’échafaud, soufflé par Miles Davis, non, celui du supermarché. Jean-François Hagnéré

Scissors Sisters annule sa tournée Malgré une date affichant complet le 4 novembre au Casino de Paris dans le cadre du Festival Les Inrocks-Black XS, Scissor Sisters annule sa tournée européenne, à l’exception des dates en Angleterre. Le groupe a publié son explication des faits sur son site. Les Inrockuptibles regrettent sincèrement l’annulation de ce concert dont la responsabilité incombe exclusivement aux artistes. Les billets sont remboursables dans les points de vente dès maintenant et jusqu’au 17 décembre 2010. Une bonne nouvelle : The Knocks, prévus en première partie du concert, joueront tout de même le 4 novembre mais à la Boule Noire aux côtés d’Anna Calvi, Darwin Deez et Esben And The Witch. Les nouveaux horaires de la soirée sont disponibles en ligne sur http://blogs.lesinrocks.com/festival-les-inrocks.

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction le mot

[pompier pyromane]

Feast of Music

“Le PS est un pompier pyromane, disait Eric Woerth la semaine dernière. Il allume le feu et après se demande comment l’éteindre.” Et réciproquement : l’expression “Sarkozy pompier pyromane” sort 3 540 fois sur Google. Au départ, le pompier pyromane est un vrai pompier qui fout le feu partout. Parce que sa femme l’a quitté. Parce qu’il s’emmerde. Parce qu’il aime vraiment le feu. Pour travailler plus et gagner plus. En avril dernier, un ultrarécidiviste se fait surprendre à sa vingt-septième mise à feu. A Riedisheim en Alsace, ils sont quatre jeunes volontaires à se faire serrer. En politique, le pompier pyromane est un adversaire qui fait le contraire de ce qu’il dit qu’il fait. En rhétorique, l’expression relève d’une figure de style à la mode : l’oxymore. Genre “silence assourdissant” ou “merveilleux malheur” (titre d’un livre de Boris Cyrulnik).

et après la révolte ? Chronique lumineuse du philosophe Roger-Pol Droit dans Les Echos. Ce qu’il restera du mouvement, une fois la loi votée ? Le “ressentiment”, un acide qui va ronger la France. “La rancœur va mijoter doucement, cuire et recuire, polluer les dessous de la vie publique. C’est cela le ressentiment : une hostilité alimentée au lieu d’être digérée, et cependant incapable d’agir.” Roger-Pol Droit note que Kierkegaard “fut le premier à voir dans le ressentiment la marque d’un temps sans grandeur”. Nietzsche, féroce, creuse là où ça fait mal : “Le ressentiment nuit au faible plus qu’à quiconque.” Camus y voit “une auto-intoxication, la sécrétion néfaste, en vase clos, d’une impuissance prolongée”. De quoi pourrir grave la psyché d’un pays déjà limite dépressif. Phoenix s’envole Mercredi, Phoenix s’invite sur la scène du Madison Square Garden. Après le succès de son dernier album Wolfgang Amadeus Phoenix, qui lui a valu un Grammy Award en début d’année, la formation versaillaise devient le premier groupe français à fouler la scène de la prestigieuse salle new-yorkaise, devant 20 000 fans hystériques. Un concert-événement et une consécration d’autant plus belle que le groupe de Thomas Mars se voit rejoint par ses copains de Daft Punk : sur une poignée de morceaux, les groupes fusionnent musicalement. La magie traverse l’Atlantique dès le lendemain : en France, on regarde, ébahis, les vidéos sur le net, avec un beau cocorico dans la poitrine.

Frédéric le Gaucher

Kechiche ! (le réalisateur de Vénus noire) à Belleville, Paris : nerveux, anxieux, torturé, Kechiche a 49 ans mais en paraît 20. Quand il nous dit qu’il a l’impression de tout recommencer à zéro à chaque film malgré les César et le succès, qu’il a toujours peur de rater une scène, nous le croyons. Haïti, neuf mois après est toujours dans la dèche. Du coup, le choléra s’invite. L’aide internationale massive promise dans

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l’image la belle vitalité de l’art contemporain

En plus de la Fiac, d’autres expos ont créé l’événement.

Thony Belizaire/AFP

Entre les expos, les fêtes, les prix et les foires off, semaine marathon dans le monde de l’art. Bilan des ventes : confortable, sans excès. Au top : la maison de l’architecte social Jean Prouvé adaptée par Jean Nouvel dans les Tuileries, le papier peint Cindy Sherman à la Fiac, Martine Aubry stupéfiée devant le spaghetti géant du jeune Théo Mercier, le film mi-psychédélique, mi-psychanalytique de Pierre Huyghe, à voir à la galerie Marian Goodman, le concert fulgurant de Koudlam à la fête du Bal jaune, le prix Ricard décerné ex æquo aux artistes Benoît Maire et Isabelle Cornaro, le spectacle décadent orchestré par la bande de Xavier Boussiron au Tokyo Art Club, une performance dans le noir d’Aurélien Froment et Abäke, et la fête hipster de la revue d’art Kaléidoscope au Pompon, un nouveau bar du Xe arrondissement à Paris. Enfin, en recevant le prix Duchamp 2010, Cyprien Gaillard s’impose comme un phare de la nouvelle génération. Petite victoire au passage pour Les Inrocks, qui a été parmi les premiers à écrire sur son œuvre !

l’émotion est en rade. Sur 9 milliards de dollars annoncés, à peine 700 millions versés. Ce qui devait arriver arrive : l’eau potable est polluée et le choléra vient de tuer plus de 250 fois. Djiin tonique Mercredi soir, un p’tit tour au 11e Café des OS, le rencard branchouille des jeunes journalistes web, délocalisé aux Enfants terribles, rue Saint-Maur à Paris. Organisé par le Djiin (association pour le développement du journalisme, de l’information et de l’innovation numérique), ce rendez-vous permet de boire des coups avec ses potes Twitter et de découvrir ainsi leur coupe de cheveux aléatoire. La phrase de la soirée : “Je viens de Centrafrique donc selon Hugues Lagrange, je suis un bon Noir.” Hugues Lagrange pour les nuls : sociologue, auteur controversé du Déni des cultures avec sa thèse de la surreprésentation des jeunes Sahéliens dans la délinquance française.

Courtesy Gabrielle Maubrie, photo Marc Domage

Theo Mercier, Le Solitaire, 2010

On les appelle les Kennedy allemands. Lui, Karl-Theodor zu Guttenberg, 38 ans, ministre de la Défense. Elle, Stephanie, 33 ans, arrière-arrière-petitefille de Bismarck. D’où le malaise : la belle Stephanie anime une émission de trash TV, Tatort Internet sur RTL 2, dont le but est de piéger et de dénoncer les pédophiles du net. Une émission jugée “au-dessus des lois” par la ministre de la Justice, car “on y accuse des gens sans qu’ils puissent se défendre et il risque d’y avoir des innocents dans le lot”.

Cyprien Gaillard, Dunepark, 2009 Courtesy de l’artiste et  Stroom Den Haag, La Haye

Sean Gallup/Getty Images/AFP

glamour mais trash

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le moment

self portrait

la loi de Lynch Après un cycle Lubitsch, la Cinémathèque française fait le plein avec le cycle Lynch et l’expo Blonde/Brune. Lundi soir, salle comble pour assister à la projo de Mulholland Drive. D’où vient Mulholland Drive, où va-t-il ? Comment ce film est devenu le film-référent absolu, comment sa forme éclatée, coupée en deux raconte-t-elle une histoire d’amour aujourd’hui : quelque chose avec un début, une fin, et au milieu un trou, un indicible. Séance de rattrapage bientôt avec la mise en ligne de la conférence sur le site de la Cinémathèque.

pythie Smith

Sur la scène de l’Odéon, Patti Smith a bouleversé son public. “La scène pour moi relève d’une expérience chamanique, mystique. Mon but est d’entrer en communication avec le public, de le sentir. Si les gens se mettent à me mitrailler avec leurs portables, ça ajoute une barrière”, disait Patti, le 18 octobre, avant sa performance. Ce soir-là, la communication eut bel et bien lieu entre le public et Patti Smith. Armée d’une guitare sèche, elle improvise, s’arrête parfois pour lire en anglais des passages de Just Kids, seule sur scène avec sa complice, Isabelle Huppert, qui lit en français. Parfois elle hésite. “Vous devez chanter maintenant”, lui rappelle Huppert en souriant. “C’est toujours bien de ne pas être trop professionnelle”, s’amuse Smith. Le secret de sa proximité avec une audience hypnotisée ? Pur moment de poésie, apogée d’une soirée hyper émouvante, quand elle se lance dans une interprétation a capella de Because the Night. Sa voix vibre. Offre un instant magique. L’émotion devient palpable dans la salle, qui ne tarde pas à l’accompagner.

AP/SIPA

Patti Smith était sur scène à Paris pour la sortie de Just Kids : quand un concert devient une expérience mystique.

shame on them Honte à Rolling Stone, hebdo ougandais, pour sa campagne anti-homo. “Hang them” (“Pendez-les ”), titre ce mag qui “oute” les “100 top homos” du pays, avec noms, adresses, photos. “Ils veulent recruter un million d’enfants d’ici 2012, nos gosses !” En Ouganda, être homo est passible de prison à perpétuité. Dans les coulisses de cette campagne criminelle : un groupe d’évangélistes américains. tabloïd classieux Un nouveau quotidien en Angleterre ! The Independent, récemment racheté par Alexander Lebedev mais toujours pas stabilisé, lance à la fin du mois une version allégée, digest : le premier tabloïd de qualité, à seulement 20 pence (23 centimes). Il s’appelle “I” et sera une réponse journalistique à la presse gratuite. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Pierre Verdy/AFP

13 juillet 2009. Après le verdict, des manifestants réclament un deuxième procès

barbarie à huis clos A la demande du parquet, les tortionnaires d’Ilan Halimi sont rejugés en appel. La publicité restreinte des débats ne va-t-elle pas nuire aux vertus pédagogiques d’un procès qui est aussi celui de l’antisémitisme ?

Eric Travers/Sipa

Condamné à la perpétuité en première instance, Youssouf Fofana est le grand absent du procès en appel

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e 25 octobre. 11 heures, cour d’assises des mineurs de Créteil. Premier jour du procès en appel du gang des barbares. Dans la salle, on s’impatiente. Les accusés ne sont toujours pas entrés. Deux d’entre eux refusent de monter depuis une heure. “Une fouille au corps à laquelle ils ont mal réagi”, explique Me Didier Seban, un des avocats de la défense. Pendant ce temps, l’huissier de justice distribue à tous les magistrats et avocats la lettre envoyée par la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie. Citée à comparaître par la défense, elle explique que n’étant “aucunement témoin dans cette affaire”, elle ne pourra “apporter aucun renseignement” mais qu’elle se tient à la disposition du président s’il estime son témoignage nécessaire. 11 h 15, les dix-sept accusés (Isabelle Manza est absente à cause de son état physique) entrent finalement sous le regard impassible de la mère et des proches d’Ilan

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Halimi. Le président Olivier Leurent tire les jurés au sort. Une présélectionnée prie, les paumes tournées vers le ciel pour ne pas en faire partie. Raté. Le président demande aux journalistes de sortir, les débats sont censés se dérouler à huis clos, deux prévenus étant mineurs au moment des faits. A l’interruption de séance, Me Szpiner, l’avocat de la famille Halimi, plaide une nouvelle fois pour la publicité des débats devant une nuée de caméras. Derrière lui, une dizaine de jeunes de la Ligue de défense juive tendent des tracts jaunes dans le calme, contrairement au premier procès qui s’était achevé en juillet 2009 dans l’amertume et la confusion. Rappel des faits : en janvier 2006, Ilan Halimi, 23 ans, vendeur dans une boutique de téléphonie boulevard Voltaire, est enlevé à Sceaux où il avait été entraîné par une jeune fille servant d’appât. Séquestré et torturé dans la cave d’une cité HLM de Bagneux, il est retrouvé le 13 février agonisant près d’une voie ferrée à SainteGeneviève-des-Bois, et meurt peu après son transfert à l’hôpital. L’autopsie révèle des brûlures à l’acide et à l’alcool à brûler sur 80 % du corps. Le motif du crime est crapuleux. Pour les accusés, vingt-six personnes sous l’influence de Youssouf Fofana, 26 ans au moment des faits, le “cerveau” de la bande, il s’agissait d’extorquer un maximum d’argent à la famille du jeune homme, supposée riche, “puisque juive”. La rançon est descendue par paliers de 450 000 à 5 000 euros lorsque les ravisseurs ont constaté que la famille d’Ilan ne disposait pas des sommes exigées. Malgré le régime du huis clos (ou à cause ?), le procès a été émaillé de multiples incidents. Des militants d’associations juives ont pris violemment à partie les familles des accusés et leurs défenseurs, notamment l’avocate de Fofana, menacée et traitée de pute. Le principal accusé, Fofana, a multiplié les provocations : arrivant dans le box en scandant le doigt levé “Allah vaincra !”, il répond à l’interrogatoire d’identité en déclarant être “arabe africain islamiste salafiste”. Il affirme être né à SainteGeneviève-des-Bois le 13 février 2006, lieu et date de la mort de sa victime. Youssouf Fofana est condamné à la perpétuité assortie de vingt-deux ans de sûreté. Ses complices écopent de peines allant de trois à dix-huit ans ferme. Deux d’entre eux sont acquittés. Un verdict qui ne satisfait pas les parties civiles. L’affaire Halimi a fait l’objet de nombreuses tribunes et de prises de position politiques. Toutes les formations ont condamné le meurtre, y compris le FN, ce qui a entraîné le Mrap à renoncer à participer à un rassemblement œcuménique “en raison du caractère

pour dix-neuf des vingt-sept accusés, les peines ont été inférieures aux réquisitions ambigu de cette manifestation et de son instrumentalisation politique”. En matière d’instrumentalisation, Dieudonné a ajouté son grain de sel. Sur une vidéo intitulée “Libérez Fofana !”, toujours visible sur YouTube, il s’en prend avec des arguments particulièrement gracieux (“rabbin de mes couilles”) à une justice qui serait aux ordres des Juifs et d’un laxisme coupable lorsque des Noirs ou des Arabes sont victimes de crimes odieux. Une haine suintante émane de ce document digne de l’antisémitisme des plus beaux jours de l’Occupation. Face au tollé des parties civiles et des associations juives après le verdict, la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, qui venait d’entrer en fonctions, a demandé au parquet de faire appel du premier jugement pour dix-neuf accusés dont les condamnations ont été inférieures aux réquisitions de l’avocat général. Fofana, qui, lui, a renoncé à faire appel, n’est pas présent à l’audience de ce second procès. Il pourrait cependant intervenir en qualité de témoin, depuis sa prison via une visioconférence. Le procès de Créteil va-t-il être en mesure de clore en toute sérénité l’affaire ? On peut en douter. La forme du huis clos (la presse n’est admise qu’au tout début des débats et à l’énoncé du verdict) n’est pas la meilleure pour rendre compte d’un procès. Les propos de seconde main recueillis auprès des avocats, tant des parties civiles que de la défense, sont sujets à caution, leur rôle consistant avant tout à défendre les intérêts de leurs clients, et non à la manifestation de la vérité. L’antisémitisme est une des clés de l’affaire, mais pas la seule. D’autant qu’aussi condamnable qu’il soit, l’antisémitisme suppose d’être étayé par un minimum de pensée, même scélérate. Or il apparaît, au vu de ce que l’on sait d’eux, que les membres du gang des barbares en sont totalement dépourvus. Issus pour la plupart, pour user d’euphémismes, de familles défavorisées vivant dans des quartiers “sensibles”, pratiquants assidus de toutes les incivilités, ils n’ont su se montrer respectueux, par défi ou par peur, que de la loi du silence. Le poids de ces marqueurs sociaux ne saurait excuser la sauvagerie et l’horreur des faits commis. Mais il n’est pas certain que quelques années de plus en détention évitent que des faits du même ordre se fomentent encore dans les caves de nos riantes cités. Alain Dreyfus, avec A. L. 27.10.2010 les inrockuptibles 15

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Julian Assange dans le documentaire de Paul Moreira La Guerre contre le secret, bientôt sur Arte

dans le bunker de WikiLeaks Le site a rendu publics 400 000 documents qui révèlent la sale guerre menée par l’armée US en Irak. Comment ces infos sont-elles collectées ? Rencontre avec son fondateur, Julian Assange. par Paul Moreira

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e fondateur de WikiLeaks est un personnage difficile à saisir. Au sens propre. Julian Assange change de pays et de domicile sans prévenir. Il se teint les cheveux et entretient le mystère sur ce qu’il va faire dans la prochaine demi-heure. Il peut aussi sans crier gare convoquer toute la planète médiatique de CNN à la BBC en passant par Al Jazeera. Comme samedi dernier, à Londres. Nous l’avons retrouvé quelques jours avant que WikiLeaks ne lâche sa nouvelle bombe : 400 000 documents militaires sur l’Irak. Toute une base de données. Sans doute la plus grande fuite de l’histoire militaire. Poursuivant leur stratégie d’alliance avec la presse de référence, les gens du site internet WikiLeaks ont partagé, gratuitement, ces documents

avec le New York Times, le Guardian, le Spiegel et Le Monde. Des victimes civiles. Des kidnappings. La guerre civile et la torture. Se dessinent aussi des réalités que la propagande avait laissé dans l’ombre. Au plus fort du conflit, en 2006, l’Iran faisait la guerre à l’armée US et téléguidait la plupart des attaques contre le gouvernement irakien au cœur de Bagdad. Des faits que le Pentagone avait toujours minimisé, concentrant tout sur l’ennemi officiel : Al-Qaeda.

“le gouvernement américain est en train de bâtir une procédure judiciaire contre nous. En tant qu’espions”

Ces notes, une équipe de WikiLeaks les a décryptées sur plusieurs mois dans le secret du “Bunker”. C’est là que nous avions rendez-vous. Sur la porte, un avertissement : “Entrée interdite aux personnes non autorisées.” Derrière, une dizaine de journalistes et d’informaticiens concentrés sur leur écran. Décoiffé, mal rasé, Assange tangue parmi eux. Il semble avoir une nuit de retard. Au moins… Il parle d’une voix très basse, comme s’il était en permanence visé par des micros espions. “Ces documents montrent comment la guerre peut déraper dans le crime. Nous espérons que leur publication rendra justice à la souffrance des Irakiens qui ont perdu des êtres chers. Peut-être même un jour à une indemnisation...” WikiLeaks est en train de changer de dimension. Ce site internet, libertaire

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et marginal, maniant la transparence comme un contre-pouvoir absolu, a réussi à fédérer autour d’un scoop commun des journaux de toute la planète. “Il paraît que les gens du Guardian ont un peu ramé pour vous convaincre de leur montrer les documents. Que vous étiez plutôt hostiles à l’idée de travailler avec la presse installée ? – C’est faux, coupe Assange. Nous avons toujours collaboré avec les journaux mainstream, notamment le New York Times. – Comment des hackers et des geeks en sont-ils venus au journalisme ? – Nous ne sommes pas des hackers, nous sommes des journalistes d’investigation. Mais votre question est intéressante… Les forces qui s’opposent à nous aujourd’hui tentent de manipuler la perception du public de manière à nier notre statut de journalistes. Et il y a un enjeu derrière. Si nous ne sommes plus considérés comme journalistes, alors nous ne serons plus protégés par les lois des pays où nous sommes installés, les pays du nord de l’Europe.” Julian Assange est un peu parano. Mais il y a de quoi. Autour de nous, le cliquetis des claviers d’ordinateurs. La matière des révélations est scannée, triée, ordonnée... Aucun civil n’aurait dû y poser les yeux. Les “logs” de l’armée américaine sont majoritairement rébarbatifs. Des rapports d’incidents rédigés dans le jargon impénétrable des acronymes militaires. Sur un tableau blanc, plusieurs dizaines d’entre eux sont traduits pour aider à la compréhension des rapports. “OMF = Opposing Militant Force”, un insurgé ; “PBIED = Pedestrian Borne Improvised Explosive Device”, soit un piéton bardé d’explosifs ; “WIA = Wounded in Action”, blessé au combat ; “Civcas = Civilian Casualty”, un civil tué. “Le moindre incident est rapporté, explique Assange. Il y a 104 000 morts. Mais ce n’est pas le total. Certains événements, classés top secret, n’ont pas été enregistrés dans cette base. Ça ne couvre ni les actions des Forces spéciales ni celles de l’armée irakienne...” Devant le caractère explosif des révélations, le New York Times a choisi de montrer au Pentagone et à la CIA ce que le quotidien allait publier. Par sens des responsabilités… Les militaires leur ont demandé des changements mineurs. Censurer le New York Times aurait été impossible, les documents étant publiés par les Anglais du Guardian… Mais les militaires ont bien identifié la source de leurs malheurs. Lors d’une conférence de presse, le 5 août 2010, Geoffrey Morrell, le porte-parole du département de la Défense, avait pris une grosse voix et détaché chaque syllabe : “Ces documents sont la propriété privée du gouvernement américain. Que WikiLeaks nous les rende. C’est ce que nous exigeons ! Et qu’ils effacent tout ce qui est en leur possession. S’ils ne veulent pas s’amender, eh bien, nous avons des moyens alternatifs de les forcer à le faire.”

Il est très rare d’entendre un spin doctor du gouvernement formuler des menaces devant des caméras. Du bluff ? Une chose est sûre : le Pentagone ne plaisante pas avec ceux qui informent WikiLeaks. Ainsi, le soldat Bradley Manning, probablement une des sources de WikiLeaks (Assange, on s’en doute, refuse confirmer), se retrouve derrière les barreaux, dénoncé par un ancien hacker devenu informateur du FBI. Il risque cinquante-deux années de prison. Et ce n’est peut-être que le début d’une offensive. “Une cellule de cent vingt personnes travaille sur nous en permanence, raconte Assange. Nous savons que le gouvernement américain est en train de bâtir une procédure judiciaire contre nous. En tant qu’espions. – Ça pourrait faire de vous des cibles militaires légitimes… – Il y a déjà eu une proposition d’envoyer les Forces spéciales pour nous kidnapper en Europe et nous amener ligotés aux EtatsUnis… Comme les terroristes d’Al-Qaeda.” Un scénario qui paraît dingue, mais qui a été imaginé par un néo-conservateur, Marc Thiessen, un ex de la Maison Blanche qui écrivait les discours du président Bush. “Vous n’avez plus de téléphone portable ? – J’ai plusieurs téléphones portables, que j’utilise selon les moments. Mais j’applique des procédures de sécurité sont bien connues des services secrets et des trafiquants de drogue. Les journalistes d’investigation devraient prêter plus d’attention aux méthodes des espions et des dealers… – Vous n’avez pas d’adresse ? – WikiLeaks existe dans un espace virtuel. Evidemment, il y a des lieux tout à fait réels où l’on se retrouve parfois. Ils sont souvent provisoires. Nous sommes une organisation transnationale avec son infrastructure, ses financements et des gens sur toute la planète. Mais nous n’avons pas de local connu et identifié. Pour de très bonnes raisons…” Dans les milieux altermondialistes, Julian Assange a acquis le glamour d’une star. Ce qui va lui jouer des tours. En septembre, deux de ses fiancées suédoises ont porté plainte contre lui, à Stockholm. Assange se serait mal comporté. Un refus de préservatif. Au bout d’une brève enquête, l’affaire est classée. C’est alors qu’une autre magistrate reprend le dossier et décide de le poursuivre pour viol et “mauvaise conduite”. L’accusation est grave mais Assange n’est pas incarcéré. Il peut voyager, quitter la Suède et y revenir. Bien sûr, l’information fait le tour du monde. “Je n’ai rien fait, jure Assange. Mais on m’avait prévenu que ça risquait d’arriver.” Il est peu probable que la CIA se cache derrière ces histoires d’alcôve. En revanche, rarement une brouille amoureuse aura connu un tel écho. Un chiffre n’aura pas échappé aux hommes de WikiLeaks : plus de huit millions d’occurrences dans Google en 0,23 seconde. La Guerre contre le secret documentaire de Paul Moreira, le 6/11 à 19 h 30, sur Arte 27.10.2010 les inrockuptibles 17

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et si la politique c’était eux ? Plutôt que dans les appareils politiques traditionnels, nous sommes allés voir du côté des syndicats et collectifs cantonnés à la marge mais qui s’occupent de questions centrales. par Marion Mourgue photo Vincent Flouret

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Le Monde Magazine du2  octobre a publié un dossier sur de jeunes leaders politiques

De gauche à droite : Manuel Domergue (Sauvons les riches), Margaux Leduc (Jeudi noir), Malcolm Hammer (Génération précaire), Cyprien Feilhes, allongé (UNI-lycée), Victor Colombani (UNL), Catherine Stephan (La Barbe), Sébastien Bordmann (Stop la grève), Jean-Baptiste Jaussaud (Liberté chérie), Alexis Nys (Fédération nationale des arts de la rue)

evant l’objectif de Vincent Flouret, Le Monde Magazine, avait fait poser les dirigeants des mouvements de jeunesse des principaux partis, “les visages de la relève”. Et si la relève se trouvait aussi et surtout dans les collectifs et les syndicats ? Par l’entremise du même photographe qui a accepté de se prêter au jeu en refaisant la même photo, Les Inrocks ont voulu prolonger la discussion en réunissant neuf collectifs et associations de gauche comme de droite qui inventent de nouveaux modes d’action politique. Ils secouent la société, souvent avec humour et un certain sens de la subversion douce (manif à reculons, happening, squats festifs, barbe postiche). La relève de la politique passe sans doute d’abord par ces acteurs imaginatifs. Revue des troupes (de gauche à droite). Manuel Domergue (28 ans) de Sauvons les riches qui, par ses actions ludiques, milite pour une plus grande égalité des revenus. Margaux Leduc (25 ans) de Jeudi noir lutte contre le mal-logement. Malcolm Hammer (36 ans) de Génération précaire dénonce l’allongement des stages et l’exploitation qu’en font les entreprises. Cyprien Feilhes (18 ans, allongé sur la photo), délégué national de l’UNI-lycée, syndicat favorable à la réforme des retraites. Victor Colombani (16 ans) président de l’UNL, premier syndicat lycéen, enchaîne manifs et plateaux télé. Et pour ceux qui auraient pesté contre le manque de femmes sur la photo... c’est un fait. A l’image de ce qui se fait en politique, comme le dénonce Catherine Stephan (33 ans) du groupe d’action féministe La Barbe. Elles interviennent dans les lieux de pouvoir avec une fausse barbe pour dénoncer la prédominance des hommes. Représentant de Stop la grève, Sébastien Bordmann (33 ans) veut aider les victimes de la grève. Jean-Baptiste Jaussaud (24 ans), de Liberté chérie, prône le moins d’Etat. Quant à Alexis Nys (27 ans) de la Fédération nationale des arts de la rue, il dénonce la sécurisation progressive de l’espace public. 27.10.2010 les inrockuptibles 19

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Florent Marchet

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz Willow Smith

La vidéo d’Obama

“C’est pour Halloween ou c’est tes vrais habits ?”

“J’ai tapé ‘sur des bambous’ dans Google, ben ça a pas donné grand chose, hein”

Luke Perry

L’hommage de Playboy à La Dolce Vita avec Pamela Anderson Les frères Bogdanov La Barbie Laure Manaudou La compile Gals Rock

Les snacks de nuit “Dans grève, il y a des rêves et des grrrr”

“Viens on déménage à Phoenix et on fait un groupe qui s’appelle Versailles”

“Il est venu le temps des cathédrales finalement ou pas ?”

La Vie au ranch

La Barbie Laure Manaudou Grande nouvelle : Barbie va commercialiser une poupée à l’effigie de Laure Manaudou. Il n’est cependant pas encore précisé si celle-ci portera le tatouage intime de la nageuse. Willow Smith A 9 ans à peine, la fille de Will Smith s’apprête

à nous gâcher l’hiver avec son morceau anxiogène Whip My Hair. La compile Gals Rock Le magasin parisien dédié à la culture rock féminine a un 1 an et sort une compile pointue pour fêter ça. Obama Sur YouTube, le président américain a apporté son soutien aux jeunes gays en participant à la campagne It gets better.

billet dur

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Roger Arpajou/La Petite Reine

on gros Gégé, Quel cadeau tu nous fais ! Sans rire, quelle exemplaire leçon d’acteur que celle dont tu nous gratifies depuis des semaines ! Et gratos en plus ! Comment fais-tu, honnêtement, alors qu’à ton âge la plupart de tes confrères se laissent bercer par la mièvre mélodie du pré-embaumement, réservent leurs meilleurs rôles à des publicités pour les yaourts anticholestérol, comment fais-tu pour être toujours au taquet ? Je te le dis avec émotion, c’est un honneur pour nous, pauvres jésuites mangeurs de boulgour bio et lecteurs de Jean Echenoz, d’assister en spectateurs jamais rassasiés au spectacle (bon) vivant de ton omniprésence viticole. Pour parodier un film à la mode, je dirais qu’il n’y a plus que “Des hommes et un Depardieu” en cette France puritaine,

anémiée par la bienséance du cinéma correct, poli comme un galet, sourd comme un pot de brouilly face à ton génie ! Oui, Gégé, personne à part moi ne s’est rendu compte que tu répétais sous nos yeux le rôle de ta vie. Tu as commencé par mettre sa race à la Binoche et à son copain asocial, Leos Carax. T’as enchaîné sur Aubry “haleine de bière”, magnifique, de la haute voltige en matière d’élégance. T’as chié sur Madonna et les Stones pour finir par une sortie exemplaire sur les retraites. Toi, on le sait, t’es un putain de bosseur, ta caisse de retraite sera en chêne massif avec des poignées dorées ou ne sera pas, mon doux Falstaff néolibéral. Maintenant, après toutes ces mises en bouche, je brûle d’impatience de le voir ce biopic de Georges Frêche ! Je t’embrasse pas, j’ai manif. Christophe Conte

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Hippolyte Hentgen Caché sous un nom à coucher dehors, ce duo de filles crée des images givrées et ultra référencées.



ui êtes-vous Hippolyte Hentgen ? “Une machine à dessiner”, “un corps à quatre mains”, répondent ces deux filles qui produisent à tour de bras des centaines d’images, exposées à Paris et à Gennevilliers. Nées respectivement en 1977 et 1980, Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen se sont

rencontrées il y a trois ans après des études à la Villa Arson de Nice. Un goût pour une iconographie débridée (Chirico, Jim Shaw, la BD, l’affichisme des années 20…) les a réunies. “Nous cosignons tous nos travaux, même ceux que nous avons réalisés avant notre rencontre”, racontent ces artistes qui ont fait

du dessin une pratique collective et généreuse débouchant sur des prolongements en 3D. Leurs images, réalisées avec tous les moyens du bord (aérographe, acrylique ou marc de café) et sur la base de motifs entrés dans l’imaginaire collectif (Pinocchio, Garfield,

Tex Avery), témoignent d’une grande dextérité. “Nous sommes très attentives aux écarts de geste qui produisent ces images refroidies”, assure Hippolyte Hentgen, qui rêve aujourd’hui de réaliser des décors d’opéra. A bon entendeur… Claire Moulène photo Bruno Fert/Picturetank

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Face à l’entrée de l’église où se tiennent les réunions, un sex-shop

dépendants à confesse Les Dépendants affectifs et sexuels anonymes se retrouvent régulièrement pour livrer leurs tourments intimes. Récit d’une réunion à l’église Saint-Leu, rue Saint-Denis à Paris.

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uand Alessandro1 pousse la porte de la petite salle paroissiale, la réunion a déjà commencé. C’est la première fois qu’il vient. Sans attendre, un membre régulier l’invite à se présenter. La formule est désormais consacrée. “Bonjour, je m’appelle Alessandro et je suis dépendant affectif et sexuel.” Un peu plus tard, comme chacun des quinze membres présents ce soir, il partagera son expérience avec les autres. Damien lève la main. La trentaine, il se définit comme dissimulateur et est accro aux prostituées. “Ça va mieux, estime-t-il, j’ai arrêté d’aller sur internet et je suis de moins en moins attiré par les prostituées, ma dernière expérience était tellement sordide !” Nous n’aurons pas plus de détails. Les quatre minutes sont écoulées. C’est au tour de Charles de parler. La cinquantaine, en plein divorce. Cela fait plus de trois ans qu’il vient régulièrement aux réunions des Dasa. Son problème : le sexe compulsif. Accro aux sites d’escort, il se masturbe plusieurs fois par jour devant l’écran de son ordinateur. A côté des obsédés sexuels, il y a la vaste catégorie des dépendants affectifs. “Une catégorie fourre-tout”, estime le docteur Marc Valleur, psychiatre spécialiste des addictions à l’hôpital Marmottan à Paris. “Tout le monde peut un jour ou l’autre

se sentir dépendant affectif, il suffit d’avoir vécu un chagrin d’amour et d’être dans la problématique je l’aime et il (ou elle) ne m’aime plus. La frontière est ténue.” Roger, la cinquantaine, lunettes noires, n’arrive pas à oublier la femme dont il est séparé depuis six mois. Il passe ses journées à attendre d’improbables textos et cela l’empêche de se concentrer sur son travail. Parmi les dépendants affectifs, il y a aussi le profil “Emma Bovary”, celles qui se nourrissent de leurs fantasmes. Sofia, 35 ans, mariée, un enfant, prend la parole. “J’obsède toujours sur mon premier amour, et je me fais des films.” Son témoignage donne du courage à une nouvelle venue, Sabine, qui travaille dans un théâtre et finit par avouer qu’elle tombe toujours amoureuse de danseurs homosexuels inaccessibles. Enfin, il y a ceux qui se sentent mal aimés. Alessandro, le nouveau, en fait partie. “Mon problème, c’est que je veux plaire à tout le monde. Je veux collectionner les copains, comme on collectionne les images.” Rires... Clara, jolie blonde filiforme, enchaîne les histoires et n’arrive pas à décrocher

“s’en remettre à une force supérieure nous aide à comprendre que l’on est malade”

de ses mecs. Quatre ans que cette jeune femme participe aux réunions des Dasa pour se sevrer des hommes, arrêter de les harceler au téléphone et arriver à être bien avec elle-même. “Le plus dur, c’est d’être seule avec son problème, on finit par se mésestimer et par s’isoler.” Le secret, selon cette adepte des fraternités – elle est passée par les Alcooliques anonymes, les Narcotiques anonymes et les Outremangeurs (ceux qui mangent puis se font vomir) –, c’est l’identification. “On se retrouve toujours dans les autres témoignages et c’est rassurant de sentir qu’on n’est pas seul avec son problème.” Ensuite, il y a les douze étapes, comme pour les Alcooliques anonymes. Pas de psy, mais un “dieu symbolique”. D’où le choix d’une église ? Clara se défend de toute accointance avec le Dieu de la religion. “Le problème du dépendant, explique cette connaisseuse, c’est qu’il se sent tout-puissant. Alors quand on s’en remet à une force supérieure, quelle qu’elle soit, ça nous aide à admettre que l’on est malade.” 20 h 30, la réunion se termine, chacun retourne à ses dépendances. Dehors, rue Saint-Denis, les lumières criardes de deux sex-shops ouverts 24 heures sur 24, comme un dur rappel à la réalité. Emilie Refait Photo Renaud Monfourny 1. Les prénoms ont été modifiés.

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désespérantes housewives Dans le sillage de Sarah Palin, les femmes du Tea Party veulent gérer l’Amérique en bonnes mères de famille. Et à rebours de l’héritage féministe.

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la question : êtes-vous féministe ?, Sarah Palin a donné par le passé des réponses allant tout simplement du oui au non, longtemps gênée aux entournures par un John McCain pas très suffragette. Puis en mars dernier, un sondage révélait que 55 % des sympathisants du Tea Party étaient des femmes. Et plus le temps passe, plus le mouvement est manifestement dominé par les femmes. Il était temps pour Sarah Palin, chrétienne ultraconservatrice, férocement antiavortement, farouchement opposée à la réforme du système de santé, et accessoirement membre du NRA (association de défense du libre commerce des armes à feu), d’embrasser un féminisme défiant les catégories existantes.

“on dirait qu’il y a eu un réveil des mamans”

“On dirait qu’il y a eu un réveil des mamans… parce qu’elles savent très bien quand quelque chose ne va pas.” “Je pense toujours à ces mamans grizzly qui se dressent sur leurs pattes arrière quand quelqu’un vient attaquer leur petit. Vous pensiez que les pitbulls étaient des durs ? Eh bien vous n’aimeriez pas avoir affaire à des mamans grizzly !” Dans ce discours désormais célèbre, Palin peaufinait son archétype féministe : la “maman grizzly”, donc, mère de famille instinctive, agressive, prête à en découdre pour défendre les siens. Eventuellement prête aussi à entrer en politique. “Les femmes sont à la maison, font leurs comptes, économisent pour les courses, les factures, les loisirs, expliquait Jenny Beth Martin, coordinatrice nationale de Tea Party Patriots. Elles réalisent que ce qui s’applique au budget domestique s’applique aussi au gouvernement.” Ah ? En ces temps de colère

contre le programme “socialiste” dispendieux d’Obama, l’idée d’une gestion du pays “en bonne mère de famille”, a fait son chemin. Et le Tea Party s’est en partie développé à travers le pays via des réseaux de mères au foyer transformés en outil de campagne. Et tant pis si beaucoup de celles qui se réclament aujourd’hui de ce mouvement ont voté contre des mesures améliorant la condition des femmes ou des enfants. Jamais à une contradiction près, le Tea Party réalise la prouesse d’être en totale opposition avec les combats féministes, tout en exauçant un de ses premiers souhaits : en termes de représentation des femmes, il est très loin devant les républicains et les démocrates, ces partis qui, disent-elles, ne leur ont laissé “que des miettes”. La majorité des postes clés de l’organisation est occupée par des femmes. Et incontestablement,

Chris Carlson/AP/Sipa

20 octobre 2010, un Tea Party Express Rally à Pasadena (Californie)

ses vedettes sont des femmes. Bonnes mères de familles, sexy, puissantes, successful, et aussi complètement gourdes – même si rien de tout ça n’est complètement vrai. Il ne se passe pas un jour sans que les médias relatent leurs bévues, leurs casseroles, leurs magouilles, leur ignorance. Mais le ridicule les rend toujours plus fortes. Palin et ses “sisters” sont des femmes qui se veulent proches du peuple, antiestablishment, les deux pieds bien ancrés dans la réalité de leur vie de mère de famille. A la radio cette semaine, une auditrice qui se définissait comme une “féministe de la vieille école” expliquait sa sympathie pour le mouvement : “Parfois je préfère choisir l’option ‘stupide mais honnête’ plutôt que ‘intelligent mais sournois’”. Tea Party : 1, féminisme : 0. Jenny Beth Martin déclarait avec fierté que 75 % du budget du Tea Party provient de petites donations, “de 20 dollars ou moins”. Mais des enquêtes du Washington Post et du Times ont révélé que le mouvement était plutôt financé en sous-main à coups de millions par de généreux donateurs préférant rester anonymes. Et si les femmes du Tea Party servaient surtout de diversion bien utile aux républicains pour devenir plus populaires et faire oublier un programme fiscal favorable aux plus riches ? Les Tea Party girls, des idiotes utiles, manipulées par des gros bonnets du parti républicain ? Les papas Grizzly peuvent décidément dormir tranquille. Valentine Faure, à New York

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CSA : pas de taxes pour la VoD Le CSA ne partage pas l’avis du gouvernement. Pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le marché serait encore trop fragile pour être soumis aux charges souhaitées par le ministère de la Culture. Ces taxes étaient censées participer au financement de la création. Free toujours en guerre Sous l’obligation du décret conçu spécialement pour lui, Free enverra des mails Hadopi. Mais compte aussi contester “ce nouveau décret, qui nous semble illégal”, a déjà annoncé Xavier Niel, patron du fournisseur d’accès. so big Apple Apple clôture son bilan 2010 dans la joie. La société a réalisé un chiffre d’affaires record de 20,34 milliards de dollars. Son bénéfice net est de 4,31 milliards de dollars. Un résultat dû en partie à la vente de 14 millions d’iPhone. Le Mouv’ à Clichy-sous-Bois Yassine Belattar et l’équipe de La Matinale du Mouv’ seront en direct de Clichysous-Bois le 27 octobre de 7 h à 10 h pour faire un bilan de la situation dans les quartiers populaires en 2010, cinq ans après les émeutes. multicartes sur table Alain et Patrice Duhamel, piliers du journalisme politique depuis 1970 publient Cartes sur table, un livre d’entretiens avec Renaud Revel. Quoique ancrés à droite, ils ont su mener leur carrière avec ce pragmatisme qui permet de survivre à tous les changements politiques – ou presque. Omniprésents (Alain sur Antenne 2 puis France 2, Libé, Le Point…, Patrice sur TF1, France 2, Radio France, France 3…), ils livrent leur opinion sur les liens entre médias et pouvoir.

Nicolas Geiser

brèves

la distribution de la presse a une mine de papier mâché Principale messagerie de la presse, Presstalis a frôlé le dépôt de bilan en 2009. Un plan d’économie est annoncé pour la sauver. ournaux gratuits, internet, conjoncture économique difficile… Depuis une dizaine d’années, la presse écrite voit son espace se réduire. Les 30 000 points de vente que compte la France en souffrent. Presstalis (ex-NMPP), la principale société de messagerie de la presse, qui distribue 85 % des journaux et magazines (le reste se partageant entre Transports presse et les Messageries lyonnaises de presse), enregistre depuis 2005 une baisse de 10 % par an de ses recettes. Fin 2009, elle a même échappé de justesse au dépôt de bilan. Pour faire face à cette tendance, la société dirigée par Anne-Marie Couderc (qui a succédé en juin dernier à Rémy Pflimlin) lance cet automne un vaste plan de réforme. Son ambition : mettre en place dès le début de 2011 des mesures d’urgence visant à faire des économies tous azimuts. En jeu : la sauvegarde même du système de distribution de la presse, dont la loi Bichet, votée en 1947, a établi les grands principes démocratiques. A l’époque, cinq coopératives d’éditeurs s’associèrent à Hachette pour créer les Nouvelles Messageries de la presse parisienne avec pour mission de garantir à tous les journaux sans exception une diffusion nationale. Ce droit à l’information de tous et pour tous, le respect du pluralisme des

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la filiale de la région parisienne est déficitaire depuis plusieurs années

idées, instauré dans le contexte d’aprèsguerre, est resté la marque de fabrique de la diffusion de la presse en France. Adopté en mai, le plan Défi 2010, validé par les éditeurs, le groupe Lagardère, qui sort du capital de Presstalis, et l’Etat au titre des aides à la presse, prévoit une augmentation du capital de l’entreprise de 17,5 millions d’euros. Parallèlement à cette recapitalisation, Presstalis s’est engagée à simplifier sa “gouvernance” en réduisant le nombre de coopératives de huit à deux (une pour les quotidiens, une pour les magazines, qui détiendront à terme 100 % du capital), ou encore à organiser le départ volontaire d’une centaine de salariés du siège. En interne, le dossier sensible de la réforme de la distribution parisienne risque de provoquer de vives tensions. La filiale SPPS qui regroupe Paris et onze communes de banlieue, structurellement déficitaire depuis des années (24 millions d’euros de pertes par an), est dans la ligne de mire de la direction qui veut la réorganiser totalement. Les négociations viennent de débuter avec les ouvriers CGT du Livre, réputés comme les plus acharnés dans la défense de leur statut. Le sort de vingt-six quotidiens nationaux et deux mille deux cents magazines dépendra de ce possible bras de fer, derrière lequel transparaît l’enjeu d’une pérennisation du système de diffusion de la presse. Si la presse a encore un avenir, il reste suspendu à un fil : la viabilité économique de ses points de vente. La maison de la presse brûle, est-il encore temps de la sauver ? Jean-Marie Durand

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l’enfer du paradis (fiscal)

t’as 200 000 messages

Un conseiller de Woerth, Eric Le Moyne de Serigny, réclame 5 millions d’euros de dédommagements à Rue89 pour un article décrivant ses liens avec des sociétés off-shore.

Depuis le début de l’année, près de 6,1 milliards de SMS ont été envoyés dans le monde, soit 200 000 par seconde. Blake Lively

l’état du létal 

Stéphane Ruet

Le mensuel de la philo s’interroge sur la mort, se demande “De quoi Alain Badiou est-il le nom ?”, fait dialoguer Abdellatif Kechiche et Pap Ndiaye.

“le Nègre, il t’emmerde” Citant Aimé Césaire, Audrey Pulvar a trouvé le ton juste pour répondre aux propos racistes de Jean-Paul Guerlain sur France 2. La chaîne a d’ailleurs été sanctionnée par le CSA pour “non-maîtrise de l’antenne”.

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le parti d’en rire Un bon dossier sur humour et politique, une interview hilarante de Fabrice Luchini par Beigbeder qui devise avec lui de la psychanalyse…

IMDb a 20 ans Internet Movie Database, base de données de référence sur le cinéma, fête son anniversaire en offrant aux internautes des vidéos de stars évoquant leurs films préférés.

l’INA sur Dailymotion Dailymotion permet désormais à ses utilisateurs d’accéder à plus de 50 000 vidéos d’archives de l’INA.

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avec la SNCF, mamie déraille En plein mouvement social contre la réforme des retraites, la SNCF lance une campagne de pub avec une mamie en casquette de contrôleur. A la bonne heure.

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mamie cool Tapisserie fleurie, bague ancienne, rouge à lèvres rose clair, T-shirt imprimé floral, fard à joues, chaîne et pendentif en or : pas de doute, nous sommes bien ici en présence d’une mamie. Du genre de celles qui, même si elles ont voté Nicolas Sarkozy en 2007, ne te laissent pas partir de chez elle sans un paquet de biscuits d’une sous-marque LIDL au cas où t’aurais un petit creux. Autant dire que ça sent le parquet ciré, l’antimite et le discours relou sur les aïeux qui n’ont pas eu la vie facile mais ne se plaignent pas pour autant. Ainsi, si mamie est de bonne humeur aujourd’hui, c’est parce que ce matin elle n’a pas oublié de prendre son demi-Lexomil et ses dix-sept cachets quotidiens sans lesquels elle ne sait plus trop où elle est. D’ailleurs, on est où, là ? Eh ben pas dans un train bondé en période de grève, j’te le dis tout de suite, mémé.

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le concept chelou En plein mouvement de grève, la SNCF a donc eu la bonne idée de lancer une campagne de pub mettant en scène entre autres une personne âgée affublée d’une casquette de l’entreprise. Cynisme ? Provocation ? Humour douteux ? Usage de produits stupéfiants ? Mystère. Toujours est-il que cette publicité qui donne à voir une mamie avec un couvre-chef de contrôleur pourrait laisser entendre que nos amis de la SNCF auront à travailler jusqu’à beaucoup plus que 62 ans. Une nouvelle qui n’a pas l’air de déranger cette digne représentante du troisième âge, hilare à l’idée d’exercer un métier un tout petit peu ingrat toute sa life. “Ahahah ! Travailler plus pour gagner plus, ben carrément, lol.”

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le message En réalité, il semblerait que Georgette (c’est désormais son nom) ne soit pas une traître aux camarades syndiqués, mais une simple usagère munie d’une carte Senior sur qui on a délicatement posé une casquette de contrôleur pour la photo. C’est d’ailleurs probablement en raison du caractère cocasse du couvre-chef en question que Georgette rit à plein dentier, et non pas, comme voudrait nous le faire croire la pub, parce qu’elle est trop contente de pouvoir checker en temps réel sur son BlackBerry les infos concernant le trafic SNCF. D’ailleurs, Georgette s’en fout complètement, elle porte une montre dépourvue de cadran et n’est plus sortie de son salon depuis des mois. C’est pas gagné pour le temps réel et la retraite. Diane Lisarelli

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dans l’Amérique de Bruce Springsteen Rendez-vous avec le Boss, chez lui. Bruce Springsteen ouvre ses archives, un recueil de titres et d’images inédits de 1978. Où l’on s’aperçoit qu’il est resté le portraitiste éternel de l’Amérique laborieuse, inquiet de l’état de son pays. Mais il croit toujours en Obama. Un entretien exclusif. par Serge Kaganski

Danny Clinch/Contour by Getty Images



a Lincoln ralentit sur les petites routes de campagnes du sud du New Jersey, à une heure de Manhattan. Prairies, sous-bois, enclos à chevaux, maisons cossues, vastes pelouses : on comprend enfin pourquoi cet Etat s’appelle le Garden State (l’Etat jardin). Loin du no man’s land industriel qui sert de toile de fond à ses chansons, c’est dans ce New Jersey country et verdoyant qu’habite Bruce Springsteen, à quelques miles de Freehold où il a grandi, d’Asbury Park où il a grandi en musique, et de Holmdel où a grandi son album de 1978, Darkness on the Edge of Town. C’est pour la réédition grand luxe de ce disque que l’on vient voir le Boss chez lui ce 12 octobre. Sa femme Patti Scialfa nous accueille dans la guest house, une petite maison d’ouvriers agricoles superbement restaurée, avec porche en bois et rockingchairs. Elle a préparé du café et un délicieux cake à la banane. Juste avant 17 heures, une jeep pétarade dans l’allée : ponctuel et hilare, Bruce Springsteen en descend et nous salue chaleureusement. Il a 60 ans et en paraît dix ou quinze de moins. Bronzé, en boots, jeans et chemise à carreaux, bijouté des doigts jusqu’aux oreilles, mince et affûté, la star américaine a l’air en pleine forme. Il nous offrira une heure intense de conversation sur le rock, la condition de rockstar, la filiation, les hauts et les bas d’Obama, l’état critique de l’Amérique à l’approche des élections de mi-mandat. Une heure exclusive, unique et fabuleuse.

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“Le vieillissement, la mort, ça infuse mon travail mais de façon normale. C’est lié à mon âge”

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“je voulais que les personnages de mes chansons ressemblent à vos amis, à vos parents” Entretien > Pourquoi avoir attendu trente-trois ans pour nous faire découvrir les trésors cachés des années 1976 à 1978 que dévoile le coffret The Promise : The Making of Darkness on the Edge of Town ? Bruce Springsteen – (rires)... Depuis une dizaine d’années, nous avons commencé à nous préoccuper de nos archives, d’abord parce que nos nouveaux fans n’avaient jamais vu le groupe dans ses incarnations précédentes. Un jour, nous avons redécouvert des images tournées à l’époque de Born to Run. C’était les mid-seventies, j’avais un ami qui traînait souvent avec nous, Barry Rebo. Il avait une caméra et enregistrait de temps à autre nos séances de répétition, nos sessions de studio. Par ailleurs, quand le E Street Band s’est reformé en 1999, on a commencé à filmer régulièrement ce qu’on faisait. J’ai pensé qu’on pourrait peut-être faire quelque chose avec les films de Barry. Pour Darkness…, on avait beaucoup de métrage disponible, que ce soit en studio ou dans mon local de répétition à Holmdel. Nous avions surtout une quantité de musique inédite, ce qui n’était pas le cas pour Born to Run. Ces chansons que je n’avais pas intégrées dans la version finale de Darkness étaient bonnes mais il leur manquait soit un pont, soit une partie vocale, soit un arrangement ou un bout de texte… J’ai passé le début de l’été à les affiner. Quel était votre état d’esprit en 1977, quand vous avez fait Darkness après l’immense succès de Born to Run et le procès avec votre manager ? Faire de la musique, c’est aussi une activité de réflexion. Il y a eu deux moments dans ma carrière où j’ai connu un très grand succès, et j’ai freiné juste après. Dans le cas de Born to Run, il y a eu en effet le procès, qui m’a empêché de faire des disques pendant deux ans. Mais même sans ça, je me serais sans doute calmé pendant un moment. Une fois passé le feu de ce genre de succès, j’ai eu le réflexe naturel de m’arrêter, de rentrer chez moi, de réfléchir à ce qui venait de se passer, de rassembler mes pensées et mes sentiments afin de voir vers quelle direction je voulais poursuivre. C’est aussi comme ça que j’ai réagi après le tsunami Born in the USA en 1984. Ce fut le début de l’éclatement du E Street Band et nous n’avons plus enregistré de disque ensemble jusqu’en 1999. Chaque fois que j’ai connu un succès majeur, je me suis ensuite posé pour réfléchir. Pourquoi ? Un trop grand succès peut être dévorant ? Oui, si on ne fait pas attention. Dans mon métier, il faut rester très prudent. C’est un milieu difficile qui a brisé de nombreux excellents musiciens. Notre atout majeur a été de comprendre très vite que notre

créativité était liée de façon indissoluble à ce que nous étions, aux lieux et aux milieux d’où nous venions. J’ai vite compris que le plus important n’était pas le succès mais la qualité de notre travail. Est-ce que c’est bon ? Jusqu’à quel point ? Quelle relation établiton avec le public ? Vous avez dit et écrit qu’avec Darkness, vous aviez trouvé votre voix adulte. C’est quoi devenir adulte ? Se confronter aux réalités parfois très difficiles de la vie mais continuer quand même à rêver. En 1977, j’avais 27 ans. La génération de musiciens au-dessus de nous, les Stones ou les Beatles, n’avait que six à huit ans de plus que nous. Les gens recherchaient un nouveau Bob Dylan alors que le “vieux” Dylan n’était encore qu’un enfant de 30 ans et quelque ! C’est marrant, la notion du temps et de l’âge n’était pas la même. Moi, à 27 ans, on me considérait comme un rocker adulte, peut-être déjà trop vieux pour jouer du rock. En tous cas, au moment de Darkness, je m’intéressais aux sujets adultes, aux mystères de la vie adulte. Quand on est enfant, la maison représente un endroit mystérieux, on ne comprend pas tout ce qui se passe sous ce toit, on ne comprend pas la vie et les problèmes de ses parents… A 25 ans, j’ai voulu des chansons qui résonneraient sur le long terme, j’ai voulu écrire sur les expériences humaines fondamentales : la famille, le travail, l’amour conjugal, les relations père-fils, bref, tous ces sujets basiques qui engagent chacun d’entre nous, jour après jour, quel que soit l’endroit d’où l’on vient. Je voulais que ces thèmes constituent le fondement brut de ma musique. J’ai essayé d’écrire plus directement, pour que tout le monde reconnaisse mes personnages, qu’ils ressemblent à vos amis, à vos parents. Par ailleurs, je ne voulais pas m’enfermer dans une catégorie comme la “musique de jeunes”. A l’époque, le rock mutait pour devenir le plus grand mouvement culturel et spirituel de la seconde moitié du XXe siècle… dans toute sa gloire festive ! J’étais conscient de ce moment historique et je voulais que ma musique parle au corps mais aussi à l’esprit, à la sensibilité. Il y a dans The Promise de belles chansons sombres et hantées qui auraient parfaitement trouvé leur place sur Darkness… Je voulais un album maigre, austère. Comme je l’ai écrit, c’était mon album samouraï, avec un personnage dont la vie est pleine de questions existentielles et qui essaie de s’en sortir. J’ai voulu un disque épuré, un peu comme d’autres que je ferai ultérieurement, Nebraska ou The Ghost of Tom Joad. Dans ces disques, l’écriture devient étroite mais profonde, ce sont des albums qui creusent. C’est souvent ainsi que l’on obtient le meilleur impact.

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Frank Stefanko/AP/Sipa

Avec sa Corvette en 1978, l’année de Darkness on the Edge of Town dont on découvre aujourd’hui vingt et une chansons inédites

C’est votre troisième coffret d’archives, après Tracks et Born to Run. En retournant vers le passé vous cherchez à boucler la boucle, à éclaircir des points obscurs ou imparfaits de votre parcours ? La dernière décennie me semble l’une des plus actives et créatives de ma carrière. On a sorti de bons albums, qui parlaient des questions de leur temps tout en proposant une musique excitante. On a renouvelé notre public tout en gardant nos auditeurs fidèles. Après des albums comme The Rising, Devils & Dust ou Working on a Dream, j’ai senti qu’il était temps de dépoussiérer une partie de notre passé. Prenons un exemple simple : mes enfants ne s’intéressent pas beaucoup à ma musique. Or ma musique ressemble aussi à un film de famille. C’est bien d’entretenir ce film, au cas où. Peut-être qu’un jour, mes gosses se diront : “Tiens, qu’est-ce que papa foutait en 1977 ?” Ils pourront écouter le coffret pour y trouver des éléments de réponse. Jusqu’à mes 25-30 ans, la vie de mes parents ne m’intéressait pas. Mon père était un taiseux, j’en savais très peu sur lui et je le regrette aujourd’hui. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à faire ces coffrets d’archives. Votre album précédent, Working on a Dream, a une tonalité globale assez pop mais des textes plutôt graves, sur le passage du temps, la mort. Vous avez perdu des proches comme Danny Federici (organiste) ou Terry McGovern (roadie guitares). Craignez-vous le vieillissement, la mort ?

A un certain âge, a-t-on envie de penser à ces choses-là ? Je ne crois pas ! (rires)… Bon, bien sûr, on y pense. Le temps, l’évolution, le changement fournissent des sujets intéressants et très inspirants pour un songwriter : plusieurs chansons de Working on a Dream traitaient ce type de questions. Le vieillissement, la mort, ça infuse mon travail mais de façon normale. Ça fait partie de la vie et c’est lié à mon âge. J’ai perdu des proches, je dois apprendre à vivre avec ça. J’ai toujours écrit sur des personnages qui évoluaient et vieillissaient avec moi. J’écris donc aujourd’hui sur des sujets qui intéresseront les auditeurs de mon âge. J’espère que mes textes parleront aussi aux mômes de 20 ans. Working on a Dream, la chanson, était l’hymne officieux de la campagne d’Obama. Qu’avez-vous ressenti le jour de son élection ? J’ai grandi dans les années 50-60, à l’époque du combat pour les droits civiques. Dans mon bled, il y avait des problèmes de racisme, des émeutes… Quand on grandit dans ce contexte, qu’on s’en souvient parfaitement, un président des Etats-Unis d’origine africaine est une chose que l’on pensait ne jamais voir de son vivant. Cette élection a été un moment incroyable, fabuleux, qui nous a rappelé que tout peut arriver aux Etats-Unis. L’événement a ressuscité le mythe du tout est possible : tu viens de là-bas, mais tu peux quand même grimper là-haut ! C’était une soirée énorme. Je me suis dit que 27.10.2010 les inrockuptibles 35

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le monde changeait. Pas aussi vite qu’on le voudrait et parfois dans le mauvais sens : ça progresse, ça régresse. Mais on avance, petit à petit, pas à pas. Si on fait le bilan du dernier siècle, les choses se sont en gros améliorées. Si la situation politique du moment nous déçoit, on peut toujours se dire : “well, si je mets mes 2 cents du côté du progrès, et que mon voisin met ses 2 cents du même côté, et ainsi de suite, on finit par obtenir des dollars et on avance.” Lors de l’élection d’Obama, nous traversions une période très difficile, un climat politique vicié : ce fut un gigantesque soulagement. Les démocrates semblent en mauvaise posture pour les élections de mi-mandat, les mid-term. Il y a ce mouvement montant des Tea Party. Beaucoup d’électeurs d’Obama se disent déçus. Que pensez-vous de cette situation ? C’est injuste de reprocher à Obama l’état économique du pays, sachant que la détérioration de l’économie et de la finance datent des années précédentes. On peut d’ailleurs blâmer autant les républicains que les démocrates. On peut critiquer G. W. Bush mais l’administration Clinton a elle aussi contribué à la dérégulation de la finance, ce qui a abouti au crack financier de 2008. Maintenant, nous avons un taux de chômage élevé, un pays appauvri. La réforme de santé va certes changer la vie de millions de gens qui vont avoir accès aux soins, mais j’aurais aimé qu’Obama aille beaucoup plus loin, et je sais de quoi je parle vu le milieu d’où je viens. Sur les réformes de la finance et de la régulation, je le trouve également trop timide. Il n’a pas complètement les mains libres… Le gros problème, c’est que les présidents ne sont là que pour quatre ou huit ans, alors que

Santa Claus is coming to town Album et coffret sortiront le 15 novembre. The Promise, double CD (Sony Music) : vingt et une chansons inédites datant de 1977, parmi lesquelles les versions studio originales de Because the Night ou Fire. The Promise : The Darkness on the Edge of Town Story, coffret 3 CD/3 DVD (Sony Music). Le coffret comprendra les deux CD de The Promise plus l’album original remixé.

En DVD, un documentaire sur la fabrication de Darkness, le concert de Houston 1978, des extraits live sur scène et en studio de 1977/1978, l’album rejoué sur scène en 2009 au Paramount d’Asbury Park et des extraits des cahiers de notes du Boss. Chroniques de l’album et du coffret à venir dans le numéro du 17 novembre.

Joe Raedle/Getty Images/AFP

Le 22 novembre 2008 à Cleveland (Ohio), il jouait devant Barack Obama et sa fille Sasha. “J’aurais aimé qu’il fasse moins de compromis”

“peut-être qu’un jour, mes enfants se diront : tiens, que foutait papa en 1977 ?” les multinationales, l’industrie, les milieux financiers et l’armée restent en place pour toujours. Ces gens-là ont patiemment mais sûrement grignoté l’économie américaine jusqu’à ce qu’elle ne profite plus au peuple mais aux seuls privilégiés tout en haut de la pyramide. On ne peut pas maintenir la cohérence d’une nation avec le type d’économie que nous connaissons aujourd’hui. En d’autres termes, on méprise les classes populaires, on étrangle les classes moyennes et seule la ploutocratie en profite. La grande question politique du moment, c’est comment transformer le système économico-politique afin de le mettre à nouveau au service du peuple et de l’intérêt général ? Vous trouvez qu’Obama n’y réfléchit pas assez ? Il s’y essaie. Quand je vois la violence des républicains même devant ses réformes les plus timides, qu’on l’accuse de “socialisme”, de “marxisme” ! La rhétorique de la droite et de certains shows télévisés caricature tout : il devient comique que certains finissent par y croire. L’obstructionnisme et la mauvaise foi de la droite relèvent du cauchemar. Quand on entend ça, on a envie de descendre dans la rue pour se battre. Au-delà de ces débats politiques, l’économie

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“on ne peut bâtir une société cohérente et unie avec de tels écarts de richesse et de possibilités d’avenir” américaine a commencé à plonger dans les années 1980, période postindustrielle où l’on a commencé à délocaliser la plupart des emplois. Beaucoup d’Américains connaissent la récession depuis plus de trente ans ! La bulle de la net-économie n’a profité qu’à une petite part de la population, pareil pour la bulle immobilière. L’organisation actuelle de l’économie ne tient plus compte des citoyens ordinaires. On a sauvé les banques avec l’argent public. Maintenant, elles gardent le magot, le crédit demeure gelé. Oui, on peut se mettre très en colère. Faites-vous partie des déçus d’Obama ? J’aurais aimé qu’il fasse moins de compromis mais je reste un partisan du Président. Peut-être que les problèmes du moment sont tellement immenses qu’ils sont hors de portée de l’action d’un président. Ça ne doit pas être facile d’être assis dans ce fauteuil. Comment faire bouger les structures installées de l’économie d’aujourd’hui ? Le crack financier de 2008 donnait une occasion de transformer l’économie et la finance. Cela n’a pas eu lieu. J’aurais rêvé de réformes de la régulation financière beaucoup plus dures et contraignantes. Nous vivons une période très dure, très décourageante. Dans ce contexte, comment voyez-vous l’avenir du “rêve américain“ ? Vos enfants, leur génération, pourront-ils encore rêver ? Le paysage a complètement changé. Le rêve américain, qui irrigua la majeure partie du siècle dernier apparaît désormais hors d’atteinte pour une portion de plus en plus large de la population. Si j’avais une boule magique, je ferais en sorte qu’il en soit autrement, mais dans ce cas, je me retrouverais roi, non ? (rires)… Je crains qu’une société ne puisse demeurer dans le modèle actuel sans finir par imploser. On ne peut bâtir une société cohérente et unie avec de tels écarts de richesse

hors-série Les Inrocks 2

Bruce tout-puissant Springsteen valait bien un hors-série (en kiosque le 16 novembre). Au sommaire, la version uncut de cet entretien, un reportage à Asbury Park, où est née sa musique, une analyse des textes de ses chansons, le making of de l’album Darkness of the Edge of Town, des interviews de ses proches, ses influences littéraires et photographiques, les concerts emblématiques… Ce hors-série sera accompagné d’un CD comprenant cinq titres inédits extraits du coffret.

et de possibilités d’avenir. Si les gens se mettaient en colère, et si possible sans se tromper de cible, on pourrait peut-être revenir dans la bonne direction. Mais pour le moment, la situation générale me paraît très décevante, très flippante. Dans The Promise, vous chantez pour les perdants. Malgré ou à cause de votre succès, on a le sentiment que vous vous sentez toujours responsable de la classe ouvrière dont vous venez… Ce qui m’intéressait au départ dans le songwriting, c’était de raconter mon histoire, de parler des sujets qui me touchent. Je voulais comprendre les ressorts qui animaient nos vies, celles de ma famille, de mes amis. Mon écriture venait d’un lieu très intime, très personnel. Quand j’ai commencé à avoir du succès, le complexe de culpabilité du survivant m’a peut-être frappé – tu sais, comme s’écraser avec un avion et être le seul à s’en sortir. En même temps, je ne prétends pas me poser en porte-parole, parler à la place des autres. Ma vie a suivi un tout autre cours mais je m’intéresse toujours aux gens ordinaires, à leurs histoires : mon inspiration vient de là. J’aime raconter des histoires que plus personne ne raconte, du moins dans les médias dominants. Par exemple ? Prenons l’un des plus fascinants moments de l’histoire récente, l’ouragan Katrina à La NouvelleOrléans : soudain, les Américains ont vu des pauvres à la télé ! Ce fut un tel choc que Bush s’est tout d’un coup senti obligé de venir sur place tenir un discours creux du genre : “La pauvreté, on va s’en occuper !” (rires)… Il n’y avait prêté aucune attention pendant les huit années de ses deux mandats ! Au contraire, il a détourné l’économie au détriment de ceux qui en avaient le plus besoin. Bref, j’écris sur un monde le plus souvent invisible. Peut-être est-ce aussi lié à mon enfance, au respect dont j’ai voulu témoigner pour la vie de ma mère et mon père. En écrivant mes chansons, j’ai sans doute trouvé un moyen d’honorer leur expérience, un moyen de rester fidèle à moimême, aux racines de ma vie et de ma musique. Je n’ai jamais écrit ou chanté sur de grandes idées abstraites ou théoriques, je suis mal à l’aise avec ça et je l’évite autant que possible. Mon songwriting n’a pas pour objectif de donner un mode d’emploi politique ou moral, il reste lié à ce que je suis, sans rapport avec l’argent que j’ai pu gagner. Je pense au film La Griffe du passé (Out of the Past de Jacques Tourneur) : l’histoire d’un homme rattrapé par son passé. En devenant chanteur, j’ai essayé d’échapper aux aspects les plus durs de mon enfance mais on ne peut pas échapper à son passé : il demeure toujours en vous.

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I tout nu 27.10.2010

édito Borloo ce n’est rien

L

Le poste de Premier ministre n’existe plus ! Alors autant y aller carrément. Nicolas Sarkozy ne se contente pas de présider, il gouverne, il administre. Ce n’est pas qu’un style, c’est un mode de gouvernance qui pose un problème démocratique, une façon de faire qui entraîne un déséquilibre institutionnel préoccupant en ce sens qu’il dépossède le Parlement de l’une de ses prérogatives, celle du contrôle de l’exécutif. Le Parlement est censé contrôler l’action des ministres, pas l’action du président de la République qui n’est responsable que devant le peuple. Or les ministres n’ont plus de pouvoir, tout se fait, tout se décide à l’Elysée. Du coup, à quoi sert de contrôler un ministre qui n’est que le porteparole d’une politique mais pas son concepteur ? L’exécutif, entièrement concentré entre les mains élyséennes, est donc hors de tout contrôle. Un cas unique pour une grande démocratie. Borloo à Matignon, c’est-à-dire rien, de la com, du vent, serait l’aboutissement de ce processus de concentration des pouvoirs.

Mélanie Frey/Fedephotos

par Thomas Legrand

aura-t-on enfin un président à Noël ? Alors que d’aucuns se demandent s’il a l’étoffe de la fonction, Nicolas Sarkozy tente de se refaire avec son bonneteau ministériel et ses parades sur la scène internationale.

L

a réforme des retraites obtenue dans la douleur aura au moins l‘avantage – si à la fin elle passe – de permettre aux thuriféraires du Président et au Président lui-même de cocher une réforme sur le grand tableau vide du bilan du sarkozysme. Jusqu‘ici, que pouvait-on répondre à la question de savoir quelle est la réforme d‘ampleur de Nicolas Sarkozy depuis qu‘il est élu ? A part l‘autonomie (relative) des universités, le bouclier fiscal (en passe d‘être

abandonné), la poursuite de la réduction de la sphère publique, des annonces en pagaille pour occuper le débat public, la rupture sarkozyenne se réduisait à une nouvelle gouvernance, la fin du Premier ministre, la concentration des pouvoirs à l‘Elysée et un style qui mêlait la désacralisation et une certaine vulgarité… Une idée se répandait, même à droite, selon laquelle Nicolas Sarkozy ne serait tout simplement pas de taille à revêtir les habits de président. 27.10.2010 les inrockuptibles 41

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Il fallait une vraie réforme, un bilan : ce sera donc la retraite à 62  ans. Cette automne 2010, le chef de l‘Etat s‘est lancé dans une “campagne de ré-identification” : être le président qui réforme, à dixhuit mois de la présidentielle. “Nicolas Sarkozy a tenu, il a pris ses responsabilités alors que personne ne l‘obligeait à le faire puisque ça ne faisait pas partie de son programme de campagne”, juge tout content Dominique Paillé, porte-parole de l‘UMP. Raymond Soubie, le conseiller social de l‘Elysée, est allé plus loin sur Europe 1 : “Le Président a lancé cette réforme non pas par masochisme mais parce qu‘il pensait que c‘était son devoir.” Il n‘en fallait pas plus pour qu‘à l‘UMP, on s‘en frotte déjà les mains  : “On va capitaliser sur l‘idée de responsabilité, de lucidité, de courage du Président”, ajoute Dominique Paillé. Lors de son déplacement le 21 octobre en Eure-et-Loir, devant les employés d‘une PME spécialisée dans l‘électroménager, Sarkozy a donc récité, sur ce thème, son laïus bien appris en chemin : “Je prendrai les décisions pour que vos retraites soient préservées” et “Je fais ça parce que c‘est mon devoir.“ Avant de lâcher pompeusement que “l‘histoire” lui donnerait raison. “Aujourd‘hui, Nicolas Sarkozy travaille une image ‘j‘ai dis que je ferai cette réforme et je le fais‘, une manière de rompre avec l‘image d‘un politique agité qui a pu lui coller à la peau au début de son quinquennat”, analyse Edouard Lecerf, directeur général de la Sofres. “Là, il est au contraire dans une action très concrète en insistant sur la nécessité de faire la réforme, même si c‘est douloureux, dit-il, répétant que ça irait encore plus mal s‘il ne la faisait pas.” La réforme des retraites entérinée, Nicolas Sarkozy va pouvoir passer au remaniement. Et là il ne faut pas se planter. Ce se-

LE PREMIER MINISTRE DEVRA LUTTER CONTRE LE SENTIMENT D‘INJUSTICE QUI PRÉDOMINE rait Jean-Louis Borloo. Faisons comme tout le monde, prenons cette hypothèse comme acquise… Il sera toujours temps d‘échafauder d‘autres analyses si les rumeurs François Baroin, Bruno Lemaire ou AlliotMarie devaient prendre le dessus. “JeanLouis Borloo a pour lui deux qualités, c‘est un orfèvre en matière sociale et il a l‘oreille des syndicats”, a confié Claude Guéant, le secrétaire général de l‘Elysée à Valeurs actuelles. En somme, le populaire ministre de l‘Environnement pourrait être bien utile au Président pour ratisser au centre droit. “Jean-Louis Borloo est très bien vu à droite, au centre et même à gauche. Il a un côté attrape-tout”, décrypte Edouard Lecerf. En somme, il pourra jouer la complémentarité avec Nicolas Sarkozy qui pour l‘instant a un côté repousse-tout. Au Président, le bénéfice des réformes à venir, valorisantes et sociales, celles de la fiscalité, de la dépendance, de la gouvernance mondiale… A Jean-Louis Borloo le service après-vente auprès des syndicats et de l‘opinion. Avec notamment la tâche de lutter contre le sentiment d‘injustice qui prédomine aujourd‘hui dans l‘opinion et qui constitue le handicap le plus lourd pour Nicolas Sarkozy. A fortiori après cette réforme des retraites dont l‘opposition et les syndicats n‘ont eu de cesse de dénoncer son caractère injuste.

vu, entendu fierté En pleine manifestation des lycéens contre la réforme des retraites, France 2 a diffusé un reportage montrant une jeune lycéenne très organisée s’attelant à tout balayer après le passage de ses camarades. Interrogée par la journaliste sur la signification de son geste, la jeune fille expliquait qu’il n’était pas question que les lycéens mettent le bazar et qu’il fallait tout nettoyer. Le reportage ne mentionnait pas son identité. Derrière son poste de télé, sa mère ne cachait pourtant pas sa fierté... Il s’agissait de la sénatrice des Verts, Dominique Voynet.

8

“L‘attitude du gouvernement laissera des traces. On ne touche pas aux retraites des Français sans écouter les Français, sans négocier avec les syndicats, sans respecter le Parlement”, a réagi Martine Aubry, appelant les Français à se joindre aux deux nouvelles journées d‘action qui s‘organisent, les 28 octobre et 6 novembre. Du côté de l‘Elysée, on se tourne déjà vers un nouvel agenda : l‘international. Le 4 novembre, Nicolas Sarkozy s‘affichera à Paris avec le président chinois Hu Jintao. Une semaine plus tard, il présidera le G20. “C‘est une belle opportunité, se délecte-ton dans la majorité, après, il s‘agit de voir ce qui en ressortira.” A défaut de réussir, Nicolas Sarkozy pourra toujours se montrer sur la photo aux côtés des stars de la planète et tenter de refaire le coup de la présidence française de l‘Union européenne. La scène internationale, les sommets, les rencontres avec les grands de ce monde, les photos montrant la complicité du Président avec Barack Obama ou Angela Merkel doivent nous rappeler que Nicolas Sarkozy est notre président et non pas le chef de la majorité, comme on pourrait le croire en suivant son action et sa façon de gouverner en France. Seulement le coup de la présidentialisation, on nous le fait avant chaque grand sommet international ou assemblée générale de l‘ONU. Pour que nous ayons enfin un président à Noël il faudrait surtout que Nicolas Sarkozy cesse de gouverner et se mette enfin à présider, à prendre de la hauteur afin de retrouver une parole un tant soi peu arbitrale. Pour cela il faudrait qu‘il accepte de confier le soin de gouverner à celui qu‘il décidera de nommer à la tête du gouvernement dans quelques jours. Le veut-il ? Le peut-il ? Ces questions n‘entrent pas dans le champ de l‘analyse politique, mais de la psychologie… Thomas Legrand et Marion Mourgue

soft

%

C’est le rabais qui pourrait s’appliquer à la retraite des députés. Après avoir traîné des pieds, les parlementaires vont-ils montrer l’exemple ?

Après ses tirades sur les journalistes “larbin”, “salaud”, “perruche” et “vaches sacrées”, voici Jean-Luc Mélenchon invité de Michel Drucker ce 7  novembre pour l’émission Vivement Dimanche. Un programme où généralement l’invité se fait tout miel pour raconter son enfance, ses hobbys, sa famille... Gageons que Mélenchon sera, lui aussi, des plus gentils sur le canapé rouge de Drucker.

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III tout nu 27.10.2010

que le meilleur perde

affaires intérieures

une tronche pas très…

E

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

Pascal Guyot/AFP

nterrer dignement un personnage que l‘on aimait pas, c‘est tout un art ! “Un paradoxe vivant”. La formule employée par François Bayrou après l‘annonce du décès de Georges Frêche, le 24 octobre, résume bien la personnalité controversée de celui qui fut, de 1977 à 2004, le maire de Montpellier, avant de prendre les rênes de la Région. “Quelqu‘un de très cultivé et en même temps quelqu‘un de très provocateur”, a ajouté Bayrou. Frêche, agrégé en histoire du droit et du droit romain, brillant orateur, s‘était pourtant illustré ces dernières années par des dérapages à répétition. En 2006, il avait traité les harkis de “soushommes” et jugé qu‘il y avait trop de “Blacks” dans l‘équipe de France de foot, ce qui lui avait valu d‘être exclu du PS en 2007. En 2010, il affirmait dans L‘Express que Laurent Fabius avait une “tronche pas catholique”. Dernier coup d‘éclat, en septembre, quand Frêche faisait installer à Montpellier cinq statues géantes de Jaurès, Roosevelt, Churchill, de Gaulle et Lénine. Pourtant, Martine Aubry, François Hollande ou encore Ségolène Royal, malgré les “désaccords”, ont préféré retenir de lui “un grand élu visionnaire et un bâtisseur”, “une forte personnalité” qui a fait de Montpellier “la grande cité qu‘on connaît aujourd‘hui”. M. M.

confidentiel “Je rêve toujours d‘être ministre de la Culture, je ne sais pas si c‘est un rêve fou mais j‘en rêve toujours.” Martine Aubry sur Radio Classique. Une manière de nous faire passer un message ?

par Michel-Antoine Burnier

Voici que M. Sarkozy se révèle comme un artiste du stop and go. Qu‘est-ce que le stop and go en matière de défaite ? Dans le langage courant, ce mot anglo-saxon désigne une conduite automobile hasardeuse où l‘on alterne de vigoureuses accélérations et de violents coups de frein, ce qui reste le meilleur moyen de dégrader un moteur. Ainsi, M. Mitterrand en 1981-83, M. Juppé en 1995 avaient-ils augmenté les salaires avant de les bloquer, et de multiplier, bien au-delà, les impôts. Cela les avait menés sans détour au résulat recherché  : un désastre politique, social et électoral. M. Sarkozy réinvente la méthode : il décide d‘inverser les principales dispositions prises au début du quinquennat. Il avait ouvert son gouvernement à quelques personnalités de gauche ? Il se déporte vers la droite extrême. Il avait imposé le bouclier fiscal ? Il laisse son ministre du Budget le dénoncer comme “source d‘injustice“. Il avait allégé les droits de succession ? Il songe à les augmenter. Cette politique présente de multiples avantages : 1. reconnaître que l‘on a échoué ; 2. montrer, fine trouvaille, que l‘on peut honorer une promesse sans la tenir et passer ainsi pour fourbe ; 3. déboussoler l‘électorat, perdre autant chez les pauvres qui se sont sentis spoliés pendant trois ans que chez les riches qui s‘estiment d étroussés ;

4. faire fuir davantage les capitaux. Nous n‘en avons pas fini  : un inestimable conseiller en défaite, M.  Attali, vient de fournir à notre président un lot de propositions menaçantes. Nous y reviendrons. Aïe, aïe, aïe, quelle imprudence ! Il y a quelques jours, un sénateur centriste de la majorité, M.  Giraud, n‘a pu retenir son profond désir d‘échec : il vota contre l‘article 4 du projet de loi sur les retraites, article central portant sur l‘allongement de la durée de cotisation. Comme notre sénateur possédait les délégations de l‘ensemble de son groupe, l‘article 4 fut rejeté. Le gouvernement s‘affola : n‘allait-on pas révéler ainsi le mystérieux secret du monde politique, cette aspiration frénétique à la défaite ? Par sa grossièreté même, le procédé paraissait trop facile et peu convenable. Pourquoi ne pas démissionner tant qu‘on y est ? En politique, l‘échec a ses règles qu‘il convient de respecter. Les collègues du sénateur se précipitèrent pour camoufler le motif réel de M. Giraud : ils mirent l‘incident sur le compte de la fatigue. Par chance, une fois encore, on les crut. Reste un petit bénéfice victoricide. En imposant ainsi une deuxième lecture de l‘article  4, M.  Giraud a permis de retarder le vote définitif de la loi et donné quelques jours de plus aux manifestants. (A suivre) 27.10.2010 les inrockuptibles 43

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safari

François Lafite/Wostok Press/Maxppp

Après décision de la cour d‘appel de Paris, la police a fait évacuer le squat de la place des Vosges, occupé depuis un an par des membres du collectif Jeudi noir. L‘hôtel particulier de quelque 1 500 mètres carrés est pourtant inhabité depuis 1966. Samedi 23 octobre, à Paris

pifomètre

Méluche casse la baraque

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semaine précédente

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Olivier Besancenot

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Eva Joly

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André Chassaigne

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Dominique Strauss-Kahn

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Manuel Valls

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Ségolène Royal

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique. Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Rama Yade, 33 ans, secrétaire d’Etat aux Sports. Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, Paris XIe. Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

DSK commence à se faire oublier à force de ne rien dire sur la situation française. Evelyne Ghaya, gérante d’un magasin de presse dans le XIe arrondissement de Paris, était tellement énervée par les leaders de la gauche cette semaine qu’elle n’a pas donné un seul point aux présidentiables. Pour cette fois, on accepte mais attention chers membres du panel, il va falloir s'accrocher jusqu’à la présidentielle, dans dix-huit mois… Tenez vos nerfs !

15

François Hollande

le reste du panel

J

ean-Luc Mélenchon, grande gueule qui se paie les journalistes, trouve un certain écho auprès de notre panel. Taper sur les journalistes ça rapporte, donc. Merci, ça fait toujours plaisir… Notre libraire Jacques Foures nous dit qu’il entend beaucoup parler de Mélenchon en ce moment dans sa librairie. Martine Aubry reste en tête des présidentiables du PS alors que l’effet Royal de début septembre semble maintenant s’estomper.

Martine Aubry

Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. La politique, une passion ? Non, c‘est plutôt une attitude... (chienne de vie). Les Inrocks ? Enfin la bonne formule, un peu d’air frais... La gauche, tu l’aimes ou tu la quittes ? Difficile de sortir du bocal, et pour aller où ? Personnalité politique préférée ? Jacques Delors, of course. Détestée ? A ce jour, Brice Hortefeux, à volonté. Et Margaret Thatcher. Moment politique le plus triste ? Le non-choix Chirac/Le Pen en 2002. Le plus drôle ? Depuis Georges Marchais, vraiment, je ne vois pas... Le plus heureux ? Présidentielle 2012. Le plus ridicule ? Le gouvernement Bayrou.

Jean-Luc Mélenchon

notre panel

Notre panel répond, comme chaque semaine, à la question rituelle : qui a le vent en poupe à gauche pour la prochaine présidentielle ?

cette semaine

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V tout nu 27.10.2010

presse citron

les relous par Christophe Conte

Brigitte Bardot et Renaud Camus se tirent la bourre à droite, Jean-Louis Borloo perd les “o”, Edouard Balladur conseille la famille royale et Brice Hortefeux classe les bits. Jean-Luc Mélenchon, lui, devrait mettre un casque.

tous des cons Sur Beur FM, le ministre de la Défense Hervé Morin livre dans un lapsus son explication à l’hostilité des Français face à l’intervention en Afghanistan : “C’est difficile d’expliquer à des cons…”, avant de tenter maladroitement de se rattraper. “C’est nul, c’est zéro”, déclarera le ministère de la Défense par la suite. On est bien d’accord.

Bertrand Guay/AFP

François Lochon/Gamma

inutile

c’est l’histoire d’un Mél’ C’est au Théâtre Dejazet que Jean-Luc Mélenchon avait réuni lundi 18 son public de fans pour appeler à une “révolution citoyenne” comme le détaille L’Humanité (19/10), qui précise que 300 personnes n’ont pu entrer faute de place. Un succès pour le nouveau comique qui monte et dont le dernier sketch baptisé Qu’ils s’en aillent tous ! cartonne en librairie. Les valets de la “médiacratie” (Pujadas, Ferrari…) en ont encore pris plein la mangeoire. Rappelant aux anciens de l’humour populiste qu’au même endroit, en 1977, Coluche triompha avec les mêmes thèmes.

et Dieu créa l’infâme La semaine où nous apprenions que l’amie des ânes Brigitte Bardot songeait à se présenter à l’election présidentielle sous l’étiquette de l’Alliance écologiste indépendante du zombie moumouté Antoine Waechter, Jean-Paul Guerlain faisait dans le poste son olfactive sortie sur les “Nègres”. On songeait alors à la vision de Gainsbourg, qui écrivait dans Initials BB : “Elle ne porte rien d’autre qu’un peu d’essence de Guerlain dans les cheveux.” On eut alors envie de pleurer.

in-nommable La présidentielle 2012 risque de ressembler à un défilé de chemises brunâtres maculées de bave de crapaud, l’écrivain chasseur de juifs Renaud Camus ayant annoncé à son tour son désir de s’aligner (lexpress.fr du 20/10). Son Parti de l’in-nocence dénonce, entre autres im-mondices la “tyrannie médiatique métissolâtre et immigrationiste” et propose un projet de civilisation propre à faire passer Marine Le Pen pour une moule centriste.

un zéro Désormais très copain avec Jacques Dessange – qu’il n’avait plus fréquenté depuis  1983  –, le

futur Premier ministre Jean-Louis Borloo l’est beaucoup moins avec les chiffres. Comme le révélait Le Figaro (20/10), le ministre de l’Ecologie (et de l’Energie) s’est planté d’un zéro à propos du nombre de stations-service en pénurie d’essence (300 au lieu de 3 000), entraînant tous ses collègues du gouvernement dans un grand carambolage de fausses déclarations. On le surnomme désormais Jean-Louis Borlo.

l’Orient express A ceux qui, n’ayant rien d’autre à foutre, se demandaient ce que devenait Edouard Balladur, l’ancien Premier ministre a répondu dans l’émission Dimanche+ (Canal+ le 18/10) : il est désormais conseiller d’orientation. Il a ainsi suggéré à Jean Sarkozy de “se concentrer pour terminer ses études et avoir une profession”. Bien dit Doudou ! Maintenant tu vas appeler son père pour lui dire la même chose.

très confidentiel Après la révélation par Brice Hortefeux de l’existence en France d’un fichier d’empreintes génitales (Grand Jury RTL/Le Monde du 18/10), la police nationale songe à monter un partenariat avec youporn.com.

“Ça ne sert à rien de faire grève aujourd’hui”, puisque la loi sur les retraites sera désormais adoptée quoi qu’il arrive, a essayé de se convaincre dimanche le ministre du Travail Eric Woerth. Alors que jusque-là, le gouvernement était ouvert à la discussion…

people Sur le plateau de Face aux Français, sur France 2, un membre du panel reproche à François Hollande d’avoir dévoilé sa vie sentimentale dans Gala. “C’était difficile de le faire dans Le Monde”, lui répond l’intéressé. Et l’interview dans Public, c’est pour quand ?

parité Pas toujours facile de mêler vie professionnelle et sentimentale. “Je suis le seul à savoir que je ne serai jamais ministre (…) C’est le drame de l’amour”, a regretté le député UMP Patrick Ollier (alias monsieur Alliot-Marie), pendant une audition à l’Assemblée nationale. Il pourra toujours demander à madame de le pistonner chez les Bettencourt. 27.10.2010 les inrockuptibles 45

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contre-attaque

canards pas laquais Comparée aux titres gauchos et anars, potaches et foutraques de la génération précédente, la nouvelle presse libertaire montre qu’elle a des lettres : choix de sujets pointus, textes de qualité et maquettes au graphisme séduisant.

A

u menu d’Article 11, entre des papiers sur l’actualité de la rébellion sociale en France ou sur les arrestations préventives et le fichage des participants du camp No Border, fin septembre à Bruxelles, pour la défense des migrants dans l’espace européen, on trouve une rétrospective inattendue sur les groupes punks est-allemands d’avant la chute du Mur, une interview bien cadrée de David Dufresne, auteur de Maintien de l’ordre. Mais, surtout, un étonnant portrait de Stagger Lee, mac noir de Saint Louis, Missouri, devenu tueur un soir de biture à la fin du XIXe, et avec le temps, l’inspirateur des Clash et de Nick Cave, le héros des Black Panthers et du critique rock Greil Marcus. Se revendiquant d’un “journalisme chirurgical destiné à crever l’abcès”, et fabriqué par des militants bénévoles, Article 11 (en référence à l’article de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 instaurant la liberté d’expression) aligne des sujets documentés et (bien) écrits. Las d’être vampirisé au quotidien par le net, il passe en version papier à la mi-novembre (www.article11. info/spip/index.php). Ami et challenger très sérieux de celui-ci : Z, journal ambulant, malin et classieux (www.zite.fr). Concept original  : pour chaque numéro, la rédaction se serre à bord de Gigi, un camion de forain rafistolé, et va se poser quelques mois d’affilée dans un lieu différent pour y investir une problématique spécifique, qu’elle régurgite sous forme de monographie fouillée  : le Marseille des quartiers déshérités promis à être

A bord de son vieux J7, la rédaction de Z se déplace sur les lieux de ses reportages

“ON NE CHERCHE PAS À ÊTRE DANS L’ACTUALITÉ, ON SE SITUE PLUTÔT DERRIÈRE” rasés ; la Picardie ouvrière et sinistrée ; ou bien Nantes, officiellement promue modèle de développement durable, mais de fait promise à un drame écologique et social avec la création d’un nouvel aéroport. Marie, Grégoire, Alexis et Ferdinand, fédèrent ce collectif de trentenaires militants et très unis. “Dix euros le numéro à 2 000 exemplaires, ça paie l’impression, et à peine l’essence du camion. A terme, on aimerait bien pouvoir s’offrir des smic.” En trois ans, quatre numéros ont été publiés, ce n’est pas lourd, mais vue la qualité de l’objet, on comprend qu’ils ne se pressent pas. “Ce qu’on a envie de raconter, les micro-organisations locales ou les mouvements de résistance, ça ne se fait pas en quelques jours, notamment quand on veut donner la parole à des gens qui l’ont rarement. On ne cherche pas à être dans l’actualité, on se situe plutôt derrière. On fait le journalisme qu’on veut faire…” Z est un magazine, et bien plus  : un lieu de rencontre. A Nantes, par exemple, les journalistes ont organisé des échanges entre les Contis en lutte, les gens de Plogoff qui se sont toujours battus contre la centrale nucléaire et les paysans priés de déguerpir pour laisser place à l’aéroport. Pour faire écho au mouvement socia, Z lance aussi un hebdo de liaison1, qui sera distribué dans les prochaines manifs.

Dans le circuit des librairies indépendantes, comme la parisienne Quilombo, on trouve une flopée de titres, tous aussi combatifs, frais, poil à gratter et parfois drôles. A commencer par Fakir, “Journal fâché avec tout le monde. Ou presque” – et, en l’occurrence ce coup-ci, avec DSK (www.fakirpresse.info). Mais aussi La Brique, journal lillois qui fait sa une sur les souffrances psychiques au travail (http:// labrique.net) ; ou la marseillaise Offensive, qui clame, entre autres  : “Nous voulons tout. Et nous prendrons le reste” (http:// offensive.samizdat.net). Dans une presse qu’on dit moribonde, un autre journalisme est possible. [email protected] 1. Textes ou photos à envoyer à [email protected]

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Frank Prevel/Getty Images/Image Forum

VII tout nu 27.10.2010

propagenda

petit lexique subjectif à l’usage des manifestants Les manifs n’entraînent pas seulement le blocage des raffineries mais aussi un joyeux vocabulaire qui fleurit avec les cortèges.

C

agoule Accessoire de mode interdit depuis le décret du 19  juin  2009. Impossible de savoir si des manifestants ont reçu une amende pour cagoule illicite, puisqu’il n’existe pas de statistiques nationales sur les contraventions. Casseur Sens commun : individu nuisible armé d’une barre de fer, le visage dissimulé sous une cagoule (voir “cagoule”), qui discrédite une manifestation pacifique en commettant des actes de violence gratuite contre le mobilier urbain. Il n’est pas lycéen, oh non !, c’est un “élément perturbateur”. Interprétation marxiste : fossoyeur du mouvement ouvrier ; agité du bocal. Interprétation tiqqunesque : digne héritier des émeutes de Watts. Selon le ministère de l’Intérieur, un total de 1 158 “casseurs” ont été interpellés depuis une semaine. Emile Loubet Victime posthume des hordes lycéennes qui, à Montélimar, ont dégradé la “table sur laquelle Emile Loubet, ancien président de la République (de 1899 à 1906 – ndlr), travaillait quand il était maire de la ville”.

Essoufflement Espoir de toute autorité politique qui finira bien par avoir raison à force de marteler que “la lutte s’essouffle”. Flash-Ball Arme imposant le respect d’une distance de sécurité d’au moins sept mètres. Selon une note de la Direction centrale de la sécurité publique de mai 2009, il est interdit de tirer “au niveau du visage ou de la tête”. L’utilisation du Flash-Ball doit être “proportionnée” aux faits et liée à la légitime défense. Le 12 octobre, lors d’une manifestation, un lycéen a été blessé au visage et doit subir une opération. Contrairement aux premières annonces, les consignes de sécurité ont été rappelées, mais l’usage de l’arme n’a pas été suspendu. Guérilla urbaine Bazar et dégradations, quand des journalistes et des préfets émotifs décident de dramatiser. Exemple : “Le préfet Patrick Strzoda a évoqué des scènes de ‘guérilla urbaine initiée par 250  casseurs, et non des lycéens, qui ont agressé violemment les forces de l’ordre’, sans blesser personne.”

Instrumentalisation Phénomène hypnotique orchestré par les syndicats et les partis d’opposition. Devant la promesse de portefeuilles ministériels et d’un goûter, des masses de lycéens se soulèvent en chœur pour dire “non non non” à une réforme dont ils ne savent rien. Exemple  : “Plutôt que d’expliquer aux lycéens les véritables enjeux de la réforme, ceux-là ne cherchent qu’à agiter et manipuler les lycéens pour le compte de l’opposition”, écrit l’UMPlycées dans un communiqué. Pédagogie Volonté gouvernementale de faire pénétrer l’essence des réformes dans les esprits les plus réfractaires. Petit groupe très mobile Assemblage aléatoire de casseurs plus jeunes et plus rapides que les gendarmes, pourtant eux aussi appelés “mobiles”. Pour Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice, “dès qu’il y a des manifestations qui se répètent, dès qu’il y a des jeunes, nous voyons s’infiltrer un certain nombre de petits groupes qui sont purement et simplement des casseurs”. Camille Polloni 27.10.2010 les inrockuptibles 47

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Pour faire face au péril écologique, une refonte de l’organisation politique de nos sociétés s’impose. Le défi : inventer une démocratie plus délibérative, dépassant le cadre du système représentatif.

Chine, 17 septembre 2010. Un habitant de Jinhua fuit la zone touchée par une fuite d’acide d’une usine chimique désaffectée

ChinaFotoPress/Getty Images.AFP

débat d’idées

la démocratie au tamis vert A u fil des ans, le péril écologique s’est imposé dans les consciences comme le défi majeur de notre présent. Comme le théorisait il y a cinquante ans déjà le sociologue Serge Moscovici, la “question naturelle” forme la grande question de notre époque, quand la question politique occupa le XVIIIe siècle et la question sociale le XIXe siècle. Nous vivons sur une “planète Bazar”, pour reprendre le titre de l’essai d’Annie Leonard, militante écologiste qui dénonce les excès de la société de consommation à l’origine de la catastrophe environnementale (élévation de la température moyenne, montée du niveau des mers, réduction de l’écounème, c’est-à-dire l’ensemble des terres habitées par l’homme…). Pour autant, comme l’attestent les échecs successifs des tentatives de réponse collective au problème (Kyoto, Copenha–gue…), les dégradations que l’humanité inflige à la biosphère restent un angle mort de la politique. C’est l’incapacité des Etats à se mettre à la hauteur du péril écologique qui a poussé Dominique Bourg et Kerry Whiteside à s’interroger sur les vices de nos systèmes représentatifs. “Le défi écologique est indissociablement un défi politique : nous ne le relèverons qu’en modifiant en profondeur nos institutions. Protéger la biosphère exige donc de repenser la démocratie

elle-même”, avancent les auteurs de Vers une démocratie écologique. A la fois dans son rapport à l’espace et au temps, le système représentatif échoue dans sa prise en compte responsable et concrète du problème écologique. Elus dans le cadre d’une circonscription territoriale, les représentants ne peuvent rien faire contre les pluies acides, les pollutions des rivières, la raréfaction des ressources na– turelles ou la pénurie de pétrole, problèmes transfrontaliers qui leur échappent en partie. De même, l’effet à retardement de leurs actions, l’absence d’impact sur leurs propres intérêts à court terme (leur réélection) ne poussent pas les représentants à penser aux générations futures. La “tyrannie du présent” biaise tout, le futur “reste la circonscription négligée de la politique représentative moderne”. “Nous subissons donc une tyrannie originale,

NOUS NE RELÈVERONS LE DÉFI ÉCOLOGIQUE QU’EN MODIFIANT NOS INSTITUTIONS

celle qu’exerce la jouissance immédiate des individus à l’encontre des enjeux vitaux à long terme pour le genre humain. Le mode de gouvernement représentatif est impuissant contre cette tyrannie ; pire, il la nourrit”, dénoncent les auteurs. D’où la nécessité vitale, selon eux, de réinventer des processus démocratiques permettant d’instaurer dans nos sociétés un circuit de communication et de réflexion plus radical et ouvert. Les modèles de participation existent déjà : jurys citoyens, recherche collective, conférences de consensus inventés par les Danois dans les années 1980… De l’instauration d’une Académie du futur à la modification de la Constitution, d’un nouveau Sénat à de nouvelles procédures de délibération…, les pistes ici explorées forment le cadre d’une réappropriation de la responsabilité publique. Sans renier les principes constitutifs de nos démocraties représentatives, les auteurs invitent à une forme d’élargissement de ses procédures, seules capables de réintroduire “la considération du long terme” au sein de nos démocraties modernes. Jean-Marie Durand Vers une démocratie écologique : le citoyen, le savant et le politique de Dominique Bourg et Kerry Whiteside (Seuil, La République des idées), 104 pages, 11,50 € La Planète Bazar d’Annie Leonard (Dunod), 384 pages, 24,50 €, sortie le 3 novembre

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ma rencontre avec

Angela Merkel

Cristel Bogdan/Reuters

Entretien express avec la chancelière allemande, qui a reçu David Pujadas pour sa première interview sur une chaîne française. L’Europe, Sarkozy, l’immigration : elle répond.

A

ngela Merkel est dans une position délicate. Alors que l’économie repart, elle n’a jamais été aussi impopulaire.” Arnaud Boutet, notre correspondant en Allemagne, me résume la situation à la sortie de l’aéroport. La voiture glisse le long des avenues désertes. Paris est calme le dimanche, mais que dire de Berlin ? Sur les pelouses impeccables du Parlement, des groupes d’ados jouent au Frisbee. La ville est une capitale politique et culturelle, très loin du rythme électrique des centres économiques et financiers du pays. “Les Allemands se lassent de son sens du compromis, poursuit Arnaud. Ils ne se sentent pas dirigés.” La chancelière n’a jamais donné d’interview à une chaîne française. Contrairement à Gerhard Schröder, son prédécesseur aux allures

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Hanna Boussouar

Guido Bergmann/Bundesregierung/AFP

“la vérité, chez nous comme en France, c’est que les gens vivent plus vieux et qu’il faut travailler plus longtemps”

Lundi 18 octobre, à la chancellerie

de séducteur, elle se méfie des médias. “Tu verras, elle sera tendue et un peu sèche.” A 10 heures le lendemain matin, nous entrons dans l’immense ensemble aux lignes épurées qui abrite la chancellerie. Première impression : l’incroyable simplicité des lieux, un peu à la scandinave. Ni luxe ni apparat, sécurité réduite au minimum. Aucune trace d’histoire. On est à des années-lumière des dorures de nos palais. L’entretien aura lieu dans la salle du Conseil des ministres. Une table ovale, des fauteuils de bureau. Seule la perspective en met plein la vue : Berlin, son immensité, ses forêts, et au premier plan, le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Bundestag, l’Assemblée nationale allemande. Vous avez dit “Reichstag” ? “Oui, m’expliquet-on, le nom a été conservé. Beaucoup l’associent à la période nazie mais c’est une erreur. C’est là, par exemple, qu’a été proclamée la République en 1918.” Angela Merkel arrive presque discrètement, un léger sourire sur les lèvres. Regard bleu et poignée de main sans chaleur ni familiarité : gros contraste avec Tony Blair rencontré un mois plus tôt. La chancelière n’est pas tendue, juste très pressée. Je n’ai jamais étudié l’allemand mais elle parle anglais. “Partez-vous à Deauville juste après pour le sommet avec Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev ? – Non, dans trois heures. Combien de temps dure l’entretien ? – Huit minutes.” Nous en ferons onze. On a vu des débords bien pires. Accélération des réglages. C’est parti. Bonne surprise : la chancelière est plutôt cash. Le bras de fer sur les retraites en France ? Elle n’esquive pas. “La vérité, chez nous comme en France, c’est que les gens vivent plus vieux et qu’il faut travailler plus longtemps.” (en Allemagne, la gauche avait établi le passage de 65 à 67 ans lorsqu’elle était au pouvoir. Aujourd’hui, elle est revenue en arrière). Les critiques sur l’égoïsme du modèle allemand, basé sur la compétitivité et les exportations, donc sur la consommation de ses v oisins ? “Je ne crois pas que nous soyons égoïstes. Nos salaires ne sont pas particulièrement bas et nous avons pris nous aussi des mesures de relance. Mais attention à la concurrence de l’Asie.” Je relance : “Helmut Kohl, qui a connu la guerre, était un Européen de cœur. N’êtes-vous pas plutôt une Européenne de raison, en pensant d’abord aux intérêts allemands, comme on l’a vu dans la crise grecque où vous avez été réticente à adopter le plan de sauvetage ? – J’aime l’Europe à la fois avec le cœur et la raison. Je crois que j’avais raison d’être sévère. Tout le monde reconnaît

Octobre 2010. Angela Merkel salue le Zidane allemand Mesut Ozil. Le multikulti, ça ne marche plus

aujourd’hui qu’il faut avoir une culture de la stabilité. Ce n’était ni de l’égoïsme ni de l’avarice.” Arrive le chapitre Sarkozy. Tout le monde a noté que le côté hussard du président de la République contrastait avec la réserve d’Angela Merkel. “La presse allemande dit que vous êtes parfois déroutée par son style. – Non, ce n’est pas vrai parce que nous nous connaissons très bien. Nos tempéraments ne sont pas toujours les mêmes. Mais dans notre volonté de trouver des solutions, nous sommes pareils. Ce que j’apprécie chez lui, c’est que nous ne tournons pas autour du pot. – Sur l’affaire des Roms, il vous a prêté des propos que vous avez démenti avoir tenus. Est-ce que cela vous a agacée ?” Elle répond du tac au tac : “Nous nous sommes rencontrés à New York et désormais nous regardons vers l’avenir.” C’est diplomatique mais clair. J’en viens ensuite au sujet de l’immigration. En France, les débats ne sont pas récents. En Allemagne, c’est une première. Des tabous sautent. Un haut dirigeant social-démocrate a publié récemment une violente charge pour dénoncer ce qu’il nomme “l’abaissement du pays”, confronté selon lui à un trop-plein d’immigrés et aux dangers de l’islam (en Allemagne, les Turcs constituent la première communauté immigrée). Il a été désavoué par ses pairs mais le livre s’arrache en librairie. La veille de notre arrivée, Angela Merkel a indiqué que le modèle d’intégration allemand avait échoué. Lorsque nous lui posons la question, elle fait de la politique. Position médiane : “L’Allemagne n’est pas menacée par l’immigration ou l’islam. Rien n’est menacé. Mais nous avons trop longtemps négligé le respect des lois du pays et la connaissance de la langue. Aujourd’hui, il est un fait que l’islam fait partie de l’Allemagne.” Lorsqu’on enlève les micros, elle se détend. Je lui fais remarquer qu’elle est sans doute plus populaire en France qu’en Allemagne. Elle sourit mais ne se démonte pas. “Dans mon électorat (la droite – ndlr), je garde le même socle. Le clivage droite-gauche est redevenu plus fort.” Elle sait qu’elle est menacée, dans son propre camp, par un jeune loup : KarlTheodor zu Guttenberg, 38 ans, l’étoile conservatrice qui monte, aristocrate et glamour. Les élections partielles du printemps seront déterminantes. Angela Merkel s’en va furtivement, comme elle est arrivée. Mince, j’avais promis aux Inrocks que je lui demanderais si elle préférait Nina Hagen ou Scorpions. Je ne l’ai pas senti. David Pujadas 27.10.2010 les inrockuptibles 51

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l’homme derrière

V

énus noire marque le grand retour d’Abdellatif Kechiche, trois ans après le succès public et critique de La Graine et le Mulet. Nous le retrouvons dans le café bellevillois où il aime donner ses rendez-vous. Il n’a pas changé : attentif, concentré, angoissé, obstiné, exigeant mais volontiers rieur, il cherche souvent ses mots, réfléchit en même temps qu’il parle, s’en excuse parfois. On pense souvent à Modiano : la même apparente indécision pendant plusieurs secondes… puis soudain la même précision dans la langue. Pour dire l’essentiel : la rencontre passionnelle avec Saartjie Baartman, la douleur de l’étranger, la France sous la droite.

Vénus

Avec L’Esquive et La Graine et le Mulet Abdellatif Kechiche est devenu le champion d’un cinéma français au réalisme solaire, directement branché sur le contemporain. En remontant au XIXe siècle pour raconter l’histoire de la Vénus hottentote, il revient aux racines des maux d’aujourd’hui : racisme, rejet de la différence, exploitation sexuelle des minorités. par Serge Kaganski et Jean-Baptiste Morain photo Christian Lartillot

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“moi aussi je suis dans une cage. Une cage dorée peut-être, mais une cage quand même” Comment avez-vous découvert la Vénus h ottentote ? Abdellatif Kechiche – Par hasard, à travers des lectures. Je me suis vraiment intéressé à elle en 2000, quand j’ai su que l’Afrique du Sud avait, en 1994, demandé à la France et à François Mitterrand la restitution des restes de Saartjie Baartman par la voix de Nelson Mandela, et qu’un débat devait avoir lieu à l’Assemblée nationale. Je me suis documenté dans les bibliothèques, sur internet, et j’ai découvert une histoire incroyable et bouleversante. Avec déjà l’idée d’en faire un film ? Non, pas encore. La démarche me semblait étrange : devait-on rendre un squelette, un cerveau, des organes génitaux, accepter d’en être dépossédés ? C’était une leçon d’histoire qui en disait tellement sur nous-mêmes. J’ai ensuite découvert le visage de Saartjie Baartman grâce au moulage de son corps réalisé après sa mort. Il est extraordinaire ! On a vraiment l’impression de voir un être vivant ! Comme si les deux cents ans qui nous séparaient d’elle n’avaient pas existé. Son visage exprime une douleur… choquante. En même temps, il se transforme selon l’angle sous lequel on le regarde et soudain, on dirait un ange. Ça a fait battre mon cœur, ça m’a hanté. Vous vous êtes tout de suite demandé qui allait l’interpréter ? Ma première question était : que raconter, que me dit ce visage ? Pourquoi a-t-il connu un tel destin ? Tout est parti de mon émotion face à ce visage. Mais ce qui m’a le plus intrigué, et qui m’intrigue toujours, c’est qu’elle ait refusé de montrer ses parties génitales aux scientifiques. Elle a passé trois jours avec eux, avec Cuvier, avec Saint-Hilaire. Elle était comme un acteur auquel on dit qu’il va devoir tourner nu mais que ce rôle fera de lui une star : “Tu vas aller à Hollywood… Alors montrer ton sexe, ce n’est rien, pourquoi viens-tu nous embêter avec ça… ?” Et elle a dit non. Tous les rapports des scientifiques présents en font état. Pourquoi ? Je n’ai pas de réponse. Ensuite, les spectacles dans lesquels elle jouait à l’époque n’ont plus très bien marché et elle est morte. Alors ils se sont servis : ils ont prélevé ses organes,

Paris, octobre 2010

notamment génitaux, ont fait mouler son corps et l’ont exhibé dans un musée. Ma question est : comment pouvons-nous faire cela, nous, humains ? Peut-on dire de votre film qu’il contribue à réparer son déshonneur ? Disons que j’entretiens une maison pour qu’elle ne s’écroule pas. Lui rendre hommage, c’est poser tellement de questions. Elle a créé un désordre en moi. Ce film est-il un autoportrait ? Le processus d’identification s’est fait tout de suite. Dans tous les documents qu’on a sur elle, on sent une solitude et un repli sur soi pour échapper à l’oppression du regard. Elle a passé cinq ans loin de chez elle à tourner dans des spectacles, enfermée dans une cage. Vous n’êtes pas dans une cage ! Le public a bien accueilli vos films, vous êtes célèbre, vous avez reçu des prix… Si, je suis dans une cage. Une cage dorée peut-être, et encore. Mais une cage, quand même. Saartjie aussi était honorée à son époque, en tant qu’artiste ! Mais elle devait jouer un rôle dont elle n’avait pas envie. Les gens venaient la voir comme ils seraient allés assister à un film d’horreur, pris entre la peur et le désir. Elle aurait peut-être eu envie de jouer Ophélie, comme moi j’aurais aimé jouer Hamlet lorsque j’étais acteur. Votre destin est meilleur que le sien ! Je me demande dans quelle mesure

on peut parler d’un destin meilleur qu’un autre. C’est compliqué. Il y a d’un côté ce que vous présentez de vous et de l’autre votre douleur intérieure. Si elle avait été libérée, qu’aurait fait Saartjie Baartman ? Elle aurait peut-être monté un spectacle pour montrer qu’une femme africaine n’est pas la bête sauvage qu’on l’obligeait à jouer. Elle aurait été conditionnée par son passé, par le regard oppressant qu’elle avait supporté. Je pense que lorsque vous avez subi l’oppression du regard en tant qu’étranger, vous y restez soumis tout le temps. Mais si vous me posez la question de l’autoportrait, c’est que vous connaissez déjà un peu la réponse… Il y a toujours quelque chose de faussé et de profond, vous le voyez bien, qui fait que vous ne me regardez pas tout à fait comme un cinéaste, mais comme un cinéaste sur lequel on pose un regard. On est tous soumis au regard des autres, ce n’est pas nécessairement une cage. Ça dépend de comment on le vit, de comment on l’a vécu enfant. Un Arabe à Nice dans les années 1960, ce n’est évidemment pas comme un Juif avantguerre. Il y a des degrés de gravité, mais les éléments s’ajoutant les uns aux autres peuvent faire qu’à un moment, un homme ou une femme se sent oppressé par un regard… et en souffre… Ça me gêne de parler de moi, c’est impudique !

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Si on fait une analogie entre Saartjie et vous-même, c’est aussi parce que vous êtes tous les deux artistes. Diriez-vous qu’en tant qu’artiste, vous ne faites pas vraiment ce que vous vouliez faire au départ ? Non seulement au départ, mais maintenant aussi. Comme elle, j’ai voulu être artiste très jeune, j’avais 14 ou 15 ans, et mon désir de faire partie du monde du spectacle m’a été très bénéfique. En quelque sorte, il m’a même sauvé. Et puis au moment où on espère exprimer quelque chose d’inspiré sur le monde, sur l’émotion, sur l’homme, on se retrouve à représenter ce qu’on a fui. Par exemple, quand j’ai commencé à faire du cinéma, souvent dans des œuvres qui se voulaient engagées, je jouais souvent le Beur de la cité – je caricature – qui se retrouvait dans des situations que je n’avais pas connues et que j’avais fuies en venant à Paris pour suivre des cours de théâtre et faire le Conservatoire. On me renvoyait d’où je venais. Par l’image. Mes films portent le souvenir de cela. Faire un film en costumes, c’était angoissant pour vous ? J’ai peur à chaque film. Ce qui m’effraie le plus, c’est de ne pas obtenir le résultat que je recherche, ma vision du beau, du vrai, de la justesse. Saartjie parle très peu, contrairement à vos personnages féminins habituels. Mes personnages principaux sont en général silencieux : ils mettent ainsi les autres en valeur. C’était le cas de Krimo dans L’Esquive ou du père dans La Graine et le Mulet. La seule différence, c’est que mon personnage principal est ici une femme. J’ai eu beaucoup plus de mal avec Saartjie. C’était comme une montagne à gravir. J’avais besoin de la diviniser, de la mythifier, à la fois martyre et un peu star. Mystérieuse. J’ai préféré lui donner cette dimension parce que je n’arrivais pas à lui créer une psychologie sans la diminuer, sans qu’elle dise ce que moi j’avais envie de lui faire dire. D’après les témoignages, elle a toujours eu vis-à-vis des autres l’attitude d’une femme à qui on ne la fait pas. J’ai demandé à mon actrice de la jouer ainsi. Est-ce un film politique qui parle d’aujourd’hui ? Je n’ai pas voulu instrumentaliser Saartjie mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas un aspect politique derrière ce film. Jusqu’à mon arrivée à Paris, dans les années 1980, je ne me sentais pas vraiment à l’aise avec tout ce qui se passait – mais qui était tellement normal – après la guerre d’Algérie, les bidonvilles, l’immigration des travailleurs… Mais aucun homme

politique ne désignait l’étranger comme l’incarnation de tous les problèmes de la société. Il me semble que la droite tentait même de sauver les apparences : en instaurant le regroupement familial, en construisant des cités, en fermant des bidonvilles. Puis Mitterrand est arrivé au pouvoir et quelque chose a vraiment changé. Un grand mouvement antiraciste est né (Touche pas à mon pote, la marche des Beurs, etc.), ainsi qu’une volonté politique de stopper, dans les mentalités et l’éducation, un phénomène qui empoisonnait la vie des gens. Ce mouvement englobait toutes les différences, les minorités sexuelles aussi. Je n’ai plus mis en doute le besoin, la nécessité et le bonheur d’avoir une perspective de vie dans ce pays, de m’y attacher, d’en faire partie, d’avoir à y jouer un rôle. Et non pas de rester spectateur. Le théâtre et le cinéma n’ont fait qu’accentuer ce sentiment-là. Et depuis la droite ? Avec les élections d’avril 2002 et 2007, l’atmosphère du pays est devenue différente. Quelque chose me dérangeait qui a atteint récemment son paroxysme, avec ces discours et ces petites phrases qui soi-disant s’échappent de la bouche de certains ministres à des fins électorales évidentes. Cela me plongeait dans un profond malaise. Même si je sens une résistance en France, les événements récents m’ont fait présager le pire : l’expulsion de tout un peuple. Ils signifiaient : “Tu n’as pas le droit

de respirer le même air que moi, tu es différent, tu vis différemment de moi et je ne veux pas de toi ici.” Ils désignaient un peuple entier comme responsable de tous nos maux. Des sondages disent que 80 % des Français sont d’accord avec cette expulsion. Le travail a été très bien fait pour que ça passe sans qu’on se dise : ça, ce n’est pas nous. Le pouvoir va peut-être changer de mains... Aujourd’hui, le racisme est redevenu une chose banale, admise. Nos grands messieurs sont en train de faire des dégâts. Quand on sort de Paris, il y a des divisions, des ghettos, un repli sur soi et on se sent, à nouveau, un sous-Français. Tout le monde le sait mais personne ne s’en inquiète. La jeunesse est en perte d’identité. Ceux qui ont le pouvoir de s’exprimer n’en ont pas conscience. J’ose espérer qu’ils n’en ont pas conscience. Lentement, à l’aide des mots, avec perversité, ils creusent les différences... Je n’ai pas raconté l’histoire de Saartjie pour incriminer l’époque passée mais pour mieux comprendre le présent. Malgré tout, je fais partie pleine et entière de la collectivité des hommes. Je m’interroge moi aussi sur ma capacité à être un voyeur, un inconscient, un égoïste… Pardonnezmoi : on a beaucoup parlé de politique, mais je crois que ce sont des questions avec lesquelles il faut marteler les esprits jour et nuit.

la révélation Yahima Torres C’est sur le boulevard de Belleville, dans le quartier parisien où il vit, qu’Abdellatif Kechiche a trouvé l’interprète principale de Vénus noire. Yahima Torres, coiffure de lionne et sourire ravageur, n’est pas sud-africaine comme son personnage mais cubaine. “Voici sept ans que j’ai quitté mes parents (père marin, mère directrice d’école) pour venir vivre à Paris, où mes grands-

parents avaient déjà des amis”, explique-t-elle dans le café où nous la retrouvons. Elle gagnait sa vie comme baby-sitter. Un jour de 2004, l’assistante de Kechiche l’aborde dans la rue et lui propose de faire des essais pour La Graine et le Mulet. Yahima Torres ne joue finalement pas dans le film mais reste en contact avec le cinéaste. Après de nouveaux essais et avec la peur au ventre, elle accepte de devenir l’actrice principale de Vénus noire. Dès le premier jour de tournage, elle a compris qu’elle pouvait compter sur l’aide de ses partenaires principaux (Olivier Gourmet et André Jacobs) pour affronter ce rôle éprouvant. Désormais, confie-t-elle en rougissant, elle veut devenir actrice. J.-B. M.

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Vénus enchaînée Le destin terrible d’une jeune Sud-Africaine exposée comme un animal de foire. Kechiche signe un film sombre et violent.



énus noire est le film le plus impressionnant, le plus ambitieux jamais réalisé par Abdellatif Kechiche (La Faute à Voltaire, L’Esquive, La Graine et le Mulet). Pourquoi ? Parce que le cinéaste français prend un risque artistique inouï dans le cinéma contemporain en choisissant de consacrer plus de deux heures et demie à un sujet et à un personnage a priori ingrat pour notre cinéma : une jeune femme noire au destin terrible. Saartjie Baartman, Sud-Africaine callipyge, fut amenée en Europe au début du XIXe siècle pour être exhibée dans les foires comme une sauvage et devint célèbre sous le nom de Vénus hottentote1. La science se pencha sur son cas, concluant d’après certaines de ses hypertrophies qu’elle appartenait à une race inférieure (ce qui justifiait l’esclavagisme). Elle mourut d’alcoolisme à l’âge de 26 ans après s’être prostituée.

On préleva alors ses organes génitaux, placés dans des bocaux. On moula l’intégralité de son corps et l’empreinte fut exposée au musée de l’Homme jusqu’en 1980. Rien de très plaisant. Kechiche évite toutes les facilités : loin de se prêter à une hagiographie extatique de cette Noire exploitée, ne cherchant pas à nous faire pleurer en utilisant des procédés cinématographiques efficaces et putassiers, il place son film sur un axe singulier, le désespoir, et n’en déviera jamais. Pire, il tient son personnage principal à distance de nous, refuse de pénétrer sa psyché et le maintient dans l’opacité. Que pense Saartjie ? que ressent-elle ? Nous ne le saurons pas – mais que savons-nous de Lola Montès à la fin du film d’Ophüls ? Vénus noire est un film d’une noirceur totale mais incandescente, radical

au sein d’un genre mainstream (le biopic purement narratif) qui n’avait rien donné d’aussi beau depuis peut-être le Van Gogh de Pialat. Et il fallait bien de l’inconscience et de la foi en son art de la part d’un cinéaste français pour oser réaliser un tel film dans le paysage industriel cinématographique actuel. Il fallait sans doute aussi être devenu un cinéaste aimé, acclamé (César à la pelle) et maîtrisant son outil pour trouver les moyens de le réaliser. Certains avanceront que le film est répétitif. Oui, Kechiche filme très longuement, jusqu’à épuisement du spectateur, ces scènes horribles de spectacles forains, mondains ou scientifiques où Saartjie, qui se voulait danseuse, doit simuler ce qu’elle n’est pas : une sauvage, un monstre. Mais le désespoir est là, dans la réitération, le ressassement, l’impossibilité d’échapper

à son destin. Des humanistes anglais essaient de la faire libérer grâce à la loi ? Ils sont déboutés, à la fois par la justice et la mise en scène : Saartjie est prisonnière de son image et de sa monstruosité – comme l’était L’homme qui rit, roman sublime de Victor Hugo auquel on pense souvent. Comment pourrait-elle échapper à son destin ? Le souhaite-t-elle vraiment ? Que faire contre une société entière quand on est seul ? Ce sont les autres, les majoritaires, qui décident d’elle, cet objet de désir, de spectacle, sans cesse renvoyé à son statut d’esclave sans civilisation. Un cliché. Quelle tâche plus noble pour un cinéaste que de lutter contre les clichés ? On pourrait juger que Kechiche utilise pour cela des outils disproportionnés, éprouvants pour un spectateur déjà acquis à sa cause. Mais ils ne font que refléter la volonté de convaincre et la colère qui l’habitent. Et le spectateur averti ne peut que se laisser emporter, dès les premières secondes, par la puissance et la précision de sa mise en scène, mais aussi son instabilité. Le monde que nous montre cet artiste, avec un regard terrifié et terrifiant, sans doute paranoïaque (et il y a des raisons de l’être), où seul un peintre saura voir Saartjie pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une femme pudique, ne peut se gargariser de fixité, de lignes de force, de perspective. Notre monde est mouvant, labile, angoissant, plein de mensonges, de faux et de vrais complots, de pseudo-sciences qui tendent à nous régenter. Le montrer autre serait mentir. Jean-Baptiste Morain

1. Lire la réédition de l’ouvrage collectif Zoos humains, au temps des exhibitions humaines (La Découverte), 490 pages,15 € Vénus noire d’Abdellatif Kechiche, avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet (Fr., 2010, 2 h 39)

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Obama en Lincoln par l’artiste Ron English

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Même à Harlem, au cœur de l’Obamaland, le Président ne peut plus compter sur ses piliers. par Guillemette Faure

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Obama en Joker sur les murs de New York

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Pete Soura

Nicholas Kamm/AFP

Les déçus d’Obama lui reprochent de vivre dans une bulle

ichelle Obama est en ville. A Manhattan s’entend. Elle est passée à l’appartement de Donna Karan où la créatrice recevait des amis démocrates pour une levée de fonds. Puis à Broadway pour un grand show présenté par Sarah Jessica Parker – 250 dollars la place, 2 500 la bonne place. A Harlem, Chet Whye en est malade : “Quand ils viennent à New York, les Obama récoltent de l’argent dans des cocktails, rien d’autre. Ils ne pensent même pas à faire des meetings ouverts à tous, histoire de garder le contact avec la base.” L’homme n’est pas un anti-Obama. Pendant la campagne présidentielle, il chapeautait Harlem 4 Obama (“Harlem pour Obama”). Dans les bureaux de Frederick Douglass Boulevard reste un écran géant. “La folie des élections de mi-mandat” promet le bandeau qui défile en bas de la chaîne d’info. A l’écran, un analyste politique rappelle qu’un électeur d’Obama sur quatre envisage de voter pour un candidat républicain le 2 novembre prochain aux élections de renouvellement du Congrès. Harlem 4 Obama a été rebaptisé Harlem 4 Change (“Harlem pour le changement”). L’association travaille à régler les difficultés des habitants pour accéder à des produits d’alimentation frais. “Des bénévoles pour ces sujets-là, on en trouve sans problème. Ils participent au changement. C’est ce qui aurait aussi dû arriver en votant pour Obama.” Chet s’est retiré de la politique ou presque.

Pendant la campagne, il coordonnait 2 700 bénévoles à Harlem. “Les gens qui ont bossé pour son élection ne peuvent plus le voir…” Au mur, la reproduction de la une lendemain-de-fête du Washington Post “Obama makes history”. “Depuis son entrée en fonctions, tout vient d’en haut”, regrette ce Noir de 55 ans. Sur le Mac qu’il a devant lui, une pluie de mails d’Organizing for America, l’association du parti démocrate qui a récupéré le fichier des sympathisants d’Obama pendant la présidentielle. Des demandes de dons (le seuil de contribution est descendu à 3 euros), des appels à participer aux séances de coups de téléphone pour motiver les électeurs dans les Etats où des sièges démocrates sont en danger. “Ils ont cru que la force de leur mouvement, c’était les 13 millions d’adresses mail ; vous pouvez avoir le nombre d’adresses que vous voulez, les gens ne répondent plus pareil.” Chet Whye secoue la tête. “Organizing for America est un échec. Facebook, ce n’était qu’un vecteur. Ils n’ont pas compris que ce qui avait marché en 2008, c’était de faire émerger les idées d’en bas, de laisser les gens s’organiser.” Les analystes politiques appellent ça l’“enthusiasm gap”, le fossé d’enthousiasme. Pour ces élections, selon les calculs de la chaîne ABC, les républicains auraient levé dix fois plus de fonds que les démocrates. Le financier George Soros a renoncé à arroser les démocrates parce qu’“on ne se met pas devant une avalanche”. Regonflés à bloc, les républicains sont 77 % à se dire certains d’aller voter le 2 novembre, contre 61 % des démocrates.

“Ici, les gens aiment toujours Barack mais ils ne sont plus motivés. Ils ont l’impression de ne pas être entendus”, regrette encore Chet Whye. Comme beaucoup de démocrates, s’il se réjouit de la réforme de la santé, il comprend mal que le nouveau président ait tout misé là-dessus. “Les gens souhaitent qu’on règle leurs problèmes économiques de tous les jours. La réforme de la santé pouvait attendre. Il est trop coupé de ce qui se passe en Amérique.” Deux ans après son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama est accusé de vivre dans une bulle. Une critique d’autant plus frappante que c’était un des vifs reproches adressés à George W. Bush. D’où les réactions délirantes qu’ont provoquées cet été les vacances de Michelle Obama et sa fille en Espagne. “Faute politique”, tranche le politologue Dick Howard. Ce “détachement” tient peut-être de la question de forme. “Barack Obama est un excellent orateur quand il s’agit de prononcer des grands discours de portée historique, relève Robert Thompson, professeur de culture populaire à l’université de Syracuse. George Bush avait du mal à aller du début à la fin d’une phrase sans se prendre les pieds dans la syntaxe mais ça lui donnait un côté type ordinaire que certains appréciaient.” Barack Obama est aussi coupé du monde au niveau technologique. Pour des questions de sécurité, le BlackBerry du Président ne peut correspondre qu’avec une vingtaine d’adresses. Question de personnalité aussi : Obama travaille

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avec un cercle très fermé de fidèles quand Bill Clinton avait besoin de voir du monde, de téléphoner partout. Chet Whye blâme aussi cet entourage. “Il n’a personne autour de lui qui connaisse de près ou de loin les difficultés économiques liées au quotidien.” Un environnement monochrome qui s’explique en grande partie par le système des nominations au gouvernement. Tous ceux qui auraient pu être touchés par la plus petite controverse – incartade fiscale, vie privée trop remuante – se sont fait éjecter, jusqu’à un candidat qui avait été lobbyiste pour une ONG. Le nouveau président voulait un gouvernement irréprochable. De bonnes intentions qui ont privilégié les profils classiques – les anciens du gouvernement Clinton par exemple, qui occupent 40 % des postes les plus élevés – plutôt que le “change”, leitmotiv de la campagne. En appelant à l’aide des vieux routiers clintoniens, l’outsider s’est banalisé. Oubliée la fraîcheur de sa campagne. A présent, seulement 36 % des électeurs d’Obama de 2008 disent s’attendre à du changement. Shepard Fairey, l’auteur du poster d’Obama rouge et bleu reproduit à des centaines de milliers d’exemplaires pendant la présidentielle, a expliqué au National Journal qu’il ne pourrait plus refaire cette affiche aujourd’hui parce que l’esprit de la campagne de 2008 n’était plus là. Comme le résume Robert Thompson, “Barack Obama le Président a du mal à suivre Barack Obama le candidat”. Quand l’Amérique l’a élu, “Obama représentait ce qu’elle aurait voulu être,

Scott Olsen/Getty Images/AFP

Manifestations de tea parties. “Ils disent des âneries mais ils comprennent le sentiment général”, estime Chet Whye, organisateur de la campagne d’Obama à Harlem

analyse Dick Howard, c’était un idéal irréalisable condamné à rencontrer la réalité”. Sa popularité ne pouvait que s’effondrer à la Maison Blanche avec deux guerres et une récession sur les bras. “Il y avait un sentiment d’urgence après huit ans de Bush, rappelle l’artiste Ron English, auteur d’un célèbre portrait mêlant Barack Obama et Abraham Lincoln, on est sorti de la période de séduction, maintenant c’est le quotidien de la vie maritale.” A New York, on ne vend plus les T-shirts Obama qu’aux touristes étrangers, raconte Patricia Cobbs qui, le jour de l’investiture, gagnait 200 dollars la demi-heure. “La fête est finie.” Le Président a indiqué qu’il comprenait la déception d’une certaine frange de ses électeurs. “La soirée de l’élection était formidable, a-t-il dit en meeting dans l’Ohio. A la soirée de l’investiture, Beyoncé chantait, Bono était là… Maintenant, on s’attaque aux problèmes et ça ne va pas aussi vite que prévu.” Venue participer à la levée de fonds organisée par Michelle Obama à New York, Jo O’Doherty, prof de sciences, porte un badge “Continuons le changement” et se console en regardant derrière elle. “Bill Clinton et Reagan avaient des scores bien plus bas à cette époque de leur présidence.” Vrai. Barack Obama martèle désormais qu’un Congrès républicain renverrait aux années Bush. “Mais il avait fait campagne en se plaçant au-dessus des jeux politiques habituels. Là, on a un homme politique qui en attaque un autre. C’est quoi le changement ?”, relève

Al Felzenberg, auteur de “The Leaders We Deserve (and a Few We Didn’t)”, une analyse – conservatrice – du classement des présidents américains. Devant le St James Theatre, les supporters d’Obama rappellent que le Président fait l’objet d’attaques d’une violence inouïe de la part des “birthers” (convaincus qu’Obama n’est pas né aux Etats-Unis et n’était donc pas éligible), de ceux qui diffusent des diatribes islamophobes (souvent les mêmes, considérant qu’il ne peut pas représenter le pays) et du mouvement des “tea parties”. “Les tea parties, c’est tout et n’importe quoi, c’est un terme qu’on emploie aussi bien pour parler des candidats allumés que des électeurs en colère”, résume Kevin Doyle, employé d’un syndicat. Il ne croit pas à leur effet à long terme mais concède que la passion est passée de leur côté. Barack Obama et les démocrates agitent ces épouvantails, pariant qu’ils ramèneront les électeurs centristes dans leur giron, à temps pour 2012. “Notre problème, ce ne sont pas les tea parties, lâche Chet Whye. Ils disent des âneries mais comprennent le sentiment général. Notre souci, c’est l’appareil du parti démocrate et la Maison Blanche qui n’entendent plus ce qui se passe dehors.” Il ne s’inquiète pas pour la réélection d’Obama. La défaite des démocrates au Congrès en 1994 n’a pas empêché Bill Clinton d’être réélu en 1996. Quel que soit le scénario, “dès qu’il faudra refaire campagne pour Barack, je serai là”. Lire aussi l‘article sur les tea parties p. 26. 27.10.2010 les inrockuptibles 61

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Jonathan le GO républicain Le nouveau héros de la droite américaine a 15 ans. Il a déjà écrit son premier livre, Définition du conservatisme, et séduit les foules en citant les grands penseurs du XXe siècle. Alex Martinez/Jen Allison

par Renaud Dumesnil

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Robb D. Cohen/Retna

“je ne suis pas leur petit conservateur chéri mais un homme qui pense en termes philosophiques”

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e 27 février 2009, l’élite du conservatisme se réunit à Washington pour sa conférence annuelle. Au milieu de l’aprèsmidi, une tête d’enfant émerge à la tribune et annonce : “Je vais vous parler des principes du conservatisme, mais comme j’ai peu de temps de parole, je vais le faire vite.” Trois minutes plus tard, standing ovation. A 13 ans, Jonathan Krohn devient le nouveau héros de la droite américaine. Aujourd’hui, celui qu’on a surnommé le “miniconservateur” apparaît comme un orateur professionnel. Devant des milliers de sympathisants du Tea Party réunis à Saint Louis pour la campagne électorale, Jonathan arpente la scène, micro en main, lève un poing rageur quand il faut et sait marquer une pause pour se faire applaudir. D’une voix qui oscille entre des intonations d’enfant et une mue adolescente, il assène sa vérité : respect de la Constitution, des valeurs chrétiennes, responsabilité individuelle et rejet du gouvernement. En écoutant ce bonhomme de 15 ans séduire une foule d’Américains moyens en citant des penseurs des siècles passés, une question affleure : d’où vient ce gamin ? La réponse se trouve dans la banlieue d’Atlanta, dans l’un de ces lotissements proprets où le Stars and Stripes et le panier de basket veillent sur une pelouse coupée aux ciseaux. Dans ce contexte, rien d’étonnant à retrouver Jonathan et un copain devant un jeu vidéo. Tuer des zombies, taper des SMS et jeter un œil morne sur sa page Facebook… l’adolescence semble régner sans partage sur cette chambre (nonobstant un portrait de Ronald Reagan). Mais il suffit de demander à Jonathan ce qu’il lit pour que surgisse le petit génie. Il tient d’abord à remercier la France pour avoir produit Rousseau et Tocqueville puis plonge le bras dans sa bibliothèque pour ramener les œuvres de John Locke et David Hume, “deux empiristes qui influencent aujourd’hui ma pensée”, dit-il avec le plus grand sérieux.

Discours devant l’Atlanta Tea Party, avril 2009

Armé d’un Q.I. bien au-dessus de la moyenne (le chiffre reste secret), Jonathan commence à s’intéresser à la politique à 8 ans en écoutant la radio. Les talk-shows politiques lui donnent l’envie de lire. Il dévore les bouquins de philosophie politique jusqu’à ce qu’un jour, le prodige se sente prêt à écrire un livre – il a 12 ans. “Pendant la campagne électorale de 2008, les démocrates balançaient le terme de conservateur comme un gros mot sans savoir de quoi ils parlaient. Je voulais aider les gens à comprendre”, dit-il aujourd’hui. Ce jeune auteur peu modeste intitule son livre Définition du conservatisme et le publie à compte d’auteur avec ses économies. Après la victoire d’Obama, il décroche son téléphone et appelle les organisateurs de CPAC, la grande conférence conservatrice, pour leur proposer d’y parler (ses parents disent n’avoir aucune influence sur ses choix). Les conservateurs sont alors en pleine déroute et cherchent de nouvelles têtes… Jonathan arrive à peine à la hauteur des micros mais cela suffit à ce qu’on ne parle que de son allocution pendant des semaines. Un million de clics sur YouTube plus tard, Jonathan Krohn vend des milliers d’exemplaires de son livre (encore un chiffre secret) et reste l’inspirateur des nombreux jeunes conservateurs qui visitent son site. Les plus âgés ont aussi flairé le bon coup. Newt Gingrich, un des leaders du parti républicain toujours en course pour la candidature républicaine, se fendra d’un bon mot : “J’ai travaillé avec Reagan mais aujourd’hui, je suis le nouveau collaborateur de Jonathan Krohn.” Pour se convaincre que le jeune auteur est perçu comme un futur leader, il faut suivre Jonathan dans l’une de ces conférences conservatrices à Washington où il est un invité de marque. Une poignée de main ici, une messe basse là, l’ado paraît très à l’aise au milieu d’hommes politiques au moins quatre fois plus âgés que lui. On vient même le consulter

sur les affaires courantes. “Alors comment va le Tea Party ?”, lui lance un vieux lobbyiste. “Je sens qu’on perd un peu l’avance qu’on avait creusée, il y a un peu moins de monde aux meetings”, répond le petit homme en costume-cravate. Puis, au grand étonnement de son entourage, Jonathan se lance dans une analyse des erreurs du parti républicain, pourtant donné grand vainqueur des élections qui s’annoncent. “On a trop favorisé les candidatures d’extrémistes du Tea Party. Ils jouent trop sur l’émotion et la colère. Ça brouille le message conservateur”, juge-t-il. C’est un choc pour le parti qui compte justement sur l’exaspération de la population et la montée du ressentiment vis-à-vis d’Obama. “Je suis un libre-penseur, glisse-t-il une fois à l’écart, je veux faire de la philosophie plutôt que de la politique. Ce n’est pas parce que certains me voient comme un gamin que je dois coller à leur image de gamin. Je ne suis pas leur petit conservateur chéri mais un homme qui pense en termes philosophiques !” Pour joindre le geste à la parole, Jonathan pointe le doigt vers les stands des organisations conservatrices qui garnissent le centre de conférence. “Vous voyez ça, dit-il, il y a des tas de gens très bien, mais sur plein de sujets je ne suis pas du tout d’accord. Les antigays, par exemple. Je crois qu’on devrait autoriser les unions civiles pour les homosexuels.” Les conservateurs se reconnaîtront-ils dans ce mélange des genres ? Le jeune homme dit s’en moquer. Il insiste : “Je suis beaucoup plus modéré que les gens le croient, je suis un empiriste dont les idées rejoignent celles de la philosophie conservatrice, c’est tout.” Comme si de rien n’était, Jonathan s’éloigne tranquillement vers l’un des stands : “J’ai vu que vous aviez des M&M’s… Je peux en prendre ?”

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Yates l’illustre inconnu

Il a influencé Raymond Carver, fasciné Richard Ford. Pourtant personne ne lit plus Richard Yates. En 2007, Sam Mendes a adapté son premier roman avec Noces rebelles. Son deuxième chef-d’œuvre sort enfin en France. par Nelly Kaprièlian photo Grace Schulman

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ichard Yates est mort en 1992 à 66 ans, dans l’indifférence générale. Après sa mort, ce fut pire : il sombra carrément dans l’oubli. Ses livres disparurent des librairies, son nom ne se murmurait qu’entre auteurs qui savaient ce qu’ils lui devaient. Car Richard Yates fut l’un des plus grands écrivains américains du XXe siècle, de la génération des John Updike, Saul Bellow et Philip Roth. Comment cet écrivain de la trempe d’un Scott Fitzgerald – qu’il adulait –, encensé en son temps par Tennessee Williams et Dorothy Parker, Joyce Carol Oates et Kurt Vonnegut, influence d’icônes littéraires tels que Raymond Carver et à qui des auteurs contemporains comme Richard Ford et Stewart O’Nan n’en finissent pas de

rendre hommage, comment cet écrivain si puissant fut-il si vite ignoré puis rayé de l’histoire de la littérature américaine ? Il faudrait d’abord raconter comment, près de vingt ans après sa mort, Richard Yates est revenu en figure culte des lettres américaines. C’était dans une suite du Ritz en juin 2007 : une jeune femme blonde en robe noire Gucci nous parle pour la première fois de Yates, avec une émotion et une admiration telles qu’on se met en quête de ses romans. On s’aperçoit que deux ans plus tôt, les éditions Robert Laffont ont réédité La Fenêtre panoramique (Revolutionary Road pour le titre original), premier roman et chef-d’œuvre de Yates, sans que la critique française en fasse le moindre écho. La jeune femme blonde qui a (re)découvert ce roman, l’a fait lire à son mari Sam Mendes en le priant de l’adapter au cinéma et de la réunir à nouveau avec Leonardo DiCaprio, c’est Kate Winslet.

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A Manhattan, 1962

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il écrit un jour au New Yorker qu’il ne comprend pas pourquoi ils publient “Johnfucking-Updike” et pas lui Le Ritz, une belle actrice luxueusement vêtue perchée sur des talons aiguilles : la scène est aux antipodes de l’univers de Yates. Mais on peut parier que l’écrivain, qui a passé sa vie de romancier à consigner l’ironie de l’existence dans ses livres d’une cruauté souvent insoutenable, aurait su apprécier celle-ci qui allait, pour une fois, jouer en sa faveur. Winslet tournait à New York et le film, baptisé en VF Les Noces rebelles, programmé pour l’automne 2008, allait ressusciter le nom de Richard Yates. Si le Titanic de James Cameron n’avait pas eu la peau de la belle Anglaise, Revolutionary Road allait se charger de la massacrer. Chez Richard Yates, pas besoin d’un bateau de plusieurs tonnes pour écraser un personnage : le quotidien s’en charge à merveille. Dans Les Noces rebelles, Winslet interprète April Wheeler, jeune femme idéaliste mariée au non moins idéaliste Frank (Leo DiCaprio). Le jeune couple glamour aspire à bien plus que ce que la vie lui offre mais se retrouve coincé dans un pavillon de la banlieue new-yorkaise à élever ses deux enfants. April essaie de convaincre son mari de tout plaquer pour aller vivre à Paris et réaliser enfin leurs rêves de vie bohème, poétique, artistique et intellectuelle. Mais il ne résiste pas à une promotion, se résignant à une vie étriquée et condamnant son épouse à celle de femme au foyer, tout ça pour réussir là où son propre père avait échoué. Nous ne sommes que les marionnettes de notre destin, semble dire Richard Yates dans chacun de ses romans en forme de tragédies grecques. Autre problématique favorite de l’auteur : la fidélité à ses rêves, à l’idée qu’on avait de la vie avant de s’y engager, de s’y laisser piéger, d’en subir le poids aussi fatal qu’un rouleau compresseur. C’est l’autre mystère qui entoure l’auteur : constater que ces questions à l’œuvre dans ses romans, dès le tout premier Revolutionary Road, seront au cœur même de son existence. Comme si la tragédie qu’il déployait dans ce livre n’était que celle qu’il allait vivre

des années plus tard. La désillusion, les rêves toujours trahis par la réalité, telle allait être toute l’histoire de sa vie. Quand Revolutionary Road paraît en 1961, c’est un succès. Son Tendre est la nuit à lui, transposé dans la middleclass pavillonnaire des années 1950. Pourtant, ses six autres romans et ses deux recueils de nouvelles (dont Onze histoires de solitude) ne se vendront pas à plus de 12 000 exemplaires chacun. Peu à peu, la presse cesse de s’intéresser à lui. Le New Yorker ne publie plus ses nouvelles, ce qui le rend furieux. Il écrit un jour au magazine qu’il ne comprend pas pourquoi ils publient “John-fuckingUpdike” et pas lui. La chute date peut-être de son troisième roman, A Special Providence, publié en 1969 mais qui se situe en 1944. Les tribulations intimes et familiales de ses personnages, sur fond de Seconde Guerre mondiale, semblent démodées au moment où l’Amérique, en pleine révolution sexuelle, connaît bien des remous sociétaux. Là encore, il s’attaque au thème des illusions perdues, mais ici à travers la relation entre une mère et un fils : “Pourquoi ne puis-je avoir mes illusions ?”, demande la mère. “Ce sont des mensonges”, répond le fils. Ces illusions en forme de mensonges détruiront la vie des deux sœurs d’Easter Parade, roman magnifique publié en 1976 et deuxième chef-d’œuvre de Yates, qui sort pour la première fois en France. Prêtes à jouir de toutes les promesses de l’existence, elles se lancent dans ce qui semble des vies différentes mais qui seront tout autant tragiques. Sarah fait un beau mariage, a l’air heureuse dans sa vie de mère de famille, jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que son mari la bat depuis vingt ans. Emily a choisi l’indépendance et va de liaison en liaison avec des hommes qui ne seront pas à la hauteur. Elle n’assumera jamais son désir de devenir journaliste et finira seule à 50 ans. Les deux sœurs sombrent dans l’alcool comme leur mère, destin qu’elles voulaient éviter mais qui se referme sur elles. Leur mère, seule et malheureuse, s’appelle Pookie – la mère de Richard Yates s’appelait Dookie –, elle a divorcé quand elles étaient enfants. Si Yates

a autant d’empathie pour ces deux femmes, autant qu’il en manifestait pour le superbe personnage d’April Wheeler, c’est peut-être qu’elles en sont le reflet, comme des extensions de sa propre enfance. Né en 1926 à Yonkers, New York, Yates a eu une enfance instable, marquée par le divorce de ses parents alors qu’il n’a que 4 ans. Il devient soldat puis nègre – il aurait écrit des discours pour Bobby Kennedy – puis passe sa vie à enseigner dans diverses universités. Il divorce deux fois et a trois filles. Il ne supporte pas que le milieu littéraire et le public l’ignorent et sombre dans l’alcoolisme. Il fume énormément : on raconte qu’à la fin de sa vie, condamné à l’assistance d’un appareil respiratoire, il continuait à fumer. Maniaco-dépressif, il fait régulièrement des séjours en HP. Lui qui a consacré son œuvre à démontrer que la vie n’est qu’une longue suite d’humiliations en subit une dernière : l’ancien amant de sa fille Monica, Larry David, coauteur de la série Seinfeld, se moque publiquement de lui dans un épisode de la série The Jacket, où il le dépeint en vieil écrivain aigri et alcoolique, agressif et pathétique. Nous sommes en 1991. A bout de force, Yates meurt l’année suivante. On redécouvre aujourd’hui ce miniaturiste de la vie quotidienne, cet entomologiste du couple et de la famille, cet anthropologue des banlieues américaines à la sensibilité toute féminine. Peut-être est-ce pour cela que des romanciers plus ouvertement testostéronés comme John Updike ou Philip Roth l’ont éclipsé. Hybride d’un Fitzgerald et d’une Edith Wharton, toujours du côté de ses héroïnes, Yates, que la presse avait désigné comme l’écrivain de l’âge de l’anxiété, était peut-être davantage le romancier du féminin. Et l’on sait que dans les lettres américaines, comme dans les romans de Yates, les femmes sont toujours les laissées-pour-compte de l’ambition ou de la lâcheté masculines. Easter Parade (Robert Laffont/Pavillons), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Aline Azoulay, 264 pages, 20 €

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bienvenue au festival Le dernier concert avant sabordage de LCD Soundsystem ? Une soirée folle avec Katerine ? La tornade anglaise Anna Calvi et ses envolées vocales ? C’est au Festival Les Inrocks Black XS du 3 au 9 novembre, à Paris et en Province. par JD Beauvallet, Thomas Burgel, Christophe Conte et Johanna Seban

programmation détaillée et réservation sur

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A

nna Calvi fut l’une des premières artistes programmées pour cette édition 2010. C’était au mois de mai : en direct d’une salle de concerts anglaise, au bout de trois chansons on suppliait par SMS son agent de réserver une date début novembre, à Paris. On s’était retrouvés là par hasard. Anna Calvi n’avait pas encore publié la moindre note de musique : sur un MySpace minimal, elle offrait juste une maquette brute et sensuelle : First We Kiss. Mais cette chanson et ce concert dont on sortit hébétés étaient suffisants pour nous transformer en fans, en militants même. Dès son entrée sur scène, la jeune Anglaise en imposait : robe de tornade flamenco, cheveux impitoyablement tendus et regard hautain, elle resta quelques secondes à toiser le public. Ambiance solennelle, malaise. Ce sera la dernière seconde de silence, avant des envolées vocales d’une liberté et d’une puissance incroyables. Qu’elle murmure des torch-songs somptueuses comme The Devil ou rugisse des brûlots ivres comme Blackout, cette impression de force, de violence sourde, d’abandon, de transe même, sidère sur scène. Si Anna Calvi peut évoquer PJ Harvey (“j’aime le côté brutal et sexuel de sa musique”), c’est surtout aux concerts vertigineux de Jeff Buckley que l’on pense alors (“il avait un tel courage…”).

Anna Calvi, vertigineuse découverte

Tout n’était pas gagné pour cette frêle Anglaise, née timide. “A la base, je murmure : j’ai vocalisé des journées entières, cachée chez moi, rideaux tirés, sans rien dire à mes proches, sur des disques de Piaf ou Elvis… Mais je n’avais pas le choix : je DEVAIS chanter. Sans créativité, je sombrerais dans la folie.” Sur scène, le dispositif d’Anna Calvi est aussi simple que diabolique : un trio constamment sur le qui-vive qui s’autorise toutes les digressions, toutes les envolées. Le batteur, Stan, vient forcément du jazz cosmique pour frapper ainsi, halluciné et soupe au lait. Avec son petit stand de brocante musicale, le multiinstrumentiste Mally offre à ces chansons brutales leurs arrangements soyeux à base de magie noire, d’harmonium à la Nico ou de percussions. Une assise spectaculaire qui permet au chant possédé et à la guitare sans collier d’Anna Calvi de partir en vrilles, yeux révulsés et corps tendu, avec une intensité rarement croisée. Ça semble à la fois douloureux et orgasmique. “Je sors parfois de scène en ne me souvenant de rien… Je me sens partir : à la fois calme et possédée. Je finis les concerts exsangue mais béate.” Tout ce qu’on avait vécu lors de ce premier concert, on voulait le dire à Anna Calvi lorsqu’elle est sortie de sa loge. Mais un homme nous avait précédés. Il lui a dit, lui aussi secoué, qu’il n’avait pas vécu un truc aussi fort depuis Patti Smith dans les années 1970. Cet homme, c’était Brian Eno qui, admiratif, s’est invité au chant et au piano sur le premier album d’Anna Calvi, dont la sortie est prévue en début d’année. D’ici là, en tournant avec Nick Cave et Grinderman ou sur la scène soudain bien petite de la Boule Noire, l’Anglaise aura continué de consolider et d’élargir son fan-club. JDB Concert le 4 novembre à Paris (Boule Noire) www.myspace.com/annacalvi 27.10.2010 les inrockuptibles 69

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Jason Nocito

La pop rêveuse de Beach House (à gauche), le folk psychédélique des Texans barbus de Midlake, la délicatesse de John Grant

union sacrée Soirée spéciale à la Cigale pour l’excellent label londonien Bella Union, qui signe le meilleur du rock indé américain. Avec Midlake, John Grant, Beach House et The Acorn. ella Union gambade sur les nuages. Elu label indépendant de l’année par ses pairs aux derniers Music Week Awards, la maison fondée durant la seconde moitié des années 90 par Robin Guthrie et Simon Raymonde – soit les deux tiers des Cocteau Twins – possède le catalogue transatlantique le plus riche et surtout le plus raffiné de la décennie qui s’achève. Dans les registres du folk ambitieux et charnel ou de la dream-pop opulente et étoilée, cette officine aux goûts sûrs a de quoi faire des envieux. Les succès remportés par les Fleet Foxes, Midlake, Beach House ou John Grant démontrent qu’en pleine déconfiture du milieu discographique, l’initiative passionnée et l’intelligence artistique sont encore des valeurs réjouissantes. Simon Raymonde, 48 ans, incarne à lui seul ces valeurs avec la foi indestructible d’un ancien grand blessé du music business – à une époque où, pourtant, tout allait pour le mieux. Les Cocteau Twins, qu’il a

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rejoints au milieu des années 1980, ont longtemps été l’emblème d’un des plus prestigieux labels indés britanniques, 4AD. Mais de contrats douteux en fausses promesses, le groupe s’est laissé tondre puis saigner à vif, quittant son bercail historique à l’aube des années 1990 sans un penny en poche pour se livrer aux bras non moins strangulateurs d’une major, Fontana. Deux albums plus tard, lassé des manipulations, le trio prend son destin en main et fonde son label, Bella Union. A la même époque, la chanteuse Liz Fraser commence à collaborer avec Massive Attack. Les Cocteau Twins se séparent finalement et, hormis la publication sur Bella Union de leurs BBC Sessions, le label est quasiment mort-né, surtout lorsque Robin Guthrie décide à son tour de prendre le large pour s’installer en France. Seul aux commandes d’un navire fantôme, sans aucune expérience de gestionnaire, Simon Raymonde est à deux doigts de renoncer lorsqu’il se rend en touriste pour la première fois au festival américain

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Bil Zelman

South By Southwest, véritable pépinière du rock indé US. “J’ai pris conscience du nombre de bons groupes qui ne possédaient aucun relais en Europe. Certains n’avaient même pas de label aux Etats-Unis et moi j’en avais un qui ne servait à rien. J’ai senti que je pouvais jouer ce rôle de passeur. En 2002, j’ai vu Lift To Experience et je suis tombé amoureux des groupes américains évoluant dans ce registre. Je n’éprouvais plus la moindre excitation pour la musique produite en Angleterre, tous ces groupes qui cherchaient à sonner comme Radiohead, Blur ou Oasis. Ce que j’entendais aux Etats-Unis ou au Canada me semblait beaucoup plus intègre et aventureux.” Lift To Experience mais aussi The Dears, The Czars ou Laura Veirs sont les premiers signés, mais ils ne permettent pas au label de subsister dignement au moment où la crise du disque commence à compter ses victimes. Malgré l’accueil dithyrambique du deuxième album des Texans de Midlake, premier véritable

chef-d’œuvre du label, Simon Raymonde fête en 2007 les dix ans de Bella Union et songe encore une fois à tout arrêter, accablé par des difficultés financières liées à la disparition de V2, son distributeur. “La même semaine, je découvrais via MySpace l’existence des Fleet Foxes et de The Acorn. Je n’avais pas le droit d’arrêter.” Après un demi-million d’albums vendus pour le premier Fleet Foxes, le label affiche aujourd’hui une santé insolente, sans parler de sa forme artistique qui n’en finit pas d’éblouir. Un deuxième album des prodiges folk de Seattle est annoncé pour le printemps prochain, ainsi que de nouvelles belles surprises – notamment la sauvageonne Suédoise de I Break Horses : Simon Raymonde, son Award sur la cheminée, ne songe plus du tout à raccrocher. En 2011, Bella Union ne devrait pas redescendre de son nuage. C. C. Soirée Bella Union le 4 novembre à Paris (Cigale), avec Midlake, Beach House, John Grant et The Acorn. www.bellaunion.com 27.10.2010 les inrockuptibles 71

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scène ? Des chansons chantées en sautant sur un trampoline ? On l’ignore. Mais on sait que ce sera fort et que ça durera quarante-cinq minutes. Le 7 à Paris (Cigale) katerine.free.fr

Pour découvrir Clock Opera, la relève de The Divine Comedy. Le groupe londonien avait réussi à détourner Scott Walker sur un morceau. Depuis son formidable premier single A Piece of String, il continue de déballer des kyrielles de pop-songs ambitieuses.

Pieter M. van Haltem

LCD Soundsystem

Darwin Deez

pourquoi aller au Festival

5 stars, 5 découvertes

Parce que LCD Soundsystem, c’est fini. 2002, premier single, extraordinaire : Losing My Edge. 2010, dernier album, extraordinaire : This Is Happening. Le dernier, vraiment ? Etrangement las de son manifeste génial, James Murphy a annoncé que les jours de LCD Soundsystem étaient comptés. Les chances d’aller écouter ce qui restera comme l’un des groupes majeurs de la décennie seront donc rares. Le 8 novembre à Paris (Zénith) www.lcdsoundsystem.com

Parce qu’on se demande si Carl Barât viendra avec un orchestre symphonique. A peine remis de la reformation des Libertines, le Londonien vient de signer un album solo romantique et sans guitare mais plein d’orchestrations et d’invités (The Divine Comedy, Miike Snow). On se demande comment il va traduire ça sur scène. On peut aussi rêver d’une apparition de Doherty. Le 4 à Lille, le 5 à Paris (Cigale), le 6 à Nantes, le 8 à Toulouse www.myspace.com/carlbarat

Pour voir le nouveau guitariste de The Drums. Adam Kessler a quitté le groupe des jeunes Américains. Comme sur leur épatant premier album, ils viendront réconcilier l’innocence de la musique surf et l’esthétique glaciale de la new-wave, la pop ensoleillée de Jan & Dean et la clarté rigide du son Factory. Le 4 à Lille, le 5 à Paris (Cigale, complet), le 6 à Nantes, le 8 à Toulouse, www.thedrums.com

Pour retrouver les Anglais de The Coral. Ces chouchous de nos oreilles depuis bientôt dix ans sont des habitués du Festival. Revenus cette année avec le pétillant Butterfly House, ils continuent d’alimenter notre amour pour Liverpool et ses merveilles. Le 5 à Lille, le 6 à Paris (Cigale, complet), le 7 à Nantes, le 9 à Toulouse www.myspace.com/thecoral

Parce que Katerine est un invité vraiment spécial. Bien malin celui qui sait ce que le bonhomme, de plus en plus imprévisible, réserve à ceux qui l’aiment ou le détestent. Qu’attendre à la Cigale ? Un concert solo et intégralement nu ? Une armée de clowns invités sur

Ruvan Wijesooriya

Le 3 à Paris, soirée Petit Bateau x Kitsuné (Boule Noire) www.myspace.com/clockopera

Parce que les concerts de Darwin Deez sont formidables. Des prestations scéniques, chorégraphiques et drôles. Entouré d’une armée d’ombres (ils s’appellent tous Deez et font subir d’adorables sévices à la pop-music), le New-Yorkais joue aux apprentis sorciers : beats échappés d’une console de jeu eighties, guitares frénétiques et rythmes de travers. Le 4 à Paris (Boule Noire) www.myspace.com/darwindeez

Parce qu’on aimerait que Theophilus London invite ses amis. Ils sont tous membres brillants de l’intelligentsia pop, de David Sitek à Damon Albarn, de Simian Mobile Disco à Mark Ronson ou Pharrell Williams. Avec ses morceaux où il revendique les influences des Ramones, de Joy Division et des Jackson Five, ce zazou-rappeur pourrait être la superstar de demain. Le 5 à Paris (Boule Noire) www.myspace.com/theophiluslondon

Pour essayer de compter The Bewitched Hands. Impossible de déterminer à combien les Rémois Bewitched Hands lancent leurs sorts. Combien de cerveaux, de paires de bras, de rêves éveillés sont nécessaires pour convoquer dans les mêmes symphonies siphonnées les Pixies, les Beatles, les Super Furry Animals, votre grand-mère et Mary Poppins ? Seront-ils six ? Douze ? Trente, en chorale pop philharmonique pour réveiller les arcs-en-ciel ? Le 8 à Paris (Zénith) www.myspace.com/handsbewitched

Pour voir enfin le vrai visage du duo Monarchy. Après avoir diffusé des morceaux de leur prochain album dans l’espace depuis Cap Canaveral, les Londoniens qui sortent toujours masqués retrouvent la terre. Pour la première fois à Paris, ils viendront dévoiler ce qui pourrait être un des grands disques d’electro-pop de 2011. Le 7 à Paris (Cigale) www.myspace.com/monarchysound

J. S. et T. B.

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Very Bad Cops d’Adam McKay Deux flics nuls lâchés dans une affaire de malversations. Hilarant.

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e bon matin, un flic alpague son collègue ; il lui dit en face qu’il ne l’aime pas, qu’il le croit bidon et incompétent, tellement jean-foutre que, si lui était un lion et l’autre un thon, il ferait une exception dans sa chaîne alimentaire pour le seul plaisir de le dévorer ; l’autre

tandem de choc Avant Very Bad Cops, Will Ferrell et le réalisateur Adam McKay avaient déjà toute une histoire. Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy (2004) Transposition de sketches écrits pour le Saturday Night Live, ce premier film au casting dément confronte un présentateur de JT grande gueule et macho à une journaliste ambitieuse dans les 70’s. Ricky Bobby, roi du circuit (2006, inédit en salle) Ferrell en pilote de stock-car aussi doué qu’abruti, qui voit sa suprématie contestée par l’arrivée d’un pilote français joué par Sacha Baron Cohen. Frangins malgré eux (2008) Histoire de rivalité entre deux demi-frères, gros bébés de 40 ans obligés de vivre sous le même toit. Avec le grand John C. Reilly.

ne se démonte pas et, très sérieux, lui répond qu’impuissants dans l’eau, les lions ont neuf chances sur dix de perdre un tel combat et que, rassérénés par cette probabilité, les thons ne feraient de lui qu’une bouchée. Moralité : “Les plus à craindre sont souvent les plus petits” (c’est La Fontaine qui l’écrit, dans Le Lion et le Moucheron). Placée assez tôt dans le film, cette hilarante passe d’armes entre Mark Wahlberg et Will Ferrell en renferme la morale autant qu’elle en illustre la méthode : méfiez-vous des losers, ils cachent les plus grands prédateurs, et quand bien même eux le disent, il vous faudra à vous, tel saint Thomas, le voir pour le croire. Eternel écart comique entre le dire et le faire, entre les mots hénaurmes et les actes minuscules – ou l’inverse –, que la paire Adam McKay/Will Ferrell, depuis quatre films, n’a cessé d’explorer. Dans ce quatrième opus, donc, deux flics notoirement nuls enquêtent sur un cas

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raccord

bruns/blonds ?

bouffon préféré de l’Amérique, Will Ferrell donne à la bêtise yankee une forme presque mythologique

de malversations financières (plus ou moins calqué sur l’affaire Madoff), remplaçant comme ils le peuvent les deux héros du commissariat tombés au combat. Se croyant invincibles, ces Starsky et Hutch d’opérette (Samuel L. Jackson et Dwayne “The Rock” Johnson en guest) ont en effet sauté d’un immeuble de vingt étages, comme ça, pour faire comme dans les films. Et blam : grand moment d’hilarité et première brèche de réel dans un film qui semble n’avoir pour but, outre de divertir son spectateur, que de le préparer à la grande bouffée (ou baffe) du générique de fin : des faits, des chiffres et des graphiques sur les scandales financiers américains récents tels que Michael Moore aurait rêvé de les synthétiser. Le réel est là, sous nos yeux, tragique et drôle à la fois, et il appartient aux comiques de nous le révéler – et de se révéler à eux-mêmes par la même occasion. Bouffon préféré de l’Amérique, Will Ferrell creuse, depuis la fin des années 90, aux côtés de son buddy Adam McKay, le même sillon de la bêtise, développant un personnage de Yankee arrogant et à côté de la plaque à qui il a fini par donner une forme presque mythologique (“Vivez dans l’excès”, dit l’homme d’affaires véreux interprété ici par l’irrésistible Steve Coogan, “it’s the american way !”).

Chacun des précédents films de cette paire comique formée au Saturday Night Live, et jusqu’à présent produite par Apatow, vise ainsi à déconstruire une mythologie américaine : la télévision dans Présentateur vedette, le sport dans Ricky Bobby, roi du circuit (veine que Ferrell approfondira, sans McKay, dans Semi-Pro et Les Rois du patin), la famille dans Frangins malgré eux. Dans Very Bad Cops, premier film sans Apatow, ils s’attaquent à la police et à l’argent : du lourd. Seulement, cette fois-ci, Ferrell se retrouve dans la position inverse : non plus le frimeur mais le loser, moins arrogant que (faux) modeste, rond-de-cuir méprisé qui cache sous ses lunettes de comptable et son sourire benêt – grandiose impassibilité de Will Ferrell, sur qui les événements semblent toujours glisser – un authentique héros. Un héros que pourtant personne ne voit, pas même lui qui ignore la beauté affolante de sa femme (Eva Mendes, qui est aussi, pour ne rien gâcher, d’une grande drôlerie) ou refuse de se voir en pimp repenti. Mais il faut se rappeler que Very Bad Cops est une fable, contée d’ailleurs par une voix off, qui finit à ce titre par délivrer sa morale magnifique : faire que se croisent, par le rire, le réel et l’utopie ; faire que les films rejoignent la vie ; faire que tombent les affabulations des nantis pour laisser place aux fabuleuses légendes des démunis ; faire que les losers puissent enfin frimer. Faire en somme que les thons dévorent les lions. Jacky Goldberg Very Bad Cops d’Adam McKay, avec Will Ferrell, Mark Wahlberg, Eva Mendes (E.-U., 2010, 1 h 47)

Le cheveu au cinéma est-il seulement une affaire de filles ? C’est l’interrogation qui nous saisit à la sortie de la belle exposition Brune/Blonde à la Cinémathèque française. Evidemment, la matière est moins fournie chez l’homme. Du cinéma primitif au classicisme hollywoodien, le sex symbol masculin se devait d’avoir le cheveu court, mèche impeccablement lissée sur le côté (Fairbanks, Valentino, Gable, Grant…). C’est peut-être l’expressionnisme allemand qui, le premier, a libéré le cheveu chez l’homme. La coupe mi-longue taillée façon épouvantail de Caligari, la touffe hérissée de Mabuse disent, au même titre que les perspectives en zigzag des décors, l’emprise de la folie. Ou alors, au contraire, c’est la disparition du cheveu qui inquiète, comme chez Nosferatu, premier chauve mythique du cinéma. En tout cas, c’est plutôt en termes de longueur que de couleur – cheveu coiffé, rasé ou en bataille – que se dessine une dialectique capillaire spécifiquement masculine au cinéma. Sauf peut-être à considérer une exception gay. C’est en effet plutôt des cinéastes homosexuels qui ont développé le goût de la blondeur. Le geste fondateur est celui de Cocteau imposant à Jean Marais une décoloration limite Jean Harlow dans L’Eternel Retour. Visconti a vu la mort dans le blond vénitien de Tadzio et Gus Van Sant le seul espoir de survie dans la chevelure jaune d’un lycéen de Portland (Elephant). André Téchiné a relu le paradigme Vertigo au masculin en ressuscitant un Depardieu blond dans un Depardieu brun (Barocco). Et Xavier Dolan a réaménagé la rivalité brune/ blonde en une lutte brun/brune pour un éphèbe blond et bouclé (Les Amours imaginaires). Bien sûr, on trouvera sans peine des contreexemples, à commencer par le crin noir tout frisé de Ninetto Davoli magnifié par Pasolini. Il n’en demeure pas moins que, chez les cinéastes, ce sont plutôt les gays qui préfèrent les blonds.

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Il reste du jambon ? d’Anne Depetrini avec Ramzy Bedia, Anne Marivin (Fr., 2010, 1 h 30)

Fin de concession de Pierre Carles Le retour du Dark Vador du PAF, qui s’attaque à TF1. Très drôle.

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n ne donnait pas cher de l’avenir de Pierre Carles. On était prêt à le plaindre de revenir, maladivement, toujours aussi piètrement (c’est le roi de la vidéo lo-fi), à ses vieilles obsessions télévisuelles… D’ailleurs, ce film est d’une certaine manière une rétrospective nostalgique sur sa carrière d’empêcheur de tourner en rond, de dénonciateur des compromissions des stars du PAF. On avait plutôt un faible pour sa période plus anar où, avec d’autres réalisateurs, il abordait des rivages antisociaux (Attention danger travail ou Volem rien foutre al païs, panoramas de la marginalité pure et dure)… On se disait : Fin de concession c’est du déjà-vu. Mais, patatras, ce film, qui remet en question le caractère automatique (suspect) de la reconduction de la concession de la première chaîne hertzienne, est devenu un brûlot chaud bouillant avant même sa sortie. Il a créé indirectement des remous dans l’intelligentsia politique. L’intervention de Carles semble avoir donné des idées à des personnalités en mal de tribune, qui ont surenchéri par rapport aux déclarations que leur a arrachées honnêtement ou sournoisement le cinéaste (friand du “off the record”, substantifique moelle de certains de ses films, comme Pas vu, pas pris). Notamment Jean-Luc Mélenchon, leader du Parti de gauche, réputé pour son

franc-parler, qui s’insurge contre les propos de David Pujadas dans l’extrait du JT de France 2 que lui montre Carles : indifférent au licenciement sauvage d’un syndicaliste de Continental, le présentateur lui demande uniquement s’il regrette d’avoir saccagé les bureaux de son entreprise. Autre épisode qui a fait frétiller les médias : celui où Arnaud Montebourg répond jovialement à Carles venu l’interroger sur la fameuse concession que “c’est le moment de taper sur TF1”, qu’il faut “leur mettre la tête sous l’eau”, etc. Bref, grâce à ces débordements très médiatisés, Carles est bien (re)parti. On le compare souvent à Michael Moore (y compris dans ce film), ce qui n’est pas inexact. Non seulement Carles provoque sciemment – voir comment il attaque Franz-Olivier Giesbert lors d’un débat public – mais il cultive le rire – voir ses tentatives récurrentes pour rencontrer l’insaisissable Jacques Chancel. Mais Carles n’est pas Moore : ce qui l’excite surtout est la traque des célébrités. On le voit avec son cahier (fictif ?) où il conserve tout ce qui a trait à Michèle Cotta. Obsédé des “media people”, Carles est un Marc-Olivier Fogiel qui serait passé du côté obscur de la Force. C’est ce qui le rend attachant, malgré tout. Vincent Ostria Fin de concession de Pierre Carles (Fr., 2 009, 2 h 11)

Histoire d’amour sur fond d’immigration dans une comédie balourde. Sur un sujet similaire, le premier film d’Anne Depetrini échoue là où Nakache et sa petite machine comique Tout ce qui brille réussissait. Dans une possible respiration au-dessus des clichés qu’impose la figure narrative du “choc des cultures” : ici un Français musulman qui s’entiche d’une Française catholique un peu tradi sur les bords, et la rencontre explosive entre les deux familles. On voudrait rire avec eux des crispations communautaires, mais le film navigue entre le grossier (représentation exotique de la banlieue) et le dangereux (le running gag sur l’illettrisme de la mère d’origine marocaine). Après Nakache, rien de bien reluisant. Romain Blondeau

Les Nuits de Sister Welsh de Jean-Claude Janer avec Anne Brochet (Fr., 2009, 1 h 20)

Une ado entre réel et imaginaire. Inabouti. Un peu déçu de ne pas retrouver le niveau de kitscherie frappée de Superlove, premier film confidentiel de Janer. Ici, deux registres : le réel, ou les tourments d’une ado parisienne au physique ingrat ; le fantasme, ou les aventures romanticogothiques, au XIXe siècle, de la mère de l’héroïne, transformée en bonne sœur torturée se languissant d’un capitaine. A tout prendre, on préférerait que le cinéaste donne libre cours à son excentricité au lieu de la reléguer dans un ailleurs onirique. La partie réaliste du film, quoique parfois inspirée (la scène de la fête), ressemble à une concession à l’air du temps. V. O.

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Je ne peux pas vivre sans toi de Leon Dai avec Chen Wen-pin, Chao Yo Hsuan (Tai., 2009, 1 h 32)

Une belle arnaque mélodramatique made in Taiwan, si charmante qu’on craque. Tiens, un film taiwanais… Ça se fait rare. Cela dit, Leon Dai, acteur passé derrière la caméra, n’est ni Edward Yang (qui fut son prof), ni Hou Hsiao-hsien. Devant ce film, on est partagé, embarrassé. Il y a d’abord son style rétro, continuation à notre époque, en gros, du néoréalisme italien d’antan (voire le nippon : celui des premiers Ozu). Le choix du noir et blanc (option sépia) y est sans doute pour quelque chose. Le contexte socio-familial également : un père seul, passablement marginal, qui élève seul sa petite fille dans des conditions folklo. Ensuite, il y a le décor au sens large : l’entrepôt incongru et encombré sur les docks où ils vivent clandestinement ; le boulot du père qui travaille au noir, au péril de sa vie, comme plongeur-réparateur de cargos stationnant dans le port de Kaohsiung. Tout cela est déjà infiniment pittoresque. Là-dessus se greffe une pure intrigue de mélo : le père, qui doit scolariser sa fille, est incapable de prouver sa paternité et risque de se voir retirer l’enfant. On se trouve dans un contexte proche du Kid de Chaplin, en plus dramatique puisque in fine l’homme menacera de tuer sa fille et de se suicider (cette révélation ne déflore rien : on le sait dès le flash-forward qui ouvre le film). Il y a de quoi tiquer devant une telle avalanche de charme désuet et fragile (bohème sympa, décors idoines), allié à une situation aussi déchirante (un bon père loser mais attentionné, victime d’une injustice criante). La combinaison de ces éléments n’est tout simplement pas possible, car trop racoleuse. C’est sans doute la loi du genre, mais elle est appliquée à la lettre, de façon trop politiquement correcte pour convaincre. Pourtant, toutes nos préventions rhétoriques tombent d’elles-mêmes : de toute façon, à son corps défendant, on ne peut pas s’empêcher de marcher (le pouvoir du mélodrame). On ne regrette même pas que ce film pas très honnête, tire-larmes, qui abuse de la corde sensible, nous fasse craquer. Certains arnaqueurs sont très séduisants. V. O.

Le Royaume de Ga’Hoole de Zack Snyder avec Emily Barclay, Essie Davis (E.-U., Aus., 2010, 1 h 30)

La guerre des chouettes et des hiboux en animation 3D, par l’auteur de 300. Sans doute pour s’inscrire en faux contre les accusations de racisme florissantes à la suite de l’ambigu 300, Zach Snyder a tenu dans Le Royaume de Ga’Hoole à clarifier les choses : les hibous de “sang-pur” qui veulent conquérir le monde et asservir les races inférieures de strigidés sont bel et bien les méchants ; et les nobles chouettes au pelage blanc qui souhaitent les en empêcher, les bons. Si l’orientation idéologique est désormais conforme aux exigences du politiquement correct, le goût de cet ancien pubard spécialisé dans les spots de bière et de voiture pour le pompiérisme, les ornements heroic fantasy et les ralentis extrêmes demeure intact. Il trouve même dans la 3D matière à outrer ses effets, parfois pour le meilleur (beauté des textures, vertige de certains mouvements), souvent pour le pire (scènes d’action illisibles, grandiloquence harassante). Etrange metteur en scène, en tout cas, incapable de chercher la grâce ailleurs que dans l’immobilisme et la pesanteur. Jacky Goldberg

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en salle l’invasion documentaire Retour du désormais habituel Mois du documentaire en novembre. L’événement mobilise des centaines de lieux culturels en France et à l’étranger, autour de la diffusion de films documentaires. Le Centre Pompidou propose vingttrois longs métrages (dont Histoire d’un secret de Mariana Otero) sur la thématique “Filmer l’invisible”, alors que le cinéaste allemand Volker Koepp présentera ses Chroniques géopoétiques à Paris et en Province. www.moisdudoc.com

leçon de cinéma De retour avec Vénus noire, le réalisateur Abdellatif Kechiche donnera une master class le 3 novembre au Forum des Images, à Paris. www.forumdesimages.fr

hors salle avant-garde numérique Créé par l’association Light Cone, le portail de vidéo 24-25 est un moteur de recherches dans les archives et collections audiovisuelles françaises, consacré au cinéma d’avant-garde et expérimental. On y trouve notamment des informations sur le groupe Dziga Vertov, sur le film de Germaine Dulac La Coquille et le Clergyman, jusqu’aux artistes actuels. Le complément parfait – et légal – au temple du cinéma d’avant-garde Ubuweb. www.24-25.fr

box-office

Nostalgie de la lumière de Patricio Guzmán Métaphysique et politique, intime et collectif, un documentaire beau et inclassable sur la dictature de Pinochet, par un cinéaste chilien emblématique.

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aúl Ruiz évoquait la semaine dernière l’arrestation de son compatriote Patricio Guzmán par les nervis de Pinochet. Voici le dernier film de ce cinéaste peu connu en France, un essai-poème-méditation étrange et singulier. Tout commence comme une contemplative leçon d’astronomie, la caméra serpentant entre télescopes et instruments d’observation divers. Belle mise en abyme entre deux sciences du regard, le cinéma et l’astronomie. Il faut savoir que le Chili est célèbre pour ses observatoires, ses ciels purs et dégagés, ce que rappelle Guzmán. Et pendant que la caméra continue de filmer des observatoires, mais aussi les zones désertiques splendides où sont implantés ces laboratoires de l’espace, la voix off du cinéaste dérive vers d’autres sujets : sa propre jeunesse et celle de ses compagnons artistes et militants politiques, le passé du pays, et notamment la brutale cassure opérée par Pinochet. Du ciel et de son infinitude métaphysique, le film descend vers la terre, métaphoriquement et littéralement. Sous le sol de ces déserts où les scientifiques

observent les astres se cachent des réalités moins cosmiques : les cadavres de milliers d’opposants, assassinés par le régime fasciste et enterrés là, loin de tout regard. Bien que le contexte soit ici plus politique et tragique, on pense furtivement aux cadavres de mafieux du Casino de Scorsese, enfouis dans les sables entourant Las Vegas. On connaît en astronomie le phénomène de la lumière des étoiles mortes, qui brillent à nos yeux bien après leur explosion, car leur lumière a mis des années à nous parvenir. Les veuves et descendants des victimes de la dictature s’obstinent aussi à mettre en lumière ces individus oubliés, à l’époque portés “disparus”, dont les dépouilles sont aléatoirement dispersées aux quatre vents du désert. Travail de deuil aussi inlassable et infini que la recherche astronomique. Reliant ciel et terre, métaphysique et politique, histoire et géographie, intime et collectif, Guzmán invente le documentaire méditatif, dont la beauté surgit d’un agencement d’idées, d’images et de sons absolument inclassable. Serge Kaganski Nostalgie de la lumière de Patricio Guzmán (Esp., Fr., All., Chili, 2010, 1 h 30)

dessin et des dieux L’animation envahit les salles françaises : avec près du double de copies, Arthur 3 – La Guerre des deux mondes devance très largement The Social Network en première semaine d’exploitation, en dépassant les 700 000 entrées. Pas loin derrière, Moi, moche et méchant déboulonne Des hommes et des dieux, qui mobilise tout de même encore 200 000 personnes dans sa sixième semaine. Bien sûr, Les Petits Mouchoirs prend la tête le jour de sa sortie, tandis que Ne le dis à personne, pour sa première dif en clair sur M6, fait la meilleure audience du jour, avec 5,4 millions de téléspectateurs. Toi aussi, t’es un dieu, Guillaume !

autres films The American d’Anton Corbijn (E.-U., 2010, 1 h 43) Journal d’un dégonflé de Thor Freudenthal (E.-U., 2010, 1 h 34) Blind Test de Georges Ruquet (Fr., 2010, 1 h 17) 78 les inrockuptibles 27.10.2010

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Paramount/The Kobal Collection/ Image Forum

Sterling Hayden, douze ans avant Johnny Guitar, fou des romans de Melville et de navigation

l’encre amère de Johnny Guitar Enfin traduit, le grand roman autobiographique de l’acteur Sterling Hayden, immortel Johnny Guitar pour Nicholas Ray.

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evons tout de suite un malentendu : Wanderer de Sterling Hayden n’est pas une autobiographie d’acteur. C’est le roman d’un homme obsédé par l’errance, dont le trajet passe ponctuellement par les plateaux de cinéma. Et ceux qui chercheraient ici les habituelles anecdotes de tournage et autres “portraits de réalisateurs” risquent fort d’être déçus. Si certaines absences s’expliquent aisément – publié en 1963, le récit s’arrête avant quelquesunes des prestations les plus connues du comédien chez Kubrick (Docteur Folamour), Coppola (Le Parrain) ou Altman (Le Privé) –, d’autres relèvent de l’omission volontaire. Nulle mention, par exemple, de L’Ultime Razzia ni même, sacrilège ultime, de Johnny Guitar. Seuls Madeleine Carroll, sa première épouse, et John Huston,

son metteur en scène de Quand la ville dort, arrivent brièvement à s’imposer. C’est que Hollywood occupe ici une fonction narrative précise : celle de la tentation à repousser pour enfin devenir l’homme que l’on aspire à être. Or le destin dont rêvait Hayden n’était pas celui d’un pantin “payé une fortune pour lire des textes écrits par les autres” mais un parcours à la fois plus héroïque et artistique de marin et d’écrivain,sur les pas de son modèle Herman Melville. Conçu comme un long flash-back lors d’une traversée aventureuse vers Tahiti, Wanderer retrace la vie d’un enfant de la Dépression qui fuit la pauvreté et ne s’essaie à la comédie que pour pouvoir s’acheter son propre navire et mieux décamper de la terre ferme. Au fil des pages, Hayden ne cesse de se mettre en scène comme un homme “né à la mauvaise

époque”. Mais dans le même temps, son personnage épouse tous les replis de son époque : des studios à la Seconde Guerre, du communisme au maccarthysme et jusqu’au divan de la psychanalyse. Or quelles que soient les qualités d’écriture de Wanderer, et son incroyable richesse historique, on ne peut s’empêcher de penser que ce croisement étrange entre conscience malheureuse et sens aiguisé du timing est ce qui fit d’abord la merveilleuse ambivalence de ses performances d’acteur. Si, en fin d’ouvrage, Sterling Hayden n’est pas tout à fait devenu Conrad ou Stevenson, du moins s’affirme-t-il, plus que jamais, comme le seul Johnny Guitar. Patrice Blouin Wanderer (Rivages), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Julien Guérif, 672 pages, 25 € 27.10.2010 les inrockuptibles 79

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Phenomena

les couleurs des ténèbres Le maître du thriller horrifique italien Dario Argento en six films, dont le splendide Inferno et le sous-estimé Phenomena, superbement restaurés. Les films Les deux premiers thrillers horrifiques de Dario Argento, L’Oiseau au plumage de cristal et Le Chat à neuf queues, exercices antonionohitchcockiens dans lesquels le jeune cinéaste italien s’amuse à tromper les sens des spectateurs, n’ont pas très bien vieilli. En revanche, les films réalisés après ses œuvres maîtresses Profondo rosso et Suspiria (qui sort également) se révèlent passionnants, visions hallucinées d’un cinéaste sous emprise : de la drogue, de l’occultisme, du rock progressif, de la magie noire… Dans Inferno, la “suite” de Suspiria, une jeune femme révèle à son frère l’existence de palaces à Rome, Fribourg et New York, construits par le même architecte et abritant les Trois Mères, sorcières gardiennes des portes de l’Enfer.

Argento compose avec les éléments naturels un fascinant jeu de piste onirique

Inferno est un véritable opéra psychédélique sur le thème de l’alchimie, sans doute le chef-d’œuvre le plus démentiel d’Argento, visuellement somptueux et obéissant à la logique des cauchemars. Dans Ténèbres, un écrivain de romans policiers à succès est mêlé, lors d’un séjour à Rome, à une série de meurtres sanglants commis par un lecteur fanatique. L’hyperréalisme de Ténèbres, sa lumière inspirée par les séries télévisées américaines des années 80, ne font qu’accentuer la cruauté, la froideur et la violence du film, où tous les personnages sont antipathiques et périssent sous des coups de couteau ou de hache. Phenomena fut sousestimé par les fans d’Argento à sa sortie, notamment en raison des excès heavy-metal de la bande sonore. Le film est pourtant très beau. Dans un collège suisse, une jeune fille capable

de communiquer avec les insectes retrouve la trace d’un assassin sadique. Cette idée de départ insolite, bien que basée sur une réalité scientifique, donne naissance à des images stupéfiantes et poétiques. Phenomena marque un tournant dans la carrière du cinéaste italien, qui puise comme à son habitude dans le cinéma expressionniste et les productions de Val Lewton, mais délaisse les outrances baroques et sanglantes d’Inferno ou de Ténèbres, et oriente son film du côté de Lewis Carroll et du conte de fées. Sa frêle héroïne, qui possède la beauté lunaire d’une Jennifer Connelly adolescente (elle avait été remarquée par Argento dans le film de son ami Sergio Leone Il était une fois en Amérique), traverse en somnambule un univers terrifiant peuplé d’humains monstrueux et d’animaux bienveillants. Argento compose avec les éléments naturels (l’eau, le vent, la nuit, la forêt) un fascinant

jeu de piste onirique, traversé de pièges, d’énigmes visuelles et d’instants magiques. Les DVD Ces éditions remasterisées permettent d’admirer comme si c’était la première fois les films d’Argento et leur utilisation si spectaculaire de la couleur, et plus particulièrement Inferno, dont les variations de rose et d’orange sont inspirées par la peinture préraphaélite et constituent des créations chromatiques extraordinaires du directeur de la photographie Romano Albani, à l’opposé des couleurs agressives de Suspiria, dont la photo était signée Luciano Tovoli. Olivier Père Six films de Dario Argento L’Oiseau au plumage de cristal ; Le Chat à neuf queues ; Suspiria ; Inferno ; Ténèbres ; Phenomena (Collection Les Introuvables, Wild Side). Inferno et Ténèbres sont disponibles en DVD et Blu-ray, et Suspiria en Blu-ray seulement. Environ 15 € le DVD, 20 € le Blu-ray

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Amer d’Hélène Cattet et Bruno Forzani avec Charlotte EugèneGuibbaud, Marie Bos (Fr., Bel. 2009, 1 h 30)

Où gît votre sourire enfoui ? de Pedro Costa

les Straub, de drôles de numéros Cinquième coffret de l’intégrale consacrée à Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Cette fois, les films tournés sur ces cinéastes décidément hors du commun. Les films Depuis plusieurs années, les éditions Montparnasse ont entrepris une œuvre salutaire : éditer l’intégralité des films tournés par ceux qu’on appelle familièrement “les Straub”, ce couple de cinéma qui pratique, depuis cinquante ans, et ce au-delà de la mort de Danièle Huillet en 2006 (Straub vient de tourner un court, qui devrait sortir en janvier), un cinéma fougueux, comme une révolution basée sur un retour aux sources du cinéma, du verbe (Kafka, Pavese, Duras ou des classiques), du marxisme et de la mythologie. Après avoir édité quatre coffrets comprenant vingt-et-un films des deux cinéastes, les responsables de cette collection ont décidé de consacrer leur cinquième volume aux films réalisés sur les Straub. Car, surprise qui n’en est pas une pour ceux qui les ont croisés au moins une fois dans leur vie dans un débat, les Straub sont de sacrés numéros. Et les cinéastes européens qui les ont fréquentés ne s’y sont pas trompés. Grâce à eux, notamment, on dégustera en priorité Où gît votre sourire enfoui ?, sans doute l’un des meilleurs sinon le meilleur film du cinéaste portugais Pedro Costa, Travaux sur “Rapports de classes” de l’Allemand Harun Farocki, Sicilia ! Si gira du Français Jean-Charles Fitoussi ou Dites-moi quelque chose de Philippe Lafosse, l’un des entrepreneurs de cette collection décidément hors du commun sur des cinéastes exceptionnels. Les DVD Pas de bonus, sinon le court métrage des Straub Toute révolution est un coup de dés (1977) sur Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé.

Tout l’univers du giallo façon Bava ou Argento dans un trip mental psyché, suave et coloré. Le film L’un des meilleurs films français de l’année est italien. Héritier du giallo (série B à l’italienne) sous psychotropes des deux premiers volets de la “Trilogie des Mères” de Dario Argento (Suspiria, Inferno), Amer est une expérience formelle au confluent de l’hommage et de l’art conceptuel. Un geste radical – distribué en catimini lors de sa sortie en salle – qui organise dans un même mouvement la renaissance du giallo et ses funérailles. Délesté de ses traditionnelles enquêtes et du modus operandi criminel, ce sous-genre du cinéma italien popularisé dans les 60’s n’existe plus ici que comme images fétichisées (gros plans sur une lame de rasoir ; usage récurrent des filtres de couleurs). Il constitue l’arrière-plan de l’univers mental morbide et hypersexué d’une femme dont Amer explore le rapport douloureux au désir en trois étapes de sa vie (enfant, adolescente et adulte). En décomposant à l’extrême la geste du giallo, les réalisateurs de cet étrange objet cinéphile et pulsionnel ont donné au genre l’un de ses plus beaux avatars – peut-être le dernier. Le DVD Le court métrage passionnant d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, La Fin de notre amour : une première variation expérimentale sur l’imagerie du giallo. Romain Blondeau Wild Side, environ 20 €

+ CD 12 titres extraits de la B.O. du film culte d’Edo Bertoglio “Downtown 81” Liquid Liquid, Suicide, The Lounge Lizards, Gray, DNA, etc.

Jean-Baptiste Morain Coffret Avec Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (volume 5) (Editions Montparnasse, environ 35 €) 27.10.2010 les inrockuptibles 81

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La légende de Jean-Michel Basquiat rapportée entre underground new-yorkais et célébrité, fulgurance artistique et vie brûlée.

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death trip Un jeu étonnant sur un sujet audacieux : le deuil. Présentation en détail avec son game designer.

L festival Paris fait sa Games Week Après la Fashion Week, place à la Games Week, nouveau salon créé par les éditeurs qui, rompant avec le Festival du jeu vidéo organisé en septembre, ont tenu à avoir leur propre événement grand public. L’occasion d’essayer cinq jours durant (du 27 au 31 octobre à la Porte de Versailles) les tubes vidéoludiques des prochains mois. Renseignements : www.parisgamesweek.com

a présence d’une bibliographie dans un dossier de presse de jeu vidéo est déjà inhabituelle. Mais ce sont les noms figurant dans celui de Winter Voices qui laissent penser que l’on a affaire à un titre très spécial : Fernand Braudel, Yukio Mishima, Albert Camus, Michel Foucault. “C’est la petite touche, et même la grosse touche qu’on a voulu apporter”, souligne Kévin Lehénaff, game designer et cofondateur du studio indépendant parisien Beyondthepillars. “L’idée était de faire un jeu capable d’enrichir le joueur, qui ne se contente pas de l’enfermer dans le virtuel permanent. Il y a pas mal de petits clins d’œil à des textes poétiques, à Nerval, à Aragon. A des choses qui sont aussi là pour donner du matériel à des joueurs adultes.” Divisé en sept épisodes (dont le long prologue Avalanche) qui sortent tous les sept jours jusqu’à la fin de l’année (“Les joueurs vont

pouvoir cogiter pendant la semaine et espacer leur temps de jeu”, espère Lehénaff), le jeu se distingue aussi par son sujet, surprenant : le deuil (“La mort, ce n’est pas juste un corps qui disparaît après qu’on l’a shooté avec une balle…”). Lorsque le jeu commence, son héroïne de 24 ans vient de perdre son père et erre entre souvenirs et doutes, lesquels prennent la forme d’ombres qui l’assaillent lors des combats (purement défensifs : le but est de résister ou de fuir) qui interrompent le récit. Car, aussi audacieux soit-il, Winter Voices demeure un jeu de rôle. “On tenait à avoir un jeu posé, au tour par tour, et avec beaucoup de texte. C’est pour ça qu’on s’est rapprochés de ce schéma. On aurait pu innover complètement,

“il y a pas mal de petits clins d’œil à des textes poétiques, à Nerval, à Aragon”

mais c’est un système qu’on connaissait bien, et on ne voulait pas dépayser totalement les gens en leur donnant quelque chose de vraiment trop obscur.” Au vu du prologue, on peut le regretter. Car, malgré sa musique et son style graphique envoûtants dans leur registre vaillamment cafardeux, Avalanche se prend justement les pieds dans son système de combat. Longs et fastidieux, les affrontements menacent l’unité du jeu, érodant le lien essentiel entre ce que vit le personnage et ce que ressent le joueur. Peut-être les épisodes suivants seront-ils plus “équilibrés” ? “Si davantage de jeux pouvaient se rapprocher de la littérature, du cinéma, de l’animation, rêve Kévin Lehénaff, je pense qu’il y aurait vraiment des choses très intéressantes à faire.” Nous aussi. Erwan Higuinen Winter Voices – Avalanche Sur PC et Mac (Beyondthepillars, 5 € l’épisode). Disponible en téléchargement sur Steam ou sur www.wintervoices.com

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mission accomplie Une bonne série B, avec un vrai univers. La bonne surprise du moment. ront Mission Evolved n’avait a priori pas se révèle un chouette jeu d’action doublé grand-chose pour lui. Ceux qui ont eu d’une porte d’entrée idéale dans le monde l’occasion de s’essayer aux précédents des mechas, ces fascinants (ou repoussants, épisodes de cette série majeure du jeu question de point de vue) robots géants. de rôle tactique risquent d’ailleurs de Vous ne connaissez rien aux précédents ne plus se sentir chez eux. Car Square Enix Front Mission ? Qu’importe : les scènes (Final Fantasy, Dragon Quest), visiblement cinématiques font bien sentir qu’un univers soucieux, comme de plus en plus d’éditeurs à part entière s’offre à nous ici. japonais, de plaire au public occidental, Et, miraculeusement, c’est suffisant. a décidé de lui offrir un virage à 90 degrés. Aux commandes de sa boîte de conserve Adieu offensives savamment planifiées, surarmée à la lourdeur bien restituée, place à la castagne frontale avec, le joueur évolue d’une fusillade à l’autre. aux manettes, le studio californien Double Rien de neuf, rien de compliqué, que Helix Games, responsable l’an passé du déjà-vu, mais réinterprété avec entrain. du calamiteux G.I. Joe. Comme on pouvait Pour la gloire du jeu de série B. E. H. s’y attendre, le résultat souffre de quelques défauts : une certaine raideur du gameplay, Front Mission Evolved Sur PS3, Xbox 360 et PC (Double Helix Games/Square Enix, de 40 à 60 €) une réalisation technique pas franchement au-dessus de tout soupçon (formes anguleuses, murs invisibles) et des combats de boss (les gros méchants de fin de niveau, pour les profanes) qui amènent le critique de jeux vidéo à se demander s’il ne peut vraiment pas espérer une retraite anticipée au titre de la pénibilité du travail. Et pourtant, dans l’ensemble, Front Mission Evolved



Heavy Rain Move Edition

Sid Meier’s Pirates!

Sur PS3 (Quantic Dream/Sony, environ 40 €) Et si la meilleure raison d’adopter la nouvelle manette à détection de mouvements de la PS3 était fournie par un jeu paru il y a huit mois ? Modifié afin d’en tirer parti, l’excellent thriller Heavy Rain améliore grandement son système d’interaction. Pour ceux qui le possèdent déjà, la mise à jour est gratuite via internet.

Sur Wii (2K Games, environ 30 €) En 1987, Pirates! faisait sensation : de la gestion d’un équipage aux duels à l’épée en passant par la chasse aux trésors, rien n’y manquait de ce qui occupait, rêve-t-on, la vie d’un flibustier. Remise au goût du jour (ou presque) sur Wii, la simulation pionnière de Sid Meier (Civilization) captive comme au premier jour. les inrockuptibles 27.10.2010 83

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crème antiriches Remercié par sa maison de disques, Florent Marchet résiste en solo. Sur un troisième album accessible et plein de vieux claviers, il dépeint la mélancolie bourgeoise. Acide, vicieux.

C   Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

’est au terme d’une démonstration expliquant comment la création des nouveaux instruments résulte en vérité des accidents de parcours (“On a voulu imiter le son des oiseaux, on n’y est pas parvenu mais on a créé la flûte. Puis on a voulu imiter la flûte, on a échoué et créé l’orgue, et ainsi de suite…”) que Florent Marchet avoue l’inconcevable. “Ce sont ces accidents qui m’intéressent, cette fragilité, ce côté un peu cheap dans l’imitation. Aujourd’hui on est dans la performance. La précision, je ne trouve pas ça très passionnant.” Improbable constat dans la bouche de celui que l’on a qualifié d’orfèvre de la chanson française, voire de Sufjan Stevens d’ici – comme l’Américain, d’ailleurs, le Berrichon devrait publier cet automne un album de chansons de Noël, joyeuses fêtes à tous. Car, depuis la venue au monde de son éblouissant deuxième album,

un Rio Baril en forme de symphonie sociale aux orchestrations dignes d’Ennio Morricone, c’est dans la famille des qualificatifs dithyrambiques que les plumes doivent aller piocher dès lors qu’il s’agit d’évoquer les travaux du musicien. Rebelote ainsi, côtés applaudissements, quand Marchet dévoila, quelques mois plus tard, son livre musical Frère animal, sur le monde du travail, écrit à quatre mains avec son complice Arnaud Cathrine et suivi d’une longue tournée française. Révérence enfin, voire Palme d’or, lorsqu’arriva à nos oreilles, il y a un an tout juste, l’aveuglant premier maxi de La Fiancée, dont Marchet signa les arrangements en fil d’or. Florent Marchet est ainsi : formidable arrangeur, compositeur surdoué. Ça n’a hélas pas suffi à ce que le jeune homme conserve son contrat avec son ancienne maison de disques… Plutôt que de se laisser abattre, il en a profité pour monter son studio, Nodiva, où il a enregistré son

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on connaît la chanson

utopie pop On retrouve la pop irréelle de XTC chez plein de jeunes groupes qui ignorent sans doute tout de leurs aînés.

“je me suis toujours senti un peu boueux, un peu sale, j’avais ce complexe des petits face aux puissants” troisième album Courchevel. “J’avais besoin d’un laboratoire. Je suis multi-instrumentiste et j’ai besoin de pratiquer. C’était également un moyen d’enregistrer des chansons pas destinées à finir sur l’album, de travailler pour les autres. Certains empruntent à la banque pour acheter un pavillon. Moi je l’ai fait pour un studio.” Pour un studio peuplé d’instruments rares, comme des Clavinets, Fender Rhodes ou encore ce Solina, récupéré en Allemagne, présent tout au long de Courchevel. “Je suis claviériste à la base et j’ai fait beaucoup de recherches sur internet, sur des forums de geeks, pour trouver ce que je voulais. Je suis notamment allé chercher ce vieil orgue sorti au début des années 70 qui imite le son de cordes de façon un peu cheap, et qui a été très utilisé par François de Roubaix, Pink Floyd, Air. Dans les années 70, dans les familles bourgeoises, en Allemagne, il y a eu une mode qui consistait à acheter cet orgue-là plutôt qu’un piano.” Familles bourgeoises : deux mots qui semblent devenus la source de fascination de Marchet. Quel que soit le décor, des ruelles huppées de Courchevel aux courants dangereux de Narbonne Plage, il évoque sur son nouvel album la vitrine sociale, la carrière, la solitude et la mélancolie pot-de-colle. On pense souvent à un Alain

Souchon, mais un Souchon qui chanterait “allo maman bourgeois”. “J’ai observé la bourgeoisie comme on peut le faire quand on vient d’une middle-class. Mes parents n’étaient pas du tout là-dedans, j’ai des racines paysannes. Je me suis toujours senti un peu boueux, un peu sale. J’avais ce complexe des petits face aux puissants. Je sentais que c’était la bourgeoisie qui menait le monde et imposait une sorte de discipline sociale, ce qu’il fallait faire ou non. J’avais très peur d’être inadapté, de ne pas connaître le règlement intérieur.” Plus accessible, moins baroque que son prédécesseur, Courchevel bénéficie de la présence de Jane Birkin – le temps d’un duo – et de celle du Malien Mamadou Koné Prince. Avec sa tripotée de singles potentiels (Benjamin, L’Idole, La Famille Kinder), il pourrait être l’album qui offre les sommets des charts à Florent Marchet. Souhaitons-lui la même destinée qu’à Benjamin Biolay, sacré héros du pays quelques moisaprès avoir été remercié par sa major. Johanna Seban photo Renaud Monfourny Album Courchevel (Novida/Pias) Concert Le 9/11 à Paris, Café de la Danse www.myspace.com/florentmarchetmusic En écoute sur lesinrocks.com avec

Depuis quelques années, l’internationale pop a commencé à déterrer ce qui avait fini par devenir un trésor caché : le groupe XTC. Tombé dans l’oubli par sa propre démission du monde de l’entertainment, par l’incompréhension des labels devant ses projets de péplums psychédéliques, le groupe de Swindon a payé cher son absence de frasques et de frusques : aucune mort tumultueuse à offrir aux incorrigibles romantiques de la blogosphère ; un look réunissant sous le même anonymat de la suburbia anglaise l’extravagance du professeur de biologie en classe verte et l’élégance raffinée du pilier de pub, celui qui joue aux fléchettes les yeux fermés et s’appelle Big Dave. Toute son excentricité, sa flamboyance, sa grandeur, XTC l’avait gardée pour sa musique. Miracle d’une autre époque, celle-ci parvenait parfois à illuminer de son étrangeté les charts anglais, même français, le temps de Making Plans for Nigel ou Senses Working Overtime. Ces dernières années, on a entendu cette façon très tordue, pointilleuse et biscornue en même temps, de dévier la pop chez des groupes qui pourraient être les petits-enfants d’Andy Partridge. Repris par Tricky, cité par Disiz, omniprésent chez les Local Natives, le son de XTC se manifeste cette semaine encore sur l’album joyeux, culotté, largué des Mancuniens de Everything Everything. Ce qui rend cet entrisme dans la pop de 2010 encore délicieux, c’est que l’influence du groupe est incontestable chez des musiciens qui n’ont sans doute jamais écouté XTC de leur courte vie. C’est pourtant cette pop-là, absurde, exubérante, euphorique, baroque et barrée qu’ils jouent avec aplomb : comme Hergé racontait merveilleusement des pays qu’il n’avait jamais visités, ces groupes décrivent une chimère de musique, une utopie pop entre Lewis Carroll et Zombies, pays merveilleux et enchanté où XTC avait fondé la première colonie : English Settlement.

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Kele chez Hercules And Love Affair Pas satisfait de la récente sortie de son album solo, le leader de Bloc Party s’invitera aussi, le temps d’un morceau (Step up), sur le deuxième album de Hercules And Love Affair, Blue Songs. Sortie des chansons bleues prévue le 31 janvier.

coffret live pour Benjamin Biolay Après le carton (180 000 exemplaires vendus, deux Victoires de la musique) et une tournée de cinquante dates françaises, Benjamin Biolay offrira, le 29 novembre, une nouvelle vie à La Superbe. Un double DVD retraçant les concerts des 7 et 8 mai au Casino de Paris, ainsi qu’un film-portrait intitulé Dans ta bouche, tous deux réalisés par Laetitia Masson, sont annoncés. Un livre de photos complétera la chose.

leçon de piano à Pleyel Monument historique du jazz (il a joué avec John Coltrane dans les années 60), l’influent pianiste McCoy Tyner termine sa tournée française en quartet par une date de prestige : le 29 octobre à la salle Pleyel, à Paris. L’événement jazz de la semaine.

La nouvelle sélection du prix Constantin vient d’être divulguée. Du côté des belles surprises, on notera la présence, parmi les dix lauréats, d’Arnaud Fleurent-Didier ou d’Hindi Zahra, dont les albums devraient trouver leur place sur les podiums de l’année. Une grosse ombre au tableau : la sélection de la chanteuse Zaz, dont on ne veut plus jamais entendre parler. Election du vainqueur le 12 novembre, sur la scène de l’Olympia.

Cold War Kids en 2011 Après leur premier et brillant Robbers & Cowards, le second album de Cold War Kids était passé plus ou moins inaperçu. Le groupe retentera sa chance en 2011 puisqu’un troisième disque est annoncé pour le 24 janvier. Intitulé Mine Is Yours, l’album bénéficiera du talent de Jacquire King (Tom Waits, Modest Mouse) à la production.

Hindi Zahra

Hassan Hajjaj

cette semaine

le prix Constantin 2010 se dévoile

neuf Low Cascadeur

Morning Parade

Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste français sans album se retrouve programmé à la fois au Festival des Inrocks et sur une compilation Kitsuné. Exploit réalisé le même mois par Cascadeur, ancien gagnant CQFD à la pop volatile et enveloppante, qu’un premier single, Walker, déniche en altitude, avec les anges Antony ou Nina Simone. Le 7 novembre au Festival Les Inrocks Black XS (Cigale) www.cqfd.com/cqfdcom-cascadeur

Depuis plus d’un an, en Angleterre, c’est la première partie qui tue : le groupe invité qui part avec votre public dans la poche. Sans le moindre disque à son actif, Morning Parade a déjà réussi à se construire un public fervent et une rumeur tapageuse, qui fait de lui l’héritier de Coldplay, avec son mélange gonflé d’electro et de pop lyrique. www.myspace.com/morningparade

Alors que commencent à sortir les albums de Noël, belle tradition anglo-saxonne, celui des Américains de Low reste un flocon de neige en suspens, un feu de bois figé par les glaces, une banquise qui aurait dévoré la dinde : lent, hypnotique et pourtant fervent, Christmas, sorti en 1999, n’a bien entendu pas pris une ride : il est cryogénisé ! La BO idéale pour un Noël sans tension, sans urgence, sans mouvement. www.myspace.com/low

Walter Gibbons Le Galaxy 21 était, dès le milieu des 70’s, un temple de la nuit new-yorkaise, où officiait le discret DJ Walter Gibbons. Choqué par le libertinage d’une scène disco dont il est le gourou, il vivra une crise mystique, mélangeant les rythmes paillards à des chants religieux ! Une double compile recense ses remixes et favoris : une influence majeure sur la scène house à venir. www.myspace.com/waltergibbons

vintage

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François Berthier

Tigre et tigresses Venu du Portugal et mauvais comme la gale, The Legendary Tiger Man incarne un rock’n’roll sale, possédé, avec un tigre dans le slibard.

 L

a vogue actuelle du new burlesque, cet érotisme folklorique à sa mémère, ne doit pas nous faire oublier que le sexe – le vrai, le pur, le dur – se cache sous les jupes du rock’n’roll. Un bouton de fièvre sur la lippe d’Elvis en 56, un accroc aux bas résille de Lux Interior en 80, un reflet sur le costume lamé de Jon Spencer en 95. Aujourd’hui, il est tapi derrière les lunettes fumées du Legendary Tiger Man. Le légendaire homme-tigre (Paulo Furtado de son vrai nom) est un animal solitaire. Un one-man band portugais

la guitare claque comme une fessée bien méritée, les chanteuses se pâment, la tension est palpable

(par ailleurs leader du groupe Wraygunn), guitariste épuré et tendu, qui s’est bien caressé le manche à reblues-poil sur trois albums fébriles, fantasmes d’Alan Vega dans un peep-show de Memphis. Paulo Furtado est aussi réalisateur. Il y a quelques années, il décide de faire un film avec des femmes, et des chansons. La première actrice qu’il approche est Asia Argento, séduite par la proposition. D’autres suivront. Le projet glisse vers un disque de duos, au casting féminin international : Peaches, Cibelle, Lisa Kekaula (des BellRays), Maria de Medeiros, Phoebe Killdeer et quelques autres. “Dès que j’avais une idée de chanson, je pensais à la chanteuse qui pourrait l’interpréter et je la contactais. Le plus compliqué avec cet album, ça a été

d’enregistrer en fonction des emplois du temps de chacune. J’ai travaillé trois ans sur ce disque.” Mais ça valait le coup d’attendre. Femina est terriblement sexy. Parades nuptiales, jeux de rôles, joutes enjôlées, rock’n’roll et blues en talons aiguilles. Des reprises cramoisies – These Boots Are Made for Walking – comme neuves et des originaux suggestifs. La guitare claque comme une fessée bien méritée, les chanteuses se pâment, la tension est palpable, le Tiger Man est comblé, félin pour l’autre. Au noyau du blues, pulsation déjà très érotique, le Legendary Tiger Man ajoute la chair, la pulpe (d’ailleurs, il a tourné l’an dernier avec Jarvis Cocker, qui l’adore). Parfois, quand une boîte à rythmes dirige les ébats, l’album sonne comme les Kills première période.

Du rock esthétique sur le fil, électrique, dénudé. Sur les pochettes et dans l’imagerie des disques du Legendary Tiger Man, il y a toujours eu des femmes nues, comme les modèles d’un peintre. “A une époque, la nudité est devenue une obsession pour moi. On nous apprend à en avoir honte, alors que c’est la chose la plus naturelle au monde. Si les gens pouvaient tous vivre nus deux jours par mois, les choses ne seraient pas pareilles. Il y a longtemps, j’ai joué complètement nu dans un gros festival, dans ma ville natale.” Chaud latin, Paulo Furtado n’est pas macho. “Ce qui m’a poussé à faire cet album, et qui m’a donné l’idée au tout début, c’est que j’ai toujours chanté sur les femmes, en racontant différentes histoires de mon point de vue masculin. Donc, pour cet album, j’ai voulu avoir les deux perspectives, homme et femme.” Comme sur la pochette de Femina, signée Mondino, en hommage au Love on the Beat de Gainsbourg. Et à l’intérieur, c’est “love on the beast”, quarante-sept minutes de bonheur. Stéphane Deschamps Album Femina (Poplaw/Sony) www.myspace.com/ thelegendarytigerman En écoute sur lesinrocks.com avec

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Christina Jaspars

réchauffement global De la musique du monde, du beau monde même : à Madrid, la crème des musiciens maliens et cubains invente un espéranto qui redonne l’espoir. AfroCubism, bientôt en concert.



uena Vista Social Club : dans la deuxième moitié des années 90, une assemblée de musiciens vétérans renaît de ses cendres (de cigare cubain) et fait danser la terre entière sur Chan Chan. Wim Wenders en fait un film. Le groupe devient un phénomène et vend des albums par wagons (huit millions à ce jour, dont 700 000 en France). Mais deux hommes l’ont un peu amère : ils ont raté le train du Buena Vista Social Club. Pourtant, ils avaient le billet. Bassekou Kouyaté et Djelimady Tounkara sont des musiciens maliens. Le premier est un maître du n’goni, et le second

cette musique plane sur un vent chaud, en toute latitude, délivrée des visas

guitariste du Super Rail Band de Bamako. En 1996, le bien nommé producteur Nick Gold, patron du label World Circuit et roi Midas des musiques du monde, leur propose de se rendre à Cuba pour enregistrer des chansons avec le guitariste-chanteur Eliades Ochoa. Nick Gold en a aussi parlé à Ali Farka Touré, mais celui-ci décline – il se voue à l’époque à ses activités de cultivateur. “Ali m’a dit que les deux autres seraient parfaits. Pour moi, ce projet n’était pas un concept, plutôt l’envie d’une rencontre entre trois hommes que j’aimais. J’avais découvert la musique cubaine en Afrique de l’Ouest, je savais que ça serait facile parce que les Maliens connaissent la musique cubaine”, explique Nick Gold. Pour d’obscures histoires de retard de visas, Bassekou Kouyaté et Djelimady Tounkara rateront la session d’enregistrement cubaine. L’album se fera

sans eux. Lorsqu’on demande à Nick Gold comment il analyse la chose – un succès né d’un accident –, il répond : “Pfff… Avec les Africains, le disque aurait été différent, peut-être qu’il n’y aurait pas eu ce succès…” On ne peut pas refaire l’histoire. Mais on peut réenregistrer un disque. Nick Gold n’a jamais lâché l’affaire. “J’ai toujours eu en tête de faire ce disque Mali-Cuba. Le projet a mûri pendant douze ans, j’ai pensé à de nouveaux musiciens.” En 2008, il réussit à réunir son monde dans un studio de Madrid. Le joueur de kora Toumani Diabaté et le chanteur Kasse Mady Diabaté se sont ajoutés au line-up original. Côté cubain, on retrouve Eliades Ochoa et son groupe. Ce devait être une simple répétition générale : c’est en fait la matière d’un album qui est enregistré en une poignée de jours. “Il y avait une excitation,

une impatience. Quand ils ont commencé à jouer, la musique est sortie toute seule, comme si elle attendait depuis douze ans. On a fini l’album sans que je m’en rende compte.” Maliens et Cubains ne parlent pas la même langue, mais la musique est leur espéranto transatlantique : fondée sur les cordes (la guitare espagnole, la kora, le n’goni), la musique avance par vagues, chaudes et harmonieuses. Aux structures plutôt rigoureuses des chansons cubaines, les Maliens apportent de l’espace, de la déambulation et parfois un doux mystère. D’anciennes chansons (Mariama, Guantanamera) découvrent les vertus du voyage et s’offrent une nouvelle jeunesse. L’album a été enregistré dans les conditions du live, tout le monde en cercle autour des micros, et ce partage équilibré de la musique s’entend. La découverte est réciproque, l’échange fructueux. Moins cubique que sphérique, la musique d’AfroCubism plane sur un vent chaud, en toute latitude, enfin délivrée des visas. Stéphane Deschamps Album AfroCubism (World Circuit/Harmonia Mundi) Concert Le 5/12 à Paris (Bataclan) www.myspace.com/afrocubism

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The Hundred In The Hands The Hundred in the Hands Warp/Discograph

Un couple sexy de New York joue des chansons à danser avec l’air triste. Comme chez les Kills ou Mazzy Star, petit couple modèle : du sexe, du cuir, des talons aiguilles, des moues boudeuses, des chansons qui tutoient le diable. A l’époque de son single Dressed in Dresden, à la fois dansant et déprimé, ce duo inventait, narquois, un sous-genre : le “summertime gothic”. On évoquait alors la rencontre d’une electro à cul chaud et d’une pop à sang froid : c’est toujours à cette température où l’on passe de la glace à l’ébullition que se joue leur instable premier album. Quand Jason Friedman fait danser le menuet à ses machines, quand il leur offre des mélodies-sourires, Eleanore Everdell leur impose voile de deuil et regard khôl-cold. Et ainsi sont élevées les chansons du couple, tiraillées entre deux feux : enfants du désordre, des tubes pourtant éblouissants comme Pigeons portent ainsi des traces de conflits qui interdisent la banalité et la routine. A la fois Ting Tings et Siouxsie, ils proposent – selon la théorie du verre à moitié vide/plein – du rock gothique étonnamment suave et dansant ; ou alors, de l’electro-pop bizarrement oblique et renfrognée. JD Beauvallet

Roots Manuva Duppy Writer Big Dada/Pias

Timothy Saccenti

En tournée avec !!!, le 5 novembre à Orléans, le 6 à Bordeaux, le 9 à Lyon, le 10 à Marseille, le 11 à Paris (Point Ephémère) www.thehundredinthehands.com

Relectures alanguies du rappeur anglais : le noir lui allait bien. C’est l’été, il pleut des rayons de soleil et de nappes digitales, et les beats asséchés du plus jamaïcain des MC anglais se chargent d’un savoureux balancement dance-hall mis en boîte par Wrongtom. Déjà responsable des remixes dub de l’album précédent, Slime and Reason, le producteur revisite ici une dizaine de perles piochées dans la discographie du rappeur anglais. Il est forcément plaisant d’entendre Roots Manuva planer sous un soleil anglo-jamaïcain, ce même soleil sous lequel il a poussé avant de donner dans le boom-bap. Pourtant, et en dépit de très bons titres comme un Jah Warriors piqueté d’électronique, ses vocalises semblent ne jamais accrocher aussi bien qu’entre les strates ténébreuses de ses propres productions rap. Dans ce théâtre alangui, il manque comme une résonance aux sentiments noircis que le rappeur tient parfaitement en bouche. Thomas Blondeau www.rootsmanuva.co.uk 27.10.2010 les inrockuptibles 89

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Japandroids No Singles Polyvinyl/Differ-ant Furieux et implosifs, les premiers pas de cousins cinglés de Weezer et Fugazi. Si No Singles n’atteint pas les sommets d’intensité du premier album du duo canadien, le subtilement nommé PostNothing, cette compilation d’obscurs ep en porte les germes. Tout y est déjà : les hymnes chantés la tête en arrière, les guitares craspec et les rythmes facteurs d’érosion sur lesquels on se roule avec la béatitude d’un festivalier prenant un bain de boue. Bruts de fonderie, All Lies et Lullaby Death Jams donnent même la vague impression d’écouter l’enregistrement pirate d’un bœuf entre Weezer et Fugazi. Benjamin Mialot www.japandroids.com 5/10/89, Reykjavík : Björk enregistre avec les Sugarcubes

Women Public Strain

Gold Panda Lucky Shiner Notown/La Baleine L’électronicien anglais le plus languide et apaisant de l’année. Depuis des remixes pétillants pour Bloc Party ou Simian Mobile Disco et surtout un maxi, You, qui a fait rêvasser l’Angleterre tout l’été, la tête de Gold Panda était mise à prix. On sait désormais que c’est un jeune producteur de l’Essex qui se cache derrière cette fourrure, et qu’il possède effectivement des doigts d’or. Car là où tant d’autres n’utilisent leur arsenal électronique qu’à des fins belliqueuses ou débauchées, Gold Panda est un homme de paix et de sensualité – une zénitude sans doute pas étrangère à ses études en langues orientales, vers lesquelles son obsession pour le Japon l’avait guidé. La force de Gold Panda est cette sérénité exubérante : même si la mélancolie se glisse souvent ici entre une guitare pastorale et un synthé de conte de fées, Lucky Shiner ignore tout des ombres et des tensions, campant béat sous un soleil hypnotique, bienveillant. Attention : l’exposition régulière à Same Dream China ou Snow and Taxis peut provoquer le bonheur. JD Beauvallet Concerts Le 10 décembre à Lille, le 11 à Paris (Maroquinerie) www.iamgoldpanda.com

Bruyants mais pas brouillons, des Canadiens qui vous veulent du bien. Visiblement marqués à vie par la fréquentation assidue des intégrales du Velvet Underground et de Sonic Youth, ces Canadiens strictement masculins cherchent le bonheur dans un balancement permanent entre douceur et fureur. Et question alliage des contraires et modelage d’atmosphères, le groupe sait faire, tout en bourdonnements, carillonnements et martèlements. Happant du début à la fin, Public Strain provoque même une dépendance (femme) fatale. Jérôme Provençal www.myspace.com/ womenmusic

Alain Gardinier

Jagjaguwar/Differ-ant

365 jours de l’histoire du rock d’Alain Gardinier Ludique et maniaque, un livre raconte l’histoire du rock par ses dates et anecdotes. A chaque jour suffit sa peine : un 29 septembre, Jackie Wilson s’effondre sur scène. Infarctus alors qu’il chante My Heart Is Crying. Un 8 avril, Kurt Cobain est retrouvé une balle dans la tête et les Converse aux pieds. A chaque jour suffit son aubaine : un 20 mai, les Smiths se forment ; un 21 septembre, Pennie Smith shoote par hasard la photo de pochette de London Calling de Clash. Trois cent soixante-cinq jours, une année : à chacun, un anniversaire à fêter pour un maniaque dangereux comme le journaliste Alain Gardinier. Quand il ne surfe pas sur les vagues basques, il le fait sur le net : c’est ainsi la petite et la grande histoire du rock que raconte, en creux, son plantureux et imposant recueil d’anecdotes (et de photos) présentées en un calendrier vertigineux. Ceux nés un 16 février, par exemple, seront fiers de savoir que le jour de leur anniversaire est aussi celui de l’enregistrement de Good Vibrations des Beach Boys. Ça marque une vie. JDB La Martinière, 744 pages, 3 4 €

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Anoraak Wherever the Sun Sets Grand Blanc/Naïve Bientôt au Festival Les Inrocks Black XS, l’electro-pop extravagante de Nantais bien beurrés. u rang des adages contient musicalement infaillibles, la loi de quoi lui garantir dite “de l’artwork une place de premier choix avec palmier” dans les discothèques se pose en sérieuse de mélomanes avertis. concurrence avec les lois Exemples : Boys Don’t Cry de Murphy et de Finagle. de The Cure, The Suburbs Quasi cosmique, elle peut d’Arcade Fire, Miami de s’énoncer ainsi : tout The Gun Club, Searching disque dont le visuel arbore for a Former Clarity un végétal issu de la d’Against Me!, Plastic Beach classification des arécacées de Gorillaz, Crazy for You

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de Best Coast, King of the Beach de Wavves… Wherever the Sun Sets ne fait pas exception et dissipe toutes les craintes nourries par la récente rétrogradation electro-pop de Minitel Rose, complices d’Anoraak au sein du collectif nantais Valerie. Car chez Frédéric Rivière, malgré une inclination commune pour les claviers alimentés à la pince crocodile, la régénération des années 1980 ne passe pas par le recours à des gimmicks d’un ostensible mauvais goût (chant ouin-ouin, beats décalottés), mais par des mélodies d’une candeur qu’on ne prêtait jusqu’à présent qu’à une hypothétique collaboration entre Etienne Daho et Tangerine Dream (le galant Above Your Head). En conséquence, ce n’est pas le bouc coincé dans la fermeture à glissière d’un blouson qu’il convient d’écouter le premier album d’Anoraak, mais au volant d’un coupé sport,

de préférence chaussé d’espadrilles et vêtu d’un costume italien d’une blancheur à filer le bourdon à l’angelot Saint-Marc. Que les pauvres et les contempteurs de Miami Vice se rassurent toutefois. Même sans cet attirail, ils apprécieront Midnight Sunset, instrumental aux airs de road-movie en Technicolor ; Try Me, funk pour circuits imprimés qui n’aurait pas dépareillé sur l’Alphabetical de Phoenix, ou Don’t Be Afraid, où Anoraak et la Suédoise Sally Shapiro font la nique à Alizée et ses copains d’Institubes question pop mutine : des morceaux qui méritent une certification French Touch en bonne et due forme. Benjamin Mialot Concert Le 5 novembre au Festival Les Inrocks Black XS (Boule Noire) www.anoraakmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Radar Brothers Reuben Cox

The Illustrated Garden

Belle And Sebastian Write about Love Rough Trade/Beggars/Pias

La pop des Ecossais offre quelques merveilles – et des banalités. Il est désormais bien loin ce temps où un nouveau Belle And Sebastian provoquait autant d’émoi qu’un premier rendez-vous amoureux. A croire que l’on s’habitue à tout, y compris à la grâce juvénile jamais fanée d’un groupe qui semble vivre plus que jamais en autarcie à l’intérieur de ses chansons, comme le suggère l’un des morceaux les plus brillants de ce huitième album : I’m Not Living in the Real World. Ils ont beau enregistrer désormais à L. A., aligner deux stars autour de leur feu de camp (Norah Jones et l’actrice Carey Mulligan), subsiste toujours chez eux cette atmosphère de volets clos et de goûter paroissial. On aura du mal à trouver cette année une chanson aussi parfaite que I Didn’t See It Coming et ses tourbillons psyché-cosmiques, mélodie plus entêtante que Come on Sister, meilleur candidat que Write about Love pour représenter l’Ecosse à l’Eurovision. Malheureusement, leurs tics indie-crottables prennent trop souvent le dessus. Et on préférera à ce moment-là réécouter les Sundays ou les singles Sarah Records, qui avaient au moins le mérite d’être de leur temps.

Chemikal Underground/Pias

C’est officiel : ce groupe est l’un des plus tristes de la galaxie. En 2003, le réalisateur canadien Guy Maddin sortait son onirique The Saddest Music in the World. On n’est pas certains que les Radar Brothers aient postulé pour la BO, mais avec leur musique d’une tristesse infinie, ils avaient une chance. Enfin, une chance… Quelle déveine colle depuis quinze ans aux mots, à la voix, aux mélodies, aux sifflements mêmes de Jim Putman, un songwriter qui semble avoir annulé les accords majeurs de sa guitare, avoir supprimé le sourire de ses obligations sociales ? Pourtant, la nuit sans lune se lève parfois ici (les bien nommés Xmas Lights et Rainbow), apportant chaleur, couleurs et relief à ces chansons à la beauté désolée, aux humeurs (a)battues par la tempête, dont la fréquentation assidue peut mener au malheur. JD Beauvallet www.radarbros.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Christophe Conte

Andrew Youssef

www.belleandsebastian.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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The Wave Pictures Sweetheart ep Moshi Moshi/Discograph Gouailleurs et minutieux, les hymnes pop et lo-fi d’un trio largué. uand ils ne sont pas du Jonathan Richman dans occupés à prêter main ces mots d’esprit du quotidien, forte à Herman Dune, ces airs paumés, ces humeurs ces trois Anglais mettent de clowns tristes qui les font passer leur euphorie, leur ironie et en un clin d’œil de la comptine leur urgence au service de leurs béate aux éclairs cinglants. propres chroniques griffonnées De la basse fidélité, mais de en direct d’un trottoir minable haut vol. Noémie Lecoq ou d’une station balnéaire www.thewavepictures.com abandonnée. Il y a évidemment

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Josh T. Pearson Last of the Country Gentlemen Quand il ne fait pas des crêpes dans son étrange échoppe country parisienne, l’ancien leader des trop méconnus Lift To Experience revient enfin à ses chansons hallucinées : au piano solennel, la plus belle barbe du rock américain file une rouste à Nick Cave, ou même à Jeff Buckley. www.myspace.com/joshtpearson

The Go! Team T.O.R.N.A.D.O. La formidable Go! Team de Ian Parton sera de retour en début d’année, avec un album intitulé Rolling Blackouts. Un premier extrait, court mais déjà très très très excitant, a été publié et se télécharge d’un simple clic. www.lesinrocks.com

The Jolly Boys Rehab D’antiques Jamaïcains reprennent des tubes pop-rock (Lou Reed, Iggy Pop, les Doors, Johnny Cash, New Order…) en version mento (l’ancêtre du reggae). L’album sort le 8 novembre et ça commence dès maintenant avec Rehab d’Amy Winehouse. www.jollyboysmusic.com

Prismo Perfect Summer in the Kitchen Originaire de Brest, formé il y a à peine deux ans, le jeune trio Prismo Perfect déballe un rock noisy et industriel sous haute infuence Sonic Youth. Comme sur ce Summer in the Kitchen : l’été certes, mais l’été grunge. www.cqfd.com/weareradiocassette 27.10.2010 les inrockuptibles 93

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Anoraak 2/11 Lille, 5/11 Paris, Boule Noire, 6/11 Rennes, 13/11 Reims, 19/11 Montpellier, 20/11 Perpignan, 2/12 Angers, 16/12 Strasbourg, 18/12 Marseille Aaron 14 & 15/12 Paris, Casino de Paris Adam Kesher 6/11 Rennes, 10/11 Marseille, 12/11 ClermontFerrand, 26/11 Nancy, 27/11 Strasbourg, 1/12 Rouen Against Me! 7/11 Paris, Maroquinerie The Amplifetes 12/11 Caen, 13/11 Le Mans, 20/11 Le Havre, 26/11 Marseille Arcade Fire 24/11 Marseille, 26/11 Lyon Archie Bronson Outfit 31/10 Paris, Maroquinerie BB Brunes 24/11 Paris, Olympia Best Coast 3/12 Paris, Nouveau Casino

Bertrand Belin Une bonne raison d’aller voir Bertrand Belin sur scène : Hypernuit, son troisième album, est éblouissant, profond et mystérieux. 30/10 Perpignan, 4/11 Bordeaux, 5/11 Montluçon, 6/11 Tourcoing, 12/11 Tours, 18/11 Allonnes, 1/12 Paris, Boule Noire The Bewitched Hands 29/10 Rennes, 30/10 Vendôme, 4/11 Lyon, 5/11 Mulhouse, 6/11 Nancy, 8/11 Paris, Zénith, 10/11 Marseille, 11/11 Montpellier, 12/11 Arles, 19/11 Sannois, 20/11 Tourcoing, 24/11 Brest,

Crystal Castles 30/10 Paris, Cigale

25/11 Nantes, 26/11 Laval, 27/11 Angoulême Big Boi 5/11 Paris, Elysée Montmartre The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille The Bloody Beetroots 10/11 Paris, Grande Halle de la Villette Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Caribou 4/11 Montpellier, 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Cascadeur 29/10 Vendôme; 6/11 Brétignysur-Orge, 7/11 Paris, Cigale, 12/11 Arles, 20/11 Perpignan, 25/11 Amiens, 10/12 Rennes, 17/12 Mondorfles-Bains The Charlatans 4/11 Paris, Trabendo Chocolate Genius 24/11Paris, Boule Noire Clarika 6/12 Paris, Palace Lloyd Cole 5/11 Paris, Alhambra

Da Brasilians 11/11 Brest (+ Katerine), 17/11 Paris, Flèche d’Or, 19/11 Alençon (+ Katerine), 20/11 Lille (+ Katerine), 23/11 Strasbourg (+ Katerine), 26/11 Reims (+ Katerine), 30/11 Paris, Bataclan (+ Gush) Einstürzende Neubauten 16 & 17/11 Paris, Cité de la Musique Tiken Jah Fakoly 19/11 Perpignan Elysian Fields 28/10 Lausanne Foals 16/11 Lille, 17/11 Nantes, 19/11 ClermontFerrand, 20/11 Bordeaux, 21/11 Toulouse, 23/11 Lyon, 24/11 Strasbourg, 25/11 Paris, Elysée Montmartre Fortune 29/10 Massy, 5/11 Toulouse, 13/11 Reims, 20/11 Paris, Maroquinerie, 9/10 Rennes, 17/12 Saint-Lô, 18/12 Morlaix Chris Garneau 19/11 Blois, 20/11 Colmar, 25/11 Le Havre Godspeed You! Black Emperor 14/1 Paris, Grande Halle de la Villette, 28/1 Marseille, 1/2 Toulouse Goldfrapp 22/11 Paris, Trianon Gorillaz 22 & 23/11 Paris, Zénith Gossip 9/12 Paris, POPB, avec Metronomy, Hercules And Love Affair Gush 30/11 Paris, Bataclan Hangar 11/11 Amnéville, 12/11 Dijon, 16/11 Lille, 17/11 Paris, Maroquinerie

PJ Harvey Deux dates parisiennes pour l’immanquable PJ Harvey, à l’occasion de la sortie de son nouvel album, prévue pour février. 24 & 25/2 Paris, Olympia Hey Hey My My 23/11 Paris, Bataclan Inrocks Indie Club 19/11 Paris, Flèche d’Or, avec The Walkmen, Frangie & The Heartstrings Inrocks Indie Club décembre 17/12 Paris, Maroquinerie, avec White Lies, Iliketrains, The Vaccines Interpol 16/11 Marseille Emily Jane White 12/11 Strasbourg, 13/11 SaintMaixent, 15 & 16/11 Paris, Européen, 18/11 Orléans, 19/11 Toulouse, 20/11 La Rochesur-Yon, 22/11 Dijon, 23/11 Marseille, 24/11 Périgueux, 26/11 Aubenas John & Jehn 3/11 Strasbourg, 4/11 Dijon, 9/11 Paris, Flèche d’Or, 10/11 Caen, 11/11 Lorient Camélia Jordana 8/11 Paris, Cigale Junip 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Katerine 7/11 Paris, Cigale (Festival Les Inrocks Black XS), 19/11 Alençon, 20/11 Lille, 24/11 Lyon, 7/12 Paris, Casino de Paris, 9/12 SaintEtienne, 10/12 Lausanne La Fiancée 13 & 16/11 Paris, Ciné 13

The Lanskies 12/11 Lille, 19/11 Cherbourg, 11/12 Bordeaux Robin Leduc 17/11 Paris, Zèbre de Belleville Le Prince Miiaou 5/11 SainteCroix-Volvestre, 6/11 Bordeaux, 12/11 Lorient, 20/11 Bourgoin Festival Les Inrocks Black XS Du 3 au 9/11 à Paris, Lille, Nantes et Toulouse, avec LCD Soundsystem, Katerine, Anna Calvi, Scissor Sisters, Midlake, Beach House, John Grant, The Acorn, The Coral, Carl Barât, The Drums, Warpaint, Surfer Blood, Local Natives, La Patère Rose, Kele, Monarchy, Villagers, Theophilus London, etc. Alice Lewis 29/10 Nantes, 30/10 Brest Liars 27/10 Rennes, 28/10 Paris, Machine, 29/10 Dijon, 30/10 Vendôme, 31/10 Nantes Lykke Li 2/11 Paris, Maroquinerie Cheikh Lô 9/11 Paris, Divan du Monde Madjo 16/11 Paris, Maroquinerie Florent Marchet 29/10 Miramontde-Guyenne, 30/10 ClermontFerrand, 6/11 Tourcoing, 9/11 Paris, Café de la Danse, 19/11 Rouen, 26/11 Villeurbanne, 27/11 Delémont, 3/12 Cannes, 8/12 Lens, 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2 Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen,

7/5 Châteauroux, 20/5 Avoine Marina & The Diamonds 30/11 Paris, Alhambra Minitel Rose 6/11 Rennes, 20/11 Le Havre, 28/1 Orvault, 6/2 Tours Morcheeba 30/10 Marseille, 31/10 Toulouse, 1/11 Lyon Jean-Louis Murat 9/11 Falaise, 12/11 SaintChamond, 16/11 Nantes, 23/11 Paris, Alhambra My Bee’s Garden 30/10 Tourcoing, 1/11 Paris, Maroquinerie Yael Naim 7 & 8/12 Paris, Café de la Danse, 20/1 Caen, 21/1 Rouen, 22/1 Alençon, 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon JP Nataf 8/11 Cébazat, 9/11 Unieux, 13/11 Franconville, 18/11 Avernes, 19/11 Orléans, 20/11 Le Havre, 26/11 Beaucourt, 18/1 Paris, église SaintEustache The National 23/11 Paris, Olympia Nuits sonores Du 10 au 14/11 à Toulouse, avec Chloé, Ivan Smagghe, Pantha Du Prince, Erol Alkan… OMD 25/11 Paris, Casino de Paris La Patère Rose 5/11 Lille, 6/11 Paris, Cigale, 7/11 Nantes, 9/11 Toulouse

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Dès cette semaine

Raul Paz 5/11 Cherbourg, 9/11 Bordeaux, 11/11 Marseille, 12/11 Toulouse, 13/11 Etaples, 7/12 Paris, Bataclan, 11/12 Rouen, 15/12 Cébazat, 16/12 Lyon, 17/12 Montpellier, 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Petit Bateau x Kitsuné Maison En Vrai ! # 7 3/11 Paris, Boule Noire, dans le cadre du Festival Les Inrocks Black XS, avec School Of Seven Bells, Gold Future Joy Machine, Clock Opera Pias Nites 28/10 Paris, Flèche d’Or, avec Agnes Obel, An Pierlé, Daan

Plan B 16/11 Paris, Bataclan, 17/11 Lille Pony Pony Run Run 12/11 Paris, Zénith, 17/11 Bordeaux Professor Green 1/11 Paris, Nouveau Casino Puggy 8/11 Paris, Bataclan Festival Rockomotives Du 23 au 31/10, Vendôme, avec Le Prince Miiaou, Chapelier Fou, Gaétan Roussel, Cascadeur, Troy Von Balthazar, The Bewitched Hands… Scout Niblett 12/11 Lille, 13/11 Metz, 14/11 Grenoble, 15/11 Montpellier, 16/11 Lyon, 17/11 Belfort

Severin 13/11 Metz, 19/11 Evreux, 20/11 Tourcoing, 24/11 Palaiseau, 25/11 Orléans Sexy Sushi 29/10 Pau, 30/10 Limoges, 5/11 Brest, 6/11 Caen, 10/11 Orléans, 3/12 Paris, Cigale Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester Suede 28/11 Paris, Elysée Montmartre Supertramp 27/10 Lille Tame Impala 30/10 Tourcoing, 31/10 Nantes, 1/11 Paris, Maroquinerie These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou

Nouvelles locations

Yann Tiersen 21/11 ClermontFerrand, 22/11 Paris, Elysée Montmartre, 23/11 Marseille Trans Musicales de Rennes Du 8 au 11/12, avec Funeral Party, Gonjasufi, Stromae, M.I.A, Matthew Dear, Janelle Monáe... Tunng 26/10 Amiens Two Door Cinema Club 25/11 Paris, Olympia Vampire Weekend 17/11 Paris, Zénith Suzanne Vega 4/11 Paris, Théâtre Marigny Troy von Balthazar 26/10 Liège, 28/10 Roubaix, 29/10 Vendôme, 31/10 Dijon,

2/11 Lyon, 3/11 Bruxelles, 4/11 Paris, Point Ephémère, 5/11 Rouen, 8/11 Caen

En location

Catherine Watine (+ Maud Lübeck + Christelle Berthon), 26/11 Paris, Théâtre de la Reine Blanche Wavves 22/11 Paris, Point Ephémère

V. V. B rown Rose bonbon et pleines de bulles, les pop-songs de l’Anglaise V. V. Brown, cousine d’Amy Winehouse et Lily Allen, furent une des réjouissantes découvertes de 2010. 8/11 Marseille, 9/11 ClermontFerrand, 10/11 Strasbourg, 11/11 Lille, 13/11 Nantes, 15/11 Paris, Bataclan, 17/11 Toulouse

Emily Jane White 15 & 16/11 Paris, Européen Shannon Wright 8/11 Lille, 10/11 SaintNazaire, 11/11 Tours, 12/11 Magnyle-Hongre, 13/11 Angoulême, 14/11 Toulouse, 15/11 Marseille 18/11 Dundingen (Suisse), 19/11 Macon, 20/11 BourgoinJallieu, 21/11 Paris, Maroquinerie, 23/11 Rennes

Chateau Marmont en Technicolor

Tomasz Þór Veruson

aftershow

Festival Iceland Airwaves Du 13 au 17 octobre à Reykjavík Cinq soirées, une dizaine de salles et près de trois cents concerts. Chaque année, en octobre, le centre-ville de la capitale islandaise se voit envahi de groupes confirmés et de jeunes pousses : on y oublie la crise financière et le volcan en papillonnant de salle en cave, de musée en bar. De cette douzième édition, on retiendra la pop acidulée des sœurs scandinaves de Le Corps Mince De Françoise sur la scène du Sodoma (sic), l’electro en Technicolor de Chateau Marmont, devenu véritable machine de scène et dont on attend le premier album pour l’an prochain, et quelques jolies découvertes locales, comme le duo Feldberg et ses comptines sucrées, ou Amiina, formation islandaise rédigeant, après Air et Sigur Rós, un nouveau chapitre de l’histoire de la pop atmosphérique. Déception lors du concert fouillis de Junip, groupe du songwriter folk José González, pourtant auteur d’un des jolis disques folk de l’automne. Joie en revanche lors du set des Montréalais de Think About Life. Entre disco déjantée, rock psychotrope et pop rose bonbon, le groupe dispose de tous les atouts pour être champion de 2011. Dont un irrésistible tube en puissance, Sweet Sixteen, tout simplement le meilleur single entendu depuis Banquet de Bloc Party. Johanna Seban 27.10.2010 les inrockuptibles 95

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l’histoire de Patti et Robert A 63 ans, Patti Smith est restée fidèle à celle qu’elle était quand ses pas croisèrent ceux de Robert Mapplethorpe. Simple et sincère, elle raconte leur vie dans le New York underground des sixties-seventies.



e peux encore me connecter à la personne que j’ai été à tous les âges de ma vie, depuis l’enfance jusqu’à aujourd’hui. En fait, depuis que j’ai commencé à lire des livres. A partir du moment où j’ai lu, j’ai su que je voulais écrire. Dès que j’ai réalisé que des êtres humains avaient fait de l’art, que c’était une façon de contribuer à la société, j’ai su que je voulais être artiste. Ma mère travaillait dur comme serveuse, elle faisait en plus du repassage pour les autres. Mon père était ouvrier. J’ai grandi dans un quartier très pauvre du sud du New Jersey, où les gens étaient tous des travailleurs manuels qui s’épuisaient à la tâche. Très jeune, j’ai décidé que cette vie n’était pas pour moi, que je contribuerai à la société par l’art. Dans ce sens, je n’ai pas changé.”

Patti Smith parle doucement, calmement. On est dans un des salons du Théâtre de l’Odéon, où elle donnera une performance le soir même. Cheveux longs, lâchés, jeans troués, veste d’homme oversize, bonnet, elle est, à 63 ans, d’une simplicité et d’une sincérité touchantes, elle qui, contrairement à d’autres, se souvient d’où elle vient, fidèle à elle-même, celle qu’on avait baptisée la marraine du punk-rock. A l’heure où Keith Richards sort ses mémoires, Life, sous embargo et avec plan média, n’acceptant que des press junkets, ayant eu recours à un nègre pour les écrire, l’âme vraie du rock est plus que jamais incarnée par une Patti Smith parlant de son livre, le très beau Just Kids, qui sort sans le ridicule du star system. Le rock, dans ce livre, elle en parle, très peu – d’ailleurs le récit s’achève avec ses

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Linda Smith Bianucci

premiers concerts au CBGB et l’enregistrement de son premier album en 1975, Horses. Just Kids tient avant tout du roman d’initiation : c’est la Patti arrivée à New York en 1967, après avoir confié son bébé qu’elle a eu trop jeune à une famille d’accueil, qu’elle a choisi de raconter. La genèse de celle qui allait devenir la Patti Smith que l’on connaît. Elle débarque à New York sans argent, vit dans la rue, travaille chez Brentano’s, rencontre Robert Mapplethorpe, celui qui allait devenir l’un des plus grands photographes américains, passe son temps avec lui à dessiner et écrire, à s’aimer. Just Kids s’ouvre et se ferme sur sa mort, en 1989, du sida. “A l’évidence, il ne s’agit pas d’un livre rock’n’roll. Le jour précédent la mort de Robert, je lui avais promis d’écrire un livre sur notre amitié, l’amour que nous nous portions. Donc mon but n’était pas d’écrire sur le rock. Ma route m’a menée au rock’n’roll, mais avant il y a eu Robert. Je voulais aussi écrire un livre sur la loyauté, la découverte de soi, que ce soit à travers la poésie, le rock ou la photographie. Et que cela inspire d’autres générations. Car même si Robert est mort jeune, du sida, il n’était pas autodestructeur. Nous voulions tous les deux vivre.” On sait que les lyrics de Smith sont poétiques, qu’elle a publié des livres de poésie, qu’elle voue un culte depuis

son plus jeune âge à Rimbaud, mais l’écriture de Just Kids va au plus précis, évite les grandes phrases, les effets lyriques. Limpide et dénué d’amertume malgré les coups durs, son style est d’une fraîcheur salutaire aujourd’hui, restituant leur exaltation avec une innocence toujours intacte. “J’ai écrit ce livre pour Robert, et lui qui était hyper visuel ne lisait pas. J’ai donc voulu écrire un livre qu’un non-lecteur puisse lire, mais qu’un amoureux de la littérature puisse apprécier aussi. J’ai essayé de faire un film à travers les mots, avec, en tête, la Nouvelle Vague française, Au hasard Balthazar, les films de Godard, ou plus proche, Stranger than Paradise de Jarmusch.” Et elle s’est servi, pour ce livre qu’elle a pensé et écrit en plus de treize ans, de tous ses journaux intimes, où chaque détail était consigné, les coupes de cheveux qu’elle administre à Mapplethorpe à la lumière de la lune, ou l’atmosphère du New York des années 60 ou 70. Car Just Kids s’impose aussi comme une formidable cartographie du New York arty – du Lower East Side où se prostitue Robert Mapplethorpe aux chambres miteuses du Chelsea hotel où elle vit avec lui (et à un moment avec Sam Shepard), du hall de cet hôtel où elle croise William Burroughs au Max’s Kansas City où se rendent Warhol et sa clique, centre de la bohème new-yorkaise. C’est un temps où l’underground était possible que saisit et restitue Patti Smith – même Warhol, Ginsberg ou Burroughs apparaissent plus comme des caméos que comme de réels protagonistes de Just Kids. “Même si William Burroughs était mon ami, si je voyais Gregory Corso tout le temps, si Allen Ginsberg m’a beaucoup appris, je n’ai pas voulu leur consacrer trop de place et risquer de dévier de mon histoire avec Robert. Et puis à l’époque, tout était différent, il n’y avait pas un culte de la célébrité comme aujourd’hui. Je déteste le mot célébrité, et moi-même je ne me considère pas comme une célébrité, et cela m’ennuie toujours un peu quand les gens me prennent en photo avec leur portable dès que je suis au restaurant. A l’époque, je pouvais me retrouver sans problème assise dans une pièce à discuter avec Janis Joplin, un type des Byrds et un autre du Jefferson Airplane, alors qu’ils étaient connus et que moi j’étais juste une gamine qui travaillait dans une librairie. Il n’y avait pas tant d’écart entre nous. Nous étions habillés pareil, avions à peu près le même âge, et ils n’avaient pas de gardes du corps ou de voitures gigantesques, ils ne vivaient pas dans des VIP rooms. Ils venaient des années 60, des beatniks, des luttes politiques, sociétales, certains avaient été arrêtés… Ils inventaient une forme à mesure qu’ils vivaient et travaillaient.” C’est de cette invention que témoigne Just Kids. Nelly Kaprièlian Just Kids (Denoël), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, 336 pages, 20 €

en marge

un Noël bios ? Une avalanche de biographies de stars du rock ensevelit les librairies. Mais pourquoi ? Et surtout, pour qui ? Mais que se passe-t-il avec les vieux rockeurs ? Ce mois d’octobre s’accompagne en effet d’un déluge de biographies : Keith Richards, John Lennon, Paul McCartney, Janis Joplin (sans compter le livre de Patti Smith, qu’elle a au moins écrit elle-même, et qui est de la littérature). Et de l’opportunisme de certains auteurs français (Lennon de David Foenkinos) prêts à se greffer sur l’anniversaire de la mort des artistes (30 ans pour Lennon) pour vendre leurs opus. On peut comprendre que le monde de l’édition s’enflamme pour les vieilles légendes du rock : quoi de plus romanesque et édifiant que la vie d’un ex-dieu de la scène, mort ou à la retraite, qui aurait traversé tous les enfers du sex, drugs & rock’n’roll ? On le comprend d’autant mieux à l’approche de Noël (si, si, déjà !), la grosse bio ayant toujours eu des (faux) airs de cadeau idéal. Reste à savoir à quel sapin, et surtout à quel soulier, celle-ci sera destinée le 25 décembre. Car l’aspect le plus déconcertant de cet engouement ne porte pas tant sur sa nature que sur son… anachronisme. Alors qu’on peut dater le retour des guitares au début des années 2000, adjoint à l’émergence d’une jeune scène rock dynamique, les éditeurs se réveillent seulement. Mais voilà : déterrer les dinosaures du rock, capter l’héritage culturel de la musique qu’ils aiment, se documenter sur leurs idoles, les kids fans de rock l’ont déjà fait. On peut même dire qu’internet a formé une nouvelle génération de mélomanes et d’érudits issus de cette culture. Aussi, il y a fort à parier que si vous décidez d’offrir l’une de ces bios à votre petit cousin Alex, de 14 ans, il vous rira au nez. Et gardez-vous bien alors de la refiler à votre oncle Johnny : il vous la rendra navré en vous disant qu’il l’a déjà.

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Imaginons que l’auteur des Frères Karamazov n’est pas Dostoïevski mais Nietzsche…

Salman Rushdie Luka et le feu de la vie Une quête en mode blockbuster de jeux vidéo, qui finit par étouffer. En 1990, au lendemain de la promulgation de la fatwa le condamnant à la clandestinité, Salman Rushdie ripostait en signant un petit bijou de fantaisie, de fraîcheur et de drôlerie. Dans Haroun et la mer des histoires, le fils d’un conteur en panne d’éloquence partait à la recherche de la source des fictions, ce qui permettait à l’écrivain en exil d’opposer à la dictature mortifère du silence les vertus de l’imagination créative. Haroun était dédié au fils du romancier, Zafar, et repeignait la réalité du sous-continent indien aux couleurs de Lewis Carroll et des Beatles. Vingt ans plus tard, le fils cadet de Rushdie a, à son tour, droit à un livre, Luka et le feu de la vie. Reprenant les mêmes personnages, cette nouvelle quête a pour héros le jeune frère d’Haroun et pour but une seconde opération de sauvetage, destinée à tirer le conteur Rachid d’un sommeil létal. Mais Luka étant fan de jeux vidéo, son expédition puise dans ce genre de fiction ses rebondissements. Rushdie y perd paradoxalement de sa liberté, tant l’avalanche de coups de théâtre et d’emprunts aux mythologies diverses donne à la seconde moitié du livre des allures de blockbuster. Cette rencontre entre la verve de Rushdie et l’univers des images de synthèse se teinte de surenchère. Le roman, liant l’existence même du “monde magique” à la capacité des artistes à lui donner “sa forme et ses lois”, s’affranchit au final de ces mêmes lois, et opte pour des facilités narratives dont le flirt avec le chaos risque de mettre le lecteur adulte KO. Bruno Juffin

Les Frères Karamazov de Richard Brooks (1958)

Plon, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, 215 pages, 18 €

de l’échangisme L’Etranger de Kafka, Le Cuirassé Potemkine d’Hitchcock… En changeant seulement le nom de l’auteur, l’œuvre devient autre. L’iconoclaste Pierre Bayard le démontre par a + b.



ux antipodes du poussiéreux Lagarde et Michard qui a traumatisé des générations entières de collégiens en leur infligeant une vision indigeste de l’histoire de la littérature, il y a Pierre Bayard, essayiste anticonformiste qui s’amuse depuis quelques livres déjà à bousculer les certitudes de la critique littéraire, avec autant d’intelligence que d’humour et une certaine dose d’irrévérence bienvenue. Dans L’Affaire du chien des Baskerville, enquête sur l’enquête menée par Sherlock Holmes qui vient de paraître en poche, il démontrait que le détective à la pipe s’était planté sur toute la ligne. Son dernier essai, Et si les œuvres changeaient d’auteur ?, s’inscrit plutôt dans le prolongement de Comment améliorer les œuvres ratées ?, où Pierre Bayard n’hésitait pas à qualifier de désolants Jean Santeuil de Proust ou L’Amour de Marguerite Duras, et s’autorisait même à opérer des corrections pour rattraper le ratage. Cette fois, il va encore plus loin dans la critique iconoclaste, invitant le lecteur à attribuer des textes ultracélèbres à d’autres auteurs afin de renouveler sa perception de l’œuvre, sans en changer la moindre virgule. Soit l’erreur érigée en révélation. Cela donne des intitulés de chapitres aussi déconcertants que “L’Etranger de Franz Kafka”, “Autant en emporte le vent de Léon Tolstoï” ou encore “L’Ethique de Sigmund Freud”. Tout le propos de cette démarche théorique décalée, qui évoque bien sûr la nouvelle “Pierre Ménard, auteur du Quichotte” de Borges, consiste à montrer que le nom de

l’auteur, lesté de toutes les représentations et images qui s’y rattachent – car “tout nom d’auteur est un roman” –, biaise l’accès à un texte. L’“écran biographique” parasite la lecture, la fige dans une réception étriquée, dans la mesure où l’on projette sur l’œuvre ce qu’on sait ou croit savoir de son auteur. Conscients de cet écueil, certains écrivains se sont inventés des identités artificielles, et Pierre Bayard revient sur deux des exemples les plus célèbres : Romain Gary/ Emile Ajar et Boris Vian/Vernon Sullivan. Si on voulait jouer les pisse-froid, on pourrait rétorquer à Pierre Bayard que cette question du rapport œuvre/auteur a été réglée par Roland Barthes en 1968 lorsqu’il a proclamé “la mort de l’auteur”. Sauf que l’approche de Barthes, qui implique de ne considérer l’œuvre que pour elle-même, plus radicale que celle de Bayard, est aussi nettement moins ludique et peut-être, même, moins féconde. Aussi gonflée et invraisemblable que paraisse la thèse de Pierre Bayard, elle s’avère extrêmement convaincante. Ainsi, par exemple, en inscrivant L’Etranger dans le corpus kafkaïen, Bayard met en relief la dimension de critique sociale et politique présente dans le roman “qui s’y trouvait certes, mais à bas bruit”. Changer le nom de l’auteur permet une nouvelle mise en perspective de l’œuvre, l’enrichit et en rénove la lecture en profondeur, si tant est que le lecteur, dont la créativité et l’imagination sont pleinement sollicitées, accepte de jouer le jeu. Il aurait tort de se priver de ce plaisir. Elisabeth Philippe Et si les œuvres changeaient d’auteur ? (Les Editions de Minuit), 176 pages, 15 €

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Foucault, un et multiple

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hilosophe dont la pensée contamine encore le paysage intellectuel contemporain, Michel Foucault a laissé en héritage une œuvre pléthorique, dont les usages varient selon les manières d’aborder ses écrits successifs. Ses détracteurs lui reprochent, rétrospectivement, l’absence de continuité de sa pensée. Comme si ses “erreurs” d’appréciation sur son temps (la révolution iranienne, par exemple) servaient de prétexte à disqualifier une œuvre qui prenait le risque de penser le présent, s’y arrimait autant qu’elle explorait les conditions historiques d’émergence des discours. Pire, ses lecteurs critiques soulignent ses changements conceptuels et méthodologiques comme l’indice d’une pensée fragile et inaboutie. Cette difficulté à rassembler d’un mot sa pensée fut à l’origine de bien des malentendus et de multiples réappropriations paradoxales. Au point que Foucault aurait été tout à la fois structuraliste et relativiste, antimarxiste et néomarxiste, libéral et postmoderne, positiviste et déconstructionniste… C’est précisément contre cette idée reçue de son incohérence que la philosophe foucaldienne Judith Revel s’élève dans une réflexion magistrale, Foucault, une pensée du discontinu : une archéologie de son œuvre, lue dans ses moindres plis, qui théorise clairement la réalité d’une cohérence interne à tous ses écrits. L’auteur ne néglige pas les césures dans le parcours foucaldien : celle du passage d’une réflexion linguistique et littéraire, centrée sur le champ discursif, à une réflexion politique s’intéressant aux pratiques et non plus au discours ; et celle qui voit un retour à l’éthique et à la subjectivité.

Ozkok/Sipa

A travers une éblouissante archéologie de son œuvre, la philosophe Judith Revel salue la cohérence de tous les écrits dispersés de Michel Foucault. Judith Revel prend acte de l’impossibilité de “fixer un parti pris de méthode susceptible de rendre compte de toute la recherche foucaldienne”. Mais, pour elle, ce mouvement erratique obéit à un “vrai travail de la discontinuité”. Foucault a construit “une pensée qui intègre la rupture, le saut, la différence, le changement”, en en faisant le moteur même de sa réflexion. En distinguant radicalement ce qui oppose des termes a priori proches comme la linéarité, la continuité, la cohérence et l’unité, Judith Revel éclaire la matière d’une pensée qui pose d’emblée la nécessité de son extension permanente. “La pensée de Foucault ne peut se réduire à la logique de la correction ou du démenti ; elle n’avance pas par vérifications d’erreurs successives mais par élargissements ; non pas une marche de crabe – une avancée dans le présent par exclusion/correction des formes passées – mais une spirale s’enroulant sur elle-même et dont la boucle n’a de cesse d’élargir son mouvement d’inclusion”, écrit Judith Revel. Une manière lumineuse d’acter l’extrême cohérence du parcours foucaldien, fondé sur un mouvement interne ouvrant à des questionnements répétés, reconfigurés, élargis, répondant non pas à une “logique de l’abandon” mais à une “logique de la relance”. Sans occulter l’analyse de ses concepts centraux (le biopouvoir, le dispositif, la subjectivation, l’invention de soi…), Judith Revel réinvente, de manière oblique et frontale à la fois, la lecture de l’œuvre de Michel Foucault. Jean-Marie Durand Foucault, une pensée du discontinu (Mille et une nuits), 300 pages, 18 € 27.10.2010 les inrockuptibles 99

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Le divan de Sigmund Freud, pas encore une antiquité

la psychanalyse à contre-courant Six mois après la controverse avec Michel Onfray, des psychanalystes réaffirment leur savoir : une pensée subversive à rebours de l’idéologie gestionnaire contemporaine.

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ssommés il y a six mois par le brûlot de Michel Onfray Le Crépuscule d’une idole – L’Affabulation freudienne, les psychanalystes bougent encore. A l’agitation hystérique d’une attaque ultramédiatisée succède enfin le calme propice à l’affirmation d’un savoir détesté d’abord par ceux qu’il trouble. Contrairement à ce qu’assénait Onfray, les héritiers de Freud ont des choses à dire, sur la société, ses souffrances secrètes, ses désirs malades – voire les libertins, comme l’analyse Alberto Eiguer dans Psychanalyse du libertin, une réflexion sur le désir de jouissance et l’affranchissement des contraintes. Les analystes n’évacuent pas non plus la réflexion critique sur leurs propres pratiques : aux carnets inédits de 1922 d’un ancien patient comblé par Freud, Ernst Blum, exhumés par Manfred Pohlen (En analyse avec Freud) font écho les commentaires de Michel Schneider sur l’héritage complexe de Jacques Lacan (Lacan, les années fauve). “Qui suis-je ? Que suis-je ? Que sais-je ?, voilà trois questions

qu’il nous aida, força même, à nous poser”, confesse Schneider, par ailleurs acerbe sur le narcissisme échevelé de son ex-maître. Mais, au-delà des secrets de divans, ce qui traverse le discours psychanalytique touche à sa puissance d’analyse de ce qui agite en profondeur notre époque. Comme si l’apport de Freud, culturel et politique, s’incarnait dans un souci plus vaste que le cadre de la cure, à l’image des textes fondateurs, Malaise dans la culture et Totem et Tabou, qui sondaient déjà le champ social dans ses largeurs incertaines. A l’intersection du collectif et du subjectif, la psychanalyse éclaire les mutations du lien social, de plus en plus fragilisé. C’est son grand sujet : “savoir comment l’être humain s’humanise”, selon les mots de Jean-Pierre Lebrun dans un entretien revigorant avec Vincent Flamand, La condition humaine n’est pas sans conditions. Car si le tigre naît tigre et sera tigre, “l’humain naît homme mais il faut, en plus, qu’il le devienne”. Sur cette question de l’humanisation et du fonctionnement du désir, la psychanalyse peut prétendre à quelque savoir. Or, Roland Gori souligne dans De quoi la psychanalyse

est-elle le nom ? que “le sujet démocratique se trouve aujourd’hui menacé par une civilisation qui fabrique un lien social et une subjectivité de masse dans laquelle le monde commun, qui relie non seulement les individus entre eux mais aussi en eux, est en train de se perdre”. C’est en portant une attention à la trace, au détail de chaque histoire individuelle, en reconnaissant la dimension tragique et conflictuelle des êtres, qu’elle construit un savoir subversif dans une époque qui vise à transformer les sujets en objets à gérer. Tout ce qu’elle contient comme principes et défend comme pratiques contredit les exigences de la société actuelle (accélération, rentabilité, sujet sans histoire, oubli de la complexité…). “Au moment où le pétainisme culturel tend à faire retour au sein même des systèmes symboliques dont le brûlot de Michel Onfray me semble un des derniers avatars, il me plaît de penser que la psychanalyse, malgré parfois les psychanalystes eux-mêmes, pourrait être le nom de cette vulnérabilité sensible que l’on appelle l’humanité, dont Jean Jaurès disait qu’elle n’existe pas encore ou à peine”, suggère Gori. La psychanalyse : antidote aux diktats et aux idéologies dominants des temps présents ? Si nous sommes les enfants de nos parents, “nous sommes aussi les enfants de notre époque”, rappelle Lebrun. Des enfants inquiets. Jean-Marie Durand De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? – Démocratie et subjectivité de Roland Gori (Denoël), 408 pages, 23 € Lacan, les années fauve de Michel Schneider (PUF), 240 pages, 24 € La condition humaine n’est pas sans conditions – Entretiens avec Vincent Flamand de Jean-Pierre Lebrun (Denoël), 300 pages, 22 € Psychanalyse du libertin d’Alberto Eiguer (Dunod), 168 pages, 21,50 € En analyse avec Freud de Manfred Pohlen, (Tallandier), 400 pages, 22,90 €

la 4e dimension Tony Blair, so hot

les secrets de Stieg Larsson

“J’étais comme un animal suivant son instinct.” Grrr, Tony, grand fou. Dans ses mémoires parus en septembre, l’ex-Premier ministre britannique raconte une nuit torride avec sa femme Cherie. Une prouesse littéraire qui lui vaut d’être nominé pour le Bad Sex Award qui honore les pires scènes de cul.

Une vie qui ressemble à un thriller. Dans un livre, un ami de l’auteur de la trilogie Millénium révèle qu’en 1977 Stieg Larsson, socialiste révolutionnaire, a entraîné des combattantes du front de libération marxiste en Erythrée, leur apprenant à manier la grenade lors de la guerre d’indépendance contre l’Ethiopie.

Nabe, l’invité surprise Le très controversé et autopublié Marc-Edouard Nabe, accusé d’antisémitisme et défenseur de Ben Laden, fait son apparition dans la deuxième sélection du prix Renaudot. Exit en revanche Virginie Despentes ou encore Philippe Forest.

vis la vie de Mimie Mathy Un livre dont vous êtes le héros. Chouette. Aux côtés de Joséphine, ange gardien, la fiancée des Français. Re-chouette. On dit merci aux éditions Comédia qui permettent de réaliser notre rêve de copiner avec Mimie Mathy.

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HORS-SÉRIE

Gianmarco Chieregato

20 monstres sacrés qui ont marqué la vie littéraire américaine du siècle passé.

voyage en Italie Avec une écriture hyper cinématographique, Simonetta Greggio déroule le roman de l’Italie contemporaine, de La Dolce Vita de Fellini à l’ère Berlusconi. Politique et poétique.

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ne décharge sexuelle. Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi, sa cascade de cheveux platine dégoulinant sur ses épaules nues, sa chair laiteuse et opalescente qui déborde d’une robe noire trop ajustée, et Marcello Mastroianni qui enlève ses chaussures pour la rejoindre, sombre, sobre et magnifique. La scène mythique, la plus célèbre de La Dolce Vita, exsude la sensualité et le désir. A sa sortie, en 1960, le chef-d’œuvre de Federico Fellini fera scandale, fiasco lors des projections en avant-première, avant de se voir décerner la Palme d’or à Cannes la même année. Ce film marque le début d’une nouvelle ère, d’une renaissance explosive de l’Italie d’après-guerre, qui peu à peu se libère de la tutelle de l’Eglise, chape de plomb qui étouffe les mœurs. “Née de la faim et de la rage, cette Italie nouvelle sortie des ravages de la Seconde Guerre mondiale s’élance à la conquête de la vie et de l’art. Tout ce dont le pays a été privé se mue en force vitale”, écrit Simonetta Greggio, qui donne à son dernier livre le titre du film de Fellini, point de départ de ce roman de l’Italie contemporaine. Journaliste d’origine italienne installée en France, auteur de trois romans dont Col de l’Ange et Les Mains nues, Simonetta Greggio raconte, dans un français fiévreux, poétique et cinématographique, ces années incandescentes de bouleversement social, politique et artistique, ces années d’aspiration sans fin à la jouissance où “tout est extrême”. Visconti, Pasolini, Moravia, les Brigades rouges, le Vatican, la Mafia, Andreotti, Aldo Moro… Tous ces noms,

ces mots se mêlent dans un labyrinthe éclaté, une narration fragmentée, en apparence aussi décousue que les tableaux qui composent La Dolce Vita fellinienne. Le récit de faits divers, de meurtres et de complots politiques qui ont émaillé l’histoire italienne de 1959 à 1979 alterne avec les souvenirs d’un personnage fictif, le prince Malo. En 2010, retiré dans sa vaste demeure sicilienne, cet aristocrate qui a consacré sa vie aux plaisirs – les femmes, les orgies, les yachts entre Capri et Saint-Tropez – attend la mort et se confesse au père Saverio. Mais que cherche-t-il à expier, ses péchés ou ceux de son pays ? Dans ce dédale, une question sert de fil d’Ariane : comment l’Italie a-t-elle basculé dans le berlusconisme, avec sa “cohorte de nains de cour, de bouffons et de piliers de comptoir, d’incultes fiers de l’être, de bellâtres, footballeurs et putes au grand cœur…” ? Simonetta Greggio y répond par un livre en noir et blanc, où la jeunesse insouciante de La Dolce Vita contraste avec la déréliction actuelle, la lumière des ciels romains avec l’opacité des années de plomb et surtout celle des manœuvres politiques souterraines sur fond d’affrontements entre l’extrême gauche et l’extrême droite fasciste. Cette fresque historique soutenue par un suspense digne d’un giallo rappelle des films comme Nos meilleures années ou Il Divo, et permet surtout de comprendre l’Italie d’aujourd’hui, l’impasse dans laquelle elle s’est fourvoyée. Elisabeth Philippe Dolce vita 1959-1979 (Stock), 416 pages, 21,50 € 27.10.2010 les inrockuptibles 101

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Bret Easton Ellis OJack Kerouac OPhilip Roth OJ. D. Salinger OWilliam Burroughs OJames Ellroy OJohn Fante O Saul Bellow OAllen Ginsberg ORichard Brautigan OTruman OCapote O Joan Didion OHubert Selby Jr OSusan Sontag OToni Morrison OJim Harrison ODon DeLillo ORaymond Carver OJay McInerney OWilliam T. Vollmann

+ CD 8 titres

Sufjan Stevens, John Cale, Matmos ...

EN KIOSQUE DÈS MAINTENANT 21/10/10 15:49

se téléporte à Londres mercredi 27 On avec l’hypnotisant London Orbital de Iain Sinclair (Inculte, 656 pages, 25 €), livre de chevet de Will Self et J.G. Ballard. En marchant le long du périphérique M25 qui ceint la capitale britannique, l’auteur explore l’histoire et les mythes de l’Angleterre.

à venir Little Bob Story (Denoël) A la tête de Little Bob Story, inoubliable groupe français, Little Bob signe ses mémoires chez Denoël sous le simple titre Little Bob Story : immigré italien, exilé en France, il a connu l’usine au Havre à 16 ans avant de passer au rock au milieu des années 70. En plus de sa vie, Little Bob raconte la naissance du punk-rock, sa tournée avec Dr. Feelgood, ses rencontres avec Mink DeVille, Southside Johnny et les Animals. Mais aussi la dope, les galères, le succès, les galères encore. Bref, une vie de musicien de rock en France… Sortie le 9 novembre

drogues et guerre ouverte. jeudi 28 Sexe, On découvre la vie et l’intimité de Keith Richards avec Life (Robert Laffont, 608 pages, 22 €), autobiographie dans laquelle il règle notamment ses comptes avec Mick Jagger. Loin des querelles d’ego, on parfait sa connaissance de la guerre, la vraie, avec la lecture-performance de l’écrivain Jean-Yves Jouannais, auteur d’une Encyclopédie des guerres conçue comme un work in progress (Centre Pompidou, 19 h 30, www.centrepompidou.fr). ne zappe pas Ecrivains vendredi 29 On en séries, saison 2 (Léo Scheer, 500 pages, 20 €), soit les fictions télé par le prisme de la littérature : Olivier Rohe s’intéresse à Mad Men, Claro se souvient du Manège enchanté… Un condensé de pop culture.

Jean Genet centenaire A l’occasion du centenaire de la naissance de Jean Genet (né le 19 décembre 1910), une avalanche de publications lui rend hommage. Gallimard met les bouchées doubles : rééditions du Funambule, poème dédié à son amant Abdallah Bentaga, et de Querelle de Brest, accompagné du DVD du film de Fassbinder (coll. L’Imaginaire). Ajoutez à cela deux inédits, Lettres à Ibis et La Sentence. Le Théâtre de l’Odéon ne sera pas en reste, avec un cycle dédié à l’auteur du 23 au 27 novembre. Au programme : colloques, lectures (dont la pièce Elle dirigée par Olivier Py) et un récital du Condamné à mort par Jeanne Moreau et Etienne Daho.

essaie de comprendre samedi 30 On l’un des plus grands scandales

prend le temps dimanche 31 On de s’interroger, en compagnie d’Olivia Rosenthal, sur la condition humaine : “Sommes- nous vraiment libres ?” L’auteur de Que font les rennes après Noël ? (Verticales) sera au Merle Moqueur, la librairie du 104, à partir de 18 h.

Florence Aubenas

Patrice Normand

judiciaires de ces dernières années avec la sortie en poche de La Méprise de Florence Aubenas (Points, 256 pages, 6,80 €), le reportage que la journaliste a effectué au moment du procès d’Outreau de mai à juillet 2004.

104, rue d’Aubervilliers, Paris XIXe Irène Némirovsky, 1925

visite l’exposition que consacre lundi 1er On le Mémorial de la Shoah à Irène

38e Festival d’Angoulême

Némirovsky, l’auteur de Suite française, déportée à Auschwitz en 1942 et dont l’œuvre fut redécouverte en 2004. A noter également, la sortie d’Un destin en images (Denoël/Imec), ainsi que celle, en poche, le 9, du recueil Les Vierges et autres nouvelles (Folio). Il me semble parfois que je suis étrangère, Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris IVe

pour son dernier roman Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet (Gallimard), un hommage au detective novel à l’anglaise et à Agatha Christie, en forme de pastiche sophistiqué. France Culture > 16 h

collection Denise Epstein

joue au Cluedo avec Antoine Bello, mardi 2 On invité de l’émission A plus d’un titre

La prochaine édition du Festival international de bande dessinée d’Angoulême aura lieu du 27 au 30 janvier 2011, sous la présidence de Baru, grand prix de la Ville d’Angoulême 2010. De nombreuses expositions sont d’ores et déjà prévues : Baru et les auteurs de la réalité sociale (Etienne Davodeau, Manu Larcenet, Igort, Gipi…), Snoopy et son créateur Charles Schulz, la bande dessinée érotique… Et toujours, les rencontres internationales, les 24 heures de la bande dessinée…

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l’amour à mort Un récit érotico-gore du maître japonais Edogawa Ranpo adapté avec une élégante violence par Suehiro Maruo.

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a chenille, c’est le lieutenant Sunaga, héros de guerre revenu du front défiguré, démembré, sourd et muet, véritable monstre au corps tronqué. Sa famille l’a abandonné et seule sa femme, Tokiko, s’occupe de lui. Enfermé, caché, réduit à cet état de larve, il n’en éprouve pas moins du désir pour son épouse. Celle-ci, après s’être soumise au devoir conjugal, assouvit désormais avec lui ses propres pulsions. Profitant de ce corps à sa merci, tiraillée entre l’envie et le dégoût, elle le rejoint dans sa bestialité au cours de jeux sexuels frénétiques. Après L’Ile Panorama, c’est la deuxième adaptation d’Edogawa Ranpo (1894-1965), maître japonais du roman policier et artisan du genre eroguro (érotico-gore), par Suehiro Maruo. Cet auteur et dessinateur phare de la contre-culture japonaise est lui aussi fasciné par la violence et le sexe, mais aussi par le grotesque, les freaks, les corps difformes et mutilés. Son style s’adapte donc parfaitement à ce récit. De son dessin élégant et d’une grande finesse, Maruo dépeint explicitement des scènes d’une violence inouïe. Il montre des sexes avides, des bouches et des langues goulues, des chairs putrides et déliquescentes, des corps pleins de concupiscence, cherchant une revanche sur leur monstrueux destin. Torturés par le désespoir, mutuellement dépendants, l’un pour sa survie, l’autre pour l’assouvissement de ses désirs, Tokiko et son mari ne communiquent réellement que lors de leurs accouplements sauvages. Où finit l’amour, où commence la perversion ? Si La Chenille est un récit atroce et cru, il n’est pourtant jamais gratuit. Son message pacifiste est clair. La douleur et les souffrances de ce couple brisé par la guerre sont telles que l’on ressent bien plus de pitié que d’horreur. L’obscénité est ici transcendée, et ne subsiste finalement qu’une abyssale tristesse. Anne-Claire Norot

La Chenille (Le Lézard Noir), 152 pages, 16 €

Nicolas de Crécy Salvatore t. 4 ; Salvatore Intégrale Dupuis, 56 et 216 pages, 11,50 € et 21 €

Les toujours trépidantes aventures du chien Salvatore. Salvatore, le chien mécanicien prêt à tout, parviendra-t-il à rejoindre la belle Julie ? La truie Amandine retrouvera-t-elle son petit porcelet François, porté disparu depuis sa naissance ? La série animalière de Nicolas de Crécy, mouvementée et attachante, arrive sur les chapeaux de roue et sans essoufflement à son quatrième tome. Les protagonistes, loin d’être au bout de leur quête, poursuivent leurs équipées en s’empêtrant dans des situations toujours aussi délirantes : Amandine débarque chez des gothiques, Salvatore découvre l’univers de la mode et voit le doute perturber sa détermination. Pratiquant toujours aussi finement l’humour décalé, Nicolas de Crécy multiplie les trouvailles loufoques, les dialogues absurdes. Et ses héros animaliers sont autant de prétextes pour rire des travers de la société contemporaine. A noter que Salvatore se dote aussi d’une jolie intégrale en bichromie, dont la couleur sépia fait honneur au trait vif et inventif de l’auteur. A.-C. N. 27.10.2010 les inrockuptibles 103

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Xavier Lambours

poulpe géant Créé au Théâtre national de Bretagne à Rennes, le dernier spectacle de Philippe Decouflé, Octopus, joue les bêtes de scène.

A  première Re-Belles Sous l’égide de Simone de Beauvoir – “Pour désirer laisser des traces dans le monde, il faut en être solidaire” –, le WIP ouvre ses portes à une programmation 100 % “Re-Belles” et féminine. Graff, musique, danse, théâtre et cinéma se succèdent pendant quatre jours. Du 27 au 30 octobre au WIP, La Villette, Paris XIXe, www.wip-villette.com, entrée libre sur réservation au 01 40 03 75 33

réservez Des ruines de Jean-Luc Raharimanana, mise en scène Thierry Bédard “Une langue inouïe, chargée de rage et de révolte, puis de douleur, pour avouer sans honte l’envie de s’éloigner de ce monde insensé”, annonce Thierry Bédard. Un monologue joué par un jeune comédien congolais, Phil Darwin Nianga, connu dans le stand-up. Les 4 et 5 novembre à l’Athénor, Nantes, tél. 02 51 10 05 05, www.athenor.com

nnonçant la couleur, une chorégraphie autour de la beauté, Philippe Decouflé ose sans doute le plus risqué de ses paris, dans une carrière au long cours qui l’a vu inventer des mondes, titiller les girls du Crazy Horse, allumer les feux olympiques et, bientôt, dresser le Cirque du Soleil à Los Angeles. Au sortir de cet Octopus tout frais et qui va encore gagner en intensité avec les mois, on se dit que l’on devrait interdire le beau aux publicitaires et autres marchands du temple pour le réserver aux artisans du merveilleux que sont les chorégraphes. Decouflé, dans une succession de tableaux que la partition de Nosfell et Pierre Le Bourgeois enveloppe avec élégance, se lâche enfin. Jeux de jambes découpées par une lumière rasante, duo à fleur de peau – du plus bel effet lorsque l’une est noire et l’autre blanche –, tout y passe : en une heure et demie, fesses, seins, langues sont à la fête. Et les multiples oreilles du bon géant Christophe Salengro, invité cathodique du show, n’en croient pas leurs… yeux. Mine de rien, Decouflé, pas connu pour être le plus conceptuel de nos créateurs, met les pieds dans le genre. Et invite ainsi un danseur de tango qui, côté face, se révèle être une femme. Plus fort encore, sur une table d’arrière-cuisine, une Shiva aux bras multiples y va de son Ghérasim Luca, le poète roumain installé en France où il se suicidera – avec un extrait d’Hermétiquement ouverte. Et Clémence Gaillard en fait un numéro d’une redoutable efficacité, un éclat de rire qui se finit sur la vision enchantée d’un postérieur délicieux. Ce grotesque farceur joue sur une palette chromatique assez resserrée,

du noir et du sombre, des ponchos de cheveux bruns et des tapis de danse clairs. Encore une nouvelle piste : seuls les effets d’une caméra infrarouge, qui sur l’écran laisse apparaître des traces de rouge et de bleu, animent le plateau. Philippe Decouflé reprend son ouvrage là où il l’avait laissé, du côté du cabaret parisien le Crazy Horse, et crée des univers bondage “dans lequel on s’attache pour se libérer” : suspendus dans les airs ou simplement liés par des cordes au sol, ces corps sont avant tout sensuels. Et d’un seul coup, l’évidence est “decouflesque” : cet homme est amoureux de tous ses interprètes. Ce qui tombe bien lorsque vous avez la chance d’avoir une danseuse comme Meritxell Checa Esteban dans votre troupe. Octopus est également un joli hommage à ses maîtres : Philippe Decouflé cite ainsi, avec délicatesse, les kaléidoscopes d’Alwin Nikolais – l’Américain qu’il découvrit à Angers –, le petit peuple animal de Merce Cunningham et le Boléro de Maurice Béjart. Decouflé essaya dans sa jeunesse d’intégrer l’école du pape français de la danse moderne ; sans suite. Ou plutôt celle-ci. Octopus dit, sans nostalgie, que la danse se nourrit de ce passé pour inventer son avenir. Octopus s’étire parfois, au risque de nous perdre quelques instants en route. Et puis, de ses tentacules seconde peau, nous caresse dans le sens du poil. Vous ne saviez pas que les pieuvres en avaient ? Vous êtes bien chez Decouflé ! Philippe Noisette Octopus en tournée du 17 au 19 novembre à Nîmes, du 1er au 3 décembre à ClermontFerrand, du 15 au 18 à Brest, du 5 janvier au 4 février au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, www.cie-dca.com 

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Grand Guignol lyrique Réunissant le kitsch, le divin et le trash, le Triptyque de Puccini trouve en Philippe Jordan et Luca Ronconi deux exégètes hors pair. Jordan. Un ravissement des sens qu’on aurait tort d’opposer au kitsch des décors de Margherita Palli et à la mise en scène pince-sans-rire signée Luca Ronconi. Mariage de la carpe et du lapin, le propos de Puccini est d’abord de nous placer dans l’entre-deux d’une musique qui électrise et d’un théâtre que le fait divers fascine. Rendons grâce à Philippe Jordan

et à Luca Roconi d’être avec tant d’intelligence les porte-parole convaincants d’une tentative de démocratisation du lyrique qui ne tourne jamais le dos à l’excellence de la forme. Jubilatoire. Patrick Sourd Il Trittico (Il Tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi) de Giacomo Puccini, direction musicale Philippe Jordan, mise en scène Luca Ronconi, jusqu’au 27 octobre à l’Opéra Bastille, Paris XIIe

Ian Patrick

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ans une évidente volonté de renouer à l’opéra avec des histoires courtes chères au théâtre populaire, Giacomo Puccini se penche en 1918, à travers les trois volets de son Triptyque, sur des thèmes capables de mettre le grand public dans tous ses émois. Du crime passionnel (Il Tabarro) au miracle (Suor Angelica) et à l’arnaque au testament (Gianni Schicchi), les librettistes de Puccini distillent avec méchanceté et humour dans Il Trittico une palette d’émotions digne de celle des pièces à succès du Grand Guignol. Mais populaire ne veut pas dire trivial. Côté musique, la partition pourvoyeuse de voix sublimes se révèle, à travers le tissage fil à fil d’une multitude de références, comme un habit d’Arlequin lumineux qu’habite avec fougue et subtilité le chef Philippe

touille-univers L’histoire de l’évolution traitée de façon désopilante par Philippe Quesne.

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lus que le big bang, ce sont ses effets qui intéressent Philippe Quesne. Et plus encore que les effets, ce sont les rouages de la machinerie théâtrale qu’il aime montrer. Metteur en scène et plasticien doté d’un subtil sens de l’humour, il donne à voir avec ce spectacle un paysage en perpétuelle transformation. L’histoire du monde depuis les origines, si l’on veut. La longue durée, la soupe primitive, l’évolution, l’homme de Cro-Magnon, l’invention du feu… autant de thèmes sérieux mais transposés dans un imaginaire gentiment dérisoire. Il y a dans ce spectacle quelque chose du documentaire en train de s’élaborer, ou du parc à thème. Sujet du jour : le big bang. Sauf que tout cela est traité par une bande de loustics aussi charmants que maladroits. Les mêmes que dans les précédentes créations de Philippe Quesne, de La Démangeaison des ailes

à La Mélancolie des dragons. La scène est une toile vide ou une feuille blanche sur laquelle vont peu à peu s’inscrire les éléments d’une représentation toujours remise en cause, toujours remise en train. L’esthétique volontairement décalée renvoie à un univers de BD ou d’encyclopédies pour la jeunesse ; tout cela sous l’angle du jeu le plus sérieux du monde, les “héros” du spectacle étant les acteurs eux-mêmes ; artisans à l’œuvre, montant et démontant une suite d’installations en une incessante métamorphose. Sous le double signe de Darwin et d’Henri Focillon, une désopilante et bien jolie variation sur la vie des formes et l’histoire de l’évolution. Hugues Le Tanneur Big bang de et par Philippe Quesne, avec Gaëtan Vourc’h, Isabelle Angotti, Rodolphe Auté, du 3 au 7 novembre au Centre Pompidou, Paris IVe. En tournée les 17 et 18 novembre à Gand (Belgique), les 23 et 24 novembre à Tournai (Belgique). 27.10.2010 les inrockuptibles 105

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courtesy Galerie Anne de Villepoix, Paris

Alexei Kallima, Les ténèbres sont plus longues que la nuit, 2010

le pouvoir de dire niet vernissages Ora-Ito et Xavier Veilhan Le designer Ora-Ito a racheté le toit-terrasse de la Cité radieuse de Le Corbusier à Marseille, et y a d’ores et déjà programmé, pour juin, une exposition de Xavier Veilhan.

Ulla von Brandenburg Un film, une performance, un décor : Ulla von Brandenburg réinvente la règle des trois unités avec une exposition qui flirte avec la tragédie classique et fait la part belle à un chœur suédois de vingt-cinq personnes. A partir du 30 octobre à la galerie Art:Concept, 13, rue des Arquebusiers, Paris IIIe, www.galerieartconcept.com

Brion Gysin et Jean-Charles Massera L’Institut de Villeurbanne réunit l’écrivain Jean-Charles Massera et le peintre et poète Brion Gysin (décédé en 1986), pionnier du “cut-up” à la fin des 50’s et inventeur de la Dream Machine, susceptible de produire des effets psychédéliques. Brion Gysin: Dream Machine et Kiss My mondialisation par Jean-Charles Massera jusqu’au 28 novembre à l’Institut de Villeurbanne, 11, rue Docteur Dolard, www.i-ac.eu

Censure, manque de moyens, les artistes russes contemporains n’ont pas la partie facile. Une flopée d’expos françaises permet de voir que l’art n’en a pas fini avec le politique du côté de Moscou.



’est une visite au musée du Louvre, les yeux bandés, avec la seule voix du guide pour vous éclairer. Cette performance de Yuri Albert, membre du mouvement Aptart, qui dans les années 80 à Moscou organisait des expos en sous-main dans les appartements privés, pourrait être la métaphore d’une période russe, celle où l’accès aux œuvres historiques était filtré par le pouvoir. C’est aussi une manière d’introspection, un recueillement qui se passe de tout commentaire politique. Mais l’art russe semble ne pas pouvoir y échapper : la politique le rattrape, même quand il lorgne un peu plus loin, vers ses propres sources littéraires ou conceptuelles. L’expo au Louvre n’y a pas coupé. Une œuvre d’Avdeï Ter-Oganyan a manqué ne pas passer la frontière, puis a été décrochée par l’artiste, avant qu’il ne réaccroche. Sept des artistes, solidaires, avaient au passage menacé de boycotter l’expo. Pressions du lobby conservateur, notamment de l’Eglise orthodoxe qui, l’été dernier, gagnait son procès contre les deux commissaires d’une exposition montrant tout “l’art interdit” en Russie, volte-face répétées d’un pouvoir politique indécis, lenteurs bureaucratiques et légitimes réactions du milieu de l’art finissent par occuper toute la place et rendre les œuvres anecdotiques. Certes, l’histoire récente de l’art russe est fort liée à la contestation : des travaux sarcastiques des années 70 et du Sots art, qui renversait la propagande soviétique en imagerie pop,

aux installations et performances rocambolesques des années 90, qui collaient bien à la débandade anarchique et excitante de l’après-Perestroïka, quand tout était possible les artistes se sont fait activistes, utopistes et rebelles. Mais la fin des années 2000, années de crise et cependant de réorganisation de l’art contemporain en Russie, voit arriver une jeune génération d’artistes et de curators tournée davantage vers l’étranger et vers des formes d’expression moins artisanales, plus subtiles. A l’image de la peinture étendue d’Alexei Kallima, qui figure en trompe l’œil une expo en chantier, ou de la vidéo d’Olga Chernysheva, qui saisit sur la vitre de tableaux réalistes du XIXe siècle le reflet des spectateurs. Une manière de les inclure comme par magie dans ces scènes du passé et d’alimenter la croyance toute romantique en les interférences magnétiques entre le sujet qui observe et l’objet observé. Bien loin des interférences politiques. Judicaël Lavrador L’Art contemporain russe, de l’icône à l’avant-garde en passant par le musée jusqu’au 31 janvier au musée du Louvre, Paris Ier, www.louvre.fr Etats de l’artifice jusqu’au 2 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, www.mam.paris.fr Alexeï Kallima et Alexander Brodsky du 30 octobre au 31 décembre, à la galerie Anne de Villepoix, Paris IIIe, www.annedevillepoix.com Au présent jusqu’au 18 décembre, centre d’art Passerelle, à Brest www.france-russie2010.com

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la guerre de Buren

encadré

En écho à la polémique Murakami, Daniel Buren se souvient dans un livre de l’accueil controversé de ses colonnes dans la cour du Palais-Royal.

ex-critique d’art Où j’apprends que je ne suis plus critique d’art, mais critique d’expositions.

Daniel Buren/ADAGP

Photo-souvenir : état du chantier des colonnes du Palais-Royal stoppé par décision de justice trois semaines avant son achèvement, fin février 1986

O

n le sait, désormais, l’histoire de l’art s’écrit aussi à travers ses “grandes affaires” de censure. Il y eut ainsi l’affaire Mapplethorpe au début des années 1990, l’affaire Présumés innocents, débutée en 2000 et qui suit toujours son cours, et tout récemment l’affaire Murakami, qui suscita la fureur de groupuscules extrémistes soucieux de préserver l’intégrité du Château de Versailles. Avant que Daniel Buren ne signe des carrés pour Hermès (actuellement présentés au musée de la Monnaie, ces produits dérivés chatoyants combinent photos souvenirs et bandes de 8,7 cm de largeur, véritables étalons visuels instaurés par l’artiste au milieu des années 1960), l’artiste français fit lui aussi l’objet d’une vaste polémique Les éditions Actes Sud retracent le feuilleton en couleur des colonnes de Buren, l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire culturelle des années 1980. La première astuce de ce document inédit, qui compile archives personnelles, extraits de presse et procès-verbaux, consiste à commencer par la fin : le 8 janvier 2010, quatre ministres

de la Culture sont venus inaugurer dans le froid glacial du Palais-Royal “la restauration de l’œuvre de Daniel Buren”. Après des années de combat, de provoc et quelques formules assassines (Daniel Buren dénonçant le “vandalisme d’Etat” ou réclamant la destruction de sa propre pièce si les travaux de réfection ne sont pas entrepris à temps), l’artiste aura donc eu raison des contradictions de la politique culturelle française qui, dans le même temps, classe l’œuvre au titre des Monuments historiques et se refuse à engager des travaux jugés trop faramineux qui permettraient pourtant de maintenir en l’état ledit monument. Vingt-cinq ans plus tôt, Jack Lang et Claude Mollard, délégué aux Arts plastiques, passent commande à Buren pour la cour d’Honneur du Palais-Royal. On est en juillet 1985. Alors que l’artiste imagine un “anti-monument” génial, qui investit la totalité de l’esplanade et révèle les sous-sols à l’aide d’une dalle en verre, une véritable machine de guerre se met en place, favorisée par un contexte politique inédit – la première cohabitation.

On voit alors s’affronter deux camps, l’un réclamant “la décolonisation du PalaisRoyal” à grands renforts juridiques, l’autre défendant “un Paris vivant, pas un Paris enseveli dans un linceul, un Paris figé dans lequel rien ne doit bouger”. La décision reviendra à François Léotard, nouveau ministre de la Culture qui a hérité de ce dossier sensible, et c’est la popularité immédiate des colonnes (ouvertes au public le 30 juillet 1986 mais jamais inaugurées officiellement) qui mettra un terme aux polémiques. Entre-temps, le feuilleton Buren aura soulevé quelques-uns des sujets qui fâchent encore aujourd’hui. Comme le mélange explosif patrimoine/création contemporaine, l’éternel débat sur la restauration des œuvres publiques, mais aussi la dépendance trop forte qui existe entre un contexte politique changeant et la nécessaire continuité qui doit prévaloir en matière de politique culturelle. Claire Moulène Histoire du Palais-Royal, les deux plateaux de Daniel Buren (Actes Sud), 93 pages, 39 € Photos-souvenirs au carré jusqu’au 7 novembre à la Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, Paris VIe

Après avoir feuilleté les chroniques d’exposition de plusieurs revues – Artforum, Art Press ou Frieze –, l’historien d’art Jérôme Glicenstein et la sémiologue Françoise Rigat ont publié dans la revue Culture & Musées un constat accablant : langage stéréotypé, absence de commentaire négatif, jeu des chaises musicales où chacun est tour à tour critique et curateur, et voilà disparue cette bonne vieille “critique d’art des avant-gardes”, car celle d’aujourd’hui “est ‘promotionnelle’ par la force des choses” : “Il serait plus juste de parler de ‘publi-reportages’, voire de ‘publicité rédactionnelle”. Pas nouveau, ce bilan pointe le règne de “l’éventocratie”, qui ingère la critique dans son tout-promotionnel, et dénonce la torpeur des critiques d’art, protégés des rumeurs du monde par la novlangue de l’art contemporain. Mais ces analyses sont aussi injustes, mettant dans le même sac des revues différentes : ainsi, dans le magazine international Artforum, même la publicité des galeries a valeur d’information ! Quand les revues 02 ou Art 21 sont des plates-formes, offrant un point de vue localisé et orienté sur une scène de l’art devenue multipolaire. Mais surtout, que signifie cette volonté de distinguer une soi-disant “critique d’expositions”, corrompue par la promotion, d’une noble et idéale “critique d’art” ? Ici, nos spécialistes oublient que l’histoire de l’art s’écrit aujourd’hui par l’histoire des expositions, et passent à côté de “l’art de l’exposition”, qui offre une conception renouvelée de la notion même de critique d’art. Dans le même numéro de Culture & Musées, Florence Montagnon étudie ce moment ultracontemporain où “l’exposition se substitue à l’œuvre”. Et pour le coup, la “critique d’expositions” a de beaux jours devant elle.

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semaine critique de la mode

1 chère Inès de la Fressange Dans la catégorie “livre pour femmes souhaitant séduire”, La Parisienne se propose aujourd’hui de rafler la mise. Rédigé et illustré par Inès de la Fressange, l’ouvrage fait le tour de la capitale, de ses boutiques, bars, restos ou salons de beauté. C’est beau, complet. Tout y est pour avoir l’air cool et pimpante. Tout y est, en fait, pour dépenser son fric avec panache. Par les temps qui courent, c’est exactement ce dont le peuple avait besoin. Marc Beaugé La Parisienne d’Inès de la Fressange (Flammarion), 238 pages, 2 5 €

illustration Alexandra Compain-Tissier

2 vieille peau Tiens, parlons d’H&M, c’est l’occasion. L’enseigne suédoise s’est en effet lancée dans un étonnant combat pour la réhabilitation du pantalon en cuir, l’épouvantail absolu du vestiaire masculin. Ces dernières semaines, sur des publicités largement placardées dans le métro, un mannequin de la marque en arborait un, de couleur noire et d’aspect brillant. Résultat ? Jamais un mannequin n’aura eu l’air aussi abruti. Et rarement une publicité n’aura eu un effet aussi contraire à celui visé. Voilà. C’est tout pour H&M. M. B.

3 My Freedamn série très chic En plus d’être japonais, Rin Tanaka est photographe et historien de la mode. Depuis plus de quinze ans, il réunit ses deux passions dans My Freedamn, une série de livres retraçant l’histoire du vêtement américain grâce à des photos de pièces vintage minutieusement sélectionnées. Sorti en octobre, le numéro 9 des My Freedamn est un voyage fascinant dans les années 70 et 80, entre les vestes cradingues des hippies et les chaussures affûtées des punks. Laurent Laporte My Freedamn 9 de Rin Tanaka, (Cycleman Books), 218 p., 79 €

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en mode indé Autrefois réservée aux grosses écuries, la création de lignes de fringues s’est démocratisée et ouverte aux groupes indie. Cet hiver, on peut donc s’habiller en Kings Of Leon ou en Animal Collective.

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4 Denicourt toujours On le savait fou de sacs en cuir ou encore de sneakers, qu’il dessine depuis l’âge de 10 ans.  Mais dans la collection automne 2010 de Florian Denicourt, ce sont les combat boots modèle Seattle qui aimantent le regard. Montées sur une semelle Goodyear, elles sont une réinterprétation sexy et urbaine du modèle militaire introduit par l’armée US pendant la Seconde Guerre mondiale, et récupéré depuis par les subcultures punk, new-wave, grunge ou BDSM. Le plus de la version Denicourt : la touche Portier de nuit apportée par la lanière en cuir amovible.

es noces du rock et de la mode ne sont pas récentes. Du simple merchandising à de véritables lignes de mode, les musiciens ont tenté dès les années 60 d’habiller leurs fans à leur image : on pense ici aux vêtements créés par le collectif The Fool pour l’Apple Boutique des Beatles. Mais depuis la réduction dramatique de leurs ventes de disques, les musiciens sont plus que jamais à l’affût des possibilités de transformer leur fan-base en machine à cash – tout en flattant leur ego. Les Fashion Weeks sont, en ce sens, de bons révélateurs : désertés par les musiciens il y a dix ans encore, les défilés ressemblent aujourd’hui à un backstage de concert, où l’on croise des vedettes comme Kanye West ou Beth Ditto, venus en passionnés, mais aussi en espions. L’un et l’autre possèdent désormais leur ligne : Past Tell pour le premier, une collection chez Evans, spécialiste du XXXXXL outre-Manche, pour la seconde. D’autres artistes se sont contentés de prêter leur nom à des lignes qu’ils ont plus ou moins supervisées : pour le meilleur, on pense à la sublime série limitée créée par les Specials pour Fred Perry ; pour le pire, on rappellera que Liam Gallagher possède l’arrogance de s’imaginer créateur de mode avec Pretty Green, pillage consciencieux et surtaxé de plusieurs traditions urbaines anglaises (mods, lads, casuals…). La nouveauté est de voir le phénomène atteindre une scène indie-rock que l’on imaginait rétive à ce genre de frivolités : mais quand un modèle absolu d’intransigeance et de rigueur comme Sonic Youth lance ses collections (les marques X-Girl et Mirror/Dash, créées par leur bassiste Kim Gordon), cela ouvre des perspectives. Récemment, Animal Collective a ainsi commercialisé (pour une œuvre caritative) ses propres baskets (photo), alors que Weezer a passé un deal avec Hurley pour une ligne de vêtements cool et urbains top weez(er). Et, de Pete Doherty, qui a “créé” pour la marque Gio-Goi une collection sans âme, aux Kings Of Leon, qui se sont unis aux Parisiens Surface 2 Air (S2AxKOL) pour vendre à prix d’or des bandanas et des chemises en flanelle Deliverance, ce mariage de raison ne semble en être qu’à sa lune de miel. Vivement la collection Dylan chez Damart. JD Beauvallet

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Berroyer, mélomaniaque Dilettante à plein temps et spécialiste de rien, Berroyer envahit les ondes de sa présence loufoque pour dévoiler une discothèque à son image : foutraque et éclectique.



ttention, cet homme truste les médias. Télé (Arte), radio (Le Mouv’, France Culture), net (arteradio.com), cinéma (voir plus loin)… Jackie Berroyer a lui aussi son actu, comme tout le monde. Mais s’il se mble aujourd’hui se multiplier, pas question pour lui de s’inspirer de ces intellos rentiers postés à tous les carrefours d’audience. Lui s’inscrit dans le paysage sur ce mode flottant qui semble guider son parcours depuis qu’il fut au centre de l’image à Nulle part ailleurs (Canal+, au milieu des années 90) : une présence discontinue, des apparitions en périphérie qui ont donné de lui l’impression de ne jamais trop savoir où il se trouve tout en le devinant jamais très loin. “J’ai enregistré il y a peu une fiction pour France Culture où je jouais le rôle d’un journaliste : pas compliqué de poser des questions, hein ?” Pour quelle émission, ça passe quand ? “Euh… je sais pas. Sur France Culture, quoi.” Pas le genre à avoir un plan de carrière sur PowerPoint, Jackie Berroyer est le contre-modèle de tous les ramenards croisés dans le milieu consanguin show-biz-médias, ceux qui se castent tout seuls et se propulsent vers les sommets – dans leurs rêves. S’il remarque que le cinéma le laisse plutôt tranquille en ce moment (“On me dit ‘C’est la crise’, je préférerais ‘Je ne te trouve pas très bon’, ça me paraîtrait un argument acceptable. A quoi je répondrais ‘Pense à la postérité de ton film’, haha”), il sait aussi qu’il ne rentre pas toujours dans le cadre. Pas assez discipliné, trop connoté “ex d’Hara-Kiri et Charlie Hebdo”. “Je me tiens assez à l’écart et je ne sais pas faire de charme, alors on peut m’oublier assez facilement. Je sais aussi qu’on me trouve trop art et essai pour le populaire et trop popu pour l’art et essai.” Autre hypothèse : à l’image de son ancien rôle de standardiste à NPA, Berroyer est un court-circuit potentiel pour les bienséances, les pensées confortables, les certitudes de ceux qui s’imaginent avoir tout juste. Sa simple présence, embarrassée et vacillante, sa voix tremblée sont déjà porteuses d’un

pouvoir corrosif. Et puis que faire dans des médias souvent normatifs d’un bavard qui réfléchit avant de parler, laisse des blancs pendant lesquels sa parole semble à la croisée de tous les possibles – autodérision, citations philo, saillies, pensées obliques ? “De la radio”, lâche celui qui assure aussi la présentation de Cut up, l’excellente revue documentaire d’Arte. Le voici donc dès cette semaine entraîneur post-domenechien dans Comme un pied, le nouveau feuilleton d’arteradio.com. Avec cette tragi-comédie à la confection sonore ambitieuse, l’auteur Mariannick Bellot fait de l’auditeur un VIP dans les vestiaires d’un club de losers subitement happé par la mondialisation. Entre ambitions désinhibées et magouilles burlesques, Berroyer campe un coach réversible : sympa, largué puis détestable. “Je ne me suis inspiré de personne”, raconte celui qui, écolier rémois et “chèvre parmi les jaguars”, fut entraîné par Kopa et Fontaine. “La stratégie, j’y pompe rien. Mais j’ai des sensations dans les jambes quand je regarde un match !”. Silvain Gire, chef éditorial d’Arteradio : “Je voulais un de ces coachs sans aucune condition physique qui commandent le muscle des autres. Berroyer était idéal, avec cette nonchalance, c’est un maître du bullshit. Et un fantasme d’ado : il a gagné sa vie en faisant ce qu’il a voulu…” Berroyer, roi du je-m-en-foutisme ? Lui jure ne pas se forcer, ne pas jouer de rôle. Il n’a aucune vocation, ne va jamais au fond des choses, et alors ? Auteur, dialoguiste, acteur, porte-bonheur et déconneur, il connaît le versant négatif de l’éclectisme : la dispersion. Touche-à-tout et spécialiste de rien dans une époque individualiste et pragmatique ? L’heure dominicale qu’il a décrochée sur la nouvelle grille du Mouv’ – la radio de djeuns faite par les vieux, dixit Yassine Belattar – aide, pour une part infime, à relativiser.

“trop art et essai pour le populaire et trop popu pour l’art et essai”

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radio au poste

populisme

Jean-Philippe Baltel

Une certaine presse, dite de qualité, se complaît dans la détestation de l’avant-garde. Un populisme élitiste ?

Jackie Berroyer touche sa bille en rock’n’roll. Ancien critique à Charlie Hebdo, Rock and Folk, son premier livre s’appelait Rock’n’roll et Chocolat blanc (1979). Jackie a chez lui des 33t dont vous n’oseriez même pas rêver. Avec Mélomanie, il n’en revient pas d’être payé pour diffuser les disques qu’il passe à ses potes dans son salon. Alors pendant une heure, il joue à l’érudit foutraque et sans morgue. DJ lunaire d’une messe roots sous spliff, roi de l’ellipse et de l’annonce foirée. De Docteur Feelgood à Arcade Fire, sa programmation bricolée avec un esprit marabout bout de ficelle est imprévisible. De l’Ouliprock ? Peut-être pas aussi fortiche que Michka Assayas et son

Subjectif 21 (France Musique), pas aussi furieux que les manitous d’Helter Skelter (Radio Aligre), mais le plus réjouissant grâce à son sens de l’impro et sa rhétorique en roue libre : Jackie Berroyer est un jazzman free qui passe du rock. “Pour le moment, je n’ai pas de concept. On verra plus tard.” Dans quelques mois, il sera à l’affiche de Je suis un no man’s land, un film indé où il jouera le père de... Philippe Katerine. Une sacrée idée de producteur, mais un brin redondante, hum. Pascal Mouneyres Comme un pied,de Mariannick Bellot, arteradio.com, un épisode par semaine Mélomanie, le dimanche à 18 h, Le Mouv’ Cut up, un mardi par mois, vers minuit, Arte

Mobilisés comme un seul homme par la conscience soudaine de leur corps commun, les journalistes déplorent le “populisme” ambiant dont ils feraient les frais. Outre qu’il y aurait à redire à ce corporatisme refusant par principe la critique, fût-elle exagérée, on peut aussi faire le constat d’un populisme inversé : celui que les médias les plus dignes peuvent déployer à travers leur rejet des idées ou de l’avant-garde. Sur Can al+, les nouvelles émissions dites subversives (Un autre midi, Tout le monde il est beau) moquent l’art contemporain, selon une rhétorique usée, très loin des films que Brigitte Cornand réalisait autrefois sur cette chaîne, ou invitent comme témoins majeurs de leur époque les figures les plus installées de la vie intellectuelle médiatique (Minc, Attali…). Canal+ et France 2, même combat perdu pour la mise en scène d’une pensée originale, créative, loin des feux de la rampe bourgeoise. Au Nouvel Obs, le chef de la culture Jérôme Garcin s’en prend au Théâtre de l’Odéon, coupable d’organiser des rencontres avec des intellectuels et des romanciers. Et de convoquer, comme par hasard, Philippe Murray, le nouveau maître à penser des aigris, au secours de sa détestation pour “l’Homo Odeanus” et un intellectualisme à ses yeux dégoûtant (sa marque populiste). Comme si lire Don DeLillo, Patti Smith, écouter Salman Rushdie ou Umberto Ecco, réfléchir au droit ou à la démocratie ne constituait pas aussi la mission d’un théâtre ouvert sur l’époque, comme le croit le directeur de l’Odéon, Olivier Py. Les signes de cette moquerie de la pensée, de cette manière paresseuse et craintive d’en rire, proviennent souvent des lieux censés la promouvoir. Dans les médias, ce populisme avance, en dépit de ceux qui résistent à ses assauts désolants.

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nous parlons tous à peu près de la même manière, dans une forme de mimétisme inquiétant

incontournable

mots à maux

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ire la presse chaque jour, surtout à l’époque où il avait la charge de sa revue matinale sur France Inter, a permis à Frédéric Pommier d’intégrer les travers de l’écriture journalistique. Pire, il en a compris les règles et les usages, jusqu’à se sentir obligé d’en rire et de la prendre à revers. Dans une chronique qu’il tient chaque semaine dans l’émission de Pascale Clark Comme on nous parle (en plus de son autre chronique, “Pop Corner”, dans l’émission de Philippe Colin, 5-7 Boulevard), le journaliste espiègle se livre à un exercice jouissif de déconstruction du jargon médiatique. Il lui suffit de lire les journaux, d’écouter la télé et la radio pour qu’une idée s’impose facilement d’elle-même : les tics de langage et les

Emmanuelle Marchadour

Chaque semaine sur France Inter, le chroniqueur Frédéric Pommier croque les tics de langage qui contaminent le discours des médias. De quoi rire de son propre conformisme. formules passe-partout saturent l’espace médiatique, et par ricochet notre propre espace mental. Le langage a quelque chose d’un pouvoir nocif, quasi “totalitaire”, qui s’impose à nous, nous étreint et nous piège sans qu’on trouve les ressources pour échapper à son joug. Du coup, comme dit souvent Pommier, luimême victime de cette loi commune, nous parlons tous à peu près de la même manière, dans une forme de mimétisme inquiétant. Au point, par moments, de se crisper en entendant à tout bout de champ “c’est que du bonheur”, déjà brillamment analysé par l’anthropologue Eric Chauvier dans un essai paru chez Allia (Que du bonheur), ou encore “j’adore”, “c’est du grand n’importe quoi”,

“improbable”, “surréaliste”, “hallucinant”… Qui n’a pas entendu “Aznavour, j’adore, mais Dick Rivers, c’est juste pas possible” ? C’est juste pas possible, en effet. C’est ce que Frédéric Pommier appelle dans l’introduction du recueil de ses chroniques, des “maladies auditivement transmissibles” (MAT) : un poison qui circule dans les médias, réceptacle principal de notre langue appauvrie par le conformisme de ses mots choisis. “Si nos mots en toc et nos formules en tic se répandent si facilement, c’est bien sûr grâce aux médias et particulièrement à la télévision qui brasse et qui diffuse les différents niveaux de langue et toutes les petites maladies du parler d’aujourd’hui.” Son recueil ressemble à une petite et légère anthologie des mots et

des expressions à éviter autant que possible, jusqu’à ce que les prochains et encore secrets surgissent immanquablement : la machine sociale à fabriquer du conformisme linguistique ne s’arrête jamais. “Monter au créneau”, “revoir sa copie”, “reprendre la main”, “aller au chevet”, les “foules d’anonymes” “dans l’entourage”, “sous haute surveillance”, “jouer à la maison”, “le dernier des grands”, “revisiter” une œuvre, la question “faut-il avoir peur ?” (l’une des meilleures chroniques sur la “foulatrouille” des journalistes)… dessinent le paysage plat d’un langage social plus fort que la langue de chacun. Les journalistes, parce qu’on les entend plus que les autres, jouent malgré eux les porte-voix de cette douce monstruosité qui veut que les mots reflètent la pensée dominante, celle qui habite notre inconscient. Voilà, voilà, c’est clair. Jean-Marie Durand Mots en toc et formules en tic, petites maladies du parler d’aujourd’hui de Frédéric Pommier, (Seuil, France Inter), 171 pages, 1 3 €

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DVD

Olivier Jobard/Sipa

Une image du reportage de Grégoire Deniau et Olivier Jobard Traversée clandestine, qui a obtenu le prix Albert-Londres en 2005

les promesses de Londres Réunis dans un coffret DVD, les 26 prix Albert-Londres de l’audiovisuel montrent que le journalisme de télévision a définitivement acquis ses lettres de noblesse.

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vec son grand reportage Les Combattants de l’insolence, réalisé au cœur des mouvements moudjahidine en Afghanistan, Christophe de Ponfilly fut le premier réalisateur à recevoir le prix Albert-Londres de l’audiovisuel. Initié en 1985 par un ancien lauréat du prestigieux prix pour la presse écrite, Henri de Turenne, cet élargissement de la reconnaissance du travail d’enquête journalistique à l’espace télévisuel trouvait d’emblée son incarnation la plus juste. Comme son travail le confirmera par la suite, notamment à travers son splendide Massoud l’Afghan, Ponfilly imposa cette idée longtemps irrecevable pour l’aristocratie du métier que le journalisme télévisuel possédait aussi des ressources propres pour faire “œuvre”, c’est-à-dire affirmer un regard personnel sur un sujet d’actualité

un métier hanté par le spectre d’Albert Londres qui voulait “porter la plume dans la plaie”

sensible, intégrer de la chair et de l’affect dans une écriture trop souvent neutre et aseptisée. C’est précisément cet alliage complexe entre le souci de la collecte d’une information brute et le regard intime qui l’accompagne que le prix AlbertLondres n’a cessé de saluer. Réunis pour la première fois dans un coffret DVD, les 26 films récompensés répondent tous à ce défi paradoxal de vouloir parler de soi en parlant du monde, à faire résonner dans les éclats du monde extérieur ses propres images mentales. Le journalisme opéré par tous ces réalisateurs, de Philippe Rochot à Frédéric Laffont, de Gilles de Maistre à MarieMonique Robin, de Jean-Xavier et Thierry de Lestrade à Rithy Panh, de Manon Loizeau à Alexis Marant…, défend la conception d’un métier hanté par le spectre d’Albert Londres qui voulait “porter la plume dans la plaie”. Mais, par-delà cet héritage qui les rapproche, il est frappant de mesurer que leurs films exposent des écritures éloignées les unes des autres. A partir d’une grammaire partagée – contextualisation, enquête, témoignages collectés… –, les 26 films se dispersent entre une tradition assez classique et une

tentative plus radicale de renouveler le genre. La manière qu’a par exemple Danielle Arbid d’évoquer la guerre civile libanaise en mettant en scène ses propres souvenirs dans Seule avec la guerre (2001) rapproche le grand reportage du côté du documentaire intimiste, dont la puissance tient plus à l’art oblique de réfléchir le monde qu’à celui de le filmer frontalement. Les traces affectives témoignent autant du monde que les impacts des guerres sur l’asphalte. Le paysage de la géopolitique des trois dernières décennies que dessinent ces prix Albert-Londres – du Liban au Rwanda, du Cambodge à la Cisjordanie, du Vietnam à la Bosnie, de Sarajevo à Gaza…– n’exclut pas non plus les questions plus hexagonales et sociétales, comme l’illustre le dernier prix 2010 décerné au film de Jean-Robert Viallet, La Mise à mort du travail. Proche ou lointain, le monde qu’explorent ces enfants d’Albert Londres abrite des failles et des blessures que le journalisme a vocation à consigner. Jean-Marie Durand Grands reporters, les films du prix AlbertLondres (éditions Montparnasse, INA) 10 DVD, 70 €) 27.10.2010 les inrockuptibles 113

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Bernard Benant/Canal+

Borgia, créée par Tom Fontana pour Canal+

historique

le passé a de l’avenir Dans la foulée de Rome et Mad Men, les chaînes commandent des séries historiques en masse. Décryptage d’un phénomène.

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coop : Patrick de Carolis avait tout compris avant les autres. En remettant au goût du jour l’antique fiction “de patrimoine” (Les Rois maudits, remember ?) l’ancien président de France Télévisions avait carrément anticipé une tendance aujourd’hui mondiale, faisant de la série historique le nouveau parangon de l’ambition télévisuelle. Bon, on rigole un peu quand même. Comme d’habitude en termes de tendances, tout a commencé de l’autre côté de l’Atlantique, quand HBO a sorti de son chapeau ses fastueuses relectures du Western (Deadwood, 2004) et du péplum (Rome, 2005). Soit le toilettage à coup de sang et de cul de genres largement ronronnants. Depuis les publicitaires

années 1960 de Mad Men, apparus il y a trois ans, c’est encore pire. Le passé est définitivement revenu à la mode, même si l’idée de refaire une dramatique en costumes à l’ancienne fait flipper le moindre directeur des programmes sensé. Car une série historique en 2010 doit se montrer absolument moderne, en mélangeant quelques touches vintage et un point de vue radicalement contemporain sur le monde. De manière évidente, les angoisses de Don Draper éclairent les nôtres. Les blessures anciennes qu’il rallume pour lui-même altèrent indirectement nos peaux. En 2010, toute chaîne qui se respecte se doit de mettre à l’antenne, tourner, ou tout au moins développer une série historique. En septembre, l’alliance Martin Scorsese et Terence Winter (ancien scénariste des

Soprano) mettait en émoi la critique avec une saga sur la prohibition, Boardwalk Empire, située à Atlantic City. Carton pour HBO. Quelques semaines plus tard, TNT annonçait le développement d’un drame inspiré de l’univers du film noir. Hollywood and Vine évoquera la trajectoire d’un privé à Los Angeles durant les années 1950. La liste est encore longue. La semaine dernière, HBO expliquait que non, elle n’en avait pas marre, et commandait le pilote d’une série d’espionnage au temps de la guerre froide, pour l’instant sans titre. Aux commandes, on trouvera notamment le duo de producteurs Stephen Levinson et Mark Walhberg, déjà impliqué dans Boardwalk Empire. AMC, de son côté, prévoit rien moins que de recréer la construction du chemin de fer américain au

XIXe siècle dans Hell, tandis que ABC a mis sur ses plannings une série sur la compagnie aérienne Pan Am, fleuron du grand style américain des années… 1960 – Leonardo Di Caprio, dans Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg (2003), se faisait passer pour un de ses pilotes. Pourquoi cet amour démesuré du passé ? Les intentions pédagogiques existent, mais la soif du savoir n’explique pas tout – sauf en France, avec le très estimable Un village français. Outre qu’elles passionnent un public nostalgique, même des époques qu’il n’a pas connues (voire le succès actuel de Maison close sur Canal+, qui dépasse le million d’abonnés accros), les séries historiques donnent aux diffuseurs l’occasion de bander leurs muscles. Le prestige d’une chaîne se joue dans la valeur, y compris monétaire, de ses reconstitutions. A tel point que deux projets sur un même sujet peuvent exister en parallèle, comme c’est le cas actuellement avec la famille Renaissance des Borgia. Après avoir mis en sommeil Les Tudors, l’américaine Showtime va bientôt diffuser la première saison de sa série avec Jeremy Irons en vedette, tandis que Canal+ espère atteindre une dimension mondiale avec une énorme coproduction internationale en anglais (25 millions d’euros) écrite par Tom Fontana, ancien de Oz, en tournage actuellement à Prague. Borgia contre Borgia. “Le Vatican au XVe siècle, c’est Wall Street aujourd’hui”, a expliqué Fontana, qui a tout compris. Olivier Joyard

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brèves Genève Tous écrans Joli programme pour la 16e édition du précurseur festival genevois Tous écrans (1-7 novembre) consacré à la fois au cinéma et à la télévision. Côté séries, une compétition où l’on retrouve Rubicon, Treme, Maison close et une excitante nouveauté brésilienne sur la mafia intitulée Filhos do Carnaval ; des webséries du monde entier ; le producteur Mark Frost (Twin Peaks) honoré, etc.

NBC y croit Malgré des scores d’audience souvent moyens, la chaîne américaine NBC a décidé de commander des saisons complètes de trois de ses nouvelles séries : Law & Order Los Angeles, la comédie Outsourced et The Event. De quoi soulager Canal+, qui diffusera la dernière, une histoire de conspiration qui tente de reproduire les succès de 24 heures chrono et Lost. Hum.

Terry Richardson réchauffe Glee C’est la couverture du magazine américain GQ, et elle fait envie : Cory Monteith, Dianna Agron et Lea Michele, trois stars de Glee, posent pour Terry Richardson. Le résultat est presque aussi sexy que le shooting de Gossip Girl au printemps 2009. L’organisation Parents Television Council n’a pas aimé, estimant que les images sont “au bord de la pédophilie”. Les acteurs, qui interprètent des lycéens dans la série, ont entre 24 et 28 ans…

agenda télé Veronica Mars (TF6, le 29 à 19 h 40) Un classique de la série ado des années 2000, avec la délicieuse Kristen Bell, à ne pas confondre avec Christian Bale, même si des petits malins ont remarqué que ça se prononce pareil. Stargate Universe (Série Club, le 29 à 20 h 40) Troisième série (la meilleure) d’une franchise de science fiction réputée. L’esprit Star Trek est apparemment éternel. Les vrais geeks diront que ça n’a rien à voir.  Plus belle la vie (France 3, chaque soir à 20 h 10) Comment ça, on plaisante ? On préfère largement PBLV à pas mal de séries françaises dites respectables. Un vrai soap à l’anglaise avé l’accent et le soleil.

focus

vampires sexys L’alléchante True Blood revient pour une troisième saison. Pourquoi pas ? Chaque année, la cohorte des amateurs de True Blood semble grossir un peu plus. Envie de réveiller le vampire en soi ? Désir de regarder enfin une série qui ne s’embarrasse pas de chochoteries inutiles pour parler de la vie sexuelle, au sens le plus littéral du terme ? Peut-être est-ce tout simplement l’attrait éternel du soap opera qui donne envie de suivre les aventures de Sookie et ses amis suceurs de sang : rien ne nous est épargné en termes de rebondissements surjoués et de destins trop énormes pour être vrais. Dans cette saison 3 pleine de loups-garous, True Blood s’impose définitivement comme le pendant adulte de Twilight, en exhibant frontalement tout ce que la saga destinée aux ados dissimule délicatement. Contrôler ses pulsions ou leur laisser libre cours : la création d’Alan Ball (l’homme derrière Six Feet Under) pose sans arrêt cette question troublante et décortique avec acuité l’hystérie américaine autour du sexe. Elle parvient en même temps à glisser assez subtilement vers un questionnement de la norme et du genre dominants. Mais ce qui séduit surtout au fil des saisons, c’est sans doute le goût du bayou qui essaime chaque plan de la série, située dans le sud des Etats-Unis. Bizarrement, on finit par regarder True Blood comme une cousine éloignée de Twin Peaks. Le chef-d’œuvre de David Lynch, qui fête cette année ses vingt ans, épousait une géographie opposée – montagnes, pluie, froid – mais on y retrouvait le même goût pour les intrigues de petite ville où l’étrangeté d’un pays transpire par ses paysages et les attitudes de ses habitants. True Blood n’a pas la même force à nos yeux, mais elle mérite son succès. Olivier Joyard True Blood, saison 3. A partir du 2 novembre à 20 h 40, Orange Cinemax 27.10.2010 les inrockuptibles 115

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émissions du 27 octobre au 2 novembre

F. Poche

Schwarzy en 1984

La Galerie des glaces mise à nu Un soir au musée… documentaire de Michel Quinejure. Jeudi 28 octobre, 21 h 40, France 5

cyborg

I’ll be back, la totale Les quatre Terminator, la saga qui a changé la science-fiction.

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a saga Terminator en intégrale, accompagnée d’un documentaire de Didier Allouch I’ll Be Back : la saga Terminator. Similaire à un bonus basique de DVD, il vaut avant tout comme pense-bête, introduction aux quatre films. Si le mérite de James Cameron avec cette franchise a été d’établir la SF d’action comme genre, grâce à une maîtrise inédite des effets spéciaux numériques et des séquences de poursuite, on oublie ce qu’elle doit à Ridley Scott (Alien et Blade Runner), ainsi qu’à un vieil épisode d’Au-delà du réel, dont elle est en partie inspirée. Cela n’enlève rien au génie de Cameron, notamment son invention magistrale du cyborg tueur venu du futur, Terminator, à l’armature de métal couverte de chair et de peau lui donnant l’apparence d’un humain. Rôle qui a fait la gloire du culturiste Arnold Schwarzenegger, au point qu’on le surnommera Governator quand il deviendra gouverneur de Californie. Le premier Terminator sort en 1984, suivi par un brillant sequel en 1991, qui est une sorte d’apothéose des effets numériques et place Cameron au sommet du box-office. Autre élément important de la saga, qui semble avoir émergé peu à peu : l’humour, grâce auquel le Musclor ringard est devenu un acteur aimé – voir sa célèbre réplique : “I’ll be back.” Dimension comique accentuée dans Terminator 3 de Jonathan Mostow, qui combine idéalement road-movie et SF. Quant à Terminator Renaissance, le plus sombre, signé McG, il a la particularité de se dérouler entièrement dans le futur. Mais Arnold, réduit à un clone de synthèse, y brille par son absence. Vincent Ostria

Intégrale Terminator. Lundi 1er novembre, à partir de 14 h 15, Canal+

Tracks spécial Kervern et Delépine Magazine de David Combe et Jean-Marc Barbieux. Jeudi 28 octobre, 0 h 05, Arte

Le magazine phare d’Arte rencontre les émissaires de Groland. Hommage du meilleur magazine de la contreculture d’Arte à leurs confrères déments de Canal+, Benoît Delépine et Gustave Kervern, pères spirituels de Groland et réalisateurs du récent Mammuth. Dans l’arrièresalle d’un bistrot parisien, où ils passent une grande partie de leurs journées, les deux complices se confient, accompagnés de quelques camarades de comptoir comme le héros de leur film, Gérard Depardieu. Entre blagues de poivrot et éclairs de génie sur l’époque, les Grolandais mettent en pratique les codes d’un humour qui doit tout à leur maître, feu le professeur Choron. Bêtes et méchants, mais aussi lucides et humains, les Grolandais. JMD

La maniaque et luxueuse restauration de la Galerie des glaces à Versailles. Documentaire classique sur la restauration de la Galerie des glaces, véritable clou du spectaculaire château de Versailles. Il a fallu trois ans pour dépoussiérer, restaurer les peintures, réparer les bronzes et les stucs de cette incroyable pièce maîtresse donnant sur les jardins du château, qui se reflètent dans sa célèbre marqueterie de miroirs. L’occasion rêvée d’avoir un aperçu de ce qu’un visiteur ne pourra jamais voir d’aussi près in situ, à l’œil nu : le raffinement des dorures, les détails des peintures de Charles Le Brun, des figures mythologiques représentées dans les anfractuosités. V. O.

Blondincendiaire.com Documentaire de Barbara Schroeder. Dimanche 31 octobre à 23 h, France 3

Un fait divers tragique qui témoigne des dangers réels du virtuel. Retour sur un récent crime passionnel, avec au centre de l’affaire, une femme virtuelle. “Talhotblond” est le pseudo d’une charmante Américaine de 18 ans, adepte des forums de discussions. Deux amis vont tomber dans ses filets, jusqu’à ce que la jalousie gagne l’un d’eux. La tournure dramatique des événements témoigne des dérives d’internet, où mensonges et trahisons font le nid des manipulations sentimentales. Les conséquences se mesurent ici dans la réalité. Et laissent la justice encore impuissante face aux responsabilités de chacun sur la toile. Un terrain de jeu pouvant parfois devenir très dangereux. Alexandre Seba

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Bernard Barbereau

Le Bain turc, 1862 (détail)

La Vénitienne Téléfilm de Saara Saarela. Vendredi 29 octobre, 20 h 35, Arte

Polar à tiroirs où se bousculent diverses affaires politiques. Le vrai mystère de ce film, c’est la filière finlandaise. Pourquoi est-il coproduit par la Finlande et réalisé par une compatriote de Kaurismaki ? Rien ne l’explique dans le film lui-même, polar traditionnel fondé sur une nébuleuse enquête à propos d’un meurtre qui mêle dans un même geste souvenirs de la résistance communiste sous l’Occupation et allusions à l’affaire des frégates de Taïwan (sujets chers au scénariste, Gilles Perrault). Casting mené par Thierry Frémont, en flic (trop) intègre, secondé par quelques comédiens solides, comme l’attachant Laurent Terzieff dans l’un de ses derniers rôles. V. O.

Ingres portraits Grand’Art, émission de Hector Obalk. Dimanche 31 octobre, 20 h 10, Arte

L’historien d’art Hector Obalk décortique la peinture en alliant précision et décontraction. Vaguement irrévérencieux, en tout cas décontracté, Hector Obalk dépoussière la peinture, moderne ou classique. Mais pourquoi se met-il en scène, filmant les toiles avec son caméscope, enregistrant ses commentaires ? En tout cas, rien n’explique la présence muette d’Alain Finkielkraut lors de la visite guidée où Obalk détaille les portraits d’Ingres. Fasciné par les étoffes, les expressions et les espaces interstitiels dans les tableaux, le critique guide notre regard, allant jusqu’à déceler chez Ingres une prescience de la vidéo. Mais quid de l’influence de la photographie, inventée de son temps ? V. O.

la mécanique du Général Comment de Gaulle revint au pouvoir en 1958 grâce à un chantage au coup d’Etat.

Jean Pimentel

S  

alve d’émissions sur France Télévisions pour le quarantième anniversaire de la mort de Charles de Gaulle. Le premier volet, sur France 2, tourne autour de sa prise du pouvoir en 1958, révélant un aspect assez trouble de cette figure quasi sacrée. Au fil des documents et témoignages, il s’avère que de Gaulle, qui tentait depuis douze ans de revenir aux affaires, a utilisé la guerre d’Algérie et la menace d’un coup d’Etat militaire pour être nommé président du Conseil. Quitte à trahir ensuite l’extrême droite nationaliste qui lui avait permis cette manipulation. Je vous ai compris, de Gaulle 1958-1962, docu-fiction de Serge Moati, en première partie, avec un improbable Patrick Chesnais dans le rôle du Général, et de malencontreux raccords entre images d’archives et scènes imaginées, est moins convaincante, moins complète que le documentaire d’Hugues Nancy qui

Patrick Chesnais

suit, De Gaulle et l’Algérie, le prix du pouvoir. Très clair, il remet les événements en perspective et les points de vue des journalistes et historiens interviewés concordent remarquablement. V. O. De Gaulle, 40 ans après. Mardi 2 novembre, 20 h 35 et 22 h 05, France 2 27.10.2010 les inrockuptibles 117

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webrevue

l’INA pense global L’INA lance une ambitieuse webrevue qui entend donner une vision pointue mais accessible des industries culturelles, en plein boom.



ans sa superproduction journalistique Mainstream, parue il y a juste six mois, Frédéric Martel livrait une épaisse enquête sur les industries créatives. Fruit de quatre ans de travail dans trente pays, l’ouvrage dressait un état des lieux passionnant de la bataille mondiale qui fait rage autour des contenus de l’industrie de l’entertainment (voir Les Inrocks n° 748). L’auteur, qui pilote par ailleurs Masse critique sur France Culture, une émission consacrée au sujet, insistait sur l’importance accordée au travail de terrain dans sa démarche avec les 1 250 interviews qui faisaient la matière du livre. Toujours déterminé à travailler son sujet au corps, il lance ce mois-ci sous la houlette de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) un site qui se veut la “revue des industries créatives et des médias” (inaglobal.fr) dont l’intention est d’aborder la production culturelle mondiale sous un angle plus universitaire. De devenir un corpus souple et complet sur tout ce qui concerne la création, la production, la commercialisation des contenus créatifs culturels et immatériels. En d’autres termes de tout nous dire sur la télévision, la radio, le cinéma, la musique, les médias, les jeux vidéo… qui sont devenus en quelques décennies des enjeux majeurs des économies post industrielles.

“Lors de mes voyages, j’ai assisté aux changements gigantesques qui bouleversent les industries culturelles un peu partout dans le monde, raconte le journaliste. Or ces bouleversements sont assez peu connus en France et il m’a paru urgent de produire une info d’expertise sur ces évolutions.” Il se tourne alors vers l’INA dont l’une des missions, à côté de l’archivage et de la formation, concerne justement la recherche sur les industries culturelles. Tâche dont elle s’acquitte alors avec des revues plus ou moins confidentielles. “Inaglobal est un projet ambitieux pour l’INA, explique Mathieu Gallet, son jeune président. C’est une revue, au sens anglosaxon de review, en ligne et gratuite. Ce qui lui permettra de toucher un public beaucoup plus diversifié.” Sur le fond, Inaglobal apparaît comme un objet hybride. Pensé avec assez peu de moyens matériels (ceux “d’une start-up au sein de l’INA”, selon Martel), le site s’appuie sur un large réseau de chercheurs et de journalistes (400 personnes de 30 pays différents pour

le site s’appuie sur un large réseau de chercheurs et de journalistes

des contributions disponibles en français et en anglais) et chapeauté par un conseil scientifique (composés d’économistes, sociologues, journalistes...). Tourné “vers le temps long de la recherche”, le site propose des articles présentés avec une rigueur tout universitaire (une intro, une conclusion, des parties), mais dont certains n’apportent pas plus d’expertise que de nombreux médias souvent déjà en pointe sur ces questions. Il a cependant le mérite d’aborder des sujets journalistiquement brûlants avec un certain recul (les médias sociaux, le data journalisme, l’avenir du papier dans l’économie numérique) et d’ouvrir une fenêtre sur les industries culturelles dans les pays émergents (notamment les groupes de presse), trop souvent ignorées dans les médias français. “Le site est encore à un stade bêta de son développement”, prévient Martel, qui défend le positionnement pluraliste du site. Et sa capacité à devenir une référence exigeante et pertinente sur les groupes de presse. “Nous avons la capacité de faire des sujets pointus d’une vingtaine de pages sur les mangas en Corée du Sud, ce que ne peut pas se permettre un média classique, ni économiquement ni éditorialement.” Hugo Lindenberg www.inaglobal.fr

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in situ solidaire d’Haïti Ne pas oublier Haïti. Depuis le séisme de janvier, le pays se reconstruit peu à peu. Solidar’IT, un blog multimédia, donne la parole à ceux qui œuvrent pour redonner vie à l’île dévastée. Et met en lumière les initiatives et les personnalités présentes sur le terrain. http://solidar-it.net

le goût du monde Après le couchsurfing, voici le cooksurfing. En d’autres termes, partez manger chez l’habitant. Vous découvrirez les mets fait maison de chaque pays. Un moyen pratique et sympa de faire de nouvelles connaissances autour d’une bonne table. Inscription gratuite pour une invitation au voyage culinaire. livemyfood.com

la BBC cherche son PPD La BBC recherche des journalistes. La chaîne propose aux jeunes Français de lui soumettre des reportages, réalisés et présentés en anglais. Les candidats retenus pourront passer trois jours dans sa rédaction londonienne. Les participants doivent avoir entre 18 et 35 ans, et poster leur dossier en ligne avant le 31 janvier 2011. bbcfaiteslesnews.fr

vie de nerd Comment s’organise la vie digitale dans le monde ? La société d’études TNS a parcouru 46 pays, rencontré 50 000 personnes pour répondre à cette question. Un planisphère interactif en résulte, avec les différents modes de consommation pour chaque peuple. Les comportements peuvent aussi être répartis par tranches d’âge et permettent, entre autres, de comparer les chiffres de deux nations côte à côte. Interactif et instructif. discoverdigitallife.com

la revue du web Slate

Salon

La Vie des idées

l’étrange histoire des chaînes de courrier

comment naissent les bonnes idées ?

metaphysic rock

Elles prolifèrent sur la toile. Les chaînes de messages, porteuses de bonheur ou de malheur, selon le cas, ne datent pourtant pas d’internet. L’une des premières aurait été écrite en 1888 à Chicago. Ses destinataires devaient en réexpédier ensuite trois exemplaires. Son but était de récolter des fonds pour une académie de femmes missionnaires. Le système a vite été repris, pour différentes causes, et en s’adaptant aux nouveaux moyens de communication. tinyurl.com/39yaxmc

Dans son dernier livre, sous-titré “l‘histoire naturelle de l’innovation”, Steven Johnson affirme que les grandes idées ne naissent pas d’une illumination soudaine (les Anglais parlent d’un “eureka moment”), mais sont le fruit d’une longue période d’incubation. Une “intuition lente” en quelque sorte, favorisée par le changement d’environnement, les échanges et le partage d’informations. Des éléments parfaitement compris par une des entreprises les plus innovantes de notre époque : Google. tinyurl.com/33kyp2j

Le rock peut-il être un sujet d’intérêt pour la philosophie ? Dans Philosophie du rock, Roger Pouivet décrit les particularités existentielles de cette musique. Par exemple, un morceau de rock n’est pas la reproduction ou l’exécution d’une œuvre préexistante, sous forme de partition comme pour la musique classique par exemple, mais elle est créée lors de son enregistrement. Le genre se caractérise donc par son mode de production. Et s’inscrit dans le cadre des “arts de masse”, d’un accès économiquement et intellectuellement facile. tinyurl.com/2vmaurv

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invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS musique

Mawal, un parfum de Tanger

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vu du net

l’Allemagne et ses têtes de Turcs Les débats sur l’islam, l’immigration et “l’échec du multiculturalisme” font rage outre-Rhin. Les voix s’entrechoquent et résonnent sur le net.

 A

près des semaines d’agitation, elle a cru bon de crever l’abcès : le 16 octobre, devant les Jeunesses chrétiennes-démocrates, Angela Merkel a décrété “l’échec de la société multiculturelle” (bit.ly/ cOPsnR). La déclaration fait écho à une étude récente pointant le rejet de l’islam par l’opinion publique (bit.ly/bLnsN6), et vient exacerber un climat intellectuel tendu. Climat installé depuis la parution fin août d’un pavé jeté dans la mare par un membre du SPD, démissionnaire de la Bundesbank, le mal nommé Thilo Sarrazin (f24.my/9rffc5). En croisade contre l’islam, qu’il juge nuisible à la cohésion sociale du pays, l’auteur de Deutschland schafft sich ab (“L’Allemagne s’autodétruit”) tire à boulets rouges sur la diaspora turque et évoque les Juifs en s’appuyant sur des arguments génétiques très discutables (reportage et interview sous-titrés en anglais : bit.ly/aF9z4i). De vives polémiques ont éclaté entre les antiracistes et les divers soutiens de l’auteur, parmi les couches populaires ou les intellectuels : bit.ly/9No0g1. Le pouvoir se divise aussi : si le président de la République Christian Wulff défend la place des musulmans en Allemagne (bit. ly/c4xmnQ) et se fend d’une conférence commune avec le président turc Abdullah Gül (bit.ly/d4LX3a), le ministre Horst Seehofer se montre réticent à l’idée d’accueillir plus de migrants “de culture différente“ (bit.ly/9unS9f). L’opposition

rappelle la nécessité d’accueillir des travailleurs qualifiés (bit.ly/adsZlM) et la ministre de l’Education propose de reconnaître les diplômes étrangers (bit.ly/9PMbKr). Alors que la West German Broadcasting Corporation a réduit ses programmes en langue turque en 2009 (bit.ly/3ObgQa), bon nombre de voix rappellent pourtant que les efforts de brassage et la prévention des discriminations n’ont jamais été plus forts en Allemagne que ces derniers temps. Pendant le Mondial, la Mannschaft revendiquait fièrement sa diversité ethnique (bit.ly/byNHuA), incarnée surtout par le jeune Mesut Özil (ses plus belles actions et ses buts : bit.ly/9jMwAY). Les coups d’éclat du journaliste-star Günter Wallraff, qui enquêta récemment grimé en ouvrier africain (bit.ly/4e650Q), ont aussi fait couler beaucoup d’encre : bit.ly/WlfBX.  L’Europe quant à elle, s’interroge : l’Allemagne renoncerait-elle peu à peu à son modèle fraternel et cosmopolite ? La question taraude les observateurs turcs (bit.ly/9TGcw9), comme les voisins du Benelux (bit.ly/cGXncf). L’on compare Thilo Sarrazin avec d’autres figures, de Georges Frêche à Geert Wilders (bit.ly/c6FbGD ; bit.ly/c9kp9w). Dans l’Hexagone, d’aucuns sophistes droitiers rattachent sa thèse à leur vision de la France (bit.ly/dwk9Pr ; bit.ly/8Ykr5T). Et notre président, lui, réconforte Angela sa voisine préférée en lui contant fleurette sur les plages de Deauville, nous rapporte le Sarko Info : bit.ly/9T3vvt. Yal Sadat 27.10.2010 les inrockuptibles 121

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Le 6 novembre à l’Institut du monde arabe, Paris (Ve), avec l’Ensemble Andalou de Tanger. Abdelmoumen Abderrahim interprétera le meilleur du répertoire de sa ville natale. Découvrez le chant soufi et les liens tissés entre le chant spirituel marocain et la musique andalouse. A gagner : 5 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62 le mardi 2 novembre de 11 h 30 à 12 h.

DVD

White Material Un film de Claire Denis avec Isabelle Huppert. Quelque part en Afrique, dans une région en proie à la guerre civile, Maria refuse d’abandonner sa plantation de café avant la fin de la récolte, malgré la menace qui pèse sur elle et les siens. A gagner : 15 DVD. Appeler au 01 42 44 15 62 le mercredi 3 novembre de 11 h 30 à 12 h.

scène

Lulu, une tragédie-monstre Un spectacle de Frank Wedekind. Au Théâtre de la Colline, Paris (XXe), du 4 novembre au 23 décembre. Dans un monde dont l’érotisme semble devenu la loi, aucun homme ne résiste à Lulu, même si la mort est au bout de la jouissance. A gagner : 20 places pour 2 personnes les 9 et 10 novembre. Appeler au 01 42 44 15 62 le mardi 2 novembre de 12 h à 12 h 30.

expo

Brune Blonde A la Cinémathèque française, Paris (XIIe), du 6 octobre 2010 au 16 janvier 2011. Rythmée par de nombreuses projections d’extraits de films, l’exposition, conçue par Alain Bergala, a pour centre de gravité le cinéma et ses actrices mythiques : brunes, blondes et rousses ; cheveux courts ou cheveux longs ; voilées ou sensuelles. A gagner : 20 places. Appeler au 01 42 44 15 62 le mercredi 3 novembre de 12 h à 12 h 30.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 22/10/10 08:40

Make It Easy on Yourself de Burt Bacharach Un classique et un joli morceau. Pas sans défauts, mais avec cette beauté, ce lustre romantique que j’aime réellement. Il chante dessus, sa voix n’est pas terrible, mais… C’est le dernier livre que j’ai lu. Son auteur est un pur Américain – je ne suis pas certain que cela soit traduit en français, car c’est justement très… américain. J’ai détesté ce livre, qui ne parle que d’hommes, même si Michaels s’excuse beaucoup à ce propos. Mystères de Lisbonne Raúl Ruiz Un feuilleton grandiose et échevelé, brassant les pays, les générations et les destins.

The Social Network David Fincher La rencontre réussie du génial scénariste Aaron Sorkin et de la puissance visuelle de Fincher.

La Vie au ranch Sophie Letourneur Portrait aiguisé d’une bande de filles bien contemporaines par une jeune cinéaste douée.

The Age of Adz Sufjan Stevens Un nouvel album grandiose et bouleversant où la science musicale de l’auteur plonge dans les arcanes de la furie.

Mixed Race Tricky Un album à la fois sombre et rocksteady, sec et suintant.

Gonzo Lubitsch ou l’Incroyable Odyssée Nick Harkaway Un grand roman d’aventures mixant SF et pop culture.

Petite sœur, mon amour Joyce Carol Oates Une descente aux enfers au cœur de l’inconscient familial américain.

Swanlights Antony And The Johnsons Un album onirique et engagé, peuplé de fantômes.

On the Street de Bill Cunningham C’est une série sur le travail de ce photographe de New York, que j’adore. Il prend en photo des gens dans les rues, et le New York Times en fait une pleine page chaque dimanche pour rendre compte des tendances. Ce type est un gourou de la mode paradoxal : il vit comme un ermite. Le monde de la mode le vénère, mais il n’a d’autre ambition que d’observer le style des gens communs. recueilli par Thomas Burgel

Working Collectif D’édifiants témoignages de travailleurs mis en BD par une pléiade de dessinateurs.

Fragments Marilyn Monroe Des carnets intimes bouleversants de lucidité qui livrent un portrait morcelé de la star.

Au fond des bois Benoît Jacquot La troublante passion sexuelle d’une jeune bourgeoise et d’un hypnotiseur très fruste.

Le Passage aux escaliers Vincent Vanoli Visite émouvante dans l’universalité de l’est de la France.

Hypernuit Bertrand Belin Une curieuse chanson française, aux textes magnifiques et aux origines nomades.

Indignation Philip Roth Avec son acuité au vitriol, le grand écrivain démonte les étapes qui mèneront un jeune homme à la mort. Survival of the Dead de George A. Romero Un étonnant western gothique. Film socialisme de Jean-Luc Godard Une symphonie de cinéma polymorphe. Coffret Lisandro Alonso Quatre films de l’esthète argentin.

Asterios Polyp David Mazzucchelli L’odyssée désespérée d’un brillant intellectuel qui fait le point sur sa vie, par l’hyperdoué Mazzucchelli.

Les Déplacements du problème préparé et exécuté par Grand Magasin Théâtre de la Cité internationale, Paris Les embûches de la communication, par les trois comparses de Grand Magasin.

Marzuki Stevens

The Men’s Club de Leonard Michaels

Sufjan Stevens Le nouvel album de Sufjan Stevens, The Age of Adz, vient de sortir.

Mental Archeology Thea Djordjadze Credac, Ivry Matériaux pauvres, fragilité : l’art de la Géorgienne voyage dans des conditions précaires.

Le Cas de la famille Coleman texte et mise en scène Claudio Tolcachir Théâtre du RondPoint, Festival d’automne, Paris Un théâtre centré sur les rapports de groupe et les conflits qu’ils génèrent.

Gabriel Orozco Centre Pompidou L’artiste mexicain s’offre une rétrospective libérée des contraintes muséales. Ludique et enchanteur.

Salves conception Maguy Marin Théâtre des Abbesses, Paris Salves, sur le fil de l’émotion, de la révolte, de la peur, de l’épuisement. De l’euphorie également. Un spectacle d’une richesse inouïe.

Roman Opalka Galerie YvonLambert, Paris Une œuvre radicale et vouée à l’inachèvement.

Batman – L’Alliance des héros sur Wii Un sommet d’inventivité dû au très créatif studio WayForward.

Castlevania – Lords of Shadow sur PS3 et Xbox 360 Des univers inédits toujours aussi inspirés.

Halo – Reach sur Xbox 360 Nouvelle version de la saga Halo aux allures de best-of testamentaire.

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