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No.773 du 22 au 28 septembre 2010

France Télécom

au e v u o n

révélation sur les suicides

2.50€

Jamaïque

guerre de la coke

Philippe Katerine

M 01154 - 773-F: 2,50 €

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

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j’ai compté les chrétiens avec

Arielle Dombasle

“Houellebecq s’est acheté une tondeuse, mais il a peur de se couper les doigts”

Gaffiot/Steph/Pool/Visual Press Agency

O

n retrouve Arielle Dombasle assise sur les marches de l’église Saint-Thomas-d’Aquin. “Elle est fermée… Un dimanche… C’est assez symbolique de la désaffection de l’église catholique”, plaisante-t-elle. On s’assoit à côté d’elle. Elle fume une cigarette très fine, porte une robe kaki, des lunettes de soleil. “C’est l’église de ma paroisse, tout simplement. C’est un endroit où je viens très souvent. J’ai la nostalgie des églises mexicaines de mon enfance. En France, je me suis éloignée du culte, surtout de la manière dont il est pratiqué. Je continue à venir dans les églises vides, surtout celle-ci.” C’est dans cette église que jouait Couperin, compositeur, organiste et claveciniste français du XVIIe siècle, précise-t-elle. “J’ai chanté là d’ailleurs, le Pie Jesu du Requiem de Fauré, pour la messe d’enterrement de la sœur de Marisa Berenson qui était dans l’un des avions qui s’est écrasé sur le Pentagone le 11 septembre”, explique Arielle Dombasle. Elle ne s’estime pas forcément croyante, mais “infusée par la pensée catholique mexicaine. Au Mexique, la figure du prêtre est sacrée. Quand des prêtres prennent parti comme cela a été le cas en France après les expulsions de Roms, je suis toute proche d’eux”. Les récentes manifestations contre Benoît XVI en Angleterre ? “Les déploiements policiers qui font suite à ses déplacements, c’est tellement peu conforme à tout ce qu’on imagine que peut apporter la chrétienté.” Sur Benoît XVI lui-même : “Je sais qu’il s’est fait installer un piano dans ses appartements au Vatican, et qu’il a un chat qu’il ne veut pas quitter.” Arielle Dombasle nous montre le bâtiment qui jouxte l’église. “Vous voyez cet endroit ? C’est le siège du GIGN. C’est très discret, hein.” Un type déboule avec son enfant, un petit blond. Il hurle au téléphone : “Mais là, c’est Sarko qui s’en fout. Et Guéant, pareil, il s’en fout !” Le petit blond se dirige vers nous. “Cet enfant a l’air très mobile”, rit Arielle Dombasle. Les déboires de Sarkozy face à l’Union européenne ? “Il mène une espèce

de guérilla politique extrêmement choquante. Les peuples bougent, nous sommes une terre d’accueil et nous devons le rester. Tout ce qui peut entraver cette merveilleuse formule me choque.” Elle a déjà lu le dernier livre de Houellebecq, qu’elle connaît bien. “C’est pour moi son meilleur livre. C’est le roman le plus mélancolique et le plus contemporain qui soit. Il y parle de son gazon, un gazon qui pousse presque jusque sous ses fenêtres. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu qu’il s’était acheté une tondeuse, mais qu’il avait peur de se couper les doigts.” Le 20 octobre, Arielle Dombasle donnera un concert à Lille avec les musiciens de Katerine, Daven Keller et Philippe Eveno. La musique est au cœur de ses priorités. Avec Katerine et Gonzales encore ? “Oui, peut-être.” Cet été, elle a tourné avec Mocky, dans le grand entrepôt d’Emmaüs. “Un film très politique, qu’on a notamment tourné avec des prisonniers en réinsertion. C’est un film qui parle du crédit pour tous, des margoulins qui rachètent le crédit des pauvres pour devenir encore plus riches.” Arielle Dombasle n’a jamais joué avec Chabrol. Rohmer, qui fut son maître, avait écrit un livre sur Hitchcock avec Chabrol, mais il voyait plus Godard. “J’ai récemment revu Charlotte et son steak, le premier court de Rohmer, dans lequel on voit Godard. C’est un très bon acteur.” Trois personnes s’approchent de l’église. “Il reste encore quelques chrétiens vous voyez, ils sont trois.” Pierre Siankowski 22.09.2010 les inrockuptibles 5

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No 773 du 22 au 28 septembre 2010 couverture Philippe Katerine par Antoine Le Grand

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05 quoi encore ? Arielle Dombasle

10 courrier l’édito de Serge Kaganski

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 événement François Rousseau

l’extrême droite contre l’art

18 actu en images la semaine énervée

20 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

22 nouvelle tête Ana Girardot

24 ici un syndicaliste de Goodyear raconte

26 parts de marché Jean-Luc Delarue, un homme de paille ?

28 Philippe Katerine nouvel album timbré et familial

37 Chesnot/SIPA

37 le PS et la République les socialistes veulent sauver la patrie

39 que le meilleur perde les politiques en quête de défaites

41 presse citron

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revue d’info acide

43 contre-attaque la Goutte-d’Or : un Babel à Paname

45 propagenda 46 débats d’idées

Gazhole

ministres et bouches cousues

Michael Kamber/The New York Times/REA

à mort la crise

48 Mad Men saison 3 une série sur les années 60 qui résonne avec le monde d’aujourd’hui

54 suicides à France Télécom confessions d’un directeur régional

60 le travail, non merci ! ils ont bravé une norme sociale fondamentale et ils l’assument

70

66

66 Xavier Dolan l’intrépide rencontre avec le petit prodige du cinéma canadien, auteur des Amours imaginaires

70 guerre de la coke en Jamaïque 76 Patti Smith bio en avant-première, extraits de sa biographie : elle découvre le CBGB

John Londono

la traque de Dudus, parrain de la drogue

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected]

80 le film de la semaine Homme au bain de Christophe Honoré

82 sorties cinémas Chantraps, L’Amour fou, Hors-la-loi...

88 reportage Compte rendu du festival de Venise

90 le jeu de la semaine Metroid: Other M

92 le groupe de la semaine Interpol

94 mur du son Joann Sfar, Daho et Jeanne Moreau...

95 interview Cocoon

96 chroniques Ninja Tune, Raphaël, Lobi Traoré...

101 morceaux choisis The Bewitched Hand On The Top...

102 concerts Big Boi, Midnight Juggernauts...

104 le livre de la semaine Indignation de Philip Roth

106 chroniques romans David Foster Wallace, Teddy Wayne...

108 tendance Marilyn sur plusieurs fronts

110 agenda la semaine littéraire

111 bandes dessinées l’intégrale de Jerry Spring par Jijé

112 Une femme à Berlin + les spectacles de la semaine

114 Murakami à Versailles + les expos de la semaine

116 semaine critique de la mode Les six tendances de la semaine…

118 Treme, l’après-Katrina La série jazzy sur La Nouvelle-Orléans

120 profil Marie Richeux

121 tendance Didier Varrod

122 séries les nouveautés de la rentrée US

124 programme télé Chick flick, films de filles

126 net : enquête la confidentialité des données

128 la revue du web web radio, Scorsese, 11 septembre

130 best-of le meilleur des dernières semaines 8 les inrockuptibles 22.09.2010

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rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin, Fabrice Ménaphron grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs David Balicki, Emily Barnett, Romain Blondeau, Thomas Blondeau, Jean-Christophe Bourcart, Michel-Antoine Burnier, Alexandra Compain-Tissier, Hector De La Vallée, Michel Despratx, Amélie Dubois, Pascal Dupont, Suzanne Fenn, Vincent Ferrané, Gazhole, Benedict Henry, Erwan Higuinen, Olivier Joyard, Daniel Lainé, Laurent Laporte, Christian Larrède, Judicaël Lavrador, Jean Lecointre, Nolwem Le Blevennec, Noémie Lecoq, Antoine Le Grand, Thomas Legrand, Hugues Le Tanneur, John Londono, Géraldine de Margerie, Léon Mercadet, Bernard Nicolas, Philippe Noisette, Vincent Ostria, Marjorie Philibert, Elisabeth Philippe, Emilie Refait, François Rousseau, Léo Soesanto lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrice web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary, graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Amélie Modenese, Thi-bao Hoang, Céline Benne, Caroline Fleur, Jérémy Davis conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Mathieu Gelézeau, Amankaï Araya publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 conseil en marketing presse Agence AME (numéro vert 0 800 590 593) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un encart abonnement 4 pages “Les Inrockuptibles” broché en page centrale dans toute l’édition ; une lettre 2 pages encartée dans l’édition abonnés de France métropolitaine.

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en attendant 2012

coupez ! Pour Claude Chabrol, né en 1930, le clap de fin est tombé ce dimanche. Il laisse une œuvre qui, malgré ce qu’il prétendait, contient des chefs-d’œuvre.

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2,50 €

Brésil

le pays où la gauche a réussi

L

e con !” C’est par ces mots qu’en 2003 Claude Chabrol avait réagi quand le hasard avait voulu que nous fussions les premiers à lui annoncer la mort du producteur Daniel Toscan du Plantier. La phrase dans sa bouche n’avait rien d’une insulte, mais quelque chose de populaire et d’affectueux. Chabrol n’avait pas peur de déroger et allait volontiers faire son histrion dans les médias (il en avait compris tous les ressorts spectaculaires) : c’est le seul cinéaste digne de ce nom qu’on vit un soir,

Romain le lapin, Lille

hommage à Claude Chabrol

No.772 du 15 au 21 septembre 2010

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grande Bretagne 3,50 GBP - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8000 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

Telle une montre en panne qui indique la bonne heure deux fois par jour, Nicolas Sarkozy a parfois été à la hauteur de sa fonction, par exemple lors du crash financier de septembre 2008, ou au moment de la crise grecque, quand il privilégiait la solidarité européenne aux égoïsmes nationaux. C’est dire que notre sarkophobie n’est pas pulsionnelle et que nous sommes prêts à reconnaître les très rares moments où Nico Ier a assuré. Mais sinon, quelle catastrophe ! Une économie atone, un Premier ministre sous l’éteignoir, un Parlement croupion, des superministres dépourvus de légitimité (Guéant, Guaino et consorts), des grands médias sous contrôle, l’affaire Woerth-Bettencourt, un ministre condamné pour propos racistes qui pratique une politique discriminatoire et anticonstitutionnelle, un esclandre au sommet européen qui sidère la planète... Au bout de trois années seulement, le bilan de Sarkozy est extraordinaire, au sens négatif du terme : institutions bafouées, principes républicains transgressés, image de la France saccagée, vivre-ensemble atomisé et justice sociale aux fraises. Ce n’est plus un quarteron de gauchistes qui hurle “halte au Sarko”, mais le monde entier, d’Angela Merkel à José Manuel Barroso, de Dominique de Villepin à Jean-Pierre Raffarin, de The Economist au Frankfurter Allgemeine. Que faire face à une telle faillite économique, institutionnelle, éthique et morale ? Ce week-end a surgi une mini-union de la gauche entre Hamon, Besancenot, le PC et les Verts – mais où était Mélenchon ? On a aussi vu des partisans de Ségolène Royal comparer Strauss-Kahn à Tapie. Oui, la gauche doit réfléchir, discuter, débattre, mais si elle ne veut pas revivre un 21 avril 2002, elle doit aussi comprendre la logique de nos institutions. Pour prendre le pouvoir, il faut gagner l’élection présidentielle, qui est un match au scrutin majoritaire et pas un défilé de toutes les tendances et sous-tendances politiques du pays, ni un concours de pureté. Pour la gagner, il faut un programme clair, costaud et crédible, et un candidat charismatique qui rassemble la gauche. En attendant 2012, les semaines vont être longues et lourdes : Nico Ier a le temps de faire beaucoup de coups tordus et d’enfoncer un peu plus le pays pour conserver le pouvoir. Grèves, manifs, protestations, tous les moyens devront être actionnés pour pourrir la fin de vie de ce gouvernement pourri. Serge Kaganski

C’est fou, je n’avais pas cuisiné de poulet au vinaigre depuis des années. Juste après avoir concocté ce plat dimanche midi, j’allume la radio et j’apprends le décès de Claude Chabrol...

Fillon écrase Sarko p.45 Chabrol , merci pour le cinéma

J’ai rencontré son cinéma indirectement, en croisant d’abord l’homme truculent et espiègle. Il était venu présenter L’Aurore de Murnau au ciné-club de la fac : un choc esthétique, l’essence même du cinéma. Et puis c’est le prénom de sa compagne, ce qui l’amusait beaucoup. Tout le faisait rire en fait, un rire qui devenait caustique dans ses films et qui savait railler l’esprit bourgeois avec tant de malice. Au cinéma, il reste une œuvre majeure et des chefsd’œuvre, même s’il s’en défendait. A moi, il me reste un bout de papier enfermé dans le boîtier DVD de L’homme qui en savait trop d’Hitchcock avec ce mot, “amicalement”, et une signature, “Claude Chabrol”. N. C.

nouvelle formule (…) Longtemps nostalgique de la période bimensuelle – une autre époque, tout simplement –, j’applaudis à tout rompre la nouvelle formule, plus dense, plus compacte, plus... musclée... (…) J’aime la pagination augmentée, l’intrusion osée dans le monde des idées (enfin !). Quant à la “moindre couverture” de l’actualité culturelle, ça ne me gêne pas tant que ça.(…) La couv’ “Lula” était gonflée mais réussie quand on lit le dossier. Je pourrais pinailler ici et là, regretter que la rubrique “buzz”, qui m’exaspère toujours autant, n’ait pas sauté, ou l’adoubement un peu prématuré de Monarchy... mais j’ai tenu entre mes mains un journal que je lis “comme au bon vieux temps”, du début à la fin, avec un réel intérêt. lu sur lesinrocks.com

précision : “pendant ce temps-là, la pub continue” La citation reprise dans l’article sur TF11 dans l’encadré “Pendant ce temps-là la pub continue” est à la fois sortie de son contexte et totalement déconnectée de l’ensemble des sujets que nous avons abordés ce jour-là. Il a beaucoup été question de la manière de conseiller les annonceurs sur les choix média, les choix de chaîne et de programme pour les écrans publicitaires. Toute la dimension qualitative de nos critères de sélection est occultée par la citation. Plus grave, elle laisse comprendre que cette dimension n’existe pas. Le fait de ne reprendre qu’une partie

du propos laisse penser que pour TF1 et peut-être pour les télés en général, nous allons au plus facile, comme si nous n’étions pas avant tout au service des marques pour lesquelles nous travaillons. Venez voir comment nous travaillons, à quel point nous prenons en compte les perceptions du public, en utilisant autant les études d’audience que les études qualitatives. 1. Cf. n° 772, p. 80

Zysla Belliat Directrice déléguée études et recherche Omnicom Media Group, directrice de BrandScience France

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction ça pétille Quand le grand reporter Inrocks en est à balancer des invites à la corbeille, c’est le signe que la rentrée est rentrée. Cocktails, premières, vernissages, fêtes, lancements, projets, bulles de champ, ça pétille.

le mot “On stigmatise les Roms” ; “On ne doit pas stigmatiser les Roms”… Pour condamner la déplorable politique de Sarkozy, les éditorialistes et l’opposition nous font tous les mêmes proclamations avec deux mots : stigmatiser et bouc émissaire. Laissons tomber ce dernier animal, que nul n’a vu depuis plus de deux mille ans. Mais qu’est-ce qu’un stigmatisé ? Un homme (ou une femme) qui reproduit sur lui-même les stigmates du Christ, soit des plaies aux mains, là où s’enfoncèrent les clous de la crucifixion. C’est un honneur, non une condamnation, et cela n’arrive qu’aux plus grands saints. Contresens, poncifs et antiquités religieuses : ne peut-on décrire la réalité moderne en termes modernes ?

Concert de Philippe Katerine lors de la soirée de lancement des Inrocks, le 14 septembre

Antoine Antoniol

[stigmatisés]

Electra/Leemage. Le Saint François de Gentile da Fabriano (vers 1405)

une rentrée qui pétille aussi en mode fight. Le Théâtre du Châtelet accueille une manifestation organisée par SOS Racisme, “Touche pas à ma nation”, qui vient relayer une pétition qui a déjà reçu plus de 50 000 signatures. Un texte qui s’oppose aux récentes actions et déclarations du gouvernement dans le domaine de l’immigration. A la tribune Harlem Désir, Robert Hue, Jean-Luc Mélenchon, Elisabeth Guigou ou encore Mouloud Aounit, le président du Mrap. Bref, cette fois, au Châtelet, c’était la fête à Sarkozy, Besson et Hortefeux. cerveaux Vendredi 10. Minuit. Soirée Brain Decade au Summer Social Club. Cinq DJ, cinq décennies. Joseph Mount de Metronomy décevant en set 70’s. Mais Mitch de Sexy Sushi en 90’s, TekiLatex en 00’s et surtout Acid Washed en 80’s ont allumé le feu dans une salle blindée et vodkalisée. Romain Gavras, Pedro Winter et Gaspard de Justice sont venus s’en jeter un petit en fin de soirée. Réussi. whisky, Edouard ! Samedi 11, aprèm. Brunch organisé par une marque de whisky. Pigeon, hareng et chocolat fumés, chou-fleur violet, cocktails au whisky. Fumeux. Mais le concert de La Fiancée et le DJ sets de Diane Lisarelli des Inrocks, Breakbot et Chateau Marmont. Coolos. La même aprèm, Miam Miam d’Edouard Baer au Théâtre Marigny. Un peu mou sur la fin, mais plutôt golri. Spéciale dédicace au cochon Papinou et au flow inspiré et bien débile d’Edouard. et Taser ! Paris, 2 heures du matin. Une fanfare déboule en plein boulevard Voltaire et joue pendant une heure. Les passants s’arrêtent, bonne ambiance, jusqu’à ce qu’un trompettiste soit “tasé” d’une fenêtre… Depuis quand les particuliers ont-il des Tasers ? guillotinés Reçu le Mitterrand et la guerre d’Algérie de Frédéric Brunnquell, Benjamin Stora et François Malye. Une démonstration

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save the arts

Face aux restrictions budgétaires, les artistes anglais se mobilisent. Ça clashe sur la scène artistique anglaise. La menace planait depuis juillet : le budget culture du gouvernement britannique devrait baisser de 30 à 50 % d’ici 2014. Une centaine d’artistes dont Damien Hirst, Jeremy Deller, Tracey Emin ou Anish Kapor et des institutions (la Tate Modern, l’ICA ou la Whitechapel Gallery) ont massivement manifesté leur désaccord et leur profonde inquiétude. Outre une pétition, ils ont lancé le site Save the Arts, sur lequel David Shrigley décrypte à l’aide d’un film d’animation hilarant les conséquences désastreuses d’une telle restriction.

David Shrigley

implacable. Le film passera le 28 septembre sur France 2. Ils racontent comment Mitterrand, ministre de Guy Mollet, a refusé la grâce dans 80 % des cas aux militants du FLN condamnés à mort. Quarante-cinq de ces militants ont été envoyés à la guillotine. Ça n’a pas empêché le même Mitterrand, devenu Président, d’abolir la peine de mort. Il a confié à Jean Lacouture : “J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là.” Le film a l’intelligence de ne pas juger et de se replacer dans le contexte de l’époque. A voir absolument. grand-duc à Belleville Mardi 14 septembre, 22 h : après avoir déserté le Centre Pompidou où se tiennent les vernissages du Mexicain Gabriel Orozco et du Français Saâdane Afif, prix Marcel Duchamp 2010, une centaine d’aficionados s’offrent une partie de plaisir aux Buttes-Chaumont. Le concept de ce flashmob orchestré par l’artiste Ariane Michel dans le cadre de la Biennale de Belleville ? Une vidéo animalière réalisée dans une forêt de la Meuse, rediffusée ici sur fond de nature artificielle. Clou du spectacle : la découverte d’un hibou grand-duc perché sur un arbre, à quelques mètres de l’écran, qui sidère une assemblée médusée et ravie de l’escapade. “fuck Domenech” Qui remet ça ? Ben Booba évidemment. Le rappeur débute la promo de son nouvel album (sortie prévue le 22 novembre) sobrement intitulé Lunatic, du nom du groupe culte qu’il formait avec Ali. Le premier extrait, Caesar Palace, a été balancé sur le net mercredi 15. L’occasion de se disputer dans la rédac sur la vacuité et/ou l’efficacité des punchlines comme “Fuck You, Fuck la France, Fuck Domenech” (qui ouvre le morceau), sur son flow et sur le clip léché à la manière d’un épisode des Experts : Las Vegas. A suivre. mad (wo)men Mercredi 15. Cocktail Canal de rentrée à l’Arc : dress-code Mad Men. Affolées par l’enjeu (figurer les sixties d’avant les sixties), les filles de l’antenne préparent leur look huit jours à l’avance, harcèlent les stylistes. Les mecs, plus détachés, ne s’y mettent que six jours avant. Contrat rempli : tout le monde s’y voit aussi mad, si ce n’est plus, que le collègue.

Jeremy Deller

Keystone

l’image

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le moment

Romain Perrocheau

girls movies Des filles en noir, le film splendide de Jean-Paul

point d’orgue

Dimanche 12, messe de 11 h à la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, une assistance fournie, Frédéric Ledroit est au clavier de l’orgue, un des plus imposants de France, un instrument que le grand Cochereau qualifia de “frère de Notre-Dame de Paris”. Frédéric Ledroit entame la messe par du Mozart, s’enflamme dans une impro, livre une compo de son répertoire avant un finale de Bach. L’organiste est prof au conservatoire d’Angoulême, c’est un musicien confirmé, déjà seize albums distribués dans le monde entier, il ne se doute pas de ce qui l’attend à la sortie de l’église. Il y a là un homme, sa barrette de Légion d’honneur en vue, qui se tient raide, martial. Il fait signe : “J’ai quelque chose à vous dire… en privé.” Sur un ton grave, il interroge : “Vous êtes croyant ?” Il insiste : “Vous m’avez empêché de prier, la messe, ce n’est pas un concert.” Le légionné conclut : “Je suis monsieur Millon, préfet !” Depuis, le musicien est inquiet. DJ de cathédrale, un boulot de rêve, sauf à Angoulême.

Dominique Tarlé/courtesy Genesis Publications

Quand un préfet fou de la messe s’en prend à Frédéric Ledroit, organiste célèbre.

Civeyrac, sur l’éternel spleen ado et provincial vu sous un angle romantique et légèrement gothique. On devrait entendre parler de Elise Lhomeau et Léa Tissier, magnifiques et vénéneuses filles en noir. Après le biopic sur les Runaways, et en attendant La Vie au ranch de Sophie Letourneur, sur un groupe de copines entre l’adolescence et l’âge adulte, il y a comme une minivague de girls movies. interchangeables ? Fête de lancement des Inrocks au Châtelet. Tout le monde voulant boire et fumer sur le grand balcon, on marche sur des pieds. Grâce à Pierre Siankowski, qui s’est porté volontaire pour pointer les invités, je peux faire croire à tous mes amis qu’aux Inrocks, il n’y a pas de hiérarchie et que nous sommes tous interchangeables : hier grand reporter à São Paulo, aujourd’hui ouvreuse au Châtelet, demain standardiste. Certains me croient. Jimmy Page en pages Vous ne verrez jamais plus Jimmy Page en concert. Le guitariste de Led Zep a 66 ans, mal au dos et ne peut plus tourner avec Robert Plant (qui sera seul à Paris en novembre). Mais voici Jimmy Page on Jimmy Page, the Book, à paraître à la fin du mois : “On m’a demandé mon autobiographie. Aucun intérêt. J’ai préféré faire une photobiographie.” Tiré à 2 500 exemplaires, 500 photos, 500 euros. Commandes sur genesispublications.com. nach Berlin ? Le même soir, on tente d’acheter un Paris-Berlin par train de nuit. Réponse SNCF : “Ce sont des trains allemands, c’est la DB qui gère les réservations et, pour le moment, ils nous bloquent l’accès informatique. On ne peut rien faire. Et c’est encore pire avec les Espagnols.” Alors que l’Europe économique est faite, que l’Europe politique et sociale sort par césarienne, l’Europe du rail déraille. nach Hitler ! Invité à un meeting des jeunes du Parti de la liberté, Berlusconi s’est lâché. Le Guardian, qui balance l’affaire, cite la blague : “Les partisans d’Adolf Hitler découvrent qu’il est toujours en vie et le supplient de revenir au pouvoir. Hitler résiste, puis répond : ‘D’accord mais à une condition… la prochaine fois, je serai vraiment méchant.’ ” La salle éclate de rire. L. M., B. Z., avec la rédaction

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l’extrême droite tentée par l’épuration culturelle Des groupuscules multiplient manifestations et actions sur le net pour imposer leur vision de la culture. Des manœuvres favorisées par un climat politique propice à tous les dérapages réac.

Eric Baudet/Fedephoto

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alvanisée par la politique ultrasécuritaire du gouvernement, l’extrême droite signe également son grand retour sur le front de la culture. La semaine dernière, le magazine Valeurs actuelles titre en une ce slogan moins inoffensif qu’il n’y paraît : “Art contemporain – le temps des bouffons.” En vrac, une attaque dans un dossier de huit pages de l’installation de Christian Boltanski au Grand Palais et des œuvres de Maurizio Cattelan. Mais ces critiques viennent surtout prendre le relais des polémiques déclenchées contre l’exposition Murakami à Versailles par des groupuscules d’extrême droite dont l’anonymat et le flou identitaire masquent mal les visées idéologiques. Déclenchée par un mouvement présidé par Arnaud-Aaron Upinsky, fondateur en 2007 de l’Union nationale des écrivains et auteur d’une très perverse Enquête au cœur de la censure publiée en 2003 (un comble pour celui qui se vante d’avoir participé au démantèlement des sculptures de Richard Serra aux Tuileries), la polémique versaillaise fantasme sur le caractère “pornographique” des sculptures pourtant bien innocentes de Murakami, et dénonce “la pollution visuelle”, “le désordre mental” et, sur un air xénophobe assumé, l’intolérable “choc des cultures” engendré par le parachutage de l’art contemporain dans les appartements royaux. La désinformation fait partie de l’arsenal : ainsi l’association se vante-t-elle d’avoir fait supprimer cet été au palais de Papes d’Avignon les masques sculptés par l’artiste Miquel Barceló, et qui recouvraient des gisants médiévaux – sauf qu’ils sont bien en place et toujours exposés.

Une opposante à l’expo “Muracami” (sic) à Versailles, le 14 septembre. Au menu de cette manif : banderoles ultraréac et parodies d’œuvres singeant l’histoire de l’art.

De bien vieilles ficelles en somme, que ces agitateurs isolés manient avec dextérité, usant et abusant d’opérations coup de poing médiatiques – telle cette fausse exposition d’art contemporain organisée devant les grilles du château de Versailles le jour du vernissage. Nouveauté, ils usent également de la puissance des réseaux sociaux, Facebook en tête. En effet, pas besoin de chercher bien loin (profil de l’administrateur de la page Facebook, réseau de friends et autres communautés) pour découvrir chez ces “puristes de l’art” de sérieuses accointances avec le FN, “Le Pen et le renouveau français”, ou des groupes qui s’intitulent “Fan de la jeunesse identitaire” ou qui conspuent “le racisme antiblanc.”

l’expo Murakami à Versailles : une “pollution visuelle”

L’affaire n’en reste pas là, d’autres médias prennent le relais de ces premières attaques, la stratégie de la toile ayant permis une couverture médiatique sans précédent (télévisions, presse nationale et étrangère, la fronde versaillaise ayant été retransmise jusqu’à Los Angeles et Tokyo). Et dans la foulée, ce sont les sempiternels dénonciateurs de “l’art comptant pour rien” qui refont surface : l’ancien ministre Luc Ferry, longuement interviewé par Valeurs actuelles, et l’académicien Marc Fumaroli, interrogé à la radio. Certes, la situation n’est plus la même qu’au milieu des années 1990, et la prétendue “crise de l’art contemporain” décrétée à l’époque n’est plus de mise, maintenant que l’art a regagné sa crédibilité, tant auprès du public nombreux des musées, expositions et autres Nuits Blanches qu’auprès des puissances financières, frappées de collectionnite aiguë. Reste qu’en matière de culture

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Très marqué à droite, l’hebdo dénonce le “triomphe du canul’art”. Des pieds-noirs proches du FN appellent à perturber les projections du film de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi.

il n’y a pas de situation acquise, et que ces attaques renouvelées installent une ambiance délétère. Les arts plastiques ne sont pas les seuls concernés : côté cinéma, c’est le film sur la guerre d’Algérie de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, présenté en mai à Cannes, en salle le 22 septembre, qui suscite la fureur de plusieurs collectifs de pieds-noirs, dont certains ouvertement proches du FN. Sur sa page Facebook, le collectif “Une main devant, une main derrière” appelle à inonder de boules puantes toutes les salles qui diffuseront ce qu’ils considèrent comme un “film de propagande antifrançaise et pro-djihadiste”. Parmi les commentaires, “merci les banlieues” et un ironique “Djihad à tout prix”, reviennent régulièrement. Encouragé sur la Croisette à manifester son désaccord, le collectif a reçu le soutien du député UMP Lionel Luca. Celui-ci affiche aujourd’hui, sur son site internet, une réponse virulente à la commissaire européenne Viviane Reding qui s’est prononcée contre la politique du gouvernement sarkozyste en matière d’expulsion des Roms. “Les propos scandaleux de la commissaire européenne, qui n’avait jusque-là brillé que par son inexistence, mettent la France en accusation alors que c’est le pays de l’Union européenne qui a le plus de demandeurs d’asile”, commente ainsi Lionel Luca avant de poursuivre : “Madame le commissaire européen confond allègrement la liberté de circulation avec la liberté d’installation…” Sur le fond, il n’y a rien ici de très nouveau sous le soleil. Mais en cette rentrée 2010, c’est un climat politique nauséabond qui fait le jeu des extrémistes. Historiquement, la culture, et l’art contemporain en particulier ont toujours constitué une cible de choix pour les parangons de l’extrême droite. En 1985, Bruno Mégret fit son entrée sur la scène politique en s’en prenant aux fameuses colonnes de Buren au Palais-Royal. Depuis, les attaques se sont multipliées

tous azimuts : le film Baise-moi de Virginie Despentes, retiré des salles à la suite d’une plainte déposée par l’association Promouvoir, proche du MNR de Bruno Mégret, le roman Plateforme de Michel Houellebecq dénoncé par la même association, Rose Bonbon de Nicolas Jones Gorlin, Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki, les photos de l’artiste Kiki Lamers, les cochons tatoués du Belge Wim Delvoye, attaqué par la très réactionnaire Fondation Brigitte Bardot, etc. Sans oublier les assauts dirigés contre les fonds régionaux d’art contemporain et le feuilleton au long cours de l’exposition Présumés innocents inaugurée en 2000 au CAPC de Bordeaux. Accusés de véhiculer des images à caractère pornographique par une association de protection de la petite enfance à l’idéologie notoirement douteuse, les trois commissaires de l’exposition firent les frais de près de dix ans de procès jusqu’à un non-lieu rendu au printemps dernier, qui ne suffira pas à effacer les séquelles que cette affaire a durablement laissées dans le paysage de l’art français. La preuve par exemple avec cette interdiction “préventive” aux moins de 18 ans, déjà annoncée pour l’exposition Larry Clark qui ouvrira au musée d’Art moderne de la Ville de Paris le 8 octobre. Reste, comme le rappelle l’une des commissaires impliquée dans l’affaire Présumés innocents, qu’il ne faut pas prendre ces attaques à la légère et penser qu’elles sont le fait d’agités marginaux. “Ce sont des structures hyper-médiatisées, capables d’actions musclées, et dotées d’une forte capacité de mobilisation, commente encore Stéphanie Moisdon, ces gens ont parmi eux des juristes, des avocats, des soutiens financiers suffisamment importants pour couvrir des frais de procès très longs. Ce genre de polémiques, notamment celles liées à l’art contemporain, leur permet de faire entendre leur point de vue extrémiste. C’est une vraie stratégie politique”. Claire Moulène et Jean-Max Colard 22.09.2010 les inrockuptibles 17

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John Thys/AFP

Prise de bec entre Nicolas Sarkozy et le président roumain Traian Basescu. “Les Roms nomades sont un problème européen”, dit Basescu. “C’est à la Roumanie de s’en occuper”, répond Sarkozy.

Alors que Sarkozy poursuit sa stratégie de la tension jusqu’au Conseil européen, la colère monte à Draguignan, où un gendarme est acquitté après avoir mortellement blessé un gitan. Autre révolte, celle des militants anti-sida, qui ont alerté les pouvoirs publics. Sans capote, mais calfeutré dans sa papamobile, Benoît XVI a quant à lui provoqué des remous outre-Manche. G. S. et A. L.

Jacques Demarthon/AFP

La semaine énervée

Lundi 20 septembre, devant l’Assemblée, des militants réclament un doublement des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida.

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Anwar Hussein collection/Sipa Stéphane Danna/AFP

Devant l’abbaye de Westminster, cathos et anti-pape manifestent à l’occasion de la visite de Benoît XVI.

Draguignan, 17 septembre : les proches de Joseph Guerdner expriment leur colère après l’acquittement du gendarme Christophe Monchai, accusé d’avoir mortellement blessé ce membre des gens du voyage. Guerdner avait été abattu alors qu’il tentait s’enfuir de la gendarmerie menottes aux poignets. 22.09.2010 les inrockuptibles 19

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retour de hype

“L’avantage, quand on sait maîtriser son expression, c’est qu’on n’a pas besoin de s'excuser après, connard.”

retour de bâton

hype buzz

pré-buzz Alain Delon dans le rôle de Le Pen au cinéma

“Ah tiens, quelque chose vient de tomber sur les lames de ton plancher.”

Elodie Bouchez

Berlusconi

“Ma vie est un enfer, j’ai Yakalelo dans la tête depuis treize ans.”

Les 10 ans du Ladyfest à Londres

The Doors Enzo Zidane

Des hommes et des dieux Les robes en viande

“C’est tes cheveux ou un bonnet ?”

Le Twitter du Quai d’Orsay “Ce soir, je fais une Delarue.”

Le Luxembourg

Alain Delon dans le rôle de Le Pen au cinéma “C’est lui qui me paraît avoir, physiquement et mentalement, et je dirais par le déroulement de sa vie, le plus de facilités à m’interpréter”, a déclaré le président du FN. Et pour Marine, Mathilde Seigner ? Les 10 ans du Ladyfest à Londres Né à Olympia aux USA,

ce festival féministe itinérant fête ses 10 ans les 12,13 et 14 novembre à Londres. Le Twitter du Quai d’Orsay a été piraté et a affiché pendant plusieurs heures “Fuck you Romanian people !” Elodie Bouchez fait un retour remarqué aux côtés d’une Marina Foïs génialissime dans Happy Few, le deuxième film d’Antony Cordier.

billet dur

C

her Michel Polnareff, Qu’apprends-je ? Tu vas être papa ?! Bravo, franchement, t’as pas été foutu de pondre une chanson en vingt-cinq ans et là, bingo, un moutard ! Pas Obispo ni Calogero, hein, pas un clone de plus, mais un vrai enfant bien à toi. J’ai vu ça comme tout le monde dans le numéro de Gala en 3D où tu poses avec Danyellah, ta fiancée. Je pensais d’ailleurs que c’était une créature en 3D, Danyellah, un de ces cyber-avatars dont tu as le secret. Eh bien non, grâce au relief, pas de doute, elle a bien un polnachinelle dans le tiroir. Elle existe donc, Danyellah, on apprend même dans l’article qu’elle est franco-ivoirienne. Sûr que vous étiez faits l’un pour l’autre, elle et toi le franco-yvoit-pas-grand-chose-non-plus. Tu as 66 ans, l’âge

où ici, en France, les gens devront bientôt continuer à travailler pour toucher une retraite à peu près digne. Toi, tu te la coules douce à Miami, enfin à L.A., et d’ici peu tu vas nous refaire tous les glaçages de couverture avec ton PolnaBB, comme tu l’appelles. Ta vie est un concept. Bientôt les gens ne se souviendront plus du génie pop que tu étais autrefois, seulement du culturiste exhibo que tu es devenu. L’interview, ceci dit, m’a bien fait poiler. Tu y parles même de politique, tu dis que tu t’es fantasmé en ministre de la Culture, mais “pas ministre de l’Intérieur, je viens de me prouver en tant que tel avec Danyellah”. Tout en doigté, ça promet pour l’éducation du Polnachiard ! Je t’embrasse pas, j’ai la toxoplasmose. Christophe Conte

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Ana Girardot Beauté diaphane et bitchy attitude : à 22 ans, elle est la révélation du film Simon Werner a disparu…

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on port de top, sa morgue hautaine de canon du lycée, sa tasspé attitude imprègnent Simon Werner a disparu…, premier film de Fabrice Gobert (lire p. 84). Dans la vie, Ana Girardot garde la beauté diaphane et la silhouette élancée de son double de fiction, mais se montre infiniment plus sympathique, dégageant un style plus rock indé que poupée bourge. Fruit de ses deux parents acteurs (Hippolyte Girardot et Isabel Otero), on ne lui fera pas le facile et mauvais procès de “fille de”. Ado, Ana ne voulait surtout pas faire la même chose que ses géniteurs, et ce n’est que sur le tard, en prenant des cours de théâtre aux Etats-Unis, que le goût de la chose lui est venu. “Jouer, c’est du boulot”, lui disait sa prof, version déclinée du fameux “passe ton bac d’abord”. La comédie n’est donc pas tombée toute cuite dans le bec d’Ana, et Simon Werner… montre le résultat. Un mélange de travail et de talent, ce qui n’a pas échappé aux regards de la profession : depuis Cannes, les propositions de scénarios se sont accumulées. A bientôt donc, Mademoiselle Girardot.

Serge Kaganski photo Vincent Lignier

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N. L. B.

lutter, un pneu, beaucoup Secrétaire du syndicat CGT chez Goodyear dans la Somme, Mickael Wamen retrace son combat pour empêcher la délocalisation. Une épreuve personnelle et collective. a lutte des classes, ça crève”, lance Mickael Wamen, 38 ans, secrétaire CGT de l’usine de pneus Goodyear d’Amiens-Nord. Il sort, ce matin-là, d’une réunion à l’Union départementale du syndicat, à 8 h 30. La veille, il s’est couché à 2 heures du matin. Il a assisté, à Paris, à l’avantpremière du documentaire Tous ensemble, réalisé par Eric Guéret, sur les mutations de la lutte syndicale face à une crise financière sans précédent. A la projection, il y a croisé des “gars” de Molex et Total. “Ainsi que du beau monde comme Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT, qui a parlé de la parité alors que nous, on agonise. Franchement, c’était pas le sujet”, dit-il, agacé. Dans le local de la CGT de l’usine, Evelyne, l’une des seules femmes, acquiesce. Elle se fiche d’être entourée de huit mecs, qui fument des “rouges”, des Marlboro, et parlent de cul (“ma nana m’a refusé une gâterie, hier soir”). Son seul motif d’inquiétude : les Conti viennent d’approuver un plan de la direction prévoyant le maintien de l’emploi en échange de sacrifices financiers. “Ils ont baissé leur froc. De tous les grands combats de salariés enclenchés ces derniers mois dans l’industrie, seul le nôtre tient bon”, regrette Mickael. Ici, les plans successifs,

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y compris le dernier datant de mai 2009 prévoyant le licenciement de 817 personnes et la reprise du site, ont été gelés grâce à l’action syndicale : “Avec notre avocat, maître Fiodor Rilov, nous avons trouvé des vices de forme.” Aucun licenciement à Amiens, mais les machines tournent à 30 % de leurs capacités. Les salariés jouent aux cartes sur les lignes de montage, vague à l’âme en bleu de travail. Et “en bas”, dans le local CGT, le combat continue sans la flamme des débuts, mais avec une expertise accrue. Depuis 2007, le début des ennuis, Mickael s’est transformé. Il peut maintenant réciter par cœur le code du travail – “Les manifestations main dans la main, avec bobonne et les chiens, ne servent à rien. La lutte passe aujourd’hui par le juridique.” Il est aussi devenu (un peu) psychologue : “Quand, il y en a un qui chiale dans un coin, j’ai appris à lui remonter le moral.” Il a une voix qui déclame, un portable greffé dans l’oreille et des tracts dans les doigts. Il en écrit trois par jour.

“au pire, j’aurai déjà permis à tout le monde de travailler trois ans de plus”

Sa vie est celle d’un monomaniaque. Aujourd’hui, débordé, le délégué CGT doit par exemple appeler madame Creton, l’inspectrice du travail, et organiser le blocage de l’Espace industriel Nord, le 23 septembre : “Rendez-vous à 4 heures du mat, au rond-point de l’Oncle Sam (du nom du restaurant Grill d’Oncle Sam – ndrl)”. Il s’attaquera ensuite à la coordination d’une manifestation de toute la filière qui aura lieu le 8 octobre, devant le Mondial de l’auto, à Paris. “Après une journée comme ça, c’est impossible de déconnecter. Pendant les vacances d’été, ma femme ne m’a pas supporté, j’étais trop agressif”, raconte-t-il. Son père, ancien syndicaliste de Dunlop (même groupe que Goodyear) a, quant à lui, du mal à suivre : “A son époque, les délocalisations n’existaient pas. Elles ont commencé il y a dix ans, et la crise a été un prétexte pour les accélérer.” Mickael pense qu’à terme Goodyear arrivera probablement à ses fins. “Au pire, j’aurai déjà permis à tout le monde de travailler trois ans de plus et j’en suis fier.” Combien de temps avant que les nerfs ne lâchent ? “Je suis sanguin, mais je peux tenir encore toute une vie.” Mickael est convoqué par la direction, le 28 septembre, en vue d’un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Nolwenn Le Blevennec

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brèves

Godard à l’abordage Le réalisateur de Film socialisme soutient le pirate James Climent – condamné à 20 000 euros de dommages et intérêts pour avoir partagé des fichiers MP3 – via un don de 1 000 euros pour l’aider à plaider son cas devant la Cour européenne des droits de l’homme. En mai, Godard affirmait dans Les Inrocks : “Je suis contre Hadopi. Il n’y a pas de propriété intellectuelle.” Twitter du renouveau Le site de microblogging a dévoilé sa nouvelle version. Bientôt en ligne, elle devrait faciliter l’accès aux profils des membres que l’on suit et donner accès à toutes les infos des tweets. Il sera également plus aisé d’inclure et de visualiser vidéos et photos. RSF charge Loppsi 2 Reporters sans frontières estime que le système de filtrage prévu par le projet de loi pour la sécurité intérieure est dangereux “pour la liberté d’expression en ligne”. Dans le cadre de la lutte contre la pédopornographie, l’article 4 prévoit qu’une autorité administrative puisse décider du blocage sans intervention d’un juge. RSF craint une extension du filtrage à d’autres sites et exige que le recours à un juge soit réintroduit.

Commissariat de Nanterre, le 14 septembre : Jean-Luc Delarue sort de garde à vue

Mousse/Abaca Press

France Télévisions toujours pubarde Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a finalement annoncé qu’il était urgent d’attendre (jusqu’en 2014) pour supprimer la pub sur les chaînes de service public. Un enterrement de première classe du projet de Sarkozy qui a poussé le patron de TF1, Nonce Paolini, à demander la suppression de la taxe censée compenser la fin de la pub.

un parcours stupéfiant Mis en cause dans un trafic de cocaïne, Jean-Luc Delarue est privé d’émission. Mais qu’est-il arrivé au gendre idéal du PAF ?

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oute une histoire : la vie de Jean-Luc Delarue ressemble étrangement à celle des gens ordinaires qui s’épanchent chaque jour sur le plateau de son émission (aujourd’hui suspendue) au titre prémonitoire, Toute une histoire. “Les histoires que je reçois de mes invités, je les prends parfois un peu dans la poire”, confiait-il fébrilement devant la caméra le 14 septembre, le jour même de son interpellation dans le cadre d’une enquête de trafic de stupéfiants. Debout, la poire amochée en effet, devant ses invités étonnés de partager leurs

souffrances avec celui qu’ils imaginaient prémuni contre la douleur de vivre, Delarue avait l’air d’un enfant pris la main (le nez) dans le sac : “Je ne veux pas donner le mauvais exemple… Je suis conscient que ce n’est pas bien pour la société (…)”. Un exemple pour la société, Delarue ? Ça se discute. Mais ce qui ne se discute pas tient à l’évidence de son statut d’icône télévisuelle, aujourd’hui brisée. La cocaïne (à haute dose) a eu raison de son image de gendre idéal pour ménagères. Son sens de l’écoute, son éthique compassionnelle et ses chemises blanches bien repassées furent durant vingt ans les attributs d’une réussite absolue sur l’échelle des valeurs télévisuelles. Il aura fallu quelques accrochages en plateau, des prises de parole sans queue ni tête et des sorties de route agitées, dont la plus cocasse durant la soirée des Globes de cristal en 2009 (complètement excité devant les “globes” de Yamina Benguigui), pour que l’inquiétante étrangeté du personnage efface son apparente normalité. “A côté de ses pompes”, disait-il souvent, comme s’il cherchait à se faire pardonner auprès de son public réduit à une peau de chagrin. Du chagrin, Delarue en a aujourd’hui autant que de grammes cachés dans sa réserve (prod). La sanction qui lui tombe dessus – suspendu de l’antenne par le patron de France Télévisions, Rémy Pflimlin, le temps de soigner sa dépendance à la cocaïne – a un air de fin de partie, déjà amorcée lorsque l’ancien directeur des programmes Patrice Duhamel l’avait privé début 2009 de toute émission en direct. La grande famille de la télé l’abandonne. L’éclipse de l’idole a sa part d’hypocrisie : Delarue, certes expert, n’a pas le monopole de la dépendance à la coke dans un PAF (en partie) défoncé. Mais son drame se joue dans cet écart irréconciliable entre l’image du sage qu’il s’est patiemment construite à la télé et la réalité de ses addictions. A moins que France Télévisions ne lui propose, comme le signe de son expiation, une émission pédagogique sur le danger des drogues, on voit mal comment il pourra rebondir. Plus rien ne vibre dans son oreillette, sinon le silence du sacrifié. Jean-Marie Durand

début 2009, il avait déjà été interdit de direct

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média-toc Deux petits tours et puis s’en va : Raphaël Mezrahi quitte déjà la matinale de France Inter où sa chronique pas drôle avec Mauricette tombait à plat.

la taxe qui fâche Fournisseurs d’accès et associations de défense des consommateurs s’opposent à l’unanimité à la hausse de la TVA sur les abonnements triple play.

avionneur papivore Le Parisien racheté par Serge Dassault, déjà propriétaire du Figaro ? Alors que les négociations avancent avec Marie-Odile Amaury, propriétaire du quotidien, la rédaction s’inquiète à l’idée de devenir un bulletin officiel de l’UMP.

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ORTF, TNT, etc.

ciao Mauricette

Emmanuel Hoog, patron de l’AFP, raconte dans La Télévision  : une histoire en direct (Découvertes Gallimard), l’épopée de la télévision, depuis ses premières émissions jusqu’à l’apparition du numérique.

poste en miettes Dans un essai au vitriol, France Télévisions off the record (Flammarion), Marc Endeweld dénonce le fonctionnement de la télé publique.

street blind Après les longs débats en Allemagne, c’est au tour de la République tchèque de s’interroger sur le service Street View de Google. Prague a interdit à l’entreprise de prendre des photos pour l’alimenter.

dernier coup de griffe “Pourquoi faire un journal ?” Ebauche de réponse avec le dernier numéro du Tigre, sous forme de retour sur le destin cabossé de la revue lancée en 2006 : à la croisée des styles, sans publicités et radicalement différente.

regard perçant Le n° 2 du trimestriel Usbek & Rica parcourt notre époque avec toujours autant d’éclectisme et de savoir-faire. Au programme de ce deuxième numéro, entre autres : la déprime de la France, l’invasion des robots et la possibilité d’un monde sans prison.

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“Je me dis, Philippe, tu files un mauvais coton” Cet homme est dangereux : il a rêvé qu’il suçait Johnny. Avec un album timbré et familial, Katerine se pose comme le chanteur le plus imprévisible et sidérant de la France d’aujourd’hui. Rencontre. par Christophe Conte photo François Rousseau autre matin, sur une radio périphérique, l’animateur qui recevait Philippe Katerine avant la sortie de son nouvel album manqua à plusieurs reprises de perdre l’équilibre. Notamment lorsque le chanteur fit état avec beaucoup de sérieux et d’esprit de son vif intérêt pour l’insubmersible chanson de Bézu, La Queuleuleu. Katerine avait retaillé cet hymne sur internet, parmi une cinquantaine d’autres reprises tout aussi gratinées, en compagnie du groupe Francis Et Ses Peintres. “C’est un sujet grave, faire la queue, expliqua Katerine, regardez les Restos du cœur…” Blanc à l’antenne. Dire n’importe quoi avec génie n’est pas un art à la portée de tous. Chanter n’importe quoi avec génie, encore moins. La culture pataphysique, au pays de Bénabar et de Zazie, reste une discipline marginale, même si, depuis Robots après tout et ses tubes rose vif repris en chœur au camping et au Macumba – Louxor j’adore, 100 % VIP –, Katerine semble bien installé au pavillon des fous chantants, curieux mix de Trenet, Gotainer et Brigitte Fontaine. Pourtant, après l’exténuant marathon Robots après tout et la liesse populaire qui accompagna cette caravane en folie, le retour de Katerine risque fort de déboussoler son public le plus récent. Il y a bien cette Banane qui a vitaminé dès cet été les radios, éloge de la paresse parfaitement synchrone avec les préoccupations estivales, mais, derrière, l’album

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Philippe Katerine va en cueillir plus d’un à froid. Vaste plaisanterie ou œuvre d’art ? Citons un exemple. Plage 21 : Le Rêve. Katerine y dilate par syllabes répétitives une seule et même phrase qui donne au bout d’une minute trente : “C’est affreux, j’ai rêvé que je suçais Johnny.” Après Marine Le Pen sur le précédent, le Vendéen ne nous épargne donc rien de ses pollutions nocturnes. Lorsqu’on lui demande si cet écœurant haïku lui est venu avant ou après le coma de l’idole des jeunes UMP, il nous prend amicalement pour des couillons : “Les images de Johnny ne sont pas que nationales, on pourrait tout aussi bien penser à Johnny Cash. Il est question d’un vieux rockeur, mais après ? En tout cas, j’ai réellement fait ce rêve.” Marcel Duchamp, Agnès Varda, Daniel Johnston, Luc Moullet, Arthur Cravan, Syd Barrett, tous inventoriés sur le formidable Morts-vivants, sont d’autres fantômes qui hantent les vingt-quatre plages expérimentalopotaches de ce huitième album extravagant. Il s’en échappe un fort parfum d’anarchie, entre provoc dadaïste (La Reine d’Angleterre qui “vous chie à la raie”), lâcher-prise antisocial (Liberté (mon cul), La Banane), glanage autobiographique (l’irritant Philippe, l’ultrasensible Vieille chaîne) et désir d’un retour à l’art brut d’autrefois, période Les Créatures/L’Homme à trois mains, après l’électrochoc sophistiqué du précédent. Entretemps, Philippe Katerine a déménagé pour des questions d’hygiène artistique : “J’habitais Montmartre, place des Abbesses, un lieu continuellement occupé

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En Joséphine Baker velue, Philippe Katerine nous met la banane.

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par des musiciens. Il y avait le type avec son accordéon dès 9 heures, puis le guitariste de flamenco, le groupe de jazz swing… Au bout d’un moment, tu as l’impression d’une immense fanfare qui ne s’arrête jamais, et tu commences à faire du musette, du flamenco… J’ai donc bougé dans le XIVe, un quartier où il n’y a que des vieux, des aveugles et des enfants malades. J’ai retrouvé le calme nécessaire pour mes chansons. J’ai repris ma guitare, oublié les beats, je ne supportais plus l’idée d’un tempo qui ne bouge jamais, quantifié sur un ordinateur. Je voulais aussi chanter mes chansons d’une traite, en live comme dans les années 50. J’ai donc monté un groupe à l’ancienne et on a enregistré sur un magnétophone analogique.” Disciple de Georges Perec, Katerine a toujours aimé s’obliger à des handicaps oulipiens, comme sur Robots après tout, où il utilisa pour unique instrument une groovebox, mini “orchestre électronique” en vogue à l’époque. Cette fois, il s’est entouré de trois humains, complices de plus ou moins longue date et réunis pour d’excellentes raisons : “C’est un groupe de bar. On avait l’habitude de fréquenter un bistrot du IXe qui a une forme de couloir et, quand je les ai vus tous les trois avec une bière devant leur abdomen, je me suis dit ‘Voilà, c’est le groupe’. C’était avant tout visuel.” Et légèrement fantasmatique pour l’un d’entre eux, Grégori Czerkinsky, ex-moitié du duo Mikado dans les années 1980 et véritable objet de vénération du jeune Katerine : “La musique de Mikado fait partie de mon ADN, c’est comme un grand frère pour moi. Quand j’ai écrit mes premiers morceaux, je pensais sans arrêt à eux. Je trouvais qu’ils avaient paradoxalement quelque chose de très punk alors que leur musique était douce et harmonieuse. J'ai demandé à Grégori de ressortir sa batterie qui prenait la poussière depuis des années. Quand on a du génie, ça ne s’oublie pas.” Avec Sébastien Moreau à la basse et Philippe Eveno à la guitare, le trio se constitue et a droit à un gage supplémentaire : n’emporter en studio qu’un seul instrument et aucune pédale d’effet. Dès l’écriture, Katerine s’est lui-même astreint à un régime d’ascète qui, lorsqu’on écoute l’album, procure ces dérangeantes sensations qui finissent par rendre l’objet attachant : “Je pense que le grand public est expérimental. Moi-même, je fais partie du grand public : j’adore ce que je connais et je suis aussi fou de ce que je ne connais pas et qui me brutalise. Avec ce disque, j’avais besoin de faire ressortir des émotions primaires. Ça fait dix ans que je n’ai pas pleuré, je ne me mets jamais en colère mais quand je fais des chansons, j’ai besoin de transgresser les choses, de créer des situations de colère, de l’émotion, du désir cru, autant de sentiments que je réfrène dans la vie parce que je suis bien élevé.” Pour mieux opérer à vif dans sa chair musicale et procéder à l’ablation de tout superflu, Katerine

“Ça fait dix ans que je n’ai pas pleuré. Je ne me mets jamais en colère.”

envisage à un moment d’écrire en anglais, langue qu’il maîtrise mal : “J’ai fait un ou deux morceaux comme ça, mais lorsque je les écoutais le lendemain, je ne comprenais plus un traître mot (rires)… Je suis donc revenu au français tout en continuant d’écrire avec peu de mots, une soixantaine au lieu de trois cents habituellement. Je suis fou du Matisse de la fin. Je le trouve assez démonstratif tout au long de sa vie, mais quand il commence à être handicapé, je trouve son travail bouleversant. Il demande à une assistante de lui couper des papiers et lui montre avec sa canne où il faut les coller. Ça donne des tableaux bicolores à la beauté minimale. Je pense que les grandes œuvres sont le fruit de handicaps, provoqués ou pas. J’ai voulu devenir un handicapé en supprimant le confort de l’écriture, écrire en cinq ou dix minutes et enregistrer d’une traite. On essayait deux ou trois prises et si ça ne marchait pas, on passait à la suivante. Je ne suis pas ce qu’on appelle un “cul de plomb” : au bout d’un moment, quand ça traîne trop, je m’emmerde.” Après la dance psychotique du précédent album, le punk morveux du disque (raté) enregistré avec les Vedettes, le glitter superhéroïque du sous-estimé Glamour à mort d’Arielle Dombasle, Katerine aura ressenti le besoin urgent de revenir à poil. Au sens propre – il prétend avoir composé tout l’album vêtu d’un seul et même T-shirt, sans rien d’autre – comme au figuré, enfin libre de jouir sans entraves, de taper sur les nerfs de l’auditeur pour mieux l’émouvoir la plage d’après. Enfin libre de martyriser les conventions cireuses de la Chanson Française, devenue l’objet de tant d’experts-comptables chantants. Enfin libre de faire chanter ses parents, sa fille, et de dire à Jeanne Balibar “J’aime tes fesses, ton foie, ton estomac, tes intestins, ta vessie et ton utérus” sur un groove façon Love on the Beat lo-fi. Libre d’écluser les lettres de l’alphabet en compagnie d’une chorale de sales gosses ou de délirer autour d’un sonal de Windows 98, de porter la Moustache et de se bidonner comme une barrique un peu aigre. Ça va vite, ça se bouscule, ça se parasite et s’emberlificote comme un collage situ-turlututuchapeau-pointu dont l’accumulation finit par prendre un sens quand chaque élément pris séparément ne veut rien dire, ou pas grand-chose. Certains, trop pressés ou franchement malhonnêtes, argueront que Katerine joue désormais dans la même cour de récré qu’un Didier Super, voire qu’un Michael Youn, alors que nul cynisme n’entre dans la composition de ce disque au contraire très pur, le plus personnel et sincère de son auteur. D’où le nom de l’album, Philippe Katerine : “J’accepte enfin mon prénom. Pour les gens de ma génération, ce n’est pas si évident à porter car les parents qui ont appelé leur enfant Philippe sont nés dans les années 1940, et il y a toujours ce doute qui subsiste concernant Philippe Pétain. Pour moi qui suis vendéen, il y avait également Philippe de Villiers, double peine ! Quand j’étais enfant, je voulais m’appeler Daniel, à cause de Danny Wilde d’Amicalement vôtre, et aussi parce que je connaissais un garçon qui s’appelait Daniel. Il était grand et brun, et moi je me mouillais les cheveux pour qu’ils paraissent plus foncés. J’étais sans doute secrètement amoureux de lui, en plus il était batteur et je suis fou des batteurs. J’ai écrit plusieurs chansons pour ce type mais je ne dirai

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“Quelqu’un qui me dit ‘Moi, j’aime les gens’ ça me fout les jetons”

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pas lesquelles. Ce disque, c’est une façon de me réconcilier avec mes parents, de leur dire merci de vous être rencontrés, d’avoir fait l’amour et de m’avoir appelé Philippe.”

“Quand j’étais enfant, je voulais m’appeler Daniel, à cause de Danny Wilde d’Amicalement vôtre”

L’album a failli s’intituler Coiffure, on en ignore les raisons. Le thème de la réconciliation est peut-être celui qui prédomine à l’arrivée. On reliera ainsi sans difficulté Des bisoux (“Quand on se dit fuck, j’te défonce la gueule, tout en insultant les papas les mamans, au fond qu’est-ce qu’on cherche ?”) avec Juifs arabes, hymne ébahi à la paix des peuples. Bien mal ou Morts-vivants participent d’une même intention de coudre entre eux des éléments peu conciliables, le tout se terminant par une jolie parabole philosophique, sans musique, intitulée Le Champ de blé. Philippe Katerine serait-il un humaniste premier degré déguisé en bouffon ? Ou un militant hardcore adouci par son allure d’éternel schpountz du bocage vendéen ? “Le militantisme m’effraie, les déclarations sur l’égalité m’inquiètent. Quelqu’un qui me dit ‘Moi, j’aime les gens’, ça me fout les jetons. Quand quelqu’un prend position contre quelque chose, c’est souvent contre lui-même qu’il lutte. Quand je commence à me sentir une âme militante, lors d’un dîner par exemple, ça m’inquiète beaucoup pour moi. Je me dis, Philippe, tu files un mauvais coton, tu ferais bien de fermer ta gueule. J’exprime peut-être inconsciemment tout ça dans mes chansons, car elles s’imprègnent de ce que l’on se retient d’exprimer en société. Une chanson comme Liberté (mon cul) reste ambiguë, on pourrait la chanter dans la rue, mais Sarkozy pourrait aussi la chanter dans son bureau à l’Elysée. Ce que je redoute le plus, c’est de me prendre au sérieux. La prétention arrive vite, il faut être vigilant. J’ai aussi la frousse de perdre mon âme d’amateur.

Je ne veux pas devenir un professionnel. Quand on me demande mon métier, je dis marcheur, je marche, ou buveur, je bois. C’est ça mon métier, pas chanteur.” Ne comptez pas non plus sur lui pour jouer les parrains chez les chanteurs français qui, pour beaucoup d’entre eux (de Vincent Delerm à Julien Doré), lui font porter ce titre de force, à égalité avec son pote Dominique A, pour leur ancienneté dans la corporation mais surtout pour leur belle persévérance. “Dans la vie, je suis déjà parrain d’un filleul dont j’oublie les anniversaires, alors merci bien…” Il dit pourtant avoir été assez impressionné par la chanson France Culture d’Arnaud Fleurent-Didier, l’autre grande entreprise de réconciliation filiale de l’année. Fleurent-Didier a choisi de faire sous-titrer son clip en plusieurs langues, histoire d’en universaliser le message. Katerine va aujourd’hui plus loin, puisqu’il prévoit carrément d’enregistrer son disque dans toutes les langues, à commencer par le chinois et l’arabe. Comment dit-on “J’ai rêvé que je suçais Johnny” en mandarin ? Album Philippe Katerine (Barclay/Universal) Concert Le 7 décembre à Paris (Casino) katerine.free.fr,k aterinefrancisetsespeintres.com

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“on était un peu inquiets au début” ans le prochain film de Thierry Jousse, Je suis un no man’s land, Philippe Katerine interprète un chanteur harcelé par une groupie. Il se réfugie dans la ferme de son enfance, en Vendée. On y trouvera de troublantes interférences avec la vie réelle de Katerine, de quoi épaissir un peu plus un dossier autobiographique déjà bien chargé depuis le film Peau de cochon ou le livre Doublez votre mémoire. Sur Philippe Katerine, nouvel album qui ne porte pas le nom de son auteur par hasard, il fait chanter sa fille, Edie, sa compagne Jeanne Balibar et surtout ses parents, Jeanne et Pierre Blanchard, sur l’improbable Il veut faire un film. Les retraités de Chantonnay – Education nationale pour elle, commerce d’aliments pour animaux de la ferme pour lui – se retrouvent aujourd’hui exposés sur la pochette de l’album, photographiés par l’artisan local des clichés de mariages et de communions. Dès le 27 septembre, ils seront en tête de gondole des supermarchés et des Fnac, partout sur internet, peut-être aussi dans les rayons de l’Hyper U de Chantonnay où ils font leurs courses. Dernier coup pendable que leur a réservé Philippe : une interview pour Les Inrocks. On débarque donc à Chantonnay chez les très accueillants M. et Mme Blanchard. La maison d’enfance de Katerine a été vendue aux voisins et ses parents habitent un charmant pavillon ensoleillé juste derrière. “C’est notre première interview, précisent-ils, et c’est aussi la dernière.”

D

Entretien > Comment Philippe vous a-t-il convaincus de poser sur la pochette de son disque ? Jeanne – C’est un garçon très persuasif, il a toujours été comme ça. On avait déjà accepté de chanter sur son album et la photo devait servir à illustrer l’intérieur du disque. Un jour, il m’a appelée pour me dire qu’il pensait en faire la pochette. Je lui ai dit : “Je suis sûre que tu as d’autres idées.” Il m’a répondu : “Oui, mais c’est celle-ci qui convient le mieux.” J’en ai parlé à son père et à nos deux autres enfants, car ce n’était pas évident pour eux de voir leurs parents

Collection particulière

Visite chez les héros involontaires du nouvel album de Katerine : Jeanne et Pierre Blanchard, ses parents.

exposés ainsi. Ma fille m’a téléphoné l’autre jour : “Je vous ai vus sur une affiche…” Pierre – En même temps, c’est un jeu pour nous, il n’y a rien de dramatique. Vous avez toujours cru en lui ? Pierre – On était un peu inquiets au début. C’est bien que les choses se soient passées progressivement, je lui ai toujours conseillé de prendre son temps. Comme c’est quelqu’un de positif, je crois que ça l’a aidé, il était content de ce qui lui arrivait. Jeanne – Il a toujours été très indépendant, rêveur, original. On trouvait ça bien. Pierre – On lui tire notre chapeau, ce n’était pas évident de percer comme ça. Vous avez pensé quoi de ses premières chansons comme Jeannie Longo ? Jeanne – Ah ça, je me suis demandé où il allait avec cette chanson ! Les albums qui ont suivi, lorsqu’il chantait avec notre fille Anne – sous le pseudonyme de Bruno –, je trouvais ça très bien, il y avait une certaine douceur que j’aimais beaucoup. Pierre – Ses chansons ne se ressemblent pas, il dit des choses avec lesquelles il est nécessaire de prendre du recul. Je me demande parfois ce qu’il veut dire. Il vous arrive d’être choqués ? Pierre – Surtout intrigués ! Jeanne – Il m’arrive de lui dire quand je trouve ça un peu cru. Bon, vu notre âge on a eu une éducation plus stricte et pudique, alors parfois, certaines chansons… On se demande surtout si ça ne va pas en choquer d’autres, nos amis, notre famille,

“Vu notre âge, on a eu une éducation plus stricte et pudique, alors parfois, certaines chansons…” Jeanne, sa mère

En vacances en Camargue, été 1977

mais dans l’ensemble nous n’avons jamais eu de réaction de rejet. Lorsqu’il s’est présenté en slip sur la pochette de son disque, certaines personnes nous ont dit : “Il y va un peu fort !” Mais ça s’arrêtait là. Pierre – A la campagne, les gens préfèrent ne rien dire, il y a sans doute des personnes qui ne l’aiment pas mais on n’en entend pas parler. Enfant, il était attiré par la musique ? Pierre – Il en écoutait beaucoup, il enregistrait des cassettes mais il n’en jouait pas. Il était passionné par le dessin, il adorait le graphisme, les cartes de géographie. Il s’est d’ailleurs orienté vers les arts plastiques à la fac de Rennes, on pensait qu’il se lancerait dans la bande dessinée. Puis il a rencontré des copains à la fac qui faisaient de la musique. Le film qu’il a réalisé s’appelle Peau de cochon à cause d’une opération qu’il a subie étant enfant. Je me suis toujours demandé si c’était vrai. Jeanne – Ah oui, c’est tout à fait vrai ! Quelques mois après sa naissance, on nous a dit qu’il avait un souffle au cœur. Généralement, c’est sans conséquence. Quand il a eu 8 ans, le docteur a trouvé que le souffle était important : il y avait un trou de la taille d’une pièce de cinq francs entre les deux oreillettes. Philippe a donc été opéré à cœur ouvert et on lui a greffé une peau de cochon. C’est ce qui correspond le mieux au corps humain. Vous avez aimé le film ? Jeanne – Je suis ressortie de la projection très perturbée. On ne l’imaginait pas se livrant autant car il est pudique. Après, on l’a revu et on a pris du recul : tout n’est pas vrai dans le film… Pierre – Nous étions déjà surpris qu’il ait réussi à faire un film, mais, avec lui, on a appris à être toujours étonnés.

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édito en bon ordre

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Traditionnellement, la droite, c‘est l‘ordre, et la gauche, le mouvement. Mais l‘ordre, c‘est aussi l‘immobilisme, le contraire de la modernité. Le mouvement, ce peut être l‘instabilité, l‘incertitude. Du coup, en 2007, Nicolas Sarkozy, représentant du parti de l‘ordre, mettait en avant sa volonté de réforme. Dans un mouvement symétrique, Ségolène Royal inventait la notion “d‘ordre juste”. La guerre de position entre “ordre” et “mouvement”, ou entre “conservation” et “incertitude”, reprend. La gauche joue l‘ordre républicain face au désordre de la présidence sarkozienne. La “chienlit” est au sommet de l‘Etat, selon Villepin. Sarkozy commence à représenter l‘incertitude, la fuite en avant, et donne l‘impression de ne plus maîtriser les événements. En apparaissant à l‘Assemblée ceints de leurs écharpes tricolores, les socialistes ont envahi le champ symbolique de la droite. Celui de l‘ordre… Un ordre qui, depuis Hugo, Lamartine et surtout Jaurès, est consubstantiel à la gauche : l‘ordre républicain. Mais attention, entre République et Nation la ligne est directe ! Quelques stations de plus, et c‘est le nationalisme...

Chesnot/SIPA

par Thomas Legrand

Les députés PS le 15 septembre à l‘Assemblée nationale lors du vote de la réforme des retraites

PS, à eux la République La patrie est en danger. En toute simplicité, les socialistes se proposent de la sauver.

C

a y est, on est à Valmy ! Les soldats du PS et de l‘an II sont lancés. En 2007, Nicolas Sarkozy avait promis une “République irréprochable”. Les socialistes y vont à pieds joints. “Aujourd‘hui se pose la question de l‘étouffement de la démocratie par un seul homme qui concentre tous les pouvoirs”, explique Harlem Désir, numéro 2 du PS. Dans un tel contexte, le PS entend se positionner comme le gardien de la République. Première étape de cette démarche, attaquer Nicolas Sarkozy sur son style présidentiel et

sur sa gestion des institutions. Quand il fait passer les retraites à la hussarde, “la République est abîmée”, analyse Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l‘Assemblée. Quand une circulaire ministérielle vise nommément les Roms, “la République est piétinée”, pour le député Arnaud Montebourg. Quand le Président utilise les services de renseignement à des fins personnelles, “il y a urgence, la patrie est en danger”, s‘exclame Benoît Hamon. Le porteparole du PS, qui regrette que Dominique de Villepin ait parlé avant lui de “chienlit 22.09.2010 les inrockuptibles 37

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nombre d‘écologistes, “la République, c‘était l‘Etat contre la société, la république coloniale, l‘écrasement des cultures régionales et les massacres de la Commune”. Attaquée par la droite sur la question de la sécurité, l‘opposition a trouvé là une manière de répliquer. Sûre de son fait, elle veut faire de la thématique républicaine

Xavier Cantat

au sommet de l‘Etat“, va même jusqu‘à aborder le thème de la “nation“. Des mots jusqu‘ici délaissés par les socialistes, car jugés trop à droite et trop liés à l‘ordre, envahissent leurs discours. Deuxième étape, par conséquent, la reconquête. Le PS s‘affirme comme le garant de la République et de ses valeurs. En termes de symboles, les socialistes n‘y vont pas de main morte. Quand les leaders de la majorité se réunissent salle Empire pour justifier de la clôture des débats sur la réforme des retraites à l‘Assemblée nationale, les députés socialistes, eux, sortent l‘écharpe tricolore. Voilà une passe d‘armes parlementaire qui aurait pu se réduire à une bataille de procédure et qui se retrouve élevée au rang de la défense d‘un idéal démocratique. “Nous ne devons pas délaisser ce thème de la République et le laisser à d‘autres, analyse Jean-Marc Ayrault. Nous devons nous le réapproprier et être fidèles à notre histoire. N‘oublions pas que c‘est Jaurès qui a rallié les ouvriers à la République !” De peur d‘être taxé de ringard, le président du groupe PS enchaîne : “Ce n‘est pas pour être nostalgique de la IIIe République, mais l‘on ne peut pas affronter les défis du XXIe siècle si les fondamentaux qui rassemblent les Français ne sont pas réunis. Ce n‘est pas qu‘un concept passéiste, c‘est avant tout un programme.” Les socialistes veulent donc “remettre la République à l‘endroit” – rien que ça ! –, fil rouge des journées parlementaires du PS qui se tiennent cette année à Pau. Manière habile de se réapproprier ce thème et de ne pas le laisser à leurs adversaires ni même à leurs partenaires politiques. Car même Cécile Duflot (voir ci-contre) s‘est saisie de la question, dans une tribune publiée dans Le Monde et intitulée “Revenons aux sources de la République”. Une franche révolution quand on se souvient que, jusque-là, pour

un des axes de sa campagne présidentielle. Une façon aussi de séduire, non sans une pointe d‘opportunisme politique, une partie des déçus du sarkozysme. “Dans le désordre qui règne partout, l‘opposition doit incarner l‘ordre”, lâche Manuel Valls, député-maire d‘Evry qui, dans ce débat, boit du petit lait. Marion Mourgue

“la défense de l’intérêt général face aux intérêts particuliers” Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts

Quel écho votre tribune dans Le Monde a-t-elle eu auprès de vos amis ? Cela a provoqué des débats, je ne le cache pas. Les Verts viennent d‘une famille libertaire pour laquelle la République, c‘est la chose publique imposée par quelques-uns. Mais c‘est une forme de dévoiement de la République, et il faut revenir à ce qu‘elle est : la défense de l‘intérêt général face à des intérêts particuliers. Il faut mettre les pieds dans le plat, venir là où l‘on ne nous attend pas et reprendre la main sur des thèmes sclérosés. Ce n‘est plus ringard de parler de République ? Ça ne doit pas être ringard. Il faut être offensif sur cette question. On a longtemps considéré la République

comme un modèle imposé à tous. La République, ce ne doit pas être l‘Etat contre les citoyens, mais la capacité de vivre ensemble dans le respect des différences. La République doit être ouverte, respectueuse, intégratrice et universaliste. Pourquoi avoir ce débat maintenant ? C‘est une réflexion que j‘ai eue cet été en prenant du recul sur le climat ambiant. La République est abîmée, elle est au service d‘un clan. Le comble, aujourd‘hui, c‘est que c‘est l‘Europe qui doit défendre les citoyens français et les valeurs républicaines en rappelant, après cette circulaire illégale sur les Roms, qu‘on ne peut faire de distinction entre les citoyens. Il faut pouvoir donner un contenu

au modèle républicain qui rompe avec la conception bonapartiste et libérale du sarkozysme. La République est en danger, d‘autant que Nicolas Sarkozy s‘est drapé dans les symboles de la République, le drapeau, la Marseillaise. Il a préempté cette idée pour l‘utiliser et la travestir. De fait, il vole la République aux citoyens. La réappropriation de ce thème peut-elle ramener vers la gauche des déçus du sarkozysme ? Beaucoup d‘élus et d‘électeurs de la majorité sont mal à l‘aise. Nous allons poursuivre sur cette thématique qui nous tient à cœur. C‘est un des moyens de déconstruire l‘édifice brutal et vulnérable du sarkozysme.

bagne

enquêtes Après cette mutation, les ministres se sont empressés de répandre la bonne parole. Jamais les journalistes ne seraient mis sur écoute à notre époque ! Le fonctionnaire a simplement été sanctionné pour divulgation d‘info, à la suite d‘une enquête de la DCRI (renseignement intérieur). “On a toujours fait ça”, lâche un ministre de Sarkozy. Ah bon ?

45 ans

les François

Le bras droit de MAM, David Sénat, soupçonné d‘être la source des fuites sur l‘affaire Bettencourt, a été muté sur un dossier concernant la cour d‘appel de Cayenne. Christiane Taubira, députée de Guyane estime que “cette punition révèle la désinvolture avec laquelle le gouvernement traite l‘institution judiciaire en Guyane”. On est encore au temps du bagne et des colonies chez le clan Sarkozy.

Recueilli par M. M.

vu, entendu

L‘âge de François Baroin, possible successeur de Fillon à Matignon. Si Sarko veut refaire le coup de Mitterrand avec Fabius en 1984, c‘est raté ! Fabius avait, lui, 37 ans... et ça s‘est mal fini : la gauche perdit les législatives en 86.

“Si Sarkozy venait à être réélu, rien n‘indique qu‘il gagnerait les législatives, confie un de ses amis. En 2007, à une semaine près, il les perdait. En cas de cohabitation, il lui faudrait choisir un Premier ministre PS. François Hollande serait le candidat idéal. Au moins, Sarkozy s‘amuserait plus qu‘avec Fillon.” Les François interchangeables aux yeux de Sarko ?

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III tout nu 22.09.2010

affaires étrangères

Suède : l’extrême droite au Parlement

L

Jonathan Nackstrand/AFP

es fachos à  5 %, nous on s’en contenterait bien. Mais qu’arrive-t-il donc à la Suède ? Ce pays loué par les sociaux démocrates français comme le modèle social sur lequel prendre exemple n’est plus ce qu’il était. Le gouvernement de centre droit vient de remporter une nouvelle fois les législatives avec 49,2 % des voix, devant le bloc de gauche “rouges-verts“ à 43,7 %. Mais il n’a plus la majorité absolue. L’extrême droite, qui fait son entrée au Parlement, est en position d’arbitre. Avec 5,7 % des voix, la percée inédite des Démocrates de Suède (SD) lui a rapporté 20  sièges. La  droite traditionnelle et la gauche ont exclu toute collaboration avec ce parti que Fredrik Reinfeldt, le chef du gouvernement, a qualifié de “xénophobe et populiste”. Comme il est loin le temps où l’extrême droite française faisait 5 %. A part quelques accidents de parcours, il faut remonter avant 1984 pour retrouver un niveau aussi bas. On souhaite bien du plaisir à nos amis suédois. Anne Laffeter

Jimmie Akesson, 31 ans, leader du parti d’extrême droite suédois, obtient vingt sièges au parlement.

confidentiel

“Hardy nous avait demandé explicitement et solennellement de ne rien dire.” Arlette Laguiller, à propos de la mort de Robert Barcia, alias Hardy, le cofondateur de Lutte ouvrière, tenue secrète pendant un an et révélée la semaine dernière par marianne2.fr. Courage, Arlette, il faut maintenant avouer la triste vérité aux militants de LO : Léon Trotski est m ort !

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire, mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Jusqu‘au printemps dernier, le président Sarkozy avait utilisé de grands moyens pour servir sa propre défaite  : le bling-bling, des vantardises, des reculades, des réformes impopulaires, une rare capacité à exaspérer les foules et à se faire détester. Il en fut récompensé puisqu‘il vit sa cote de confiance tomber de 57 % à 37 % en moins d‘un an, et à 32 % aujourd‘hui. On reconnaît là l’une des grandes lois de la défaite  : plus l‘on perd, plus il est difficile de perdre. C‘est dans ces circonstances qu‘un beau scandale s‘avère indispensable. Il arriva à point nommé sous le nom de ”affaire Woerth-Bettencourt”. Le vrai scandale relève d‘un art particulier, et l‘on peut tenir celui-ci pour un modèle. En voici les grandes règles. 1. Bien choisir son sujet et ses personnages. Ici, nous rencontrons à la fois la femme la plus riche de France en pleine guerre avec sa fille, un maître d‘hôtel espion, un étrange M. de  Maistre, un M. Banier qui aurait inspiré Molière et, surtout, ce M. Woerth, qui fit sa réputation dans le redressement fiscal. Son épouse travaillait à gérer la fortune d‘une contribuable fautive, Mme Bettencourte lle-même. Quant à l‘action, elle semble admirable, entre des subventions à des partis fantômes, un détournement présumé de vieille dame, des cadeaux de près d‘un milliard, des enveloppes d‘argent liquide, des perquisitions en masse, une fraude fiscale, une Légion d‘honneur bien louche, les services secrets et, si l‘on insiste, une histoire d‘hippodrome à Chantilly.

2. Prévoir des rebondissements. Le bon scandale est un scandale qui dure. Celui-ci, qualité exceptionnelle, a su traverser sans faiblir les vacances d‘été. Appréciez la richesse du scénario  : les carnets mystérieux de Claire  T., comptable, disparus puis réapparus ; les enregistrements stupéfiants du maître d‘hôtel ; une querelle de juges ; les “petits papiers” de Mme Bettencourt introuvables ; les lettres de M. Woerth retrouvées ; l‘inestimable apparition du contre-espionnage. De là, le suspense : M. Woerth peutil entraîner le président de la République ? Va-t-il tenir ? C‘est un homme dit “carbonisé” qui présente la loi la plus dangereuse, la réforme des retraites. Le scandale déborde de son domaine pour en affecter un autre : c‘est du grand art. Seul un victoricide éminent comme M. Sarkozy peut y parvenir. 3. Se faire prendre en flagrant délit de mensonge. Il est difficile de mentir en politique. L‘électeur en a l‘habitude et, trop souvent, il a oublié vos propos lorsque la vérité vient les contredire. Seul le flagrant délit permet d‘éviter cet échec. M. Woerth y parvint. “Je ne mens jamais !”, s‘exclama-til, certifiant qu‘il n‘avait pas demandé la Légion d‘honneur pour M. de Maistre. Le lendemain, la publication de trois lettres, dont une à M. Sarkozy, prouva l‘exact contraire. Un beau mensonge se construit. (A suivre) 22.09.2010 les inrockuptibles 39

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safari A l’instar du Park(ing) day de San Francisco contre l’invasion automobile, des militants écolos reconquièrent quelques arpents du bitume parisien les 17 et 18 septembre. photo Pat rick K ovarik / AFP

pifomètre

Ségo en force ! Le pifomètre s’installe. Il répond chaque semaine à la même question : à gauche, qui, d’après vous, a le vent en poupe dans le cadre de la présidentielle ? notre panel

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semaine précédente

0

0

Manuel Valls

2

Olivier Besancenot

5

Eva Joly

6

Dominique Strauss-Kahn

11

Jean-Luc Mélenchon

11

François Hollande

Pierre Parouque, 49 ans, barman du TGV Paris-La Rochelle. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et pronostiqueur hippique. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. Rama Yade, 33 ans, secrétaire d’Etat aux Sports. Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, e Paris XI . Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. Fabrice Martinez, e 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XX .

lande aussi. Cette semaine ce sont les cadors du PS qui engrangent, sans doute après la séquence retraite et le besoin de crédibilité après le sommet de Bruxelles au cours duquel l’image de la France a été écornée. Dans ce cadre, DSK passe de 1 à 5 points sur intervention du patron des Inrocks (joke !). Mélenchon est stable à 6. Joly passe de16 à 2 ! Disons que la semaine dernière c’était son cadeau de bienvenue. Il est taquin notre panel à nous.

19

Martine Aubry

le reste du panel

G

ros carton de Ségolène Royal cette semaine auprès de notre panel. Sans doute la fête de la fra-ter-ni-té, son passage chez Arlette Chabot pour défendre les retraites, où, dixit Martine Aubry, elle a été “excellente”. Florence, notre philosophe du 9-3 lui a attribué 3  points (le maximum) parce qu’“elle continue à s’exciter, c’est déjà ça”. Il fut un temps où ça inquiétait, là, ça plaît ! Aubry à la hausse (+4) c’est toujours du solide. Belle monté de Hol-

Ségolène Royal

Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis La politique, une passion ? Une nécessité, surtout dans l’enseignement, surtout dans le 93. Les Inrocks ? Un objet transitionnel qui ne m’a pas quitté depuis l’adolescence. La gauche, tu l’aimes ou tu la quittes ? J’y reste, même si Jospin nous a abandonnés. Personnalité politique préférée ? Jospin (même s’il n’est plus de ce monde). Détestée ? Sarkozy, Besson et leur bande. Moment politique le plus triste ? Casse-toi pov’ con. Le plus drôle ? Chirac à Jérusalem engueulant le service d’ordre. Le plus émouvant/heureux ? Veil sur l’avortement en 1974 ; Badinter sur la peine de mort en 1981. Le plus ridicule ? Les défilés militaires.

cette semaine

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V tout nu 22.09.2010

presse citron

les relous par Christophe Conte

Des fils de flic ou de président qui testent de nouveaux scooters, le Quai d’Orsay qui se fait twitter et Mougeotte qui passe les plats au Figaro. Enfin, selon des sources confidentielles, il semblerait qu’Hardy soit toujours mort. Robert Barcia, aka Hardy

Lionel Jospin, aka Yoyo

1. Jean-François Copé, gonflé “Les amalgames avec le régime de Vichy et la Shoah sont scandaleux“, a lancé le président du groupe UMP le 15 septembre à l’Assemblée, avant d’ironiser sur les “relations amicales de François Mitterrand avec Monsieur Bousquet, organisateur de la rafle du Vel’ d’Hiv”. Aussi lourd que Viviane Reding.

AFP

AFP

2. Jean-Vincent Placé, n° 2 des Verts

burlesque Le site marianne2.fr le révélait le 16 septembre : Hardy, le leader occulte de Lutte ouvrière, est mort depuis juillet 2009, mais l’organisation refuse toujours de reconnaître officiellement sa disparition. Eminence grise du trotskisme, Robert Barcia, alias Hardy, aura donc cultivé outretombe son goût obsessionnel du secret. A propos, ça fait un moment qu’on est sans nouvelles de Laurel Jospin…

scooter vert

kéké d’Orsay

Le Parisien, dans son édition du 16 septembre, publiait un PV d’audition montrant que le grand patron de la police, Frédéric Péchenard, était intervenu pour éviter que son fils, emmené au commissariat bourré après une interpellation en scooter, ne soit inquiété. Après Jean Sarkozy, il semblerait bien qu’un prototype de scooter marchant à l’alcool et au piston soit testé au sommet de l’Etat.

Comme le révélait lesinrocks.com le 16 septembre, le compte Twitter du Quai d’Orsay a été piraté durant quelques heures, laissant passer un tweet peu diplomatique à l’encontre des Roumains, pile au moment de la crise européenne à propos des Roms. En revanche le tweet suivant émanait bien du ministre en personne  : “Commandez une pizza Reine, Christine, j’arrive. Le temps d’éviter la guerre avec le Luxembourg et d’encore une fois sauver le monde. Votre Bernard.”

bonarabe Le range-épluchures d’extrême droite Valeurs actuelles, dans son édition du 16  septembre, semble avoir fait sienne la fameuse maxime du comique colonial Brice Hortefeux : “Quand y’en a qu’un, ça va”, etc. Au sommaire, donc : une interview de Rachida Dati.

très confidentiel Laurent Ruquier a terminé d’écrire une pièce de théâtre sur Liliane Bettencourt, intitulée Parce que je la vole bien. On milite à fond pour Steevie Boulay dans le rôle de François-Marie Banier.

contrat de confiance Sarkozy, dans un propos rapporté par le “Téléphone Rouge” du Nouvel Obs (daté du 16 septembre)  : “Quand je pense qu’il a fallu que ce soit Mougeotte qui explique à Raffarin que c’était choquant de tirer sur un policier…” Mougeotte, patron du Figaro depuis 2007, a le privilège de voler régulièrement dans l’avion présidentiel, ses éditos faisant passer Xavier Bertrand pour un excité de la gauche prolétarienne. Après TF1, une façon d’assurer proprement le service après-vente.

A l’université d’été du courant Hamon et Emmanuelli, JeanVincent a fait du pâté. Il a refusé de passer à la tribune après Besancenot, trop bon. Mal t’en as pris, Jean-Vincent, tu es passé après Emmanuelli, un super tribun. Révise tes fondamentaux.

3. Mélenchon, bête de scène Méluch est allé faire le beau à la fête de la Solidarité de Ségolène. Hop, une petite photo avec la dame et on repart avant son discours. Classe.

4. Frédéric Lefebvre, porte-flingue enraillé Eh ben Fredo, c’est quoi ce silence, c’est quoi ces déclarations consensuelles – “dans ce pays le cœur bat à droite” –, ces allures de grandes personnes ?  C’est parce que Sarko t’as piqué ton boulot de gros méchant malpoli et populo ou parce que tu te tiens à carreau pour faire partie des promus du prochain remaniement ? T’y crois encore ? T’es mignon des fois quand même. 22.09.2010 les inrockuptibles 41

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contre-attaque

la Goutte-d’Or : un Babel à Paname Originaires du Maghreb, d’Afrique noire, d’Auvergne ou de Chine, des Parisiens cohabitent sereinement, loin des clichés.

Agnès Pelletier/Fedephoto

F

lag à Château-Rouge. Trois policiers, des stups, ont serré deux crackers sur leur Vespa. Ils sont aussitôt jetés sur le capot avant de la voiture banalisée, puis fouillés sans ménagement. Les policiers, jeunes, ont l’air aussi lascars que leurs proies. La scène, d’une brutalité inouïe, est contredite par la douce odeur de beurre de karité dont se parfument les belles à boubous et qui, sitôt franchie la frontière du quartier, à quelques mètres de là, se mêle aux effluves d’encens, d’ananas et de clou de girofle du marché Dejean. La Goutte-d’Or a toujours été un port d’entrée pour les “migrants”, sans que l’on puisse dire avec précision leur origine  : Dans les recensements, on ne peut cocher que “Français”, “Européen” ou “Autre” ! Prudemment, Fabienne Cossin, qui dirige le centre de documentation Saint-Bruno et qui a organisé la manifestation culturelle Barbès l’Africaine, avance le chiffre de quarante-cinq nationalités différentes. Aux provinciaux parlant patois décrits par Zola dans L’Assommoir, qui avaient fait de ce périmètre clos un espace de misère et de biture dont il semblait impossible de s’échapper, a succédé la première génération de Maghrébins. Suivirent les Africains à l’orée des années  80. Des ruraux venus des rives du fleuve Sénégal. Majoritairement des Soninkés, des Mandingues, des Peuls. Et, dans les dernières années, l’immigration a été chinoise, qui a ouvert des… épiceries et magasins d’étoffes africaines ! Le soir, dans les jardins, sur les bancs, on voit de vieux Africains échanger avec de vénérables cheikhs arabes. A part New York, quelle ville au monde voit cohabiter autant de peuples dans une telle sérénité ? “La diversité n’est pas qu’ethnique, elle est générationnelle, commente Christine Ledésert, qui dirige le centre social Accueil Goutte-d’Or depuis dix-neuf ans. On est le quartier le plus jeune de Paris. Elle est aussi

économique. Environ 30 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Et pourtant, tout ce petit monde cohabite. C’est dû à un sentiment d’appartenance très fort. Ça permet aux Soninkés et aux Kabyles de passer au-delà de leurs différends.” A la tête d’Uraca, centre d’accueil et de soins d’urgence aux migrants africains, Mamadou Diarra, jeune homme de 60 ans, confirme  : “Durant la guerre du Libéria, quand Charles Taylor montait les ethnies les unes contre les autres, ici, la petite communauté libérienne est restée calme. Le quartier ne connaît pas de tensions ethniques. Les enfants des différentes

communautés vont dans la même école, ils jouent ensemble… Si problème il y a, c’est avec les dealers.” Gaulois et Arvernes sont aussi bien représentés. Rue Léon, le bar Les Trois Frères, tenu par des Kabyles, propose à la carte du saucisson sec ou à l’ail. Et au Gaminde-Paris, rue Doudeauville, on sert des spécialités auvergnates et des vins de Loire. Utile à savoir pour envoyer péter les obscurs fronts bas du Bloc identitaire ou de Riposte laïque, organisateurs du sournois apéro pique-nique sauciflard-vin rouge, destiné à dénoncer la pseudo-islamisation du quartier. Pascal Dupont

en pratique un laboratoire social et culturel Accueil Goutte-d’Or est engagé sur tous les terrains : développement du quartier, accueil des habitants, aide aux personnes démunies face à l’administration, alphabétisation (particulièrement des femmes), accompagnement scolaire et culturel des ados (10, rue des Gardes, tél. 01.42.51.87.75). Très active aussi, l’Uraca fait campagne contre la toxicomanie, le sida, la prostitution… et le blanchiment excessif de la peau ! (Unité de réflexion et d’action des communautés africaines, 33, rue Polonceau, tél. 01.42.52.50.13). Bar et espace culturel, le Saraaba programme de la lecture de contes, de la musique, du théâtre (19, rue de la Goutte-d’Or, tél. 01.42.62.65.83, www.saraaba.fr). 22.09.2010 les inrockuptibles 43

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VII tout nu 22.09.2010

propagenda

A l‘approche du remaniement, la parole se fait rare chez les prétendants. Auprès des journalistes, même le “off” – j‘te l‘dis mais tu dis pas que c‘est moi qui t‘l‘ai dit – tend à disparaître.

C

‘est off de chez off ! Tout est off !”, s‘emporte une ministre de Sarkozy. En l‘entendant prévenir ainsi, on s‘attendait à des révélations sur l‘affaire Woerth-Bettencourt ou sur le climat qui règne au sein de la majorité. Mais rien. Pas un soubresaut d‘info qui justifierait cette demande de discrétion. Juste une petite pique balancée contre les ministres d‘ouverture : “Dans le gouvernement, il y a deux catégories. Ceux qui peuvent parler et les autres.” Les ministres ne s‘épanchent plus, mais n‘ont jamais eu aussi peur que leurs propos soient rapportés, qu‘un écho dans la presse ne bousille leurs chances d‘être reconduits dans le gouvernement. “Comme vous le savez, on est dans une période sensible”, glisse l‘un d‘eux. Dès lors, plus question de se confier. Les ministres tiennent leur langue. Les relations Sarkozy-Fillon ? “Excellentes, répond un ministre bon élève, qu‘est-ce que vous voulez que je vous dise ?” “Ne l‘acculez pas à faire de la langue de bois“, intervient son conseiller, trahissant sa panique qu‘une petite phrase lâchée ne réduise à néant les efforts de plusieurs jours d‘abstinence médiatique. Un autre ministre martèle : “Moi, je suis un inconditionnel du Premier ministre !”

Lucas Dolega/EPA/Max PPP

ministres et bouches cousues

Sait-on jamais, si François Fillon venait à rempiler à Matignon… Pourtant, quand on aborde les candidats à sa succession, les compliments sont tout aussi nombreux : Jean-Louis Borloo ? “Un homme qui connaît ses dossiers.” Michèle Alliot-Marie ? “Une femme d‘expérience.” François Baroin ? “Porteur d‘un souffle nouveau.” Décidément, tout le monde est parfait. En réalité, ça pétoche sec dans les ministères : la perspective d‘un remaniement à l‘automne en a fait cogiter plus d‘un. Chacun guette un signe du Président ou de son bras droit, Claude Guéant, d‘autant plus que la prochaine équipe gouvernementale devrait être resserrée. Tous redoublent d‘efforts pour obtenir un compliment, bavant d‘envie devant Luc

“COMME VOUS LE SAVEZ, ON EST DANS UNE PÉRIODE SENSIBLE”

Eric Besson, ministre de l‘Immigration

Chatel. Le ministre de l‘Education a eu droit à un éloge appuyé – et en public ! – de Nicolas Sarkozy et s‘est vu qualifié de “fantastique”, “courageux“, “solide“, “formidable“. Dès lors, chacun en remet une louche pour saluer l‘action du chef de l‘Etat, espérant qu‘à défaut d‘avoir du “off“, les journalistes rapporteront le “on“ : “On a rarement eu un Président qui a autant agi !”, entend-on ici ou là. “En 2002, les Français avaient peur de prendre les transports en commun, aujourd‘hui ils les reprennent sans crainte.” Pourtant, on a eu le droit à un moment sans langue de bois  : la prise de bec François Fillon-Michèle Alliot-Marie à l‘Assemblée nationale. Justement parce que le Premier ministre reprochait à l‘entourage de la garde des Sceaux d‘avoir t r o p p a r l é d a n s l ‘ a f f a i r e Wo e r t h Bettencourt. Les autres ministres, eux, se gardent bien de commenter, par peur des balles perdues. Comme ils se refusent à revenir sur la suggestion de Nicolas Sarkozy à la commissaire européenne, Viviane Reding, d‘accueillir des Roms au Luxembourg, son pays d‘origine. Si les ministres venaient à dire ce qu‘ils pensent avant le remaniement, ça risquerait de devenir explosif. Marion Mourgue 22.09.2010 les inrockuptibles 45

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débat d’idées

à mort la crise Avec la crise, c’est le modèle néolibéral qui explose.  Pour le sociologue Alain Touraine, le temps est venu du “post-social”, qui verra les citoyens devenir sujets de leur propre destin.

P

armi les multiples réflexions sur la crise – ses origines, ses responsables, ses dégâts…  –, l’incertitude de son “après” reste un point aveugle de notre époque sans repères. Comment vivre avec elle, comment y survivre ? Entre la fin assurée d’un monde et le début possible d’un autre, des pistes incertaines se dessinent ici et là. Le diagnostic que dresse le sociologue Alain Touraine, observateur attentif des mouvements sociaux depuis plus de cinquante ans, ouvre de ce point de vue des horizons éclairés. Le fondateur du courant “actionniste“ perçoit dans la crise actuelle l’acmé d’un processus aveugle né de la globalisation économique et de la logique du profit. La crise actuelle a accéléré selon lui “la destruction de la société antérieure”. Au point que nous serions entrés dans un âge inédit, succédant à celui de la société industrielle et même postindustrielle  : une situation “post-sociale”. Avec la crise, c’est toute l’organisation de notre société qui s’effondre, et c’est sur cette table rase que Touraine fonde l’espoir de l’imposition de nouveaux principes éthiques sans lesquels l’après sera sans retour. “Seul un principe, non seulement social, mais moral, peut résister à la puissance de l’argent.” Par-delà les solutions techniques à court terme proposées par les politiques et économistes dépassés par leur propre cécité, la seule manière de surmonter la crise consiste à “reconstruire une vie sociale”. Pour cela, il faut mettre fin à la domination de l’économie sur la société, générer de nouvelles formes d’organisation, d’éducation, de gouvernance, “pour être capable

d’agir pour une redistribution du produit national en faveur du travail, depuis longtemps sacrifié au capital, et d’exiger un respect plus réel de la dignité de tous les êtres humains”. A l’échec de la pensée économique, déjà analysé par des économistes comme Paul Krugman, Joseph E. Stiglitz, Frédéric Lordon ou Norberto Garcia, critiquant l’alliance entre néokeynésiens et néoclassiques, Touraine oppose l’urgence d’une pensée sociale revigorée prenant à bras le corps la question des rapports des hommes avec les machines, de la libéra-

“SEUL UN PRINCIPE, NON SEULEMENT SOCIAL, MAIS MORAL, PEUT RÉSISTER À LA PUISSANCE DE L’ARGENT”

tion des femmes, des minorités ou du renouvellement de la démocratie. Le pire effet de la crise est d’empêcher la constitution de “sujets”. Pour Touraine, le défi de l’après-crise se joue sur la capacité de nos sociétés d’œuvrer à sa construction, enfin. “Le seul principe sur lequel puisse être bâtie une organisation sociale est, non pas l’individu et ses besoins, mais le sujet et ses droits – le droit des êtres humains à être reconnus comme juges de leurs propres choix, c’est-à-dire à être reconnus comme des sujets porteurs de droits.” Pour cela, il faudra renverser les manières de penser dominantes, transformer un principe universel en forme concrète d’organisation et de relations sociales “reposant sur l’affirmation de la défense des droits universels de l’homme comme seule arme possible contre le triomphe apparent de l’économie globalisée”. Le post-social forme la promesse d’un “réenchantement” démocratique. Jean-Marie Durand illustration Hector De La Vallée Après la crise d’Alain Touraine (Seuil), 195 p., 18 € Lire aussi sur le sujet : Comment vivre en temps de crise ? d’Edgar Morin et Patrick Viveret (Bayard)  ; Le  Renversement du monde, politique de la crise d’Hervé Juvin (Gallimard)

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pourquoi Mad Men nous regarde Une série sur les années 60 qui résonne avec le monde d’aujourd’hui : Mad Men, créée par Matthew Weiner, déchiffre nos vies inquiètes et entame sa saison 3 sur Canal+. par Olivier Joyard

Don Draper, le héros. Brillant et tourmenté, il semble voir en nous à cinquante ans de distance.

M

ême ceux qui ne l’ont jamais vue savent deux ou trois choses de Mad Men. Son style 60’s acéré. Son regard cruel sur la société de consommation naissante, capable de résonner aujourd’hui. Ses personnages de publicitaires noyés dans la clope et l’alcool. Son ardente mélancolie. Son succès éclatant à la bourse des hautes valeurs culturelles de notre époque. L’hystérie autour de la série créée en 2007 (dans la douleur !) par Matthew Weiner semble avoir atteint son apogée. Il y a dix ans, personne n’en voulait. Il y a un mois, elle remportait son troisième Emmy Award (l’équivalent des oscars pour la télé) en trois saisons. En feuilletant n’importe quel magazine de mode ou de design, on comprend vite qu’elle figure parmi les fictions télé les plus influentes de l’histoire. Pourtant, la success story cache une forme de malentendu. Son impact sur les esprits dépasse en effet sa puissance de feu objective. La série n’a jamais attiré plus de trois millions de téléspectateurs par soirée sur la chaîne AMC. Même si leurs adeptes ont triplé depuis leur apparition, Don Draper (Jon Hamm) et ses acolytes demeurent des poids légers comparés, par exemple, aux vampires de True Blood, leurs concurrents de HBO. Le mystère se joue aussi là. Qui regarde vraiment Mad Men ? Qui dépasse les enluminures d’une série qui n’est décorative qu’en apparence, pour fureter sur le long cours avec ses personnages abîmés ? Il faut essayer de voir Mad Men en oubliant toute pollution extérieure et s’isoler dans la matière d’un récit novateur qui progresse par vagues toujours étonnantes. Au-delà des éloges superficiels (“Oh mon Dieu, ces lampes sublimes !”) ou des réserves pincées (“Marre des lampes sublimes”), cela en vaut la peine. Trop de beauté ne nuit heureusement pas toujours à la beauté. Voici une grande série. La saison 3, que Canal+ diffuse à un horaire enfin correct, éclaire davantage le secret de Mad Men, 22.09.2010 les inrockuptibles 49

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Un air de Grace Kelly, la solitude incarnée : voici Betty, la femme de Draper. Pour combien de temps ? 

Salvatore Romano, le dessinateur. Il est gay, marié et bientôt démasqué.

son ambition bouleversante : filmer un monde nouveau comme un crépuscule et déchiffrer nos vies inquiètes. Décryptage en quatre échos.

1

un héros déchiré Publicitaire stupéfiant, séducteur déroutant, Don Draper ressemble depuis le premier épisode à un géant aux pieds d’argile. Il porte sur ses épaules sa douleur personnelle et celle du monde. Sa croix ? Un éternel retour : “Je ne cesse de partir loin et de me retrouver quelque part où j’ai déjà été”, glisse-t-il à une hôtesse de l’air. Observant son époque d’un air subtilement anxieux, il semble voir en nous à cinquante ans de distance, comme s’il anticipait l’imminence d’une catastrophe. Un échange s’installe car, de notre côté, nous voyons en lui.

Fils d’une prostituée morte en couches, recueilli par son père biologique, un alcoolo disparu devant ses yeux quand il avait 10 ans, Don a ensuite volé son identité à un camarade mort au combat durant la guerre de Corée et refait sa vie. Derrière l’apparence du type brillant à qui tout réussit, son parcours est jalonné de morts violentes, et il se révèle capable de comportements extrêmes. Matthew Weiner le définit ainsi : “Draper appartient à la tradition romanesque que Fitzgerald inaugura avec Gatsby le magnifique. Né quasiment dans une poubelle, il personnifie la mobilité sociale et économique très rapide en Amérique, mais aussi l’idée qu’il y a un prix à payer pour s’intégrer au melting-pot : perdre un morceau de soi.” Jusqu’à cette saison 3, seuls les spectateurs connaissaient le secret de Don dans tous ses aspects.

Les treize épisodes brisent peu à peu ce pacte silencieux. Celui qui s’est appelé Dick dans une première vie et qu’un collègue perspicace comparait à Batman sera-t-il démasqué ? Pour la première fois, l’échec menace. Mais un échec signé Don Draper : super cool.

2

du capitalisme sauvage “Tout business doit grandir chaque année. C’est le capitalisme.” Comme si la série se plaisait à insister, un client de Baltimore prononce le mot “capitalisme” avec une gourmandise déjà coupable dans le premier épisode de cette saison 3. Celle-ci parcourt ensuite l’année 1963 et s’intéresse aux conséquences du rachat de la pourtant florissante Sterling Cooper Draper Pryce Advertising Agency (l’agence de pub où

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Peggy Olson, sérieuse et ambitieuse. Entrée comme secrétaire, elle est devenue rédactrice.

Joan Harris, la secrétaire. Très sexy et un peu bitch, elle a eu une aventure avec Cooper, son patron. Un peu en retrait cette saison. Sterling et Cooper, les deux boss de l’agence travaillent Don, Peggy et les autres) par un groupe anglais. Une manière de suggérer un changement d’époque. Draper est un enfant de la dépression des années 30, qui s’épanouit au cœur de l’optimisme aveugle des Trente Glorieuses, alors que les premières sirènes du libéralisme mondialisé retentissent et, avec elles, les licenciements sauvages. “Les problèmes profonds que nous connaissons aujourd’hui ont commencé à cette époque, commente Matthew Weiner. Don est une sorte de dinosaure. Il manifeste dans son travail une intégrité et un sens de la logique dont tout le monde se fout à peu près totalement désormais.” Le récit le plus intéressant suit une figure majeure de l’entrepreneur made in USA, l’hôtelier Conrad Hilton, arrière-grand-père de la déshabillée Paris. Il s’entiche de Don et en fait son

esclave intellectuel, qui l’aidera à étendre son empire à l’infini. Un slogan implacablement optimiste rythme cette passionnante rencontre : “Bring America to the World” (“Amener l’Amérique au monde”). Mais l’extase ne dure jamais dans Mad Men. A la moindre arrogance triomphaliste, la série oppose son ironie mordante. Un tracteur fatal va surgir comme une métaphore bien envoyée.

3

des minorités (in)visibles Femmes, Noirs, homosexuels : les minorités affleurent depuis toujours dans Mad Men. Cette saison s’intéresse marginalement à la question raciale et poursuit une exploration de la lente émergence des girls à travers Betty, Peggy et Joan, ces anti-potiches. Au point qu’un jeune Anglais, choqué par

tant de liberté, s’exclame après quelques jours dans l’agence : “Cet endroit est une gynocratie !” Le personnage de Salvatore Romano (Bryan Batt), un gay placardisé, a droit au plus éloquent tour de piste. Mis à part Six Feet under, rarement une série tous publics n’a évoqué la question de la discrimination et de la pression sociale aussi frontalement. L’affaire débute par un outing involontaire. Lors d’un déplacement professionnel, ce grand costaud gominé et marié s’emballe pour un garçon d’ascenseur, déclenchant la réplique déjà culte de son boss : “Limite ton exposition.” A l’épisode 4, dans une scène parmi les plus incroyables de la série, on le voit danser devant sa femme, qui comprend soudain pourquoi ils ne font jamais l’amour. Mad Men ne lâchant jamais ses “proies” narratives, le traitement du 22.09.2010 les inrockuptibles 51

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cas Salvatore s’amplifie, jusqu’à prendre des proportions étonnantes dont nous tairons les conséquences. En mettant l’accent sur ce personnage particulier, Mad Men enrichit également la thématique du secret qui la hante dans tous ses compartiments. Un modèle de récit parallèle comme la série sait les développer.

Merci à Sandrine Beyne, Fabien Constant et Eric Verat. Mad Men saison 3 le jeudi à 22 h 15 sur Canal+ Saisons 1 et 2 en DVD et Blu-Ray (Metropolitan). Saison 4 diffusée actuellement sur AMC

Reuters

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du cinéma hollywoodien Depuis que chacun a reconnu, à raison, l’ombre de Grace Kelly derrière le personnage de l’émouvante Betty Francis, ex-Draper (January Jones), et repéré une familiarité esthétique évidente avec les films de Douglas Sirk, la question de l’héritage du cinéma a envahi Mad Men. A force de répondre aux mêmes interrogations depuis trois ans, Matthew Weiner s’agace un peu quand on évoque le maître du mélo fifties. “Mes personnages regardent les films de Sirk, c’est différent. Je ne veux pas que les spectateurs pensent qu’avec la série ils assistent à un commentaire maniériste ou baroque sur une époque.” Le créateur reconnaît volontiers que Shining de Kubrick et La Mort aux trousses l’ont influencé, même s’il avoue avoir découvert Hitchcock récemment. Il explique aussi qu’en tournant le pilote, il a eu l’impression de “faire un film français”. Dans cette troisième saison, Weiner est allé au bout de sa logique en allant chercher l’un des rares ponts entre la Nouvelle Vague et le cinéma de la modernité américaine. Barbet Schroeder, cinéaste reconnu (More, Le Mystère Von Bülow, Barfly etc.) et ancien complice d’Eric Rohmer, a réalisé le crucial épisode 12, qui se passe durant le weekend où le président Kennedy a été assassiné. L’intéressé raconte : “Venir sur cette série que j’adore, c’est comme si quelqu’un m’avait demandé de faire un petit tour avec sa Maserati cinématographique. C’était une grande expérience, un saut dans l’inconnu au volant d’une nouvelle voiture qui va beaucoup trop vite. Une façon de revisiter le système des studios de la grande époque d’Hollywood.”

David Chase, le Parrain Il a influencé toutes les séries modernes jusqu’à Mad Men. Rencontre avec David Chase, le créateur des Soprano. par Olivier Joyard

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hase est le mec le plus drôle qui soit.” La phrase vient de Matthew Weiner, le cerveau de Mad Men. A coups de regards torves et de petites formules laconiques, David Chase, le créateur mythique des Soprano, cultive pourtant sa réputation de garçon difficile à dérider. Mais Weiner le connaît mieux que personne. Il travaillait sur une sitcom quand David Chase l’a invité à rejoindre l’équipe des Soprano. Entre 1999 et 2007, Chase y a réinventé la manière d’écrire et de fabriquer une série, aux confins du cinéma d’auteur. Une voix nouvelle qui n’est pas restée sans écho puisqu’il est considéré comme l’inspirateur de la période exceptionnelle que connaît actuellement le câble américain. De Mad Men à Breaking Bad en passant par Boardwalk Empire et Sons of Anarchy, pas une série qui compte sans un créateur qu’il ait formé ou influencé. “David a la réputation d’être dur avec les scénaristes, explique Weiner. Mais le simple fait d’observer sa nature sans compromis m’a tout appris. Il fait une confiance totale au public. Je ne l’ai jamais entendu dire : ‘Ils ne comprendront pas.’” Au récent Festival du Cinéma américain de Deauville, qui ouvrait pour la première fois ses portes aux séries télé, le “Parrain” nous a accordé un entretien.

Entretien > Si Deauville a rendu hommage aux séries, c’est un peu grâce à vous. David Chase – Ça me fait plaisir. Je n’ai jamais été un snob qui pensait que le cinéma était meilleur que la télé, mais quand j’étais en école de cinéma dans les années 70, les films agissaient comme une révélation permanente. Pas la télévision. Enfant, je regardais beaucoup de séries. J’ai lâché à partir de mon adolescence, quand le petit écran a commencé à s’intéresser uniquement aux figures d’autorité et aux institutions. Longtemps, il n’a été question que de flics, de tribunaux, d’hôpitaux. Si aujourd’hui le médium devient plus imprévisible, tant mieux. Subversif n’est pas le mot. Disons que les séries racontent enfin les histoires d’individus. Les Soprano, série que vous avez créée, a ouvert la voie. C’était une série libre car personne n’avait fait d’un tueur et un criminel un héros. Il y a des exemples dans les westerns, mais souvent les bad guys se battaient pour une cause juste. Tony Soprano se battait uniquement pour lui-même. Je crois aussi que c’était la première fois qu’une série était aussi franchement personnelle. Les scénaristes télé n’ont généralement

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Les Soprano de David Chase, génial et séminal

rien à voir avec les personnages sur lesquels ils écrivent. Il n’y a aucune nécessité pour eux de faire le portrait d’un flic ou d’un juge. Dans Les Soprano, le personnage de la mère de Tony était inspiré de la mienne. On y retrouvait les tensions et la dynamique de ma famille. Je suis un Italien du New Jersey, tout comme Tony, et j’ai suivi une analyse. La seule chose qui diffère, c’est que je n’ai pas été dans la mafia ! Comment avez-vous imposé votre voix ? Il faut insister inlassablement. Raconter une histoire qui nous habite, cela n’arrive même plus tellement dans les films, sauf chez certains indépendants. J’ai beaucoup appris des Européens. Avant d’être exposé aux nouvelles vagues qui ont déferlé sur le Vieux Continent, je pensais que les films sortaient d’une usine, comme des Chevrolet. Je me souviens être allé voir Cul-de-sac de Polanski et avoir commencé à réfléchir différemment. Qu’y a-t-il de plus personnel que Les Quatre Cents Coups, Bergman, Fellini ? Aux Etats-Unis, Woody Allen s’est épanoui dans les années 70 et ce n’est pas un hasard. C’est la seule période à Hollywood où le pouvoir a été donné aux créateurs, comme une anomalie historique. De grands films ont existé durant l’ère des studios, mais un auteur comme Howard Hawks parlait-il à la première personne ? Et John Ford ? Ses idées et ses sentiments traversaient ses films, pourtant je ne crois pas qu’il ait parlé de sa famille dans le Maine. Deux anciens scénaristes des Soprano sont à la tête de séries majeures :

Matthew Weiner (Mad Men) et Terence Winter (Boardwalk Empire). Quels hé ritiers ! HBO avait laissé exister cet îlot de créativité dont nous avons tous profité. J’avais embauché Matthew après avoir lu son scénario du pilote de Mad Men. J’aime cette série, c’est une des seules que je regarde. J’y retrouve des histoires qu’il nous racontait sur son grand-père… Sinon, j’ai un peu regardé Treme, de David Simon, et la quatrième saison de The Wire. Ça prend un temps fou de suivre des séries, non ? Je n’ai quasiment jamais revu d’images des Soprano. Je vais m’y remettre, je suis de nature nostalgique. Tony passait son temps à mater la chaîne Histoire et regrettait même des choses qu’il n’avait pas connues… Un cliché veut que les séries négligent la mise en scène. Mais comme vos successeurs, vous avez développé une écriture très visuelle. Réfléchissezvous à la réalisation dès le scénario ? Ecrire une série, c’est beaucoup plus qu’écrire. J’étais sur le plateau à chaque épisode des Soprano. A la télé américaine, les réalisateurs n’ont pas une autorité immense sur ce qu’ils filment. Même les acteurs en ont plus qu’eux. Au cinéma, les studios embauchent une demi-douzaine de scénaristes pour écrire, réécrire, encore réécrire. Pas étonnant que cela devienne incompréhensible. Sur le petit écran, la personne qui décide de réparer un scénario est la même que celle qui le répare. C’est simple comme bonjour. Vous revenez aux affaires ? J’ai écrit un scénario de film que j’espère tourner bientôt, autour de la musique des sixties. Encore une affaire personnelle. Au début de ma vie adulte, deux événements ont tracé mon chemin de vie : le cinéma européen et l’invasion british. Avec les Beatles et les Stones, tout le monde a commencé à voir le rock’n’roll et la pop music comme un art. Votre autre projet s’intéresse au cinéma. Il s’agit d’une minisérie pour HBO sur l’histoire de deux pionniers à Hollywood : A History of Motion Pictures. C’est supposé être en même temps un thriller psychologique. Je suis encore en phase de recherche. On commencerait dans les années 1910, lorsque D.W. Griffith invente le langage du cinéma, jusqu’au moment où la télé devient énorme, un peu après Rio Bravo (1959). Quand les westerns ne se font plus qu’à la télévision, voilà la fin de l’histoire. 22.09.2010 les inrockuptibles 53

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humiliation dépression démission l’offre triple play de France Télécom

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Un ancien directeur régional raconte le plan machiavélique de l’entreprise pour faire partir 22 000 personnes du groupe sans avoir à les licencier. par Bernard Nicolas illustration Gazhole

’était en 2006. La femme, cadre supérieure chez France Télécom, entre comme une fusée dans le bureau de son supérieur hiérarchique : “Je te préviens, ici, il n’y a ni micros ni caméras. Je suis mandatée au plus haut niveau pour te dire que tu n’as plus rien à attendre de l’entreprise. On fera tout pour que tu partes, sinon, on te détruira !” Puis elle sort du bureau, laissant son chef, Christian, halluciné. Ce directeur régional de France Télécom, qui dirigeait 13 000 personnes, a longtemps hésité avant de nous raconter ce qui va suivre. Il a 57 ans. Il sait qu’il est le premier responsable à révéler ce qu’il a vu dans son entreprise. Ce qu’il décrit ? La mise en pratique, au sein du groupe France Télécom Orange, d’un management qui fait souffrir les salariés. Ce mois de septembre, cinq d’entre eux se sont encore donné la mort, portant à cinquante-huit le total des suicides depuis trois ans. Christian se souvient du jour, en 2004, où deux cents cadres et directeurs se sont retrouvés à Paris dans un amphithéâtre. Didier Lombard, le pdg de l’époque, leur présente le nouveau visage de l’entreprise : “Je vous préviens : les choses vont changer ! Je viens vous présenter ma nouvelle équipe. Elle va jouer dans un registre que vous ne connaissez pas : ça va être ‘le bon, la brute et le truand’. Le bon, il n’est plus là. La brute, continue-t-il en désignant le numéro 2 du groupe, Louis-Pierre Wenes, c’est lui. Et le truand, pointant du doigt le DRH Olivier Barberot, le voici !” Derrière la blague, Didier Lombard annonce le scénario pour les trois ans à venir : faire partir 22 000 personnes du groupe sans avoir à les licencier. Voici la recette : on incitera des salariés à démissionner ; on en mutera dans d’autres secteurs de la fonction

publique ; on signera des congés de fin de carrière. Dans la salle, Christian est bon public. Le rachat d’Orange en 2000 a plombé les comptes. La concurrence est féroce. Pour survivre, il faudra bien réduire les effectifs. Christian sait qu’il va recevoir des directives pour réaliser le projet du pdg : le plan Next. Quelques jours plus tard, cinq ingénieurs qu’il dirige sont appelés à Paris pour suivre un stage de management. Le jour de leur départ, Christian voit l’un d’eux, Philippe, embrasser son collègue et proche ami Serge. Dix jours plus tard, Philippe revient de son stage. “Au premier regard, se remémore Christian, je vois qu’il n’est plus le même. Il me regarde différemment. Il nous regarde tous différemment.” Philippe retrouve son ami Serge au déjeuner, qui lui demande comment s’est déroulé son stage. “Je t’expliquerai les nouvelles règles, répond Philippe. Je passe manager. Tout doit changer. – Comment ça, tout doit changer ? – Tu le verras rapidement. Selon nos patrons, on est trop nombreux ici.” Informé de cet échange, Christian convoque Philippe pour une explication. Elle se déroule dans le bureau de Christian, avec sa table en verre, son canapé, sa table basse ; mobilier corporate lisse et froid comme un bar à sushis. Christian harponne Philippe : “Tu as dit à Serge qu’on était trop nombreux, ici. Ça veut dire quoi ? – Toi qui es dans la hiérarchie, tu dois connaître : c’est le plan Next. Je fais partie des quatre mille qu’on a sélectionnés pour l’appliquer sur le terrain. J’ai un objectif clair : dans trois mois, on doit être dix ingénieurs de moins sur les trente que nous sommes.” Pour virer les dix ingénieurs, Philippe annonce : “On va leur faire comprendre que l’entreprise est en guerre et que dans toute guerre, il y a des morts. Et que bouger, accepter le changement, c’est la vie. – C’est ça qu’on t’a appris dans le stage ? –  Entre autres.” 22.09.2010 les inrockuptibles 55

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Le positionnement du salarié, et les phases du deuil intégration

énergie +

satisfaction -

Changement accepté, pas de nostalgie Changement plus considéré comme tel Action de soutien

satisfaction +

annonce e

Document distribué pendant les stages de management, pour suivre l’état psychique du salarié après l’annonce de sa mutation. Le suicide n’a pas été prévu.

refus de comprendre François Guillot/AFP

Incompréhension, négation, rejet total

Didier Lombard, pdg de février 2005 à février 2010 : “Je vous préviens, les choses vont changer. Ça va être le bon, la brute et le truand.”

résignation Absence d’enthousiasme et de convictions Attitude dubitative, nostalgie du passé

résistance Inertie, argumentation, révolte, sabotage

décompression Tristesse, absence de ressort Désespoir, dépression

énergie 32 EMF – Réussir act / février 2007 / Orga Consultants

Devenu manager, Philippe applique dans son équipe le plan Next. L’open-space qu’il anime est tourneboulé comme un cube. Stéphane, invisible ingénieur d’une équipe commerciale, dirige soudain Rodolphe, qui était son supérieur la veille. Thierry, un cadre qui refuse la promotion qu’on lui impose, se voit rétrogradé et placé sous l’autorité d’un de ses subalternes. Philippe ordonne, place et déplace les employés. Dans l’openspace, on commence à se regarder de travers. Des camps se forment. On se parle moins à la cantine. Dans son bureau, Christian reçoit des appels de sa direction parisienne. “On me conseille de fixer des objectifs inatteignables, pour pouvoir dire au collaborateur : ‘Je suis désolé, mais là, on ne peut plus continuer avec toi’…” Peu à peu, des infos lui parviennent des boutiques, des centres d’appels, des open-spaces chamboulés par le plan Next : ça va mal. Les salariés commencent à faire des dépressions. Des formules comme “au bout du rouleau”, “envie de suicide” remontent jusqu’à lui. Il décide d’alerter Paris et envoie des e-mails à la DRH du groupe. Christian ne reçoit aucune réponse. Jusqu’à ce matin de 2006 où Simone, membre de son équipe d’encadrement, débarque en trombe dans son bureau pour lui déclarer que sa hiérarchie ne veut plus de lui. A dater de ce jour, des cadres sous les ordres de Christian passent devant lui sans le regarder. Il se demande comment Philippe, bon et solidaire, a pu devenir en dix jours un manager capable de muter, tel un pion, un collègue avec qui il déjeune à midi. Il imagine de redoutables techniques de lavage de cerveau. Il en parle à Oscar, un cadre de la direction parisienne du groupe, qui lui a gardé son amitié. Christian ne peut pas mieux tomber : Oscar a participé au fameux stage où l’on a formé Philippe aux techniques pour mobiliser les employés et leur “faire accepter le changement”. Un soir, loin des bureaux, Oscar lui donne les fiches pédagogiques qu’il a reçues comme Philippe lors de leur stage parisien dans les locaux d’Obifive, une société internationale de coaching en management. Il découvre un curieux schéma. Un plan de la bataille d’Angleterre de 1940, qui vante la “précision” et la force de “l’exécution conf¡øorme” des avions de chasse allemands. Intrigués, nous demandons un rendez-vous

Dans l’open-space, on commence à se regarder de travers. à Céline Lerenard, la directrice associée d’Obifive : “Ce n’est pas un peu bizarre, de comparer les concurrents de France Télécom à des avions allemands ? – Vous avez mal compris. On voulait faire ressortir la solidarité qui existait entre les pilotes et les mécaniciens de la Royal Air-Force. – Pardon, mais ça, ça n’est écrit nulle part. Ce qu’on voit, ce sont des avions de la Luftwaffe bombardant des villes en Angleterre. – Alors vous avez mal compris.” Des témoins, des employés de France Télécom qui ont participé au stage, racontent une autre histoire : “Les formateurs expliquaient que nous étions en guerre. D’abord, on nous montrait l’Angleterre prise en tenailles par les nazis. Ensuite, on nous montrait Orange prise en tenailles par Free, par Bouygues et par Nokia…” Nous rencontrons Bruno Diehl à Paris. Conseiller en management de l’équipe du pdg de France Télécom jusqu’en 2007, il a écrit en mai 2010 un livre montrant comment, à partir de l’an 2000, un management déshumanisé a plombé l’entreprise. Diehl était en relation avec des formateurs qui animaient les stages de management. Il nous décrit des stages efficaces et vivants, concrets, pleins d’exercices pratiques inspirés de la réalité. Par exemple, on proposait aux stagiaires de réduire de moitié les effectifs de leur plate-forme : vingt-cinq personnes à faire partir. Sur ces vingt-cinq, l’une avait une mère atteinte d’une maladie grave. Il va la voir chaque jour et sa mutation doit l’envoyer à plus de 100 kilomètres. Exercice : “Comment vous y prenez-vous pour le faire partir ?” Après quoi, le formateur donnait la réponse. Il faut, disait-il, faire comprendre avec humanité l’importance de ce choix : soit le collaborateur emmène sa mère avec lui, soit il démissionne pour rester auprès d’elle. “Culpabilisé, le collaborateur prendra lui-même la bonne décision : démissionner.” Christian découvre un second document. Celui-là prouve que France Télécom savait que ses employés allaient inévitablement perdre leurs repères, puis

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D’autres documents de management établissent un parallèle entre l’agression nazie contre l’Angleterre en 1940 et la prise en tenailles de France Télécom par ses concurrents Nokia, Free ou Bouygues.

leur moral. C’est une belle courbe, signée Orange et Orga Consultants, une autre société de coaching en management. Elle s’intitule “Les phases du deuil”. Cet outil devait permettre au manager de comprendre l’état psychique du salarié qui subit une mutation forcée dans une ville éloignée ou dans un autre service. La “courbe du deuil” définit six étapes : l’annonce de la mutation, le refus de comprendre, la résistance, la décompression, la résignation et, pour finir, l’intégration du salarié. Le manager est averti : en phase 3, la “résistance”, l’employé peut se livrer à des actes de sabotage. Puis en phase 4, la “décompression”, il va chuter dans le désespoir et la dépression. La légende, sous la courbe, conseille au manager de faire entendre à son employé dépressif que “l’évolution des besoins est à la source du changement”. En français, que sa mutation est inévitable. Ces dépressifs programmés, Christian en a repéré plusieurs au sein de la boîte. Ce que les dirigeants n’avaient pas prévu, c’est que cinquante-huit d’entre eux, au lieu de se laisser accompagner par leur manager jusqu’en phase 6, celle de “l’acceptation du changement”, iraient jusqu’au suicide ou à la tentative de suicide. Dans son bureau, à Arcueil, Val-de-Marne, nous interrogeons la directrice exécutive adjointe du groupe France Télécom Orange, Delphine Ernotte. “Qu’est-ce qu’un outil comme la ‘courbe de deuil’ vient faire entre les mains d’un manager ? – Ce qu’on voulait, c’était accompagner au maximum les employés. Mais peut-être était-ce maladroit. – Vous aviez prévu des dépressions : c’est écrit dans les documents. Vous auriez pu prévoir que certains allaient craquer, non ? – Non. On ne l’a pas du tout imaginé.”

“On va leur faire comprendre qu’on est en guerre et que dans toute guerre il y a des morts.”

Un matin de 2007, Christian est convoqué place d’Alleray, à Paris, le siège du groupe. Sur le courrier recommandé, aucun détail sur le motif de la convocation. Une fois sur place, il cogne à la porte du DRH du groupe, Olivier Barberot, qu’il connaît et qu’il tutoie. Mais Barberot ne le reçoit pas comme d’habitude. Il le vouvoie : “Monsieur, vous deviez vous présenter hier, vous ne l’avez pas fait. Cela nous contraint à engager une procédure disciplinaire. A moins que vous n’acceptiez de signer votre départ de l’entreprise.” Christian écoute le DRH, accompagné d’un assistant, lui vanter l’intérêt d’un départ à l’amiable. Au bout de quelques phrases, Christian explose : “Je n’imaginais pas que vous étiez capables d’une saloperie pareille ! Vous êtes des salauds mais vous avez gagné : je ne veux plus vous voir. Je ne veux plus travailler avec des gens comme vous.” Puis, sur ces mots, Christian signe son départ, quitte l’immeuble en pleurant et prend le chemin d’une autre vie. Après la révélation, l’an dernier, du scandale des suicides en série, Olivier Barberot, qui gérait la carrière de 200 000 employés du groupe, a été déplacé au poste de pdg d’une filiale de sept-centcinquante personnes. Nous n’avons pas réussi à le joindre pour entendre sa réponse au récit de Christian. Mais nous avons pu parler au téléphone à un communicant du groupe France Télécom Orange. Nous l’informons que Les Inrocks ont recueilli le témoignage d’un de leurs anciens directeurs régionaux, et que celui-ci, pour ne pas exposer sa nouvelle carrière, préfère taire son nom dans l’immédiat. “Ne connaissant pas ce monsieur, il nous est difficile de répondre à ce qu’il dit avec précision. Des dérives dans la politique d’objectifs ? Oui, il y en a eu. Qu’à un endroit, ça ait pu exister, c’est possible. Mais il ne faut pas généraliser. Cela ne relève d’aucune politique malsaine.” Ce mois de septembre, les suicides continuent chez France Télécom. Pour corriger ses erreurs, la direction réforme. Le nouveau pdg, Stéphane Richard, a confirmé la fin des mutations forcées du personnel, le retour à un management plus humain. On nous assure qu’il n’y a plus de contrats avec Obifive et Orga Consultants. Ces sociétés de coaching ne formateront plus les managers du groupe avec la bataille d’Angleterre et la “courbe du deuil”. „

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Ici en plein effort, Romain Monnery est l’auteur de Libre, seul et assoupi, récit quasi autobio de la vie sans le travail.

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le travail

non merci !

Jeunes, éduqués et lucides, ils ont choisi de braver une norme sociale fondamentale : ils ne bossent pas et ils l’assument. Même s’il faut manger des pâtes et compter ses amis. par Marc Beaugé photo David Balicki

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l est assis en terrasse, comme un touriste. Il prend son temps, il lit tout doucement Le Parisien. Aujourd’hui, Grégoire ne travaille pas. Il ne travaillera pas davantage demain. A vrai dire, il a arrêté ce genre d’âneries en 2005. Depuis, rien, pas une seule rechute, ou si petite. “En cinq ans, affirme-t-il, j’ai bossé une semaine, au black, pour rendre service à un pote qui a sa propre boîte. Mais je n’ai plus envie, pour l’instant en tout cas. Je ne veux vraiment pas bosser.” A l’heure où il partait autrefois au boulot, Grégoire s’est donc trouvé une nouvelle activité : il s’installe au café en bas de chez lui et observe le monde du travail qui se met en branle. “Comme ça, je mesure ma chance”, dit-il en rigolant. Il est 9 h 30, sa journée de non-travail commence. Grégoire, informaticien de formation, n’est pas chômeur à proprement parler puisqu’il ne cherche pas le moindre job, et aurait même tendance à fuir les occasions qui se présentent. Ce n’est pas non plus un feignant complet puisqu’il se lève le matin, qu’il a des projets personnels (de type informatique) et qu’il lui arrive même d’en mener certains à terme. Grégoire n’est pas davantage un rentier

de haut vol, il n’a rien sur son compte. Grégoire non-travaille, simplement. Il n’est pas le seul. En quelques jours, nous avons rencontré Mathieu, Vincent, Daniel, Nicolas, Amélie et Cécile, une fille formidable. Nous avons aussi parlé au téléphone avec François, Cédric et Luc. Tous ont entre 25 et 40 ans. Tous ont travaillé et en sont revenus. Aucun jure qu’il ne replongera plus jamais, mais tous ont choisi de se mettre en réserve du marché de l’emploi pendant quelques années. Ils affirment connaître plusieurs personnes qui ont fait le même choix. Dans un roman qui vient de paraître, Libre, seul et assoupi, Romain Monnery dresse le portrait de cette génération qui rejette le monde du travail à force d’être rejeté et maltraité par lui. Il dit le bonheur de cette vie sans boulot, les lectures, la musique et la masturbation. Il en raconte aussi les travers, la vie sociale en danger, la vie amoureuse en péril et les Snickers aux heures de repas. Il est midi. Après avoir lu, rangé et beaucoup glandé, Grégoire est aux fourneaux. Il fait de son mieux : aujourd’hui, du riz et un steak haché étiqueté Dia, le label d’Ed, enseigne discount de Carrefour. “Maintenant, Charal, c’est un luxe pour moi, s’amuse-

t-il. Sérieusement, je fais gaffe à tout. Le seul plaisir que je m’autorise, c’est le café en terrasse le matin. Mais j’optimise. Je prends aussi les sucres, le verre d’eau et je lis le journal. Hormis ça, je n’ai aucune dépense superflue.” Lorsqu’il travaillait, Grégoire gagnait un peu plus de 2 000 euros par mois. Au chômage, il a touché environ 1 200 euros pendant presque deux ans. Aujourd’hui, il bénéficie du RSA et d’une aide au logement de la CAF pour un total mensuel de 648 euros. Son loyer s’élevant à 410 euros, il vit à Paris avec 238 euros par mois. Mais il n’est jamais dans le rouge et ne doit d’argent à personne. “La règle de base veut que l’on passe beaucoup de temps chez soi. C’est dehors que l’on dépense.” En tant que titulaire du RSA, il ne paie pas la taxe d’habitation et bénéficie d’une protection médicale et de l’accès gratuit aux transports et à de nombreux musées. Pour le reste, il se débrouille. Il est devenu un peu radin, de son propre aveu. Il note chacune de ses dépenses. Il a interrompu tous les prélèvements automatiques sur son compte et négocie toujours l’étalement des factures d’eau ou d’électricité. Il revend tout ce qui ne lui sert plus. Il a un téléphone portable, mais pas de forfait. Il achète des cartes

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Les bonheurs de la vie sans boulot : lecture, musique, masturbation. Mais vie sociale en danger. prépayées quand il ne peut pas faire autrement. Il fait les vide-greniers. Il porte des vêtements d’occasion. Grégoire a surtout arrêté de fumer. Dans cette situation, chacun improvise et développe ses propres techniques de quasi-survie. Quand elle sort avec des amies, Amélie, ancienne rédactrice dans la publicité, ne se paie pas à manger : elle boit des bières, qui coupent la faim. Daniel, journaliste à l’arrêt, fait des affaires avec de vieux disques achetés sur eBay qu’il revend ensuite dans des brocantes. Nicolas, commercial de formation, mange parfois à la cantine de son ancienne entreprise. “Cette sortie de la société de consommation ne me pose aucun problème, reprend Grégoire. Au contraire, c’est une bonne

façon de dénoncer cette frénésie d’achat. Quand je travaillais, je dépensais tout, j’achetais des vêtements, des bricoles, des choses dont je ne me sers absolument plus. J’ai fait le tri et n’ai gardé que l’absolument indispensable. Je n’ai qu’une obsession : pouvoir payer mon loyer. Dans ma situation, cela devient une telle galère de trouver un appart qu’il faut être clean à ce niveau-là.” En guise de dessert, il y a de la fausse Danette. Grégoire mange assis sur un tabouret. Dans son studio du XIXe arrondissement de Paris, d’environ 20 mètres carrés, des livres, tous de poche, sont entassés, et un coin pour l’ordinateur a été aménagé. Bizarrement, aucun poster des Simpson au mur.

“Ouais, je sais bien que l’image du type qui ne bosse pas est celle d’un grand ado attardé, qui regarde des dessins animés toute la journée. Mais ce n’est pas ça. J’ai 38 ans. Pendant neuf ans, j’ai travaillé. J’étais consciencieux, professionnel. J’y ai même pris du plaisir au début. Je ne suis pas inadapté au travail mais, au fil des ans, j’ai senti monter l’ennui, la frustration. Les cadences se sont accélérées. J’ai décidé d’arrêter au terme d’un CDD. On m’en a proposé d’autres. J’ai refusé. J’avais très peur pour l’argent, mais la frustration, la souffrance liées au travail me semblaient trop grandes. Je ne pouvais plus me forcer. J’ai refusé le diktat du bonheur par le travail. Je pense qu’on peut être heureux et équilibré autrement.” Tous dressent le même diagnostic, parlent d’un monde du travail de plus en plus violent. Comme Grégoire, Nicolas affirme que “tout ça n’a plus de sens. Les patrons sont devenus hyperfrileux, donc ils te mettent sur un projet, ils attendent beaucoup de choses de toi et en même temps ils ne te donnent pas les moyens financiers de réussir. Cela se traduit automatiquement par des frustrations”. Pour François, graphiste 22.09.2010 les inrockuptibles 63

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Grégoire vit avec 648 euros par mois. Il n’est jamais dans le rouge.

au repos, “le monde du travail s’est beaucoup durci ces cinq dernières années, on demande aux gens de tout faire très vite, peu importe la qualité. On se fiche que tu fasses de la merde”. Dans son livre Libre, seul et assoupi, Romain Monnery raconte comment un poste de rédacteur dans une boîte de prod s’est transformé en un quasi-job de femme de ménage… La semaine dernière, Grégoire a achevé, pour le plaisir, un obscur boulot de “programmation informatique qui lui tenait à cœur” et avoue traverser “une période un peu plus glandeuse que d’habitude”. Cet après-midi, il lit encore, il écoute de la musique. Si nous n’étions pas là, il ferait sans doute une sieste. Mais un pote va passer en fin d’aprèsmidi : c’est presque un événement. “En quittant le monde du travail, on renonce à un vecteur de socialisation, dit Grégoire. On sort moins, on voit moins de monde. Comme on n’a plus d’argent, on n’organise plus de repas à la maison, on ne va plus au restaurant, il n’y a pas de vacances entre potes. Il faut supporter cette solitude, sinon on est malheureux. Avec les filles, c’est compliqué aussi. Ma dernière copine a accepté la situation pendant quatre mois, puis elle s’est barrée. C’était pas un problème d’argent. Elle ne comprenait pas que je ne fasse rien. Elle pensait que je ne serais jamais capable du moindre enthousiasme amoureux si je ne manifestais aucun enthousiasme pour le boulot. Je la faisais flipper.” De fait, sur la dizaine de personnes que nous avons interrogées, seules deux sont engagées dans une relation durable et elles n’ont quitté le monde du travail qu’il y a un an. Outre la pression financière, une vie hors du monde du travail génère des pressions sociales et psychologiques en

tout genre. Le pote de Grégoire, informaticien lui aussi, vient d’arriver. Il s’y met déjà. “Quand est-ce que tu te reprends en main ? Franchement, tu ne devrais pas te laisser aller comme ça.” Les amis et la famille s’inquiètent, à tour de rôle ils s’énervent, ils s’en foutent, ils enragent, ils cherchent à culpabiliser. “Sarkozy a exalté la valeur travail comme jamais. J’ai vraiment senti un durcissement depuis trois ans. Si on ne contribue pas à l’effort, on est coupable de quelque chose.

On vole de l’argent. Même ma mère m’a dit cela un jour. On doit expliquer sans arrêt qu’on n’a pas de problème, qu’on a juste décidé, l’espace de quelques années, de ne pas se plier à la norme. A force, se justifier devient presque un travail en soit.” Il en sourit. Il est 18 heures, le pote est reparti. Une journée de non-travail s’achève. Libre, seul et assoupi de Romain Monnery (Le Diable Vauvert), 308 pages, 18 €

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la force de l’inertie “Pourquoi fait-on quelque chose plutôt que rien ?” Philosophes, sociologues et écrivains s’interrogent.

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uck work”, le slogan d’un mouvement d’esthètes anglais rassemblés sous la bannière du journal annuel The Idler, donne le ton d’une tendance sociale de plus en plus marquée : le refus du travail. Des citoyens assument le risque de vivre à la périphérie du monde social au nom du refus de ce que le travail leur balance à la gueule : humiliations, mépris, infantilisation (lire aussi notre article sur les méthodes de management de France Télécom, pp. 54 à 58). Toute la littérature récente sur le thème de la souffrance et des suicides au travail en forme un symptôme éclairant : de Marie-France Hirigoyen à Christophe Dejours, les réflexions sur l’usure mentale subie par le salariat attestent le tournant pris par l’organisation du système capitaliste.

La thématique de la libération personnelle surgit de loin, surtout de la fin du XIXe siècle. Paul Lafargue, inspiré par Proudhon et Marx, démystifiait dès 1880, dans son fameux Droit à la paresse,

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la valeur travail ; l’auteur anglais Jerome K. Jerome complétait sur le mode de l’humour cette charge subversive à la même époque dans Eloge de ma paresse (1898) ; le philosophe Bertrand Russell, creusait ce sillon antiproductiviste dans Eloge de l’oisiveté en 1932. Cause des grands maux du monde moderne pour ces auteurs, le travail a suscité des rejets à la mesure de ses espérances trahies. Un jeune philosophe, Guillaume Paoli, auteur il y a deux ans d’un Eloge de la démotivation (éditions Lignes), met parfaitement à jour les mécanismes de résistance mis en place par des citoyens dégoûtés qui contestent les préceptes de notre époque : vitesse, énergie, appât du gain… “Dans tous les secteurs de la société actuelle, la bataille pour la motivation fait rage”, écrit-il. Pour Paoli, “l’inertie est aussi une force”, et il y a des vertus dans la suspension de l’activité. “Au lieu de faire quelque chose à tout prix, de s’activer, de s’agiter en tout sens, il est dans certaines situations grandement préférable de se poser

la question : pourquoi fait-on quelque chose plutôt que rien ?” Plutôt que de se laisser enfermer dans une simulation d’épanouissement, il est préférable de penser “à tout ce qui peut apporter une satisfaction sans pour autant avoir de valeur marchande, ni même d’utilité”. Cette manière de penser l’exode du salariat fut l’un des thèmes privilégiés d’une certaine gauche critique dans les années 70. De Félix Guattari, qui invitait à libérer l’imagination dans une “production de subjectivité”, à André Gorz, penseur pionnier de l’écologie politique et de l’antiproductivisme, il existe une tradition théorique forte sur le sujet. L’anticapitalisme de Gorz, prolongé aujourd’hui chez beaucoup de penseurs et de revues (Multitudes…), débouche sur une critique de la valeur travail. Le refus du travail, c’est la possibilité de vivre grâce à un revenu de base inconditionnellement garanti. C’est moins la paresse que l’énergique élan vers une conception renouvelée des rapports sociaux et du bonheur individuel qui motive les “démotivés”. En dehors du travail, un autre monde est possible, où même l’ennui devient un plaisir, où l’oisiveté offre des possibilités créatrices. Jean-Marie Durand

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Xavier Dolan l’intrépide Le cinéma canadien a enfanté un petit prodige. A 21 ans, Xavier Dolan a imposé en deux films une fraîcheur de ton et une virtuosité d’écriture emballantes. Rencontre avec l’auteur de J’ai tué ma mère et Les Amours imaginaires. par Pierre Siankowski photo John Londono ontréal, vers midi. Le jeune Xavier Dolan pénètre dans l’un des restaurants branchés de la rue Saint-Laurent. Petit soupir complice, la soirée d’hier a visiblement été dure. La banane à la Morrissey du nouveau wünderkid du cinéma québécois, tout juste 21 ans, n’en a pourtant pas souffert. Son deuxième long métrage, Les Amours imaginaires, présenté au dernier Festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard, vient de sortir ici en salle. Il est en couverture de presque tous les magazines et les critiques sont très bonnes. Son premier film, J’ai tué ma mère, qu’il a commencé à écrire à l’âge de 17 ans, a été l’événement de la Quinzaine des réalisateurs en 2009, toujours à Cannes, véritable lieu de naissance cinématographique du jeune metteur en scène. Au Québec, il a été récompensé par quatre Jutra, l’équivalent de nos César. Juste avant de commencer à dérouler son

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Non, mais laissez-moi… non, mais laissez-moi… coiffer ma banane

histoire avec nous, Xavier Dolan souhaite commander quelque chose à manger. Alors qu’il choisit, une femme, empourprée, l’interpelle : “Monsieur Dolan, je ne savais pas si c’était vous… Je voulais vous dire que j’ai vu votre film, j’ai trouvé ça tellement beau… Merci. Je vous dit ça mais je n’ai rien à voir avec le cinéma… Je vends des lunettes, je m’appelle Julie.” Le réalisateur est touché et gêné à la fois. Il lui répond que l’on n’a pas besoin d’être dans le cinéma pour aimer ça. Xavier Dolan est né à Montréal en 1989. Ses parents divorcent quand il a 2 ans et demi. Entre 7 et 13 ans, il est scolarisé dans un pensionnat “à la campagne”. Il revient à Montréal pour le lycée, à Longueil, l’une des grandes banlieues de la ville – celle-là même où Arcade Fire a donné son concert de retour sur un parking de supermarché cet été. “Mon enfance s’est déroulée entre la campagne et la ville. Mes premiers souvenirs, c’est les bords du fleuve Saint-Laurent, dans le chalet de ma grand-tante, la sœur de ma grand-mère.

“Je fais des films intimes. Donc j’assume tout, les trouvailles comme les ratés.”

J’ai passé tous mes étés chez elle jusqu’à l’âge de 13 ans. C’est là que s’est construit mon rapport à la nature, je goûtais à une certaine liberté environnementale. Ma grand-tante était une femme très religieuse, extrêmement aimante, qui avait étudié à la Sorbonne et enseigné au Burundi pendant des années. Elle portait des valeurs intéressantes bien que dichotomiques avec certaines de mes préférences sexuelles. J’ai eu une enfance assez heureuse et des rapports avec mon père plutôt houleux. Ça s’est inversé à l’adolescence, selon une logique œdipienne, j’imagine. J’ai désormais une relation plutôt amicale avec lui, alors qu’avec ma mère, c’est devenu beaucoup plus compliqué.” Il poursuit : “Mon père travaillait dans le milieu du cinéma. C’est grâce à lui que j’ai commencé à en faire ainsi que de la télévision.” Au Québec, on peut ainsi entendre la voix de Xavier Dolan dans Harry Potter ou Twilight. Très jeune, il fut aussi l’enfant emblématique des publicités pour la chaîne de supérettes Jean Coutu. Son nom est apparu au générique de séries télévisées. “Mon visage était très populaire grâce à ces publicités. Je jouais un enfant terrible, Maxime, qui déambulait dans les rayons du magasin. J’avais entre 6 et 9 ans, je ne voyais même pas la caméra, je m’amusais.” Entre 13 et 17 ans, Dolan vit sa phase “trop petit, trop jeune, trop grand, trop vieux”. Il ne correspond plus aux critères des castings, il traverse une “zone grise” durant laquelle il n’est “plus l’évidence”. “C’était une période difficile. De toutes les drogues dures que

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Premierfilm et premier succès : J’ai tué ma mère (2009), une comédie crissante sur l’amour/haine d’un jeune gay et sa mère (ici, Anne Dorval). Pubs, séries télé : Xavier Dolan enchaîne les tournages dès l’âge de 6 ans. Ici dans une pub très kitsch pour la chaîne de supérettes Jean Coutu.

j’ai essayées, jouer la comédie crée la dépendance la plus forte”, explique Xavier Dolan. Alors il écrit seul. “Des scénarios de séries télé très médiocres, dans le genre Rosewell ou The OC, qui se passaient à L.A. ou à New York, des trucs débiles…” Son père rencontre la script editor Camille Tremblay, qui va lui apprendre l’écriture. “Elle passait mes textes à la moulinette et m’a donné une vraie discipline dans ce domaine.” La sœur de sa nouvelle belle-mère, Odile Tremblay, est critique de cinéma et signe dans le meilleur quotidien québécois, Le Devoir. Toutes les deux initient le jeune Xavier au cinéma et à la littérature en le “gavant comme une oie” de références. Il découvre Truffaut, Visconti, Kieslowski, Tarkovski, Wong Kar-wai. Il lit Duras, Barthes. “Je leur dois beaucoup. J’aurais pu passer ma vie à regarder des films avec Jennifer Lopez ou à me trouver extrêmement brillant en lisant Amélie Nothomb, plaisante Dolan. Ce fut une période de révolte épidermique, durant laquelle supporter mes parents devenait presque un effort surhumain. En même temps, je me sentais coupable ; je suis persuadé que l’adolescent moyen est très conscient de sa méchanceté, de sa névrose, de sa monstruosité. C’est ce que j’ai essayer de montrer dans mon premier film.” Xavier Dolan interprète lui-même cet adolescent ingrat, horrible et mal dans sa peau, rongé par la culpabilité. Dans ses films, il fait tout : écriture, réalisation, mise en scène, jeu, costumes, décor. “J’ai un côté control freak. On n’a pas de temps, pas d’argent, alors à quoi palabrer, e rgoter ?” Son deuxième film raconte la façon dont Dolan s’est “cassé la gueule en amour”. “Je fais des films intimes et j’ai envie de tenir les rênes jusqu’au bout. Donc j’assume tout, les trouvailles comme les ratés. C’est normal.” Le jeune réalisateur impressionne ses acteurs : “En une seule journée, il fait du doublage, assiste à un dîner d’affaires, regarde un film, reçoit un prix, console une amie, sort toute la nuit, se couche à 7 heures du matin, se lève une heure plus tard, écrit un scénario et rédige une demande de subventions pour son prochain film”, explique Monia Chokri, qui tient le rôle féminin des Amours imaginaires. Dans le film, Dolan, également interprète, part à la conquête impossible de Nicolas, joué par Niels Schneider, un sosie blond de Louis Garrel vu aussi dans J’ai tué ma mère. Schneider : “J’ai le souvenir d’un adolescent qui maniait le verbe tel un dandy du XIXe siècle. Il m’a parlé de J’ai tué ma mère et je me suis dit que ce type allait finir assassin psychopathe ou grand

Un bogosse (Niels Schneider) disputé par un jeune gay (Xavier Dolan) et sa meilleure amie (Monia Chokri) : Les Amours imaginaires, sortie le 29 septembre.

réalisateur. Il m’a donné une carte de visite, je suis sorti fumer une cigarette. Plus tard, j’ai jeté toutes les autres cartes que j’avais pour ne garder que la sienne.” Son troisième film, Laurence Anyways, est déjà en route. Le scénario est prêt. L’histoire d’un couple dont la relation sera bouleversée quand l’homme décidera de devenir une femme. Louis Garrel, qui fait une apparition dans Les Amours…, devrait être au casting. “Certains acteurs de mon troisième film apparaîtront dans le quatrième. J’aime bien instaurer une communication entre mes films.” Le jeune homme maîtrise son œuvre, son parcours. “J’ai besoin de savoir où je vais. Le cinéma n’est pas un divertissement, c’est sérieux. Je n’aurais pas l’insolence de m’embarquer là-dedans si je ne savais pas où je veux emmener mon œuvre. Ça m’intéresse beaucoup plus que de parler de moi.” Les critiques ? “J’en ai reçu de bonnes et de très mauvaises. Ça ne me touche pas vraiment.” Il avoue pourtant avec un large sourire taper souvent son nom sur Google. Il est 14 heures, il a rendez-vous mais se donne le temps d’une cigarette et évoque sa passion actuelle pour Jane Campion. “Je regarde tout ce qu’elle a fait, même les courts métrages.” Il écrase son mégot, serre la main, file son mail et disparaît dans Montréal. Deux ados se retournent sur son passage : “C’est Xavier Dolan, non ?” Les Amours imaginaires de Xavier Dolan, avec lui-même, Monia Chokri, Niels Schneider (Canada, 2009, 1 h 35), en salle le 29 septembre 22.09.2010 les inrockuptibles 69

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guerre de la coke en Jamaïque Pour arrêter Dudus, le prince de la coke, l’homme le plus puissant de la Jamaïque, la police a déclenché une miniguerre civile. Nous voici dans le ghetto, son ancienne forteresse, pour vous raconter la traque. par Suzanne Fenn avec la collaboration de Roger Sacrain photo Daniel Lainé

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Michael Kamber/The New York Times/REA

Pour la première fois, l’armée va réussir à prendre d’assaut le ghetto de Tivoli.

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Dudus faisait peur mais, à Tivoli, il distribuait le travail, répartissait le butin, finançait les études des enfants et servait de sécurité sociale. En cas de coup dur, il soutenait ses affidés ou leurs veuves. A la fois aimé et craint : c’est ainsi, selon Machiavel, que l’on mène le mieux les peuples. Dudus parle de lui-même à la troisième personne, disant “le Président” pour

Les femmes de Tivoli manifestent contre l’arrestation de leur bienfaiteur, le parrain de la coke. L’armée va vider le ghetto de sa population mâle.

Mark Brown/EPA/Corbis

Ian Allen/AP/Sipa

L

a voiture avance dans l’effrayant ghetto de Tivoli, le quartier le plus violent de Kingston, capitale de la Jamaïque. Nous ne sommes pas rassurés. Ce dimanche 1er août au matin, les rues paraissent calmes, presque désertes. Les quelques passants, les enfants qui jouent nous dévisagent, nous les deux Blancs, Daniel le photographe et moi. Le chauffeur prend par Darling Street, s’arrête devant un HLM rose. Il interpelle en patois un petit garçon qui, après autorisation de sa mère, nous servira de guide. Nous commençons une lente traversée du ghetto. Le petit garçon nous montre les ravages : partout des murs mitraillés, des entrées d’immeubles noircies par le feu. Parfois, une porte battante sur une pièce intacte, comme si la vie s’était arrêtée. Tout cela parce que la police jamaïcaine a voulu arrêter Dudus. Christopher “Dudus” Coke, alias le Président, alias Shortman, alias Bossy, était l’homme le plus puissant de la Jamaïque. Le Premier ministre lui-même le savait, qui avait besoin de son argent et des voix de Tivoli. De ce ghetto, son fief jusque-là inexpugnable, il régnait sur un empire de trafic – la drogue et les armes – de New York à Miami, du New Jersey à la Pennsylvanie, du Canada à la Grande-Bretagne. Son gang, le Shower Posse, assassinait qui le gênait.

se désigner, “le Système” pour parler de sa forteresse de Tivoli. Il a 42 ans. Trapu, baraqué, c’est un homme d’organisation et de violence extrême. Son gang figure parmi les plus impitoyables de Jamaïque, pays qui s’y connaît en matière de fusillades et d’assassinats. Lors d’un raid dans les bureaux de Dudus, la police a trouvé un crocodile au milieu du jardin. Imparable méthode pour faire disparaître les corps des victimes ? Il va falloir autopsier le saurien. Les mêmes qui vantent son intelligence et son exceptionnelle capacité de contrôle décrivent aussi Dudus comme un timide,

un trouillard, obsédé par sa propre sécurité. Mais tous soulignent qu’à l’université, ses professeurs le tenaient pour un génie en mathématiques : l’homme est complexe. Pour tout dire, il lit beaucoup, ce qui n’est pas si fréquent chez les gangsters. Dudus est un Don. Ainsi nomme-t-on l’aristocratie des gangs, don comme dom dans la noblesse espagnole, comme dominus en latin : le seigneur. Au printemps 2010, cela fait longtemps que les gouvernements américains en ont assez des trafics, des extorsions et de la coke. Au début, dans les années 70,

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Norman Grindley/AP/Sipa

Les soldats détruisent les barricades piégées au gaz explosif par le gang.

Ho New/Reuters

Pour se cacher, Dudus, le chef du gang, se serait déguisé en vieille bigote.

Lors d’un raid, la police a trouvé un crocodile au milieu du jardin. Pour faire disparaître les corps ? la CIA avait encouragé le père de Dudus et son gang afin de nuire à la gauche alors au pouvoir en Jamaïque. Le gang passe bientôt de l’herbe à la cocaïne : 20 % de “l’épouse blanche” de Colombie transite par l’île. Puis débute le commerce du crack avec ses inévitables conséquences : le crime organisé. On dénombre plus de 1 400 meurtres sur le territoire des Etats-Unis, sans parler des morts par overdose, du racket et de la prostitution. Le gouvernement américain finit par réclamer l’arrestation et l’extradition de Dudus. Mais, en Jamaïque, les gangs et les partis sont liés. Gangs de gauche

ou gangs de droite, ils financent la politique, rameutent les électeurs. En échange : l’impunité. Le gang de Dudus, lui, est proche de Bruce Golding, l’actuel Premier ministre de l’île. Ils sont si proches que Golding engage un cabinet d’avocats qui s’efforce d’empêcher l’extradition du Don de Tivoli. Sans succès. Un député de l’opposition révèle le scandale. La pression américaine se fait de plus en plus vive. Le 17 mai 2010, le Premier ministre cède enfin : il annonce à la télévision qu’il va signer le mandat d’arrêt de Dudus et un ordre d’extradition vers les Etats-Unis, – ce qu’il fait le

lendemain. L’homme le plus puissant de la Jamaïque a peur et il a raison : s’il ne se rend pas, ou même s’il se rend, la police pourrait bien l’abattre comme un rat. Il n’oublie pas que son père, le fondateur du gang, a fini mystérieusement brûlé vif dans sa cellule en attendant l’audience qui devait, déjà, décider de son extradition chez les Yankees. Dudus refuse de se livrer. Comment l’arrêter ? Dans la forteresse de Tivoli comme dans les quartiers voisins, des femmes et des enfants manifestent avec des pancartes : “Foutez la paix à Dudus”, “Dudus, nous mourrons pour toi”, “Après Jésus-Christ, notre Dieu, c’est Dudus.” Police et armée, milices du Don, dans les deux camps, on hésite. A Tivoli, la défense s’organise. On construit des barricades que l’on farcit de tubes explosifs reliés à une batterie. On dispose des bombes dont les spécialistes du FBI diront plus tard qu’ils n’en ont vues de pareilles que chez les islamistes d’Irak ou d’Afghanistan. Sacs de sable, meurtrières, snipers planqués sur les toits, Dudus a pensé sa stratégie. Il n’avait pas prévu que des bandes mal contrôlées attaqueraient les premières. Des groupes furieux se ruent sur un commissariat, l’incendient, puis sur un deuxième, puis sur quatre autres. Dans l’élan, ils ont tué un officier de police. Ils repartent avec des uniformes, des armes, des gilets pare-balles. Des malins volent même une voiture dans un commissariat. Mauvaise idée : leurs frères les prennent pour de vrais flics et les descendent quand ils arrivent à Tivoli. Les gangs s’attendent à une réplique immédiate. Rien du tout. La nuit tombe, la surveillance se relâche, beaucoup dorment. Très tôt, le 24 mai, l’armée 22.09.2010 les inrockuptibles 73

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Dans le ghetto, le quartier des plus pauvres.

Le révérend Al Miller va négocier la reddition de Dudus.

part à l’assaut. L’armée, pas la police qui se tient en retrait ; pas une perquisition monstre, mais la guerre. Les soldats mitraillent sans sommation. Quelques hommes ripostent. Mais ceux-là sont des mercenaires que Dudus avait payés pour l’occasion puis abandonnés : le plus gros de ses soixante-dix permanents a disparu. “Nous nous attendions à plus de résistance”, me dit un jeune militaire. A Tivoli, le petit garçon qui nous sert de guide nous a amenés dans l’appartement minuscule de sa mère. Elle a dix enfants. La grand-mère nous rejoint. Les deux femmes racontent : “Les soldats ont commencé à tirer. Les lumières se sont éteintes, le noir absolu. On n’entendait que les cris et les coups de feu. Puis ils ont défoncé les portes. Ils laissaient les femmes à l’intérieur, sortaient les garçons, 15, 16 ans. Il y avait chez nous un jeune paysan qui était passé nous faire une visite. Ils l’ont jeté dehors et lui ont dit de courir. Naïf, le gars a couru. Ils l’ont fusillé dans le dos.” “Tout est détruit, ravagé, reprend la grand-mère, ils ont brûlé le marché. On a faim, pas d’argent, rien pour envoyer les enfants à l’école.” Plus loin dans le ghetto, d’autres femmes dénoncent des horreurs semblables, des garçons battus jusqu’au sang devant leur mère, des bombes dans les maisons. Après le choc de l’armée, la police ratisse le quartier porte à porte. Elle embarque tous les hommes et les adolescents, deux mille personnes, dont des blessés, parqués dans une arène couverte, sans sanitaires ni médecins. Il ne reste que des femmes à Tivoli. Exagèrent-elles ? En tout cas, au vu des impacts et des destructions, leurs témoignages semblent vraisemblables. Une fille à la beauté dure, maquillée en dancehall queen avec quelques cicatrices sous le fard, s’approche

Son “fiancé” est mort tué par les forces de l’ordre. Elle s’est maquillée en star pour l’enterrement.

de moi : “Tu veux savoir ce que j’ai à dire ? Nous sommes des humains, pas des animaux, tu comprends ? Ce que je veux dire aux politiciens, c’est : Arrêtez de nous traiter comme des animaux !” On m’annonce qu’on enterre cet aprèsmidi une jeune victime des soldats. Et Dud us ? Il a disparu. Selon toute vraisemblance, il a quitté Tivoli peu avant l’assaut avec les autres Dons, ses prétoriens et son groupe d’“associés”. La police a découvert des souterrains lors de son enquête. Dudus a divisé sa bande en petits groupes. Depuis nul ne sait où il se trouve. On dit que la mafia de Colombie, le pays de la coke, lui aurait envoyé un premier, puis un deuxième bateau pour l’exfiltrer, mais sans y parvenir. On dit qu’il est ici ou là, dans le quartier Rema, ou plus loin à Saint Andrew… Chaque fois, la police débarque et ne trouve plus personne. Ses “associés” sont moins doués et certains se font prendre. Après un mois de cavale, le 22 juin, un lieutenant de Dudus téléphone au révérend Al Miller : le Don veut le voir. Le révérend saute dans son 4 x 4 et fonce.

Il connaît bien Dudus et lui avait lancé un appel dans le Sunday Gleaner de Kingston : “Si tu as besoin d’aide, come on, contacte-moi.” Et Dudus avait sacrément besoin d’aide. Il avait peur comme jamais et pensait que si ça continuait, il finirait par se faire descendre. J’ai rencontré le révérend Al Miller. La cinquantaine, l’homme est une force, un orateur biblique. Le dimanche, il retourne les foules par des sermons passionnés dans son église du Fellowship Tabernacle. Il avait déjà tenté de négocier la reddition de Dudus avant l’assaut de Tivoli, mais l’attaque des commissariats avait tout fait capoter. Cette fois il pense pouvoir aider pour de bon Dudus à se rendre. Les autorités lui ont donné des garanties. Les voilà tous les deux dans le 4 x 4 du révérend. Al Miller me rapporte la conversation. Dudus déplore la brutalité de l’assaut et regrette que tant d’hommes soient morts pour lui. Il dit vouloir en finir avec cette profonde culture de la violence permanente, gangs et partis mêlés, qui depuis l’indépendance maintient la Jamaïque entre terreur et misère. Il en fut l’un

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Les hommes sonts ortis de leur planque etp ortent lec ercueil dans les rues que fréquentait le mort.

“Le jeune type, les soldats l’ont jeté dehors et lui ont dit de courir. Naïf, le gars a couru. Ils l’ont fusillé dans le dos.” des meilleurs représentants ? Qu’elle s’éteigne avec lui ! Le révérend remercie le ciel : c’est tout ce pour quoi il se bat depuis des années. Une heure plus tard, la police arrête Dudus dans la voiture du pasteur. Là, les versions divergent. Certains prétendent que Dudus a été trahi et que le révérend marchait avec les flics ; d’autres qu’il avait des liens avec les gangs et que l’on aurait mieux fait de l’arrêter aussi. Quant au révérend, il soutient que Dudus s’est de lui-même constitué prisonnier. Il ajoute que pour établir la paix, il faut bien des contacts avec les deux ennemis. Reste un débat : les journaux ont prétendu, en se moquant, que le jour de son arrestation le Don se trouvait déguisé en femme, avec robe, perruque et chapeau. Le révérend dément : “Non, il portait un costume d’homme mais en effet un drôle de chapeau. Etait-ce une perruque ou un chapeau avec une perruque ? Je n’ai pas pu distinguer. Je ne sais pas pourquoi les journaux en ont fait tout un plat. Pour un homme en cavale et menacé de mort, il serait idiot de se promener le visage à découvert.” Quand la police emmène Dudus,

le révérend veut le suivre. Les flics l’en empêchent. Deux jours plus tard, la Jamaïque extrade son “homme le plus puissant” vers les Etats-Unis. L’après-midi de ce dimanche 1er août, nous retournons dans le ghetto de Tivoli pour assister aux funérailles d’un jeune homme abattu lors de l’assaut. Il était au marché et avait pris une balle en pleine tête. Il avait 27 ans, six enfants de baby mothers différentes. Au pied du HLM, je retrouve les femmes que j’avais rencontrées le matin. Elles discutent autour d’une cabane en bois peinte en vert, le Paula’s Beauty Salon. Chacune arrive avec sa perruque, que Paula colle et sculpte dans d’extravagantes compositions. Plus loin, à l’entrée de la cage d’escalier, une spécialiste pose des faux cils à la chaîne. Toutes se métamorphosent en divas du dancehall, des stars avec des bas résille, des robes, des bustiers, des tutus blancs et noirs. Six ou sept me demandent de leur trouver un époux en Europe. Daniel, le photographe, reçoit deux propositions de mariage.

Une jeune femme au visage ravagé s’assied dans le fauteuil de Paula : c’est la “fiancée” du mort. Elle a deux enfants de lui, elle ne sait pas comment elle va pouvoir les élever. Il y a beaucoup de femmes dans l’église, peu d’hommes, sauf ceux de la famille. Selon le rituel, les frères et les cousins passent et repassent un nouveau-né par-dessus le cercueil : c’est ainsi que, dans l’indolence du nourrisson, le dernier fils du mort dit adieu à son père. A la sortie de l’église, les hommes, tous en chemise blanche et pantalon noir, arrivent de leurs planques. Ils portent le cercueil au-dessus de la foule, le promènent dans les rues où la victime a vécu puis l’emportent vers l’immense cimetière de May Pen, la frontière ouest du ghetto. Plus tard, à l’extérieur de Tivoli, un habitant me dit son désespoir : “Quand la police vient, c’est pour tuer. Faut-il préférer les Dons ? Certes, ils maintiennent l’ordre dans le quartier et punissent les viols. Mais ils tuent aussi. Ils ont assassiné ceux qui ne voulaient pas se battre : l’armée a retrouvé leur corps en décomposition.” Et quitter le ghetto ? “Comment voulezvous ? On passerait pour un traître.” 22.09.2010 les inrockuptibles 75

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Photomaton de Patti Smith et Robert Mapplethorpe fait sur la 42e Rue, New York, 1969

“nous aussi nous allions prendre les armes” New York underground, les années 70, le CBGB, Robert Mapplethorpe, premier single, premier trip : Patti Smith retrace ses débuts dans le beau Just Kids, à paraître le 14 octobre. Extraits.

L



es stars faisaient la queue devant le Ziegfeld Theatre pour la somptueuse première du film Ladies & Gentlemen, The Rolling Stones. J’étais tout excitée d’être là. Je me souviens, c’était le jour de Pâques et je portais une robe victorienne en velours noir avec une collerette de dentelle blanche. Après la projection, Lenny et moi avons mis le cap sur le Lower East Side – une citrouille pour tout carrosse, dans nos beaux habits déchirés. Nous nous sommes arrêtés devant un petit bar du Bowery, le CBGB. Nous avions promis au poète Richard Hell de passer voir Television, le groupe dans lequel il jouait de la basse. Nous ne savions pas du tout à quoi nous attendre, mais j’étais curieuse de voir comment un autre poète abordait le rock and roll. J’étais déjà venue souvent dans ce secteur du Bowery pour rendre visite à William Burroughs, qui vivait quelques pâtés de maisons au sud du club, dans un loft baptisé le Bunker. C’était la rue des poivrots, qui allumaient souvent des feux dans de larges poubelles cylindriques pour se tenir chaud, cuisiner ou allumer leurs clopes. Quand on embrassait le Bowery du regard, on pouvait voir ces feux scintiller jusque devant la porte de William, ainsi que nous l’avons fait par cette glaciale mais superbe soirée de Pâques.

Le CBGB était une salle profonde et étroite avec le long du côté droit un bar éclairé en surplomb par des néons vantant diverses marques de bière. La  scène, sur la gauche, était basse, encadrée de fresques photographiques de baigneuses du début du siècle. Après la scène, il y avait une table de billard, et au fond une cuisine graisseuse et une chambre où le propriétaire, Hilly Krystal, travaillait et dormait avec son sloughi, Jonathan. Le groupe avait un côté brut, la musique était fantasque, saccadée et pleine d’émotion. Tout chez eux m’a séduite, leurs mouvements spasmodiques, les ornements jazz du batteur, leurs structures musicales orgasmiques, décousues. Je me suis reconnue dans le  guitariste extraterrestre qui se tenait sur la droite. Il  était grand, les cheveux couleur paille, et ses longs doigts gracieux s’enroulaient autour du manche de sa guitare comme s’il voulait l’étrangler. Pas de doute, Tom Verlaine avait lu Une saison en enfer. Entre les sets, nous n’avons pas parlé de poésie, Tom et moi, mais des bois du New Jersey, des plages désertes du Delaware et des soucoupes volantes rôdant dans les cieux d’Occident. Il s’est avéré que nous avions grandi à vingt minutes l’un de l’autre, écouté les mêmes disques, regardé les mêmes dessins animés, et que nous adorions tous deux Les Mille et Une Nuits. La pause

Les protagonistes Lenny Lenny Kaye, guitariste et journaliste, membre du Patti Smith Group Richard Richard Sohl, pianiste, membre du Patti Smith Group Robert Robert Mapplethorpe, photographe et ami Jane Friedman manager de Patti Smith

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terminée, Television est remonté sur scène. Richard Lloyd a empoigné sa guitare et attaqué l’intro de Marquee Moon. Avec le Ziegfeld, c’était le jour et la nuit. L’absence de glamour ajoutait encore à la familiarité du cadre, ici, nous aurions pu nous sentir chez nous. Tandis que le groupe continuait à jouer, on pouvait entendre le claquement de la queue de billard contre les boules, les aboiements du sloughi, le tintement des bouteilles : les sons d’une nouvelle scène qui était en train d’apparaître. A l’insu de tous, les étoiles s’alignaient, les anges appelaient. Ce printemps-là, l’enlèvement de Patty Hearst faisait la une de tous les journaux. Elle s’était fait kidnapper dans son appartement de Berkeley et elle était gardée en otage par un groupe de guérilla urbaine baptisé l’Armée de libération symbionaise. Cette histoire m’attirait, en partie à cause de la fixation de ma mère sur le kidnapping de Lindbergh et de sa peur constante que ses enfants se fassent enlever. Les images de l’aviateur frappé par la tragédie et du pyjama taché de sang de son fils blondinet ont hanté ma mère toute sa vie. Le 15 avril, Patty Hearst fut surprise par une caméra de sécurité brandissant un revolver : elle s’était alliée à ses ravisseurs pour braquer une banque à San  Francisco. Par la suite, un enregistrement fut rendu public, dans lequel elle déclarait allégeance à l’ALS et ajoutait : “Dites à tout le monde que je me sens libre et forte et j’envoie mes salutations et mon amour à tous les frères et sœurs unis dans la lutte.” Quelque chose dans ces mots, qui résonnaient d’autant plus que nous partagions le même prénom, m’a poussée à réagir à sa situation terrible et complexe. Avec Lenny et Richard nous avons fondu ma méditation sur sa situation avec la version de Hey Joe de Jimi Hendrix. Le rapport entre Patty Hearst et Hey Joe reposait dans le texte, l’histoire d’un fugitif qui crie sa liberté. Cela faisait un petit moment que nous envisagions de sortir un single, histoire de voir comment l’effet que nous produisions sur scène pouvait se traduire sur disque. Lenny savait comment s’y prendre pour produire et presser un single, et lorsque Robert a proposé d’avancer l’argent nous avons réservé des heures à l’Electric Lady, le studio de Jimi Hendrix. En hommage à Jimi, nous avons résolu d’enregistrer Hey Joe. Nous désirions ajouter une ligne de guitare qui pourrait représenter le désir éperdu d’être libre et nous avons jeté notre dévolu sur Tom Verlaine. J’avais ma petite idée sur la meilleure manière d’éveiller l’intérêt de Tom et je me suis habillée d’une manière qu’un garçon du Delaware devait comprendre, selon moi –  des ballerines noires, un corsaire rose en shantung, mon imper en soie caoutchoutée vert pomme et une ombrelle violette –, et je suis entrée dans Cinemabilia, où il travaillait à temps partiel. La  boutique se spécialisait dans les photos de films vintage, les scénarios et les biographies de tous les grands noms du cinéma, de Fatty Arbuckle à Jean Vigo en passant par Hedy Lamarr. Si ma tenue l’a impressionné, je ne le saurai jamais, mais c’est plein d’enthousiasme qu’il a accepté d’enregistrer avec nous. Nous avons enregistré dans le studio B, avec un petit huit-pistes, dans le fond d’Electric Lady. Avant de com-

mencer, j’ai murmuré “Salut Jimi” dans le micro. Après un ou deux faux départs, Richard, Lenny et moi, qui jouions ensemble, avons bouclé la prise, et Tom a rajouté deux pistes de guitare en overdub. Lenny les a mixées pour en faire une seule lead guitar qui montait en spirale, puis il a ajouté une grosse caisse. C’était la  première fois que nous utilisions des percussions. Robert, notre producteur exécutif, est passé et nous a observés anxieusement depuis la cabine. Il a offert à Lenny une bague tête de mort en argent pour commémorer l’événement. Une fois l’enregistrement de Hey Joe terminé, il nous restait quinze minutes. J’ai décidé de tenter Piss Factory. J’avais encore les tapuscrits originaux du poème, que Robert avait sauvés du plancher de la 23e Rue. C’était à l’époque un hymne personnel sur la  façon dont je m’étais arrachée à l’ennui mortel d’une vie d’ouvrière et échappée vers New York. Lenny a improvisé sur la ligne donnée par Richard, et j’ai scandé le poème. A minuit pile, nous tenions notre prise. Robert et moi, nous nous sommes retrouvés devant l’une des peintures d’extraterrestres qui recouvraient les murs du hall de l’Electric Lady. Il semblait plus que satisfait, mais n’a pas pu résister au plaisir de chipoter un peu : “Patti, a-t-il dit, tu n’as rien fait de dansable.” J’ai répliqué que je laissais ce soin aux Marvelettes. J’ai dessiné la pochette avec Lenny. Nous avons baptisé notre label Mer. Nous avons pressé 1 500  exemplaires dans une petite fabrique de Ridge Avenue à Philadephie et les avons distribués dans les librairies et magasins de disques, où on les vendait deux dollars. Jane Friedman se postait immanquablement à l’entrée de nos spectacles pour vendre les exemplaires qu’elle gardait dans un grand sac en papier. Mais de tous les endroits, notre plus grande source de fierté fut d’entendre notre disque dans le jukebox du Max’s. Nous avons été surpris de découvrir que notre face B, Piss Factory, était plus populaire que Hey Joe, ce qui nous a incités à nous concentrer davantage sur nos compositions. La poésie serait toujours mon principe directeur, mais j’étais résolue à satisfaire un jour le souhait de Robert. Maintenant que j’avais fait l’expérience du haschisch, Robert, toujours protecteur, a estimé que je ne risquais rien à prendre un trip avec lui. C’était ma première fois, et en attendant que la drogue fasse effet, nous nous sommes installés sur mon escalier de secours, qui surplombait MacDougal Street. “T’as envie de faire l’amour ?” m’a-t-il demandé. J’étais surprise et contente de découvrir qu’il désirait toujours être avec moi. Sans me laisser le temps de répondre, il m’a pris la main en disant : “Je suis désolé.” Ce soir-là, nous avons descendu Christopher Street jusqu’au fleuve. Il était deux  heures du matin, c’était la grève des éboueurs, et on pouvait voir les rats détaler sous les réverbères. En nous approchant de l’eau, nous avons été accueillis par l’activité frénétique d’une ruche de folles, de barbus en tutus, de saints et d’anges du cuir. J’avais l’impression d’être le prêcheur itinérant de La  Nuit du chasseur. Tout se parait d’un air sinistre, l’odeur de l’huile de patchouli, du poppers et de l’ammoniac. La nervosité m’a peu à peu gagnée. Robert semblait amusé. “Patti, tu es censée éprouver de l’amour pour tout le monde.” Mais je ne parvenais pas à me dé-

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tendre. Autour de moi, tout semblait complètement hors de portée, les silhouettes se nimbaient d’auras orange, rose et d’un vert acide. Pas de lune ni d’étoiles, réelles ou imaginaires. Il a passé le bras autour de mes épaules et m’a raccompagnée à la maison. C’était presque l’aube. Il m’a fallu un moment pour comprendre la nature de ce voyage mental, la vision monstrueuse de la ville. Sexe anonyme. Traînée de paillettes dans le sillage de biceps musclés. Médailles catholiques arrachées à des poitrails rasés. Le festival fabuleux auquel je ne pouvais participer. Je n’ai pas créé cette nuit, mais les images de Cockettes et de Garçons Sauvages qui se faisaient la course devaient bientôt se métamorphoser en la vision d’un garçon dans un couloir, buvant un verre de thé1. William Burroughs était à la fois vieux et jeune. Un peu shérif, un peu privé. Cent pour cent écrivain. Il tenait son armoire à pharmacie sous clef, mais si on avait mal quelque part, il n’hésitait pas à l’ouvrir. Il n’aimait pas voir souffrir ceux qu’il aimait. Si vous étiez cloué au lit, il vous nourrissait. Il se présentait à votre porte avec un poisson enveloppé dans du papier journal et le faisait frire. Il était inaccessible pour une fille, mais je l’aimais quand même. Il campait dans le Bunker avec sa machine à écrire, son fusil et son pardessus. De temps à autre, il enfilait son manteau, nous rejoignait d’un pas nonchalant et prenait place à la table que nous réservions pour lui juste devant la scène. Robert, dans son blouson de cuir, s’installait souvent avec lui. Johnny et le cheval2. Nous étions au milieu d’une résidence de plusieurs semaines au CBGB, qui avait commencé en février et s’étalait jusqu’au printemps. Nous partagions l’affiche avec Television, comme nous l’avions fait au Max’s l’été précédent, donnant deux concerts en alternance du jeudi au dimanche. C’était la première fois que nous jouions régulièrement en tant que groupe, et ça nous a aidés à définir la narration interne qui reliait les différents courants de notre travail. En novembre, nous sommes allés à Los Angeles avec Jane Friedman pour nos premiers concerts au Whisky A Go Go, où avaient joué les Doors, puis à San Francisco. Nous avons joué à l’étage de Rather Ripped Records à Berkeley, et à une soirée micro ouvert au Fillmore West avec Jonathan Richman à la batterie. C’était ma première visite à San Francisco, et nous avons fait un pèlerinage à la librairie City Lights – la vitrine était pleine des livres de nos amis. C’est au cours de cette première excursion hors de New York que nous avons décidé qu’il nous fallait un autre guitariste pour étoffer notre son. La musique que nous entendions dans nos têtes, nous ne pouvions la réaliser dans notre configuration de trio. En rentrant à New York, nous avons passé une petite annonce dans le Village Voice pour recruter un guitariste. La plupart de ceux qui se sont présentés semblaient déjà avoir une idée bien précise de ce qu’ils voulaient faire ou du son qu’ils désiraient et, presque sans exception, aucun d’entre eux n’était emballé à l’idée d’une fille dans le rôle de leader. J’ai trouvé mon troisième homme en la personne d’un séduisant Tchécoslovaque. Par son apparence et son style musical, Ivan Kral maintenait la tradition et la promesse du rock d’une façon qui se rapprochait beaucoup de celle dont les Rolling Stones célébraient le blues. Il avait été une

pop-star naissante à Prague, mais ses rêves s’étaient pulvérisés lorsque son pays avait été envahi par la Russie en 1968. Ayant fui avec sa famille, il avait dû tout recommencer de zéro. Il était plein d’énergie et très ouvert d’esprit, prêt à venir magnifier l’idée que nous nous faisions de ce que le rock and roll pouvait être, une idée qui se développait à toute allure. Nous nous imaginions en Fils de la Liberté3 avec la mission de préserver, protéger et projeter l’esprit révolutionnaire du rock and roll. Nous avions peur que la musique qui était notre nourriture ne se trouve en danger de famine spirituelle. Nous avions peur qu’elle ne perde sa raison d’être, nous avions peur qu’elle tombe entre des mains engraissées, nous avions peur qu’elle s’enlise dans un bourbier de spectacle, de finance et d’insipides complexités techniques. Nous appelions par l’esprit des images de Paul Revere –  chevauchant à travers la nuit américaine pour exhorter les gens à se réveiller, à prendre les armes. Nous aussi, nous allions prendre les armes, les armes de notre génération – la guitare électrique et le microphone. Le CBGB était le lieu idéal pour lancer un coup de clairon. Situé dans la rue des opprimés, le club attirait une espèce singulière d’individus qui accueillait à bras ouverts les artistes encore inconnus. La seule chose qu’Hilly Kristal exigeait de ceux qui y jouaient, c’était d’être nouveaux. Du cœur de l’hiver au renouveau du printemps, nous avons bataillé pour nous imposer jusqu’à trouver notre rythme de croisière. A mesure que nous jouions, les chansons prenaient une vie propre, reflétant souvent l’énergie des spectateurs, l’atmosphère, notre assurance croissante et les événements qui se produisaient dans notre environnement immédiat. Il y a de nombreuses choses que je me rappelle de cette époque. L’odeur de pisse et de bière. Les lignes de guitare de Richard Lloyd et Tom Verlaine qui s’entrelaçaient quand ils transfiguraient Kingdom Come. Le jour où nous avons joué une version de Land que Lenny a baptisée “une zone d’incendie”, où Johnny s’est frayé un chemin de feu bien à lui, courant vers moi au sortir de la nuit acide où règnaient les garçons sauvages, du vestiaire à la mer des possibles4, comme canalisé par le troisième et le quatrième esprit de Robert et William assis devant nous. La présence de Lou Reed, dont l’exploration de la poésie et du rock and roll nous avait tous servi. La frontière étroite entre la scène et le public, avec le visage de tous ceux qui nous encourageaient. Jane Friedman radieuse le jour où elle nous présenta Clive Davis, le président d’Arista Records. Elle avait perçu, avec raison, une affinité entre lui, son label et nous. Et à la fin de la soirée, me tenir devant la marquise où étaient imprimées les lettres CBGB & OMFUG en regardant les garçons charger notre humble matériel à l’arrière de l’Impala 64 de Lenny.” notes de l’éditeur 1. “The boy was in the hallway, drinking a glass of tea” : premiers vers de Land, morceau phare de Horses, le premier album de Patti Smith ; 2. Johnny est le personnage de la chanson Land ; 3. Organisation secrète de patriotes américains qui luttèrent contre l’oppression britannique pendant la rébellion des Treize Colonies contre l’Angleterre ; 4. Ici encore, allusion au texte de Land. lecture Le 18 octobre, Patti Smith fera une lecture de Just Kids (Ecco, 304 pages, environ 22 €) à l’Odéon, en partenariat avec Les Inrockuptibles.

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Chiara Mastroianni et François Sagat

Homme au bain de Christophe Honoré Les différents temps de cicatrisation d’une rupture amoureuse par le cinéaste inspiré et sensible des Chansons d’amour. Et un beau portrait d’homme à nu. omme au bain est le journal d’une rupture. Omar et Emmanuel vivent ensemble, dans une cité de Gennevilliers. Leur histoire d’amour tire la langue. Omar doit partir huit jours à New York en reportage sur la tournée promo d’une actrice française (Chiara Mastroianni dans son propre rôle). Il enjoint Emmanuel de mettre ce temps à profit pour quitter les lieux. Amorcé par une séparation, le récit se poursuit en montage alterné, à la fois ici et là-bas, où les blessures ne cicatrisent pas à la même vitesse. A Gennevilliers, Emmanuel est vide. C’est un boxeur sonné par la menace d’abandon, une masse lourde emmurée dans le chagrin. Mais ce trou noir de tristesse amène à lui d’autres planètes, toute une constellation de garçons de

H le projet

Homme au bain est le seul long métrage d’une collection de courts initiée par le théâtre de Gennevilliers, invitant les cinéastes Shinji Aoyama, Jean-Paul Civeyrac, Bertrand Bonello, Lodge Kerrigan et Joachim Lafosse à imaginer une fiction dans la ville.

passage et d’occasionnels copains de baise. A New York, Omar est plein. Il travaille, copine avec une vedette, a un coup de foudre pour un jeune Américain. Si l’énergie d’Emmanuel est centripète (il attire les autres à lui par aimantation), la force d’Omar est centrifuge. A New York, le film passe en effet en mode Cloverfield ; tout est vu désormais à travers la petite caméra tressautante d’Omar qui, tout à l’ivresse de la réussite, du travail et du coup de foudre, disparaît dans ses images, fusionne avec tout ce qu’il regarde. L’un souffre, l’autre pas. L’un baise par désarroi avec beaucoup de monde, l’autre avec exaltation d’avoir fait la bonne rencontre. Sauf que, bien sûr, rien n’est si simple. La mécanique sourde du récit consiste à déplacer cette ligne de partage. Plus Emmanuel baise sans élan et plus il se reconstruit, là où Omar, dans son tourbillon de paillettes, n’a peut-être étreint que des images. Quelque chose se brouille alors dans la chaîne des responsabilités. Qui quitte qui ? Et qui aime encore ? Qui se sauve et qui s’étourdit ? Pour l’un, la rémission est très lente. Pour

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raccord

après Chabrol Qui a hérité de Chabrol dans le cinéma actuel ?

l’autre, la conscience de la perte est tardive et très brutale. Cette instabilité de l’attachement amoureux, Christophe Honoré en est l’un des plus fins analystes. Mais le film opère aussi une avancée sur un territoire que le cinéaste avait un peu déserté depuis Ma mère : celui de la représentation des rapports sexuels. On baise beaucoup dans Homme au bain : de façon tendre mais aussi violente, très joyeuse mais aussi très mélancolique. Et, du désir au désespoir, le film propose un tour étonnamment exhaustif de tous les états (sensibles) dans lesquels nous plongent des ébats (sexuels). Avec, à chaque fois, une acuité stupéfiante pour capter les gestes par lesquels se manifestent les sentiments. Un dos de main qui frôle un torse pour signifier une séparation, un slip jeté vers l’amant avant l’étreinte, une fessée ludique qui dégénère en affrontement, un garçon qui rase l’anus de celui qu’il veut pénétrer : le film est d’une justesse inouïe sur l’intimité sexuelle, cet endroit où le moindre geste est chargé de la plus grande plénitude émotionnelle. Le film bénéficie bien sûr de l’aisance de la star du X gay

François Sagat à jouer nu, à jongler avec toutes les positions sexuelles, mais il le projette aussi dans des représentations du sexe que le porno n’autorise pas, plus troublantes, plus ambivalentes – comme dans cette très tendre scène de bondage avec des bandes Velcro. Homme au bain est aussi un beau portrait de la personne François Sagat, filmé comme une icône et au-delà de l’icône, révélant, à côté de ses compétences de hardeur, son aptitude au dessin, ses talents de danseur, comme dans une scène hommage à la chorégraphie devant miroir de Leslie Cheung dans Nos années sauvages. Mais surtout, le film transperce la cuirasse de muscles pour isoler chez son modèle une fragilité de petit garçon, quelque chose d’opaque et de rentré, d’infiniment émouvant. Il campe alors, avec une infinie délicatesse, comme dans la chanson de Kate Bush interprétée a capella dans le film, la figure d’un Man With a Child in His Eyes. Jean-Marc Lalanne Homme au bain de Christophe Honoré, avec François Sagat (Fr., 2010, 1 h 12)

Il a été le plus populaire des cinéastes de la Nouvelle Vague (en cumul d’entrées), il en est le moins influent. “L’homme centre du cinéma français” (dixit JeanClaude Biette), habile à faire des films à succès et singuliers, aurait pu devenir un modèle : qui a hérité de lui dans le cinéma actuel ? Quasiment personne. En France, les chroniques de mœurs bourgeoises sont soit consciencieuses (Belvaux et Fontaine), soit lacaniennes (Bonitzer), soit houellebecquiennes (les Larrieu), soit décharnées (Jacquot), bref, pas chabroliennes pour un sou. François Ozon, avec son sens du casting hétéroclite et criard, son côté malin et détaché, son goût pour les jeux de massacre grand public et les petits films romantiques, hérite un tout petit peu de Chabrol. Jean-Pierre Mocky, trop proche en âge, s’apparente plutôt à un cousin chahuteur. La surprise vient des Etats-Unis, où deux représentants d’un certain romanesque proclament leur admiration pour un film qui détruit furieusement le moindre glamour et se présente comme l’une des œuvres les plus hirsutes de l’histoire du cinéma : Les Bonnes Femmes, désigné comme bible secrète de Mad Men par Matthew Weiner et comme film de prédilection par James Gray. La désaffection de Chabrol par les jeunes cinéastes peut se comprendre, bien qu’on la regrette profondément : il sera toujours moins beau, moins bon critique, moins inventeur de formes que ses collègues de la Nouvelle Vague, trop amateur de trivialités et de plaisirs tranquilles pour une jeunesse avide de trouver des modèles plus romantiques. Son seul vrai héritier serait peut-être le plus discret : Pierre Zucca, cinéaste chez qui Chabrol, admirateur, avait même joué (Alouette, je te plumerai). Dans cette œuvre, on retrouve le même goût pour Michel Bouquet, les pères monstrueux, une certaine hantise romanesque, le voyeurisme, le sens des postiches, bref la part fantasque de Claude Chabrol.

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Chantrapas d’Otar Iosseliani Les vicissitudes d’un cinéaste entre la Géorgie et la France. Un faux autoportrait ironique et subtil par le maître géorgien.

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inéaste poète, un jeune homme tente de faire des films dans son pays, la Géorgie, mais se heurte à l’incompréhension des autorités et à la censure. Il émigre en France, patrie des droits de l’homme, des artistes et des réfugiés politiques, mais bute cette fois sur l’indélicatesse des producteurs et les impasses du système capitaliste. Le pitch de Chantrapas ressemble comme deux gouttes d’eau à un résumé lapidaire de la vie d’Otar Iosseliani. Otar a l’air d’être le vieux farceur que l’on connaît quand il prétend mordicus que ce film n’est en aucun cas une autobiographie, et pourtant, derrière cet apparent paradoxe, il se pourrait bien qu’il ait raison. Car Chantrapas n’est en rien un biopic au sens où on l’entend habituellement : ripoliné sur tranche et conforme aux principaux épisodes d’une vie dans une optique supposément vériste. Otar sait mieux que personne qu’il est impossible de dupliquer une vie au cinéma, et ce cousin germain géorgien de Jacques Tati et Pierre Etaix n’a jamais cru aux certitudes d’un cinéma spectaculaire calibré comme un produit d’usine. Le truc d’Otar, ce serait plutôt le léger flou du récit, le murmure des dialogues, l’incertitude dramaturgique, le gag non souligné, le cinéma comme une douce

ivresse. Rien n’est asséné dans ses films, tout est suggéré, offert à la liberté et à l’attention du spectateur. Alors, raconter sa vie, pfft, ce serait pour un homme tel que Iosseliani le comble de la prétention vulgaire. Chantrapas est donc une expérience cinématographique plus complexe et subtile qu’un biopic, un film où l’on reconnaît des bribes de la bio du cinéaste telle qu’on pourrait la lire sur Wikipédia, mais comme noyées dans une autre matière, qui n’est pas la vie de Iosseliani mais son cinéma, soit sa vie rêvée, projetée, fantasmée, inventée, exagérée. Par exemple, on doute que ses producteurs français réels, Martine Marignac et Maurice Tinchant, ressemblent de près ou de loin au producteur goujat et coupeur de pellicule du film, ironiquement et génialement interprété par Pierre Etaix

ce cousin germain de Jacques Tati et de Pierre Etaix n’a jamais cru aux certitudes d’un cinéma spectaculaire

(maître et ami d’Otar, et surtout, cinéaste lui-même dépossédé de ses droits d’auteur par des producteurs indélicats). On suppose aussi que Iosseliani n’a pas vraiment assisté à des pince-fesses à l’ambassade d’URSS aussi grotesques et ubuesques que celui du film… quoique. L’absurdité du régime soviétique est un domaine où le cinéma d’Otar n’a pas besoin de trop pousser le bouchon pour atteindre au burlesque. On parle de burlesque, et pourtant, ce qu’ont traversé Otar et ses films est tout sauf marrant : dictature, oppression, censure, exil. Mais la grande politesse du cinéma d’Otar, la suprême élégance de Chantrapas, consiste à traiter avec légèreté et humour le matériau le plus tragique. Par son titre, Chantrapas semble répondre à Il était une fois un merle chanteur, l’un des premiers films géorgiens de l’auteur. Malgré tous les empêcheurs de chanter en rond (comme une queue de pelle), le vieux merle continue de pousser son chant de cinéma unique, singulier, pétillant, où la vivacité et l’ironie l’emportent toujours sur la mélancolie qui affleure. Magique. Serge Kaganski Chantrapas d’Otar Iosseliani, avec David Tarielashvili, Tamuna Karumidze, Pierre Etaix (Fr., Geor., 2009, 2 h 02)

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Pierre Bergé

Yves Saint Laurent dans les jardins de La Menara à Marrakech

L’Amour fou de Pierre Thoretton Etonnante plongée dans l’histoire d’un couple de légende. Film singulier que ce docu réalisé par un artiste contemporain. Pierre Thoretton a choisi, pour raconter la longue et célèbre histoire d’amour de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, un dispositif rappelant le point de vue

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d’un clerc de notaire qui établit l’inventaire des biens avant le règlement d’une succession. Sur ce mode, le montage alterne trois lignes de récit : 1) la partie immobilière, qui liste avec une précision dans les dates redoutable tous les

appartements et maisons loués, achetés, partagés et décorés par le couple. 2) La partie mobilière, ou l’inventaire des œuvres d’art et d’artisanat de grande beauté dont ils furent les acquéreurs soucieux, heureux et généreux. 3) La partie amoureuse, ou le récit chronologique du narrateur principal, Pierre Bergé, parfois illustré ou interrompu par des images d’archives, de l’histoire d’un couple qu’il voudrait exceptionnel mais qui – objectivement et avec tout le respect qu’on lui porte – ressemble, du moins dans ce film, à celle d’à peu près tous les couples (où l’on s’aime, s’engueule, se quitte, se trompe, se retrouve, meurt, etc.). Mais le récit peine à donner vie à ce qui en fut plein. Et l’on sent bien vite que le défaut majeur du travail de Thoretton réside dans la difficulté à trouver la bonne distance avec

Bergé : trop proche de lui, trop fasciné sans doute aussi. Or, paradoxalement, et c’est le petit miracle du film, c’est Saint Laurent qui emporte le morceau. Pourquoi ? Parce que sur les images trop courtes, souvent intimes (sortes de home vidéo) qui le montrent dans les années 1970 ou 1980, il semble toujours plus gai et vivant que le portrait qu’en donne Bergé – qui a dû en voir et en vivre de belles, on veut bien le croire. Avant d’être celui que les abus de drogues, d’alcool et de médicaments transformèrent peu à peu en momie, on voit grâce à ces images qu’Yves Saint Laurent fut jeune, et s’amusa parfois comme un fou, et donc fut vivant, et pas seulement cet être “né dépressif” fixé par la légende. Jean-Baptiste Morain Yves Saint Laurent : L’Amour fou de Pierre Thoretton, avec Pierre Bergé, Loulou de la Falaise (Fr., 2010, 1 h 38)

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Double Take de Johan Grimonprez avec Ron Burrage (Bel., All., P.-Bas, 2009, 1 h 20)

Simon Werner a disparu… de Fabrice Gobert

Vincent Ostria

Des disparitions à la chaîne surviennent au lycée. Un beau premier film, à l’architecture élégante et tout en trompe l’œil.

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n bel ado tout lisse (Jules Pélissier), dans un lotissement tout propre de banlieue chic, organise une boum pour son anniversaire. Deux des invités découvrent un cadavre. Qui est-ce ? Mais où est donc passé Simon Werner ? Pourquoi est-il parti ? Et la jolie blonde hitchcockienne (Ana Girardot), que cache-t-elle ? Et pourquoi deux autres collégiens disparaissent-ils à leur tour ? Pourquoi le père d’un des élèves a-t-il l’air aussi patibulaire ? Les mystères s’accumulent, les récits se croisent, les hors-champs apparaissent longtemps après leur champ, Sonic Youth enveloppe le film d’un climat fantastique… Où est la vérité ? Et si elle était toute simple, la vérité, bien moins imaginative que l’esprit du spectateur moyen, rodé aux ruses scénaristiques et donc forcément perméables à leurs clichés ? Hybride, étrange, à regarder de guingois, ce premier long métrage de cinéma de Fabrice Gobert (présenté à Un certain regard à Cannes cette année) étonne. Peut-être peut-on le juger un peu trop fragile, trop écrit, trop malin, trop théorique et biscornu, un peu trop froid aussi comparé à l’hystérie réaliste à laquelle nous habitue le cinéma de facture courante. Mais peu importe les autres. Le cinéma ambitieux de Gobert vise au fond à l’essence, à la substantifique moelle, aux signes minimaux : des plans

Exercice de style très (trop) alambiqué autour de la figure d’Hitchcock. Johan Grimonprez utilise en partie des images d’archives (actualité, films de fiction) qu’il mêle avec des séquences tournées avec un sosie d’Hitchcock. L’enjeu est de tisser une fiction labyrinthique autour du cinéaste, traqué par son double. Comme s’il devait rendre compte des horreurs orchestrées dans son œuvre hantée. Grimonprez y associe aussi Hitchcock aux grands bouleversements politico-industriels des années 60-70. D’où une corrélation trop systématique entre son œuvre et la guerre froide, entre peur atomique et suspense hitchcockien.

classiques, des sentiments réduits à leur plus simple et directe expression, des dialogues de style faussement quotidien qui n’ont pour but que d’informer sans chercher à plaire par des artifices scénaristiques assez vieillots – comme le bon vieux conflit aristotélicien qui domine une majeure partie du cinéma mondial. L’écriture de Gobert ne se perd pas dans des simagrées. Il suit une voie didactique, où chaque scène, chaque plan est une pierre, un bloc de sens, et chaque scène la pièce d’une maison. Simon Werner a disparu… ressemble à un édifice. On reconnaît quelques influences : Gus Van Sant (raconter la même histoire d’adolescents de trois points de vue rappelle évidemment Elephant, sans chercher à s’en cacher), la lignée Hitchcock/De Palma pour la manipulation des images et du spectateur (on pense surtout à un épisode resté célèbre d’Hitchcock présente, où la même aventure est racontée sous des angles différents). Ici, le parti pris courageux et architectural de Fabrice Gobert, cinéaste prometteur, est mené à bien, avec aisance, intelligence, et ce brin d’inquiétude métaphysique qui habite les bons films : le destin frappe à l’aveugle. Jean-Baptiste Morain Simon Werner a disparu... de Fabrice Gobert, avec Jules Pélissier, Ana Girardot, Esteban Carvajal-Alegria, Audrey Bastien, Serge Riaboukine (France, 2010, 1 h 31)

Pauline et François de Renaud Fely avec Laura Smet, Yannick Renier (Fr., 2010, 1 h 35)

Un premier film sur des tourments familiaux un peu écrasé par les conventions. Avec l’éveil à la sexualité, le secret de famille est l’autre grande passion du cinéma naturaliste français. Au lieu d’emprunter les chemins de traverse qui lui auraient permis de faire reluire un peu ses marottes usées (argent, jalousie, rancœur...), Renaud Fely, pourtant formé chez les meilleurs (Pialat, Guiraudie et Ferran), avance droit sous le ciel gris, là où tempérance et effleurements sont les autres mots pour académisme. Rien ne dépasse dans ce premier long métrage comme filmé sous un entonnoir (le plein d’intentions au départ, le peu d’intensité à l’arrivée), empêtré dans un scénario duquel les acteurs, plutôt bien dirigés (Yannick Renier surtout), parviennent à s’échapper dans les rares scènes un peu aérées. Jacky Goldberg

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Roschdy Zem et Jamel Debbouze

Milk et Miel de Semih Kaplanoglu avec dans Milk : Melih Selcuk (Tur., Fr., All., 2008, 1 h 42) ; et dans Miel : Bora Atlas (Tur. All., 2010, 1 h 43)

Le réalisateur turc conjugue avec ampleur poésie et modernité. Deux pans d’une trilogie autobiographique (le premier reste inédit), qui narrent l’un – Miel – l’enfance de Kaplanoglu, rebaptisé Yusuf, l’autre – Milk – sa jeunesse étudiante. Découverte d’un cinéaste turc avec lequel il va falloir compter, malgré quelques scories académico-esthéticosymbolistes. Milk est à la fois le plus beau, le plus moderne et le plus inégal des deux. Il est beau car il navigue avec aisance entre le quotidien trivial de gens modestes de la ville de Tire (Anatolie) et la contemplation. Hélas, la fin se perd dans l’onirisme. Quant à Miel, plus classique, s’il reste rivé aux clichés habituels sur l’école primaire, il accomplit une symbiose parfaite entre humanité et nature, grâce à son immersion dans un vertigineux décor de forêt (et un splendide épisode de fête villageoise). Vincent Ostria

Hors-la-loi de Rachid Bouchareb La guerre d’Algérie du point de vue du FLN dans une fresque un peu simpliste. n ne saurait trop conseiller au député Lionnel Luca et à ses amis de l’UMP et du FN de voir ce film. Ils constateraient d’abord qu’ils auraient mieux fait de fermer leur bec au lieu de déclencher des polémiques infondées, irresponsables et incendiaires. En racontant la guerre d’Algérie à travers trois personnages, un militant exalté et partisan de la lutte armée (Sami Bouajila), un militant non-violent (Roschdy Zem) et un individualiste non-politisé (Jamel Debbouze), Rachid Bouchareb livre une fresque politiquement nuancée sur l’émancipation, bien loin du brulôt “antiFrance” que Luca et consorts avaient cru déceler sans avoir vu le film. Ils verraient ensuite un film à grand spectacle, avec des scènes d’action et de foule bien réalisées, dans un registre hollywoodien classique, notamment la fameuse séquence incriminée du massacre de Sétif, qui n’occupe qu’une dizaine de minutes au début du film. Enfin, ils seraient peut-être, comme nous, déçus par les scènes intimistes un peu raides et didactiques, le dessin univoque et simpliste de chaque personnage, le manque de souffle et d’idées formelles, les ficelles émotionnelles grossières, souvent le point faible du cinéma de Bouchareb. Dans ses interviews, le réalisateur a souvent cité Il était une fois en Amérique. Référence exacte mais écrasante : n’est pas Leone qui veut et Hors-la-loi pâtit de Milk la comparaison avec le chef-d’œuvre qui l’a inspiré. Pourtant, il est important que le cinéma français se coltine les zones d’ombre de l’histoire de son pays, et il n’est pas indifférent que le conflit franco-algérien soit vu par des héritiers directs de cette histoire (le réalisateur et ses comédiens), purs produits de la décolonisation. Hors-la-loi est un film politiquement juste, cinématographiquement trop juste. C’est quand même dommage. Serge Kaganski

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Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila (Fr., Alg., 2010, 2 h 18) 22.09.2010 les inrockuptibles 87

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Vénus noire d’Abdellatif Kechiche

en salle lectures américaines A partir du 23 septembre, le festival America sur les cultures d’Amérique du Nord s’installe à Vincennes, où il invitera une soixantaine d’auteurs de tous horizons. Pour la première année, le festival propose des lectures de textes par des comédiens. Emmanuelle Devos lira Moi, tout craché de Jay McInerney, Sylvie Testud s’intéressera aux Pétales de Guadalupe Nettel alors que François Cluzet partagera quelques “plans séquences” du nouveau Bret Easton Ellis. Partenaire du festival, la chaîne Ciné Cinéma diffuse jusqu’à début octobre une sélection Vision(s) d’Amérique(s), qui regroupe quelques chefs-d’œuvre et documentaires inédits. Festival America, du 23 au 26 septembre, Vincennes

hors salle Pauline Kael, une critique américaine Clint Eastwood doit encore en faire des cauchemars. Le réalisateur était l’une des principales cibles – avec Stanley Kubrick – de l’écrivaine et critique américaine Pauline Kael, référence de la critique US qui aura autant défendu la Nouvelle Vague que le Nouvel Hollywood. Les éditions Sonatine publient ses articles dans deux volumes indispensables, Chroniques européennes et Chroniques américaines. Chroniques américaines, Chroniques européennes de Pauline Kael (Sonatine), 250 p., 24 € l’un.

box office Et moines, et moines, et moines... Avec plus de 450 000 entrées en première semaine, Des hommes et des dieux réalise un carton inoui, démarrant plus fort encore qu’Un prophète de Jacques Audiard l’an dernier – les deux films ont reçu à Cannes le même Grand Prix du jury et sont produits par la société Why Not. Le film de Xavier Beauvois prend la tête du box-office, détronnant le Salt d’Angelina Joli qui en trois semaines dépasse le million.

lagune mondiale La Mostra de Venise 2010 affichait une programmation stimulante redistribuant les cartes du cinéma international. epuis qu’il en est devenu le directeur artistique en 2003, Marco Müller a su imposer sa griffe à la Mostra de Venise. Bien qu’incluant dans cette 67e édition des films grand public sans intérêt manifeste (la plupart italiens, hélas, car leur absence dans le premier festival du pays déclencherait un scandale national), il se débrouille toujours pour mettre en avant des films manifestant une certaine idée du cinéma : exigeants, novateurs ou stylés. Des trois grands festivals actuels (avec Berlin et Cannes), Venise est celui qui porte la marque la plus affirmée de son directeur artistique (plus que Cannes, les goûts de Thierry Frémaux paraissant indéfinissables), sa signature : un directeur de festival se doit aujourd’hui d’être un auteur, un DJ de cinéma. Ceci dit, la Mostra 2009 avait été globalement décevante. Cette année, elle fut très stimulante.

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Asie : le retour en force Avec notamment des films de genre très vaillants : le jouissif Reign of Assassins coréalisé par Su Chao-Pin et John Woo et le très classieux Detective Dee and the Mystery of Phantom Flame de Tsui Hark, des films d’aventures romanesques comme en réalisait Hollywood dans les années 40-50, très beaux. La Mostra marquait aussi le retour du cinéaste vietnamien Tran Anh Hung (L’Odeur de la papaye verte), avec Norwegian Wood, un film japonais qui raconte la belle histoire de jeunes gens partagés entre tourments amoureux et problèmes sexuels. Le filmage est lisse, un peu trop, mais les sentiments exprimés par les personnages avec une douceur confondante sont d’une telle violence, d’une telle fièvre, que la forme n’y résiste pas. On pense souvent aux Deux Anglaises et le Continent. Encore une bonne nouvelle, le Chinois Wang Bing (auteur du documentaire fleuve Vincent Gallo dans Essential Killing de Jerzy Skolimowski

autres films Resident Evil: Afterlife 3D de Paul W.S. Anderson (E.-U., 2010, 1 h 40) Mange, Prie, Aime de Ryan Murphy (E.-U, 2010, 2 h 13) Amore de Luca Guadagnino (It., 2010, 1 h 58) Le Plus Beau Métier du monde de Valérie Stroh et Daniel Lainé (Fr., 2009, 1 h) 88 les inrockuptibles 22.09.2010

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Somewhere de Sofia Coppola

A l’ouest des rails) présentait The Ditch, la fameuse première fiction de long métrage tournée dans la clandestinité. The Ditch est un film choc. Il se déroule en 1960, et raconte la vie et surtout la mort quotidienne de prisonniers, de simples citoyens chinois envoyés dans un camp de rééducation et de travail dans le désert de Gobi. C’est horrible (rien ne nous est caché de l’inhumanité de leur sort – trahir, voler, manger des cadavres ou du vomi), pathétique, filmé frontalement. Mais comment reprocher à un Chinois de vouloir appeler un chat un chat, de montrer des faits dans leur crudité ? Et puis cette frontalité volontiers théâtrale lui permet aussi d’atteindre parfois à la mythologie (comme cette épouse fouillant chaque sépulture à la recherche du cadavre de son mari).

Amérique indécise La sélection américaine emportait moins l’adhésion. Et ce malgré un beau et pur western de Kelly Reichardt, Meek’s Cutoff, l’histoire d’une petite caravane de pionniers qui se perd dans le désert. Tout en sobriété, avec trois fois rien, Richard réalise un western à la fois classique dans son récit et moderne dans sa forme. Nous vîmes aussi le nouveau film de Vincent Gallo, Promises Written in Water. Un grand film de malade : Gallo, de plus en plus narcissique, ne filme plus que lui, lui et lui, et laisse la plupart de ses partenaires hors-champ. On s’ennuie devant ses petites provocations et puis soudain, bam, au détour d’un plan, on se laisse avoir par un accès d’émotion : tout ce qu’il touche meurt… Quel talent gâché. Gallo était aussi omniprésent dans le nouveau film de Jerzy Skolimowski, Essential Killing, qui lui a valu le prix du meilleur acteur. Cette longue évasion d’un taliban prisonnier des Américains (Gallo donc) au fin fond de la Pologne part dans tous les sens, se perd dans le grotesque (rêves, biberon humain, etc.), l’invraisemblable et la confusion : que signifie donc ce film ? Sofia Coppola, raconte

avec Somewhere toujours la même histoire (pauvres et tristes riches !), mais à l’opposé du faste de Marie-Antoinette, le film fait plutôt profil bas. La première demi-heure, tournée à la Gallo quand il est en forme (tout en plans fixes), est assez réussie (jolie scène de striptease, en particulier). Après, tout tombe peu à peu dans la mièvrerie.

France coloniale Mais l’événement le plus important de cette Mostra fut la présentation du nouveau Abdellatif Kechiche : Vénus noire, son premier film en costumes, l’histoire de la “Vénus hottentote”, cette femme sud-africaine au postérieur et au sexe hypertrophiés exhibée comme un animal sauvage, dans les années 1815, dans les foires de Londres et de Paris. De l’observation de ses difformités physiques, les scientifiques de l’époque conclurent que les Noirs étaient de race inférieure. Kechiche en tire un film patient, bien évidemment sur le colonialisme, sur le racisme, mais pas seulement. C’est aussi un film autobiographique, sur ce que c’est que de vouloir devenir un artiste en Occident quand on appartient à une minorité (la “Vénus” était venue en Europe pour danser). Brillamment interprété (notamment par Olivier Gourmet), un film admirable, ambigu, éprouvant, souvent déplaisant et choquant sans jamais être manichéen. Qui concluait brillamment notre séjour sur la lagune. Jean-Baptiste Morain

le palmarès Lion d’or : Somewhere de Sofia Coppola Lion d’or spécial pour l’ensemble de son œuvre : Monte Hellman, réalisateur de Road to Nowhere Lion d’argent de la mise en scène : Balada triste de trompeta d’Álex de la Iglesia Prix spécial du jury : Essential Killing de Jerzy Skolimowski Coupe Volpi du meilleur acteur : Vincent Gallo dans Essential Killing de Jerzy Skolimowski Coupe Volpi de la meilleure actrice : Ariane Labed dans Attenberg d’Athina Tsangari

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retour aux sources Le nouveau et surprenant volet de la saga Metroid présenté par son concepteur Yoshio Sakamoto.

D en bref Limbo et Heavy Rain primés Avec trois prix dont celui du jeu de l’année, Limbo a été le grand vainqueur de la cérémonie des Milthon, sortes de César vidéoludiques européens décernés le 10 septembre à Paris lors du Festival du jeu vidéo. Autres lauréats de ce prix autrefois réservé aux productions françaises : Heavy Rain (jeu console et game design), Napoleon: Total War (jeu PC) et iBlast Moki (jeu mobile).

ans l’espace, personne ne vous entend crier…Pourtant, la voix de Samus Aran vient désormais briser le silence. C’est l’un des éléments les plus surprenants de Metroid: Other M, dernier et excellent volet de la saga née sous l’influence d’Alien : sa blonde héroïne au visage moins familier que sa combinaison renforcée y prend la parole après vingt-quatre ans de mutisme. Mais ce n’est pas la seule nouveauté de cet Other M conçu avec la Team Ninja (Ninja Gaiden) qui, renouant avec un gameplay plus proche des épisodes 2D que de la trilogie made in USA Metroid Prime, ressemble à une réappropriation de la série par son architecte en chef : Yoshio Sakamoto. Quinquagénaire aux longs cheveux frisés, l’homme est une figure clé de Nintendo où, après des études d’art, il entra en 1982 pour y dessiner les arrière-plans de jeux électroniques portables, dont ceux du fameux Donkey Kong double écran à coque orange. “Quand j’étais enfant, se souvient Sakamoto, j’adorais Nintendo parce qu’ils fabriquaient toutes sortes de jouets étranges, comme l’Ultra Hand, une sorte de main dépliante pour saisir les objets à distance.” Ce goût du gadget et de la bizarrerie se retrouve aujourd’hui dans la série WarioWare, dont il est le producteur.

Mais l’œuvre de sa vie demeure Metroid. “Other M n’a plus rien à voir avec Metroid Prime. C’était un jeu très bien conçu, qui choisissait de montrer l’action au travers du casque de Samus, mais ce n’est pas celui que j’avais envie de réaliser. J’ai préféré revenir aux racines de Metroid et faire un jeu qui se dirige de manière simple. Il faut que Samus ait des mouvements vifs et je pense qu’on obtient un personnage beaucoup plus dynamique avec un nombre de boutons réduit.” Au-delà de ce quasi-retour vers le passé, cet amoureux du jeu 2D avait une autre intention : “Je voulais que les gens apprennent vraiment qui est Samus, ajoute-t-il. Quand on joue à Metroid Prime, on a l’impression que le personnage est assez froid, qu’il exécute ses tâches sans passion. Cette fois, je voulais la mettre à nu, montrer quel lourd passé est le sien et comment elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui.” En conséquence, donc, entre deux virées claustro dans des labyrinthes grouillant d’aliens monstrueux, Samus parle. Et on ne la fera pas taire de sitôt. “J’ai encore pas mal de choses à dire à propos de ce personnage”, assure Yoshio Sakamoto. Erwan Higuinen Metroid: Other M Sur Wii (Nintendo, environ 50 €)

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get into the move Sony se lance à son tour dans les jeux “de mouvement”. A confirmer. uatre ans après la franchement dans pour convaincre tout à fait Wii, la PS3 se lance l’originalité. Ainsi Sports de l’intérêt de l’accessoire. dans la détection Champions propose Techniquement, ce dernier de mouvements. six épreuves aux allures est incontestablement à la La technologie choisie par de variations (un peu hauteur – plus précis que la Sony diffère sensiblement plus sérieuses, un peu Wiimote et au moins autant de celle de son concurrent : moins festives) de celles que lorsqu’on adjoint à cette si le joueur prend bien en de Wii Sports et Wii Sports dernière le Wii Motion main une manette à usages Resort. Et si certaines Plus. Alors que des mises multiples (surmontée, ici, sont excellentes (mentions à jour de quelques tubes d’une boule lumineuse aux spéciales à la pétanque PS3 (Resident Evil 5, Heavy couleurs changeantes du et au beach volley), l’effet Rain...) destinées à en tirer plus bel effet), c’est cette de surprise est passé. partie sont annoncées, il ne fois grâce à une minicaméra Quant à Start the Party, qui reste plus qu’à attendre pointée sur lui que ses mobilise notre corps visible les jeux qui permettront un gestes seront retranscrits. à l’écran dans l’esprit des usage vraiment nouveau. E. H. A l’usage, pour le moment, jeux usant de la caméra un sentiment de déjà-vu Eye Toy de la PS2, il se Sports Champions et domine cependant. Il faut révèle certes joyeusement Start the Party Sur PS3 dire que les premiers jeux farfelu (toi aussi, utilise ton (Sony, environ 40 € chacun) utilisant le PlayStation Move ventilateur pour sauver les PlayStation Move (Sony, – tel est le nom de la oisillons d’une chute fatale), environ 40 € seule, 60 € avec la caméra PS Eye) chose – ne font pas mais paraît un peu léger

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R-Type

Tetris Party Deluxe

L’iPhone s’impose peu à peu comme une plate-forme idéale pour les amateurs de retrogaming. Avec l’adaptation très soignée de R-Type, c’est un sommet du shoot’em up 80’s qui s’offre à eux. Quelques options (tir automatique, vies illimitées...) leur permettront même d’arriver enfin au bout de ce jeu à la difficulté légendaire. E. H. Sur iPhone et iPod Touch (Irem/EA), 1,59 €

Qui ne connaît pas Tetris ? Les briques tombent du ciel et on les assemble jusqu’à se laisser submerger, sans se lasser, depuis un quart de siècle. Riche en variations subtiles sur l’indémodable principe de base, Tetris Deluxe Party fait figure de version ultime de ce grand classique du jeu vidéo. Jusqu’à la prochaine ? E. H. Sur DS et Wii (Nintendo), environ 30 € 22.09.2010 les inrockuptibles 91

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Interpol position Lâché par un de ses piliers à la sortie de son nouvel album, le groupe américain Interpol réussit ce curieux exploit : être au bord de l’explosion tout en retrouvant la fièvre et la flamboyance de ses débuts. ur la pochette du quatrième album d’Interpol, le logo en 3D du groupe vole en éclats. N’y voyons pas malice ni symbole trop lourd, mais quand même, il ne serait pas vraiment étonnant que cette dernière livraison des ombrageux NewYorkais soit réellement, au bout du compte, la dernière. Le disque tout juste achevé, le bassiste Carlos Dengler annonçait en effet son départ du groupe, sans heurts ni fracas, et cette démission soudaine a de quoi inquiéter quant à l’équilibre futur d’une formule musicale dont il était clairement l’ingrédient dominant. Paul Banks, l’étrangement modeste chanteur d’Interpol, le reconnaît volontiers : Carlos était le moteur du quatuor, celui qui

S Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

entraîna dès l’origine le groupe vers les terrains mouvants et les paysages torturés du post-punk et de la new-wave anglaise. C’était il y a une petite dizaine d’années, avec notamment The Rapture ou Radio 4, New York tout entier commença à battre comme un seul cœur aux pulsations martiales de Gang Of Four, Wire, The Cure ou Joy Division. Interpol, qui n’était pas le groupe le plus clinquant du lot, aura pour lui le mérite de l’endurance. En livrant un disque tous les deux ans depuis l’inaugural Turn on the Bright Lights (2002), et avec des concerts régulièrement chargés en intensité, le quatuor a su attirer et surtout conserver un public fidèle qui a fait de lui un outsider honorable aux Kings Of Leon et autres

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ce 4e album est un véritable rouleau compresseur électrique et incandescent

Killers pour la conquête des stades US. Abusivement comparé à ses débuts à Joy Division, Interpol rappelait plutôt The Chameleons ou The Sound – austères moines copistes de la cold-wave fiévreuse –, mais afficha très vite des ambitions plus lucratives. Dès Antics en 2004, le groupe quittait ses brumes originelles pour s’adonner aux joies épiques de la grosse cavalerie, torses bombés et cheveux dans le vent, tendance lyrico-ampoulée que confirma le quasi abominable Our Love to Admire en 2007. “J’étais très mal à l’époque de ce troisième album, confirme Paul Banks. J’ai beaucoup souffert personnellement durant cette période et je pense que ça s’entend dans le disque, où je frise souvent l’autocomplaisance. La pause de trois ans qui a suivi m’a fait du bien. J’ai appris à relativiser, je suis revenu dans le groupe purgé de pas mal de choses négatives. Accomplir des choses personnelles permet de se sentir moins frustré lors des séances collectives.” En 2009, Paul Banks est en effet redevenu Julian Plenti, une identité qu’il utilisait avant même la formation d’Interpol pour jouer en solo dans les clubs

de Brooklyn. Sous ce blaze, il a publié Skyscraper, un album moins empesé et immodeste que ceux de son groupe, qui comportait même quelques purs moments de grâce acoustique comme le très beau On the Esplanade. “Carlos a apporté au groupe la tension du post-punk, Daniel est un fan inconditionnel des Smiths, moi je suis celui dont les influences apparaissent le moins chez Interpol. Je suis fan de Leonard Cohen, de Bob Dylan mais aussi de hip-hop, qui est la musique que j’écoute le plus aujourd’hui. Ça va surprendre, mais j’adore Dire Straits également. Les guitares de Brothers in Arms, je les connais mieux que celles de Joy Division !” Régulièrement sur la défensive, Paul Banks donne l’impression de vivre un peu en filigrane de son groupe, et ce sentiment d’instabilité chronique – un morceau du nouvel album s’intitule Always Malaise (The Man I Am) – renforce paradoxalement la cohésion globale du nouvel album. Comme si, déjà la tête un peu ailleurs, chacun avait eu à cœur de soigner sa sortie. Revenu sur son label d’origine, Matador, après un crochet peu concluant par une major, Interpol n’a jamais paru aussi uni et compact qu’au cours de ces quarante-cinq minutes mises en scène en compagnie d’Alan Moulder. Hormis un single un peu trop mastodonte, Barricade, qui fera sensation chez les fans de U2 – Interpol assure les premières parties de la tournée 360° des Irlandais –, ce quatrième album est un véritable rouleau compresseur électrique et incandescent, qui rappelle, surtout vers la fin du disque, un grand groupe oublié, The Psychedelic Furs (All of the Ways, The Undoing). Si la voix de Banks paraît toujours aussi artificiellement affectée – voir le long cheminement introductif de Success –, autour d’elle l’édifice a gagné en finesse, les guitares de Daniel Kessler allant puiser dans le Radiohead de The Bends le matériau d’un mur du son impressionnant, tagué ensuite par des orgues implosifs et des rythmiques en proie aux mouvements sismiques. Si tout finit par voler en éclats comme le logo, au moins aura-t-on eu le temps d’apprécier la beauté du geste. Christophe Conte photo Vincent Ferrané Album Interpol (Matador/ Cooperative/Pias) www.interpolnyc.com

on connaît la chanson

excuse my french En anglais dans le texte, les groupes de rock français oublient leurs complexes. Pendant longtemps, dans ce magazine, au moment d’établir en décembre les listes des meilleurs albums de l’année, il a fallu inventer une case un peu infamante, réservée aux Français : parfois le seul moyen de les retrouver sur le podium, eux qui partaient dans la pop ou le rock avec de tels handicaps (accent, production, mélodies…). Ceux qui chantaient en français n’avaient pas besoin de tels passe-droits : en choisissant de ne pas venir chercher les Anglo-Saxons sur leur terrain miné, ils avaient opté pour d’autres enjeux, d’autres combats, comme celui, courageux, contre le poids des Grands Anciens, tel Gainsbourg, cette statue qui apporte tant d’ombre et de honte. A quelques exceptions près (Little Rabbits, Dionysos…), on parlait de bons groupes de rock français, pas de bons groupes de rock. On ne s’étonnait pas de voir des Islandais, des Suédois ou des Belges triompher en anglais dans les charts ; la France, avec ses quotas et sa variété dictatoriale, coupait les ailes. Le monde s’arrêtait aux frontières, fièrement défendues par une ligne sans imagination. Mais un jour, des groupes comme Tahiti 80, Air ou Phoenix ont décidé d’aller voir ailleurs : le monde n’était donc pas plat. Et ils racontèrent à la pop d’ici ce qu’ils avaient vu et vécu : on ne pourrait alors plus forcer les groupes d’ici à chanter en français, à se contenter d’un si riquiqui territoire. Quatre des meilleurs albums de la rentrée sont ainsi l’œuvre de musiciens nés en France, mais peu portés sur la préférence nationale, la camisole de la langue. Signés Cocoon, The Bewitched Hands On The Top Of Our Heads, Aaron ou Jamaica, ils ont été rodés sur les routes du monde, éduqués musicalement avec anglais première et unique langue. Et s’ils ont l’esprit de clocher, le clocher est celui du village global.

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joyeux anniversaire Matador

Trente ans après la disparition de Georges Brassens, la Cité de la musique a proposé au dessinateur Joann Sfar de transmettre son amour pour le chanteur le temps d’une exposition à la fois complète et ludique. Documents inédits, archives, instruments, manuscrits, ainsi qu’une balade à travers une forêt d’arbres devraient raconter les multiples facettes de l’artiste : libre, timide, lettré et révolté. Exposition Brassens ou la Liberté, du 15 mars au 21 août 2011, Paris (Cité de la musique)

cette semaine

Blonde Redhead en Black Session Dans le cadre de ses immanquables Black Sessions, Bernard Lenoir accueille cette semaine les NewYorkais de Blonde Redhead. La troupe de la chanteuse Kazu Makino viendra présenter son récent Penny Sparkle. C’est Lenoir, lundi 27 septembre, 22 h, France Inter

Marsatac Mr Oizo, Naive New Beaters, Boogers, A Certain Ratio... L’affiche de l’excellent festival marseillais refuse la fin de l’été et promet de bien belles soirées pour les jambes et le cœur. A ne surtout pas rater, la pop psyché-tropicaliste brésilienne de Cibelle. Du 23 au 25 septembre à Marseille (Friche de la Belle de Mai)

Jeanne Moreau et Etienne Daho revisitent Genet Le 2 novembre paraîtra l’interprétation, par Jeanne Moreau et Etienne Daho, du Condamné à mort de Jean Genet. La collaboration fera l’objet d’un album, le premier à être publié sur Radical Pop Music, le label de Daho. La paire présentera son projet sur scène quelques jours plus tard, avec notamment deux soirs au Théâtre de l’Odéon à Paris, les 23 et 24 novembre.

Pierre René-Worms

Sfar célèbre Brassens

cette semaine

Annie Ray

Avoir 21 ans aux Etats-Unis est important : du 1er au 3 octobre, le label Matador fête sa majorité le temps d’un festival à Las Vegas. L’événement, qui réunira entre autres Guided By Voices, Yo La Tengo, Pavement, Sonic Youth, Belle & Sebastian et Cat Power au Palms Hotel, sera aussi l’occasion pour le label de présenter un coffret de six albums piochés dans le catalogue de ses groupes historiques, de Liz Phair à Guided By Voices. Il rassemblera des titres remasterisés, des inédits et des morceaux live enregistrés à New York lors du dixième anniversaire du label. Sortie le 28 septembre

Hayley Young

neuf

The Knocks

Hey Marseilles !

Ces New-Yorkais, à découvrir le 4 novembre au Festival Les Inrocks Black XS, sont courtisés par les blockbusters du hip-hop US. Ils réservent à leurs propres chansons toute leur tendresse, leur excentricité et leur jubilation. Leur single s’appelle Make It Better. Dans le genre pop onirique, même Passion Pit et MGMT ne feront pas mieux. www.myspace.com/itstheknocks

A Seattle, on est ici à l’opposé du grunge : soit un collectif d’esthètes qui décrit sa musique comme du “folkestral”, façon de dire qu’il y a foule d’instruments précieux (cordes et cuivres) dans cette pop baroque et aérienne, qui n’hésite pas à recourir à l’électricité tendue. Sufjan Stevens n’a qu’à bien se tenir : Marseilles est là. www.myspace.com/heymarseilles

Jenny Alpha

John Lennon

Elle était sans doute la doyenne des chanteuses de France (et de Martinique) : Jenny Alpha est morte le 8 septembre à l’âge de 100 ans. D’abord chanteuse, puis comédienne au cinéma et au théâtre, contemporaine des artistes de la Négritude, on l’avait (re)découverte il y a deux ans, lors de la sortie de son délicieux dernier album, La Sérénade du muguet.

Outre les rééditions de ses albums chez EMI ou le biopic Nowhere Boy qui lui sera consacré au cinéma en décembre, Lennon sera cet automne célébré avec la parution française de En flagrant délire, le livre culte réunissant ses textes, poèmes et dessins, initialement publié en 1964. Sortie le 11 octobre aux éditions Robert Laffont.

vintage

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“autant influencé par Sufjan Stevens que par Mario Bros” Le 25 octobre paraîtra le deuxième album du duo français Cocoon, successeur du platiné My Friends All Died in a Plane Crash. Premiers détails de Where the Oceans End. n vous découvrait lors d’un concours CQFD début 2006. Vous sortirez dans un mois votre deuxième album, sur une major. Comment avez-vous vécu le succès ? Mark Daumail – Attends deux secondes, je vais mettre un slip (l’entretien se fait par téléphone)… J’ai l’impression qu’on a vécu huit ans en quatre.

O

On a eu beaucoup de chance, le succès est dû au fait qu’on est arrivés au bon endroit au bon moment, avec les bonnes chansons. Le fait de chanter en anglais, qui était plutôt un frein auparavant, nous a aidés. Un peu comme Phoenix, j’imagine. Il y a sans doute eu une période où les Français se sont tirés vers le haut. Je ne pense pas que notre succès aurait été possible il y a dix ans.

Morgane Imbeaud – On a grandi ensemble ; on a appris à gérer les tournées, l’absence des proches. On a fait plus de deux cents dates, on a joué en Australie, aux Etats-Unis. J’ai appris à m’affirmer, à trouver ma place (elle signe un titre du nouvel album – ndlr). Pourquoi avoir signé un contrat avec une major comme Universal ?

Mark Daumail – L’idée n’était pas du tout de vendre notre âme au diable, mais de mieux nous vendre tout court. On en avait marre de faire des clips pourris, aussi. On avait envie d’avoir davantage de moyens : on a pu travailler avec le réalisateur Ian Caple, qui a collaboré avec les Tindersticks, Yann Tiersen, Bashung. Les arrangements de cordes ont d’ailleurs été confiés à Dickon Hinchliffe des Tindersticks. Morgane Imbeaud – On avait commencé à travailler avec Tore Johannson, le producteur des Cardigans et de Franz Ferdinand. C’était intéressant, mais ça ne nous a pas plu. Le fait de signer sur une major nous a permis d’enregistrer en Angleterre, on partageait le studio avec Liam Gallagher et son nouveau groupe. Mark, tu as passé l’hiver enfermé chez toi… Mark Daumail – Je ne suis pas sorti pendant deux mois, j’ai éteint mon téléphone. Je suis resté dans mon appartement et j’ai écrit une histoire, qui a donné son concept à l’album. C’est l’histoire de deux jeunes gens coincés sur une île qui découvrent une baleine et décident de partir avec elle. Dans la forme, j’ai été inspiré autant par Sufjan Stevens que par Mario Bros, par Miyazaki que par Bon Iver. Dans le fond, je crois qu’à travers ce conte j’évoque mon besoin de quitter Clermont-Ferrand. J’ai vraiment souffert de cette étiquette de groupe clermontois. Je ne me suis jamais senti à l’aise là-bas et j’ai eu l’impression qu’on avait fait de nous les ambassadeurs de la ville. C’était un peu dégueulasse pour les autres groupes. propos recueillis par Johanna Seban Album Where the Oceans End (Barclay/Universal), sortie le 25 octobre. Single Comets disponible. www.myspace.com/ listentococoon 22.09.2010 les inrockuptibles 95

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DJ Vadim

Matt Jura

le label a envoyé en première ligne un underground que personne n’a vu venir

Ninja Tune, le futur en tête Pour fêter ses 20 ans, le fureteur label anglais sort un coffret gargantuesque et s’invite en France pour une ribambelle de concerts. orsque Jonathan Moore et Matt Black fondent le label Ninja Tune à Londres en 1991, la musique anglaise s’interroge sur son futur, entre les vapeurs naissantes du trip-hop de Bristol et les secousses drum’n’bass qui se jouent dans les souterrains d’East London. Digérant le rap américain, l’electro et ces saveurs locales, les deux DJ, qui opèrent alors dans l’émission foutraque Solid Steel, ouvrent brusquement une voie transversale. Du jazz barré de Funki Porcini aux mixes élémentaires de DJ Food (comprendre “nourriture

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pour DJ”), en passant par l’electro onirique d’Amon Tobin ou les cut-up sauvages de leur propre formation Coldcut, Ninja Tune envoie en première ligne un underground que personne n’a vu venir. Excitant, débordant d’idées, cimenté par une identité visuelle travaillée (clips, pochettes, packaging…), par une liberté artistique dont la seule limite tient à l’imagination des protagonistes et par un culte de l’inédit, du remix précieux (leur site est une fontaine de titres gratuits), le label fédère un public grandissant qui vient s’abreuver de jazz futuriste, de breakbeat ou de hip-hop brisé.

Bricolages protéiformes, sampling éhonté, VJing et développement de CD-Rom, c’est une véritable guérilla multimédia qui se joue au cœur des années 90, amplifiée par la création de sections rap ou electro. Fer de lance de ce défrichage, la subdivision Big Dada, consacrée au hip-hop, fait notamment entrer dans ce flot d’images et de sons DJ Vadim, Roots Manuva ou les Français TTC, avant de dénicher un hip-hop alternatif que les Américains n’ont pas su aller chercher. Traversant l’Atlantique dans les années 2000, Moore et Black y repèrent notamment MF Doom, les Californiens dépressifs de cLOUDDEAD,

Diplo, Spank Rock ou Busdriver. En 2006, ils ajoutent une corde à leur arc en s’aventurant sur les terres d’un rock electroïde via la marque Counter Records (The Heavy, The Death Set). Implanté à Londres, Montréal et L.A., Ninja Tune poursuit encore, vingt ans après, cette insatiable quête, le futur en tête. C’est sans doute pour cette raison que le coffret qui célèbre les 20 ans du label n’est pas une rétrospective mais une prospective, qui convoque les héros du label pour mieux en dessiner l’avenir. Sextuple hamburger bourré d’inédits et de remixes, cette “futur-o-spective”, mise en boîte par les graphistes maison, anticipe les sorties sans en dire trop, réservant une place de choix aux nouvelles têtes Dels, Eskmo ou Emika. Et pour amplifier le séisme, la tribu vient retourner la France : ouvertes la semaine dernière avec Bonobo, DJ Vadim, DJ Food, Yarah Bravo et Speech Debelle, les festivités se poursuivront jusqu’au mois d’octobre. D’ici là défileront au Centre Pompidou, à l’Elysée Montmartre ou à la Machine du Moulin-Rouge, Roots Manuva, valeur sûre du rap anglais, Amon Tobin, le prince des platines Kid Koala, l’étrange Mr. Scruff ou The Herbaliser. Les deux derniers, tout comme Daedelus, s’aventureront, quant à eux, jusqu’à Bordeaux. Thomas Blondeau Discographie Ninja Tune/Pias Concert Le 1er octobre à Paris (Machine), avec Amon Tobin, Kid Koala, Coldcut, Daedelus… www.ninjatune.net

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Boy & The Echo Choir

Raphaël Pacific 231 Delabel/EMI Pop. On a frôlé le crime de bon goût : dire du bien de Raphaël. Faire abstraction du personnage, de ses mines, de ses caprices. Oublier une discographie souvent vaseuse, à “l’œcucuménisme” variété-rock hypocrite : on ne peut pas être à la fois Jeff Buckley et Pagny, Rimbaud et Renaud. Oublier l’adolescence qui, tard dans la vingtaine, a continué de polluer des textes à la révolte sans fondements, torturés par principe, exaltés par routine. Mais bon, ce rôle de tête à claque systématique, de symbole de ce qui va mal en France a fini, comme chez Raymond Domenech, par rendre suspicieux le procès en sorcellerie de Raphaël. Il sort même ici un cinquième album audacieux et tranchant, vraiment agité et passionnant – si seulement il était parfois instrumental. Car si les ambiances partagent parfois avec

And Night Arrives in One Gigantic Step Le Son Du Maquis/ Harmonia Mundi

Bashung un goût de l’ivresse et du vertige, les mots, eux, restent encore souvent à la traîne – le contraste est d’ailleurs cruel quand viennent ici les tancer des textes de Gérard Manset ou de Dick Annegarn. Affirmer, une cuillère en or dans la bouche, que “les Français sont désolants” ou évoquer “les milliardaires sur leurs yachts pendant que les autres tendent la main” n’est pas seulement démago et navrant, mais surtout dégradant pour ces arrangements et musiques autrement plus risqués, avancés, complexes. Dommage, car ailleurs, d’une voix enfin sobre (il arrête parfois d’imiter le canard affolé) et sur quelques phrases nues et chancelantes (Bar de l’hôtel ou Je hais les dimanches), Raphaël n’était pas loin de devenir majeur. JD Beauvallet www.raphael.fm En écoute sur lesinrocks.com avec

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Rock. Mélancolique, du rock qui attend la fin du soleil. A quel moment s’achève officiellement l’été ? Quand démarre cet album qui prône l’automne sans fin, avec ses mélodies chavirantes et comateuses. Disque sépia au moral sapé, il révèle un groupe au bord de la crise de nerfs. Repérée dans différents projets underground, Caroline Gabard est ici Boy, entourée d’un groupe fervent mais frigorifié de Saint-Nazaire – le Portishead de la côte ouest ? Faites de très beaux cauchemars. Simon Triquet www.cqfd.com/ boyandtheechochoir En écoute sur lesinrocks.com avec

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The Postmarks Memoirs at the End of the World Unfiltered Records/Naïve

Pop. L’épopée cinématographique d’un trio avide de grandes étendues.

Lobi Traoré Rainy Season Blues Glitterhouse/ Differ-ant

Working For A Nuclear Free City Jojo Burger Tempest Melodic/La Baleine

Rock. Les dingos de Manchester reviennent avec un péplum psychédélique. Du space-rock défoncé aux tranquillisants, du shoegazing en bottes de sept lieues ou du krautrock romantique : on a déjà entendu tout ça chez cette étrange troupe psychotrope. Jojo Burger Tempest est conçu comme un trip cosmique, ou plus prosaïquement comme un vaste DJ-mix où de nouvelles sonorités – pop élégiaque, jazz défoncé, acid-rock zombie ou electro langoureuse – viennent enrichir un peu plus encore le luxuriant psychédélisme de ces garçons mal élevés de Manchester. Le résultat, mutant, est un étonnant tourbillon, à la fois frénétique et suave, enragé et apaisant, qui teste au-delà du raisonnable l’élasticité de cette écriture en lignes brisées. Ce qu’ils ont découvert derrière le mur du son peut vous laisser baba.

Blues. Venu du Mali et d’outre-tombe, un album hypnotique et grave. Album posthume : le bluesman malien Lobi Traoré est mort le 1er juin d’une crise cardiaque, à l’âge de 49 ans. Enregistré un an plus tôt à Bamako par l’Américain Chris Eckman (The Walkabouts, Dirtmusic), Rainy Season Blues fait donc office de testament. Un disque document, confidentiel, recueilli, en contrepoint final d’une carrière placée sous le signe du jeu collectif, de la guitare électrique et d’un funk africain extraverti. La route de Lobi Traoré a croisé celles d’Ali Farka Touré ou de Damon Albarn. Mais ici, il est face à lui-même. Rainy Season Blues est un album solo : la voix forte, grave, de Lobi Traoré, et une guitare sèche, tellement sèche que parfois elle prend feu. Du country-blues africain hypnotique, hyperréaliste, intense et brut.

Ce second disque du groupe de Floride plonge dans la nostalgie et compte ses bagages : les prémices de l’electro, la grandeur orchestrale d’Ennio Morricone, la douceur pop de The Divine Comedy et de Belle And Sebastian… Une ballade tortueuse sur Memory Lane dont The Postmarks reviennent grandis, sereins, sublimés. Car, contrairement à ce que promet le titre, elle ne mène pas à l’apocalypse mais au paradis. Ondine Benetier www.thepostmarks.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Sean Carey All We Grow Jagjaguwar/Differ-ant

Pop. Le complice de Bon Iver en solo : doux comme un doudou. Sean Carey vit à Eau Claire et sa musique coule en effet d’une claire fontaine : pastorale et pourtant très sophistiquée, elle résulte de la patiente décantation de musiques que la vie a si souvent tenté de tenir éloignées, savantes et populaires. On reconnaît ainsi les sous-bois de Neil Young comme les boucles hypnotique de Steve Reich. Sa page MySpace s’appelle “Scarey Music” – “musique effrayante”. Elle ne veut que la paix et la sérénité.

Stéphane Deschamps

JDB

En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/ scareymusic

JD Beauvallet www.myspace.com/wfanfc 98 les inrockuptibles 22.09.2010

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The Master Musicians Of Jajouka The Source

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Manuel Pascual

Le Son du Maquis/Harmonia Mundi

World. Véritables légendes vivantes de la musique nord-africaine, ces Maîtres ont côtoyé les Stones comme Sonic Youth. Un Jajouka à part. Se plonger dans la biographie des Master Musicians Of Jajouka (et de leur leader, Bachir Attar) est une expérience insolite : on y croise Brian Jones et les Rolling Stones, Paul Bowles et William Burroughs, Ornette Coleman et Elliott Sharp, Bill Laswell et Peter Gabriel, Talvin Singh et l’Orchestre Philarmonique de Londres, Timothy Leary et Genesis P-Orridge, Archie Shepp et Arto Lindsay, Sonic Youth et Patti Smith… Et encore, on ne parle là que des cinquante dernières années, alors que la musique jouée par les Master Musicians Of Jajouka existerait depuis plus de mille ans, ou deux mille, voire quatre mille, comme le disait William Burroughs. Leur nom circule comme une légende ésotérique, initiatique et psychédélique. Jajouka est un minuscule village du Nord marocain, qui abrite depuis toujours

une confrérie de musiciens guérisseurs, puisant l’inspiration dans les rites de Pan et le soufisme islamique. Pour l’auditeur qui découvre le groupe ici et maintenant, avec l’épuré The Source, la musique des Master Musicians Of Jajouka n’aura peut-être pas de vertu thérapeutique. Mais elle entraînera à coup sûr des effets secondaires : sensation de vertige voire de lévitation, altération des repères spatio-temporels, tremblement des membres inférieurs, hallucinations, besoin irrépressible de s’absenter du monde moderne pour aller vivre dans un nid au sommet d’un arbre, avec nos frères les oiseaux. Dans la musique des

Master Musicians Of Jajouka, on entend des flûtes, des percussions, des sortes de hautbois, quelques luths et du chant. Compositions en longues spirales, motifs répétitifs, interprétation à la fois douce et intense : cet album hautement hypnotique, enregistré en une nuit dans la cour de Bachir Attar, est bien sûr la bande-son de grands voyages intérieurs, de rêves d’éternité. Et en plus, leur site internet est vachement bien. S. D. www.jajouka.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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spectres de Spector

“personne n’aurait voulu de ma vie” Phil Spector

La folie, l’excentricité et le génie du producteur Phil Spector racontés par un témoin privilégié, dans un livre époustouflant : Le Mur de son. n 2003, à L.A., un chauffeur en livrée et en Rolls vient chercher Mick Brown à son hôtel, puis le conduit au pied du manoir de Phil Spector. Le journaliste doit gravir les 88 marches qui le mènent jusqu’à la porte d’entrée, pénètre dans une demeure sépulcrale, vaste et déserte, assombrie par les rideaux tirés. Au bout d’une demi-heure, une vieille dame malingre se présente en haut de l’escalier : le maître des lieux. Cette scène digne de Citizen Kane ouvre la remarquable biographie d’un des plus grands génies et maboules de l’histoire du rock. Quelques jours après cette rencontre, Lana Clarkson, actrice de série Z, est retrouvée morte dans le même lieu, une balle au fond de la gorge. Mick Brown a donc interviewé in extremis l’ermite excentrique du rock, le “tycoon of teens”, l’un des mythes les plus éclatants et éclatés de la musique populaire, avant qu’il ne soit jugé et condamné à dix-neuf ans de réclusion. Il a aussi parlé à une centaine de personnes qui ont côtoyé ou aimé Phil Spector, travaillé ou vécu avec lui. Tout est là. L’ascension fulgurante d’un lycéen complexé qui se retrouve n°1 à 18 ans, fréquente le gratin de la pop à 20 ans (Ertegun, Wexler, Doc Pomus), devient milliardaire à 24 ans (à la tête de son propre label). On voit comment l’option “girl groups” (The Crystals, The Ronettes, Darlene Love), choix sexy, est aussi un moyen de façonner à sa guise de naïves lycéennes et éventuellement de les entuber financièrement. On suit la construction progressive et passionnante du “Mur de son” : 4 guitares, 3 pianos, 15 à 20 musiciens entassés dans un studio vétuste et exigu, pas de cymbales… Ah ! pas de cymbales, c’est un détail, mais révolutionnaire. A la place, un tapis de tambourins, clochettes, carillons et castagnettes. Ce son unique, empilé en mono, combiné aux harmonies célestes des gamines, propulsant des chansons merveilleuses ciselées par les meilleurs orfèvres du Brill Building (Uptown, Be My Baby, Walking in the Rain…), a engendré la pop la plus joyeuse et triste, la plus scintillante et cruelle, la plus délicate et monumentale de l’histoire : un blitzkrieg hormonal, des “petites symphonies pour les kids”, disait Spector. Défilent aussi le rebond Righteous Brothers (You’ve Lost That Loving Feeling, une des plus belles chansons de tous les temps), l’échec injuste de River Deep, Mountain High avec Tina Turner, la deuxième carrière avec les Beatles, Lennon et Harrison, jusqu’aux Ramones et… aux cessions avortées avec Céline Dion ! Tressée dans cette carrière fabuleuse, il y a la vie de Spector, mélange de paranoïa et de schizophrénie empirant avec les ans. Pourquoi était-il tour à tour si généreux et fidèle en amitié (Lenny Bruce, Lennon…), puis si odieux, père et mari tyrannique, séducteur amer menaçant ses conquêtes avec ses flingues ? Le décès de son père quand il avait 9 ans ? Sa mère despotique ? Ses complexes de maigrichon pâlichon amplifiés quand la famille déménage à L.A., terre des grands costauds bronzés ? Son succès trop précoce ? “Personne n’aurait voulu de ma vie”, dit-il à Brown. Venant de ce croisement de Howard Hughes et Johnny Rotten, producteur-metteur en scène de quelques-unes des heures les plus magiques de la pop, cette phrase laisse songeur et brise le cœur. Serge Kaganski

Phil Spector : Le Mur de son (Editions Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, 650 pages, 22 €

Phil Spector dans les années 1970

Michael Ochs Archives/Getty Images

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Fabien Langard

The Bewitched Hands On The Top Of Our Heads Hard to Cry Savoir Faire/Sony Rock. La rencontre au sommet (d’une montagne) des Beach Boys et d’Arcade Fire. epuis Arcade Fire, c’est l’ouragan : songwriting pointilleux, par dizaines que l’on harmonies vocales soignées recense les petits exaltés et mille-feuilles soniques maîtrisés qui, bras au ciel et corps permettent à la fanfare de tenir en toge, chantent à tue-tête debout, avec dignité et insolence, des mélodies taillées dans la quand s’enflamme soudain tempête. Malheureusement, si leur Hard to Cry, grand moment elles donnent une illusion de pop diluvienne. JD Beauvallet de grandeur le temps d’un refrain, trop de ces chansons ont Concert Le 8 novembre à Paris le souffle épique plutôt court (Zénith), Festival Les Inrocks et s’effilochent dans le néant. Black XS, avec Jamaica, Les Rémois de Bewitched LCD Soundsystem et Is Tropical. Hands, comme il faudra bientôt www.myspace.com/handsbewitched les appeler, ont creusé de solides En écoute sur lesinrocks.com avec fondations avant d’affronter

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Maximum Balloon Communion Le génial Dave Sitek continue de dévoiler peu à peu son nouveau projet, Maximum Balloon : après avoir convié la Scandinave Little Dragon puis Tunde Adebimpe, son partenaire au sein de TV On The Radio, c’est Karen O des Yeah Yeah Yeahs qui s’y colle en prêtant sa voix de féline à ce titre sensuel et groovy. www.myspace.com/maximumballoon

Sufjan Stevens I Walked Le premier extrait du nouvel album de Sufjan Stevens, The Age of Adz – à paraître en octobre –, est déjà disponible en téléchargement. Et hurlons-le sans ambages : Stevens est le jeune songwriter américain le plus doué de ce siècle. Rien de moins. sufjanstevens.bandcamp.com/track/i-walked

Broken Bells October Après avoir uni leurs talents pour l’étonnant projet Broken Bells, James Mercer des Shins et le producteur hip-hop DangerMouse font désormais appel aux vôtres : sur un site au graphisme éblouissant, les internautes sont invités à réaliser le clip du nouveau single du duo. www.brokenbells.com/october

April Shower Boy You Are an Alien Pétillante et acidulée, la pop étrange de ces cinq Bordelaises devrait vite affoler la blogosphère mondiale. Elles ont tout – le culot, les mélodies en vmiel et les refrains amers – pour chercher des noises aux héritières des Raincoats et de Kate Bush. www.cqfd.com/aprilshower 22.09.2010 les inrockuptibles 101

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!!! 9/10 Paris, Cigale Against Me! 7/11 Paris, Maroquinerie Arcade Fire 24/11 Marseille, 26/11 Lyon Aufgang 25/9 Sannois Band Of Skulls 22/9 Paris, Flèche d’Or Ilene Barnes du 29/9 au 1/10 Paris, Dame de Canton BB Brunes 24/11 Paris, Olympia Jeff Beck 9/10 Nantes, 11/10 Paris, Olympia Best Coast 3/12 Paris, Nouveau Casino Big Boi 5/11 Paris, Elysée Montmartre The Black Keys 9/11 Paris, Bataclan Black Mountain 4/10 Paris, Maroquinerie The Bloody Beetroots 10/11 Paris, Grande Halle de la Villette Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3 Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Caribou 4/11 Montpellier, 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Cee Lo Green 23/9 Paris, Trabendo Chapelier Fou 12/10 Canteleu The Charlatans 4/11 Paris, Trabendo

Clarika 6/12 Paris, Palace Leonard Cohen 23/9 Tours, 25/9 Lille Lloyd Cole 5/11 Paris, Alhambra Soirée Custom octobre 15/10 Paris, Nouveau Casino, avec The Like, Yoav Sarah Eden 27/9 Paris, Sentier des Halles

Karen Elson 24/9 Paris, Boule Noire Rare sur scène, la compagne de Jack White vient dévoiler ses folk-songs sauvages dans le cadre intimiste de la Boule Noire. Tiken Jah Fakoly 19/11 Perpignan Festival Factory Du 25/9 au 9/10 à Sannois, Pantin et Paris, avec !!!, Aufgang, Tahiti Boy And The Palmtree Family meet Sergio “Os Mutantes”, etc. Elysian Fields 21/10 Marseille, 23/10 Rognes, 28/10 Lausanne Foals 16/11 Lille, 17/11 Nantes, 19/11 ClermontFerrand, 20/11 Bordeaux, 21/11 Toulouse, 23/11 Lyon, 24/11 Strasbourg, 25/11 Paris, Elysée Montmartre Chris Garneau 19/11 Blois, 20/11 Colmar, 25/11 Le Havre Goldfrapp 28/9 Lille,

22/11 Paris, Trianon Gorillaz 22 & 23/11 Paris, Zénith. Gush 30/11 Paris, Bataclan Hey Hey My My 23/11 Paris, Bataclan I Am Kloot 24/10 Paris, Maroquinerie Inrocks Indie Club septembre 24/9 Paris, Flèche d’Or, avec I Blame Coco, Grovesnor, Automatiq Interpol 25/9 Bordeaux, 6/10 Toulouse, 16/11 Marseille Camélia Jordana 8/11 Paris, Cigale Junip 1/10 Tourcoing, 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Katerine 19/11 Alençon, 20/11 Lille, 24/11 Lyon, 7/12 Paris, Casino de Paris, 9/12 SaintEtienne, 10/12 Lausanne Kelis 6/10 Paris, Bataclan, 24/10 Strasbourg Killing Joke 27/9 Paris, Bataclan, 30/9 Lille Kim 1/10 Toulouse, 22/10 Paris, Souffle Continu, 19/11 Auch Lady Gaga 23/10 Paris, POPB, 2/12 Lyon The Lanskies 24/9 Mézidon, 25/9 Louvigny, 30/9 Tours, 1/10 Paris, Boule Noire, 12/11 Lille, 19/11 Cherbourg, 11/12 Bordeaux Robin Leduc 13/10 &  17/11 Paris, Zèbre de Belleville Legendary Tigerman 25/9 Beauvais, 26/9 Bourg-enBresse, 3/10 Marseille, 5/10 La Rochelle, 6/10 Toulouse, 7/10 Montpellier,

8/10 SaintEtienne, 9 & 16/10 Noisiel, 17/10 Paris, Point Ephémère, 19/10 Nantes, 20/10 Cognac, 21/10 Dijon Sean Lennon & Charlotte Kemp 6/10 Paris, Flèche d’Or Festival Les Inrocks Black XS Du 3 au 9/11 à Paris, Lille, Nantes et Toulouse, avec LCD Soundsystem, Anna Calvi, Scissor Sisters, Midlake, Beach House, John Grant, The Acorn, The Drums, Carl Barât, Surfer Blood, The Coral, Local Natives, Warpaint, La Patère Rose, Kele, Monarchy, Villagers, Cascadeur, etc. Alice Lewis 9/10 Strasbourg, 15/10 Paris, Trois Baudets (MaMa Festival), 20/10 Tourcoing, 21/10 Angers, 22/10 Le Havre, 23/10 Rennes, 24/10 Paris, Machine, 26/10 Amiens, 29/10 Nantes, 30/10 Brest Liars 27/10 Rennes, 28/10 Paris, Machine, 29/10 Dijon, 30/10 Vendôme, 31/10 Nantes Lilli Wood And The Prick 25/9 Tigery, 9/10 ChâteauThierry Cheikh Lô 9/11 Paris, Divan du Monde Madjo 16/11 Paris, Maroquinerie Magic Kids 18/10 Paris, Point Ephémère Florent Marchet 1/10 Loudéac, 8/10 Bressuire, 9/10 Epinaysur-Seine, 10/10 Nancy, 16/10 Brainans, 21/10 Montpellier, 23/10 Trappes, 29/10 Miramontde-Guyenne,

30/10 ClermontFerrand, 6/11 Tourcoing, 9/11 Paris, Café de la Danse, 19/11 Rouen, 26/11 Villeurbanne, 27/11 Delemont, 3/12 Cannes, 8/12 Lens, 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxueilles-Bains, 18/2 Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 20/5 Avoine Marina & The Diamonds 30/11 Paris, Alhambra Marsatac Du 23 au 25/9 Marseille, avec A Certain Ratio, Erol Alkan, Aeroplane, Curry & Coco, Lexicon, Sage Francis, Cibelle, Beat Assaillant, A-Trak, Nasser, Danton Eeprom, etc.

Massive Attack 2/10 Le Cannet, 3/10 Grenoble, 5/10 Montpellier Après avoir magnétisé Rock en Seine, la secte de Bristol poursuit cet automne son tour hexagonal avec son spectacle sons et lumières (noires). La France a peur. MGMT 7 & 8/10 Paris, Bataclan, 14/12 Lyon Midnight Juggernauts 12/10 Tourcoing, 13/10 Paris, Bataclan, 20/10 Toulouse Minitel Rose 1/10 Lorient, 21/10 Arles, 6/11 Rennes, 20/11 Le Havre, 28/1 Orvault, 6/2 Tours Of Montreal 7/10 Paris,

Cigale, 8/10 Lille Morcheeba 11 & 12/10 Paris, Bataclan, 30/10 Marseille, 31/10 Toulouse, 1/11 Lyon The Morning Benders 29/9 Paris, Nouveau Casino Musée Mécanique 24/9 Paris, Point Ephémère, 28/9 Grenoble, 1/10 Dijon Mystery Jets 12/10 Paris, Maroquinerie, 13/10 Toulouse Yael Naim 7 & 8/12 Paris, Café de la Danse The National 23/11 Paris, Olympia Festival Nördik Impakt du 5 au 9/10 à Caen, avec Aphex Twin, Benga, Gilles Peterson, Cascadeur SFR Live présente : Nuit Electro au Grand Palais 9/10 Paris, Grand Palais, avec Laurent Garnier, Simian Mobile Disco, Yuksek Off Tracks # 2 22/9 Paris, Nouveau Casino, avec Fiction, Conan Mockasin, Factory Floor PacoVolume 29/9 Paris, Maroquinerie La Patère Rose 5/11 Lille, 6/11 Paris, Cigale, 7/11 Nantes, 9/11 Toulouse Raul Paz 7/12 Paris, Bataclan Petit Bateau x Kitsuné Maison En Vrai ! # 7 3/11 Paris, Boule Noire, dans le cadre du Festival Les Inrocks Black XS, avec School Of Seven Bells, Gold Future Joy Machine, Clock Opera Plan B 16/11 Paris, Bataclan, 17/11 Lille

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Dès cette semaine

Pony Pony Run Run 12/11 Paris, Zénith, 17/11 Bordeaux The Posies 4/10 Paris, Divan du Monde Julien Pras 15/10 Paris, Zénith (+ Eiffel), 16/10 Paris, MaMa Festival, 19/10 Rennes, 23/10 Guyencourt, 25/10 Vendôme, 30/10 Caen Professor Green 1/11 Paris, Nouveau Casino Puggy 8/11 Paris, Bataclan Brisa Roché 23/9 Paris, Divan du Monde Mark Ronson 5/10 Paris, Zénith

Sage Francis 26/9 Paris, Machine du Moulin-Rouge Santana 12/10 Paris, POPB Scout Niblett 12/11 Lille, 13/11 Metz, 14/11 Grenoble, 15/11 Montpellier, 16/11 Lyon, 17/11 Belfort

Suede 28/11 Paris, Elysée Montmartre Après leur reformation à Londres au printemps, le groupe s’invite à Paris. Allez Brett, joue-nous les tubes.

Supertramp 27/10 Lille Tame Impala 30/10 Tourcoing, 31/10 Nantes, 1/11 Paris, Maroquinerie These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou Tunng 19/10 Strasbourg, 20/10 Tourcoing, 21/10 Angers, 22/10 Le Havre, 23/10 Rennes, 24/10 Paris, Machine du Moulin-Rouge 26/10 Amiens The Two 30/9 Paris, Flèche d’Or Two Door Cinema Club 25/11 Paris, Olympia Tumi And The Volume 6/10 Paris,

Nouvelles locations

Maroquinerie Twin Twin 24/9 Brétignysur-Orge, 25/9 Colombes Vampire Weekend 17/11 Paris, Zénith Nibs van der Spuy 21/10 Paris, Sunset Clelia Vega 24/11 Périgueux, 18/5 Laval Troy Von Balthazar 15/10 Angoulême, 22/10 Nîmes, 26/10 Liège, 28/10 Roubaix, 29/10 Vendôme, 31/10 Dijon, 2/11 Lyon, 3/11 Bruxelles, 4/11 Paris, Point Ephémère, 5/11 Rouen, 8/11 Caen

V. V. B rown 8/11 Marseille, 9/11 ClermontFerrand, 10/11 Strasbourg, 11/11 Lille, 13/11 Nantes, 15/11 Paris, Bataclan, 17/11 Toulouse Wavves 22/11 Paris, Point Ephémère We Are The Lilies 1/10 Paris, Elysée Montmartre We Have Band 4/10 Roubaix, 5/10 Poitiers, 6/10 Paris, Point Ephémère, 7/10 Marseille, 8/10 Toulouse Emily Jane White 15 & 16/11 Paris, Européen

En location

Steve Winwood 7/10 Paris, Bobino Shannon Wright 30/9 Paris, Point Ephémère, 1/10 Bruxelles, 2/10 Montaigu, 8/11 Lille, 10/11 SaintNazaire, 11/11 Tours, 12/11 Magnyle-Hongre, 13/11 Angoulême, 14/11 Toulouse, 15/11 Marseille, 18/11 Dundingen (Suisse), 19/11 Macon, 20/11 BourgoinJallieu, 23/11 Rennes Yeasayer 26/10 Paris, Bataclan Zola Jesus 18/11 Paris, Fondation Cartier

Benoit Rousseau

aftershow

Maximum Balloon le 16 septembre à Paris (Point FMR) Maximum Balloon, projet dance, pop et ultra-excitant du maestro David Sitek (tête pensante de TV On The Radio, producteur des Yeah Yeah Yeahs, de Scarlett Johansson, de Foals ou des Liars) au casting vocal stellaire (David Byrne, Karen O, Tunde et Kyp de TV On The Radio, Ambrosia Parsley, Little Dragon...) peine à trouver la lumière qu’il mérite. Aussi, le Point FMR, en ce soir de fête, se remplit doucement. Etrange, car les morceaux déjà entendus promettent des lendemains qui rebondissent, des petits tubes jouissifs et colorés pour ondes FM internationales, des bombinettes pour dance-floors béats. Certes, Sitek est, ce soir, seul sur scène. Mais des laptops, des machines, des platines et beaucoup de maîtrise suffisent au bonhomme pour donner un aperçu du potentiel des morceaux de son projet, ici remixés en live et en force. On imagine alors la même chose – beats orgasmiques, triturations sonores et mélodies tubesques – devant une foule de clubbers ahuris. A la maison comme sur scène, Maximum Balloon va remuer les masses. Thomas Burgel 22.09.2010 les inrockuptibles 103

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une vie Avec son acuité au vitriol, Philip Roth démonte les étapes qui mèneront un jeune homme à la mort dans l’un de ses romans brefs qui forment une passionnante comédie humaine.

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ui, le bon vieux défi américain, ‘Allez vous faire foutre’, et c’en fut fait du fils de boucher, mort trois mois avant son vingtième anniversaire – Marcus Messner, 1932-1952 –, le seul de sa promotion à avoir eu la malchance de se faire tuer pendant la guerre de Corée, qui se termina par la signature d’un armistice le 27 juillet 1953, onze mois pleins avant que Marcus, s’il avait été capable d’encaisser les heures d’office et de fermer sa grande gueule, reçoive son diplôme consacrant la fin de ses études à l’université de Winesburg – très probablement comme major de sa promotion –, ce qui aurait repoussé à plus tard la découverte de ce que son père, sans instruction, avait tâché de lui inculquer depuis le début : à savoir la façon terrible, incompréhensible dont nos décisions les plus banales, fortuites, voire comiques, ont les conséquences les plus totalement disproportionnées.” Tout Philip Roth est dans cette phrase : l’ironie et la morale, la chance et le destin… Des paradoxes implacablement à l’œuvre dans toute vie, c’est pourquoi on se gardera de réduire Indignation à la seule dénonciation de l’hypocrisie puritaine de l’Amérique des années 50 : Philip Roth, bien entendu, nous délivre toujours quelque chose de plus profond que le background sociétal de ses romans. Ici, mine de rien, il nous montre comment, point par point, toute existence peut sombrer dans la tragédie – ou plus modestement, le drame –, que toute vie n’est que la somme de ses actes, même les plus infimes. Indignation, ou les désarrois de l’élève Messner, ressemble, eu égard à son dénouement (une mort déjà annoncée à la page 55) à un compte à rebours, présentant la suite de ces actes a priori anodins qui mèneront pourtant un jeune homme au trépas. La force du roman, qu’on ne peut saisir qu’à sa toute fin, c’est de nous avoir fait suivre ces micro-étapes vers la mort du point de vue de celui qui les vit, les décide, à savoir Marcus Messner. Tout du long, placés de son côté par le très habile Roth, comme si nous devenions Messner, nous allons non seulement le comprendre, mais lui donner raison. A tort. Chacun de ses gestes est certes une réaction d’indignation à la sottise et à l’hypocrisie adultes : son père, boucher, qui le flique en permanence et qu’il choisira

Philip Roth sait bien que s’il existe une force subversive titanesque, c’est bien le désir sexuel de fuir en s’inscrivant dans une université éloignée de chez lui ; les autres garçons du campus qui salissent la réputation de la jeune fille dont Messner tombe amoureux, sous prétexte qu’elle a des mœurs trop libres (mais dont ils auraient profité) ; un proviseur soupçonneux, aussi tyrannique que la figure paternelle ; une mère juive experte en chantage affectif et autres ultimatums égoïstes… et, face à eux, ce pauvre jeune homme amoureux qui découvre le sexe de façon délicieusement coupable (il est quand même déjà le fruit de son éducation), qui va se rebeller contre tous ceux qui tenteraient d’entraver son désir. Philip Roth sait bien que s’il existe un moteur de rébellion puissant, une force subversive titanesque, c’est bien le désir sexuel. L’ironie d’Indignation, semble nous dire Philip Roth à la fin, c’est peut-être que ce jeune homme était trop en avance sur son temps. Vingt ans après, l’Amérique basculera sous le joug de ses enfants frustrés : “En 1971, les bouleversements

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en marge

romansorciers Ces romanciers qui prédisent l’avenir… Sont-ils les nouveaux devins ?

sociaux, les transformations et les mouvements de protestation des tumultueuses années 1960 finirent par atteindre l’université de Winesburg, si réactionnaire et apolitique qu’elle fût.” Indignation est la tragédie de celui qui n’a pas su adapter sa vie à son temps, le contredisant sans cesse, s’y heurtant continuellement comme un pauvre petit papillon de nuit au lampadaire qui finira par lui consumer les ailes. Mais n’est-ce pas cela, être révolutionnaire ? Ainsi, Marcus Messner est l’un des plus beaux personnages de Roth, plongé dans un monde auquel il ne comprend rien, suivant son désir jusqu’à la mort, incapable de faux-semblants, incarnation du désir de liberté de toute une génération. Il est pourtant, en apparence, un personnage modeste, dans un récit comme en sourdine, comme le sont depuis quelques années les romans “minces” de Philip Roth (La bête qui meurt, Un homme…), qui finissent pourtant par former le puzzle d’une “comédie humaine” des plus profondes, des plus passionnantes. Dans un entretien qu’il nous avait donné l’année dernière pour la sortie d’Exit le fantôme, Philip Roth nous avait parlé de sa vie comme d’une suite de coups de chance, niant toute théorie psychanalytique selon laquelle nous aurions un éventuel contrôle

sur ce qui nous arrive. Pourtant, avec Indignation, l’écrivain semble se contredire. Le roman entier met en scène un destin, et ce qui le constitue : une suite de choix – une de ces destinées individuelles qui intéressent tant Michel Houellebecq, pour qui l’existence du protagoniste de La Carte et le Territoire n’est là encore que la somme de ses choix, inexplicables, et qui le plongeront dans la tragédie. Pour lui, ce sera la solitude. Pour Messner, la mort. Pour Clay, le narrateur du somptueux Suite(s) impériale(s) de Bret Easton Ellis, ce sera le mal ; pour le personnage Coetzee dans L’Eté de la vie de J.M. Coetzee, l’impossibilité d’être aimé. Force est de constater que les plus grands romans de cette rentrée n’en finissent pas d’interroger le plus grand des romans, celui qui nous échappe en permanence, qu’on croit écrire mais qu’on ne fait que jouer : le destin. Pas franchement optimiste. Mais, après tout, la littérature n’a jamais eu vocation à l’être. Peut-être doit-elle d’abord démêler cette narration mystérieuse en la réécrivant. Nelly Kaprièlian photo Jean-Christian Bourcart Indignation (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier, 208 pages, 17,90 €. En librairie le 30 septembre.

L’avenir ? Il y a d’abord eu Don DeLillo, dont le roman Joueurs, paru en 1977, prédisait quasiment les attentats contre les Twin Towers. Peu avant le 11 Septembre, Bret Easton Ellis remettait le terrorisme au goût du jour, si l’on peut dire, en le parachutant dans le monde des DA cocaïnés et des mannequins, dans Glamorama. Sans parler de Cormac McCarthy, qui, depuis quarante ans, dépeint un monde voué à l’apocalypse. Aujourd’hui, avec la réédition d’un roman également paru en 1977 (!), on découvre que Joan Didion rejoint à son tour le club très privé des écrivains visionnaires. Un livre de raison raconte comment une adolescente de bonne famille s’adonne à des actes terroristes, dont un détournement d’avion. Faut-il voir des prophéties dans ces visions ? De simples images construites sur un art du pressentiment ? Ou une propension cartésienne à projeter l’actualité ? Les auteurs concernés, eux, préfèrent rationaliser ce don : c’est tantôt “le terrorisme qui n’était pas un phénomène nouveau”, tantôt un “hasard total”. Toujours est-il qu’aujourd’hui ce ne sont plus les scientifiques, astronautes et autres maîtres des étoiles qui nous laissent entrevoir le futur. Ce sont les romanciers qui, plus seulement de manière fictive et fantasmée, anticipent sur ce qui hier avait tout l’air d’un scénario de science-fiction. D’où cette question : pourquoi ne pas regrouper ces écrivains en conseil de sages ? En faire les devins d’aujourd’hui, des sorciers modernes capables de lire dans les images de CNN comme dans le marc de café ? Ce serait l’occasion de mettre en pratique un principe k-dickien, développé dans Minority Report : utiliser la prescience de nos écrivains pour arrêter les criminels. Histoire, aussi, de voir si ces “romansorciers” sont de vrais prophètes ou des diseurs de mauvaise aventure.

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Yves Ravey Enlèvement avec rançon

Marion Ettlinger

(Minuit, 144 pages, 13,50 €)

love fools

Disparu en 2008, révélé récemment en France, David Foster Wallace, auteur culte aux Etats-Unis, dynamitait la nouvelle à travers dix histoires virtuoses, tendrement disjonctées. n attendant son masterpiece, Infinite Jest, qui en a fait un auteur culte aux Etats-Unis, chaque nouveau titre de Foster Wallace traduit en France est accueilli par un signe de croix. Il faut dire que la disparition prématurée de l’écrivain (il s’est donné la mort en septembre 2008, à 46 ans) n’a fait que renforcer son aura. Depuis, son œuvre est devenue à peu près aussi précieuse et dorlotée que celle, unique, d’un John Kennedy Toole, auteur “martyre” de la célébrissime Conjuration des imbéciles. En France, la découverte de Foster Wallace a été tardive : c’est à travers la lecture de Brefs entretiens avec des hommes hideux, d'Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas en 2005, et de La Fonction du balai l'année dernière, qu’on s’est demandé pourquoi on avait mis autant de temps à le traduire. La raison en est toute simple : Wallace est potentiellement intraduisible – du genre à rendre les traducteurs chèvres, direction retraite anticipée à 35 ans en vertu de la pénibilité du travail. Paru en 1989, ce n’est assurément pas ce recueil de nouvelles qui viendra infirmer cette vérité. La Fille aux cheveux étranges ne colle à aucun canon de la littérature : dix nouvelles déjantées qui mettent le feu à tous les topos, à toutes les conventions de la fiction telle qu’on la côtoie habituellement. La “faute” aux personnages, en nombre hallucinant, et qui ont tous un grain, au minimum. La faute, également, aux situations rocambolesques déployées dans chaque nouvelle, aux digressions invraisemblables, aux coups de théâtre devenus monnaie courante. Les coulisses du

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jeu télévisé Jeopardy, où la candidate prodige s’entiche d’un des “cerveaux” de l’émission ; des punks incontrôlables à un concert de Keith Jarret ; une histoire d’amour à la Maison Blanche entre le “Président” et le distributeur du courrier ; une actrice de série qui joue sa carrière sur un talk-show ; une réunion regroupant tous les ex-acteurs des pubs McDonald's tandis qu’un vieux prof élucubre des théories littéraires – la dernière nouvelle, un quasi-roman de 200 pages à la limite du lisible. En bon héritier postmoderne, Wallace reproduit des jeux, des antirègles recensés chez ses prédécesseurs (Pynchon, Hacker) : ton parodique, collages, ironie, penchant pour la culture pop. Ses nouvelles traduisent une fascination pour l’industrie culturelle (au sens large, incluant la com alimentaire et politique), ses rouages internes et profondément humains. Chez Wallace, la grosseur du trait fabrique de l’étrange, du grotesque, un rire tendre. Dans un monde où tout est mascarade, les personnages épuisent leurs failles et leurs névroses en faux contacts, en étincelles propres à faire disjoncter la fiction. Autre chose nous dit que Wallace, ce grand échalas aux cheveux de jais, était aussi un sentimental. Sous leur surface virtuose, ses nouvelles ne seraient pas aussi attachantes si elles n’accordaient pas un crédit fondamental à l’amour. Les personnages de David Foster Wallace sont, tous ou presque, terriblement amoureux. Emily Barnett La Fille aux cheveux étranges (Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, 504 pages, 25 €

Deux frères kidnappent une fille de patron. Entre "faux" polar et Nouveau Roman, une belle énergie visuelle. Une tempête de neige dans la nuit, deux hommes à skis qui franchissent une douane en fraude, et bientôt un revolver, des cagoules, un kidnapping… Le nouvel opus d'Yves Ravey n’est pas à proprement parler un polar, mais il y ressemble fort. De fait, l’écrivain flirte volontiers avec le genre (Cutter, Bambi Bar), sans jamais y avoir pris ses quartiers. Cette fois, on monte d’un cran dans le parfum de crime, l’accointance avec le fait divers : Enlèvement avec rançon fait le récit d’un rapt organisé par deux frères, Max et Jerry, visant la fille d’un patron d’entreprise "d’emboutissage". A partir de là, un huis clos sous tension s’installe. Ravey y emploie son art des dialogues ciselés, de la prose minimaliste. Le roman opère un beau passage entre ce qu’on appelle une écriture "blanche", héritage du Nouveau Roman, et une écriture cinématographique. Dans les interstices de ce thriller de plus en plus branlant, Ravey distille les ingrédients du règlement de comptes familial ("Quand iras-tu voir maman à l’hôpital ?" ; "Pourquoi tu n’es jamais allé fleurir la tombe de papa ?"). Une séance de cuisson d’œufs au bacon devient alors une parenthèse cocasse, un hors sujet maîtrisé, dans l’esprit de ceux qu’affectionnent les frères Coen ou Tarantino. Une jolie liberté que cultive le roman, et qui fait oublier quelques points de confusion, ainsi que sa maladresse finale : on préfèrerait que le Djihad et la cause islamiste restent en dehors de tout ça. E. B.

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Karim perdu dans Manhattan Un jeune Qatari découvre New York et l’univers impitoyable de la finance. Un roman d’initiation hanté par le 11 Septembre, à la fois drôle et grinçant. e spectre du capitalisme hante la littérature. Du Bûcher des vanités de Tom Wolfe à Cendrillon d’Eric Reinhardt, les traders sont devenus des personnages récurrents de la fiction contemporaine ; Wall Street et les salles de marché, des lieux communs de l’univers romanesque. Pour son premier roman, l’Américain Teddy Wayne, 31 ans, journaliste pour le New York Times, Vanity Fair ou encore la revue McSweeney’s, a choisi d’investir à son tour le milieu de la finance, mais en adoptant un point de vue légèrement décalé : celui de son narrateur, Karim Issar, petit génie de l’informatique venu du Qatar. Embauché par la son nouvel environnement : Dan et multinationale Schrub pour éviter Jefferson, ses collègues qui claquent l’apocalypse tant redoutée du bug de l’an leur fric dans les carrés VIP des boîtes 2000, Karim débarque à New York à branchées de Manhattan, Rebecca, dont il la fin de l’année 1999. Ce qui constitue tombe amoureux, Barron, un chauffeur le principal intérêt du livre et lui confère de taxi, ou encore son boss, Derek Schrub, un côté "Lettres persanes des temps avec lequel il noue une relation quasi filiale. modernes", c’est le regard étranger porté Candide projeté dans un univers dont il ne par son héros sur la société américaine. maîtrise pas les codes, il lui faut apprendre Aux antipodes de l’archétype du jeune les subtilités de la langue anglaise (il tente loup dévoré par l’ambition, Karim, geek d’améliorer son niveau en regardant les idéaliste, la tête dans les algorithmes, matches de base-ball et en se faisant des a l’âme d’un pur. Sérieux, infiniment poli, listes de vocabulaire), du sexe et du second il paraît presque trop lisse pour avoir une degré. La relative naïveté avec laquelle réelle profondeur et, dans les premières il décrypte ce nouveau monde engendre pages, cette impression contamine quelques situations savoureuses et rend l’écriture, rigide, sèche et encombrée le personnage attachant. de formules mathématiques. Les nuances Récit d’une ascension fulgurante, Kapitoil et les ombres se dessinent peu à peu, a tous les attributs du roman d’initiation à mesure que Karim entre en contact avec classique. Karim met au point un

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Rory Gunderson

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programme capable de prédire les cours du pétrole qui s’avère une mine d’or pour Schrub. Le jeune Qatari devient l’étoile montante de l’entreprise. Il s’empresse de raconter ses succès à Zahira, sa jeune sœur restée à Doha avec son père. Mais bientôt, sa réussite se heurte à son éthique. On peut certes reprocher à Teddy Wayne de verser un peu trop dans la leçon de morale. En revanche, il évite totalement l’écueil du "choc des civilisations", alors que son livre est hanté par le 11 Septembre : les bureaux de Schrub sont situés dans le World Trade Center, il est question d’attentats en Jordanie, au Pakistan… Kapitoil se lit alors comme la chronique acérée d’une catastrophe annoncée. Elisabeth Philippe Kapitoil (Liana Levi), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adelaïde Pralon, 368 pages, 20 €

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Marilyn superstar Avec la publication de ses carnets, un roman, l’annonce d’un film, Marilyn Monroe est au cœur de cette rentrée. Un demi-siècle après sa mort, la star n’en finit pas de fasciner… et de faire vendre. n nous l’a annoncé comme le scoop de ce début d’automne : le 7 octobre, seront publiés les carnets intimes de Marilyn Monroe herself, à savoir 250 pages de poèmes, lettres, extraits de journal intime et photos, couvrant une période allant de 1943 (elle a 17 ans) au 4 août 1962, veille de sa mort. Un peu partout sur le web, on est grisé à l’avance, peut-être à juste titre, de cette publication posthume, intitulée Fragments, avec des “Marilyn écrivain” par-ci, des “Marilyn Monroe inconnue” par-là, sans parler des “femme de réflexion” et autres “actrice d’une grande sensibilité et intelligence”. Marilyn Monroe n’était donc pas conne ? D’une actrice qui a partagé sa vie avec l’un des dramaturges les plus brillants de son époque (Arthur Miller), qui a tourné avec les meilleurs cinéastes de son temps (Hawks, Cukor, Preminger, Huston, Wilder), qui était aussi chanteuse, parfois danseuse, on est en droit de penser qu’elle ne se résumait pas à son tour de poitrine. Ce secret éventé, les plus sceptiques verront peut-être dans cette sortie, aux Etats-Unis et dans dix autres pays, une énième façon de profiter de la formidable rentabilité du mythe Marilyn. En effet, on n’en finit pas d’exploiter ce filon. Et on a pu noter un regain de passion pour Monroe. Dix ans après le roman que Joyce Carol Oates lui a consacré, Blonde, réédité chez Stock en juin, le cinéma s’est attelé à son adaptation. Blonde, le film, sortira en 2011, sous la houlette d’Andrew Dominik (réalisateur de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford)

Baron/Hulton Archive/Getty Images

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et avec Naomi Watts. Côté livre, cette rentrée littéraire a été marquée par la sortie d’un nouveau portrait romancé de la star : Vie et opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe. Andrew O’Hagan avait trouvé l’idée du siècle : relater la vie de Marilyn à travers les yeux de son chien – le roman vire malheureusement assez vite à l’exercice de style bavard et ennuyeux, plus soucieux de ses “bons mots” que d’offrir un quelconque point de vue sur son héroïne. Marilyn, VIP d’une littérature un peu bling ? Oui, mais pas seulement : car ce que la star semble nous avoir légué – au-delà de son image après sa mort, démultipliable à l’infini – c’est le besoin, urgent, intarissable et sans cesse renouvelé, de lui rendre justice. De refermer les blessures qui lui ont été faites et de laver l’affront. Le problème, à travers cette cruciale publication, n’est donc pas tant d’imposer un ultime déshabillage à la star – en réalité une énième projection, une image plus sublimatoire encore que les autres. Ce qui est gênant, déplaisant et triste, tient dans le retour en force

d’un archaïsme qui a nourri des siècles de machisme : ce bon vieux clivage entre la forme et le fond, l’apparence et l’intériorité, la beauté et l’intelligence, le corps et l’âme, etc. Ce fameux : “Elle est mignonne. Et pas bête, en plus.” Ça vous dit quelque chose ? Comme si nous avions quelques scrupules à révérer une surface dans toute l’envergure de son intelligence. Ainsi, il est intéressant de découvrir la “suite” des deux seuls vers qu’on ait jamais lus de Marilyn, à la dernière page du roman de Oates : “A l’aide à l’aide ! / Je sens la Vie se rapprocher.” L’écrivain connaît bien les carnets de la star, consultés au moment de la rédaction de Blonde. Récemment, elle signait un long article à leur sujet dans Playboy, intitulé “(Secret) Marilyn”. Au Festival du cinéma américain de Deauville, on a interrogé la romancière sur l’impression qu’elle en garde : “A travers ses écrits, on réalise à quel point Marilyn Monroe était sensible. Elle était très consciente d’elle-même, de son image, et profondément anxieuse. Il n’y a pas de véritables constructions de la langue, mais ce sont des impressions de vie, crues et touchantes.” Emily Barnett

la 4e dimension Houellebecq nique Nothomb 2010 ne sera pas la fabuleuse année d’Amélie. La Belge n’occupe “que” la 3e place des meilleures ventes avec Une forme de vie, derrière Houellebecq en tête des palmarès. La Carte et le Territoire a déjà connu deux réimpressions, pour un total de 190 000 exemplaires.

Et en plus, ils écrivent ! Nos politiques aussi aiment taquiner la plume. Jean-Louis Debré s’essaie au polar au titre très “Harlequin” : Regard de femme (Fayard). Tandis que Laurent Fabius parle peinture dans Le Cabinet des douze (Gallimard). Comme quoi, il n’aime pas que les carottes râpées et la Star Ac.

Le titre le plus con Dans cette catégorie, on croyait Katherine Pancol imbattable. C’était compter sans Eric-Emmanuel Schmitt qui a commis un Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent (Albin Michel). Clap, clap.

Obama vs Bush Aux Etats-Unis, ils s’affronteront en librairie, en novembre. Le 16, Barack Obama sort un livre pour enfants, Of Thee I Sing: A Letter to My Daughters (De vous, je chante le nom : une lettre à mes filles), qui évoque treize grandes figures américaines. Un livre avec des images, parfait pour George W. Bush qui, lui, publie ses mémoires.

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un an de désillusions Marc Weitzmann radiographie la France de 2003 en revisitant ses thèmes habituels : famille et quête identitaire.

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uand j’étais normal commence comme un roman d’apprentissage, bercé par le doux idéalisme des années 1970 : Gilbert Bratsky, ado brillant mais empoté, fils de militants de gauche, s’initie aux joies troubles de la camaraderie avec un petit caïd de sa classe. Puis, fin du rêve, le roman fait un bond de trente ans en avant. Le narrateur, devenu journaliste financier pour une agence de presse, voit ses parents désœuvrés tomber sous l’emprise mentale de son ancien camarade de classe, tandis que lui-même s’enlise étrangement dans sa vie professionnelle et sentimentale. On est en 2003, un an après

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le passage de Le Pen au second tour. Les guerres au Moyen-Orient se propagent à une vitesse virale, et les manifs dans les rues se multiplient. C’est dans ce “champ de bataille” que Marc Weitzmann, ancien journaliste aux Inrockuptibles, va creuser ses thèmes habituels – la famille et la quête identitaire, les mythologies politiques et la judaïté. Pour sa part la plus intéressante, Quand j’étais normal trace les contours d’un paysage hexagonal contemporain, avec un mordant, une ludicité impressionnants. En confondant névroses familiales et observation du champ social, Weitzmann pose la

question de l’engagement politique, en perte de vitesse dans une France qui semble désorientée. D’un monde complexifié (rachats de groupes de presse, valeurs fluctuantes en Bourse et autres effets du capitalisme), l’auteur de Chaos et d’Une place dans le monde actualise un brouillage idéologique, dont l’équation pendulaire oscillerait entre paranoïa communautariste et relents antisémites. Que reste-il de nos amours ? Que deviennent nos parents qui furent d’ardents activistes ? Le monde est-il encore respirable ? Tout en dressant ce portrait mi-tendre, mi-désespéré d’une France au bord de l’asphyxie, le roman peine,

ailleurs, à nous enthousiasmer : les problématiques intimes du narrateur, notamment, ont un côté fabriqué à côté de ce qui s’impose comme une radiographie de notre époque. E. B. photo David Balicki Quand j’étais normal (Grasset), 240 pages, 18,50 €

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Jean Echenoz

pourra enfin approcher l’“icône”. mercredi 22 On Bret Easton Ellis sera à la librairie L’Arbre à lettres-Bastille pour son dernier roman Suite(s) impériale(s) (Robert Laffont), à partir de 18 h. 62, rue du Faubourg-Saint-Antoine, Paris XIIe, tél. 01.53.33.83.23, www.arbrealettres.com

voit Jean Echenoz en double avec jeudi 23 On la sortie concomitante de son dernier roman Des éclairs et de Nous trois en poche (Minuit, 14,50 € et 6,80 €). Et on remplace l’apéro par une rencontre en VO avec Adam Haslett pour L’Intrusion (Gallimard) et Nick Flynn pour Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie (Gallimard), à la librairie Shakespeare and Compagnie, à partir de 19 h.

à venir Helene Bamberger

Patti Smith à l’Odéon

37, rue de la Bûcherie, Paris Ve, tél. 01.43.25.40.93

On se prépare pour un marathon Don DeLillo. L’écrivain américain est en France pour la sortie de Point Omega (Actes Sud). Vendredi 24, une rencontre est organisée à L’Arbre à lettres-Bastille, à 18 h. Samedi 25, il donnera une lecture exceptionnelle de son livre dans la grande salle du Théâtre de l’Odéon (15 h, de 6 à 18 €, tél. 01.44.85.40.40). Et dimanche 26, il est l’invité de l’émission Cosmopolitaine sur France Inter à 14 h.

vendredi 24

file à Vincennes pour samedi 25 On le Festival America. Ce samedi,

Régis Jauffret Tibère et Marjorie (Le Seuil)

ne pas manquer la rencontre avec Bret Easton Ellis, “Bret Easton Ellis, vingt-cinq ans après”, animée par Les Inrockuptibles à 14 h 40 à l’auditorium Cœur de ville.

remet ça. dimanche 26 On Jay McInerney mérite

A 12 h à l’auditorium Cœur de ville, Festival America

Male Britannia lundi 27 Après (sur les années 30, côté masculin) et London Euphoria (les swinging 60’s), on découvre la Régence britannique sous le dessin so smart de Floc’h dans Regency Utopia, portraits des grandes figures de l’époque, de Lord Byron à Jane Austen. Ed. Le Neuvième Monde, 32 pages, 8 €

fait connaissance mardi 28 On avec la “grand-mère” de Lolita en se plongeant dans le tome 2 des œuvres complètes de Vladimir Nabokov dans La Pléiade, qui contient notamment L’Enchanteur, où apparaît la première nymphette nabokovienne. 1 808 pages, 75 € (69 € jusqu’au 31 décembre)

Don DeLillo

Nigel Parry/CPi

98, rue de Fontenay, Vincennes, www.festival-america.org

bien de sacrifier une grasse matinée. La rencontre sera animée par Les Inrocks au Festival America. L’occasion d’aborder avec l’auteur de Bright Lights, Big City la part d’autobiographie dans son œuvre.

A l’occasion de la sortie de son autobiographie, Just Kids (le 14 octobre), Patti Smith lira des extraits de son texte sur la scène du Théâtre de l’Odéon le lundi 18 octobre à 20 h. La lecture s’effectuera en français et en anglais. Dans Just Kids (lire p. 70), Patti Smith raconte son arrivée à New York à la fin des années 60, sa vie avec Robert Mapplethorpe, faite de petits boulots, de lectures et d’amour, et ses débuts dans le rock… Une soirée en partenariat avec les éditions Denoël et Les Inrockuptibles. Ouverture de la location cette semaine.

"C’est compliqué, les histoires d’amour", écrit Régis Jauffret dans l’argumentaire qui accompagne son nouveau roman. Et en effet, Tibère et Marjorie suit les hauts et les bas, violents et amoureux, d’un couple qui rompt dès les premières pages. Quelques mois après Sévère, autour d’une histoire d’amour SM qui s’achevait sur un meurtre, Jauffret n’en finit pas d’ausculter les rapports amoureux. Sortie le 7 octobre.

Nathalie Quintane Tomates (P.O.L) Ceux qui ont lu Chaussure et Jeanne Darc de Nathalie Quintane s’attendront, en découvrant Tomates, à une tentative d’épuisement de ce très bon "fruit rouge", délicieux accompagné de mozzarella. Pourtant, Tomates tourne d’abord autour de l’année 2009 et de l’événement qui suscita une inquiétude profonde quant au fonctionnement démocratique français, soit l’affaire Tarnac. Autobiographique et politique ? A découvrir dès le 7 octobre.

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les mystères de l’Ouest Le western américain des auteurs européens fifties, dans une belle réédition de Jijé. é en 1954, Jerry Spring fut le premier western de bande dessinée “made in France”. Cinquante ans après, son dessin sensuel et son sens de l’aventure n’ont perdu ni leur force, ni leur charme. A vrai dire, peu de modernes l’égalent, et qui aime à s’égarer sur les terres sauvages célébrera d’autant plus ce classique qu’il est offert dans une intégrale soignée comme rarement. Ce qui date l’œuvre, en revanche, et confère à sa lecture une fascination strictement moderne, c’est la naïveté de sa peinture de l’Amérique, la distance incommensurable qui séparait à l’époque les deux continents. Rétrospectivement, Jerry Spring apparaît comme un western complètement à côté des codes esthétiques américains qui ont fondé le genre. Sous le pinceau de Jijé, les terres arides de l’Ouest sauvage, par nature écrasées de soleil, miroitent anormalement d’accents expressionnistes, de jeux d’ombres et de lumières. Les masses de noir, caractéristiques de son dessin, dramatisent constamment ces grands espaces. Et il en va

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ainsi pour tous les codes du western, rejoués selon les conventions esthétiques européennes. En témoigne la couverture, où la silhouette du vaillant Jerry Spring ne se démarque pas par la grâce de sa posture (comme John Wayne chez Ford, puis Eastwood chez Leone), mais par

le coupant de sa mise en lumière. Bientôt, Jean Giraud et son Blueberry viendront, éclateront ces masses de noir en petits rehauts de trait et opposeront au végétal sensuel de Jijé et de Jerry Spring leur ligne dure et minérale. Jerry Spring, en cela, se double d’un

témoignage touchant, vestige romantique d’une époque où les Européens fantasmaient l’Amérique à défaut de pouvoir l’arpenter. Stéphane Beaujean Jerry Spring – L’intégrale en noir et blanc (Dupuis), 240 pages, 2 4 €

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Brigitte Enguérand

première Francophonies en Limousin Focus sur l’Afrique : “Plutôt que de rester au pays commémorer des indépendances problématiques, les artistes viennent nous parler de leurs contradictions d’aujourd’hui et de leurs sociétés.” Avec Lokua Kanza, Dieudonné Niangouna, BlonBa, Faustin Linyekula, Marie-Louise Bibish Mumbu… Du 23 septembre au 2 octobre à Limoges, www.lesfrancophonies.com

réservez Hot Pepper, Air Conditioner and the Farewell Speech mise en scène Toshiki Okada Minimal, intense et pimenté d’une pointe d’humour, le théâtre de ce metteur en scène et dramaturge japonais sonde l’aliénation de l’individu face à une société étouffante. Du 2 au 5 octobre au Théâtre de Gennevilliers, Festival d’automne, www.festival-automne.com

viol de nuit Dans le Berlin en ruine de 1945, les femmes deviennent la proie des soldats russes. Une plongée autobiographique et anonyme dans la barbarie portée par Isabelle Carré.

C

‘est une voix anonyme qui pose des questions de base et donne des réponses personnelles de portée universelle. La prostitution est le plus vieux métier du monde ? Le viol est, lui, la plus vieille agression. Cette femme allemande qui retrouve son fiancé dans le Berlin en ruine de 1945, après avoir vécu l’arrivée des Russes, lui raconte ce que ça fait et comment c’est d’être le butin de guerre de soldats victorieux. Elle pose la question des frontières qui séparent, non pas le bien du mal, mais plus insidieusement, le viol de la prostitution, la soumission

de l’instinct de survie. Selon qu’il s’agit de viols collectifs ou de viols soutirés par des soldats qui s’excusent presque ou paient leur coup de cigarettes ou de harengs, le résultat est le même. Dans cet “abîme entre deux nuits, j’ai le sentiment désagréable de passer de main en main, je me sens avilie, offensée, rabaissée au niveau d’objet sexuel”. C’en est trop pour le fiancé qui sort au milieu de la lecture de ce journal, commencé à deux voix dans une mansarde au lit défait. Un texte anonyme édité dans les années 1950 aux Etats-Unis et en Allemagne et qui a tant fait scandale que son auteur a demandé à ce qu’il ne soit

plus publié de son vivant. Blonde, juvénile, un peu égarée, mais le regard vif et décidée à parler, Isabelle Carré poursuit donc seule son témoignage, va au bout du calvaire pour dire le prix de sa dignité inentamée quand le corps est une épave sur laquelle elle dérive. Honnête, elle ne fait pas de tous ses violeurs des monstres, et reconnaît même avoir de la sympathie, voire de la reconnaissance, pour la “protection” qu’Anatol, Petka ou le major lui offrent en échange de son corps. Le journal commence le 20 avril et se termine le 16 juin 1945. Entre les deux, le 8 mai, l’Allemagne capitule et des soldats russes lui racontent avoir vu dans leur village des soldats allemands poignarder des enfants et en saisir d’autres par les pieds pour leur fracasser le crâne contre un mur. “J’ai la sensation d’être blindée, comme si j’étais dotée de palmes spéciales pour nager dans la vase.” Mais elle n’est pas au bout de ses découvertes et écrit, le 15 juin : “J’ai lu Les Perses d’Eschyle. La longue plainte sur la misère des vaincus est à la mesure de notre défaite, mais notre triste sort d’Allemands a un arrière-goût de nausée, de maladie et de folie, il n’est comparable à aucun autre phénomène historique. A la radio, j’ai entendu un reportage sur les camps de concentration. Le plus horrible dans tout ça, c’est l’esprit d’ordre et d’économie : des millions de gens utilisés comme engrais, rembourrage de matelas, savon mou, paillasses de feutre, cela ne se trouvait pas dans Eschyle.” La frontière, sûrement, entre tragédie et barbarie. Fabienne Arvers Une femme à Berlin mise en scène Tatiana Vialle, avec Isabelle Carré et Swann Arlaud. Jusqu’au 10 octobre au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, tél : 01.44.95.98.21, www.theatredurondpoint.fr

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danse captée Jeu de dupes chorégraphique en ouverture de la Saison musicale de Royaumont. atelier des enfants concomitant avait choisi comme intitulé “Le danseur et son double”. On ne saurait mieux dire pour résumer le propos du tandem Mylène Benoit et Olivier Normand. Sauf qu’“ici”, pour reprendre le titre de cet opus, il faudrait mettre “les doubles”. Au pluriel donc. Dans la salle des Charpentes de Royaumont, un quatuor d’interprètes prend place entre deux rangs du public, face à un écran. Et une caméra. Chaque mouvement, en solo ou en groupe, capturé puis rediffusé sur le second écran, vit sa vie. Que reste-til dès lors de cette danse instantanée qui passe par une captation ? Et de la mémoire de l’autre ? Il y a un effet burlesque qui traverse ICI une heure durant dans ce va-et-vient entre le direct et la reprise. Comme cette danseuse qui, d’un saut, sort du cadre. Ou cette impression continue que le geste précède parfois l’humain. A cet égard, une leçon de fessées dans le réel ou dans le vide – mais à l’écran, l’image d’un interprète supplée cette absence – tourne vite au jeu de massacre. Des lignes sans cesse, des brouillages aussi avec ce groupe de deux qui devient trois, ICI assume

Mylene Benoit

L’

cette ambiguïté entre le vrai et le faux. Il lui manque peut-être une portée qui aille au-delà de l’ironie. Mais sa facture tranche avec le tout-venant de propositions intégrant l’image. C’est à Royaumont même, lieu de recherches et de rencontres pour compositeurs ou danseurs contemporains, que Benoit et Normand se sont croisés. Bouclant la boucle, le compositeur italien Daniele Ghisi créait le même jour iCi, pièce électroacoustique d’après ICI. Philippe Noisette Royaumont Saison musicale jusqu’au 10 octobre, www.royaumont.com ICI le 2 février 2011 à Pau, le 15 à Vanves, le 8 mars à Douai, le 23 à Valenciennes, les 5 et 6 mai à Armentières

voyage intérieur Monologue subtil entre rêverie et quête de sens. il se parle à lui-même. out comme les précédents livres Etre sans forme réelle, œil omniscient – ou d’Olivier Cadiot, presque –, il façonne Un mage en été n’a pas été écrit pour le théâtre. sa propre fantasmagorie, se fait non sans humour Comme dans Le Colonel son cinéma mental. des zouaves, déjà mis en Cet entrecroisement subtil scène par Ludovic Lagarde du physique et du mental est et interprété par d’ailleurs une des réussites Laurent Poitrenaux, il s’agit de cette belle mise en scène d’un monologue. Sauf qu’ici créée cet été à Avignon. le rythme est nettement plus lent ; l’atmosphère plus Corps spirituel se déplaçant au gré de ses visions, méditative. En acrobate Laurent Poitrenaux nous du verbe, le comédien se entraîne à sa suite dans glisse dans cette dimension une quête en profondeur impalpable d’une écriture où l’on entend au passage qui se veut instrument de plongée, invitation au voyage la voix nasillarde d’Apollinaire, l’ouverture intérieur. “Je ferme les yeux du Mother de John Lennon ; pour voir les choses.” où l’on croise aussi un mage Sa voix, retravaillée grâce à (forcément !), Eliphas Levi, un logiciel de l’Ircam, subit ancêtre du narrateur, lequel d’étranges transformations est un poisson… Mais aussi traduisant ses multiples un double de l’auteur métamorphoses. Parfois s’adonnant à une rêverie des images se déploient charmante, légère, parfois dans son dos, souvenirs, mélancolique : “Je pèche apparitions fugitives, dans mes catacombes.” apparences traversées. “Voyant à la force du poignet”, Hugues Le Tanneur

Marthe Lemelle

T Un mage en été d’Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde, avec Laurent Poitrenaux. Du 22 au 27 septembre au Centre Pompidou, Paris IVe, tél. 01.44.78.12.33 Le 30 septembre au Centre Pompidou, Metz, tél. 03.87.15.39.39

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vernissages Leo Fabrizio Globalisé. Le photographe fête la venue à Paris de la galerie Triple V avec l’expo Dreamworld, série de portraits à la chambre de Bangkok, mégalopole postglobale par excellence. Dreamworld, jusqu’au 23 octobre à la galerie Triple V, 24, rue Louise-Weiss, Paris XIIIe, www.triple-v.fr

prix Ricard Nominés. L’expo Monsieur Miroir, orchestrée par Emilie Renard, présente les artistes du prix Ricard, autour des concepts d’analogie et de coïncidences. Monsieur Miroir, jusqu’au 6 novembre à la Fondation Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com

Printemps de septembre à Toulouse Performés. Pour cette XXe édition, Eric Mangion et Isabelle Gaudefroy ont conçu un programme axé autour de la performance. Avec Joris Lacoste, Olivier Cadiot, Jochen Dehn, Spartacus Chetwynd… Sans oublier deux expos à Reims et à Cahors. Une forme pour toute action, du 24 septembre au 17 octobre, à Toulouse, Cahors et Reims, www.printempsdeseptembre.com

Versailles sauce manga L’expo Murakami au château de Versailles a débuté la semaine dernière dans un climat délétère cultivé par des associations d’extrême droite. Une polémique qui ne doit pas empêcher un regard critique sur l’exposition. Loin des polémiques, les créatures gentilles et ultra-pop de Takashi Murakami dans les appartements royaux se font photographier à tour de bras par les touristes. “C’est une œuvre jubilatoire, commente Jean-Jacques Aillagon, président de l’Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, tout comme Versailles a toujours été un lieu jubilatoire, consacré à la mise en scène spectaculaire du pouvoir, mais aussi à la fête, à la danse, au jeu, et allant à l’encontre de l’austérité des jansénistes de Port-Royal. Louis XIV avait désiré qu’on mette ‘plus d’enfance dans tout ça’. Le choix tonique de Murakami est heureux en ce

L

sens.” Et le commissaire d’exposition Laurent Le Bon d’ajouter : “Il y a plein d’esprit dans ce travail, on le voit à la manière dont les sculptures de Murakami jouent avec les statues de Louis XIV. Dans la salle du sacre de Napoléon, il a posé la sculpture d’un roi nu et énorme sorti d’un conte d’Andersen et revisité à la sauce manga. C’est marrant.” Si ça ne fait visiblement pas “marrer” les opposants à l’exposition (la polémique s’étant déplacée dans les médias avec la récente couverture de Valeurs Actuelles dénonçant les “bouffons” de l’art ), sur place, en revanche, ça amuse bien la galerie. L’artiste a installé dans les appartements royaux une suite de personnages, tels Kaikai

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Takashi Murakami, The Emperor’s New Clothes, 2005. Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo : Cedric Delsaux - Salle du Sacre/Château de Versailles

planétaires, mainstream et lissées, ces œuvres sont l’interface de notre économie globalisée

et Kiki tenant la garde de part et d’autre d’une grande sculpture de Louis XIV. On fera aussi la rencontre de Miss Ko2, de Mr. Dob ou de Yume Lion, un drôle de Roi Lion en bronze doré à la feuille d’or et qui prend la place du Roi-Soleil. Dans la galerie des Glaces, l’artiste a joué la carte du kitsch avec un énorme vase de fleurs, Flower Matango, sculpture peinte de plus de mille couleurs différentes dans son atelier de Tokyo, autrefois appelé Hiropon Factory, en hommage à Warhol, et où travaillent plus de cinquante assistants. Bref, pas de quoi effrayer touristes, guides et gardiens interrogés au hasard : “Moi j’adore ça”, nous dit une jeune femme postée à l’entrée. “Comme dans toute révolution, commente un gardien, il y a des mécontents. Mais ces expositions nous sortent de la routine, on voit les choses autrement.” Une guide, bras levé et parapluie à la main, se montre à la fois enthousiaste sur le projet et critique quant au choix de Murakami : “La proposition de Xavier Veilhan, l’an dernier, était formidable et très bien construite. Là, ça fait

doublon avec Jeff Koons, on a l’impression que les œuvres ont été placées aux mêmes endroits, avec le même jeu de discordance. Ça n’ajoute pas grand-chose.” Comme quoi on peut apprécier l’art contemporain à Versailles sans pour autant adhérer au choix de Murakami, redondant de kitsch, de spectaculaire et d’argent roi. Pour être plus critique encore, on dira que, s’il a réussi à inverser la domination exercée par la culture américaine sur le Japon, ses sculptures, qui puisent dans l’imagerie manga, fusionnées au pop art et parfois réalisées en collaboration avec les rappeurs Kanye West ou Pharrell Williams, ont définitivement fait passer l’empereur Murakami du côté d’un autre empire, celui du capitalisme mondial. Au point de mettre d’accord François Pinault, du groupe PPR, et Bernard Arnault, de LVMH, qui le collectionnent l’un et l’autre. Planétaires, mainstream et lissées, ces œuvres sont l’interface de notre économie globalisée. Croisé dans la salle des Gardes, un groupe de Japonaises, comme tout le monde, connaissent Murakami “pour ses sacs Louis Vuitton”. Un peu étonnées de le voir exposer là, elles sont pour autant ravies de leur visite – et filent aussitôt à la boutique, où le business des produits dérivés Marie-Antoinette tourne à plein régime. Car le blockbuster Murakami Versailles peut aussi se regarder comme une sorte de match amusant entre deux grandes entreprises culturelles et financières : d’un côté, le business-artiste japonais, dont le prix des œuvres a centuplé depuis 1993 – quand le galeriste Emmanuel Perrotin l’invite pour la première fois à exposer –, et qui a vendu en 2008 sa sculpture Oval Buddha au prix record de 8 millions de dollars ; de l’autre, l’industrie touristique du château de Versailles. “La rencontre a quelque chose de logique, analyse finement la critique d’art Jill Gasparina. Murakami est dans un processus de démocratisation de l’art contemporain, il est parvenu à mondialiser et à exporter la culture japonaise, autant classique que manga. Et, de son côté, Versailles est une spécificité de la culture française qui s’est hyperdémocratisée et totalement mondialisée.” Loin du “choc des cultures” dénoncé par les propos réactionnaires des associations opposées à l’exposition, quelque chose s’éclaire quant aux multiples réalités que prend aujourd’hui l’industrie culturelle. La marque Murakami au centre, la marque Versailles autour : jeux de miroirs dans la galerie des Glaces. Jean-Max Colard et Claire Moulène Murakami Versailles, jusqu’au 12 décembre au château de Versailles, www.chateauversailles.fr 22.09.2010 les inrockuptibles 115

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Alexandra Compain-Tissier

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semaine critique de la mode

1 le père Noël a tout compris Deux études scientifiques très sérieuses viennent d’élever le père Noël au rang de play-boy absolu, et certainement de modèle à suivre pour chaque homme qui se respecte. Jugez plutôt : des chercheurs en psychologie de l’université américaine de Rochester ont démontré que les hommes habillés de rouge sont ceux qui attirent le plus les femmes. Des chercheurs australiens ont quant à eux prouvé que six femmes sur dix préféraient les barbus. Vivement Noël. Marc Beaugé

2 aux origines de l’esthétique punk

3 la réhabilitation du smoking canadien

Recyclés, exploités, galvaudés par tous les créateurs et designers de la planète, les codes de l’esthétique punk, les vrais, s’exposent à Londres, à partir du 24 septembre. Dans la galerie Haunch of Venison, on trouvera les premières affiches et flyers des concerts des Pistols, des Buzzcocks ou d’Alternative TV. De nombreux fanzines, aussi foutraques que jouissifs, seront également exposés. M. B.

Le total look jean (pantalon plus chemise, veste optionnelle) n’a jamais eu très bonne réputation. Au point que les Américains lui avaient trouvé un surnom plein de mépris, “canadian tuxedo”, le smoking canadien. Mais les choses sont en train de changer, notamment sous l’influence de la it girl Alexa Chung. A condition de choisir, comme elle, des toiles de teintes différentes, le smoking canadien est désormais tolérable. Eh oui. Géraldine de Margerie

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6 4 du bon usage des lunettes de vue Si le charme des lunettes de vue oversized et rétro est certain, il y a une limite fondamentale à leur usage. La limite de la décence, en quelque sorte. Elle est largement dépassée quand des gens (hommes ou femmes) à la vue impeccable – on a des noms – les chaussent pour de pures raisons esthétiques. Car à la différence d’un sac ou d’un chiot, les lunettes de vue ne sont pas un accessoire universel. Elles sont réservées aux bigleux à certificat médical. Comme un privilège compensatoire. G. de M.

5 des baskets à talons L’association de ces deux termes – “talons” et “baskets” – a longtemps évoqué de très mauvais souvenirs (les No Box et autres Buffalo à double bulle des années 90). Mais la créatrice Isabel Marant vient de réussir l’impensable en créant un modèle entre boots compensées et baskets vintage du meilleur effet. Une paire de chaussures pop et colorées très réussies qu’“on meurt d’envie d’acquérir” (phrase lue sur un blog de mode dont nous tairons le nom, par charité). G. de M.

6 une bible stylistique rééditée Au début des sixties, le look Ivy League déferle sur les universités américaines. Quatre Japonais, dont le photographe Teruyoshi Hayashida, se rendent sur place pour en extraire l’essence. Résultat ? Un livre culte publié en 1965, que des créateurs comme Jeremy Hackett ou Ralph Lauren se disputeront, des années plus tard, à coups de billets. Quelque 2 000 dollars pour des images d’étudiants en mocassins et short, c’est beaucoup. Réédité, le livre est désormais disponible pour une vingtaine d’euros. Laurent Laporte 22.09.2010 les inrockuptibles 117

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série noire

New Orleans revival

Après The Wire, David Simon filme les tentatives de renaissance de la ville du jazz, ravagée par Katrina. Un hommage vibrant à la musique. arrivée de Treme, nouvelle création de David Simon, sonne comme un événement dans l’univers déjà riche des séries télé. Ce jeune quinquagénaire avait fait basculer les derniers sceptiques par rapport au genre avec son coup de maître The Wire (2002-2008). Cinq saisons en apnée dans les ghettos de Baltimore, à la recherche des communautés perdues ou invisibles de l’Amérique contemporaine. Trafiquants, dockers, écoliers livrés à eux-mêmes, flics épuisés, drogués, politiciens, journalistes ; la série dessinait un monde à la dérive, saturé de vampires mais sauvé par les puissances de la fiction. Chaque personnage irradiait d’une lumière à la fois familière et mystérieuse dans les arcanes d’un récit fascinant, où les multiples histoires résonnaient bien au-delà de leur présence concrète à l’écran. Nous étions les témoins de ce qui est encore aujourd’hui l’une des meilleures séries de tous les

L’

temps. Une révolution à la hauteur de celle des Soprano quelques années auparavant. David Simon aurait pu tenter une suite – ghetto, le retour. Très peu pour lui. Tel un ethnologue soucieux de tester sa méthode et sa morale à l’épreuve du voyage, il a installé ses quartiers à plusieurs centaines de kilomètres de Baltimore, dans un autre territoire meurtri, un monde en soi : La Nouvelle-Orléans. Avant le passage de l’ouragan Katrina en 2005, Simon n’en connaissait presque rien, au contraire de la ville de The Wire, où il avait travaillé de nombreuses années comme journaliste d’investigation. Il lui a fallu s’entourer (le cocréateur de Treme, Eric Overmyer, est un local) et fouiller en détail la chair

la ville, si fière de sa singularité, est malgré tout en position de grande faiblesse

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au poste

sinistrée de ce berceau de la culture noire et créole. Le résultat, une première saison située trois mois après le désastre Katrina (1 800 morts, des centaines de milliers de déplacés) dans une ville encore groggy, a été mis à l’antenne par HBO au printemps dernier. Dix épisodes qui nous arrivent avec une célérité appréciable, même si leur diffusion sur une chaîne relativement confidentielle (Orange Cinéma Séries, 480 000 abonnés) laisse songeur. Evitons de nous plaindre trop longtemps et soulignons les progrès : The Wire n’avait même pas été diffusée correctement en France. La source de Treme, son cœur battant, c’est la musique. Le titre reprend le nom d’un faubourg de La Nouvelle-Orléans au lien historique très fort avec le jazz. Prévenons les allergiques aux trombones, trompettes et contrebasses : il n’y a que cela dans la série, à peine un peu de hip-hop (un morceau écrit par les Neptunes pour Mystikal dans le pilote) et donc beaucoup, beaucoup de fanfares – brass bands en VO. Simon et son équipe ont invité plusieurs figures locales comme acteurs et consultants – le trompettiste Kermit Ruffins en tête – et n’hésitent pas à faire de certains épisodes de longues plages de musique estampillée Nouvelle-Orléans,

entrecoupées de quelques portions de dialogues. En majorité, les personnages sont des musiciens. Pourtant, Treme n’a rien d’une caresse bienveillante adressée à un folklore pittoresque et ancestral. Très consciente du danger, la série met en scène l’ambivalence de tout regard extérieur sur le monde qu’elle décrit, montrant dès l’épisode 2 une poignée de touristes s’extasiant sur le caractère “authentique” de ce qu’ils écoutent à chaque coin de rue. Comme toujours chez David Simon, la résolution du problème se révèle complexe. Toute la saison est traversée par les sentiments contraires qui animent la ville, si fière de sa singularité et malgré tout en position de grande faiblesse. Car tout est à reconstruire pour Antoine Batiste, Albert Lambreaux et les autres, qui tentent de remettre leur vie (et parfois leur maison) debout. Et il faut trouver de l’argent. Treme raconte l’histoire douloureuse de cette reconstruction. Et fustige les raisons d’un abandon. “Parfois, la colère est la seule réponse rationnelle”, clame un personnage. Il est désormais notoire que la réaction plus que molle de George W. Bush après l’ouragan, couplée à plusieurs décennies de politiques publiques laxistes, a largement aggravé les conséquences de la catastrophe naturelle. Le constat est effroyable. Si, au fil des premiers épisodes, on croit parfois assister à un spectacle optimiste, voire légèrement forcé, sur les vertus de la musique comme pansement à tous les maux, la série évite rapidement le didactisme pour adopter la forme poétique de l’élégie. La noirceur ne l’emporte jamais tout à fait, mais une litanie de cadavres et d’enterrements envahit l’écran. Comme si les morts avaient davantage de pouvoir que les vivants. Après avoir pris nos marques, nous voilà dans une île fictionnelle que seules les séries à infusion lente de David Simon savent inventer. Quelque chose de lancinant, de calme et d’angoissé à la fois, nous saisit. Une façon de capter le destin d’un groupe et de quelques individus en usant autant de détails que d’ellipses béantes. Une manière de faire naître des personnages en douce, tout au fond d’un plan, comme si de rien n’était. Les deux derniers épisodes, splendides, vibrent comme une apothéose. Vivants et morts, réconciliés, y chantent un même air de mélancolie. Olivier Joyard Treme A partir du 25 septembre (20 h 40) sur Orange Cinéma Séries. A lire, un blog décryptant la musique et les références culturelles de la série : soundoftreme.blogspot.com The Wire A partir du 16 septembre sur France O (TNT gratuite) à raison de deux épisodes par semaine à 22 h 35

change ta life Les relents nauséabonds de la téléréalité culinaire de TF1. “Mon but, c’est de changer de vie”… “Un seul objectif pour les candidats : changer de vie”… “Masterchef : la meilleur recette pour changer de vie”… On a compris ! La même idée a été martelée en boucle pendant les premières semaines de la nouvelle téléréalité gastronomique de TF1. L’obsession du storytelling s’épanouissant au-delà du champ politique, il était logique qu’une émission de télé vende son pitch comme un poissonnier refourgue ses merlans. En demandant aux candidats, aux animateurs et à la voix off de le répéter inlassablement, la chaîne de Bouygues a pris le risque de la lourdeur. Ce n’est pas un problème pour elle. Masterchef est délayée, imprécise sur ce qu’elle est censée montrer un peu quand même (la cuisine) et largement inférieure à sa concurrente, Top Chef, siglée M6. Niveau audience, elle marche correctement, sans plus. Mais à l’image de toutes les émissions majoritaires, elle commente son époque. “Changer de vie” fait office de slogan possible dans un monde en crise, en écho à une aspiration commune indéniable. Un désir dont Masterchef s’empare pourtant de manière extrêmement déplaisante, comme une sorte d’injonction. La mise en scène de l’émission a tout du dispositif militaire, dans le ton des jurés comme dans la façon de concevoir la trajectoire individuelle des candidats et de vanter leur obéissance. Un slogan peut servir à en cacher un autre. Sur TF1, “Changer de vie” évite de “Changer la vie” – pour les plus jeunes, le Parti socialiste avait fait de ces trois mots son leitmotiv durant les années 70. Vouloir changer de vie, pourquoi pas, puisqu’un seul candidat y parviendra. Mais cela suppose de rester à sa place. Au bout du compte, le message politique est limpide : surtout, ne changez rien.

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radio réveil

réveillé de bonheur

Nouvelle voix de France Culture, Marie Richeux réveille dès 6 heures les auditeurs curieux dans Pas la peine de crier. Avec la douceur des sons et l’énergie des mots. ongtemps, on s’est réveillé de bonne heure sur France Culture avec un cours professoral du Collège de France ! Plombant pour certains, galvanisant pour d’autres. Ceux qui y prêtaient une oreille attentive, en même temps qu’ils buvaient leur bol de café dans la nuit finissante, ne perdent rien en cette rentrée : L’Eloge du savoir se perpétue à l’antenne, mais sous une forme plus incarnée et vivifiante. A la place des universitaires de choc, un peu déphasés pour éveiller nos sens au lever du jour, une voix enveloppante caresse désormais les auditeurs ultra-matinaux : celle de Marie Richeux, bel oiseau de nuit de 25 ans, déjà familière de France Culture, pour laquelle elle réalisa plusieurs créations

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sonores et des documentaires, dont son favori sur le football breton dans les années 70. Dès 6 heures, sa voix résonne comme le chant d’un coq qui donne la chair de poule. Elle nous salue comme une mère attentive réveille son enfant rêveur, avec une délicatesse dont la majorité des voix matinales sont dépouillées ailleurs. Pas la peine de crier, prévient-elle, comme la promesse d’un programme cohérent qui ne fait que reprendre le titre de son blog : aux cris, elle préfère les chuchotements, aux bruits inutiles les silences éclairants. Contre les diktats de l’idéologie radiophonique dominante, elle pose comme principe que l’énergie de l’esprit s’accommode mal avec l’agitation verbale. Dans le calme, la volupté des idées

se déploie avec d’autant plus de force ; c’est son luxe, et le nôtre. Car durant une heure entière, rythmée par deux journaux d’information à 6 h et 6 h 30, Marie Richeux se fait le porte-voix de tout ce qui anime la vie artistique et intellectuelle. Hormis ses propres papiers, dont un “Polaroid” – “des impressions subjectives sur une image mentale” – et des entretiens sous forme de feuilletons hebdomadaires avec des personnalités de la vie culturelle, la nouvelle animatrice orchestre un ballet d’ensemble nourri de plusieurs chroniques enlevées : les essais par Philippe Petit, le spectacle vivant par Sophie Joubert, les arts plastiques par Aude Lavigne, les romans par Jean-Louis Ezine ou encore l’actualité internationale iconoclaste par Alexis Ipatovtsev.

Avouant, deux heures après son émission, autour de 9 h (le milieu de la journée pour elle) qu’elle n’a jamais été “bavarde le matin”, Marie Richeux assume son rôle d’ambianceuse dès potron-minet. Passionnée par la matière sonore, elle se voit comme une “installatrice” de paroles critiques et de sons capturés sur le vif, comme autant d’instants saisissant l’air du temps. Si son visage affiche la même grâce tranquille, sa voix suffit à notre premier bonheur du matin : sa seule faute pourrait être de nous voler du sommeil. Pas la peine de dormir, Pas la peine de crier nous sort de la torpeur des nuits trop longues. Jean-Marie Durand Pas la peine de crier du lundi au vendredi sur France Culture, de 6 à 7 heures

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presse

beau Serge clectique et persévérant : ainsi pourrait-on qualifier Didier Varrod au vu de son parcours de journaliste musical. Eclectique, car cet infatigable défricheur revendique deux amours : la chanson et l’electro. Deux univers qui ne se mélangent guère a priori. Mais voici que par la grâce d’un magazine, ils se trouvent réunis : c’est avec Patrice Bardot de Tsugi (mensuel consacré aux musiques électroniques) que Didier Varrod se lance dans l’aventure de ce bimestriel. Avec pour ambition de s’emparer de la chanson française pour lui faire rendre un autre son, la décrypter d’une façon inédite. Serge, c’est le duo Justice qui parle de Véronique Sanson, c’est une interview au lit avec Alain Chamfort, c’est Gaëtan Roussel qui parle de foot. “Depuis l’arrêt de Chorus, il n’y avait plus de magazine consacré à la chanson. Or, des émissions comme Nouvelle star ont contribué à rendre la chanson française trendy, à décomplexer les jeunes artistes par rapport à la chanson populaire : Dalida, Joe Dassin, Christophe”, raconte

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Varrod. Léger et moderne, le magazine donne le ton dès le titre : Serge, c’est Le Beau Serge de la Nouvelle Vague, mais aussi un tissu à la fois vintage et chic, et bien sûr les trois grands de la chanson : Gainsbourg, Lama, Reggiani. Une aventure qui marque donc un retour à la presse pour Didier Varrod, qui a commençé par diriger les pages musicales de Globe, avant de s’échapper à la radio. Puis ce fut la découverte de la musique electro (“Mes premières raves, la fin des années 80 : un choc !”). Une passion qu’il n’a cessé de faire partager au public, luttant contre l’image d’une musique peu accessible, notamment dans Electron libre, l’émission dédiée à l’electro qu’il anime

s’emparer de la chanson pour lui faire rendre un autre son

Christophe Abramowitz

Journaliste multicarte, Didier Varrod lance Serge, magazine consacré à la chanson française.

depuis six ans sur France Inter. C’est le même amour du défrichage qui l’a mené à la télévision, où il a été pendant deux ans le programmateur de Ce soir (ou jamais !). Sans compter les documentaires musicaux qu’il a réalisés, dont le dernier en date Gainsbourg, l’homme qui aimait les femmes. Mais ce qui lui donne envie cette année de se lever (très) tôt, c’est la nouveauté de la rentrée : une chronique musicale dans le 7-9 de France Inter qui fait le lien entre musique et société. Ainsi, en pleine polémique sur les Roms a-t-il choisi de vouer sa chronique au centenaire de Django Reinhardt : l’occasion de rappeler que sa version “manouche” de La Marseillaise avait été interdite en 1945, parce qu’un Tzigane ne devait pas toucher au patrimoine national. Marjorie Philibert

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Boardwalk Empire, sur HBO depuis le 19 septembre

nouveautés

la rentrée US décryptée

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Où sont les successeurs de Lost ou de 24 heures chrono ? Tour d’horizon des séries qui font le buzz.

a ronde des nouvelles séries recommence, avec beaucoup d’appelées mais peu d’élues sur le long terme. Qui sont les têtes d’affiche ? Qui passera l’hiver ? Nos paris. Les poids lourds On reviendra très vite sur l’événement Boardwalk Empire (HBO, depuis le 19 septembre), créée par l’ex des Soprano Terence Winter, dont le pilote a été réalisé par Scorsese. Rarement l’attente aura été aussi forte que sur cette saga située dans les années 20 à Atlantic City. Toujours sur le câble, guettons The Walking Dead (AMC, à partir du 31 octobre), adaptation d’une BD peuplée de morts-vivants, par la chaîne de Mad Men. Côté networks (chaînes hertziennes), on note en se grattant la tête que les séries à concept n’ont pas disparu malgré la fin de Lost et l’échec de Flash Forward. Du coup, le thriller conspirationniste The Event (ABC, depuis le 20 septembre) reste une curiosité. Les geeks du Comic Con, où la série a été présentée en juillet, ont paraît-il applaudi des deux mains. The Chase (NBC, depuis le 20 septembre) tente de capitaliser sur quelques similitudes avec Prison Break, tandis que l’inconnue concerne le remake (pardon, “reboot”) de Hawaï Police d’Etat

(CBS, depuis le 20 septembre), auquel on peut croire à cause du duo KurtzmanOrci (Star Trek, Fringe) qui s’est emparé de l’affaire. Avec Daniel Dae Kim de Lost. Les plaisirs simples Undercovers (NBC, à partir du 22 septembre) raconte les aventures d’un couple d’espions qui utilise un restaurant comme couverture. On ne frétillerait pas sur place si le cocréateur de la série, J. J. Abrams, ne réalisait le pilote. Le golden boy d’Hollywood retouche une caméra télé pour la première fois depuis le premier épisode de Lost en 2004. Moins clinquant, Lone Star (Fox, depuis le 20 septembre) s’annonce comme un bon drama à l’ancienne : dans le milieu du pétrole, un homme mène une vie de mensonge (deux femmes, deux boulots). La présence d’Adrianne Palicki (Tyra de Friday Night Lights) suffit à donner envie. On jettera aussi un œil à No Ordinary Family (ABC, à partir du 28 septembre), écrite par Greg Berlanti (Dawson, Everwood, Brothers and Sisters). Michael Chiklis de The Shield y interprète le patriarche d’une famille se découvrant des pouvoirs spéciaux. Un petit goût de Heroes ? Pour le souvenir de la moustache, on essaiera Blue Blood, série

policière avec Tom Selleck (CBS, à partir du 24 septembre). Les fous rires Conséquence du succès de plusieurs comédies ayant débuté l’année dernière (Modern Family, Cougar Town, The Middle, Community), les nouvelles sont rares. On se penchera sur Mike and Molly (CBS, depuis le 20 septembre) où un couple d’obèses tente de maigrir. Aux commandes, le vétéran de la sitcom Chuck Lorre (Mon oncle Charlie, The Big Bang Theory). $#*! My Dad Says (CBS, à partir du 23 septembre) est l’adaptation du compte twitter Shit My Dad Says d’un Californien qui retranscrit les saloperies que lui balance quotidiennement son père de 74 ans. William Shatner joue le vieux vachard. On espère que la diffusion sur une chaîne familiale ne rendra pas ça tout mou. Pour terminer, évoquons notre chouchoute Eastbound and Down (HBO, à partir du 26 septembre). OK, il ne s’agit pas d’une nouveauté puisque la saison 1 a été diffusée l’an dernier. Mais elle est passée injustement inaperçue. L’acteur Danny McBride est proche du génie et les producteurs (Adam McKay et Will Ferrell) sont possiblement les hommes les plus drôles de la planète. Olivier Joyard

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brèves Ian Edelman, à gauche, sur le tournage de How to Make It…

une série pour Apatow Le réalisateur de Funny People va coproduire une série pour HBO, dont le pilote sera écrit et réalisé par la sensation indie de 24 ans, Lena Dunham. Celle-ci s’est inspirée du personnage autobiographique de son dernier film, Tiny Furniture. Pour la première fois depuis l’échec d’Undeclared en 2003, le pape de la comédie nouveau genre (et cocréateur de la magnifique série teen Freaks and Geeks) remet donc les pieds à la télévision.

interview

“l’espoir contre la réalité” Ian Edelman, créateur de How to Make It in America, était de passage au Festival de Deauville. Le point avec lui sur la série hype de l’année. Vous explorez le rêve américain version Obama, à travers deux amis qui tentent de percer dans la mode. D’où est venue l’idée ? Je me suis inspiré d’histoires qui circulaient dans ma famille, des success stories à l’américaine comme Ralph Lauren. Il a créé un empire de la mode alors qu’il était un immigré juif première génération dans le Bronx. Il a eu l’idée de mettre un petit logo sur une cravate et cela a tapé dans l’œil de la bourgeoisie blanche. L’autre inspiration a été Russell Simmons, cofondateur de Def Jam Records. Avec Rick Rubin, ils ont imaginé à la fac ce label qui allait devenir un des piliers de la c ulture de la rue et au-delà. La plongée dans les rues de New York est un des points forts de How to Make it… Je suis un New-Yorkais pur jus, j’ai grandi à Manhattan en écoutant du hip-hop, dans les univers du skate et du basket. On essaie de trouver des lieux typiques, comme la boutique de sneakers Flight Club. Mon expérience de New York, c’est qu’on a accès à plein de choses sans avoir aucun pouvoir. C’est aussi l’histoire de Ben et Cam : l’espoir contre la réalité. La série est volontairement tranquille dans son récit. Pourquoi ce culte du cool ? Je n’ai pas envie de forcer la comédie, mais de légèreté, d’amour des personnages et de réalisme. Pour la saison 2, on a un scénariste habitué aux sitcoms. J’ai dû le freiner : pas besoin d’écrire trois vannes à la minute, mec ! Propos recueillis par O. J. How to Make It in America. Tous les mardis à 20 h 40 sur Orange Cinémax

Jamel et deux Mad Men sur Canal Canal+ vient de lancer l’écriture d’une série comique coécrite par Jamel Debbouze et inspirée de son année de cinquième en banlieue. La chaîne cryptée a également commandé un drame sur Louis XIV à deux scénaristes québécois de Mad Men, Maria et André Jacquemetton. Enfin, le projet Borgia, écrit par Tom Fontana, semble désormais sur les rails, avec un tournage imminent à Prague.

Dallas, le retour ! Le LOL du siècle : un remake de la série eighties impitoyable est sur le point d’être tourné pour la chaîne câblée américaine TNT.

agenda télé Dollhouse (Téva, le 26 à 19 h 35). Cette série de science-fiction ultra-ambitieuse signée Joss Whedon, créateur culte de Buffy, aura duré deux saisons, sans jamais nous intéresser complètement. Trop inconstant malgré la bombesque Eliza Dushku. How I Met Your Mother (Série Club, le 27 à 18 h 15). Début de la quatrième saison de la sitcom qui renouvelle la sitcom et dont on ne se lasse (presque) pas. Un épisode tous les soirs. Everwood (Série Club, le 30 à 17 h). Rediff de la saison 2 de ce drama délicat (2002-2006) qui embrasse le deuil impossible d’une famille marquée par la mort d’une mère. L’une des séries les plus abouties des années 2000. 22.09.2010 les inrockuptibles 123

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émissions du 22 au 28 septembre

Frédéric Compain

RichardG ere et Julia Roberts dans Pretty Woman (1990)

Sauve qui peut la retraite Documentaire de Frédéric Compain. Vendredi 24 septembre, 23 h 40, Arte

Pour les retraites, le futur n’est plus ce qu’il était. Ce film, qui tombe à pic vu l’actualité, n’est pas un pur documentaire puisqu’il tourne autour des expériences d’une employée d’agence de pub jouée par une comédienne. Mais ceux qu’elle rencontre (retraités, sociologues, journalistes) ne sont évidemment pas, eux, des acteurs. En résumé, il en ressort que, pour l’instant, le statut de nos retraités n’est pas désastreux, mais que la France est “la lanterne rouge de l’Europe” pour l’emploi des seniors. V. O.

documentaire

au nouveau chick féminin Le “chick flick”, film de filles, nouveau genre promu par Hollywood. Retour du romantisme ou régression sexiste ?

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iens, on essaie de nous fourguer un pseudonouveau genre : le “chick flick” (littéralement “film de poulettes”), film de filles ! Un film par, pour, ou avec des filles ? Eh bien, le concept est tellement flou et élastique que tout et n’importe quoi peut être nommé chick flick. On préférerait que cela désigne des films pêchus comme Bliss de Drew Barrymore, Thelma et Louise, voire l’inénarrable Barb Wire. En réalité, on rebaptise surtout chick flick ce qu’on nommait “comédie romantique”, par exemple ici : Quand Harry rencontre Sally, qui n’a rien de spécialement féminin. Heureusement, ce documentaire fourre-tout, ponctué par les interventions de Molly Haskell, critique de cinéma sociologisante, déborde largement la comédie romantique pour explorer les films mettant les femmes en vedette, voire ceux où les hommes ont un côté féminin. D’où la présence d’un buddy movie comme Butch Cassidy et le Kid. Mais peu importe le prétexte, puisque cette enquête a la vertu essentielle de rappeler que jadis le cinéma hollywoodien était friand de personnalités bouillantes comme Bette Davis ou Joan Crawford. Aujourd’hui, les femmes (re)font tapisserie. Sous ce prisme, le survol du cinéma hollywoodien fait apparaître d’autres bizarreries. Ainsi les actrices avaient souvent l’âge des filles de leurs partenaires masculins. Exemple : la charmante Audrey Hepburn, qui a souvent été la partenaire de jeunes vieillards (tels Gary Cooper ou Humphrey Bogart quand ils étaient au bout du rouleau). Toute nostalgie mise à part, on réalise que la place des femmes à Hollywood n’est plus trop ce qu’elle était. Shocking! Vincent Ostria

Et Hollywood créa la femme, documentaire de Clara et Julia Kuperberg. Jeudi 23 septembre, 22 h 45, Arte

Les Mangas sexy de Katsuni Emission présentée par Katsuni. Vendredi 24 septembre, 22 h 30, MCM

Grâce à la star du X, vous saurez tout sur les “hentai”, mangas porno qui affolent les Nippons. Katsuni, icône du X français, endosse les habits de la respectabilité télévisuelle en animant une émission sur l’animation ; de l’animation un peu olé olé, certes, puisqu’il s’agit ici d’évoquer la créativité d’un genre coquin, très populaire au Japon, le “hentai”, désignant les mangas à caractère érotique ou porno. L’occasion de découvrir quelques “classiques” du genre : Bible Black, Le Sabre du plaisir, G-Taste, Front Innocent, Lingerie Office… JMD

Sochaux, cadences en chaînes Documentaire de Laurence Jourdan. Mardi 28 septembre, 21 h 35, France 5

PSA adopte les techniques aliénantes du toyotisme. Robots avant tout. Enquête sur les méthodes de production et de management au sein des usines PSA, laboratoire des évolutions du travail, marqué par la concurrence forcenée, la rentabilité et les cadences folles. Après le taylorisme et le fordisme, place au “toyotisme”, inventé par le concurrent japonais de Peugeot : tout est fait pour que l’ouvrier ne se déplace plus et ait toutes les pièces à proximité. Un modèle inédit, où chaque seconde compte, où l’aliénation est à son comble… JMD

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scènes Guerres secrètes du FLN en France Documentaire de M. Bensmail. Jeudi 23 septembre, 22 h 50, France 2

L’Ecole du pouvoir Téléfilm de Raoul Peck (2008). Jeudi 23 et vendredi 24 septembre, 20 h 40, Arte

La guerre d’Algérie s’est aussi déroulée en métropole. La guerre d’Algérie, plaie mal cicatrisée de notre passé colonial, n’a pas encore livré tous ses secrets. Malek Bensmail, déjà auteur de documentaires sur la récente guerre civile en Algérie (dont l’excellent Algérie(s) avec Thierry Leclerc), se penche sur les mécanismes et les acteurs de la guerre d’indépendance, en éclairant certains de ses points aveugles : les rivalités au sein du mouvement de libération entre les militants du MNA et ceux du FLN, les attentats en France, les vagues de répression… Grâce à de multiples témoignages des acteurs de l’ombre de ces guerres secrètes, il livre un document précieux qui élargit le territoire des connaissances sur une page inachevée de l’histoire francoalgérienne. JMD

Un “docu-fiction” sur la formation de jeunes énarques. Ce téléfilm de Raoul Peck dresse le tableau aussi impressionniste que baroque du théâtre du pouvoir. S’inspirant de la promotion Voltaire de l’ENA, d’où sont sortis Ségolène Royal, Hollande et Villepin, le réalisateur tricote une fiction magistrale. Le récit de la formation de ces futurs illustres représentants de l’Etat est l’occasion d’une réflexion sur les élites. Peck dissèque les manières dont le pouvoir offre l’ivresse à ses princes dès l’école. Les personnages, incarnés par d’excellents acteurs (Céline Sallette, Elodie Navarre, Thibault Vinçon…), de la pureté des intentions au cynisme des actes, restent marqués par le code génétique de l’énarchie. JMD

Play Time de Jacques Tati (1967)

scènes

Combat de nègre et de chiens Un spectacle de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Michael Thalheimer. Jusqu’au 2 octobre au Théâtre de la Colline, Paris XXe. Sur un chantier étranger dans une brousse d’Afrique de l’Ouest, un ouvrier noir réclame le corps de son frère, mort la veille sur ce chantier, ce qui va catalyser la violence latente de la situation. Les hommes ici s’affrontent et se fuient par amour, par haine, mais surtout par peur de l’autre. A gagner : 30 places pour 2 personnes le 26 septembre. Appeler au 01.42.44.15.62 le vendredi 24 septembre entre 12 h et 12 h 30.

Le Géant de Kaillass

Les relations passionnelles entre l’architecture et le cinéma. (Portzamparc…), des critiques (Niney, Toubiana, Thoret, Garson…), son documentaire plonge dans l’histoire du cinéma autant qu’il explore le patrimoine urbain : l’occasion de mesurer les liens entre les architectes, fascinés par Metropolis ou Blade Runner, et les cinéastes dont les images s’inscrivent au cœur de l’espace urbain, cadre où se déploie leur imaginaire. Jean-Marie Durand L’Architecte et le Cinéaste, regards croisés sur la ville, documentaire de François Freynet. Samedi 25 septembre,22 h 30, Ciné Cinéma Premier 22.09.2010 les inrockuptibles 125

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Un projet de Nicolas Bouchaud, mis en scène par Eric Didry. Jusqu’au 16 octobre au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe. D’après le film documentaire Itinéraire d’un ciné-fils, Nicolas Bouchaud revisite la vie du célèbre critique de cinéma, Serge Daney. Reconnu pour ses interprétations de Lear, Danton et Galilée avec Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud s’engage dans un dialogue posthume avec un grand personnage. A gagner : 5 places pour 2 personnes les 25 et 26 septembre. Appeler au 01.42.44.15.62 le vendredi 24 septembre entre 1 1 h 30 et 1 2 h.

scènes

cinécités

Le cinéma entretient avec la ville un rapport d’affinité élective : tout porte le cinéaste et l’architecte à réfléchir ensemble à l’espace, au cadre, à la lumière, au rythme… Thierry Jousse et Thierry Paquot avaient analysé, dans La Ville au cinéma, un ouvrage de référence, les influences réciproques. François Freynet prolonge ici cette archéologie urbanistique et cinématographique pour tenter de saisir ce qui relie le cinéma à la ville à partir de thématiques précises et d’extraits de films. A travers des entretiens avec des cinéastes (Klapisch, Jousse, Copans…), des architectes

Brigitte Enguérand

La Loi du marcheur

Elizabeth Carecchio

Carole Bethuel/Capa Drama/Canal+

Elie Kagan/Gamma-Rapho/France 2

invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS

Un spectacle de la compagnie Arsenic, du 6 au 31 octobre, au Parc de la Villette (Paris XIXe). La compagnie itinérante belge présente une fable moderne, inspirée de la vie d’un géant dans l’Autriche du XIXe siècle. Un univers théâtral très singulier qui convoque la comédie musicale et le music-hall, le cirque et le cabaret, les marionnettes et les jeux d’ombre. A gagner : 20 places pour le 7 octobre. Appeler au 01.42.44.15.62 le mardi 28 septembre entre 11 h 30 et 12 h.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 17/09/10 13:06

Laurent Bazart

des start-up se chargent de refaire une virginité à leurs clients

documentaire

pris dans la toile Vidéos, blagues foireuses ou positionnement politique : les traces que nous laissons ne sont pas sans conséquences. Nuancé, Ma vie à poil sur le web en fait la démonstration. ric Schmidt, le pdg de Google, l’annonçait il y a quelques semaines : les gens devront bientôt changer de nom s’ils veulent, une fois adultes, échapper aux traces peu glorieuses qu’ils auront laissées sur les réseaux sociaux à l’adolescence. Ce n’était qu’une boutade, mais cela mérite pourtant réflexion. Photos de beuverie sur Flickr, blog sarcastique sur ses profs, statuts irrévérencieux sur Facebook… Sur le net, ces amusements bon enfant sont indélébiles et peuvent suivre leur auteur toute sa vie. Dans son documentaire Ma vie à poil sur le net, le grand reporter du Monde Yves Eudes enquête sur le sujet et démarre avec des images qui font directement écho aux propos d’Eric Schmidt. Face à un public de jeunes, Barack Obama donne son premier conseil pour devenir président des Etats-Unis : “Faites très attention à ce que vous publiez sur Facebook. Nous

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sommes à l’ère de YouTube, et tout ce que vous y mettez pourra être retrouvé un jour.” Régulièrement reviennent dans l’actualité des cas de personnes dont la réputation a été brisée par des informations fausses ou obsolètes diffusées sur le net, ou de salariés licenciés à cause de propos tenus sur Facebook. Yves Eudes est parti à la rencontre de certaines d’entre elles, comme cette femme accusée d’abus de biens sociaux puis innocentée mais dont le web ne retient que l’accusation et qui depuis n’arrive pas à retrouver de travail. Il a aussi interviewé un militant d’extrême gauche viré de son poste de surveillant de lycée pour avoir publié des vidéos humoristiques, et idéologiques, sur Dailymotion, ou encore un salarié licencié car son employeur l’a vu sur Facebook organisant un festival alors qu’il était en congé pour dépression.

Une chasseuse de têtes explique que les demandeurs d’emploi doivent se méfier : les recruteurs se servent des réseaux sociaux pour vérifier les profils et les capacités des candidats. Un récent sondage de Careerbuilder.com le confirme, puisque près de 35 % des employeurs auraient déjà refusé des candidats après avoir vu leur profil surles réseaux sociaux. Ma vie à poil sur le web s’abstient de jugements hâtifs ou de conclusions catastrophistes. Et même si ce n’est pas clairement dit, il ressort en filigrane de ces témoignages que ces personnes sont au moins autant victimes de la mémoire des réseaux sociaux que des préjugés et de l’étroitesse d’esprit de leurs interlocuteurs. Yves Eudes s’est également interrogé sur la façon d’effacer ses traces sur le web et de se protéger. Il a rendu visite à de récentes start-up qui se chargent de refaire une virginité à leurs clients, comme ReputationDefender, un service qui coûte cher et qui n’est pas efficace à 100 %. Il a aussi rencontré les hackers de la communauté Tor, qui développe un réseau permettant de surfer anonymement, ce qui requiert cependant un minimum de compétences technologiques. Pourtant, les blogueurs ou utilisateurs de services géolocalisés interrogés par Yves Eudes avouent être prêts à voir un jour ressurgir leur passé. Ils sont conscients (vraiment ?) des dangers mais sont prêts à en prendre le risque, préférant profiter de la liberté qu’offre le web et clamant leur refus de l’autocensure. “Je n’ai rien à cacher”, résume un jeune adepte de la communauté géolocalisée Aka Aki. En France, Nathalie Kosciusko-Morizet a lancé en avril une consultation publique sur le droit à l’oubli et entend établir très prochainement une charte sur le sujet. Mais, comme conclut brutalement un hacker du Chaos Computer Club berlinois, “la loi ne peut protéger les gens contre leur propre stupidité que jusqu’à un certain point”. Anne-Claire Norot Ma vie à poil sur le web, documentaire d’Yves Eudes, Canal+, 22 septembre, 22 h 25

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invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS

in situ universités en ligne

cinéma

Le site universites-numerique.fr propose désormais trois mille heures de cours en ligne (en vidéo), ainsi que de nombreux exercices, cours, QCM, etc. Au total, plus de 19 000 ressources sont accessibles gratuitement. universites-numeriques.fr

Les Runaways Un film de Floria Sigismondi, avec Kristen Stewart, Dakota Fanning. Los Angeles, 1975 : Cherie Currie et Joan Jett, deux adolescentes rebelles, se rencontrent et deviennent les figures emblématiques de ce qui se révélera comme le plus célèbre des groupes de glam-rock féminin, les Runaways. A gagner : 10 places pour 2 personnes. Appeler au 01.42.44.15.62 le jeudi 23 septembre entre 1 2 h et 1 2 h 30.

un top 10 au top Ranger le monde dans des classements aussi improbables que futiles ? Une idée saugrenue, mais ici amusante. On y croise de drôles d’histoires sur les Beatles, des films de Kung Fu, de séries Z et même les pénis les plus célèbres de l’histoire. http://listverse.com/

web radio avec Amazon Le site musical Amie Street, créé en 2006 se distinguait par son modèle économique : le prix d’une chanson était proportionnel à sa popularité et atteignait 0,98 $ maximum (soit 0,76 €). Il vient d’être racheté par Amazon qui ne conservera pas ce système mais se concentrera sur le développement de Songza. Cette plate-forme de web radio achetée en 2008 par Amie Street permet de créer de façon collaborative des stations de radios et de les partager. http://songza.com

dessine-moi un tweet

musique

Si les tweets ne sont pas toujours inspirés, ils peuvent devenir inspirateurs. Pour preuve : le travail de Kiersten Essenpreis et David Israel, qui illustrent des messages sur le réseau social choisis au hasard. Une phrase telle que : “Si j’avais à le refaire, je serais un plombier qui, s’il avait à le refaire, serait une danseuse qui, s’il avait à le refaire, serait Batman” se transforme alors en une image à l’humour savoureux.  http://twaggies.com/

Inrocks Indie Club Le 24 septembre à la Flèche d’Or (Paris XXe). Pour sa rentrée, la soirée IIC s’invite à la Flèche d’Or avec I Blame Coco, les Français d’Automatiq et le batteur échappé d’Hot Chip, Grovesnor. A gagner : 10 places pour 2 personnes. Appeler au 01.42.44.15.62 le jeudi 23 septembre entre 11 h 30 et 12 h.

cinéma

la revue du web

Happy Few

Slate

Vanity fair

The Daily Beast

le 11 Septembre face pop

Sean Parker, empereur geek

la cultothèque de Martin Scorsese

Si le 11 Septembre évoque une des pages les plus tragiques de l’histoire contemporaine, elle contient aussi une face B. Dans cette relecture musicale de l’événement, on retrouve Jay-Z, Moldy Peaches et Bob Dylan, de retour chez les disquaires alors que New York s’enfume.Les radios plongent dans l’angoisse (existence d’une liste noire ?), et certains groupes modifient titres ou paroles de chansons soudainement associés à la funeste actualité. L’Histoire revisitée côté pop. tinyurl.com/2usk3bg

A l’origine de Napster (service d’échange de musique en MP3) et éminence grise de Mark Zuckerberg de Facebook, Sean Parker est sans conteste un personnage important, qu’on retiendra peut-être comme un des découvreurs du XXIe siècle. Mais l’homme est complexe. Il s’exprime peu et son parcours brillant et cabossé le rend insaisissable. On le retrouvera prochainement sous les traits de Justin Timberlake dans le film The Social Network de David Fincher. tinyurl.com/2ejtvtz

Le réalisateur américain revient sur les films de gangsters qui ont inspiré son œuvre. On retrouve essentiellement des productions datant d’avant les années 70, parmi lesquelles Scarface (version Howard Hawks ,1932), Al Capone ou encore le melvillien Le Doulos. Martin Scorsese cite malgré tout des films parus ces 40 dernières années comme Le Parrain et Il était une fois en Amérique. Au total, une liste de 15 films commentés avec des extraits vidéo. tinyurl.com/3yp5shv

Un film d’Antony Cordier, avec Marina Foïs, Elodie Bouchez , Roschdy Zem… Rachel rencontre Vincent et organise un dîner avec leur conjoint respectif. Les deux couples ont à peine le temps de devenir amis qu’ils tombent presque aussitôt amoureux. Sans l’avoir cherché, spontanément, les nouveaux amants deviennent inséparables. Mais ce qui les lie les uns aux autres est tellement fort que la confusion s’installe. A gagner : 20 places pour 2 personnes. Appeler au 01.42.44.15.62 le mardi 28 septembre entre 12 h et 12 h 30.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 08 773 128 Net ok.indd 128

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Mad Men Cette série est tellement littéraire, romanesque, qu’elle rend complètement superflus la plupart des romans publiés récemment aux Etats-Unis.

Roberto Bolaño

Les Runaways de Floria Sigismondi Un biopic vibrant et électrique qui ressuscite ce groupe de filles fulgurant des seventies.

Happy Few d’Antony Cordier Etat de grâce amoureux entre deux couples. Un film tout en élégance, sensuel, qui touche juste.

Chouga de Darejan Omirbaev Adaptation dépouillée et sensible d’Anna Karénine chez les nouveaux riches d’Asie centrale.

Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul Un voyage sensuel et spirituel inouï, couronné d’une judicieuse Palme d’or au Festival de Cannes.

Jamaica No Problem Un premier album jouisseur et explosif du groupe parisien.

Mavis Staples You Are Not Alone Entourée du groupe Wilco, la chanteuse soul sort un nouvel album : unmir acle.

American Trip Des éclairs de Jean Echenoz Le troisième volet des vies romancées de l’auteur, consacré à un scientifique dandy et visionnaire.

La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq Roman total, bilan de l’état du monde, labyrinthe métaphysique sidérant de maîtrise.

Gonzales Ivory Tower La BO d’un film réalisé par Gonzales, décomplexée et d’une rare élégance.

!!! Strange Weather, Isn’t It ? Un mélange explosif de disco, d’electro et de rock, condensé en format pop. Pour pogoter dans les foyers.

Kick-Ass de Matthew Vaughn Une sombre histoire déguisée en film de superhéros. Maborosi et After life de Koreeda Hirokazu Des fables habitées et maîtrisées. All the Boys Love Mandy Lane de Jonathan Levine Film culte enfin édité en DVD.

Jeff Burton

Je viens de finir tout Roberto Bolaño, que j’aime beaucoup, notamment 2666. Mais je lis de moins en moins de fiction, ma patience avec les romans est de plus en plus limitée.

L’Eté de la vie de J. M. Coetzee Magnifique autoportrait en creux où l’auteur interroge l’écart qui existe entre l’œuvre et la vie d’un écrivain.

Suite(s) impériale(s) de Bret Easton Ellis Un magnifique roman noir hollywoodien où l’auteur règle ses comptes avec son narcissisme. Le chef-d’œuvre de la rentrée.

de Nicholas Stoller C’est une comédie géniale, produite par Judd Apatow. J’ai vu un film français que je trouve très intéressant, Le Père de mes enfants de Mia Hansen-Løve. Sinon j’ai aussi aimé Fish Tank, Greenberg, The Runaways…

recueilli par Nelly Kaprièlian

Lo de Lucie Durbiano Le petit monde rohmerien et malicieux de Lucie Durbiano transposé dans l’Antiquité.

Chagall en Russie de Joann Sfar La jeunesse russe du peintre réinventée par l’infatigable Joann Sfar.

L’Homme de mes rêves de Nadja L’odyssée bouleversante, entre rêves et réalité, d’une jeune femme en mal d’amour.

Une femme à Berlin Mise en scène Tatiana Vialle Théâtre du Rond-Point, Paris Le destin commun des femmes allemandes en proie aux soldats russes qui envahissent le Berlin en ruines de 1945.

I Demoni, Les Démons de Fedor Dostoïevski Mise en scène Peter Stein Festival d’automne Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Au sommet de son art, Peter Stein cadre Les Démons de Dostoïevski dans un spectacle fleuve taillé à leur démesure.

Notre terreur Mise en scène Sylvain Creuzevault Festival d’automne, la Colline, Paris Une immersion collective dans la Terreur, au cœur du Comité de salut public dirigé par Robespierre.

Bret Easton Ellis Il vient de sortir un nouveau roman, Suite(s) impériale(s). Il sera présent au Festival America de Vincennes du 23 au 25 septembre.

Saâdane Afif Anthologie de l’humour noir Centre Pompidou, Paris Saâdane Afif fête son entrée officielle à Beaubourg.

Mafia II Sur PS3, Xbox 360 et PC Atmosphère soignée, plongée dans les fifties : la mafia de NY comme si on y était.

Ida Tursic et Wilfried Mille Galerie Almine Rech, Paris Des images éclatées, déviées et détruites.

And Yet It Moves Sur Wii Un casse-tête d’un nouveau genre, un peu surréaliste.

Nicolas Moulin Goldbarrgorog Villa Arson, Nice Une ville labyrinthique faite des vestiges de notre civilisation numérique.

Dragon Quest IX – Les Sentinelles du firmament Sur DS La dernière livrée de Dragon Quest s’appuie sur son point fort : la narration. Irrésistible.

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