4emedecouv.siteo.com/file/extrait la nuit de l alcyon


1013KB taille 3 téléchargements 133 vues
Pierre Brocchi

LA NUIT DE L'ALCYON Roman Extraits

3

Note de l'auteur

Cet ouvrage est une nouvelle version inédite du roman La Nuit de l'Alcyon, publié en 2007. Suite à un accident de plongée sous-marine et à la réapparition de personnages qui ont jalonné son existence, le héros entreprend une contre-plongée dans son enfance. Il part à la recherche d'un traumatisme enfoui qu’il tente de remonter à la surface de son quotidien. Quelques mois après la sortie du livre, l'auteur a survécu à un accident de plongée et passé quelques heures en caisson hyperbare.

4

On voit bien encore aux tessons ce que fut le pot ! Adam le bossu - XIIIème siècle

Pour être grand, il faut avoir été petit. Guilhem FIGUERA - XIIIème siècle

5

réprimander par la vieille, nageoire dorsale en bataille, pour

avoir

traditionnelles.

modifié

les

S'être

règles

approchée

des

conduites

autant,

sans

autorisation. Il n’y a pas de déviant dans la vie de ces groupes. Il ne peut y en avoir. Seulement des blessés ou des handicapés. Le groupe exclut celui qui refuse de s'adapter. Ne tolère que l'inapte. À l'image de la petite castagnole blessée, rejet voué à la mort et qu'elles veulent bien réintégrer une nouvelle fois comme futur appât pour prédateur égaré. Après s'être follement amusée, l'hirondelle de mer retrouve sa tristesse coutumière et se dit qu'elle envie, du qui 1er chapitre un instant, cet Extrait homme n’est que solitude. Donc

liberté. Elle jette un dernier coup d’œil vers l'ombre noire devenue floue qui commence à se fondre dans le bleu de la nuit. Celui des abîmes obscurs où elle va retrouver d’autres castagnoles. Les anthias, roses, avec des voiles à la place des nageoires, ourlées de frises jaunes. En banc avec le mérou, elles vivent de la même façon, à partir de trente mètres. Cousines dégénérées qui s'imaginent supérieures. Sa dorsale se hérisse toute seule. Dans son univers, chaque rayon de soleil qui transperce la surface est un enchantement avec lequel

16

elle joue. Les couleurs existent, respirent et changent sans cesse. Il y a tous les verts. Tous les bleus. Et elle n’est pas noire. Mais en bas, à quoi ça sert d’être belle, se faire voir et admirer. Par qui ? Un courant ascendant, sorte de Ligure vertical de bulles est le seul lien qui les relie maintenant avec la masse

en néoprène.

Les graines remontent

et

s’élargissent au fur et à mesure pour aller grossir l'air de surface. Elle essaye toujours de les pénétrer avant leur passage dans l'autre monde. La petite hirondelle continue le jeu dans l'indifférence générale du groupe. Il suffit d'attendre. Elle a déjà oublié l'homme et sa bouteille d'air. Ne subsistent que ces grains diaphanes qui surgissent des fonds, de temps en temps. En voici un énorme qui remonte. Noir. Tout le groupe se reforme et se précipite. C’est lui. Déjà. Cet humain est fabuleux. Les anthias l’ont dégoûté, lui aussi, et il revient jouer avec le banc ? Elle repense à la nuit de San Lorenzo. Celle de son éclosion. Tous les vœux formulés quand on croise une étoile qui traverse le ciel de cette nuit de la mi-août se réalisent, dit-on. Elle ne risque donc rien. Jamais. Elle est bénie des dieux par sa naissance et protégée par les larmes du chrétien martyr qui erre le reste de l'année dans

17

l'univers. Aussi elle s'approche à nouveau de cette étoile noire qui remonte vers le ciel. En plein hiver, à "contre-légende". La castagnole n'en a cure et prend des libertés avec le dicton toscan. Elle cherche un vœu à faire et s'approche de plus en plus de ce nuage bouillonnant de gouttelettes d'air qui entoure l'homme. Le coussin de perles minuscules monte, de plus en plus vite. Pénétrer la traînée blanchâtre de cette comète en néoprène et faire un vœu. Vite. Car il est pressé. Il semble faire la course avec ses bulles. Les rattrape. Cherche à les doubler. - Tu as loupé ton train de bulles, mon ami ? Elle se précipite pour l’inciter à jouer. À la prendre avec lui. - Ce sera mon vœu, dit-elle, emmène moi. Mais ces yeux, derrière le masque. Ce ne sont plus les mêmes. Ils sont rouges. Immenses. C'était prévisible, se dit la castagnole, déçue. On ne joue pas au poisson. En bas, ce petit gibier est devenu une proie trop facile. De l'inconnu. Elle retourne, dépitée, vers le banc en colère qui l'attend. Jette un dernier coup d'œil au ballon noir qui va certainement exploser en surface. - Chacun sa place.

18

Et ses yeux, qui ne clignoteront jamais, croisent une dernière fois ceux qui ne se fermeront plus. Ils ont croisé la mort et vont la retrouver en explosant dans la zone interdite. Dans un poison fait d'air et de lumière.

19

encore dans ce lieu assoupi ? Où seule la mémoire des vivants vient troubler le sommeil des gisants. Mes souvenirs, ceux que je peux encore identifier, ne Extrait du chapitre 23

sont-ils que les rêves qui les maintiennent encore en vie au-delà de la vie ? Quelques fleurs en plastique lui rappellent que l'éternité en ces lieux n'est qu'artificielle. Comme les rêves ne sont qu'illusion devant la mort. Elles lui expliquent avec cruauté ce détachement des villageois, leur rareté à venir honorer leurs proches. Car le village se meurt tout doucement. Il se vide de ses cris d'enfants descendus en ville dans les crèches aseptisées. Et le chemin se fait de plus en plus difficile pour aller rendre visite aux anciens. Un vieil olivier s'est perdu entre les tombes. Anachronique. Le symbole du temps qui s'écoule lentement, du réel et de la vie. Au pays des morts ? Beaucoup trop haut au royaume des pins et des mélèzes. Il va s'asseoir sur une grosse racine qui affleure, excroissance végétale de la couleur des pierres granitiques qui recouvrent les tombes. Excroissance plutôt minérale d'où émergent quelques gourmands, affamés d'air et de vie. Ses fibres noueuses montrent sa

167

force. Où va-t-il la chercher ? La solution lui semble trop facile même si, au fond de la mer, toute vie est nécrophage et se nourrit du reste des vivants. Peu d'ombre. La petite barque de la feuille grise n'est pas assez large. Et qui protéger du soleil ? Un léger souffle d'air qui remonte de la vallée les fait osciller sur les bouts de leur port d'attache. Cet olivier, comme le cimetière, n'est qu'un port d'où les bateaux ne partent jamais. Il déambule entre les dalles et les noms se succèdent, comme autant d'histoires qu'il faut deviner à partir de deux dates. Des vies réduites à un nom et un prénom. Agrémentées parfois de la reconnaissance d'un vivant qui l'a probablement rejoint maintenant. Des mots dérisoires. "À mon cher disparu… À ma tante bien aimée…". La saison des chrysanthèmes est passée, et ne reste que l'ersatz de ces fleurs sans parfum. Le faux en surface, le paraître. Maintenant que le vrai est sous le marbre. Que le réel pourrit sous le poids de la terre, des ans. Il cherche ce qui pourrait le mettre sur la voie de la famille de Roger. - Mes grands parents sont là, avait-il dit. Avec ma mère. Mauri, tu t'en souviendras ?

168

Il lui avait fait la promesse de venir les saluer de sa part. Mais des Mauri… à croire que le village ne s'appelait qu'ainsi. Ou Fabri. Les tombes des uns étaient aussi nombreuses que celles des autres. Même le petit monument à la gloire des disparus de la guerre de 14-18 ne dérogeait pas. Il y en avait le même nombre. Ils s'en seraient certainement inventés si ça n'avait pas été le cas. Il s'assoit sur un Fabri, face à un Mauri. S'imagine les deux grosses familles. Des amours impossibles, des querelles, des rivalités, des guerres pour un bout de terre inculte. On mettait une pierre au fond d'un champ. - Là, c'est à moi, là, c'est à toi. Pas de géomètre mais des mains calleuses qui se rencontrent en crachant par terre. Venait ensuite le plus difficile à régler. La détermination des servitudes de passage, les patecs, définis par la solide logique paysanne. - Aller au puits ? L'accès qui est prévu sera donc celui de la largeur d'un homme portant un seau d'eau dans chaque main. Le temps, les coutumes avaient légiféré dans cet arrière-pays retiré loin des codes officiels. C'était ainsi depuis des siècles. La tradition transmise oralement,

169