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Louise Attaque

“pourquoi nous revenons”

entretien exclusif

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007, Mandela et moi reportage USA

le nouveau Black Power

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No.1038 du 21 au 27 octobre 2015 lesinrocks.com

Idris Elba

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cher Francois Fillon par Christophe Conte

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ous ne sommes pas amis mais je me suis quand même empressé d’aller déposer un commentaire sur Amazon à propos de ton livre, Faire, comme tu le suggérais par SMS à tes vrais amis. L’idée, si j’ai bien compris, c’est de bombarder d’éloges cet ouvrage “majeur, comme un doigt pointé à la face des élites immobiles” (je l’ai pas lu mais c’est mon commentaire) afin de damer le pion en librairie à Juppé et son bouquin sur l’école, qui sert surtout à caler les tables des maternelles depuis sa sortie. En ligne de mire, il y a la primaire, cette guerre des nerfs ouverte

pour mettre l’autre comique, le Kev Adams du 92, hors compétition pour 2017. Sachant que lui aussi ne tardera pas à publier un recueil de ses meilleurs sketches, ça fait pas mal de pages à avaler pour des militants d’un parti qui compte par ailleurs en son sein des intellectuels de haute voltige comme Nadine Morano (Ta race pour les nuls, éditions Banania) et David Douillet (Premier dan de France, Ceinture Noire Publishing). Alors, pour la promo de Faire, tu n’as pas hésité ces dernières semaines à mouiller ta chemise, voire carrément à l’arracher en direct sans avoir besoin des syndicalistes CGT d’Air France.

On t’a vu partout sur les plateaux et entendu sur toutes les ondes battre ta coulpe pour ton bilan tout miteux (ton argument : “C’est la faute à Kev, moi je voulais réformer, lui il cherchait à séduire les filles”) et promettre de tout résoudre une fois décrochée l’improbable timbale élyséenne. François, nous ne sommes pas amis, mais si je puis me permettre, les yeux dans les yeux, un commentaire, tu te fatigues pour pas grand-chose, tes chances d’être élu président un jour étant aussi minces qu’un rapport d’Arno Klarsfeld sur la francophonie. Comme ça pataugeait gentiment dans la mousseline, vaille que vaille tu as décidé de frapper d’un coup fatal les esprits ankylosés par le froid qui commençait à poindre. Invité des Grandes Gueules sur RMC, tu t’es cru subitement aux Grosses Têtes, entre Bigard et Bernard Mabille, quand tu as lâché que la France n’était pas “un pays à prendre comme une femme” mais qu’il fallait “vraiment en avoir envie, lui montrer tous les jours…” T’as loupé une pilule ou quoi, Françounnet ? Elle sort d’où, cette métaphore ? T’as confondu primaires et préliminaires ? Entre Bruno Le Maire qui avouait dans un livre se caresser la bite dans son bain et toi qui t’exhibes en érotomane endurant, genre “La France tu l’aimes ou tu la niques”, c’est plus les Républicains c’est le Théâtre des Deux Boules ! C’est quoi la suite de Faire ? Foutre ? Bon, on pourrait te rétorquer que tu l’as eue en main pendant cinq ans, la Francette, et qu’à l’évidence tu n’en as pas mis beaucoup au fond, Mormon l’nœud. C’est bien mignon de revenir en douce gratter à sa porte, faire le Cyrano sous son balcon en récitant presque du Villepin, cité par Giesbert en 2006 (“La France a envie qu’on la prenne, ça la démange dans le bassin”), mais faudrait surtout se calmer, parce qu’à force d’allusions machistes, elle va devenir lesbienne, la France. Devine avec qui ? Je t’embrasse pas, et je ne ferai pas de commentaires. 21.10.2015 les inrockuptibles 5

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No. 1 038 du 21 au 27 octobre 2015 couverture Louise Attaque par Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

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billet dur édito debrief recommandé interview express Olivier Besancenot événement identité sexuelle :

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le monde à l’envers nouvelle tête Kapwani Kiwanga la courbe à la loupe démontage futurama style food cette semaine sur

Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

vers la fin du schéma masculin/féminin ?

40 Louise Attaque is back nouvel album et tournée à venir : le groupe raconte pourquoi il est de retour

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48 Joanna Newsom : son Divers

rencontre avec l’Américaine qui sort un quatrième album élégiaque et cristallin

50 USA : le nouveau Black Power Annabel Mehran

le mouvement Black Lives Matter, né suite aux nombreuses bavures policières, rappelle l’activisme des années 60-70

54 Martin Scorsese, movie driver en rétro et en expo à la Cinémathèque française, le cinéaste a fait le déplacement à Paris pour une masterclass. Classe

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56 et la femme créa le gonzo…

c’est au XIXe siècle que la journaliste Nellie Bly inventa le gonzo. Elle a des héritières

60 son nom est Elba. Idris Elba Mark Peterson/Redux-RÉA

pressenti pour incarner le prochain 007, l’acteur anglais impose son charisme XXL à Hollywood

64 Vichy et les Juifs de Robert Paxton 68 78 88 96 98 100

cinémas Seul sur Mars, Chronic… musiques We Are Match, Baio… livres Jacques Thorens, Jennifer Egan… scènes Fleur de cactus... expos la Fiac, Paris Internationale médias Un bruit qui court…

ce numéro comporte un supplément “William Sheller” jeté dans l’édition abonnés France et l’édition kiosques Paris-IDF

Norddeutscher Rundfunk/The Kobal Collection/AFP

son grand ouvrage, paru en 1981, ressort dans une version remaniée. Entretien

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Charles et Mettray Quinzième numéro de la revue Charles (automne 2015, 16 euros), avec un dossier “Politique & télévision”. Depuis cinq ans que ça dure, je n’ai toujours pas compris pourquoi Charles s’appelle Charles, et pas François, par exemple, puisque sous la Ve République, nous en sommes à deux François contre un Charles. Et pourquoi un texte du premier des François ouvre systématiquement chaque numéro de Charles. Là, c’est pendant la campagne de 1965, aux prises avec les menus sabotages de la très gaulliste ORTF. C’est aussi à l’absurdité de ce type de partis pris qu’on reconnaît une bonne revue. Un mook réussi se doit d’être arbitraire, un peu désinvolte. Les invités y sont invités à hausser leur niveau de jeu. C’est ainsi que PPDA nous apprend que Sarkozy, après l’avoir fait virer du 20 h de TF1 pour une broutille que tout le monde a oubliée, lui a proposé d’être numéro 2 sur la liste UMP des régionales de 2010 en Ile-de-France, juste derrière Valérie Pécresse. Il est comme ça, Sarkozy, jamais rassasié de ses propres démonstrations de puissance. De son côté, l’affreux Zemmour constate, sans déplaisir, que c’est à cause de “la baisse du niveau du personnel politique que les chaînes de télévision ont recruté des éditorialistes pour débattre”. Débattre, c’est un bien grand mot, Eric. Mais surtout, Arnaud Viviant a eu la bonne idée d’aller demander à Laurent Binet – romancier à succès de la rentrée avec La Septième Fonction du langage (Grasset), une sorte de “pulp” intello – de revenir sur son expérience de “suiveur” privilégié du deuxième des François, choisi par Valérie Trierweiler elle-même pour écrire LE livre de la campagne 2012, Rien ne se passe comme prévu. De ce François-là, Binet est revenu, apparemment : “La déception est intersidérale. J’avais bien intégré que le PS était décevant par nature, mais ce degré-là

de trahison est invraisemblable !” Rien ne se passe comme prévu, Laurent. Beaucoup plus confidentielle que Charles, Mettray (septembre 2015, 10 euros) est une revue qui ne réclame même pas qu’on parle d’elle. Réclamer n’est pas son genre. Si classe, hors du temps et des modes, fabriquée par le photographe Didier Morin et deux complices. On s’en voudrait presque de troubler leur orgueilleuse solitude. Papier pelure plus que glacé, geste de dandy, d’une folle élégance. Après un numéro d’anthologie (en 2013) consacré aux 40 ans de La Maman et la Putain de Jean Eustache, la livraison annuelle s’intitule “Dire la photographie” et c’est une pure splendeur fauchée. Le principe : “Dire une photographie. Dire avec des mots ce qu’elle évoque, l’émotion, le temps perdu qu’elle ressuscite, dire avec des mots ce qu’une photo ne dit pas.” Sur la couverture, une photo de Jean Eustache, encore : on reconnaît Ingrid Caven et Rainer Werner Fassbinder, en visite sur le tournage de Mes petites amoureuses. Eustache jouait avec un Polaroid, Ingrid et son mari regardent le résultat. Plus loin, Robert Bresson déplie délicatement un sous-vêtement de femme, sous l’œil d’Isabelle Weingarten, photographe et ancien “modèle” bressonien. André S. Labarthe écrit : “Dès que je l’ai eue entre les mains et que j’en eus savouré l’anecdote (car la Photographie est un art de circonstances), je m’intéressai au visage du cinéaste et au double sentiment qui en émane : intimité et solitude. Et je m’interrogeai : comment une telle photographie a-t-elle été possible ?” Pour la voir, celle-ci et les autres, il faut écrire à Marseille : Mettray, 40, rue du Panier, 13 002 Marseille. Ou mettray.com. Se donner un peu de mal. Mettray se mérite.

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voir ou ne pas voir le bout du tunnel grâce aux inRocKs La semaine dernière, un dispositif d’enfermement, le siège de la domination masculine, la haine de soi, l’attrait du voyage, l’illusion du choix et un suicide.

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on cher Inrocks, un “accident grave de voyageur” me tient prisonnier au milieu d’un tunnel. Le conducteur nous prie de l’excuser pour la gêne occasionnée et nous remercie de notre compréhension. Pour justifier ce remerciement, j’essaie de comprendre. “Accident grave de voyageur”, c’est-à-dire suicide. Sans doute quelqu’un a-t-il voulu s’échapper du tunnel sans fin qu’était sa vie, peut-être voit-il la lumière au bout du tunnel dont parlent ceux qui seraient revenus d’une near death experience. En attendant, le trafic est interrompu et avec lui le cours de nos vies. Nous sommes une petite communauté prisonnière d’une rame arrêtée dans un tunnel. “Le suicide dans le cinéma de Chantal Akerman n’était que la réponse possible à une interrogation plus grande, peut-être la plus importante et commune (…) : comment sortir ?” Comme tous les personnages d’Akerman, nous sommes “aux prises avec un dispositif d’enfermement”. Enfermés dans nos rôles, nos genres, l’organisation sociale qui préside à nos vies, prisonniers de nous-mêmes, de nos spectres, de notre passé, de la peur de notre avenir et tant de choses encore. Akerman s’empare dans son cinéma de la cuisine, “siège de la domination masculine, ce lieu où l’ordre social confine la femme”. Woody Allen raconte l’histoire d’un homme en pleine middle life crisis, captif d’un “surmoi (…) gendarme en soi” qui le prive de la vie hédoniste dont il a “toujours rêvé”. Malcolm Lowry décrit le consul, son double littéraire, comme un homme prisonnier de ses obsessions, “le doute, l’amour impossible, la haine de soi et l’attrait du voyage”. “Comment sortir ?” Par le suicide, chez Akerman et Lowry. Par le meurtre dans L’Homme irrationnel de Woody Allen. Tuer ou se tuer, telle serait la question. Ce choix nous appartiendrait-il, au moins ? Pas le moins du monde selon Ian McEwan, pour qui “on a l’illusion du choix (…) mais pourquoi on fait ce qu’on fait reste un mystère. Nous sommes des étrangers à nous-mêmes.” Sortir de nos prisons n’est même pas un acte qui nous appartient. Joaquin Phoenix porte le coup de grâce : “Certains philosophes sont capables de vous expliquer, neurosciences à l’appui, qu’il n’y a aucun moyen de prouver qu’on ne vit pas déjà dans Matrix !” Mais c’est aussi lui qui nous offre la solution. Regardez-le, enfermé dans sa chambre d’hôtel en attendant des journalistes, “sautiller, ses écouteurs blancs enroulés autour du cou comme un collier, passer d’une pièce à une autre et commander à manger, comme un lionceau finalement heureux d’être en cage”. Enfermé, et heureux, c’est ça la solution. Comment fait-il ? Réponse du sage : “Etre connecté avec l’instant : c’est la seule chose qui compte.” Je prends une bonne inspiration et tente de me connecter à ce moment unique passé dans une rame de métro. Le bout du tunnel, c’est d’accepter d’y demeurer en attendant que le trafic reprenne. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Emmener le jeune public dans les salles obscures, vivre une expérience spatiosensorielle unique, retourner à l’âge d’or des superhéroïnes, et remettre la musique sur de bons rails.

enfantillages Mon premier festival

Nibariki /Tokuma Shoten/Buena Vista Pictures Distribution

Les festivals de cinéma ne sont pas l’apanage des adultes. La preuve avec Mon premier festival, qui investit une dizaine de cinémas et de lieux culturels parisiens. Outre une sélection pléthorique mettant à l’honneur le meilleur du cinéma jeune public, une carte blanche à Marjane Satrapi, marraine de l’événement, permettra aux festivaliers de (re)voir l’excellent Persepolis mais aussi Les Bêtes du Sud sauvage ou Princesse Mononoké (photo). cinéma du 21 au 27 octobre, Paris, monpremierfestival.org

gaîté interactive Vivre la musique comme une expérience sensorielle, c’est le maître mot de Paris Musique Club. Au programme : découvertes de nouveaux territoires d’exploration, expo interactive, cartes blanches à des labels cool (Antinote, Potemkine, Sonotown, etc.), ainsi qu’un bar éphémère. C’est la fête. musique du 24 octobre au 31 janvier, Gaîté Lyrique, Paris IIIe, gaite-lyrique.net

Scale sur une musique originale d’Arnaud Rebotini

Paris Musique Club

Désillusion

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cosplay it again Comic Con

bande dessinée du 23 au 25 octobre, Grande Halle de la Villette, Paris XIXe, comic-con-paris.com/

Alice Moitié

HBO/Canal+

Avis à tous les fans de pop culture, le Comic Con Paris promet un panorama du meilleur de l’entertainment. L’occasion de rencontrer ceux qui font l’univers de la BD, des séries ou du cosplay. Avec notamment la présence de Frank Miller, Joann Sfar, Maisie Williams (l’Arya Stark de Game of Thrones, photo) et des conférences d’experts sur des sujets aussi divers que la conception des effets spéciaux, l’univers des communautés YouTube ou l’âge d’or des superhéroïnes.

entrain Rockomotives Rendez-vous à Vendôme pour la vingt-quatrième édition du festival Rockomotives. On y retrouvera notamment The Dø (photo), Jeanne Added, Verveine, Feu ! Chatterton, Superpoze, Mansfield.TYA ou encore Set & Match. Immanquable si vous êtes dans le coin. musique du 24 au 31 octobre, Vendôme, rockomotives.com 21.10.2015 les inrockuptibles 13

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“l’action d’Air France a été un condensé de lutte des classes” Membre de la direction du NPA, Olivier Besancenot nous parle de la crise à Air France, de la droitisation de la France, des gauches européennes et de JoeyStarr, juré de télé-crochet.

L

’arrestation, les mises à pied et en examen de cinq salariés d’Air France soupçonnés d’avoir malmené deux cadres de la compagnie le 5 octobre sont-elles disproportionnées ? Olivier Besancenot – Non, je pense que c’est juste pour la France ! (rires) Ça m’indigne, me révolte. C’était malheureusement prévisible. La crise à Air France est une illustration supplémentaire de la politique de classe menée par François Hollande, une politique systématique de répression dans les entreprises et le mouvement social. Les mouvements des sans-logis, de la Confédération paysanne ou encore de l’écologie radicale en font les frais. Le 22 octobre, une journée de mobilisation devant l’Assemblée nationale est prévue. Les images des chemises arrachées, qui ont fait le tour du monde, ne vont-elles pas nuire aux syndicats ? Je ne crois pas. Pour ceux qui ont joué les vierges effarouchées, la violence politique est insoutenable. Par contre, on peut foutre à poil 2 900 personnes, mettre à la rue des familles qui ont le droit constitutionnel d’avoir un logement, arracher des maillots et castagner des réfugiés dans la rue lors d’“interpellations musclées” – comme dit la préfecture –, mais foutre un DRH à poil, ça ne se fait pas – pas plus qu’un préfet, un député ou le président de la République. Cette action a été un condensé de lutte des classes, le retour éclair de la question sociale. Y a-t-il un pays qui mène une politique de gauche à vos yeux ? Qui a essayé, qui a tenté, oui : la Grèce, mais elle a connu un retournement de situation avec la signature du troisième mémorandum. Le propre de ma génération est d’avoir grandi

politiquement sans modèle. Il y a eu des expériences très enthousiasmantes, comme le mouvement altermondialiste, les zapatistes, le budget participatif de Porto Alegre au Brésil, mais elles sont ponctuelles. Pour nous, elles font office d’apprentissage collectif. Mais jamais nous n’avions assisté à une expérience de l’envergure de la Grèce, aussi près de nous. Il faut en tirer les conclusions. Quelles sont-elles ? En tant que militants révolutionnaires, nous avons un gros problème : le bilan du stalinisme– en dépit du fait que nous avons toujours été antistaliniens. L’idée même qu’une société noncapitaliste est possible a été discréditée par l’expérience du socialisme réel. Mais le réformisme a aussi un problème. Ceux qui veulent appliquer un programme de réformes sans confrontation se mettent le doigt dans l’œil : c’est du réformisme sans réformes. L’exemple de la Grèce en témoigne. C’est-à-dire ? Pendant les Trente Glorieuses, le système capitaliste était moins en crise, il pouvait se permettre de lâcher du lest sous la pression des luttes. Aujourd’hui, les contradictions du système capitaliste à l’heure de la mondialisation financière sont telles qu’il n’a plus les mêmes marges de manœuvre : c’est tout de suite la confrontation, sans passer par la case “compromis social”. Les forces antiaustérité qui se lèvent en Grèce, en Espagne, en Angleterre et au Portugal doivent se demander si elles l’assument. Appréciez-vous Jeremy Corbyn, le nouveau leader travailliste ? Le problème n’est pas le personnage mais le parti dans lequel il évolue. Ce que dit Corbyn traduit une radicalisation à gauche, c’est positif. En GrandeBretagne, c’est bon à prendre. Mais

le Labour est un parti de notables, de bureaucrates, très enkysté dans le système institutionnel. A ce propos, qu’avez-vous pensé de la polémique autour de Michel Onfray ? Ça ne m’intéresse pas. Je pense qu’on est l’expression de son temps. C’est vrai pour les intellectuels, c’est vrai pour tout. Il y a ceux qui résistent à l’air du temps et ceux qui se laissent emporter. Il est à quoi l’air du temps ? A un glissement à droite, il est nauséabond. D’où l’aspect explosif d’Air France. La droite court après l’extrême droite, la gauche institutionnelle après la droite et une partie de la gauche radicale rêve de faire la gauche institutionnelle d’avant. Je ne suis pas un intello, ce n’est pas mon monde. J’ai appris de Pierre Bourdieu, j’ai lu Jacques Rancière. Ce dernier a pointé une vieille tare du mouvement politique, y compris à l’extrême gauche et au NPA, cette extériorité qui dit qu’il faut expliquer aux gens parce qu’ils ne comprennent pas. Les opprimés n’ont besoin de personne pour savoir qu’ils sont dans la merde et pourquoi. Dans Le Maître ignorant, Rancière explique qu’il ne faut pas partir de l’inégalité présupposée mais de l’égalité présupposée. Même chez nous, quand l’assemblée est nombreuse, les femmes, les prolos, les Noirs, les Arabes et les jeunes prennent moins la parole. Comment sentez-vous les élections espagnoles pour Podemos qui opère un recentrage ? Ce recentrage fait débat. Le fil conducteur de Podemos est son lien avec le mouvement social, les indignés. Si tu le casses au nom d’alliances politiques, ça ne va pas le faire. Il y a une contradiction chez Podemos : c’est un mouvement très basiste, mais

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“les opprimés n’ont besoin de personne pour savoir qu’ils sont dans la merde et pourquoi” son fonctionnement est très vertical, sous l’impulsion de Pablo Iglesias qui est de culture chaviste. Allez-vous jouer un rôle dans la campagne des régionales ? On ne présente pas de listes, à part des accords unitaires sur certaines, comme en Bretagne. C’est devenu très cher de se présenter. Les salles ont rarement été gratuites. C’est une vraie galère.

Vous qui êtes propalestinien, vous devez porter un regard attristé sur les événements sanglants qui touchent le Moyen-Orient ? Un sentiment de colère prédomine. Faire du territoire palestinien un gruyère qui ne ressemble à rien, avec des colonies partout, ça ne peut pas fonctionner et c’est une bombe à retardement. Et certains se demandent aujourd’hui comment on en est arrivé là !

Vous écoutez pas mal de rap à l’ancienne comme NTM ou la Scred. Que pensez-vous du tournant ego trip du rap français hardcore à la Kaaris ? Le rap, c’est comme Onfray, tout est expression de l’air du temps. Dans les années 90, ce débat existait déjà, il n’y a pas de courant homogène. Aujourd’hui, il y a toujours du rap engagé, comme Skalpel. Avez-vous vu que JoeyStarr sera jury de Nouvelle Star en 2016 ? Oui et Jean Paul Gaultier présidera le jury de Miss France. Il vaut mieux que ce soit dans ce sens-là ! (rires) propos recueillis par Mathieu Dejean et Anne Laffeter photo Nicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles 21.10.2015 les inrockuptibles 15

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Marie Rouge

Début du défilé de la 19e édition de l’Existrans, avec Awen. Paris, le 17 octobre

je est un neutre Alors que des trans défilaient à Paris pour réclamer le droit à déterminer leur identité sexuelle à l’état civil, une personne intersexe a été autorisée par la justice à se définir comme “neutre”. Vers la fin du masculin/féminin ?

C

’est une grande première en France. Dans un jugement rendu le 20 août mais communiqué à la presse le 13 octobre, le tribunal de grande instance de Tours (Indre-et-Loire) autorise M. X., 64 ans, à se déclarer de “sexe neutre” à l’état civil. Depuis sa naissance, M. X. ne se sent ni homme ni femme. Sur le plan physiologique, il/elle ne produit ni testostérone ni œstrogènes, n’a ni ovaires, ni testicules, mais un “micro-pénis” et un “vagin rudimentaire” d’après son dossier médical. A la naissance, un officier d’état civil le/la déclare pourtant de “sexe masculin”,

poussant de fait ses parents à l’élever comme tel, même si son aspect “le faisait plutôt passer pour une fille lorsqu’il était jeune”, indique t-il/elle au TGI. A 35 ans, sous l’effet d’injections de testostérone destinées à pallier un risque de fractures dues à une ostéoporose, son apparence devient plus masculine : sa barbe pousse, sa voix mue. Mais M. X. ne se sent pas pour autant homme. Appelé à témoigner, un ami d’enfance insiste sur le caractère profondément ambigu de son identité sexuelle, assurant qu’il ne s’agit pas d’“une femme piégée dans un corps d’homme”. Son épouse, avec laquelle il a adopté un enfant, tient le même

discours : M. X. n’est “ni garçon ni fille, ou les deux.” M. X. est une personne intersexe, ou intersexuée, comme 1,7 % de la population mondiale selon une étude menée par Anne Fausto-Sterling, professeure de biologie à l’université de Brown (Etats-Unis). Habituellement, les personnes intersexes sont opérées à la naissance afin de correspondre à l’une des deux catégories reconnues sur le plan administratif : M. ou F. “On efface les situations d’intersexuation par des traitements hormonaux et des actes chirurgicaux extrêmement intrusifs, qui portent atteinte à l’intégrité des enfants, sans qu’on leur demande leur consentement puisque

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“certains réclament des procédures humiliantes, comme la mesure de la profondeur du vagin” Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’inter-LGBT

ce sont des nouveaux-nés”, déplore Philippe Reigné, juriste spécialiste du droit du genre au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise), qui rappelle que “comme tous les organes, les sexes sont susceptibles de variations naturelles. C’est ce qui, à l’origine, permet à l’espèce d’évoluer en cas de changement de circonstances”. Une circulaire du 28 octobre 2011 offre une courte marge de manœuvre : les parents d’un enfant intersexué ont désormais jusqu’à deux ans pour déclarer le sexe de leur enfant. Ce qui ne met pas fin aux situations de confusion. Parvenus à l’âge adulte, certains ne se reconnaissent pas dans le sexe qui leur a été réassigné. Or, modifier son état civil relève en France du parcours du combattant. Il faut déposer une requête au TGI de son lieu de résidence par le biais d’un avocat. Si aucune loi n’encadre cette démarche, une décision de la Cour de cassation établit, de manière floue, que le requérant doit avoir “subi des traitements médicaux et chirurgicaux de sorte qu’il ne possède plus les caractéristiques de son sexe”. “Il existe de fait une inégalité sur le territoire en fonction du TGI, estime Clémence Zamora-Cruz, porteparole de l’inter-LGBT. Certains réclament des procédures humiliantes, comme la mesure de la profondeur du vagin pour déterminer si l’on peut déclarer la personne en tant que femme ou non.” L’Allemagne a, elle, réglé la question depuis 2013 en autorisant l’inscription de la mention “sexe indéterminé” sur les certificats de naissance des nouveauxnés intersexes, qui pourront choisir leur identité lorsqu’ils le souhaiteront. Ce principe d’autodétermination en matière d’appartenance sexuelle est la principale requête des personnes transgenres, qui

souhaitent modifier leur sexe social sans changer leur sexe biologique. Depuis 2011, l’Argentine offre ainsi aux individus la possibilité de procéder à un changement d’état civil sans avoir à justifier d’une opération chirurgicale ou hormonale. L’Australie a, elle, validé l’existence d’un “genre neutre” en 2014, suite à la requête de Norrie, une personne transgenre ne se définissant ni comme homme, ni comme femme. Même chose en Inde, où une troisième catégorie à destination des personnes transgenres a été mise en place. “On se dirige lentement mais sûrement vers la suppression de la mention du sexe à l’état civil, assure Philippe Reigné, car le système de multiples mentions, trop compliqué à gérer, soulève des difficultés pratiques. Mais cette suppression nécessite de réformer le droit de la filiation, sur lequel repose notre système binaire.” Ce qui ne veut pas dire “supprimer la sexuation des individus, tempère François Vialla, directeur du Centre européen d’études et de recherches Droit et Santé, mais rappeler que dans la mesure où le sexe n’est plus un motif de différenciation juridique, cette mention est peut-être dépassée.” Dans Fausse route (Odile Jacob, 2003), Elisabeth Badinter résumait ainsi la problématique : “En faisant de la différence biologique le critère ultime de la classification des êtres humains, on se condamne à les penser par opposition à l’autre. Deux sexes donc deux façons de voir le monde.” Aura-t-on bientôt la possibilité de cocher une troisième case sur nos formulaires administratifs ? Rien n’est moins sûr : la décision du TGI, qui assure qu’il ne s’agit ni de remettre en cause “la notion ancestrale de binarité des sexes”, ni de “reconnaître l’existence d’un quelconque ‘troisième sexe”, a été frappée d’un appel du parquet. Carole Boinet 21.10.2015 les inrockuptibles 17

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Le leader du PS portugais, António Costa, le 4 octobre

un parti de choix

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n a toujours tort de négliger le Portugal. C’est vrai que la Grèce, c’est plus excitant : les élections remportées à l’arraché succèdent aux référendums qui eux-mêmes sont précédés de fermetures de banques et de manifestations spectaculaires. Rien de tout cela au Portugal qui pourtant partage beaucoup de points communs avec la Grèce : même nombre d’habitants, même richesse nationale, même sauvetage de l’Union européenne (cinq fois moins coûteux malgré tout) et mêmes plans d’austérité. Sur le plan historique et politique non plus, les Portugais n’ont rien à envier aux Grecs. Eux aussi, presque en même temps que les Grecs, ont renversé une dictature, eux aussi ont des partis de gauche très actifs, socialistes, communistes et gauche de la gauche. Mais rien n’y fait : la lumière des caméras est pour Athènes, et Lisbonne n’en récolte que des miettes. C’est d’autant plus injuste que les problèmes qui se posent à la gauche portugaise font déjà réfléchir les socialistes espagnols et devraient alerter leurs homologues français. Que se passe-t-il ? Le 4 octobre, c’était plié en deux minutes chrono dans les JT : la droite avait remporté les élections législatives. Pas suffisamment pour former une majorité parlementaire, mais assez pour impressionner les commentateurs. Pensez donc ! C’était la première fois en Europe qu’une coalition sortante et austère n’était pas balayée par les urnes. Pourtant, un autre calcul était déjà possible : en additionnant les sièges de toute la gauche, on arrivait au Graal, à savoir une solide majorité parlementaire.

les problèmes qui se posent à la gauche portugaise devraient alerter les socialistes français

Steven Governo/AP/Sipa

Comme en Grèce ou en Espagne, les socialistes portugais sont confrontés à un dilemme : se perdre en acceptant une coalition avec la droite ou reprendre les négociations avec les partis à leur gauche. Ce calcul, les socialistes portugais et leur leader António Costa l’ont fait. Depuis le 4 octobre, et forts de leur deuxième place, ils jouent avec les nerfs de la classe politique portugaise et, pour la première fois, avec ceux de toute la gauche européenne. Alors ils font durer le plaisir. Ils rompent les négociations avec la droite qui voudrait les intégrer à leur coalition, reprennent langue avec les communistes et l’extrême gauche du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche). Puis reprennent les pourparlers avec la droite. A ce jeu, les socialistes portugais risquent de subir le sort du Pasok, le PS grec, qui s’est fait manger tout cru après son alliance contre-nature avec la droite. En Grèce, c’est Syriza qui a ramassé la mise, au Portugal, le Bloco est à l’affût.La question est donc : les socialistes sont-ils sérieux lorsqu’ils prétendent pouvoir gouverner sur un programme anti-austérité avec les communistes et l’extrême gauche du Bloco de Esquerda ? Je fais le pari que non. Ou alors pour très peu de temps. Au Portugal, comme ailleurs en Europe (Allemagne, Espagne, mais aussi France), la méfiance (voire la haine) est telle entre les sociaux-démocrates et la gauche de la gauche qu’il paraît difficile de les imaginer au sein d’un gouvernement de coalition. Le problème, c’est que dans ces quatre pays, les socialistes ne peuvent plus gouverner seuls. En Espagne, les 15 % de Podemos empêchent le PSOE d’atteindre la majorité absolue, et les élections auront lieu dans quelques semaines. En Allemagne, c’est Die Linke qui barre durablement la route au SPD. Quant aux socialistes français, ils se sont toujours sentis à l’abri du suffrage majoritaire. C’est une erreur qu’ils ont payée cher en 2002 et qui pourrait facilement se reproduire en 2017. La gauche portugaise est, au fond, un bien meilleur laboratoire pour les socialistes européens que la gauche grecque et ses mises en scène dramatiques. En tout cas, les élections du 4 octobre méritaient mieux que quelques articles complaisants. Anthony Bellanger

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Kapwani Kiwanga Cette artiste performeuse hybride archives et science-fiction pour dessiner une généalogie alternative du peuple africain.

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e 8 décembre 2058, les Etats-Unis d’Afrique furent créés.” Ainsi débute la performance Afrogalactica de Kapwani Kiwanga. Dans ce projet de trilogie lancé en 2011, l’artiste apparaît en anthropologue du futur, venue sur Terre déboulonner les préjugés postcoloniaux entachant l’histoire des civilisations africaines. Sur un ton universitaire, mêlant archives et élucubrations, elle tisse le récit fictif de l’exploration de l’espace par le peuple africain : les aliénés deviennent des aliens. Kapwani Kiwanga est née en 1978 au Canada. Après des études en anthropologie et en religions comparées et un passage par les Beaux-Arts et Le Fresnoy à Tourcoing, elle s’est installée à Paris qui accueille sa première expo solo en France. Pourtant, on préfère imaginer qu’à l’instar de Sun Ra, musicien et mystique qui vivrait toujours sur la planète Saturne – elle lui a consacré un film –, elle réside dans une galaxie lointaine. Ingrid Luquet-Gad

Bertille Chéret

Continental Shift du 22/10 au 28/11, galerie Jérôme Poggi, Paris IVe, galeriepoggi.com A Conservator’s Tale le 22/10 à 12 h, conférenceperformance, auditorium du Grand Palais, dans le cadre de la Fiac, fiac.com 20 les inrockuptibles 21.10.2015

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M Train de Patti Smith

retour de hype

Bon Voyage Organisation

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

PNL au Yoyo

les cols roulés

Doudou

“ça regarde Man vs Wild mais ça sait pas faire cuire un œuf”

A Very Murray Christmas

Kamoulox pour un champion

la RTT du 16 décembre

“ma vie est compliquée, j’ai une boîte de nuit dans la tête”

“on est toujours le zinzin de quelqu’un, t’sais”

“j’ai envie d’écrire une lettre ouverte contre les lettres ouvertes”

“super, la reprise de Simon and Garfunkel par James Blake, je cherchais justement une BO pour mon suicide”

JoeyStarr à Nouvelle Star le monsieur Météo de France 2

A Very Murray Christmas Le nouveau Sofia Coppola avec Bill Murray et un tas de stars sera sur Netflix le 4 décembre. La RTT du 16 décembre Date de sortie de Star Wars – Le réveil de la Force dont les places sont d’ores et déjà en vente. Bon Voyage Organisation Ce groupe français très excitant

a sorti un nouvel ep, Xingyè, chez Disque Pointu, le label de La Femme. PNL au Yoyo le 31 octobre. M Train de Patti Smith est la suite de Just Kids, premier volet de ses mémoires. JoeyStarr à Nouvelle Star Tout se perd, ma bonne dame. Doudou Le p’tit surnom donné par Le Foll à Le Drian. C. B.

tweetstat L’auteur d’American Psycho dénonce le règne du politiquement correct. Suivre

Bret Easton Ellis BretEastonEllis

There was a time when people were fans and had opinions and could like things and dislike things and it was all OK. But those days are over. 7:34 AM - 27 Août, 13

Répondre

Retweeter

55“Il vaut %mieux Nadine Morano choquer que de ne pas dire.”

Favo

“Il fut un temps où les gens pouvaient être fans, avoir des opinions, aimer ou pas des choses et c’était accepté. Mais cette époque est révolue.”

30 % Charles Perrault Pour ses qualités de conteur.

15 % Pascal Obispo “Ma vie, c’est d’être fan.”

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Elle est Lui En photographiant Eric Cantona nu aux côtés d’une Rachida Brakni habillée, Elle cherche à s’acheter une caution féministe. Vous avez dit balourd ?

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le miroir inversé Ce n’est pas tant la plastique musculeuse d’Eric Cantona qui interpelle en couve de Elle, que la relation en forme de miroir inversé qu’elle entretient avec le corps habillé de l’actrice Rachida Brakni. En masquant le corps féminin pour mettre en lumière le nu masculin, ce manteau rouge digne du pire rayonnage de Kiabi bouleverse les conventions. Le regard face à l’objectif et la position protectrice de Brakni envers son époux à l’air timide achèvent d’apporter la réponse à la question posée en couve : en 2015, le couple ne se résume plus à un rapport d’homme dominant à une femme dominée (et dénudée). A l’intérieur du dossier, Cantona et Brakni clament être féministes, et posent selon le même mode : elle habillée, lui dévêtu. Chaud.

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la belle et la bête

Loin d’être agressive, la nudité de Cantona renvoie un message de vérité et de sensualité : c’est parce qu’il repose sur un pied d’égalité et n’hésite pas à dévoiler ses faiblesses que ce couple fonctionne. Pourtant, l’exposition de ce corps relègue aussi l’ex-footballeur à son statut de sex-symbol viril, tandis que le manteau de Brakni tend à la présenter comme la tête pensante du duo. Dès lors, ne retomberait-on pas dans une représentation simpliste pour ne pas dire lourdaude du masculin et du féminin ?

3

la vérité toute nue En 2015, le corps s’expose sous toutes les coutures, comme s’il portait dans sa chair la définition du couple comme entité sexuelle. Tandis que Facebook et Instagram versent dans le conservatisme en censurant le moindre téton, la pop-star Miley Cyrus annonce une date entièrement nue devant un public convié à en faire de même. Une façon de combler un manque de reconnaissance médiatique ? Une prise de position politique ? Ou une invitation au questionnement métaphysique ? Débarrassé de ses artifices, à la fois sexuel et terriblement vulnérable, le corps nu semble adresser un “fuck” aux repères sociétaux et pose une terrible question : qui suis-je ? Carole Boinet

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en chiffres

satire à côté Très attendue, la comédie horrifique de Ryan Murphy ne fait ni rire ni peur. Et à trop parodier la génération qu’elle vise, rate sa cible.

le sujet Pour sa nouvelle série produite par la Fox, le showrunner Ryan Murphy s’inspire de deux de ses succès, Glee et American Horror Story, en éclaboussant la génération Y d’hémoglobine. Le pitch : sur un campus américain, la sororité Kappa Kappa Tau et sa chef de file Chanel (Emma Roberts) font régner le culte de la superficialité et de l’humiliation permanente jusqu’à ce qu’un serial-killer s’en mêle et les tue une par une. Avec son créateur star, son casting en or et sa grosse promo, Scream Queens est une des séries de la rentrée qui a le plus fait parler d’elle car annoncée pop, gavée aux réseaux sociaux et sanglante à souhait.

le souci Le monde de l’université et des sororités offre à Ryan Murphy l’occasion de retrouver sa typologie de personnages préférée : les teenagers ultrapestes. Si haïssables d’ailleurs, qu’il pourrait être jouissif de les voir se faire asperger d’acide ou décaptiter par une tondeuse à gazon. Hélas. L’escalade de politiquement incorrect et de blagues choc prime sur la clarté du récit. Trop de personnages, trop de meurtres, trop de couleurs pastel et, même, trop de second degré. Dès le premier épisode hystérique et poussif, on s’y perd. Et ce n’est pas l’humour noir poussé à son maximum qui nous aide à y voir plus clair ou à supporter l’insupportable. Les gays, les Noirs, les handicapés, tous sont

les cibles de plaisanteries médiocres, mais avec une irrévérence vide de sens et de contexte. Seule source de plaisir, la présence de Jamie Lee Curtis en doyenne d’université trash, même si son rôle s’avère n’être qu’un ersatz de celui de Jane Lynch dans Glee.

le symptôme La structure narrative de la série emprunte beaucoup aux slashers : un tueur masqué, ici déguisé en diable, cherche à se venger en s’en prenant à des ados infectes qui héritent de crimes du passé et doivent payer pour leurs méfaits. Pour assoir cet hommage, les références aux films d’horreur cultes s’enchaînent (Scream, Halloween, Vendredi 13…), en vain. Scream Queens sacrifie le suspense, autant que le développement d’une empathie pour certains de ses personnages, au profit d’une autodérision méta, et complètement indigeste (on regarde des ados se moquer d’ados dans un hommage aux films pour ados). Sous couvert d’une critique du monde décérébré des fraternités, c’est toute la génération qu’elle dépeint et à laquelle elle s’adresse, qui y passe : nombriliste, clonée, intolérante et toujours plus attirée par une popularité futile. Pas assez sympathique pour les amoureux de séries pour ado, pas assez sanglante pour les amateurs d’épouvante, Scream Queens n’est certes pas horrifique, mais bel et bien horrible. Claire Pomarès

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Soit le cœur de cible des séries télé. La catégorie – la plus consommatrice et donc la plus rentable en termes de revenus publicitaires – est notée chaque semaine par la société Nielsen Media Research et détermine la durée de vie d’un programme.

Le nombre de morts lors de l’ouverture de Scream Queens, le 22 septembre. Une étudiante morte en couches, une tête passée dans la friteuse, une autre dans une tondeuse à gazon, une douche autobronzante à l’acide… A ce rythme, il n’y aura plus aucun personnage pour crier ou être reine.

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Le rang de Scream Queens dans le classement des séries dont on parle le plus sur Twitter selon Nielsen. Loin derrière The Walking Dead, Grey’s Anatomy ou Vampire Diaries, pourtant pas de prime fraîcheur.

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En millions, le nombre de téléspectateurs qui ont regardé le cinquième épisode aux Etats-Unis. A la même heure, ils étaient plus de 12 millions sur CBS devant NCIS Nouvelle-Orléans.

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bientôt la fin de l’aérobic Une équipe de chercheurs universitaires essaie de recréer les réactions chimiques que l’activité physique génère chez l’être humain. De quoi à terme éradiquer la pratique du sport.

L à lire L’avenir est pavé de bonnes intentions (La Librairie Vuibert) de Nicolas Carreau

a science aime nous poser des dilemmes et l’humanité devra choisir. Au moment où le footing a réussi à s’insinuer, l’air de rien, dans les habitudes et à convertir à l’effort physique, par petites foulées, les plus amorphes d’entre nous, des scientifiques prévoient de mettre bientôt au point une pilule qui mimera les effets du sport… et rendra obsolète la pratique du jogging. On n’y est pas vraiment, cela dit. Dix ans de patience encore, selon les chercheurs. Pour l’instant, ils ont simplement franchi la première étape : déterminer exactement les effets du sport sur l’organisme, ce qui chimiquement se produit lors de l’exercice physique. Les scientifiques ont analysé un bout de muscle de quatre volontaires détendus. Après dix minutes d’activité sportive intense, ils ont à nouveau prélevé un peu de viande sur les cobayes, ont comparé et observé 1 004 réactions moléculaires impliquant 562 protéines. Cette cartographie établie, il suffit maintenant d’en reproduire les effets. Compliqué mais faisable, selon Nolan Hoffman, l’un des chercheurs australiens : “Nous avons créé un schéma qui pose les fondations d’un futur traitement, dit-il au site américain Quartz, et l’objectif à terme est d’imiter les effets de l’exercice.” On savait déjà que le futur s’ingéniait à rendre nos déplacements plus fluides et moins fatigants (voitures autonomes, hoverboard, téléportation…). Mais c’est déjà trop d’efforts. L’avenir nous propose maintenant de rester en place, bien calé dans le canapé. On a déjà vu dans cette rubrique comment les robots remplaceraient

un jour les sportifs. Mais cela nous laissait obèses et rouillés. Avec la pilule magique, nous profiterons des bénéfices du sport sans ses inconvénients. Inutile de s’infliger les pénibles épreuves du vestiaire ou les footings pluvieux, la pilule déclenchera elle-même les réactions idoines pour nous maintenir en forme. Les chercheurs précisent quand même que leur technique servira surtout à ceux qui ne peuvent pratiquer une activité sportive, les paralysés par exemple. La pilule ne palliera qu’une partie du déficit sportif. Mais c’est faire preuve d’une foi bien faible dans le futur… Encore quelques calculs et dans cent ans, deux cents ans, on pourra préciser le sport de notre choix. On avalera le cachet “haltérophilie” pour nous façonner de gros bras, “courses” et “fitness” pour fondre un peu, “boxe” et la pilule poussera l’imitation jusqu’à générer un hématome sur la pommette. Nous serons tous devenus des modèles de santé, taillés en V, les muscles saillants. Le futur est décidément dans la gélule. On nous a déjà promis des pilules pour apprendre, des pilules pour se nourrir, maintenant des pilules pour le sport. Attention à l’overdose. Nicolas Carreau illustration Jérémy Le Corvaisier pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin L’article publié dans la revue Cell Metabolism cell.com/cell-metabolism/abstract/S1550-4131(15)00458-1

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

chez Each x Other Basé à Paris, ce nouveau label collaboratif, né de la rencontre du designer Ilan Delouis et de la galeriste Jenny Mannerheim, explore les tensions entre art et mode. Tant via son vestiaire travaillé et androgyne que par les expositions et collaborations qu’il initie ou les livres qu’il édite. each-other.com

Belle réussite que celle d’Acne : ce qui n’était qu’une micromarque de jeans (cent pièces seulement lors de sa création en 1997) a réussi à imposer sa silhouette et sa philosophie, synonyme aujourd’hui d’un art de vivre arty pointu. La marque lance une collection de petite maroquinerie : des portefeuilles, pochettes, étuis iPhone ou porte-clés qui peuvent être personnalisés avec les lettres de l’alphabet imaginées par l’artiste Jack Pierson. acnestudios.com

Each x Other, Elina Kechicheva

dans cette pochette Acne

dans le Connecticut Planquée dans une forêt, la fondation Josef et Anni Albers est une halte obligée pour tous les fans du mouvement Bauhaus. Ces deux artistes allemands, qui ont émigré aux Etats-Unis en 1933, en furent deux des professeurs éminents. Les meubles, textiles et objets qu’ils ont designés pendant près de quarante ans sont désormais rassemblés dans ce nouveau bâtiment de trois cents mètres carrés conçu par l’architecte irlandais Eoghan Hoare. albersfoundation.org

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com 30 les inrockuptibles 21.10.2015

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au bout de ce pied cold-wave Pas de doute quand on se balade dans les rues londoniennes : le pointu, le piquant est de retour. Sans demi-mesure, jetez votre dévolu sur ce modèle ultrarock, la “blitz winklepicker” à triple boucle. Elle tire son nom du Blitz, le club underground emblématique du Londres new-wave du début des années 80, où se retrouvaient – cheveux en pétard et yeux noirs – Boy George, Visage ou Spandau Ballet.

ownhaus.co.uk/photo Chris Kendall

underground-shop.co.uk

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vous n’y échapperez pas

le jogging flamenco Nouveau symbole de résistance ordinaire, le survêt froufrouteux s’est imposé lors de la fashion week.

Hirokazu Ohara/Chloé

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i-contre, une jeune femme avance vers vous, le cheveu passionné et l’allure hybride. En haut, elle a enfilé une blouse (mi-Sophia Loren, mi-Don Juan aux manches froufrous) ornée de breloques comme trouvées sur une plage un soir de fête. En bas, un pantalon de survêtement faussement Adidas, vraiment Chloé printemps-été 2016, aux références 90’s revues en pattes d’eph. Pour Clare Waight Keller, la directrice artistique de la maison, qui entretient un délice flower power sans fanfreluches saison après saison, ces notes sportives sont une façon de donner sa version de la tendance actuelle “athleisure”, ou vêtement de luxe inspiration fitness. Mais pas que. Ces références ethniques et de rue font le récit d’un autre corps estival. Comme l’écrit Nicole Phelps dans le Vogue américain, cette collection serait une quête “de la simplicité dans tous ses excès”. Quel lien entre le quotidien et le débordement ? La passion, sans aucun doute, semble nous susurrer la créatrice, via son emprunt aux volants du flamenco. Comme la danse hispanique s’exprime par des poitrines frappées et de grands volumes drapés, l’excès de tissu flou serait à lui seul un cri passionné, une expression vitale en réponse à une rigidité structurelle. Alors que chacun de nos pas est poussé à un pragmatisme extrême, le flou sensuel de Keller confronte le naturel et le culturel, l’organique et l’architectural. Même ce jogging, expression d’une vie multitâche, devient un objet de sophistication et de plaisir. A travers la collection, les références à l’Espagne se font plus littérales : la créatrice injecte une palette discrètement rave, nous promettant qu’entre flamenco endiablé et teuf à Ibiza il n’y a que quelques pas (de danse).

Défilé Chloé printemps-été 2016

L’habit(ation) comme narration d’une vie fantasmée ? Absolument, vous répondent les podiums de la fashion week. Dans le cas de Chloé et de ses joggings flamenco, la simplicité devient un acte politique, détourné. Des silhouettes faussement sobres se révèlent être de complexes hiéroglyphes porteurs de signifiants enfouis. Ce qui aide, bien sûr, c’est que la mannequin en question, Mica Arganaraz, Argentine androgyne, émerge peu de temps après du Grand Palais, vêtue d’un survêt, clope au bec, et enfourche l’arrière d’un scooter. En route, certainement, pour Ibiza. Alice Pfeiffer

2009 De son vrai nom Laura Hollins, la tête blonde de Manchester explose dans le courant des années 2000, tant elle incarne une Angleterre d’actualité, sorte de Jane Birkin tomboy et postmoderne. Cette baby doll aux yeux constamment ébahis et à la moue boudeuse raconte alors un pays qui ne cesse de fantasmer et d’hybrider son passé pop-rock.

2013 Absente de la mode pendant quelques années, elle revient dans une démarche plus populaire en devenant le nouveau visage de Dr. Martens. Là, jean remonté et gros mocassins, elle cite la culture hooligan très working class qui a permis aux filles de se viriliser, représentant un même corps en marge, fier, costaud et uni(sexe) contre le discours dominant.

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Saint Laurent

ça va, ça vient : Agyness Deyn

Agyness a 32 ans et c’est Hedi Slimane, roi de l’élégance rock androgyne, qui la remet sur le devant de la scène en la shootant et en la faisant défiler pour Saint Laurent. Dans une collection qui cite Glastonbury, cette tiare raconte la tradition très esthétisée des festivals de musique, qui permettent un mélange social loin d’une Angleterre aristocrate. A. P.

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Salt 6, rue Rochebrune, Paris XIe, tél. 01 73 71 56 98. Le midi, formules à 19 € et 23 €. Le soir, compter 50 € sans le vin

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C

e qui marque, d’abord, c’est la beauté des plats. Comme cette entrée de minestrone de poulpes et de sarrasin, radis et fenouil où flottent en surface des petites billes vertes insolentes (de l’huile de persil), déco poétique et trompe-l’œil culinaire : ici le beau doit être bon. On le sent cuisiné et préparé avec amour par le jeune chef anglais et tatoué Daniel Morgan. A Salt, les arrivages sont quotidiens et saisonniers. La bonite (vinaigre de gingembre, reine-claude) est fondante à tomber. Rien ne manque à l’appel de la mer et du sel iodé : turbot, huîtres, couteaux, palourdes, Saint-Jacques (grillées dans leurs coquilles, dashi au poivre vert), tarama maison, filet de sole sauvage, lieu noir, filet de pagre cuit au barbecue et… un ris de veau. Cette merveille a vu le jour grâce aux Anglais Gary Willimont et Ian Crook (proprios de l’Express Bar, resto et bar sympa de la rue SaintMaur) et à l’Australienne Abigail Snellgrove. La déco est épurée et dans les classiques du moment : murs carrelés blanc-bleu, cuisine ouverte, tables en bois clair. En salle, Abigail et Stéphanie prodiguent leurs conseils avisés en vins (chablis Gérard Tremblay, morgon Lapierre) et bières artisanales. Anne Laffeter

bouche à oreille

un détail croustillant Cette histoire de sandwich de chips vaut son pesant de cacahuètes.



ue pourra-t-on encore inventer quand tout aura été inventé ? Le crisp sandwich ne s’embarrasse pas de cette question. Il est un juste représentant de ce mélange indistinct entre génie ironique et crétinisme ahurissant dont seule notre époque semble être capable. Car un crisp sandwich, ou “sandwich de chips” en français, c’est cette abomination qu’on imaginerait forcément être le produit d’une fulgurance sortie d’un cerveau éméché : le contenu d’un paquet de chips déversé entre deux tranches de pain. Tient-on ici une astuce de vacanciers dans la dèche déjeunant sur une aire d’autoroute ? Peut-être, mais surtout le crisp sandwich est la spécialité d’un café anglais, établi dans le Yorkshire. Au menu, une cinquantaine de variétés de chips, différents types de pains et la possibilité d’ajouter du ketchup, du beurre de cacahuètes, de la confiture ou encore de la pâte à tartiner aux marshmallows. “Régressif”, “réconfortant” et “original” (le combo chips croustillantes, mollesse du pain) : même complètement débile, le crisp sandwich n’a pas tardé à ameuter les foules. A l’origine, le sandwich aux chips est une plaisanterie venant d’un site de news parodiques irlandais, imaginée pour railler les “bars à céréales” de Londres. L’établissement fictif

a finalement vraiment vu le jour à Belfast, avant de fermer et d’inspirer un autre entrepreneur. C’est comme ça que Mr Crisp est né. On connaissait déjà le sandwich américain, qui, comme son nom ne l’indique pas, se trouve en France métropolitaine (un morceau de baguette renfermant un steak haché et des frites) et celui de l’Ile de la Réunion (la même chose, mais avec du jambon et du fromage fondu à la place du bœuf). Il y a aussi la “mitraillette” belge (une demi-baguette, avec n’importe quelle viande et des frites) ou le chip butty anglo-saxon (un pain blanc, du beurre et des frites à la sauce brune) – autant de snacks qui font presque office de grande cuisine à côté du sandwich aux chips. Réputées peu chères, ces spécialités étaient surtout consommées par les ouvriers à la recherche d’un casse-dalle chaud à midi. Aujourd’hui, point de file d’attente de combinaisons bleues devant Mr Crisp. Plutôt des hordes de jeunes prêtes à se mettre n’importe quoi sous la dent… tant que c’est “une nouvelle expérience” à consommer. Pour ajouter un peu de croquant à vos sandwichs, on vous conseille plutôt les radis. Emilie Laystary Mr Crisp 64, Victoria Road, Keighley (Angleterre)

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Pour continuer à vous transmettre nos passions et coups de gueule, nous lançons une offre 100 % numérique et multisupport où retrouver l’intégralité du magazine et des contenus exclusifs. Les inRocKs premium sont une déclinaison digitale de ce qui a forgé notre identité : un accès privilégié aux artistes, des articles et des entretiens au long cours, un point de vue acéré sur l’actualité. En plus de cette offre, chaque jour, des invitations et des cadeaux sont disponibles sur le club abonnés. Rendez-vous sur lesinrocks.com

Cinétévé

cette semaine sur

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cinéma Amour fou

le 2 novembre au Trianon, Paris XVIIIe JP Nataf et JeanChristophe Urbain viendront sur la scène d’un Trianon affichant complet depuis des semaines pour présenter Mandarine, le nouvel album du groupe. à gagner : 5 × 2 places

de Jessica Hausner Berlin, à l’époque romantique. Un jeune poète souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour. Il tente de convaincre sa cousine de contrer le destin en organisant leur suicide. à gagner : 15 DVD

expo Paris Musique Club du 24 octobre au 31 janvier à la Gaîté Lyrique, Paris IIIe Elaborée en collaboration avec la Red Bull Music Academy, cette exposition vous fera découvrir plusieurs installations immersives, mettant en relation musique et numérique. à gagner : 10 × 2 entrées

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dernier héros de l’underground Retour sur Jim Carroll, écrivain, musicien, performeur et figure de la culture underground newyorkaise des années 60 et 70.

Luc Roux

Basketball Diaries (1995)/New Line Cinema

et aussi

Chloé Vollmer-Lo

Au service de la France Rencontre avec les trois scénaristes de la série comique d’Arte aux airs de OSS 117, diffusée le 29 octobre.

Tu mourras moins bête Avec son blog, puis ses BD, la dessinatrice Marion Montaigne a prouvé que la vulgarisation pouvait être hilarante. Entretien.

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hommage à Tignous Chloé Verlhac publie une anthologie des dessins de son mari, commentés par ses amis. Entretien.

cinéma Martin Scorsese coffrets Blu-ray et DVD Une belle sélection de films retraçant la carrière du cinéaste américain, de Who’s That Knocking at My Door au Loup de Wall Street. à gagner : 5 coffrets Blu-ray et 5 coffrets DVD

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welcome back, Louise !

Ils bouclent leur nouvel album et s’apprêtent à partir en tournée. Auteurs du plus gros carton du rock français ever, les Louise Attaque racontent en exclusivité comment et pourquoi ils sont revenus au front, dix ans après leurs derniers grands faits d’armes. En pleine forme, sereins et joueurs. D’attaque. par JD Beauvallet photo Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

Degauche àd roite : Gaëtan Roussel (chant, guitare), Robin Feix (basse), Arnaud Samuel (violon, guitare)

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n va essayer de refaire de la musique ensemble.” C’est par un de ses murmures laconiques que le bassiste Robin Feix nous annonçait l’an passé, dans sa maison de Brighton, que Louise Attaque avait décidé de voir si, par hasard, il ne restait pas un peu de musique, d’étincelle, de désir dans ce groupe alors en coma prolongé. Dans cette même maison, Robin nous disait un an auparavant que sa basse reposait en paix au grenier et qu’il en avait fini avec la musique. Il fallait donc que l’appel du large soit puissant et clair pour qu’il revienne à la pratique quotidienne de son outil de travail, quatre ans après une reformation glaciale et sans lendemain, pour enregistrer sans amour Du monde tout autour, le single-locomotive d’un best-of homonyme qui sentait le solde de tout compte, en 2011. Pourtant, c’est encore à Brighton, dans les studios Metway, que l’on retrouvait au printemps Louise Attaque : soit Gaëtan Roussel, Arnaud Samuel et Robin Feix. On comprit alors que des divergences musicales et humaines fortes avaient poussé vers la sortie le quatrième membre historique (depuis 1990), le batteur Alexandre Margraff, après un déchirement intense et tempétueux, à la hauteur de leurs relations habituelles. Malgré ce changement profond pour un groupe depuis toujours aussi uni contre l’adversité, qu’elle soit misère ou gloire, on retrouvait le trio étonnamment serein – un adjectif qu’on n’aurait jamais imaginé lui accoler un jour. Décontracté, joueur, n’hésitant pas à déléguer les sons et destinées de ses chansons à un jeune producteur anglais aussi surdoué qu’inconnu, Louise Attaque semblait alors un autre groupe, sorti de ses interminables questionnements, de ses épuisantes négociations. Riche des aventures solo des uns et des autres, leur musique a ainsi gagné en puissance, en souplesse, en fraîcheur, en facéties : elle se révélera, début 2016, sur un nouvel album puis sur toutes les scènes de France. En attendant, en exclusivité, Louise Attaque nous a raconté le pourquoi et le comment de ce retour. Et comment on vit (bien) le fait de détenir le record de l’album de rock français le plus vendu de tous les temps.

“quand on crée ensemble, oui, nous sommes dépassés. Ce n’est plus l’addition de nous trois, c’est plus que ça” Arnaud Samuel

Pourquoi vous reformez-vous ? Gaëtan Roussel – Parce qu’on n’a qu’un groupe dans sa vie et parce qu’on avait l’impression de ne pas avoir tout dit. Arnaud Samuel – Entre nous, on n’avait jamais décrété que c’était fini. On n’était jamais partis, même si ça ne paraissait pas évident de l’extérieur. Il y a eu des projets personnels mais jamais de séparation. Juste des pauses, la dernière plus longue que les autres. Les coups de téléphone se sont espacés. Gaëtan – Les semaines sont devenues des mois… J’ai l’impression que certaines années, on ne s’est pas du tout parlé. Qui a été le moteur de ce retour en studio ? (long silence) Gaëtan – Cette notion de pause avait forcément ses limites. On avait besoin de savoir. Au moment de faire la promo de mon second album solo, j’ai eu la possibilité d’accueillir des invités. J’ai alors proposé à mes camarades qu’on joue ensemble. C’était à la fois une façon de parler du sujet – une possible reformation – et d’être en même temps dans l’action – jouer ensemble. Robin, je t’avais croisé il y a deux ans et tu m’avais dit que c’était fini, que tu avais même remisé ta basse. Robin Feix – Mon crédo, c’était : “Si on m’appelle, je viens”. Ce n’est pas très moteur (rires)… Mais, en même temps, je ne pouvais pas offrir plus, je ne jouais plus depuis des années. Mais, dès que j’ai retrouvé Gaëtan, j’ai été estomaqué, charmé même, par notre fluidité. Soudain, Louise existait et nous dépassait à nouveau, vivait sans nous. Elle était patraque depuis des années mais elle s’est relevée, c’était bien elle, intacte. On avait tous fait plein de musique par ailleurs, mais là, c’était Louise. Gaëtan – A titre personnel, ce que j’aime encore plus que ce moment où tout est reparti entre nous, c’est le trajet effectué depuis. Le premier morceau, Du grand banditisme, ressemblait à du Louise Attaque classique et même si, sur le moment, il nous a remis de la brillance dans les oreilles, le ventre et le cœur, le simple fait qu’il nous pose aujourd’hui problème, qu’il ne s’intègre pas sur l’album, qu’on ne sache plus quoi en faire, comment l’adapter, c’est très positif. Ça veut dire qu’on a avancé en quelques mois, qu’on ne s’est pas contentés du fait que nous pouvions faire du Louise Attaque, mais qu’il y avait des défis à relever. Il fallait se rassurer : on ne savait pas d’où repartir, nous sommes donc revenus à notre plus simple élément, à nos instruments de prédilection. Petit à petit, on s’est décalés, on a laissé entrer les ordinateurs. Il était hors de question de faire un album à tout prix, sans proposer autre chose. En 2011, vous aviez tenté de retravailler ensemble, pour la chanson Du monde tout autour sur votre best-of. Pourquoi ça n’a pas fonctionné alors ? Gaëtan – Ça avait fini en eau de boudin. On voulait injecter un Polaroid de ce qu’on était alors dans ce best-of. Il s’est avéré flou. Quand on a accepté l’idée du best-of, on savait déjà que ça ne nous remettrait pas en ordre de marche. Chacun est reparti. J’étais en tournée, je ne pouvais pas m’impliquer plus.

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Poulain/Dalle

Louise Attaque en 1998, à l’apogée commercial du groupe, lorsque leur premier album voguait vers les trois millions de ventes

Arnaud – Ce best-of, c’était un rendez-vous qu’on avait tous accepté pour mesurer où on en était. On était curieux de savoir ce que nous allions ressentir les uns vis-à-vis des autres, comment nous allions vivre l’expérience d’enregistrer une nouvelle chanson en peu de temps. Il y avait une vraie envie de rendez-vous. Après beaucoup de discussions, quand on a décidé qu’il y avait quelque chose à tenter, il y a eu un vrai point de départ : jouer ensemble, tout simplement. Gaëtan – Ne plus être autour d’une table à rejouer Yalta, mais être en studio dans notre élément naturel, ça nous a détendus. On s’est posé la question du temps : en a-t-on à notre disposition et comment veut-on l’utiliser ? On l’a utilisé de manière très différente sur le nouvel album. Ça nous a aidés à créer et à respirer. Et puis l’architecture du groupe a changé, on a travaillé à deux, à trois, un peu comme à l’époque du premier album. De ne pas être constamment ensemble nous a permis d’être plus proches de l’os, plus près de ce qu’on voulait dire, ça nous a permis de revoir la façon dont on interagit. Arnaud – Dès le deuxième album, on avait pris l’habitude d’être toujours ensemble, en répétition permanente : ainsi naissaient les chansons.

Là, comme à l’époque du premier album, il y a eu davantage de travail à la maison, en solitaire. Ça permet d’avoir du recul, de peaufiner. Il y a eu beaucoup de va-et-vient entre nous trois. Beaucoup de doutes aussi. Mais on sentait déjà l’envie, l’énergie. Gaëtan et Robin ont commencé les premières sessions sans moi, à Londres. Je les ai ensuite retrouvés à Berlin et on a tous pleuré. L’étape suivante, c’était Paris : on a foncé. Pourquoi ces larmes à Berlin ? Arnaud – On n’était pas certains de fonctionner à trois. Avec notre batteur de toujours, Alexandre Margraff, nous venions de décider de nous séparer. Ça faisait plus de vingt ans qu’on jouait ensemble… Pourtant, on était sûrs que ça ne nous arriverait jamais, qu’on n’était pas comme les autres groupes… On a souffert, on n’a pas pris cette décision à la légère. Robin – Ça a été une tragédie, j’ai beaucoup pleuré. Les textes parlent beaucoup des couples qui se séparent, de l’amitié, c’est très douloureux. Gaëtan – Après coup, ça nous a permis d’avancer. Après le premier album, d’où venait ce besoin d’être ensemble tout le temps ? Arnaud – C’était devenu nécessaire pour se protéger, affronter l’extérieur, vivre tout simplement. 21.10.2015 les inrockuptibles 43

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Et il existait entre nous une grande émulation, de l’inspiration, choses qu’on a ensuite perdues. Ça a fini par devenir étouffant. Robin – On n’avait plus de temps hors du groupe pour composer quoi que ce soit à la maison. Il n’y avait plus de chez soi. Gaëtan – On passait de moments très fluides à d’autres où la promiscuité faisait que ça se grippait. On n’arrivait pas à avancer. Sur le deuxième album, tout ce qui a été composé a été utilisé, alors qu’il existe beaucoup de chutes du premier et du troisième album. Vous parliez de Louise qui vous dépasse en studio. Comment ? Arnaud – Quand on crée ensemble, oui, nous sommes dépassés. Ce n’est plus l’addition de nous trois, c’est plus que ça. Il se passe beaucoup de choses qu’aucun de nous n’aurait pu prévoir. Gaëtan – Dès la première session à Londres, je me suis senti dépassé. Alors nous avons ajouté une dimension ludique pour vaincre le doute en nous tenant à un morceau par jour, ce qui nous permettait d’appeler Arnaud le soir, de lui faire écouter notre travail. Au printemps, quand je suis venu vous voir en studio en Angleterre, je ne vous avais encore jamais trouvés si légers. Le mot “ludique” que tu viens d’utiliser ne faisait pas jusqu’ici partie de votre vocabulaire. Gaëtan – Le qualité du temps passé ensemble est meilleure, ça a tout déterminé. Effectivement, je n’aurais jamais utilisé ce mot pour décrire un enregistrement de Louise. L’architecture du groupe ayant changé, il y avait cette impression de “première fois”. C’est une combinaison entre accepter d’où on vient et une remise à zéro. Robin – On a vieilli aussi, on sait distinguer les moments de travail de ceux où on ne travaille pas, alors qu’avant il n’existait aucune frontière. Arnaud – Dans le passé, il y avait une énorme déperdition en discussions et en réunions. Mon expression, c’était : “T’as pas cinq minutes qu’on discute trois heures ?” C’était épuisant, on gâchait des heures par rapport aux enjeux discutés. Mais on ne savait pas faire autrement. On a fini par passer plus de temps

“on ne savait plus avancer. On n’écoutait personne. Donc plus personne ne nous parlait” Gaëtan Roussel

à parler qu’à jouer. Mais ceci dit, voilà une chose que j’ai apprise de Louise : il est parfois bon de discuter longtemps avant d’empoigner les instruments, de ne pas être systématiquement fonceur. Sauf que là, les discussions n’étaient pas seulement sur la musique mais sur sa représentation… On a fini par se perdre dans des discussions vaseuses, on aurait dû se laisser plus d’air, plus d’initiatives. Gaëtan – On ne savait pas que quelqu’un pouvait aider à trancher, on ne savait plus avancer, il fallait toujours que nous soyons tous les quatre d’accord. On n’écoutait personne. Donc plus personne ne nous parlait (rires)… Robin – Ces discussions ont contribué à la singularité de Louise. On ne pouvait pas juste laisser filer les choses, il fallait forcément en parler, la démarche était fondamentale pour ce groupe, juste après sa création. On ne pouvait même pas déléguer à notre manager parce que dans les faits, le manager, c’était nous. Là, notre manageuse s’implique dans la vision du groupe, ce qui aurait été impossible avant. Avez-vous parlé musique avant de revenir ensemble ? Gaëtan – Je me souviens qu’on parlait pas mal du dernier Arcade Fire. Ils avaient prouvé qu’on pouvait s’évader – sous la houlette d’un producteur comme James Murphy – tout en restant soi-même. Ça nous a confortés dans l’idée qu’il fallait qu’on soit maltraités par quelqu’un qui allait nous obliger à nous reposer des questions. J’étais sûr qu’il fallait injecter un corps étranger dans Louise. Sur le premier album, Gordon Gano (Violent Femmes) ne s’était pas immiscé dans le travail sur le son ou la matière, il s’occupait plutôt de la structure ou de la vitesse d’un morceau. Mark Plati, sur le troisième album, s’est déjà plus impliqué dans ces domaines. Là, nous avons accueilli en notre sein un jeune génie anglais, Oliver Som, que j’avais croisé lors de sessions d’écriture. J’ai été tout de suite sensible à son son, sa musicalité. Il a 24 ans, il n’a pas les mêmes références, il ne sait pas qui est Faye Dunaway… Robin – Son travail reste assez mystérieux pour nous, on le laisse appliquer sa patte. Gaëtan – On reste à l’affût de nouveaux sons. Là, je viens de prendre une claque avec Young Fathers, tout semble possible chez eux, ils donnent envie. Arnaud – Quand nous étions dans les Alpilles, que je réfléchissais à une nouvelle utilisation des violons, un album suggéré par Rachida Brakni a beaucoup compté : The World Is Yours de Ian Brown. Dans les mouvements de cordes, les traits de violon, ça a été un déclic. Comme quand j’écoute Nick Drake. Avez-vous profité de ce changement d’architecture du groupe pour modifier votre regard sur votre propre instrument ? Gaëtan – Il y avait la volonté de faire autrement. Les changements n’ont fait qu’orienter ou accentuer ce désir, qui était peut-être freiné par l’architecture justement. On a tenté de faire ce qu’on ne savait a priori pas faire.

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“toutes nos escapades solo, même les plus éloignées, ont nourri le nouvel album” Robin Feix Arnaud – Quand Robin et Gaëtan ont commencé à expérimenter de leur côté, je voyais bien qu’il se passait un truc qui m’échappait. Au nom de vieux réflexes, je tentais d’utiliser comme dans le passé le violon en contre-chant, mais on s’est vite dit : “On l’a déjà fait.” Ça gênait même parfois le chant. J’étais à la fois paumé et ravi qu’ils me poussent à tenter autre chose. On aurait pu se laisser piéger par l’habitude, le savoir-faire. Robin – On avait envie de naviguer entre ce qui est vraiment nous et ce qui pourrait être nous, avec les angoisses que ça implique. Du coup, on a retrouvé des sensations qu’on n’avait plus ressenties depuis le premier album. Comment avez-vous vécu les expériences solo des uns et des autres ? Arnaud – Très bien. Comme on étouffait au sein de Louise Attaque, on avait besoin de ne plus être ensemble constamment. On a tous fait des choses de notre côté, qui étaient peut-être enfouies en nous, avec plus ou moins de succès. Mais ce n’est pas ce qui compte : l’important était de continuer à exprimer des choses. Du coup, on n’a jamais été en compétition, on était même ravis de constater que chacun pouvait exister en dehors de Louise. Gaëtan – On n’a pas pillé le tronc de Louise, chaque projet parallèle avait sa propre identité. J’ai envie de faire d’autres albums solo, Louise nous nourrit pour ça. Il y a dix ans, on n’aurait jamais pu avoir cette discussion. Et ce n’est pas parce qu’on s’aime moins : on s’aime plus. Robin – Entre-temps, on a appris plein de trucs qu’on offre aujourd’hui au groupe. Toutes nos escapades solo, même les plus éloignées, ont nourri le nouvel album. Ne serait-ce qu’au niveau technique. On découvre chez les autres de nouvelles aptitudes, de nouvelles façons de travailler. Gaëtan – On s’est nettement détendus à ce niveau-là. On en était arrivés à un point où on n’osait plus proposer de nouvelles idées, on avait tous perdu confiance. J’étais lessivé, à ce niveau-là, au moment de la pause il y a dix ans. Aujourd’hui, on n’hésite plus à se proposer des idées, il n’y a plus de retenue, de peurs. Arnaud – Sur toutes les propositions, c’est enfin “oui” ou “non”. On avait perdu cette franchise. Il y avait plein de codes, de non-dits. On arrivait toujours à la fin à l’objectif mais le processus était long et sinueux. Vous gagnez une puissance sonique étonnante sur le nouvel album. A quel point a-t-il bénéficié de la technologie ? Arnaud – Ce sont les chansons, et notamment les refrains, qui ont commandé ce traitement, qui leur permet de s’envoler. Oliver maîtrise ce genre de sons, qui appartiennent à sa génération. On sentait parfois une atmosphère dès la composition, on tentait de la sublimer avec notre technologie à nous.

Puis Oliver reconstruisait le tout, donnant plus d’ampleur à nos tentatives. Gaëtan – On n’avait encore jamais croisé cette approche par la puissance, ça ouvre des possibilités, ça me force à me poser des questions : “Comment chanter ça ?” On va loin, on revient, c’est passionnant. Robin – Cette approche nouvelle du son prépare les chansons à la scène. Dès l’écriture, on avait en tête cette emphase. Gaëtan – Du coup, on va sans doute partir à cinq en tournée et bouleverser une fois encore notre architecture. Il faudra quelqu’un pour gérer les claviers, les programmations, quelques guitares, des chœurs… On verra alors comment les anciens morceaux vont évoluer. Vous savez où vous en êtes, dans la scène de 2015 ? Gaëtan – Retrouvons-nous en fin de tournée, dans un an et demi. Là, on n’en sait rien. On a fait l’album, on a envie de le jouer sur scène. C’est tout ce qu’on voit. Vous redoutez de reprendre la route pendant des mois ? Gaëtan – Les seuls aspects pesants, c’est la bouffe et l’attente. Mais si on fait de la musique, c’est systématiquement pour la partager sur scène. Les deux heures de concert te font accepter n’importe quoi. Vous croyez au mythe de l’inspiration ? Robin – Oui, c’est le point de départ. Ça commence par rien puis il y a la vie, le souffle. Et en dernier ressort intervient le travail. J’adore m’immerger dans le rien, quand on est éponge, que tout peut devenir inspiration. Arnaud – Sans rire : regarder les fleurs dans le jardin peut provoquer des chansons. Gaëtan – Moi, c’est en regardant le foot (rires)… Les Alpilles, Londres, Brighton, Berlin, Paris : cette succession de studios pour le nouvel album peut ressembler à une fuite en avant… Gaëtan – C’était juste ludique, des chances à saisir. On s’est mis dans des situations où on pouvait se mettre en porte-à-faux sans que ce soit un gros risque. A Londres, le studio était minuscule, il fallait des moufles pour jouer tellement il faisait froid… On s’est déplacés partout avec notre petit matériel, on n’est pas des fous furieux du son. Et puis il y avait le plaisir d’être ailleurs ensemble, de flâner. Votre premier album reste l’album de rock français le plus vendu de tous les temps, avec plus de trois millions d’exemplaires… Gaëtan – C’était au siècle dernier. Ça nous a portés, même dans des moments délicats, ça nous a permis de prendre notre temps. Grâce à cet argent, on a pu continuer, faire ce qu’on voulait. C’est un passeport depuis vingt ans. en tournée à partir du 27 février 2016, du 1er au 3 juin à Paris (Cigale)

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over the rainbow Après cinq ans de silence, Joanna Newsom est de retour. Divers, son quatrième album, visite la drôle de cervelle de l’Américaine, qui a mangé un arc-en-ciel. par Stéphane Deschamps

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ans le livret du nouvel album de Joanna Newsom, il y a ces photos de la chanteuse avec un perroquet sur le bras. “Il s’appelle Poivre, il était sympa, il me mordillait l’oreille pendant la session. Le perroquet est pour moi l’incarnation animale d’un arc-en-ciel, comme s’il en avait absorbé un.” Ce perroquet était peut-être celui du magicien d’Oz, revenu de derrière l’arc-en-ciel pour répéter à l’oreille de Joanna Newsom quelques secrets musicaux séculaires. C’est en tout cas l’effet que nous fait ce disque, Divers, le quatrième de Joanna Newsom. Pas si différent des précédents : construites sur la harpe et les instruments d’orchestre, des chansons-vaisseaux pour dilater l’espace-temps et voyager à la rencontre de mondes enchantés, là où d’antiques folklores se fondent dans la musique classique, en gros. Pour qui aurait raté le début, des faits : Joanna Newsom est apparue dans la première moitié des années 2000, avec cette sarabande de néo-bohémiens américains regroupés un peu vite sous l’étiquette musicale freak-folk. On comptait notamment dans ses rangs Devendra Banhart, Vetiver, CocoRosie, Alela Diane (elle aussi originaire de Nevada City, au nord de San Francisco). En raison de sa voix couinante d’elfe qui se serait coincé une aile dans la porte de l’espace-temps et de son instrument insolite (la harpe), Joanna Newsom passait pour la plus freak de tous. En vérité, elle était peut-être la mieux éduquée, la plus sage et la plus jouvencelle. “On a cru que je faisais un truc volontairement étrange, un peu punk. Je ne m’attendais pas à ça. J’ai commencé à chanter tard, vers 20 ans, c’était un monde nouveau pour moi, je n’étais pas

exercée et j’écoutais très peu de disques. Ce qui sortait quand j’ai commencé à chanter, je croyais que ça sonnait bien, je pensais chanter comme Mariah Carey. Kate Bush, Joni Mitchell, Karen Dalton, Vashti Bunyan, je ne les ai découvertes qu’après avoir fait mon premier disque, parce que les gens me comparaient à elles.” Joanna Newsom ne sortait pas d’un vieux combi VW de hippies enfumés mais du conservatoire, de la musique classique et contemporaine. “Depuis l’âge de 8 ans, j’ai voulu être compositrice comme Philip Glass, et harpiste dans un orchestre. Puis, quand j’étais étudiante, j’ai réalisé que toutes mes compositions ressemblaient à des chansons plus qu’à de la musique classique. C’est là que j’ai commencé à chanter.” Et à enchanter, à dérouler une discographie exigeante et mystérieuse, poussée par une vision plutôt que par l’air du temps. “Je me sens libre parce que j’ai la chance de savoir ce que j’aime vraiment depuis l’enfance. Si tu sais ce que tu aimes, tu as déjà fait la moitié du chemin. Et j’ai toujours su ce que je devais faire pour aboutir à la musique que j’entendais dans ma tête. C’était un chemin sûr, bien que long.” Joanna Newsom a aussi eu la chance,

“je me suis sentie plus inspirée que jamais, presque possédée”

depuis le début, de voir son chemin pavé (de bonnes intentions) par le label Drag City, qui depuis vingt-cinq ans héberge le meilleur rock américain des marges. “Après mon premier album, j’ai eu des propositions sérieuses d’autres labels mais ils ont arrêté, parce qu’ils ont dû comprendre que je ne quitterais jamais Drag City. Ce sont mes amis, ils me font confiance, ils ont toujours facilité et rendu possibles mes envies artistiques. Après mon premier album, ils m’ont laissé enregistrer un disque orchestré de cinq très longues chansons. Ils m’ont donné les moyens de travailler cinq ans sur le nouvel album, sans me poser de questions.” Pour qui douterait du pouvoir de Joanna Newsom : elle a enregistré une bonne partie de Divers à l’ancienne, sur bandes analogiques, avec le fidèle et fameux Steve Albini. Elle a réussi à faire sortir l’ermite de son studio de Chicago, pour travailler avec elle à L. A. “Il m’a fait une faveur, parce qu’on s’aime beaucoup.” Joanna Newsom a donc passé cinq ans sur Divers – avec une escapade notable, pour participer au film Inherent Vice de Paul Thomas Anderson. Elle a pris deux ou trois ans pour l’écriture et les arrangements. Six mois pour le mix. Elle a refait le mastering onze fois. Le résultat est un péplum minutieux, élégiaque et cristallin, qui fait chanter les arcs-en-ciel. “Cet album, ça a été une immersion, un engagement. Je me suis sentie plus inspirée que jamais, presque possédée pendant l’écriture. J’ai senti le disque avant qu’il n’arrive, en composant les chansons comme si je me souvenais d’elles. Et c’est comme ça que je savais qu’elles étaient terminées : quand elles sonnaient comme dans mon souvenir.” album Divers (Drag City/Modulor) concert le 8 novembre à Paris (Salle Gaveau)

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Etats-Unis : le nouveau black power C’est parti d’un hashtag que se sont accaparé les sympathisants de la cause noire aux USA. Le mouvement Black Lives Matter, encore peu organisé, rappelle pourtant par son ampleur l’activisme des années 60-70. par Maxime Robin

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u départ, une sensation de nausée. Un soir de juillet 2013, au comptoir d’un bar d’Oakland, Alicia Garza regarde les infos avec deux amies et encaisse le dénouement d’une affaire qui a mis l’Amérique en émoi : George Zimmerman, le meurtrier de Trayvon Martin, un ado noir de 17 ans sorti acheter des Skittles, est acquitté par un jury presque entièrement composé de femmes blanches (cinq jurées sur six).

Peu après le meurtre, Barack Obama déclarait que, s’il avait un fils, “il ressemblerait à Trayvon”. Trentenaire impliquée dans la défense des travailleuses à domicile en Californie, comme les infirmières ou les femmes de ménage, Alicia Garza rédige sous le coup de l’émotion une note sur Facebook, qu’elle conclut par ces mots : “Black people. I love you. I love us. Our lives matter” (“Peuple noir. Je vous aime. Je nous aime. Nos vies comptent.”). Une de ses amies, Patrisse Cullors, contracte la formule, terminant chacun de ses posts avec

le désormais fameux #blacklivesmatter. Trois mots qui sonnent comme un cri de manif, un cri de détresse et de révolte. Le hashtag est d’abord utilisé par une poignée d’activistes, puis relayé par des centaines de milliers de gens, impliqués ou non sur le terrain. Avec la succession de bavures policières depuis l’affaire Zimmerman, “Black lives matter” devient l’un des slogans les plus puissants aux Etats-Unis depuis le “Black power”, il y a près de cinquante ans. Il accompagne les retweets d’articles, vidéos, photos de manifs et de sit-ins. Le climax est

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atteint lors des émeutes de Ferguson, en août 2014, quand les activistes l’utilisent pour twitter l’heure et l’endroit des rassemblements. De slogan, Black Lives Matter mue en mouvement. Les bavures policières se suivent et se ressemblent. Chaque affaire traîne en longueur et chaque atermoiement des tribunaux locaux replonge le couteau dans la plaie pour les citoyens noirs du pays, qui ont le sentiment d’être pris pour cible. L’actu du moment est particulièrement déprimante.

Dans l’Ohio en novembre 2014, Tamir Rice, un enfant de 12 ans, est abattu par un policier dans un parc de Cleveland (le gamin tenait dans la main un pistolet en plastique). Il y a quelques jours, lors de l’audience préliminaire du policier, deux experts de l’équipe du procureur ont déclaré que la mort du petit garçon était “regrettable” mais que l’action du policier était “raisonnable”. Un jury populaire doit maintenant décider si l’officier fera l’objet de poursuites. Il y a aussi les suites de l’affaire Freddie Gray, dont la mort en détention

Mark Peterson/Redux/RÉA

“Pas de justice pour Trayvon Martin, pas de paix”. Manifestation à New York, le 14 juillet 2013, après l’acquittement du policier qui a abattu l’adolescent

à Baltimore est la conséquence directe des violences policières dont il a été l’objet. Ce décès a déclenché en avril plusieurs jours de manifestation et d’émeutes. Cinq des six officiers inculpés, notamment pour meurtre, estiment que leur déposition faite le jour de la mort de Gray doit être invalidée, car recueillie dans de mauvaises conditions. Le procès est prévu le 30 novembre. Des dizaines d’autres affaires, bien qu’elles aussi documentées par des enregistrements vidéo, n’ont pas bénéficié d’un tel écho. 21.10.2015 les inrockuptibles 51

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Yana PaskovA/The New York Times/Redux/REA

Marche contre les violences policières à New York le 13 décembre 2014. Des manifestants arborent les portraits de trois victimes : Michael Brown, Eric Garner et Tamir Rice

Pour Sheetal Dhir, de l’American Civil Liberties Union, une ONG qui milite pour les libertés civiles et travaille avec Black Lives Matter, le destin médiatique d’une affaire est lié en partie à la position de la famille du mort. “Si elle est influente, si le défunt est diplômé, leur cause a plus de chance d’être entendue.” L’impitoyable cycle des news est aussi responsable. “Si les chaînes n’ont rien à se mettre sous la dent quand la bavure se produit, elle sera mieux diffusée. C’est triste, mais c’est comme ça.” Sheetal sait de quoi elle parle : elle a été productrice pour Al Jazeera et ABC News avant de rejoindre le monde associatif. Combien de Noirs non-armés morts sous les balles de la police aux EtatsUnis cette année ? Y en a-t-il plus ou moins qu’avant ? Il n’y a pas de réponse précise à ces questions, faute de statistiques. “Le millefeuille des polices (municipale, d’Etat, FBI… – ndlr) rend la comptabilité difficile, embraye Sheetal, et en l’absence de témoins, il est facile pour la police de maquiller un rapport.” L’esprit de corps est aussi une qualité de base de la police : on ne balance pas un collègue. Sites et journaux regroupent les infos à la louche. Counted, un blog du Guardian.us, recense, au 15 octobre,

901 Américains tués par la police. Parmi eux, 64 Noirs non-armés. Le Washington Post en recense, pour sa part, 769 dont 28 Noirs non-armés. Une disparité qui s’explique par la difficulté à recouper ce genre d’informations : la généralisation de la vidéo sur les téléphones portables a certes changé la donne mais l’outil n’est pas infaillible (angle, qualité ou luminosité). Enfin, le meurtre de Trayvon Martin ne serait pas pris en compte dans ces statistiques car George Zimmerman n’était pas policier, mais vigile dans un lotissement. Les policiers morts en exercice sont, quant à eux, comptabilisés depuis longtemps, et les chiffres sont en hausse. Selon le FBI, le nombre de policiers morts dans des attaques (felonious kills) a grimpé de 89 % entre 2013 à 2014, passant de 27 à 51 victimes. Depuis les émeutes de Ferguson et Baltimore, Black Lives Matters est un mouvement citoyen multiforme et turbulent, fort de centaines de milliers de personnes qui retwittent vidéos et dernières informations en matière d’injustice raciale. Le mouvement ne lâche plus d’une semelle l’Amérique du statu quo et s’attaque aux problèmes raciaux au-delà de la violence policière : inégalité sur le marché du travail, discrimination, incarcération de masse,

entraves au droit de vote… Dans le sillage des émeutes de Baltimore, le New York Times Magazine brosse le portrait d’un tandem d’activistes, DeRay McKesson et Johnetta Elzie, et qualifie BLM de “plus grand mouvement de protestation du XXIe siècle”. Héritier de Martin Luther King ? La formule est tentante. Les activistes les plus impliqués s’inspirent des grandes figures du Mouvement des droits civiques, dont ils connaissent les discours par cœur. Mais le costume taille trop grand. “C’est comme au basket, quand les gens veulent trouver le nouveau Michael Jordan. Ça ne sert à rien, analyse Everette Taylor, 25 ans, élégant tech-entrepreneur de la Côte Ouest et supporter de la cause. Il n’y aura pas d’autre Michael Jordan. Il faut apprécier les joueurs d’aujourd’hui pour ce qu’ils sont. Le Mouvement des droits civiques a engendré des changements jamais vus aux Etats-Unis. Pour Black Lives Matter, il est trop tôt pour le dire. On les suit avec beaucoup de passion mais il n’a encore rien changé.” Pour sa part, Everette est impliqué dans Code2040 (année au cours de laquelle on estime que les gens de couleur seront majoritaires aux Etats-Unis – ndlr), une organisation qui facilite l’accès des Noirs et des Latinos à des

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“les manifs, les followers, c’est bien. Mais il faut vite définir un plan pour qu’on obtienne des résultats” Everette Taylor, sympathisant emplois d’ingénieurs dans la Silicon Valley : un monde privilégié, traditionnellement blanc et masculin. Mais Black Lives Matter accuse une faiblesse liée au support qui l’a vu naître : sur Twitter règne un brouhaha déstructuré. “Les médias sociaux créent une culture de l’instant, une attention virale mais très courte et une atmosphère d’empathie de pacotille, analyse Taylor. Les supporters sont réactifs le temps d’un retweet et retournent à leurs affaires une fois la colère passée. La force du mouvement est aussi sa faiblesse. Les leaders doivent utiliser les étincelles de l’indignation pour interpeller les législateurs, s’entendre sur une stratégie. Les manifs, les followers, c’est bien. Mais il faut vite définir un plan pour qu’on obtienne des résultats en termes de lois.” L’influence de Black Lives Matter dans le débat quotidien a pris une réelle ampleur : on a rarement autant parlé d’injustice raciale dans les médias américains. Le hic, c’est la stratégie de communication. Entre les créatrices du hashtag basées en Californie et le groupe de Ferguson, les sensibilités diffèrent. Aujourd’hui, c’est le groupe de Ferguson, soudé autour de DeRay McKesson, un instituteur gay de 30 ans, reconnaissable à sa doudoune sans manches bleue, qui semble assumer le rôle de courroie de transmission avec les médias mainstream et les politiques. Il a notamment décroché une rencontre avec Hillary Clinton en tête à tête très récemment. Clinton n’est pas une alliée naturelle de Black Lives Matter, même si le capital sympathie de Bill Clinton chez les Afro-Américains a toujours été élevé. C’est sous Bill Clinton que les lois carcérales les plus répressives ont été votées aux Etats-Unis, accélérant la tendance qui donne aujourd’hui à l’Amérique l’air d’un pénitencier pour citoyens de couleur. Hillary a donné des gages lors de l’entretien, qualifiant le racisme

de “pêché originel” des Etats-Unis. Elle a aussi reconnu que son mari avait “commis des erreurs” et réclamé un “vrai débat national” pour mettre fin à “l’emprisonnement de masse”. Clinton et l’appareil démocrate surveillent le mouvement comme le lait sur le feu, des activistes ayant également interrompu en août dernier à Seattle le meeting d’un autre candidat à l’investiture, Bernie Sanders. En effet, si l’électorat noir ne se déplace pas dans les urnes, le risque est de perdre des Etats indécis, comme l’Ohio. Un scénario cauchemar. Il faut donc donner des gages à la cause, tout en restant assez vague sur les promesses. Ces avancées sont autant de petites victoires, qui confèrent au mouvement sérieux et légitimité. Elles l’éloignent du danger permanent d’être dévoyé par des exaltés qui utilisent le hashtag pour des messages haineux sans réfléchir aux conséquences. Le 3 septembre, un homme de 20 ans a été arrêté dans le Maryland pour avoir twitté : “Ce soir, c’est la purge à La Plata (sa ville de résidence – ndlr). Tuez tous les Blancs.” De même, sur le terrain, une poignée d’activistes a défilé le week-end du 10 octobre à Washington avec le Nation of Islam de Louis Farrakhan. Farrakhan, vieux croquemitaine de la lutte raciale de 82 ans, est partisan d’une ségrégation à l’envers, anti-gay, antiavortement et antisémite. S’associer avec lui, c’est pain bénit pour l’opinion républicaine, qui qualifie le mouvement de hate group. Avec de tels amis, Black Lives Matter n’a pas besoin d’ennemis. “Beaucoup de gens utilisent le hashtag sans comprendre le mouvement, regrette Everette, et nos adversaires utilisent ces moments de faiblesse. C’est une chose d’être agressif, parce que la réalité est agressive et beaucoup de gens dans ce pays ne veulent pas voir la réalité en face. Je voudrais que les gens prennent le temps de comprendre le message, pour le diffuser de manière positive.” 21.10.2015 les inrockuptibles 53

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movie driver

En rétrospective et en exposition à la Cinémathèque française, Martin Scorsese a fait le déplacement à Paris pour une masterclass. Classe. par Serge Kaganski

retrouvez en kiosque notre hors-série Scorsese, la passion cinéma

de la visite : la famille, New York, les influences… A travers ces chapitres sont déclinés les thèmes et motifs scorsésiens que sont la fraternité, les relations compliquées avec les femmes, la violence, le sacrifice, le corps tour à tour déifié, abîmé, glorifié, scarifié, l’histoire des Etats-Unis à travers ses évolutions sociologiques urbaines, le rapport à la loi (celle du pays ou de la tribu), l’ambition démiurgique et la chute. Au fil de ce riche et dense parcours, à côté des passages obligés et néanmoins attendus (comme la célébrissime scène de Taxi Driver où De Niro-Travis Bickle parle à son reflet dans un miroir), émergent quelques détails inédits. Comme le tout premier storyboard du jeune Marty, où l’enfant de 12 ans qu’il est dessine déjà une superproduction péplum dans laquelle évoluent des guerriers en costumes, où s’affirme son désir de composer des plans, de caster des acteurs immenses (Marlon Brando ou George Raft figurent au générique), voire de fonder son propre studio intitulé Marsco. L’ambition hollywoodienne habitait donc Scorsese dès l’aube de son adolescence. Egalement remarquable, cette page de dialogue de Paul Schrader pour La Dernière Tentation du Christ qui établit un lien évident entre le corps et l’esprit, mais où Scorsese note dans la marge : “pas si sûr de ça”. Mercredi 14 octobre, l’expo était sanctifiée par la présence du maestro, qui a enchanté les spectateurs d’une salle Henri-Langlois remplie jusqu’aux cintres. Un Scorsese en forme, toujours vif, clair, vigoureux et charismatique dans son expression orale, a raconté son enfance sans livres à Little Italy, au milieu des gangsters et des clochards terrifiants du Bowery, trouvant dans les films une bouée de sauvetage et l’aperçu vers un autre monde possible, que le cinéaste a fini par découvrir à la fac de cinéma, “à six blocs de chez moi”. Il a ensuite livré son tiraillement permanent de cinéaste entre la

démesure hollywoodienne et l’école indé new-yorkaise de Cassavetes. “J’ai essayé de faire des films hollywoodiens comme ceux que j’avais admirés enfant, mais je n’y suis jamais parvenu, c’était toujours trop sombre, ça ne convenait jamais aux désirs des patrons des studios. Même quand j’ai fait Les Infiltrés, ils n’étaient pas satisfaits. J’ai dû me rendre compte à un moment que je n’étais pas fait pour ça, que j’étais fondamentalement un cinéaste indépendant new-yorkais.” Pourtant, Scorsese a débuté aux côtés des De Palma, Coppola and co, au sein du Nouvel Hollywood. “Oui, on nous appelait les sales gosses du cinéma, mais j’étais associé à cette bande sans en faire vraiment partie, j’étais fondamentalement un prolo new-yorkais. Quand la génération transitionnelle entre le vieux système et la nouvelle époque, celle des William Friedkin, Dennis Hopper, Bob Rafelson, a commencé à connaître l’échec, on a senti un appel d’air dans lequel on s’est engouffré. Quand on a senti l’odeur du sang, on a bondi comme des voraces”, explique-t-il cruellement mais avec humour et distanciation. A la fin de la rencontre, Scorsese s’est livré à un minibilan de sa carrière et à un étonnant accès de modestie venant de l’auteur de Raging Bull, Casino, Le Temps de l’innocence, Aviator, Hugo Cabret ou Le Loup de Wall Street : “Quand je vois tous les films que j’ai réalisés, j’ai parfois du mal à y croire, considérant d’où je viens. En même temps, je ne suis pas arrivé à la hauteur de ceux que j’admirais, les Ford, Hawks, Hitchcock… Je réalise qu’il faut savoir accepter ce qu’on est, avec ses limites, et qu’on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.” De la part d’un type admiré et célébré dans le monde entier, récompensé par les plus grandes institutions, ça fait tout drôle. Tsss, tsss, Marty, c’est à nous que tu parles comme ça ? Hein ?, c’est à nous que tu parles ? exposition et intégrale Martin Scorsese jusqu’au 14 février à la Cinémathèque française, Paris XIIe, cinematheque.fr

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n cet automne, la France est scorsésienne. L’auteur de Casino recevait le week-end dernier, à Lyon, le prix Lumière. Et vous pouvez revoir ses films sur Arte, ou sur grand écran à la Cinémathèque française, à Paris. Où une superbe expo lui est d’ailleurs consacrée, composée d’images et de sons (extraits de films, photos, affiches, storyboards, BO, extraits de dialogues, entretiens avec Scorsese qui donnent le plaisir d’entendre sa voix et son phrasé si revigorants), de quelques écrits (scénarios annotés, correspondances…) et fort heureusement de très peu d’objets (pour ceux que ça intéresse, la table de la salle à manger familiale, des photos de famille, une réplique kitsch de La Joconde…). Matthieu Orléan, collaborateur artistique à la Cinémathèque, chargé des expositions temporaires, a poussé les options des commissaires allemands de l’expo originelle vers le cinéma plutôt que vers le fétichisme un peu étroit des produits dérivés et on l’en félicite. L’entrée dans l’expo inscrit d’emblée cette signature scopique, avec une pièce sombre garnie d’un quadruple écran où coexistent quelques figures essentielles du Scorseseland prélevées dans divers films : crucifixions, corridors étroits, travellings avant… Et ce sont encore des extraits de films qui font office de bornes d’entrée dans les grands segments

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Sur le tournage de Taxi Driver (1976)

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et la femme créa le gonzo Si les hommes brillent au royaume du “nouveau journalisme”, c’est pourtant une femme, Nellie Bly, qui en a inventé la pratique au XIXe siècle. Ses héritières injustement méconnues, de la reporter de guerre Martha Gellhorn à la journaliste Adrian Nicole LeBlanc, sont à découvrir absolument. par Nelly Kaprièlian en français de son récit le plus culte, 10 jours dans un asile, qu’on doit aux Editions du Sous-Sol. L’éditeur et écrivain Adrien Bosc, 29 ans, a justement fondé cette maison en 2011 dans le but de traduire ces textes trop méconnus du journalisme narratif, dans sa revue Feuilleton ainsi que sous forme de livres – son catalogue comprend les textes du grand Gay Talese, l’auteur de Ton père honoreras, une plongée dans une famille de la mafia new-yorkaise. Ce serait donc une femme qui aurait enfanté les plumes les plus testostéronnées du journalisme américain. Trop longtemps ignorée en France, Nellie Bly reste une figure culte en Amérique, au point d’avoir fait l’objet d’une comédie musicale en 1946, d’un téléfilm en 1981, de la création d’un timbre à son effigie. Last but not least, son 10 jours dans un asile serait en cours d’adaptation au cinéma. Parmi les faits d’armes qui l’ont imposée comme une héroïne du journalisme, on compte son tour du monde en soixante-douze jours, commencé le 14 novembre 1889, pour battre Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne. Le romancier viendra même la féliciter lors d’une des étapes de son voyage. Ce Tour du monde en 72 jours sera publié au Sous-Sol fin mars 2016 (un autre de ses textes, Six mois à Mexico, suivra en octobre). Nellie Bly est alors la première femme à effectuer le tour du monde sans être accompagnée par un homme, et c’est d’ailleurs à sa fibre féministe qu’elle devra de commencer à écrire dans la presse.

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’est le journaliste Bill Cardoso qui a inventé le terme “gonzo journalism” dans les années 1960, pour désigner ce journalisme subjectif, écrit à la première personne et souvent pratiqué undercover, dont la plus éclatante incarnation aura été Hunter S. Thompson. Ce dernier se fit en effet passer pendant une année pour un motard afin d’infiltrer les Hell’s Angels de Los Angeles, partager leur vie et tirer un livre de son expérience. Hell’s Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs paraît en 1966, la même année que De sang-froid de Truman Capote, qui restera comme l’emblème littéraire de ce qu’on nomme, dans l’édition, la “narrative non-fiction”. Dès les années 1970, le gonzo-journalisme se rebaptise le “nouveau journalisme” et s’illustre par d’autres plumes, de Tom Wolfe à Norman Mailer, tout en faisant des émules du côté de la critique rock, de Lester Bangs à Nick Kent et, en France, Patrick Eudeline, Philippe Manœuvre et Alain Pacadis, pour n’en citer que quelques-uns. “Le reportage gonzo allie la plume d’un maître-reporter, le talent d’un photographe de renom et les couilles en bronze d’un acteur”, disait Thompson. Des couilles, en chair d’abord, c’est ce qu’il faudrait avoir, semble-t-il, pour briller au royaume gonzo. C’est pourtant une très jeune femme, Nellie Bly, qui inventa cette pratique au XIXe siècle. C’est ce qu’on découvre aujourd’hui grâce à la première traduction

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Nellie Bly vers 1890

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Née Elizabeth Jane Cochran en 1864 en Pennsylvanie, Etats-Unis, celle que son milieu familial destine à devenir gouvernante se rend à Pittsburgh à 16 ans pour y trouver un emploi. Elle envoie un jour une lettre virulente au directeur du Pittsburgh Dispatch pour protester contre un article misogyne. Le journal l’engage, son directeur lui donne le pseudo de Nellie Bly, et elle commencera une série de reportages en milieu ouvrier, travaillant elle-même en usine pour mieux révéler, et dénoncer de l’intérieur, les conditions de travail atroces imposées aux ouvrières. A cause de pressions exercées sur le journal par des industriels, Bly se retrouve cantonnée aux rubriques théâtrales, et met vite le cap sur New York, où Joseph Pulitzer, qui dirige le New York World, lui promet de l’engager si elle parvient à infiltrer un asile de fous pour femmes, le Blackwell’s Island Hospital. Le récit qu’elle en tire est édifiant et alertera autant l’opinion publique que le gouvernement, qui prendra des mesures pour améliorer les conditions d’internement des malades mentaux. Car c’est un enfer que décrit Bly, qui se retrouvera internée au même titre que d’autres femmes, pas plus folles qu’elle, mais qui n’ont plus le sou, ou dont la famille a cherché à se débarrasser. Gardées par des infirmières sadiques qui les frappent régulièrement (quand elles ne tentent pas de les étrangler), les “malades” sont enfermées dans une bâtisse sans chauffage, soumises aux courants d’air glacés en simple chemise de nuit, prennent le même bain d’eau froide, tombent gravement malades sans être soignées et finissent dans un état alarmant d’anémie dû à la nourriture avariée. Mais la qualité de 10 jours dans un asile tient aussi beaucoup au ton acide, à l’humour décapant et à la capacité d’étonnement d’une Nellie Bly qui n’a alors que 23 ans. Dès les premières pages, la voilà qui répète son rôle de folle devant son miroir : “(…) Ayant lu en divers endroits que l’on reconnaissait un fou à ses yeux hébétés, j’ouvris grand les miens et étudiai un moment mon reflet sans cligner les paupières. Je peux vous assurer que ce spectacle aurait donné la chair de poule à n’importe qui, a fortiori au milieu de la nuit. Pour me rassurer, j’augmentai la flamme du bec de gaz.” Forte de son regard “hébété”, elle commence son reportage en passant une nuit dans un hôtel pour femmes, où elle feint la folie. Au petit matin,

John D. & Catherine T. MacArthur Foundation

c’est à sa fibre féministe que Nellie Bly devra d’écrire dans la presse

la tenancière alerte la police, qui l’emmène consulter un psychiatre ; en quelques minutes, celui-ci la déclare folle et l’envoie à l’asile. Les psychiatres du lieu ne seront pas plus compétents : Nellie Bly finira par leur avouer qu’elle n’est pas folle mais aucun de l’écoutera, mettant ça sur le compte des tours que lui joue son cerveau. “Je conseille à ces mêmes experts qui m’ont envoyée à l’asile – une décision qui a prouvé leur valeur – d’enfermer n’importe quelle femme en bonne santé et saine d’esprit, de la forcer à rester assise sur des bancs à dossier droit de six heures du matin à huit heures du soir, de la priver de lecture et d’accès au monde extérieur, de lui donner pour toute récompense des coups et une nourriture infecte, et de voir combien de temps cela prendra pour qu’elle devienne folle. Deux mois de ces mauvais traitements suffiraient à la transformer en loque humaine.”

Adrian Nicole LeBlanc est, aux EtatsUnis, l’une des chefs de file du “nouveau nouveau journalisme”

Les articles de Nellie Bly ne changeront pas seulement la face de la psychiatrie aux Etats-Unis : ils ouvriront les portes du journalisme à plusieurs générations de femmes. Comme la féministe Gloria Steinem, qui se fit passer en 1963 pour une Bunny dans l’un des bars de Hugh Hefner, le magnat de Playboy, et en fera un long récit, A Bunny’s Tale, enfin traduit en français, sous le titre Dans la peau d’une Bunny, dans la revue Feuilleton. Avant elle, on retrouve la trace du style de Bly dans les articles,

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Topfoto/Roger-Viollet

Martha Gellhorn, l’une des premières femmes reporter de guerre (ici en 1963). Elle couvrit la guerre civile en Espagne, de 1936 à 1939, et celle de 39-45. Elle fut l’épouse d’Hemingway

écrits à la première personne du singulier, de l’une des premières femmes reporters de guerre, Martha Gellhorn, dont les textes sortent ces jours-ci rassemblés en un volume, La Guerre de face. Celle qui fut l’épouse d’Ernest Hemingway, et qui s’est rendue avec lui en Espagne pour écrire sur la guerre civile, n’arrêtera plus et couvrira toute la Seconde Guerre mondiale.

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Plus récemment, c’est la journaliste Adrian Nicole LeBlanc qui s’est imposée comme la meilleure héritière de Nellie Bly, avec Les Enfants du Bronx, sorti d’abord en 2002 et réédité aujourd’hui. Pendant dix ans, elle s’est immergée dans une famille du Bronx et raconte de l’intérieur le quotidien de la délinquance et des dealers, souvent depuis les femmes de la famille (toutes victimes d’abus sexuels durant l’enfance, mères à 15 ans et grands-mères à 30). Aux Etats-Unis, LeBlanc est devenue l’une des chefs de file de ce que l’on a appelé le “nouveau nouveau journalisme”, et ce n’est pas un hasard si son livre est une référence pour Florence Aubenas, qui signe la préface de sa réédition. Aubenas s’était fait passer pour une chômeuse en 2010 pour signer son puissant Le Quai de Ouistreham, et révéler de l’intérieur le quotidien de la France des laissés-pour-compte. Preuve que le journalisme inventé par Nellie Bly reste plus salutaire que jamais.   10 jours dans un asile de Nellie Bly (Editions du Sous-Sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen, 128 pages, 14 € La Guerre de face de Martha Gellhorn (Les Belles Lettres/ Mémoires de Guerre), traduit de l’anglais (Etats-Unis) et préfacé par Pierre Guglielmina, 502 pages, 23 € Les Enfants du Bronx d’Adrian Nicole LeBlanc (Editions de l’Olivier/Replay), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Frédérique Pressmann, 538 pages, 15,90 €

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son nom est Elba Révélé par la série The Wire, Idris Elba impose son charisme XXL dans le cinéma américain, des blockbusters (Avengers, bientôt Star Trek) aux films à oscars (Mandela). Impressionnant dans Beasts of No Nation, diffusé sur Netflix, il est pressenti pour incarner le prochain James Bond. par Romain Blondeau

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’est le sujet dont tout le monde parle. Le petit scandale qui agite les échotiers de l’industrie. Depuis la fin 2014, et la révélation par le site d’info américain The Daily Beast d’une conversation privée entre les exécutifs du studio Sony, Idris Elba est annoncé comme l’un des potentiels successeurs de Daniel Craig dans le costume de James Bond. Une rumeur qui a suscité un vif enthousiasme chez la fanbase de l’acteur, mais aussi provoqué des réactions pour le moins tendancieuses et réveillé l’éternel débat sur le vieux fond de racisme à Hollywood. Après les délires de Roger Moore, qui aurait expliqué au magazine Paris Match que seul un comédien  de type “anglais anglais” pouvait interpréter l’agent 007 (déclaration depuis démentie), l’écrivain britannique Anthony Horowitz poursuivait dans le glauque en affirmant récemment qu’Idris Elba était “trop street” pour prétendre au rôle. Face à cette polémique, l’acteur a fait le pari

de l’indifférence, voire du rejet catégorique : “Non, pas la peine d’insister, je ne parlerai pas de ce sujet. Qu’on me lâche avec James Bond !”, nous lance-t-il de sa voix tranchante, en marge de la promo de son dernier film, Beasts of No Nation, diffusé depuis le 16 octobre sur Netflix. “Tout ce que je pourrais dire sera mal interprété. C’est une question bien trop sensible pour l’instant…” Idris Elba préfère donc étouffer la controverse mais l’évidence est là : après plus de vingt ans passés sur les plateaux de tournage, il est le candidat idéal pour reprendre le flambeau de James Bond. Dans sa génération, celle des quadras abonnés au cinéma d’action, il n’y a pas un acteur plus puissant, plus magnétique, plus sexuel et dangereux que lui. Pas un type qui lui arrive à la cheville. “Se retrouver dans la même pièce que lui quand on est un homme, disons middle age, c’est le plus sûr moyen de se sentir invisible”, confiait au New York Times le scénariste Neil Cross, créateur de la série Luther. “Il transpire la force”, ajoutait le réalisateur Guillermo del Toro dans les colonnes du GQ américain. “Mais ce n’est pas

une force viriliste, autoritaire, qui cherche à s’imposer aux autres. C’est une force qui n’appartient qu’à lui.” Avec sa carrure intimidante, ses yeux noirs dévorants, sa voix caverneuse nimbée d’un léger accent East London et sa démarche de gangster flamboyant, ldris Elba est ainsi devenu en quelques rôles un peu plus qu’un simple acteur : une icône. L’une des dernières du cinéma américain. Son aura culte, le comédien ne la doit pourtant pas au grand écran mais à la télévision et à une série mythique : The Wire. Lorsqu’il se présente au casting de la création phare de David Simon, au début des années 2000, Idris Elba n’est encore qu’un jeune novice, tout juste débarqué de son Angleterre natale et aperçu aux génériques de quelques séries (Ultraviolet) et films oubliables (dont la comédie française Belle maman de 1999, où il incarne le toy boy sexy de Catherine Deneuve). “The Wire a été le gros tournant de ma carrière, rembobine l’acteur. J’ai traversé quelques années un peu compliquées, et là je me retrouvais impliqué dans un show qui allait révolutionner la télévision, en bouleversant les modes d’écriture, de production, de réalisation des séries.”

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Grant Harder/The New York Times/Redux/REA

A Vancouver, août 2015

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courtesy Netflix

Dans Beasts of No Nation, Idris Elba incarne un rebelle sanguinaire

Pendant trois saisons, de 2002 à 2004, Idris Elba campe ainsi le fameux personnage de Stringer Bell, un baron de la dope de Baltimore tour à tour séduisant et dangereux, grâce auquel il impose son charisme et son flow hors norme. Mais la fin de la série replonge l’acteur dans une période de doutes : “Qu’est-ce que je pouvais faire après ça ? Rejouer un gangster ? Rester dans le même registre au risque de m’enfermer dans un style ? Je me suis posé pas mal de questions, j’ai hésité avant de me relancer dans ce business”, se souvient-il. Il trouve la solution en repassant par la case télé, grâce à une nouvelle série qui va définitivement propulser sa carrière : Luther. Dans cet excellent cop show diffusé dès 2010 sur BBC One, l’acteur se fait plus dense et étoffe son jeu à travers son personnage de flic cramé qu’il investit avec une fougue et une classe inouïes. Succès public et critique, qui lui vaut un Golden Globe en 2012, la série réinvente Idris Elba en icône héroïque et attire l’attention des studios hollywoodiens, qui lui déroulent le tapis rouge. Dans les franchises friquées de Marvel (Thor, Avengers), dans Prometheus de Ridley Scott et plus encore dans Pacific Rim de Guillermo del Toro, où il campe un maverick du futur, magnifié par la caméra follement désirante du cinéaste, l’acteur sublime les mauvais films par sa seule présence, s’affirmant dans un rôle de guerrier moderne et taiseux, seul candidat potentiel au titre de nouveau Clint Eastwood. La comparaison n’est pas fortuite : comme Dirty Harry, Elba

“le traitement de l’Afrique par les médias est insupportable” renoue avec le vieux mythe de l’übermâle américain et assume un certain recul avec l’industrie hollywoodienne, se tenant à la fois en son centre et à sa marge. “Je ne fais pas vraiment attention à ce qui se raconte sur moi, ou à mon image, dit-il sans aucune trace de coquetterie. Je ne cherche pas à séduire à tout prix.” Et ça se vérifie en interview : il y a bien une forme de nonchalance dans la manière dont l’acteur gère ses affaires, une distance critique vis-à-vis d’un milieu dont il ne connaît que trop les limites. Lorsqu’on l’interroge sur la récente accélération de sa filmographie ou sur ses projets (dont le nouveau Star Trek, dans lequel il incarnera le bad guy), Idris Elba égrène sans enthousiasme les pirouettes consensuelles, confirmant qu’il ne court pas après le succès ou la reconnaissance. Un seul sujet le rend un peu plus disert. Un sujet dont il a fait le cœur secret de sa carrière, et qu’il évoque avec une passion inentamée : l’Afrique. Fils d’un père sierra-léonais et d’une mère ghanéenne, l’acteur clame son attachement à ses racines et mène, en marge de ses blockbusters, une œuvre intimement liée à la culture africaine, qu’il juge encore incomprise. “Je veux faire connaître ce continent à travers mes rôles, raconter son histoire et son présent, dit-il, avant de hausser le ton. Il y a une méconnaissance totale de ce qu’est devenue l’Afrique. J’y vois même une forme de déni culturel, qui consiste à dire que c’est une terre unique, sans particularisme, où tout ne serait que corruption, violence, famine. Le traitement de l’Afrique par les médias est insupportable, alors qu’il y a tant

d’histoires à explorer sur ce continent…” Depuis une dizaine d’années, Idris Elba a donc multiplié les side-projects à vocation pédagogique : un film HBO sur le génocide rwandais (Quelques jours en avril de Raoul Peck), une série radio de la BBC sur la musique africaine (Journey Dot Africa with Idris Elba) et surtout un biopic de Mandela, réalisé par Justin Chadwick en 2013. Une sorte de carrière parallèle qu’il poursuit aujourd’hui avec Beasts of No Nation, le dernier film du réalisateur de la saison 1 de True Detective, Cary Joji Fukunaga. Dans ce très efficace récit d’initiation, qui évoque le phénomène des enfantssoldats au cœur d’une Afrique ravagée par les guerres civiles, l’acteur incarne le “Commandant”, un sanguinaire leader de la résistance. “La plus folle expérience de ma vie, confie-t-il, avant de détailler ses méthodes de travail. J’ai fait quelques recherches mais mon approche était plus psychologique que documentaire. Je voulais comprendre quel est le mécanisme derrière ce genre de dictateurs, ce qui les pousse à commettre de tels actes. J’ai étudié des figures de leaders historiques, je me suis intéressé à leurs textes et à des éléments concrets : leur manière d’être en public, de se tenir, de parler.” Le résultat, impressionnant, tout en ambivalence et rage nuancée, confirme le déploiement souverain d’un acteur auquel il ne manque plus désormais qu’un rôle mythique au cinéma. Celui d’un célèbre agent secret, par exemple. Beasts of No Nation de Cary Joji Fukunaga, avec Idris Elba, Abraham Attah (E.-U., 2015, 2 h 16), disponible sur Netflix

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“les mesures prises par Vichy ont aidé les Allemands” Il fut l’un des premiers, dans les années 1970, à établir le caractère clairement antisémite du régime de Pétain. L’historien américain Robert Paxton fait aujourd’hui paraître une version remaniée de son grand ouvrage Vichy et les Juifs, alors que le sujet suscite encore la controverse dans notre pays. par Jean-Marie Durand

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axton. Son nom est directement associé à une révolution : la connaissance de la France de Vichy. La “révolution paxtonienne” est celle d’un regard plus juste, et désenchanté, d’un pays sur son passé longtemps occulté. Il aura fallu la publication en 1973 de La France de Vichy, puis en 1981 de Vichy et les Juifs, qui paraît aujourd’hui dans une édition remaniée, pour qu’enfin nous prenions la mesure exacte de la réalité du régime de Pétain, de son antisémitisme d’Etat. Grâce à de nouvelles archives et de nouvelles recherches, Robert Paxton affine sa thèse pour affirmer que Pétain a joué un rôle encore plus important qu’il n’avait pensé dans la genèse des mesures antisémites de

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Vichy. Alors que certains pseudo-penseurs, entre révisionnisme et charlatanisme, tentent encore de réécrire le roman national en faveur de Pétain, Paxton nous rappelle à notre passé trouble. Rencontre avec l’historien, de passage à Paris. Pourquoi, trente-cinq ans plus tard, avez-vous décidé de republier votre livre Vichy et les Juifs, coécrit avec Michael R. Marrus ? Robert Paxton – Je me suis simplement rendu compte que le livre était épuisé et j’ai trouvé cela infiniment regrettable. Car son sujet est resté très actuel et fait même l’objet de vives discussions en France aujourd’hui, comme l’ont illustré, différemment, des publications récentes : Le Suicide français du journaliste Eric Zemmour ou, plus

Norddeutscher Rundfunk/The Kobal Collection/AFP

Le Chagrin et la Pitié – Chronique d’une ville française sous l’Occupation de Marcel Ophuls. Dans ce documentaire d’un peu plus de quatre heures sorti en 1971, le réalisateur mettait en évidence la collaboration de la France de Vichy avec l’Allemagne nazie de 1940 à 1944

sérieusement, Persécutions et entraides dans la France occupée – Comment 75 % des Juifs de France ont échappé à la mort de l’historien Jacques Semelin. J’ai donc proposé de le remettre à jour. Seconde raison : il y a des centaines de nouveaux travaux scientifiques importants qui ont exploré les archives françaises et allemandes. En 1981, quand nous avons publié Vichy et les Juifs, il n’y avait rien du tout, c’était même un sujet défendu pour les chercheurs universitaires français : à la fois trop récent et trop délicat. Aujourd’hui, travailler sur Vichy va de soi. Des jeunes historiens connaissent parfaitement les archives françaises et allemandes et les confrontent les unes aux autres. Tous ces travaux n’ont pas inversé notre thèse mais l’ont approfondie, parfois nuancée. 21.10.2015 les inrockuptibles 65

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Après toutes ces années et ces nouvelles recherches, estimez-vous que votre thèse tient toujours debout ? Je crois que les éléments principaux du livre restent debout, oui. La politique allemande de 1940 n’exigeait pas de Vichy l’exclusion des Juifs. Au contraire, les Allemands voulaient expulser leurs Juifs dans la zone non-occupée de la France. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît que la législation de Vichy a été élaborée sans la pression directe des Allemands. L’“aryanisation” par les Allemands des propriétés juives dans la zone occupée, en revanche, a eu un effet indirect. Vichy a repris l’aryanisation pour toute la France, pour éviter que les propriétés tombent dans les mains des Allemands. Mais pour le statut des Juifs, il n’y a pas d’ambiguïté : ce sont les Français qui ont provoqué la première ordonnance allemande dans la zone occupée. Les Allemands savaient que le statut des Juifs était déjà décidé par Vichy. Avant la sortie de notre livre, on pensait encore que le statut des Juifs avait été ordonné par les Allemands. Mais il a été décidé par les Français et s’inscrit dans un ensemble de mesures anti-étrangers dirigées contre les réfugiés et les Juifs surtout. Quand on lit la presse d’extrême droite des années 30, on retrouve tout : l’idée du statut des Juifs pour réglementer leur rôle dans la vie française, l’idée des quotas… Par ailleurs, ce qui a tenu aussi dans ce que nous avons révélé, ce sont les arrestations de la police de Vichy dans les deux zones, la participation de la police et de l’administration françaises aux déportations… Je ne crois pas avoir dû renier un seul point majeur de notre travail. Quels sont alors les éléments nouveaux à retenir dans l’édition d’aujourd’hui ? Les mesures de discrimination de Vichy contre les Juifs ont été appliquées autant par l’administration traditionnelle que par les militants du Commissariat général aux questions juives. La participation de la police française aux déportations a compensé le manque de moyens du côté des Allemands. Le maréchal Pétain a joué lui-même un rôle plus important dans la genèse des mesures antisémites de Vichy que ce que nous avions pensé. La France fut un cas unique dans l’Europe de Hitler. Seule parmi les pays occupés occidentaux, la France fut autorisée par un armistice avec l’Allemagne à avoir une zone non-occupée gérée par un gouvernement national. Seul parmi les Etats de l’Europe occidentale dans l’orbite de Hitler, le régime de Vichy a utilisé sa semi-liberté pour essayer de transformer les institutions et les valeurs du pays, sans attendre la paix. Un élément majeur de cette “révolution nationale”

“beaucoup de gens aimeraient encore croire que Pétain était un héros”

fut une réduction radicale de la présence juive dans l’économie, l’administration, et la vie culturelle de la France. Les Allemands étaient au début relativement indifférents à la politique antisémite de Vichy, cherchant principalement à protéger leurs troupes d’occupation d’une prétendue menace judéo-communiste dans la zone occupée. La zone non-occupée, pour eux, constituait une sorte de dépotoir pour les Juifs expulsés des zones directement contrôlées par eux. Mais quand les nazis adoptèrent une nouvelle politique, celle de l’extermination des Juifs d’Europe, appliquée à la France à partir du printemps 1942, les mesures prises indépendamment par Vichy – le fichier, par exemple, et les actions déjà citées – aidaient les efforts allemands. Donc, malgré les efforts de sauvetage d’une partie de la population française, le bilan a été plus lourd qu’il aurait dû être sans la collaboration du régime de Vichy. Après le discours de Chirac, le 16 juillet 1995, et d’autres moments-clés comme le procès Papon, croyez-vous que la société française a accepté d’affronter ce passé de manière apaisée ? Je ne crois pas que le débat sur cette question de la Collaboration soit apaisé en France. Plusieurs livres en témoignent, comme le dernier best-seller d’Eric Zemmour, qui utilise un livre d’Alain Michel prétendant que Vichy avait protégé des Juifs de nationalité française dès le début. Ce qui est faux. Toutes les mesures prises par Vichy contre les Juifs entre 1940 et 1942 s’appliquèrent tout autant aux Juifs de nationalité française qu’aux Juifs étrangers. Le débat continue. La France est toujours divisée : beaucoup de gens aimeraient encore croire que le maréchal Pétain était un héros de l’histoire nationale. Des historiens vous ont reproché parfois un manque de nuances, en particulier sur la complicité de la population civile face à la Collaboration. Comment recevez-vous ces prises de distance ? C’est vrai qu’on m’a reproché ma vision trop sombre de la population française, au prétexte que certains Juifs ont été hébergés dans des familles. Pierre Laborie a publié en 1990 le livre incontournable sur l’opinion sous Vichy. Marrus et moi avons utilisé les mêmes sources, les rapports des préfets et des services d’écoutes, et nos conclusions, dans leurs grandes lignes, ne sont pas vraiment différentes des siennes. Depuis, il a voulu déconstruire les généralisations familières concernant l’opinion publique mais ses idées nouvelles, comme la “pensée double”, sont parfois difficiles à préciser. Pierre Laborie m’accuse en plus de sous-estimer le poids répressif des forces de l’ordre allemandes en France. Sur ce point, je me réfère aux chiffres des états-majors allemands et à leurs plaintes constantes de manque de personnel. Vous continuez donc d’affirmer que si 25 % des Juifs de France ont été exterminés, c’est parce que les Français ont eu leur part de responsabilité ? Oui. Le gouvernement de Vichy a facilité la déportation des Juifs par les Allemands de plusieurs façons. Les mesures d’exclusion et d’aryanisation ont rendu tous les Juifs en France plus vulnérables ; Vichy a livré

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David Balicki pour Les Inrockuptibles

Robert Paxton, 2015

de sa propre volonté dix mille Juifs étrangers de la zone non-occupée aux Allemands ; Vichy a accepté que la police française participe aux arrestations de Juifs afin d’augmenter son autonomie en zone occupée. Tout cela semble clair. Le rôle de la population française constitue un point plus délicat. Les rapports des préfets montrent clairement qu’il y a eu la recherche de boucs émissaires après la défaite. Les Juifs étaient censés avoir provoqué la guerre sans vouloir préparer la défense. Le marché noir était attribué aux spéculateurs juifs et étrangers. Tout cela venait après la crise des réfugiés dans les années 30. La France avait alors reçu un grand nombre de réfugiés, proportionnellement plus que les Etats-Unis. Ces réfugiés étaient mal vus en pleine crise économique. Le Front populaire de Léon Blum et la gauche communiste ont été largement tenus pour responsables de la défaite. Les difficultés de l’Occupation ont aussi joué : la disette, la faim. Beaucoup de Français imaginaient les Juifs comme des gens qui mangeaient à leur faim, vivaient sur la côte d’Azur, tandis qu’eux avaient des tickets de rationnement. Jacques Semelin pense, lui, que les rapports des préfets ne sont pas fiables et que les “Français moyens” n’étaient pas antisémites après la défaite de 1940. Car les préfets auraient voulu plaire au ministre de l’Intérieur. Je ne le crois pas.

Si un préfet faussait ses rapports, il risquait sa carrière. Son livre se fonde sur des souvenirs de gens qui ont survécu grâce à l’aide de la population française. Mais il est vrai qu’il y a eu un changement d’opinion très marqué en été 1942, avec toutes les rafles du Vel d’Hiv et de la zone non-occupée, le spectacle des familles séparées, les déclarations de quelques évêques… On constate alors un revirement. A partir de ce moment, les Français, selon les rapports des préfets, parlent des Juifs comme victimes. Beaucoup d’entre eux, y compris des antisémites déclarés, ont alors recueilli des enfants, même s’ils ne savaient pas toujours s’ils étaient juifs, comme le film Le Vieil Homme et l’Enfant l’a illustré. Il est donc important, selon vous, de distinguer deux moments dans le rapport de la population à Vichy… Oui, avant ce revirement, certains Français ont bien entendu dénoncé le statut des Juifs, mais la majorité pensait qu’il y avait trop d’étrangers et trop de Juifs. La population a accepté assez facilement les mesures de Vichy avant de cacher des enfants. Les deux faits sont vrais. Pierre Laborie parle d’une double pensée. Je pense qu’on peut simplement dire que l’opinion publique a changé avec l’évolution de la situation militaire, entre les deux premières années et les deux dernières années de la guerre. Croyez-vous, comme votre collègue Zeev Sternhell, que la France fut le berceau du fascisme ? En 2004, j’ai écrit un livre sur le fascisme, Le Fascisme en action. J’étudie parmi d’autres cas celui de la France, où le fascisme n’est pas arrivé au pouvoir par ses propres moyens. Je trouve que Sternhell exagère quand il prétend que la France est le berceau du fascisme. Chaque pays a le sien. La France a son modèle fondé sur un passé glorieux, le déclin, la peur du communisme… L’antisémitisme y participe, comme le racisme antiNoirs aux Etats-Unis. Chaque pays construit son modèle à partir de ses éléments culturels ; mais il n’y a rien d’inévitable. Il y a un déterminisme chez Sternhell qui me dérange, même si j’admire l’homme, très courageux. Mais je le trouve trop rigide et manichéen en tant qu’historien. Je ne pense pas qu’on puisse dire que la France fut le berceau du fascisme. On pourrait aussi bien trouver des racines du fascisme en Russie ou en Amérique, avec l’esclavage. Cela ne commence pas qu’avec l’affaire Dreyfus. Mais il a raison de dire que la gauche y participe ; c’est sa contribution majeure. Avez-vous connu Marcel Ophuls, le réalisateur du Chagrin et la Pitié, diffusé un peu avant la publication de votre premier livre, La France de Vichy ? Je l’ai rencontré. Mon livre, publié en 1972 et en 1973 en France, était déjà écrit quand son film est sorti. Je l’ai accompagné aux Etats-Unis dans plusieurs projections-débats. J’ai trouvé dommage qu’il n’ait pas pu lire mon livre avant de le tourner. Et Claude Lanzmann ? Vous l’avez rencontré ? Oui, mais c’est une locomotive. On ne peut pas dire qu’on rencontre Claude Lanzmann, on le subit (rires). Vichy et les Juifs de Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton (Calmann-Lévy), 600 pages, 27 € 21.10.2015 les inrockuptibles 67

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Seul sur Mars de Ridley Scott Il faut encore sauver le soldat Damon ! Mais cette fois, le survival en milieu hostile prend un tour plein de fantaisie.

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vec trois occurrences, on peut dire que “secourir Matt Damon” est désormais un sous-genre en soi : c’est d’abord des lignes ennemies qu’il a fallu l’exfiltrer (Il faut sauver le soldat Ryan), puis d’une planète gelée (Interstellar) et enfin, dans un rôle étonnamment proche du précédent, à même pas un an d’écart, c’est cette fois-ci sur Mars qu’il s’agit d’aller le récupérer. On serait tenté d’ajouter un quatrième film à cette liste, Gerry, puisqu’il s’agissait là aussi d’abandon en environnement hostile, sauf que là personne ne lui venait en aide… Dans ce nouveau film de Ridley Scott, Matt Damon se voit très vite abandonné sur la planète rouge par ses collègues astronautes qui le croient mort après un accident. Après avoir assuré sa survie (grâce à ses compétences de biologiste)

et espéré que quelqu’un sur Terre la remarquerait, il se trouve alors contraint d’attendre qu’on veuille bien venir le chercher, ce qui n’est pas chose aisée dans un monde où l’on ne dispose pas de vaisseaux se déplaçant dans l’hyperespace et où la vie hors sol est présentée pour ce qu’elle est vraiment : un enfer. Gravity d’abord, Interstellar ensuite, Seul sur Mars aujourd’hui (dont le succès est déjà assuré aux Etats-Unis) : le regain d’intérêt des studios pour l’exploration spatiale, dans une perspective (à peu près) réaliste, va de pair avec celui du public pour les missions de la Nasa, qui reprend doucement du poil de la bête après une décennie de disette. Que celle-ci ait annoncé la présence d’eau liquide à la surface de Mars la semaine de la sortie américaine du film apparaît d’ailleurs comme une coïncidence lourde de sens :

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le film est du côté des rêveurs et des idéalistes contre les calculateurs et les réalistes

il n’y a guère qu’à Cap Canaveral qu’on peut faire rêver les foules autant qu’à Hollywood. Ce rappel est important pour comprendre exactement l’enjeu du film de Ridley Scott. Sa finalité scénaristique fera en effet sans doute hurler les sceptiques : il n’est pratiquement fait aucune économie pour secourir le soldat Damon, remémorant ainsi le principe du film de Spielberg, où la vie d’un seul homme valait pour celle d’une nation entière. De vigoureux débats agitent certes les décideurs sur Terre, mais il est évident dès le début que le film sera du côté des rêveurs et des idéalistes (l’équipage du navire commandé par Jessica Chastain, Chiwetel Ejiofor, Sean Bean ou Donald Glover, aka Childish Gambino) contre les calculateurs et les réalistes (à commencer par Jeff Daniels, auréolé d’un sérieux sorkinien depuis qu’il joue dans The Newsroom). On ne mégote pas avec la vie de Matt Damon, car le sauver lui, c’est sauver l’Amérique. Aucune star depuis James Stewart n’a à ce point incarné le bien, face la plus souriante d’un pays qui n’a cessé depuis trois siècles de réécrire sa propre mythologie à l’encre de l’optimisme. On peut ainsi raisonnablement affirmer que l’auteur de Seul sur Mars est davantage

son acteur principal que son metteur en scène. Le Britannique – qui à notre avis n’a pas signé de meilleur film que celuici depuis ses débuts tonitruants au début des années 80 (Duellistes, Alien et Blade Runner) – s’est en effet presque toujours distingué par la noirceur de son propos, qui culminait il y a deux ans avec le nihiliste Cartel, tourné au moment où son cher frère, Tony, se suicidait. L’optimisme de ce 23e film et son humour presque constant ne sont donc pas la moindre des surprises. Damon multiplie ainsi les saillies comiques, notamment lors de ses passages filmés au “confessionnal” (tout cela pourrait n’être au fond qu’une variante en solo et sous conditions extrêmes de Secret Story), ou lors de ses bricolages à la MacGyver pour tenter d’arracher quelques ressources vitales à l’impitoyable planète Mars, filmée par Scott avec un art consommé des grands espaces. Si Exodus, plutôt réussi, faisait l’an dernier de Ridley Scott un héritier possible de Cecil B. DeMille, ce Seul sur Mars, pourtant très peu grandiloquent, est en effet une sorte de “greatest show out of earth”. Jacky Goldberg Seul sur Mars de Ridley Scott, avec Matt Damon, Jessica Chastain, Kristen Wiig, Kate Mara, Sean Bean, Chiwetel Ejiofor (E.-U., 2015, 2 h 24) 21.10.2015 les inrockuptibles 69

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Censored Voices de Mor Loushy (Isr., All., 2015, 1 h 24)

Chronic de Michel Franco Les aspirations étranges d’un infirmier assistant des patients en phase terminale. Pessimiste et cru.

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écouvert au dernier Festival de Cannes en compétition et lauréat du prix du scénario, Chronic est un film aussi beau que dur. Il fait le récit de la vie d’un sans-grade, un infirmier qui s’occupe de gens mourants. Toute la subtilité du regard que pose le Mexicain Michel Franco (déjà auteur du passionnant Después de Lucía) sur son personnage principal (Tim Roth, admirable de sobriété) réside dans le fait qu’il nous le présente tout d’abord comme un personnage menaçant. Qui est ce type qui va mater une jeune fille sur Facebook ? Pourquoi la suit-il en voiture ? Ensuite, on s’aperçoit qu’il passe ses journées à s’occuper d’une jeune femme qui va bientôt mourir du sida, et on se dit que c’est sa femme tant il lui accorde d’attention, d’amour. Et puis soudain on comprend qu’il s’agissait d’une inconnue. Qui est ce mystérieux bonhomme qui en fait trop, qui donne trop de lui dans son travail, jusqu’à inquiéter les proches des malades ? Un psychopathe ? C’est vraiment la menace que brandit

qui est ce mystérieux bonhomme qui en fait trop dans son travail ?

la mise en scène pendant la moitié du film – et on craint même que la “bonté” du personnage (nulle religiosité ici) ne soit une manière de justifier sa potentielle folie criminelle. Dans toute la seconde partie, la bobine de fil se dévide et l’on va découvrir un autre homme, meurtri, qui essaie d’oublier le passé, ou plutôt de le poursuivre en se consacrant aux autres. Un peu fou ? Oui, sans doute, dans les attentions parfois exagérées qu’il accorde aux moribonds. Fou pour la société bourgeoise, qui ne peut pas le comprendre comme elle ne pouvait pas accepter la sainteté d’Ingrid Bergman dans Europe 51. Pessimiste, Chronic montre la solitude au travail, le désespoir, la souffrance des malades, la dignité et l’humanité d’un homme de soin qui n’a peur de rien. Il fait dans le cru : on n’est pas chez Moretti, où tout est propre, impeccable. Un mourant, c’est sale, chez Franco. Mais au-delà des apparences, du tripal, des humeurs qui fuient le corps des malades en phase terminale, il redonne dignité et vie à cet homme incompris. C’est un film très fort, violent, bouleversant. Jusque dans sa terrible fin.

Des témoignages de soldats israéliens révèlent l’attitude criminelle de Tsahal pendant la guerre des Six-Jours. Un documentaire construit autour d’interviews (audio) de soldats ayant participé à la guerre des Six-Jours où, en juin 1967, l’armée israélienne triompha d’une coalition arabe (Jordanie, Syrie, Egypte) et permit à son pays de s’agrandir. Ces témoignages recueillis par de jeunes habitants de kibboutz, dont l’écrivain Amos Oz, avaient été censurés à l’époque. La cinéaste fait écouter les enregistrements rendus publics aux anciens soldats et les illustre avec des images d’archives. Contredisant de façon éclatante le nationalisme triomphal qui suivit cette guerre éclair, les propos sont désabusés. Les vainqueurs sont penauds, presque déçus d’avoir vaincu les Arabes (certains les plaignent). Ils se foutent d’avoir récupéré Jérusalem et avouent leur malaise à propos d’exactions auxquelles ils ont participé, assimilables à des crimes de guerre. A notre sens, ce film, primé en Israël – malgré la situation de tension actuelle dans le pays suite au durcissement du gouvernement droitier –, concerne plus directement les Israéliens, car il dégonfle le mythe de la guerre des Six-Jours. Les Européens de l’Ouest, eux, sont convaincus depuis longtemps que l’injustice et l’arbitraire règnent dans ce pays. Bref, document utile mais pas étonnant. Vincent Ostria

Jean-Baptiste Morain Chronic de Michel Franco, avec Tim Roth, Sarah Sutherland (Mex., Fr., 2015, 1 h 32)

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Le Chant d’une île de Joaquim Pinto et Nuno Leonel Un documentaire qui s’attache aux gestes simples de pêcheurs dans les Açores. Comme une résurgence mythique de la vie sauvage. cte de révélation de Joaquim Pinto en France, Et maintenant ? déployait il y a un an un vaste tissu de visions inspirées de la vie marquée par le sida de ce cinéaste portugais, tardivement découvert malgré un beau parcours : collaborateur notamment de Manoel de Oliveira et João César Monteiro dans les années 80, il est l’auteur d’une demi-douzaine de films réalisés entre 1988 et 2000 dont certains ont, à l’époque, connu quelques remarquables sélections en festival. Puis plus rien, ou disons plus grand-chose, et pour cause : découvrant en 1997 sa séropositivité, Pinto a peu à peu élu domicile aux Açores, qui d’un lieu de vacances, puis de travail (la télévision portugaise lui commande alors un documentaire sur les pêcheries artisanales), est bientôt devenu un lieu de résidence pour lui et son compagnon Nuno Leonel. Ils y ont passé sept ans. Le Chant d’une île est le récit de ce voyage devenu un exil, remonté récemment à partir des rushes de la version de commande dont subsiste un soin documentaire méticuleusement consacré aux pratiques de pêche. Les longues séquences d’immersion embarquées sur les bateaux des Açoréens captent quelque chose de magnifiquement archaïque et violent dans les gestes, les attitudes des pêcheurs, l’exposition banale au danger. En se réappropriant ces images, Pinto et Leonel passent du reportage au journal intime, laissant apparaître les liens tissés avec cette seconde famille, rapportant en voix off leurs propres émotions (comme tout simplement la peur en haute mer) et intériorisant très tendrement ces images où fleurissent progressivement des visages amicaux révélant les amitiés nouées au fil des années. Il y a quelque chose de Gauguin en Polynésie dans la façon qu’ont les auteurs de nous faire ressentir le soulagement existentiel que ce lieu et ses habitants leur inspirent. Un éden dont ils filment avec émerveillement les coutumes, la musique, les processions, consacrant une large part du film à l’étude anthropologique – sans pour autant créer une désagréable distance d’ethnographe. Pinto et Leonel ne s’abîment pas non plus dans un exotisme de carte postale, et n’ont pas à en rajouter pour que résonne d’elle-même une vibration très fantasmatique au cœur du film, une résurgence mythique de la vie sauvage et des récits de marin, sur cette île arrachée à l’immensité atlantique qui aurait très bien pu être un port d’attache des baleiniers de Moby Dick. Théo Ribeton

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L’Image manquante de Rithy Panh Le réalisateur poursuit l’exploration de la mémoire du génocide perpétré par le régime khmer rouge, mais cette fois-ci à la première personne.

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urvivant du génocide perpétré par le régime khmer rouge, Rithy Panh a consacré de nombreux films, documentaires ou fictions, à la mémoire de cet événement (La Terre des âmes errantes, S21, Duch, le maître des forges de l’enfer, Les Artistes du théâtre brûlé, etc.). C’est ici la première fois qu’il aborde ce sujet douloureux à la première personne. La version écrite de ce récit (rédigée avec Christophe Bataille), L’Elimination, a été publiée chez Grasset. Le cinéaste raconte les souvenirs atroces de ces années khmères indignes : sa famille massacrée, la captivité, les coups, la propagande obscène, l’ingestion d’insectes ou de vers vivants pour ne pas crever de faim… Outre ces faits, ce qui bouleverse est le ton calme, dénué de pathos et d’esprit de revanche, par lequel Rithy Panh livre ce vécu. Mais si L’Elimination est un livre, L’Image manquante est un film. Parti à la recherche d’une photo introuvable (l’image manquante du titre), le cinéaste en a inventé d’autres : pour représenter ses souvenirs, il met en scène des petites figurines en terre cuite (la terre du Cambodge

pour représenter ses souvenirs, il met en scène des petites figurines en terre cuite

où tant de sang fut versé). Stylisation obligée faute d’images hors celles de propagande, et pour le coup merveilleuse, rappelant un peu les chats et souris de Maus. Comme les dessins d’Art Spiegelman, les “poupées” et les décors miniatures de Panh balaient le risque de voyeurisme spectaculaire ou de reconstitution obscène tout en frappant l’imaginaire du spectateur. Et comme chez Spiegelman, la stylisation de la forme est habitée, nourrie, chargée par la véracité du récit. C’est entre cette vérité des mots et cette stylisation des images que le spectateur travaille, pense, imagine, et finit par “voir” ce que le film ne figure pas à l’écran mais montre mieux qu’une figuration réaliste. L’Image manquante est l’incarnation magnifique de la sublime dignité des victimes de massacres qui ne réclament jamais vengeance, qui refusent radicalement d’utiliser les mêmes armes que leurs oppresseurs, qui demandent finalement peu de choses : que l’on écoute leur histoire, que l’on s’en souvienne, et que justice passe. Les films de Rithy Panh ont réussi ce double objectif : on l’a écouté attentivement, et quelle leçon – de cinéma et de vie. On s’en souviendra. Et, un peu grâce à ses films, les dirigeants khmers ont fini – tardivement – par être jugés et punis selon les règles de l’Etat de droit. Pas souvent, mais parfois, le cinéma peut changer le cours de l’histoire. Serge Kaganski L’Image manquante de Rithy Panh (Camb., Fr., 2013, 1 h 32)

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Alphabet d’Erwin Wagenhofer (All., Aut., 2013, 1 h 53)

Un documentaire pavé de bonnes intentions contre l’esprit de compétition qui prévaut dans le système éducatif. Après l’injustice alimentaire (We Feed the World) et les dérives de la finance (Let’s Make Money), Erwin Wagenhofer s’attaque au système éducatif dominant, fondé sur la compétitivité et la performance. Il lui oppose naturellement des contre-exemples : notamment celui de la famille Stern, dont le père, Arno, a créé une méthode pédagogique prônant l’expression artistique libre, et dont le fils André, luthier, musicien, journaliste, s’est auto-éduqué en dehors de tout système scolaire. D’autres exemples suivent, qui n’apportent rien de nouveau par rapport aux expériences pédagogiques de Maria Montessori, A. S. Neill (Summerhill) ou Célestin Freinet préconisant il y a déjà près d’un siècle une scolarité sans contraintes. Ces méthodes, dont certaines appliquées avec succès depuis, ont persisté, mais sont toujours réservées à une élite restreinte. En fait, Wagenhofer examine le problème par le petit bout de la lorgnette. Le vrai problème actuel est moins l’éducation coercitive que la déscolarisation des enfants des classes défavorisées, qui ne mène pas à l’épanouissement et à la créativité, loin de là. Peut-on réformer l’éducation sans s’attaquer aux racines politiques du mal, à l’inhumanité du monde industriel ? Vincent Ostria

Pan de Joe Wright Disney se recycle et update son patrimoine. Et réussit à donner un coup de vieux à Peter Pan ! ela fait quelque temps maintenant que Disney a entrepris de faire fructifier son patrimoine en transformant ses productions animées les plus emblématiques en un nouveau catalogue de films en prises de vues réelles. Sortiront dans les prochaines années une farandole infernale de prequels et de spin-off (la fée Clochette, le génie d’Aladdin, Cruella…) qui suscitent une angoisse que Pan vient largement confirmer : le Disney des beaux jours passe à la casserole du contemporain, au feu de laquelle le petit lutin du film de 1953 se réincarne en lardon cramoisi suintant l’huile numérique, pendant que les volettements naïfs du genre “conte” s’alourdissent d’un attirail pachydermique de prophéties et de pouvoirs magiques qui semblent hélas devenus la condition même de la féerie. Cette transmutation, presque une “marvellisation”, est d’autant plus ridicule qu’elle s’applique justement à un univers conçu comme un carambolage d’imaginaires que seul le joyeux bazar d’une chambre d’enfant pouvait réunir : pirates, Indiens, sirènes et batailles de polochons, figures familières d’une aventure en pyjama empreinte d’une ingénuité dont Pan s’est totalement déconnecté en faisant ainsi du Pays imaginaire une sorte de Terre du milieu en proie à une guerre qu’il prend très au sérieux. Il y a une vingtaine d’années, Disney avait brièvement engagé une tentative similaire de passage au live action : cela a donné des remakes du Livre de la jungle, des 101 Dalmatiens, enterrés de longue date dans des cartons de VHS avec de vrais morceaux d’années 90 dedans, réduits au rang de produits périmés de l’entertainment de leur époque. Le studio commet sans doute l’erreur de croire que l’avancée technologique lui permettra cette fois-ci de résister aux affres du temps. Grave erreur : il en faudra un peu plus pour voler à Peter Pan le secret de la jeunesse éternelle. Théo Ribeton

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Pan de Joe Wright, avec Levi Miller, Hugh Jackman, Rooney Mara, Garrett Hedlund (E.-U., G.-B., Aus., 2015, 1 h 51) 21.10.2015 les inrockuptibles 73

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festivals Lumière

Mon roi de Maïwenn Maïwenn orchestre jusqu’à épuisement le récit d’un amouraffrontement entre Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot.

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eut-être un peu échaudée par la thématique sociale à laquelle s’était maladroitement frotté son Polisse, Maïwenn revient avec Mon roi à ce qui demeurera probablement son éternel sujet de prédilection : elle-même, et par ricochet les hommes qui, une fois passés dans sa vie comme des tempêtes, se réincarnent dans ses films sous des formes mi-parodiques, mi-fantasmées. Des objets de désir et de vénération, puis tout autant de rejet et de haine, pris dans le tournoiement fiévreux des obsessions intimes que l’actrice-réalisatrice se plaît à projeter en fiction. Ainsi Mon roi est tout autant le récit d’un amour que celui d’un affrontement. A ma gauche, Giorgio-Vincent Cassel, remarquable locomotive, déployant une gamme de jeu allant du féroce à l’onctueux sur laquelle l’acteur navigue avec une aisance qu’on lui connaissait déjà mais qui, ici, participe d’une composition plus profonde de son personnage, affabulateur insatiable doté d’une sorte de pouvoir surnaturel de manipulation qui agit autant sur ses partenaires de jeu que sur le spectateur lui-même. A ma droite, Tony-Emmanuelle Bercot, dont on a eu tort de dire qu’elle se bornait à un statut de faire-valoir tant elle joue justement la partie la plus dure, toujours entre deux rythmes : celui de l’autre, qu’elle suit cahin-caha,

et le sien propre, qu’elle s’échine à reconquérir. Maïwenn a un talent qui éclipse tout, un coup de main qui agit comme une redoutable colonne de défense camouflant les déficiences de ses films : elle sait fabriquer de la scène, essorer ses acteurs dans des numéros de jeu extrêmement intenses et créer, à l’épuisement, l’illusion du réel par l’entremise d’un simple goût pour la gueulante. C’est plus que jamais le cas de Mon roi, peut-être son film où cette conception martiale du cinéma se justifie le plus et se marie idéalement avec cet amour en dents de scie qui offre l’occasion sans cesse répétée de faire remonter les personnages sur le ring en réinventant les règles du combat. L’usine turbine à pleins gaz, mais passé le tourbillon subsiste encore une fois le sentiment du vide, Maïwenn ne tirant toujours rien de ses expériences de chimie adrénergique. Aussi bien que Polisse parvenait à des moments brillants mais, sur la longueur, laissait se creuser des incohérences quasi schizophréniques dans le regard posé sur ses personnages, Mon roi semble pareillement gouverné par l’idée que tous les ressentis se valent du moment qu’ils sont vifs, généreux, dynamiques. Que dans la vie tout est bon à prendre, et qu’il n’y a jamais rien à apprendre. Théo Ribeton Mon roi de Maïwenn, avec Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel, Louis Garrel (Fr., 2015, 2 h 04)

Dans le cadre d’une 7e édition pléthorique du festival lyonnais, la découverte de la cinéaste soviétique Larissa Chepitko. Dans le programme concocté par Thierry Frémaux et Maëlle Arnaud (Scorsese, Kurosawa, Duvivier, Pixar…), on a mis le cap sur une cinéaste russe méconnue dont les films sont inédits en France. Née en 1938, Ours d’or en 1977, épouse du cinéaste Elem Klimov, formée au VGIK et disciple d’Alexandre Dovjenko, Larissa Chepitko est décédée en 1979 dans un accident de voiture à 41 ans, laissant cinq films. On a vu Le Pays de l’électricité, moyen métrage dans lequel un jeune homme essaie d’installer l’électricité dans un village reculé après la révolution. Le film dépeint un présent révolutionnaire pas franchement radieux et fut interdit dans son pays. L’Ascension, son ultime film, celui primé à Berlin, montre deux partisans en fuite puis arrêtés par les Allemands. Captifs, ils s’opposent : l’un ne lâche pas la résistance pure et l’autre collabore pour sauver sa peau. Filmée en noir et blanc dans les paysages enneigés de la taïga, la première partie est plastiquement sublime. La seconde partie, en laquelle on peut voir une critique indirecte du régime soviétique, confronte un peu théâtralement et solennellement l’idéalisme et le calcul cynique. On a préféré Les Ailes, portrait d’une ex-héroïne de l’aviation soviétique qui dirige une école, vit seule et peine à comprendre la jeunesse. On découvre qu’elle ne s’est jamais remise de la perte de son grand amour, un collègue pilote abattu au combat. Film sociétal et romantique, portrait féminin et féministe, Les Ailes nous embarque en faisant passer l’amour absolu avant le patriotisme, la guerre et les honneurs. Plus russe que soviétique, Chepitko possédait la fibre lyrique et stylistique de ses illustres compatriotes cinéastes, particulièrement saisissante quand elle filmait les visages et les paysages. En marge du festival a été inaugurée la Ciné-Fabrique, école de cinéma gratuite, ouverte à tous et particulièrement à la diversité sociale (par leur simple présence, les jeunes membres de la première promotion infirmaient les délires à la Morano), préparant les étudiants aux divers métiers du cinéma. Présidée par Abderrahmane Sissako, dirigée par Claude Mouriéras, soutenue par le CNC et les divers échelons politiques rhônalpins, cette nouvelle institution prouve que les choses bougent parfois dans le bon sens, à rebours des fractures et du pessimisme ambiants. Serge Kaganski

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Jonathan Olley/Haut et court/Canal+

Tahar Rahim, jeune officier de police dans cette coproduction européenne

gang of Europe Inspirée de l’histoire de la célèbre bande de voleurs de bijoux d’origine serbe, Panthers plonge de manière originale dans les entrailles de la crise européenne.

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armi les mythes criminels contemporains, celui incarné par les Pink Panthers est peut-être le plus fou, le plus fascinant, mais aussi le plus intrinsèquement lié au Vieux Continent. Cette nébuleuse d’origine serbe, aussi puissante qu’une organisation militaire, fut à l’œuvre dès 1997 dans près de trois cent cinquante braquages essaimés un peu partout en Europe et même jusqu’au Japon. Des rois de l’esquive, obsédés du travail bien fait, capables de ramasser vingt-cinq millions d’euros de pierres précieuses en quelques minutes, sans faire de bruit ou presque. De véritables illusionnistes qui rendaient zinzin les autorités, bref, de parfaits personnages. Plus qu’un film, il fallait au moins l’ampleur narrative d’une minisérie pour saisir la complexité d’une affaire à la fois très internationale et étalée dans le temps. C’est le format choisi par Canal+ avec la société de production Haut et court (Les Revenants) et d’autres producteurs européens. Leur ambition détonne : proposer une fiction en plusieurs langues, dotée d’un casting capable de séduire ici et ailleurs, sans pour autant crouler sous les compromis. Une sorte d’“europudding” nouveau genre, fondé sur une histoire vraie mais très libre dans son appréciation des faits. Son seul modèle crédible ? Le passionnant Carlos d’Olivier Assayas,

qui avait terminé sa course en remportant le Golden Globe de la meilleure minisérie en 2011. Inspirée par le travail du journaliste d’investigation Jérôme Pierrat, écrite par Jack Thorne, un ancien des excellentes séries anglaises Skins et Shameless, mise en scène par le Suédois Johan Renck (connu notamment pour ses clips d’Hung up de Madonna, She’s in Fashion de Suede, réalisateur de trois épisodes de Breaking Bad), Panthers n’a pas la même veine personnelle. Mais elle reste cohérente. Son intelligence se niche d’abord dans son axe de départ. Plutôt que de suivre benoîtement la montée en puissance des as du crime, la série revendique une identité plus originale. Elle débute par une crise, un crépuscule avant l’heure. Lors d’un braquage à Marseille – impressionnante séquence filmée en continu –, une “bavure” gravissime survient. Le ton est donné. Rien ne sera jamais fluide ou sans douleur, à la fois pour les bandits et pour ceux qui les traquent. Des flash-backs éclairent leurs destins mêlés. Une poignée de flics français (dont Tahar Rahim) et des assureurs

rien ne sera jamais fluide ou sans douleur pour les bandits et pour ceux qui les traquent

britanniques (John Hurt, Samantha Morton) se révèlent presque aussi fous que les voleurs de bijoux, d’ex-soldats issus de l’éclatement de l’antique Yougoslavie. Sur les pas de ces éclopés dépareillés, Panthers revient sur deux décennies d’histoire européenne faites de guerres, d’argent sale et de trahisons. De Belgrade à Londres en passant par Marseille, la caméra joue à saute-frontières et parvient à rendre palpables les intimités comme l’histoire invisible des nations. “Pour moi, cette série est une réflexion sur les puissances qui nous gouvernent, en tant que personnes et en tant que peuples”, explique le réalisateur Johan Renck. Et le scénariste Jack Thorne d’ajouter : “Nous plongeons nos personnages venus d’univers différents dans le même bain, celui d’une géopolitique complexe. Entre la Serbie, la France et l’Angleterre, Panthers met en jeu la problématique de l’exclusion et de l’inclusion qui se joue aujourd’hui à l’échelle de l’Europe. Qui est dedans, qui est dehors ? On peut penser à la crise grecque.” Les dégâts du libéralisme le plus radical se font sentir dans chacun des six épisodes, où les coupables ne sont pas toujours ceux qui tiennent les flingues. Une leçon assez éclairante sur les impasses d’un continent. Olivier Joyard Panthers à partir du 26 octobre à 20 h 50 sur Canal+

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à suivre…

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HBO vient de commander un pilote à Lena Dunham, la surdouée de Girls – série qui devrait, elle, se terminer en 2017. Située au début des années 60, Max suivra les aventures d’une journaliste en pleine montée féministe. Un sujet majeur pour Dunham, qui a créé récemment le site lennyletter.com sur la question. Si elle ne devrait pas jouer dans la série (Lisa Joyce tiendra le rôle principal), ni en écrire le scénario, la meilleure amie de Taylor Swift a prévu au minimum de la produire et d’en réaliser le premier épisode.

George R. R. Martin courtisé Cinemax, filiale de HBO responsable notamment de The Knick, vient d’acquérir les droits de The Skin Trade (1988), court roman de loup-garou de George R. R. Martin, l’auteur de Game of Thrones. Ce dernier écrivant depuis les années 70, il se pourrait que la litanie des adaptations ne fasse que commencer.

Rob Lowe et William Devane dans The Grinder

Fox

Lena Dunham féministe

my Lowe private Idaho

Nouveauté US de la rentrée, The Grinder permet de retrouver Rob Lowe en pleine forme. ob Lowe nous avait manqué. Enormément manqué. Pour tout dire, c’est le cas depuis la fin d’A la Maison Blanche, saison 4. En même temps que le scénariste star Aaron Sorkin, le génie de la com american success qu’il interprétait avait mis les voiles 12,17 millions d’Américains de la mythique série politique. Goodbye, ont vu le premier épisode Sam Seaborn. Depuis, les prestations d’American Horror Story: certes amusantes de l’acteur de Youngblood Hotel, cinquième saison de dans Parks and Recreation n’avaient l’anthologie horrifique signée consolé personne de la perte de ce grand Ryan Murphy. Un carton personnage et d’un comédien à la fois fantastique qui a peut-être drôle, élégant et surtout d’une vitesse folle à voir avec la scène d’orgie sanglante où Lady Gaga dans le déroulé des mots et des expressions. se sert de ses ongles. Son retour réussi cette rentrée, dans la sitcom The Grinder, fait d’autant plus plaisir. Il donnera peut-être, un jour, l’occasion de remuer un peu moins le souvenir de mister Sam. Dans la création de Jarrad Paul et Andrew Mogel, Rob Lowe joue… une ancienne star Ainsi soient-ils (Arte, le 22 à 20 h 45) de série qui décide de devenir avocat dans Trois saisons et puis s’en va. Voici déjà la vraie vie – puisque dans la fiction, tout la fin de l’une des séries françaises les plus semblait si facile... Pour cela, il s’installe fortes des années 2010, avec deux derniers chez son frère, un véritable avocat au épisodes pas loin d’être magistraux. charisme contestable. La soleil ne brille pas pareil dans sa nouvelle maison. Au revoir Los Angeles, bonjour l’Idaho. S’ensuit un Aquarius (13e Rue, le 25 à 20 h 45) John petit jeu assez fin où se mêlent les conflits McNamara a marqué les sériephiles avec Profit dans les 90’s. Le revoilà avec cette classiques d’une comédie familiale et la série noire située dans le Los Angeles mise en scène des turpitudes d’un acteur de Charles Manson, avec David Duchovny. qui se trompe de scène, confondant tribunal et studio de tournage. Comment tenir des années sur cette question du vrai The Walking Dead (OCS City, le 26 à 20 h 55) et du faux ? Impossible de le prédire. Sixième saison, déjà, des histoires Mais il serait inutile de bouder notre plaisir de zombies, de mort et de survie les plus immédiat. Welcome back, Rob. O. J. populaires au monde. Bien qu’inégale,

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agenda télé

TWD continue d’épater au moins par intermittence.

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Avec un quatrième album jouissif et riche d’influences essentiellement américaines, les Bordelais de J.C. Satàn ne sont pas le meilleur groupe de rock français mais le meilleur groupe de rock en France. Nuance.

M   Ecoutez les albums de la semaine sur

ais que signifie le logo de J.C. Satàn, apparu il y a une poignée d’années pour la première tournée du groupe, et qui orne la pochette de leur quatrième album ? Nous avons posé la question à Paula, la chanteuse du groupe qui a aussi dessiné ce logo, et sa réponse fut sans appel : “Il ne signifie rien”. Mais pas n’importe quoi. Un rien nihiliste, le genre de rien qui veut dire beaucoup, qu’on peut interpréter comme d’obscurs caractères alchimiques, la représentation d’une légion d’ogives de l’Apocalypse venues nettoyer une fois pour toutes le monde de sa corruption, ou les symboles de parts de pizza. Car il y a tout cela dans J.C. Satàn, la magie, la peur et la trivialité. Rappel biographique : J.C. Satàn naît à Bordeaux, de la rencontre entre les chansons abrasives mais néanmoins mélodiques du multi-instrumentiste Arthur et la voix (de garage) de Paula. Qui résume : “Arthur avait des morceaux sans voix, juste basse et guitare. Il ne savait pas quoi en faire. Moi, je n’avais jamais joué dans un groupe, ça ne m’intéressait pas, mais il m’a demandé de chanter sur des morceaux. C’est comme ça que le groupe est né. On a fonctionné

Toums

sous le soleil de Satàn comme ça pendant longtemps.” Arthur : “On ne voulait même pas faire un groupe à la base, juste mettre des morceaux sur MySpace pour rigoler. Au début, on n’avait pas de matos, pas de potes pour nous enregistrer. Je composais tout le temps et j’enregistrais dans ma chambre sur l’ordi. J’écrivais un morceau, je me branchais chez moi la nuit et je l’enregistrais. C’était pratique et rapide.” Quelques disques suivent (bricolés à la maison et, pour les deux premiers albums, sortis par le label américain Slovenly), J.C. Satàn devient un vrai groupe (de cinq musiciens) pour la scène, les concerts s’enchaînent déchaînés, et la rumeur enfle jusqu’à franchir le mur du son, puis exploser sur ce nouvel album (toujours enregistré à domicile, mais avec un peu plus de moyens), le meilleur des quatre : J.C. Satàn pourrait bien être le meilleur groupe de rock en France – mais pas le meilleur groupe de rock français, peut-être à la limite le meilleur groupe de rock américain en France. Parce que c’est tendance (la scène Thee Oh Sees, tout ça), au nom de J.C. Satàn est souvent accolé le qualificatif de garagerock. Le groupe s’en dédit. C’est même pour en sortir, du milieu garage-punk dans lequel il jouait, qu’Arthur a créé J.C. Satàn.

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un vortex sonique où s’engouffrent mille idées, mille sons, mille émotions, mille énergies

“C’est devenu un groupe, mais au départ c’est le fourre-tout de ce que je ne pouvais pas faire dans mes premiers groupes. J’aimais des choses comme les Breeders, les Pixies, les premiers Queens Of The Stone Age, et puis Jean-Claude Vannier, Gainsbourg, les Beatles.” Au diable les influences de J.C. Satàn : ce qu’on entend dans ce quatrième album, et qui fait le style du groupe, c’est un carambolage, un maelström de métal en fusion et de mélodies jolies, de brutalité et de candeur, de culture pop (des expériences sonores des 60’s à l’esthétique grunge et lo-fi des 90’s, sens dessus dessous) et de frayeurs médiévales, des murs du son ornés de graffitis gothico-psychédéliques. Rien de nouveau, pour le rock, ni pour J.C. Satàn. Des remontées de Sonic Youth, des bouffées de Butthole Surfers, X ou Mudhoney. Mais à l’écoute, le sentiment, finalement assez rare aujourd’hui, que ce groupe très physique décrasse et transcende ses influences (et celles qu’on lui prête, parfois à son corps défendant) plus qu’il ne les récite ou les régurgite. Ce disque est truffé des pièges. Déjà, il commence par vingt secondes de silence, vicieuse introduction à Satan II, un des morceaux les plus cathartiquement brutaux du groupe, voire du rock en général.

“C’est un peu un test, j’aimerais bien que les gens montent le son, et que ça leur pète les tympans quand la musique arrive. Après on peut aller plus loin”, explique Arthur. Les ogives de l’Apocalypse ont explosé, on compte les survivants et on reconstruit le monde en sifflotant. La suite de l’album est un vortex sonique où s’engouffrent mille idées, mille sons, mille émotions, mille énergies. Des guitares électriques bien sûr, mais aussi du piano, des sons acoustiques, des arrangements psychédéliques. La vraie nouveauté à l’échelle du groupe, qui tranche en douceur avec ses albums précédents, c’est l’éclosion d’un bouquet de ballades épineuses, aussitôt déflorées, assemblées entre l’enclume et le marteau d’un forgeron mélancolique puis terminées dans un four à pizza plus chaud que l’enfer. Stéphane Deschamps album J.C. Satàn (Born Bad Records) concerts le 30 octobre à Ris-Orangis, le 31 à Rouen, le 5 novembre à Saint-Etienne, le 6 à Metz, le 15 à La Rochelle, le 16 à Paris (Maroquinerie), le 20 à Limoges, le 21 à Marmande, le 25 à Rennes jcsatan.com retrouvez l’intégralité de l’entretien sur 21.10.2015 les inrockuptibles 79

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Yann Stofer

Envie de découvrir Ibeyi, Holy Two, Buvette, Cléa Vincent, Radio Elvis, Hyphen Hyphen, Fakear ou encore Perez (photo) sur scène ? Rendez-vous du 16 au 21 novembre pour l’édition 2015 du festival Nouvelles voix en Beaujolais. Un festival tourné vers la scène française émergente, avec des surprises à la clé. theatredevillefranche.asso.fr

Tala Hadid

beaujolais nouveau

tout le monde aux Bouffes du Nord Troisième édition du festival WorldStock (du 17 au 28 novembre à Paris aux Bouffes du Nord), qui s’impose encore une fois comme une sorte de best-of scénique de l’année pour les musiques du monde – mais pas seulement. En dix soirées, on y verra cette année Hindi Zahra (photo), Family Atlantica, Alela Diane & Ryan Francesconi, Daymé Arocena, Ablaye Cissoko, Erik Truffaz en quartet ou encore le nouveau groupe touareg qui monte, Imarhan. worldstockfestival.com

Le1f, 1st round Déjà figure de proue de la scène rap queer new-yorkaise, Le1f a enfin annoncé l’arrivée de son premier album. Riot Boi sortira en novembre et contiendra des participations de Devonté Hynes, Junglepussy, Don Christian & Miss Geri ou encore Evian Christ. Deux extraits sont déjà en écoute sur YouTube.

Jonny Greenwood, guitariste emblématique de Radiohead, est en studio avec sa propre formation et devrait sortir un album avant la fin de l’année. Enregistré avec le compositeur israélien Shye Ben Tzur, le producteur Nigel Godrich et plusieurs autres artistes, le disque sera présenté dans un documentaire réalisé par Paul Thomas Anderson. Classe.

Warren du Preez & Nick Thornton Jones

un Radiohead en solo

tournée Massive Un nouvel album de Massive Attack dans les prochains mois ? C’est ce que semble annoncer le groupe en dévoilant une nouvelle tournée européenne de vingt-deux dates à partir du mois de janvier, du RoyaumeUni à l’Allemagne en passant par la France. Il y aura en effet un concert au Zénith de Paris le 26 février, dont les places sont déjà disponibles à la vente.

neuf

John Coltrane Rumex

Nicolas Michaux Rescapé de la formation rock Eté 67, Nicolas Michaux revient en solo, chez Tôt ou Tard, avec un ep plutôt chic qui paraît ces jours-ci. Entre pop et chanson, en français et en anglais, le Belge y raconte les errances musicales qu’il a traversées ces dernières années. Le disque s’appelle Nouveau départ : tout un programme. nicolasmichaux.bandcamp.com

Elle vient de Budapest mais elle pourrait tout aussi bien débarquer d’une autre planète. Dans ses premiers morceaux, Fanni Fazakas, alias Rumex, interroge la technologie et l’esthétique pop d’aujourd’hui. De la PC music à la techno en passant par quelques délires bruitistes, tout est bon pour faire passer son message. rumexinaction.com

Rose McDowall A la fin des années 80, l’Ecossaise Rose McDowall se sépare de son groupe, Strawberry Switchblade. S’en suit une jolie revanche : Cut with the Cake Knife, un album solo bourré de tubes bien sucrés, aujourd’hui réédité avec deux inédits. Une bonne occasion de (re)découvrir ce trésor caché de la new-wave.

Suprême chef-d’œuvre du jazz et de la musique mystique, A Love Supreme de Coltrane a 50 ans. Il revient le 6 novembre sous le nom de The Complete Masters, dans un coffret 3 CD indispensable contenant trente minutes inédites (avec notamment Archie Shepp), un live de 1965 au festival de jazz d’Antibes, des versions mono et un gros livret.

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Julien Bourgeois

lumière Noir Venu d’Auvergne, Pain-Noir est un éblouissant projet de chansons en français : mangeons de ce pain-là.



ommençons par souhaiter le meilleur à un nouveau label qui se monte en France : TomBoy Lab. Ses débuts, en tout cas, promettent le meilleur puisque c’est via cette nouvelle structure que nous parvient cet automne le premier album de Pain-Noir, très beau projet d’un artiste qu’on connaissait en fait déjà un peu. Avec St. Augustine, en effet, alors membre de l’écurie Kütu Folk, le Français François-Régis Croisier avait fait des petits miracles folk il y a quelques

à mi-chemin entre Yves Simon et Sufjan Stevens, un pied dans la chanson, l’autre dans le grand bain du folk indé

années. Le Clermontois a pris son envol et sévit à présent en solo : il compose de la musique quand sa carrière d’instituteur lui en laisse le temps. “Je suis François-Régis Croisier, je vis à ClermontFerrand où je partage mon temps entre la musique, l’enseignement, le dessin et ma famille”, résume-t-il. Le nom de Pain-Noir lui est venu dans un drôle de rêve. “Je ne sais plus trop pourquoi mais j’avais en tête cette idée d’un nom symétrique et une nuit, sûrement car cette idée m’obsédait, j’ai rêvé d’un homme qui ressemblait au pasteur de La Nuit du chasseur et qui portait les mots ‘Pain Noir’ tatoués sur les phalanges. Il me paraissait difficile d’y échapper après ça…” Ce changement de nom s’accompagne d’un changement de démarche.

Oubliée, ou presque, l’influence du rock de barbu à chemise de bûcheron, exit le regard tourné vers l’Ouest américain. Avec Pain-Noir, l’Auvergnat a préféré le français et fait le choix, audacieux, de chanter sans ornements, sans cérémonie. Le résultat est à la fois sobre et magnifique, proche, parfois, de certains travaux de JP Nataf (Passer les chaînes ou le sublime Requin baleine). “J’ai toujours chanté pour moi seul des reprises en français comme en anglais donc, d’un point de vue purement technique, c’était assez simple. Après, il m’a fallu assumer de chanter mes textes et ça a été un peu plus délicat. J’ai heureusement d’abord chanté pour mes proches, ce qui a rendu la transition plus simple.”

Avec souvent pas plus qu’une guitare et un piano, François-Régis Croisier semble avoir trouvé sa place dans le paysage musical. On le verrait bien à mi-chemin entre Yves Simon et Sufjan Stevens, un pied dans la chanson, l’autre dans le grand bain du folk indé. Ses héros artistiques, en tout cas, sont variés : ils vont de Leonard Cohen à Brassens, de Robert Desnos à Thelonious Monk, de Cormac McCarthy à Vinícius de Moraes, Jason Lytle ou René Magritte. Tout, dans le premier album de Pain-Noir, a le charme artisanal du fait-main, du projet familial. “J’ai joué la plupart des instruments et mon ami Olivier Perez de Garciaphone a fait un travail incroyable d’enregistrement et de mix, et joué toutes les batteries. Comme je préfère travailler avec des proches, son amie Julie est venue faire des chœurs avec Aurélia, ma chère et tendre, qui a aussi écrit et joué les parties de piano. Mon ami Zacharie, qui jouait déjà avec St. Augustine, a aussi participé à deux morceaux et Mina Tindle, dont j’adore la voix, a eu la gentillesse de bien vouloir m’accompagner sur une chanson (Jamais l’or ne dure – ndlr).” Dans la vie, on l’a dit, François-Régis Croisier est instituteur. Qu’il nous compte désormais comme pensionnaires de son école de fans. Johanna Seban album Pain-Noir (Tomboy Lab/Sony) concerts le 28 octobre à Paris (Silencio), le 9 décembre à Mérignac et le 11 à Paris (Gaîté Lyrique), dans le cadre du Winter Camp Festival pain-noir.bandcamp.com

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la découverte du lab The World Retour vers le futur pour trois Rouennais qui ne manquent pas d’humour et signent un album de “pop win” célébrant les 80’s et la Trump Mania. ’est dans le grenier d’une maison de campagne que Jean-François Riffaud (clavier, chant), Nicolas Cueille (guitare, chant) et André Pasquet (batterie) débutent l’aventure The World en rassemblant leurs vieilles bandes magnétiques chéries (Phil Collins, INXS, Michael Jackson). Singeant toute l’insouciance de leur enfance, ces gosses des années 80 rendent hommage à leur sacro-saint vidéo-club (Ghostbusters, Terminator ou encore Gremlins). Le trio fantasme “une époque de profusion à tous les niveaux, où l’ambition n’est réfrénée par aucune morale, où le gaspillage des matières premières est une preuve de puissance, un monde irresponsable et adolescent (dont nous avons l’impression de payer les frais aujourd’hui)”. Pour leur premier album, ils ont donc choisi d’enregistrer sur un 4-pistes à cassettes : “Nous désirions cette couleur de son pour réchauffer nos machines numériques”. Désinhibés et disposés à fêter noblement les trente ans de leur pierre philosophale, Retour vers le futur, ils signent là une déclaration d’amour cynique en enfilant un costume bien trop grand, avec un pseudo prévu pour remplir des stades et en empruntant un visuel tout droit sorti d’un bac à disques invendus. Et si les solos de guitare grisants du titre When Lovers Love ne vous font pas regretter d’avoir balancé vos épaulettes et votre brushing soufflé, il est encore temps de changer d’avis en concert. Abigaïl Aïnouz tournée française du 17 au 31 octobre (le 25 à Paris, Petit Bain, pour la release party) sortie CD et vinyle (Kythibong) kythibong.org

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Paul Heartfield

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Public Image Ltd What the World Needs Now PiL Official/ Differ-ant Sur le dixième album de PiL, l’ancien chanteur des Sex Pistols, John Lydon, revêt à nouveau son habit réversible de clown et d’imprécateur. Avec une verve inentamée. oyons clair : depuis auxquelles il soumet son organe, son avènement en tant ces “r” roulés jusqu’à la glotte, qu’antéchrist punk, Lydon ce penchant pour le rauque, a maintes fois démontré le caverneux, le guttural peaufiné qu’il n’avait strictement rien à l’extrême au point d’approcher, à dire de bien captivant sur la vie, sur l’excellentissime Corporate, le monde ou ses semblables. son maître Captain Beefheart. En gros, tout est pourri (rotten) Mais le talent de Lydon ne ici-bas, et d’ailleurs no future se limite pas, loin s’en faut, bla bla bla… Quant à faire à sa manière faubourienne et l’effort d’aimer son prochain, hyper expressionniste de chanter. il suffit d’écouter Know Now pour Il possède également l’art comprendre que, décidément, de s’entourer. Avec Lu Edmond à c’est pas son truc. Comme le la guitare et Scott Firth à la basse, disait Cioran : “Est-ce qu’un virus a il parvient à nous faire oublier la faiblesse d’aimer un autre virus ?” l’heureux compagnonnage Dans le morceau Shoom, attendezde l’époque Metal Box où, flanqué vous aussi à recevoir un énième de Keith Levene et Jah Wobble, et spectaculaire inventaire de il s’affranchissait des derniers ce qui nourrit aujourd’hui comme académismes rock pour s’aventurer hier son exécration fondamentale : dans un no man’s land entre zone “Le sexe c’est nul, le succès post-industrielle kraut et ghetto-dub. c’est nul, les humains sont nuls, Un terrain qu’il occupe aujourd’hui vous êtes nul”, etc. encore avec une exaltation mégalo, Pourtant, à ce dégoût essentiel comme si c’était un royaume désormais édifié en posture, sur lequel il veillait jalousement. on doit admettre qu’il a toujours Au fond, ce n’est pas tant su donner un style, et surtout maudire le monde qui rend une voix d’une impressionnante le personnage encore intéressant théâtralité, pouvant passer aujourd’hui (tout est résumé des éructations d’un clochard dans la tirade finale “what the world entre deux vins aux vocalises needs now is another fuck off”) d’un baryton d’opéra atteint que la féroce jubilation qu’il d’encéphalopathie spongiforme emploie à le faire. Francis Dordor aiguë. On apprécie tout pilofficial.com particulièrement ces nuances

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Dralms Shook Full Time Hobby/Pias De grandes chansons hybrident le gel et la brûlure, l’intime et l’immense, le mécanique et le charnel, dans un passionnant dédale. l faut, parfois, prendre mille précautions éponyme, de Fever Ray – influence affirmée avant de s’enfoncer dans les méandres de Smith… Mais la lumière, aveuglante d’un album. Il faut, parfois, et saisissante, peut pourtant surgir s’armer d’absolues non-certitudes. de ces morceaux abyssaux à tout instant. On pense notamment à ce disque Les tendues, magnifiques et changeantes de Dralms, groupe du Canadien surdoué jusqu’à l’orage Domino House ou Divisions Christopher Smith. Plus obsédant, of Labour, la robotique My Heart Is in plus impressionnant au fil des écoutes qui the Right Place, Objects of Affection révèlent chacune, comme les motifs avec son saxo et sa basse slappée presque inattendus d’un kaléidoscope, de nouveaux incongrus, Wholly Present et son r’n’b trésors cachés, son très sonique Shook est congelé, ou l’ample et rageuse Gang of plus qu’un album : il est aussi un trompePricks : autant de chansons qui imposent l’œil, un trompe-l’âme, un trompe-tympans. avec grâce, force et parfois fracas leur Shook semble minimal, mais beauté profonde, autant de morceaux ce minimalisme apparent peut, entre qui dessinent sur disque, et sur scène les lignes ou directement, progressivement, plus encore, un hybride parfait, trompeur, se dilater en des arrangements vicieux et dédaléen entre le petit surprenants, son intimisme lyrique gonfler et l’immense, la froideur mécanique et jusqu’à surpasser la stratosphère. la moiteur sensuelle, entre la désolation La surface de Shook est synthétique mais de l’hiver nucléaire et l’espoir son cœur n’est pas fait de 0 et de 1, d’un printemps éclatant. Thomas Burgel de circuits imprimés sans vie mais de chair et d’os, d’organes palpitants, de sang noir et concerts les 2 et 4 décembre de plasma fluo. Shook est sombre, lugubre, aux Transmusicales de Rennes dralmsmusic.com crépusculaire, comme a pu l’être l’album,

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Grand Parc Grand Parc Beau Travail Promotion

Anima Rising

Gerald von Foris

Occultation

Ms. John Soda Loom Morr Music/La Baleine Le duo electro-pop allemand est de retour après neuf ans d’absence. Avec la mélancolie comme arme de destruction massive. e la même manière que Markus Acher (le leader de The Notwist) collabore avec Valerie Trebeljahr pour Lali Puna, son petit frère Micha Acher se joint à nouveau à Stefanie Böhm pour ce troisième album de Ms. John Soda. L’ancienne claviériste du groupe instrumental Couch et le bassiste de Tied & Tickled Trio savent toujours aussi bien composer des mélodies emplies de noirceur et de flamboyance. Le fantôme de Trish Keenan de Broadcast ne rôde jamais loin de cet album intense, riche et à la tension constante. La graduelle et anxiogène In My Arms ouvre l’album avant que la libératrice Hero Whales permette de sortir la tête de l’eau. La douce et innocente voix de Stefanie Böhm contraste aussi bien avec les ritournelles electro obsédantes (Millions) qu’avec les riffs de guitare (Sirens). Alors que le morceau Hi Fool aborde la difficulté de construire des relations, l’horizon d’un jour nouveau qui se lève au loin apparaît avec Fall away. Une goutte d’espoir dans un océan de mélancolie. Brice Laemle

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Des grognards venus des Undertones ou That Petrol Emotion font le rock. Ce “Yeah qui n’en finit pas”, c’est celui que l’on hurle les doigts dans la prise et les oreilles pincées par des pop-songs qui nous mèneront joyeux en enfer. Et des “yeah !!!” éternels, la guitare de Damian O’Neill nous en a fait pousser des palanquées, tout d’abord au sein des formidables morveux des Undertones, puis avec That Petrol Emotion, un des meilleurs fournisseurs d’électricité anglaise des années 80-90. Ici rejoint par trois autres membres des pétrolettes, il carbure à un étrange mélange de kérozène sur les chansons nerveuses, puis de diesel sur des boogies sans grâce de salle des fêtes. Mais il reste ici un vieux fond teigneux, irascible, têtu, qui sauve de l’arthrite des fulgurances en vrac comme Taking That Damn Train Again ou A Little Bit of Uh-Huh & A Whole Lotta Oh Yeah. Plus vraiment des teenage kicks, mais les adult kicks leur vont bien. JD Beauvallet theeverlastingyeah.com

grandparc.bandcamp.com

Sam Lea

The Everlasting Yeah

Du math-rock au psychédélisme, des chansons étranges et normandes. A la limite de la dissonance, du plongeon tête la première dans le vide, du pyschédélisme sans billet de retour en poche, cette prog-pop a dit merde aux douaniers, merde aux habitudes (mais oui à This Heat). Ces Normands ont joué avec Connan Mockasin, et ce n’est pas un hasard, tant se dessine dans ces chansons tortueuses, impatientes, instables une même approche, accélérée jusqu’au tournis, de l’écriture. C’est à la fois la beauté de cette pop impossible à cartographier, et sa limite dangereuse : elle provoque shimmy et troubles sensoriels graves. JDB

Will Samson Ground Luminosity Talitres Splendide et obsédant, le nouvel album d’un orfèvre folktronica. Et si Brian Eno produisait Bon Iver ? Facile, on obtiendrait sans doute Ground Luminosity, le troisième album du discret Will Samson. Entre ambient et folk, donc, l’Anglais continue de développer des idées à la finesse désarmante, mêlant sa voix écorchée à des arrangements étirés au maximum, comme tendus et poncés jusqu’à l’essence. Il en ressort une série de morceaux limpides, évoquant tour à tour Deptford Goth (When I Was a Mountain), Cheek Mountain Thief (Flow, the Moon, avec Michael Feuerstack) ou directement le Music for Airports d’Eno (Ground Luminosity et Suspended, avec Benoît Pioulard). Détail qui n’en est pas un : Will Samson s’est récemment pris de passion pour la pratique de la méditation. Ainsi peut-on voir cet album comme un voyage intense dans les profondeurs de l’esprit. Maxime de Abreu willsamson.co.uk

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Josef Salvat Night Swim Columbia/Sony

Aksak Maboul

Mark Hollander et Vincent Kenis en 1977

Onze danses pour combattre la migraine Crammed Discs Encore une perle fantaisie sortie des archives du label Crammed. n an après la sortie de l’Ex-futur album de Véronique Vincent & Aksak Maboul, tourneboulant élixir d’electro-pop acidulée qui était resté inédit pendant trente ans, le label belge Crammed poursuit le dépoussiérage de ses précieuses archives avec la réédition en vinyle de Onze danses pour combattre la migraine, l’incunable premier album d’Aksak Maboul sorti en 1977. Ça commence avec Mercredi matin. C’est l’acte de naissance d’Aksak Maboul, c’est le jour des enfants, et tout cet album est joué à la façon dont les petits d’hommes, téméraires et libres, inventent des mondes avec trois crayons de couleur et une feuille de papier. L’époque n’est pas encore aux musiques du monde et à leur recyclage/métissage. Tout cela, c’est le label Crammed (fondé par le noyau dur d’Aksak Maboul) qui va le faire à partir des années 80, avec les musiques des Balkans et du Congo. Mais tout est annoncé dans cet éclectique premier album d’Aksak Maboul. Musiques du monde en chambre, proto-comeladeries synthétiques, hybrides de jazz, d’exotica et de prog lo-fi, folklore de fête foraine, véritable petit enfant qui chante : dans le laboratoire d’Aksak Maboul se bricolent d’improbables et parfaits prototypes, des miniatures charmantes qui esquissent le futur, avec un esprit de curiosité débridée qui s’est malheureusement perdu en route. Musique visionnaire, oui, avec un strabisme convergent vers des sommets de fantaisie et d’inventivité. La migraine est passée, merci docteur Maboul. Stéphane Deschamps

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Touchant, le premier album de l’Australien se perd néanmoins dans les évidences FM. Dommage. On a découvert Josef Salvat en 2013 avec ses premiers titres, This Life et Hustler. A l’époque, ce jeune Australien francophile lançait des promesses avec son électronique aérienne et sa voix de crooner torturé : c’était beau. Mais ensuite, Josef est devenu star de la radio avec sa reprise du Diamonds de Rihanna (quelle idée, aussi…). A partir de là, la logique d’efficacité a pris le pas sur la singularité d’un garçon pourtant malin, qui publie aujourd’hui un premier album pas toujours finaud. Car si certains morceaux font illusion (Open Season, tube dont la version française est assez touchante ; Hustler, seul rescapé de 2013 ; Night Swim, slow très lanadelreysque), le reste plonge la tête la première dans la soupe normalisée des Castafiore de service, façon Florence & The Machine. Et ce n’est pas la reprise du Week-end à Rome de Daho (exercice touchant, encore une fois) qui fera de cet album autre chose qu’un bon produit pour RFM et Virgin. M. de A. josefsalvat.com

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Tom Wright

Vietnam/Because

Faces 1970-1975 – You Can Make Me Dance, Sing or Anything… Rhino Réévaluation d’une très riche heure du Londres seventies, pinte d’émotion et rock râpeux inclus. e rock’n’roll, pour une vie plus grande que la musique. Lorsque Steve Marriott abandonne les Small Faces en 1969, les survivants (dont le merveilleux Ronnie Lane à la basse) changent d’appellation, intègrent le guitariste Ron Wood, et Rod Stewart, chanteur extraordinaire tel qu’il fut qualifié par Jeff Beck, puis quittent leurs défroques de petits princes mods pour les rives plus tourmentées et électriques d’une inspiration âpre, en pendant festif et paillard, mais pas moins talentueux, des Stones. Ce coffret, réédition des quatre albums des Faces, augmentée du nécessaire volume de raretés, confirme jusqu’à la réhabilitation que ces cinq garçons dans le pub damaient le pion à la concurrence par leur capacité à interpréter avec semblable pertinence Chuck Berry, Paul McCartney ou Big Bill Broonzy, ou à offrir un répertoire original, jovial, et au plus près de l’essence même du rock. Désormais groupe culte, les hommes de Londres ne résisteront pas à la fulgurante ascension en solo de leur chanteur. Mais Oasis ou The Black Crowes témoignent de la persistance de leur message hédoniste. Christian Larrède

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Kenny Jones, Rod Stewart, Ronnie Lane, Ron Wood et Ian McLagan

Lorgnant vers l’indierock US, le premier album de ces Français est une déflagration secouante. Dans la foulée de Guided By Voices, de Grandaddy et de Fidlar, dont ils ont assuré la première partie parisienne, les six gus de 51 Black Super révèlent un goût certain pour les mélodies maltraitées, les refrains martelés et les pop-songs négligées. Pour autant, mieux vaut ne pas se fier à cette généalogie. Si ce premier album homonyme transpire la mauvaise bière et semble rodé à l’école MTV, bastion historique du rock californien et de la culture skate, ses racines sont bel et bien françaises. Formé, entre autres, de Renaud et Pepe de H-Burns, mais aussi de Franck Annese (grand manitou de So Press et du label Vietnam), 51 Black Super se révèle lui aussi capable de mettre sens dessus dessous les campus américains avec ses refrains entêtants et ses grosses guitares, d’une simplicité percutante. Bigger et Over the Bridge devraient d’ailleurs provoquer le même retournement fou, les mêmes pogos fiévreux que n’importe quelle figure tutélaire du grunge. Et pourtant, derrière ses manières frustes et ce rock joué sur la brèche, la puissance mélodique de ce disque stupéfie, notamment sur l’ultime Looking back, capable sans problème de chercher des noises à Sparklehorse ou Palace Brothers. Maxime Delcourt facebook.com/51blacksuper

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Low 30/10 Tourcoing, 2/11 Paris, Divan du Monde Mansfield.TYA 28/10 Toulouse, 13/11 Paris, Café de la Danse Metz 27/10 Paris, Maroquinerie, 28/10 Lille Motorama 27/10 Paris, Café de la Danse

sélection Inrocks/Fnac Lower Dens à Paris, Badaboum De retour avec Escape from Evil, fort de tubes synth-pop catchy, le quintet de Jana Hunter promet un set majestueux ce jeudi grâce à sa dream-pop ténébreuse.

Multiple Tap le 17/11 à Paris, Gaîté Lyrique, avec Yousuke Fuyama, Akiko Nakayama, Ko Ishikawa… New Order 4/11 Paris, Casino de Paris Festival Nördik Impakt du 21 au 24/10 à Caen, avec Daniel Avery, Rødhåd, Marek Hemmann, Superpoze, Flavien Berger, Jeanne Added, Boys Noize… Perez 2/11 Paris, Maroquinerie, 14/11 Istres, 19/11 Tourcoing, 21/11 Villefranchesur-Saône Pitchfork Festival du 29 au 31/10 à Paris, avec Beach House, Run The Jewels, Battles,

sélection Inrocks/Fnac Gengahr au Point Ephémère (Paris) Leur premier album sorti cet été promettait des performances live hors du commun. Avec des tubes psyché-pop qui collent aux oreilles et la voix hautement perchée de son frontman Felix Bushe, la musique de Gengahr oscille entre Alt-J et Unknown Mortal Orchestra sans tomber dans le cliché de la pop mainstream. On peut d’ores et déjà s’attendre à une prestation survoltée à Paris, au Point Ephémère ce vendredi. Deerhunter, Spiritualized, Ariel Pink, Rhye, Unknown Mortal Orchestra, Destroyer… Ratatat 30/10 Lille Salut C’est Cool 31/10 Brest The Shoes 18/11 Paris, Olympia, 22/10 Troyes, 20/11 Lille Soy Festival du 28/10 au 1/11 à Nantes,

avec Ariel Pink, Girls Names, Suuns + Jerusalem In My Heart, Protomartyr, Skull Defekts… The Chap 22/10 Marseille, 23/10 Lyon, 24/10 Dijon, 25/10 Paris, Petit Bain, 26/10 Lille We Are Scientists 01/12 Paris, Petit Bain

aftershow

Ludoboulnois

!!! (Chk, Chk, Chk) 25/10 Lille, 26/10 Paris, Machine Albert Hammond Jr. 13/11 Nantes Apparat 06/11 Paris, Gaîté Lyrique Ash 01/12 Paris, Petit Bain Baden Baden 10/12 Massy Bebop Festival du 4 au 14/11 au Mans, avec The Shoes, Jeanne Added, Thylacine, Shake Shake Go, Arthur H… Benjamin Clementine 4/11 Paris, Olympia, 17/12 Genève Black XS Festival du 28 au 29/11 à Paris, Trianon, avec Camélia Jordana, Pony Pony Run Run, Shake Shake Go, Nach, Hanni El Khatib… Feu ! Chatterton 23/10 Nantes, 22/11 La Rochelle Fink 14/11 Fribourg Flavien Berger 21/10 Caen, 30/10 Brest, 6/11 Gennevilliers, 21/11 La Rochelle Hot Chip 18/11 Paris, Casino de Paris, 19/11 Reims Festival Les IndisciplinéEs du 7 au 15/11 à Lorient, avec The Soft Moon, Son Lux, Flavien Berger, Ibeyi, Albert Hammond Jr., Lou Doillon…

Festival les inRocKs Philips du 10 au 17/11 à Paris, avec Algiers, Fat White Family, Flo Morrissey, Son Lux, Flavien Berger, Alabama Shakes, John Grant, Odezenne, Lapsley, Wolf Alice, The Districts, Max Jury, Formation, Ghost Culture, Bo Ningen, Last Train… Jay-Jay Johanson 29/10 Strasbourg JC Satán 30/10 Ris-Orangis Last Train 26/11 Nancy, 30/10 Romanssur-Isère, Lou Doillon 14/11 Lille, 18/11 Biarritz, 20/11 Nantes, 28/11 Villeurbanne

Danny Elfman et l’Orchestre Lamoureux le 11 octobre à Paris (Grand Rex) Compositeur à l’imagination inouïe, Danny Elfman transporte ses bandes originales des films de Tim Burton au Grand Rex, en compagnie de l’Orchestre Lamoureux. Même principe pour chaque film revisité : le chef d’orchestre dirige un ou plusieurs morceaux pendant qu’un grand écran diffuse des scènes marquantes et de fascinants dessins préparatoires esquissés par le réalisateur. De Beetlejuice à Dark Shadows, de Sleepy Hollow à Edward aux mains d’argent, les perles se succèdent, particulièrement impressionnantes avec ces 90 musiciens et 45 choristes. On passe d’un émerveillement à un autre : Mars Attacks! et son thérémine inquiétant, Big Fish et ses folk-songs symphoniques, le diptyque Batman et son thème inoubliable, ou encore Alice au pays des merveilles et son souffle épique. Maître des sortilèges à la gestuelle passionnée, l’élégant Danny Elfman vient chanter quatre titres de L’Etrange Noël de monsieur Jack, l’une des très belles réussites de sa collaboration fusionnelle avec Tim Burton. Chez ce duo complice qui manie avec brio le funèbre et le ludique, la mélancolie n’éclipse jamais le merveilleux. Noémie Lecoq 21.10.2015 les inrockuptibles 87

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Renaud Monfourny

salle obscure Projectionniste au Brady au début des années 2000, Jacques Thorens nous ouvre les portes d’un des derniers cinémas de quartier parisiens, temple de la série Z et cour des miracles. Plongée dans un monde branque et disparu.

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ttirée par le néon bleu qui surplombe la façade Art déco, à moins que ce ne soit par l’affiche criarde d’une “taïwanerie martienne” ou d’un “western moussaka”, une âme errante boulevard de Strasbourg à Paris s’aventure, inconsciente, dans le hall du Brady. A la caisse, Gérard lui vend un ticket pour Cannibal Holocaust et égare la monnaie dans les replis baveux de son omelette au lard. Après avoir poussé la porte, le spectateur débarqué là par hasard découvre que le film se joue autant dans la salle que sur l’écran. Au premier rang, des clochards, encombrés de leurs sacs qui dégorgent, roupillent et ronflent. Derrière, dans l’assistance clairsemée, “quelques chômeurs fatigués, des attardés mentaux en errance, un SDF chinois qui boîte, des retraités esseulés, des fêlés, de vieux homosexuels maghrébins et prolétaires, un exhibitionniste, deux jeunes prostitués algériens, des célibataires qui s’ennuient (…) des obsédés sexuels compulsifs ou des tripoteurs un peu mous”. C’est toute cette vie obscure, parallèle et interlope que raconte Jacques Thorens (on entend forcément “Jack Torrance”, écrivain

à la hache dans Shining de Stephen King) dans son premier livre, Le Brady – Cinéma des damnés. Après des études de cinéma et d’arts graphiques, Thorens est embauché en 2000 comme projectionniste au Brady, salle de quartier mythique spécialisée dans le fantastique – cinéma bis ou série Z –, la dernière du genre à Paris après la disparition du Midi-Minuit, du Colorado ou du Styx. Le propriétaire des lieux s’appelle alors Jean-Pierre Mocky, réalisateur culte à force d’être kitsch, dont l’œuvre est peuplée de trognes outrancières et de personnages ringards. Chez lui, Deneuve a l’air d’une cruche avec sa perruque rousse frisottée (Agent trouble) et Sim se révèle un interprète d’une grande sobriété (Le Roi des bricoleurs). Mocky a acquis le Brady en 1994 afin d’offrir à ses films une chance d’être diffusés. Bien avant de l’acheter, il s’y rendait parfois avec François Truffaut. “Pour moi, le cinéma, c’est pas seulement le film, c’est aussi l’endroit”, disait-il. Thorens fait sienne cette maxime. En racontant l’histoire de ses années au Brady, il déroule le film d’un endroit hors normes, dans une quasi-tentative d’épuisement d’un lieu parisien à la Perec.

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le spectateur débarqué là par hasard découvre que le film se joue autant dans la salle que sur l’écran

Une sorte de “Last exit to StrasbourgSaint-Denis”, aussi, pour le côté parfois glauque qui peut rappeler Hubert Selby Jr. Il nous entraîne sur une planète étrange, lunaire. “Un petit endroit, qui, de fil en aiguille, occupera la place d’une contrée, avec ses coutumes et son histoire.” Il y a d’abord les habitants du Brady, ses indigènes. Un casting aussi hétéroclite que celui d’un film de Mocky. Gérard, le gérant, qui rêve d’attirer des cinéphiles et n’hésite pas à programmer en même temps Harry Potter, Baise-moi et L’Esclave de satan, Azzedine l’homme de ménage roublard ou Jean le projectionniste virtuose côtoient Django, ancien para et ancien mac devenu biffin, Abdel le pickpocket qui tient parfois la caisse, les rabatteurs des salons de coiffure africains voisins ou encore Laurent, un fervent “bissophile” (amateur de cinéma bis). Un ex de l’OAS peut se retrouver assis à côté d’un ouvrier algérien à la retraite. Le Brady est bien plus qu’une salle de cinéma. C’est un dortoir, une cour des miracles, une backroom, un vestiaire pour putes. Un monde en soi, bricolé, bancal et attachant. Les clochards viennent y dormir. Comme le Brady est un cinéma permanent, ils peuvent rester sans limite de durée. Certains y ont tellement leurs habitudes qu’il font cuire leurs saucisses sur un Butagaz. Dans la salle, ça sent la sueur, la pisse et le sperme. Les fauteuils grouillent de cafards et autres bestioles non identifiées. De vieux homos maghrébins s’y donnent rendez-vous. Ils n’ont pas d’autres endroits pour faire l’amour. La file d’attente est plus longue devant les toilettes qu’à la caisse. Les prostituées bulgares y déposent leurs affaires pendant qu’elles arpentent le boulevard, tapent la discute dans le hall. Une de leurs consœurs chinoises laisse son sac de provisions. “En poussant le bouchon encore plus loin, la définition du cinéma bis correspond aussi à la clientèle : populaire, à petit budget, mal aimé, jugé ringard, moche, dégénéré, ridicule, bizarre, transgressif.” A travers l’histoire du Brady, Thorens évoque aussi une époque qui, si elle n’est pas bien lointaine, semble déjà révolue. Une époque où le cinéma bis, marginalisé, avait encore mauvaise presse et mauvais genre. C’était avant sa réhabilitation par Quentin Tarantino et Kill Bill. Les zombies et les vampires sont aujourd’hui partout, y compris dans les superproductions

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grand public. Le second degré lui offre une seconde chance. Tout comme le cinéma de genre, le quartier du Brady est en voie de réhabilitation. Le Kärcher de Sarkozy est passé par là, le Ripolin de la gentrification aussi. Les cinémas se sont transformés en “parkings à moquette, pour consommateurs de baquets de maïs grillé d’un kilo, encadrés par des vigiles et des vendeurs aux sourires figés”, et le Brady, qui a changé de propriétaire, projette des films parfaitement homologués. En creux, Jacques Thorens esquisse aussi une réflexion sur la norme et le jugement de goût. En quoi Ilsa, la louve des SS, nanar avec des nazies aux gros seins, serait-il moins moral ou plus choquant que La vie est belle

de Roberto Benigni “qui fait ressembler un camp de concentration à une attraction en carton-pâte de Disneyland”, interroge l’auteur. L’aseptisé semble l’avoir emporté sur l’outrance. Et comme toujours la contre-culture finit par être récupérée, “normalisée”. Et l’esprit du Brady, bradé. Elisabeth Philippe Le Brady – Cinéma des damnés (Verticales), 368 pages, 21 €

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Pieter M. Van Hattem/Vistalux/Stock

donjon et dragonne Furieusement postmoderne, le roman de Jennifer Egan réussit le tour de force d’hybrider le gothique avec l’expérimentation sans rien perdre de son suspense.



omancière admirée en Amérique, Jennifer Egan s’était fait un nom avec Qu’avons-nous fait de nos rêves ?, prix Pulitzer 2011. Plume prolifique du New Yorker, du Believer et du New York Times, cette auteur de 53 ans est aussi connue pour avoir inventé la première tweet-fiction : une nouvelle racontée bribe par bribe, en moins de 140 signes comme l’exigeait Twitter à l’époque. La Boîte noire avait fait sensation en 2012 (en France, la nouvelle fut publiée en exclusivité sur le site

des Inrocks). Pour écrire une nouvelle à coup de tweets, il faut avoir le sens de la formule et du suspense, qualités que l’on retrouve dans Le Donjon. Le roman se construit sur différentes strates, comme autant de récits qui se recoupent. Danny, trentenaire new-yorkais mal dans sa peau, se retrouve prisonnier dans un château médiéval quelque part en Europe de l’Est. Son cousin Howie lui a proposé une somme d’argent pour venir lui prêter main-forte dans sa nouvelle propriété. Le piège se referme alors sur lui : ce donjon et sa baronne sadique de

gothique à gogo Jennifer Egan n’est pas la première à revisiter ce genre né au XVIIIe siècle. L’année dernière, on découvrait Les Maudits de Joyce Carol Oates, fresque autour d’une bonne société possédée par le démon. Mais c’est surtout du côté des séries télé que le gothique fait rage via un revival vampires et loups-garous, d’Hemlock Grove à Penny Dreadful. John Logan, le scénariste de cette dernière, a même eu l’idée de réactiver les personnages les plus fantastiques du roman anglais : Dr Frankenstein (Mary Shelley), Dorian Gray (Oscar Wilde) et, dans la saison 3, Dr Jekyll (Robert Louis Stevenson). N. K.

90 ans, qui le soûle pour mieux le violer (une scène extraordinairement drôle de gérontologie en état d’ébriété). Une piscine à l’odeur nauséabonde, où rôdent les fantômes de jumeaux morts noyés. Et la folie de son cousin, perdu dans ses délires de vengeance : faire payer à Danny “l’accident” de son enfance, quand celui-ci le fit volontairement tomber au fond d’une grotte. En parallèle, on suit le récit de vie en prison de Danny, Ray de son vrai nom et narrateur de la première histoire. On assiste à l’écriture, étape par étape, de son roman au cours d’ateliers d’écriture dans le centre de rétention. Troisième récit enfin, celui d’Holly, la prof en charge de ces ateliers de creative writing, toxicomane reconvertie. Si ces personnages ressemblent à des archétypes, c’est pour mieux les déconstruire : Egan s’amuse à le faire tout au long du livre avec ironie.

Le livre lui-même est une sorte de jeu de rôle, comme l’un de ces Donjons et dragons auxquels Howie jouait enfant. Du pastiche de roman gothique à la métafiction en passant par le mélange des genres, Le Donjon est un pur produit du postmodernisme américain : un roman qui se lit dans ses marges, entre ses lignes, à l’image de ces innombrables souterrains construits sous le château. Une économie narrative, un réalisme poignant et une finesse dans la description des sentiments le sauveront du pur exercice de style. Les multiples récits qu’y déploie Jennifer Egan se complètent et se nourrissent, dans une tension haletante, jusqu’au point final. Yann Perreau Le Donjon (Stock), traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Sylvie Schneiter, 292 pages, 20 €

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Swingers de Doug Liman (1996)

le silence des ados

Dans le premier roman de Theodore Weesner, paru aux Etats-Unis en 1972, un teenager étranger à lui-même comme aux autres s’enfonce dans le silence et la délinquance. 16 ans, Alex a volé quatorze frayer un chemin vers les autres, c’est voitures mais n’a jamais lu un livre. en lui-même qu’Alex s’enfonce, une Il ne garde de sa mère qu’un succession d’humiliations rentrées lui lointain souvenir, a perdu son frère faisant entamer avec le monde une étrange et n’entend le chant des oiseaux qu’une fois danse – deux pas en avant, trois en arrière, par semaine – le dimanche, quand cesse tournez le dos à votre partenaire… le bourdonnement des usines de voitures Publié aux Etats-Unis en 1972, le roman de Flint, Michigan. Enfant sauvage des autobiographique de Theodore Weesner friches industrielles et des rivières aux traverse deux saisons – un hiver au ciel relents d’égouts, Alex a en Amérique de glace et un été meurtrier – dont quelques cousins littéraires – les mômes les rigueurs climatiques sont celles de prolo de Russell Banks, les gosses en l’adolescence ; adepte du stoïcisme muet, galère de Don Carpenter, les greasers Alex développe en la quasi-absence bagarreurs du Outsiders de S. E. Hinton – de dialogues une hypersensibilité aux mais peu de réels équivalents : si Le Voleur couleurs, aux odeurs et aux sons. de voitures a bel et bien des allures Dans des paysages urbains chiches de roman d’apprentissage, il s’agit ici d’un en repères historiques ou culturels apprentissage à rebours. Au lieu de se – une complainte country de Patsy Cline,

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un western avec Richard Widmark –, un petit frère des Oiseaux de nuit d’Edward Hopper traîne sa solitude au comptoir d’un diner au nom de fête foraine, déshabille les filles du regard (mais du regard uniquement), voit son bouleversant personnage de père s’acheminer vers le suicide et contemple, de loin, “le formidable phénomène qu’étaient l’humanité et l’existence”. Alliée à l’empathie du regard, l’écriture minimaliste de Weesner donne ici vie à un roman d’une fascinante singularité, dans lequel la poésie la plus lumineuse jaillit du plus noir désespoir. Bruno Juffin Le Voleur de voitures (Tusitala) traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, 424 pages, 23 €

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Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009), photo Francois Duhamel/Universal

la proie et l’ombre Redécouvert par hasard, ce récit d’une réfugiée fuyant le nazisme fait écho à l’actualité. Un texte bouleversant de Françoise Frenkel préfacé par le grand Modiano.

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a page la plus sombre de notre histoire récente, celle qui continue de nous hanter, au XXIe siècle, cette collaboration donc, comment la comprendre ? Comment l’expliquer ? Non d’un point de vue théorique mais dans ce qu’elle fut réellement, au jour le jour. A l’heure où les derniers survivants disparaissent, un témoignage ressort miraculeusement d’outre-tombe. Rien où poser sa tête fut découvert il y a quelques années dans les cartons des compagnons d’Emmaüs à Nice. Le livre avait été publié une première fois en septembre 1945, avant de tomber dans l’oubli. Son auteur, Françoise Frenkel, y raconte son destin tragique, celui d’une juive d’origine polonaise qui fuit l’Allemagne nazie en 1939 pour retrouver les mêmes démons outre-Rhin. C’est un récit qui tire sa force de sa sobriété même : l’urgence d’écrire et la pudeur de Frenkel face au drame qu’elle vit rendent celui-ci d’autant plus tangible. Passionnée de littérature française, la jeune femme ouvre dans

les années 20 la première librairie française à Berlin. De retour à Paris, elle assiste à la lente agonie d’un pays. On vit chaque étape de la dégradation vers l’horreur : de l’incrédulité des premiers temps (la ligne Maginot est infranchissable) au moment où la préfecture de police décide de prendre de “grandes mesures” et où la population entière se met à surveiller les “suspects”, jusqu’aux files interminables d’étrangers qui, comme l’auteur, attendent leurs papiers en tremblant de peur. Le vocable change au fil des chapitres et c’est bientôt tout un peuple, constitué de Français comme d’étrangers, de juifs, d’homosexuels et de tous ceux qui refusent le régime de Vichy, qui se retrouve “réfugié”, en exil sur les routes de France. Ces phrases résonnent de façon terrible aujourd’hui, où l’on pense à d’autres réfugiés venus d’un peu plus loin. Installée à Nice, la libraire échappe à la traque en étant recueillie par un couple de gens bien. Mais ce n’est que le début de son long calvaire. On craint à chaque page qu’elle ne soit arrêtée. “Je préfère ne pas connaître le visage de Françoise Frenkel, écrit Patrick Modiano dans sa préface. Ainsi son livre demeurera toujours pour moi la lettre d’une inconnue, oubliée poste restante depuis une éternité et que vous recevez par erreur, semble-t-il, mais qui vous était peut-être destinée.” Yann Perreau Rien où poser sa tête (Gallimard), 304 pages, 16,90 €

Colombe Schneck Sœurs de miséricorde Stock, 216 pages, 18 €

L’itinéraire d’une femme de ménage bolivienne. Entre roman et enquête. D’après un récent article du site Slate.fr, l’écrasante majorité des personnages des romans français de la rentrée exercent une profession artistique ou intellectuelle. Dans ce paysage littéraire très CSP+, saluons l’entreprise de Colombe Schneck qui se penche, dans Sœurs de miséricorde, sur l’itinéraire d’Azul, une femme de ménage bolivienne passée d’un jardin édénique à la grisaille du RER C. A travers cette “vie minuscule”, la journaliste démonte habilement la mécanique implacable des déterminismes. Indigène, femme et pauvre, Azul subit toutes les dominations. Elle grandit avec ses huit frères et sœurs dans le petit village de Chuqui-Chuqui. Grâce au sacrifice de sa sœur aînée, elle parvient à suivre sa scolarité à Santa Cruz et devient secrétaire. Un rêve d’émancipation brisé net par la crise économique et les dettes de son mari. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Azul n’a plus qu’une solution : partir en Europe, seule, et devenir femme de ménage. Après Mai 67, son livre sur Bardot, et Dix-sept ans, le bref récit de son avortement, Colombe Schneck prend une fois de plus la cause des femmes dans ce texte empathique, à mi-chemin entre le roman et l’enquête. D’une factualité parfois hâtive et désincarnée, Sœurs de miséricorde manque un peu de corps, mais pas d’âme. Elisabeth Philippe

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Hunger Games de Gary Ross (2012)

missions impossibles

D’Hunger Games à Gravity, Frédérique Leichter-Flack analyse un dilemme de notre époque : qui sauver ? Un essai passionnant. ’un huis clos en pleine mer à Deux jours, une nuit… – comme symptômes une lutte pour la survie sociale dans d’une obsession contemporaine. une entreprise, les vies sont parfois A partir d’eux, elle confronte la tradition traversées d’épreuves mortelles de la philosophie morale aux cauchemars qui engagent, dans un espace-temps enfouis de notre présent inquiet. contraint, la responsabilité éthique de La question de savoir qui doit vivre quand chaque sujet. Qui sauver quand on ne peut tout le monde ne le peut pas fait écho pas sauver tout le monde ? Qui sacrifier selon elle à la littérature des camps, pour permettre à quelques rescapés de Primo Levi à David Rousset. Comme de continuer à vivre ? Ce dilemme moral si la distinction entre les naufragés et travaille notre époque, comme le traduisent les rescapés et la polarisation des destins la littérature pour la jeunesse et de et des rôles constituaient l’éternel cadre nombreuses fictions postapocalyptiques. de notre imaginaire fictionnel. Or, suggère Prenant acte de la récurrence de ces avec finesse Frédérique Leichter-Flack, si dilemmes, Frédérique Leichter-Flack Primo Levi a fait l’effort de distinguer dans prolonge une réflexion inaugurée dans la population des détenus du camp les deux un précédent livre, Le Laboratoire des cas catégories des noyés et des sauvés, c’était de conscience (2012), en prenant quelques “pour éveiller à la nécessité de construire objets culturels – la trilogie Hunger Games, des sociétés politiques où cette distinction ne les séries Homeland, Hatufim, The 100, servirait plus, où les qualités et compétences des films comme Gravity, Snowpiercer ou favorables ou défavorables à la survie dans

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le camp pourraient laisser place à d’autres types de relations et contributions sociales”. Ce qui importe, ce n’est pas d’inciter chacun à s’interroger “sur ce qu’il a vraiment dans le ventre”, mais de “travailler à bâtir des dispositifs sociaux, politiques, éducatifs, qui évitent à quiconque d’avoir jamais à se montrer héroïque, ou en d’autres termes, qui permettent à l’humanité de rester humaine sans effort surhumain”. L’insistance sur la politique du ventre et sur la nécessité d’assumer un choix impossible forment de ce point de vue l’indice d’une déshumanisation qui, concrétisée dans l’histoire, a contaminé les esprits contemporains, y compris sur un mode ludique. Jean-Marie Durand Qui vivra qui mourra – Quand on ne peut pas sauver tout le monde (Albin Michel), 208 pages, 16 €

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La France aime les idées, estime le chercheur anglais Sudhir Hazareesingh, qui observe les mœurs folkloriques de notre pays peuplé de tant d’intellectuels au prestige écorné par le vent réactionnaire du moment. a France s’accroche depuis construite, puis fragilisée (surtout des siècles à cette mythologie selon à partir des années 80), l’auteur regrette laquelle la vie des idées structure que la sortie de la caverne soit parfois son espace public et détermine son confuse chez nos penseurs, coupables destin. Sudhir Hazareesingh, professeur d’indifférence devant les faits, à l’inverse à Oxford, parle d’une “passion française” de la tradition pragmatique de pensée dans son essai Ce pays qui aime les idées anglo-saxonne. Il n’y a qu’en France pour éclairer le modèle d’une “tournure où les rationalistes soient passionnés, d’esprit” propre à l’ensemble des Français, les modérés extrêmes, les matérialistes prêts à tout, même mourir (vraiment ?), spirituels, les spectateurs engagés, pour défendre des idées : des idées les internationalistes patriotes, les frères forcément généreuses et universelles, ennemis : même les défaites sont puisqu’ils en sont les promoteurs éclairés ! glorieuses en France. Sous la forme d’un diagnostic distancié Plus gravement, Sudhir Hazareesingh de cet attachement hexagonal à la pensée, interroge la dérive du débat intellectuel l’auteur prolonge une vieille tradition, en France, caractérisé par ce qu’il souvent présente dans les pays angloappelle “la tentation du repli” porté par un saxons, qui s’amusent, non sans ironie, néoconservatisme frileux et xénophobe. à observer les mœurs exotiques Il suffit d’observer la manière dont de notre pays peuplé d’intellos patentés. quelques intellectuels médiatiques, De manière habile, Sudhir Hazareesingh de Finkielkraut à Onfray, polarisent contourne, sans toujours y parvenir, aujourd’hui le débat public pour mesurer le piège de l’essentialisation d’un l’intensité névrotique de cette régression. tempérament (on ne voit pas très bien Mais le livre de Sudhir Hazareesingh en quoi les autres peuples seraient s’arrête malheureusement à ce constat plus fermés que nous au débat déplorable d’une “désintégration intellectuel), en insistant sur certains de l’eschatologie progressiste”, en occultant “traits” de ce caractère national inscrits la masse des travaux de chercheurs dans le patrimoine cérébral depuis le qui vitalisent l’espace intellectuel hexagonal cogito de Descartes. comme jamais, en dépit de la perte Rappelant comment au fil du temps de prestige symbolique de nos penseurs la figure romantique du “clerc” s’est qui n’ont plus l’autorité de leurs aînés

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Catherine Hélie

se faire des idées des années 60-70. Car si chacun peut constater cette dérive réactionnaire, il est exagéré d’en attribuer la responsabilité au monde intellectuel lui-même, beaucoup plus foisonnant et inventif que ne le suggère la doxa dominante. Les idées vibrent au-delà des plateaux de Ruquier, dans les laboratoires, les universités, les revues… Le vrai souci aujourd’hui n’est pas que la France ne pense plus, mais qu’elle pense dans une sorte d’indifférence à peine polie. C’est moins du deuil des idées que nous souffrons aujourd’hui que de la manifestation absente de leur désir, c’est-à-dire de la curiosité envolée pour un champ intellectuel qui résiste avec ses maigres ressources à l’aigreur des temps présents. Jean-Marie Durand Ce pays qui aime les idées – Histoire d’une passion française (Flammarion), 468 pages, 23,90 €

la 4e dimension tout Carver Carol Sklenicka a enquêté pendant dix ans pour écrire cette biographie fleuve de Raymond Carver : de son enfance dans une famille ouvrière à son mariage avec Tess Gallagher, de son combat avec l’alcool à ses amitiés et son travail avec son éditeur, Gordon Lish, Raymond Carver – Une vie d’écrivain (L’Olivier) révélera tout le 5 novembre.

Apostrophes, le film Un film retrace les 40 ans de l’émission littéraire la plus culte, en rassemblant ses meilleurs moments sous forme d’un abécédaire commenté par Bernard Pivot himself. Les Vendredis d’Apostrophes, par Pierre Assouline, le 6 novembre sur France 2 à 22 h 35.

Artaud en toutes lettres Publication des lettres d’Antonin Artaud, écrites entre 1937 et 1943 alors qu’il était interné dans un asile d’aliénés. Des missives adressées à Gide, Balthus, ou au chancelier Hitler (!). Chez Gallimard le 5 novembre.

lire Svetlana Alexievitch Trois des livres majeurs de Svetlana Alexievitch, qui a reçu le prix Nobel de littérature le 8 octobre, sont rassemblés en un volume, Œuvres (Actes Sud). Elle sera sur la scène de l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris le 2 novembre à 20 h.

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la cité des parents perdus Entre biographie fantasmée et parodie de récits d’aventures colonialistes, Olivier Schrauwen dessine un récit poétique à la drôlerie baroque.

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haque livre d’Olivier Schrauwen est une surprise, tant l’auteur change d’esthétique comme de chemise. Pourtant, cachées sous ses dessins ondoient souvent les mêmes hantises, en particulier celle de l’héritage – artistique, familial, historique, colonial (Belgique oblige). Olivier Schrauwen aime en effet jouer avec son image et ses livres tiennent très souvent le rôle de miroir déformant. Avec Arsène Schrauwen, l’auteur se réapproprie l’aventure coloniale de son grand-père parti dans un pays d’Afrique pour retrouver un lointain cousin architecte en charge d’un projet d’urbanisme délirant : Freedom Town – une oasis de civilisation et de modernité qui émergerait au cœur de la sauvagerie. S’engage alors pour le jeune “aventurier” une odyssée digne d’Au cœur des ténèbres en version folklorique et flamande. Tombé amoureux de la femme de son cousin, cloîtré dans une cabane à attendre perpétuellement ce boy qu’il ne voit jamais quand bien même la maison semble avoir été régulièrement nettoyée, il sombre dans la folie. Les hallucinations d’Arsène

se multiplient et se doublent alors de réflexions plus profondes : à bien l’observer, la nature aurait-elle un message à nous délivrer ? Un dessein ? Pire, que va-t-il rester de cette épopée ? Tout en variations de bleu et d’orange, Olivier Schrauwen égrène les cauchemars de son ancêtre et les délires maniacodépressifs de son cousin architecte, qui peine de plus en plus à parachever son projet par manque de fonds. Les jeux de formes et les modes de représentation les plus variés se superposent pour créer une multitude d’inventions visuelles, ludiques mais également plus pertinentes les unes que les autres dès qu’il s’agit d’illustrer les ruptures ou le décalage entre le réel et le fantasmé. Récit poétique par excellence, d’une drôlerie baroque mais à la cruauté sous-jacente, Arsène Schrauwen pourrait bien être la bande dessinée de l’année, tant l’ambiguïté et la jubilation visuelle y sont communicatives. Stéphane Beaujean Arsène Schrauwen (L’Association), traduit de l’anglais par Charlotte Miquel, 280 pages, 35 € 21.10.2015 les inrockuptibles 95

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à fleur de pot Formant un couple étourdissant, Catherine Frot et Michel Fau nous offrent l’occasion de redécouvrir l’élégance piquante de Fleur de cactus de Barillet et Grédy.

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’inspiration naît parfois dans la douleur. Pour tranquilliser Pierre Barillet tandis qu’il manie la roulette et soigne ses caries, son dentiste lui raconte par le menu ses frasques amoureuses. C’est en prenant modèle sur ce Don Juan du bridge et de la couronne que Barillet trouve le sujet de la plus célèbre des comédies qu’il signe avec Jean-Pierre Grédy. Pour notre plus grand plaisir, Michel Fau monte Fleur de Cactus, ce joyau du boulevard datant de 1964. Célibataire endurci, le dentiste de la pièce se nomme Julien (Michel Fau). En portant une alliance, il a trouvé la parade infaillible pour éviter que ses conquêtes ne lui mettent le grappin dessus.

Tout commence par le suicide raté de sa dernière conquête, la belle Antonia (Mathilde Bisson), qui se désespère d’aimer un homme marié et père de trois enfants. Rien ne semble plus simple que de se séparer d’une progéniture et d’une femme imaginaires. Sauf qu’Antonia refuse cet avenir de briseuse de famille et pose comme condition de rencontrer celle que Julien dit vouloir quitter. C’est là qu’entre en scène Stéphane (Catherine Frot), sa secrétaire médicale. Avec une vie de nonne et un triste cactus posé à côté du téléphone, elle a le profil idoine pour jouer la mère de famille virtuelle dont on veut se défaire. Barillet et Grédy travaillent en orfèvres une langue précieuse qui s’encanaille pour faire

rire d’une modernité dosée avec une subtile parcimonie. Ce faisant, ils témoignent des délicieux frémissements qui agitent la société quatre ans avant les événements de Mai 68 et leur pièce s’avère prémonitoire en s’amusant d’une imagination qui ne va pas tarder à arriver au pouvoir. Chez eux, la jeune maîtresse n’est déjà plus une ravissante idiote et pour réparer les dégâts causés par son mensonge originel, le séducteur à la petite semaine doit mobiliser tous ceux qui l’entourent. Chacun se révèle capable de jouer un rôle dans cette fiction qui s’impose à eux pour soigner le réel. Les vilains petits canards du début déploient soudain leurs ailes pour prendre un envol qui va leur faire toucher du doigt ce qui leur

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livres Ceux qui restent de David Lescot

MathildeB isson et Catherine Frot

échappait jusqu’à présent et découvrir l’infinitude du ciel de la vraie vie. La mue la plus ébouriffante est celle de la secrétaire médicale qui, fleurissant comme son cactus, s’affirme avec glamour en femme irrésistible. Un rôle à la démesure du talent de Catherine Frot dont la justesse inouïe transcende avec brio chacun de ses changements de peau. Michel Fau, impeccable en dentiste volage, joue et dirige avec maestria. Quel bonheur de rire en si bonne compagnie. Patrick Sourd Fleur de cactus de Barillet et Grédy, mise en scène Michel Fau, avec Catherine Frot, Michel Fau, Cyrille Eldin, Mathilde Bisson, Wallerand Denormandie, Marie-Hélène Lentini, Frédéric Imberty, Audrey Langle, Théâtre Antoine, Paris Xe, theatre-antoine.com

Marcel Hartmann

Gallimard, 130 pages, 16,40 €

Avec la publication du texte de son spectacle, David Lescot nous livre ses réflexions sur la puissance de la mémoire comme lien vivant entre les hommes. Donner forme à une rencontre. C’est la plus simple définition du projet théâtral Ceux qui restent, créé à Paris en 2014, de l’auteur, metteur en scène et comédien David Lescot. Sur le plateau nu, deux acteurs reproduisent la teneur de ses rencontres avec Wlodka Blit-Robertson et Paul Felenbok, deux rescapés du ghetto de Varsovie. Deux prises de parole qui sortent de soixante-dix ans de silence à l’occasion de l’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie et restituent les souvenirs d’enfants qui se sont construits sur la perte des proches, la fuite, la peur, la proximité de la mort et l’exil. A l’éphémère du théâtre et à l’essentialité de sa rencontre avec le public, David Lescot ajoute aujourd’hui la pérennité de l’écrit avec la publication de ces entretiens, assortis d’un prologue où il relate la genèse du projet né d’une proposition de Véronique, la fille de Paul Felenbok. Au départ, il renâcle, n’est pas sûr d’en avoir envie ou le temps : “Et à mesure que je dis non, je sens que je le ferai, qu’il ne pourra pas en être autrement. Ça me tombe dessus comme une fatalité.” Il n’y aura qu’une rencontre avec chacun des protagonistes à partir de laquelle David Lescot élabore Ceux qui restent en intercalant, par chapitres, leurs paroles et la différence de perception de deux enfants que cinq années séparent. Après coup, il réalise qu’il a choisi deux acteurs non juifs et ça le réjouit : “Je préfère que les témoins et leurs témoins n’aient pas de lien entre eux a priori, et alors on s’apercevra qu’ils en ont beaucoup plus que prévu, et surtout plus que la pauvre notion d’identité ne permet de le penser. Ce lien, c’est l’histoire.” Le legs de Ceux qui restent ne relève pas pour lui d’un devoir de mémoire qui “fige l’histoire qui est un mouvement vivant, et parce que la mémoire se dérobe de toute façon aux injonctions, et que l’on ne sait pas ce que le passé nous réserve”. Une remarque fulgurante et juste qui éclaire les paroles de Paul Felenbok à l’issue de la première du spectacle à Antoine Mathieu qui jouait son rôle : “Tu as porté mon sac à dos.” Le soir de la dernière, Antoine lui dit : “Je te rends ton sac à dos ?” Et Paul répond : “Mais il est vide.” C’est en nous, désormais, qu’il pèse son poids de vérité et de conscience. Fabienne Arvers 21.10.2015 les inrockuptibles 97

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courtesy des artistes et galerie Almine Rech

phénomènes de foire Autour de la Fiac, grande dame du marché de l’art international qui poursuit sa mue, de nouvelles initiatives réjouissantes voient le jour comme la création du salon Paris Internationale. Tous les lundis à 8 h 55 sur France Musique, écoutez la chronique de Jean-Max Colard des Inrockuptibles, dans La Matinale culturelle de Vincent Josse de 7 h à 9 h 30

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’est l’équation impossible. Depuis sa reprise en main en 2003 et son installation au Grand Palais en 2006 sous la direction du tandem Jennifer Flay/Martin Bethenod puis de Jennifer Flay seule, la Fiac tente de tout embrasser, le moderne et l’extrême contemporain, le glamour et la démultiplication du monde de l’art. Comprenez : opérer son retour (réussi) au centre de la capitale sous le dôme de verre et d’acier du so chic Grand Palais et intégrer dans cet écrin certes majestueux mais aux “murs non extensibles” le très

dense réseau de galeries internationales. Or cette année, ce sont 172 galeries, contre 191 en 2014, qui ont été sélectionnées par le comité de la Fiac. “Il ne s’agit pas d’une volonté de réduire le nombre d’exposants mais plutôt d’accompagner le désir des galeries qui nous ont rejoints dès 2006 et qui souhaitent légitimement avoir des stands plus grands, prévient d’emblée Jennifer Flay. Les plus grands stands de la Fiac ne dépassent pas 80 mètres carrés quand les foires comparables à la nôtre proposent des espaces de 120 mètres carrés. Et puis de plus jeunes galeries comme Karma

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et aussi off

courtesy de l’artiste et galerie Samy Abraham

C’est une tradition : comme chaque année, la Fiac aura été précédée de la polémique autour de la sélection des exposants – et des galeries recalées. Pourtant, une effervescence de foires annexes contamine la capitale comme Officielle, off de la FIAC, sur les Docks à la Cité de la mode et du design. La jeune création se donnera aussi rendez-vous à Slick, Cutlog et à la YIA. Pour élargir encore le spectre, direction Paris Asian Art Fair, African Art Fair Paris, ou encore Outsider Art Fair et Variation Media Art Fair. A gauche : Ida Tursic & Wilfried Mille, Dirty Girl, 2015 Ci-contre : Jean-Marie Perdrix, Sans titre, 2015

International, qui avait accepté de commencer avec nous sur un stand de 14 mètres carrés, demandent aujourd’hui plus d’espace. C’est légitime.” Reste que cette évolution, malgré la création d’“Officielle” l’an dernier, une Fiac bis ou “sister fair” pour reprendre les “éléments de langage”, qui présente à la Cité de la mode et du design de plus jeunes galeries et offre une tribune à des scènes moins attendues (“cette année, on accueille des artistes chinois, maliens, ou du Mozambique”, s’enthousiasme Jennifer Flay), produit logiquement une reconfiguration du paysage. Car une fois passée la grogne du printemps, après l’annonce de la liste des galeries retenues ou non pour participer à ce qui est aujourd’hui l’une des foires les plus importantes sur l’échiquier international, on assiste cet automne à la naissance de nouvelles initiatives. C’est le cas avec la création de “Aaaahhh !!! Paris Internationale” qui, malgré son titre gagesque et son calendrier sport (le projet a vu le jour en moins de trois mois), n’a rien d’une boutade. Imaginé par six galeries parisiennes (Crèvecœur, Antoine Levi, High Art, Samy Abraham, Sultana et Triple V) et une galerie suisse (Gregor Staiger), Paris Internationale est une foire autogérée, créée par des galeristes pour des galeristes. “Nous avions envie de proposer un projet plus collaboratif que concurrentiel, un salon plutôt qu’une foire”, explique Silvia Ammon, coordinatrice du projet et ex-directrice de la galerie Praz Delavallade injustement écartée de la Fiac cette année. “Nous voulions également

sortir du modèle du stand ou du white cube pour imaginer un format plus intimiste”, poursuit la jeune femme en direct de l’hôtel particulier abandonné, avenue d’Iéna, à quelques centaines de mètres du Palais de Tokyo, où se tient l’événement. Dans ce lieu “trash et chic” laissé dans son jus, on retrouvera 41 exposants, dont 7 lieux “non profit” comme la Salle de bains, Shananay, Paradise Garage venu de Los Angeles, 1857 d’Oslo ou LambdaLambdaLambda du Kosovo, tous accueillis gracieusement. Les galeristes, eux, français, suisses, américains ou roumains, paient un droit d’entrée nettement inférieur aux prix standards des grandes foires internationales et ont carte blanche pour exposer seul ou à plusieurs sur les trois niveaux de cette architecture haussmannienne brute de décoffrage. Début des hostilités le 21 octobre avec une soirée de performances orchestrée par Vincent Honoré. Parmi les projets les plus saugrenus de cette échappée belle, la boutique de disques ultrapointue mise sur pied par l’équipe de Treize et les labels et artistes (de Macon et Lili Reynaud Dewar à Cheveu ou Bob Nickas) associés au lieu depuis sa création en 2010. “Paris Internationale est une très belle initiative”, conclut, fair-play, Jennifer Flay qui se réjouit de ce “signal envoyé à l’international dans le sillage d’une Fiac qui reste au cœur de cet écosystème”. Claire Moulène Fiac 2015 du 21 au 25 octobre au Grand Palais, Paris VIIIe, fiac.com Paris Internationale jusqu’au 24 octobre, 45, avenue d’Iéna, Paris XVIe, parisinternationale.com

privé Se prendre pour un VIP ou s’acoquiner avec l’underground, pas besoin de choisir. Version loft, l’Appartement présentera les Berlinois Lothar Hempel et Uwe Henneken. Version souterrain, la galerie Balice Hertling invite Will Benedict à montrer ses nouvelles peintures dans un parking place Vendôme. Côté fondations, l’esprit est aux cocktails détournés : Ryan Gander s’en chargera dans l’espace éphémère de la Fondation Lafayette tandis que l’Experimental Cocktail Club investira la Fondation Vuitton.

public Et si on prenait aussi le temps ? Le temps de la réflexion, avec les conférences de Voices of Urgency sur le thème de la collusion entre art, poésie et sciences sociales à l’initiative d’Alex Cecchetti. Le temps de flâner, avec le hors les murs de la FIAC aux Tuileries, où l’on découvrira des œuvres d’Adrien Missika, Jonathan Monk, Xavier Veilhan ou Heimo Zobernig. Le temps de la redécouverte de lieux familiers, enfin, avec au Louvre le programme de performances In Process, et au musée Picasso, le nouvel accrochage célébrant les 30 ans du musée.

focus En guise de contrepoint, focus sur le brut sublime de l’Angeleno Sterling Ruby. Dans les deux lieux de la galerie Gagosian, pour sa première rétrospective française :rue de Ponthieu, avec de nouvelles peintures, et au Bourget, avec des sculptures monumentales, carcasses hybrides de sous-marins de l’armée américaine. Mais aussi au musée de la Chasse et de la Nature, où se dresseront dans la cour des poêles à bois en état de marche, dénonçant notre gaspillage énergétique. Ingrid Luquet-Gad 21.10.2015 les inrockuptibles 99

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Carl Westergren

GivA nquetil, Antoine Chao et CharlotteP erry, héritiersd e Là-bas si j’y suis

de bruit et de fureur Sur les ondes de France Inter, Comme un bruit qui court reste l’un des derniers magazines consacrés au reportage. Les producteurs expliquent comment ils entendent mettre en son les échos des luttes sociales et écologiques à l’heure de la mondialisation.

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Bure, dans la Meuse, un opposant au projet local d’enfouissement des déchets radioactifs raconte comment il soupçonne les autorités d’avoir implanté des éoliennes pour séduire les écologistes et faire diversion chez les contestataires. Pour l’auditeur de France Inter, l’effet est saisissant : il s’imagine alors le paysage falsifié de ce coin, hérissé de leurres géants à pales tournantes. A Paris, une société néerlandaise remporte le marché des sanisettes et tente de chasser les dames-pipi les plus anciennes sous prétexte qu’elles parlent mal l’anglais. L’enquête de Charlotte Perry

révèle que les nouveaux salariés ne sont pas plus fortiches in english, mais plus jeunes, flexibles et moins bien payés. A Miami, un reportage ironique s’amuse d’une station de radio de propagande anticastriste payée à grands frais (budget de 30 à 50 millions de dollars) par le gouvernement américain et tournant à vide : aucun impact à Cuba où personne ne l’écoute. Pour sa rentrée, Comme un bruit qui court a d’emblée retrouvé la veine des meilleurs moments de la saison 1, lorsqu’elle fait résonner d’inédites machines néolibérales et les manips des systèmes de pouvoir les plus grossiers, pour mieux les déjouer. “Contre les logiques

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“nous sommes exigeants, nous voulons faire de la radio élaborée, inventive” Antoine Chao, producteur

comptables et les maquignons de la pensée unique”, le magazine d’amplification des luttes de France Inter n’a pas (encore) l’audience de Là-bas si j’y suis dont il est l’héritier direct. Mais, malgré son horaire moyen (le samedi à 16 heures), son existence dans la grille n’en paraît pas moins essentielle. Parce qu’elle y loge une chambre d’écho à la contestation de rue et certaines paroles (gauches non géolocalisables, libertaires, etc.) pas forcément les bienvenues ailleurs – exceptées les associatives. Parce qu’elle est aussi une des seules à plonger les oreilles dans le foutoir ambiant du réel. Antonyme radiophonique des talk-shows politiques de studio, elle garantit un certain équilibre à la station. “Il a fallu nous émanciper mais nous n’avons pas fait table rase”, racontent aujourd’hui les producteurs Charlotte Perry, Antoine Chao et Giv Anquetil, rescapés de ce que certains ont appelé “la purge” – la suppression de Là-bas si j’y suis en 2014. “Il a fallu nous convaincre que nous ne servions pas d’alibi au genre que nous défendions, le reportage, complète Giv Anquetil. Mais avec Interception ou Un jour en France de Bruno Duvic, France Inter nous rassure en n’oubliant pas son ADN.” Lors d’une première année marquée par… la grève à France Inter (cruel dilemme de se taire à ce moment-là), l’équipe a donc cherché “une nouvelle écriture”. Sans renier le legs journalistique de Daniel Mermet, pourtant très lourd : conteur puissant, conscience politique mais aussi personnage autoritaire et manager contestable, le chef vampirisait ce qui aurait dû rester prioritaire (les sujets). “Nous avons gardé ce choix de ne pas disparaître derrière notre micro lors de nos enquêtes, raconte Giv Anquetil, ne pas faire croire à la neutralité de notre présence. On nous entend et nous l’assumons.” Parfois aussi éditorialisé que Là-bas si j’y suis, le contenu de Comme un bruit qui court en comble certaines lacunes thématiques, avec une attention plus forte aux peurs les plus contemporaines :

les scandales écologiques (l’hispanophone Antoine Chao), la surveillance numérique (Giv Anquetil, plus anglophone). Charlotte Perry, elle, pointe son enregistreur vers l’infra-local, “souvent dans les villages, où on voit bien comment les rapports se jouent entre les gens et la mondialisation, reflétant ainsi des enjeux plus globaux”. Si Comme un bruit qui court jubile à décortiquer les méthodes de la dérégulation mondiale, soumettons-la à un examen radio(phonique) : parmi les plus produites d’Inter, l’émission usine chaque samedi un canevas sonore significatif de ses ambitions globales. Teasers dynamiques, montages chiadés, voix tissées, inserts musicaux vigoureux, enchaînements stylisés : Comme un bruit qui court, c’est “A la recherche du bon son”. Livré en direct, ce raffinage donne à l’émission son côté funambule et téméraire, avec ses risques assumés de tangages techniques. “Oui, nous sommes exigeants, nous voulons faire de la radio élaborée, inventive, confie Antoine Chao. Nous nous inscrivons dans une tradition, celle des grands réalisateurs de Radio France, de Yann Paranthoën à Jérôme Chélius. C’est un de nos combats : ce type de metteur en ondes capable de création, à la grande culture sonore, est un métier qui tend à disparaître, par manque de moyens et de formation. Il faut le sauver.” En partie grâce à l’ouïe perçante de l’ex-trompettiste de la Mano Negra, longtemps dépositaire de la signature sonore de Là-bas si j’y suis avant de muter en reporter, il y a donc ici une esthétisation radiophonique de la lutte. Musclée sans outrance, spectaculaire mais jamais tapageuse. Démontrant à ceux qui veulent l’affaiblir en la déconsidérant, à ceux qui la jugent inutile et poussiéreuse, que la lutte sait être sexy, catchy, fréquentable. Rapprocher l’oreille de son poste : derrière le bruit qui vient, on perçoit parfois l’insurrection qui gronde. Pascal Mouneyres Comme un bruit qui court le samedi à 16 h sur France Inter 21.10.2015 les inrockuptibles 101

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L’Europe des écrivains – Le Portugal

le réalisateur et l’assassin La série documentaire The Jinx retrace le parcours d’un riche héritier new-yorkais soupçonné de trois meurtres. Macabre et fascinant.

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e 9 octobre 2001, un homme est arrêté dans un supermarché du Texas pour un vol d’une valeur de 5 dollars. Ses cheveux et ses sourcils sont rasés, il semble incohérent, et la police découvre 38 000 dollars dans le coffre de sa voiture. Etrange. Plus encore lorsque l’histoire, digne d’un polar surréaliste, se révèle dans son entièreté. L’homme n’est autre que Robert Durst, héritier d’un empire de l’immobilier et d’une des familles les plus riches de New York. Mis en cause en 1982 lors de la disparition de son épouse, volatilisée sans laisser de trace, il aurait voulu quitter les radars médiatiques et préféré vivre comme un reclus depuis des années, se travestissant en femme (muette, précise-t-il, pour que sa voix ne le trahisse pas). Dans son logement quasi insalubre, on identifie les traces du meurtre de son voisin, dont le corps en morceaux a été retrouvé quelques jours plus tôt dans des sacs plastiques jetés dans la baie de Galveston. Mais pourquoi voler un sandwich lorsque l’on est millionnaire ? Pourquoi prendre ce risque lorsque l’on vient d’assassiner quelqu’un ? Pour se faire prendre ? Tout dans The Jinx (“la malédiction”) amène à penser que “Bobby” a besoin de parler, et surtout que l’on parle de lui. C’est d’ailleurs à cette frénésie égotique qu’Andrew Jarecki, réalisateur de Capturing the Friedmans (Grand Prix

Sundance en 2004), doit la réussite de sa série documentaire, gros succès d’audience sur HBO et primée aux derniers Emmy Awards. Sa conception commence en 2011 par un coup de téléphone de Robert Durst au réalisateur pour le féliciter de son film inspiré de son histoire, Love and Secrets (2010), qui le dépeint comme ambigu et mystérieux. Durst, qui n’a jamais parlé publiquement des mystères macabres qui jalonnent sa vie, accepte de se livrer à Jarecki. S’ensuivent plusieurs rencontres filmées, matériau fondateur de l’aspect le plus passionnant de The Jinx. Son regard vide, son expression corporelle et bien sûr sa voix, tour à tour mal assurée ou quasi menaçante : la présence de Robert Durst et de ses multiples personnalités à l’écran est fascinante. Tout comme les coups de chance répétés de l’équipe du film qui finit par récolter des preuves contre Durst. La plus accabalante : l’enregistrement d’une “confession”, un “bien sûr que je les ai tous tués” lâché aux toilettes alors que Durst a gardé son micro-cravate allumé et se parle à lui-même. Une scène vécue par le téléspectateur comme une hallucination et représentative de l’expérience intense et troublante qu’est The Jinx. Claire Pomarès The Jinx série documentaire en six épisodes d’Andrew Jarecki. Jeudi 22, 2 0 h 45, P lanète+

Des écrivains portugais expriment leur rapport compliqué à leur pays. Après l’Irlande et avant la Roumanie, la série L’Europe des écrivains fait escale au Portugal. La comédienne et cinéaste Inês de Medeiros, qui a longtemps vécu en France, rencontre quatre écrivains lusophones : Mário de Carvalho, Lídia Jorge, Gonçalo M. Tavares et le Mozambicain Mia Couto. Emaillant son film de séquences d’archives et de nombreuses vues extérieures tournées dans les villes, souvent très belles et simples, mettant l’accent sur les hommes au travail, au Portugal et au Mozambique, Inês de Medeiros s’entretient avec ces artistes sur l’identité portugaise, qui pour eux ne semble pas couler de source. Il y a chez les Portugais une forme de discrétion qui confine à l’effacement, voire à la négation de leurs origines nationales. Pays de conquérants, de marins et d’exilés, le Portugal, balcon ouvert sur l’océan Atlantique, n’est jamais réellement parvenu à imposer sa marque à travers le monde. Le contraire de la France où, malgré une tendance à l’autoflagellation, le récit national forgé durant des siècles est envahissant. Les Portugais, eux, si l’on se fie à ces intellectuels, ne croient pas profondément en eux-mêmes et n’ont pas le sens de la cohésion. Pessoa (dont l’ombre tutélaire plane sur ces entretiens) disait : “ma langue est ma patrie”. Mais pour Lídia Jorge, même cette réflexion n’est pas valable, tant la nature ou l’essence portugaise se sont atomisées tous azimuts. Bref, un pays désarticulé et étouffé par quarante ans de dictature, qui a décolonisé dans le sang, a subi un exil massif, une pauvreté endémique, et ne cesse de s’interroger sur lui-même. Cette incertitude n’empêche pas ce pays exotique proche de nous, auquel son goût pour la saudade confère un charme mystérieux, d’entretenir une grande tradition intellectuelle, présente aussi bien dans la littérature que dans le cinéma. Vincent Ostria

Les Films d’Ici

HBO

documentaire d’Inês de Medeiros. Mercredi 21, 23 h 35, Arte

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Thelma & Louise de Ridley Scott (1991)

d’Abou Ghraib au selfie En une décennie, l’avènement de la photographie numérique a modifié les pratiques journalistiques et les relations privées. L’essai d’André Gunthert retrace ces bouleversements culturels. uel est le lien entre des médias sur l’information le scandale d’Abou Ghraib est battu en brèche.” et l’avènement des Dix ans plus tard, le grand selfies ? André Gunthert, chambardement n’a pas enseignant-chercheur en histoire eu lieu. “Qui pense encore que visuelle à l’EHESS, y répond dans la photo amateur va remplacer L’Image partagée. Loin d’adopter le photojournalisme ?”, ironise une approche technologique, l’auteur. La “figure de l’internaute il retrace les bouleversements amateur vertueux, désintéressé culturels qu’a engendrés l’apparition et productif” a en effet disparu ; de la photographie numérique. seul importe le sceau d’authenticité L’auteur décrit l’arrivée apposé par le journaliste, à de l’image digitale comme une qui incombe désormais un travail “révolution pour les amateurs, supplémentaire de traitement et une crise pour les professionnels”. et de vérification des images. Pour ces derniers d’abord, Dans la sphère privée, le marqueur se situe en 2004, photographie numérique rime quand des photographies prises surtout avec appropriation par des soldats américains avec de l’image. Le selfie devient le “un appareil photo compact grand symbole “du puissant mouvement public” se retrouvent en une de d’autonomisation des pratiques tous les journaux. On les voit poser culturelles encouragé par la fièrement aux côtés de prisonniers transition numérique”. Le selfie irakiens soumis aux pires tortures. se partage, se commente, crée Les photos sont floues, les couleurs un espace de discussion, “répond laides, mais elles font le tour à l’effondrement du contexte par une du monde. “C’est la première fois hypercontextualisation, qui corrige qu’on a dû raconter au grand public l’indétermination des échanges”. qu’on est passé au numérique, Les réseaux sociaux deviennent et que cela s’est vu dans les images”, quant à eux les lieux d’échange explique André Gunthert. incontournables de cette décennie. La photographie numérique Mais la photo numérique, d’abord amateur se retrouve propulsée érigée en quasi-bien commun sur le devant de la scène. sur Flickr et Facebook, retrouve Dès lors, les médias commencent son caractère intime, à mesure à s’inquiéter des changements que ses propriétaires se déplacent provoqués par ce “journalisme sur des nouvelles plates-formes citoyen”. En 2005, Libération d’échanges, plus privées, comme met en une l’image en gros plan Snapchat. Marie Turcan d’un groupe de spectateurs, tous plus occupés à photographier L’Image partagée un concert de Beyoncé avec – La photographie leur appareil numérique qu’à se numérique (Editions Textuel), déhancher sur les tubes de la star. 176 pages, 25 € “Tous journalistes ?”, interroge le quotidien, avec en sous-titre : “Blogs, sites citoyens, photos et vidéos d’amateurs : le monopole

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les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 lesinrocks.com mail [email protected] ou [email protected] abonnements société Everial tél. 03 44 62 52 35 cppap 1216 c 85912 dépôt légal 4e trimestre 2015 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général et directeur de la publication Frédéric Roblot rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Géraldine Sarratia rédacteurs en chef adjoints Anne Laffeter, David Doucet, Jean-Marie Durand secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot actu rédacteurs Carole Boinet, Claire Pomarès, Mathieu Dejean, Julien Rebucci, Marie Turcan style Géraldine Sarratia, Cora Delacroix (stagiaire) cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Léo Moser (stagiaire) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu, Azzedine Fall, Charles Binick et Guillaume Barrot (stagiaires) reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/idées Jean-Marie Durand lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Thomas Hong secrétariat de rédaction chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin, François-Luc Doyez première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Olivier Mialet, Vincent Arquillière maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna , Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny collaborateurs A. Bellanger, R. Blondeau, D. Boggeri, N. Carreau, Coco, M. Delcourt, A. Gamelin, P. Garcia, J. Goldberg, O. Joyard, B. Juffin, B. Laemle, C. Larrède, E. Laystary, N. Lecoq, J. Le Corvaisier, N. Lo Calzo, I. Luquet-Gad, P. Mouneyres, Y. Perreau, A. Pfeiffer, E. Philippe, T. Ribeton, M. Robin, P. Sourd publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, tv) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 traffic manager Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistant Pierre Moinet tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistant promotion presse Emily Casenaz tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand projet web et mobile Sébastien Hochart responsable du système informatique éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Baptiste Grenguet tél. 01 42 44 16 62 contact agence Destination Média – Didier Devillers et Cédric Vernier tél. 01 56 82 12 06, [email protected] fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois comptabilité Caroline Vergiat, Patricia Barreira, Elodie Valet accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini impression, gravure, brochage, routage SIEP, ZA Les Marchais, rue des Peupliers, 77590 Bois-le-Roi distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” abonnement Les Inrockuptibles B1302 60643 Chantilly Cedex [email protected] ou 03 44 62 52 35 tarif France 1 an : 115 € fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski © les inrockuptibles 2015 tous droits de reproduction réservés. 21.10.2015 les inrockuptibles 103

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installation vidéo Working Class Hero de Candice Breitz Vingtcinq fans chantent l’album John Lennon/Plastic Ono Band en intégralité, sans aucune musique. Toutes ces voix réunies forment une chorale. L’artiste a fait la même chose avec Michael Jackson, Madonna et Bob Marley.

L’Homme irrationnel de Woody Allen Le portrait d’un quadra nihiliste qui bascule dans la folie criminelle.

Belles familles de Jean-Paul Rappeneau Des patrimoines que l’on perd, des blessures d’enfance qui ressurgissent, des familles recomposées : une mélancomédie inspirée.

Fatima de Philippe Faucon La pulsion de vie d’une mère, femme de ménage et immigrée, dans un réalisme épuré.

The Visit de M. Night Shyamalan Deux adolescents en vacances chez leurs grands-parents. Une farce horrifique et ébouriffante.

Feu ! Chatterton Ici le jour (a tout enseveli) Un îlot d’élégance qu’on n’attendait plus dans le rock français.

L’Intérêt de l’enfant de Ian McEwan Dans son nouveau roman, l’écrivain brasse des questions fondamentales : justice, libre arbitre et religion.

L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante Une série en quatre tomes qui se dévorent mais qui font aussi réfléchir.

album Summertime ‘06 de Vince Staples Dur et doux, accrocheur et réfléchi, un double album où il n’y a rien à jeter. Tout est phénoménal : le flow, les rimes, la production… propos recueillis par Noémie Lecoq

Piper Ferguson

livre

!!!

Leur nouvel album, As If, est disponible. Ils seront en concert le 25 octobre à Lille, le 26 à Paris (Machine du Moulin Rouge) et le 27 à Lyon.

We Are Match Shores Un premier album polyphonique, fruit d’une longue gestation dans un studio-maison coupé du monde.

sur

Le Voyage infini vers la mer Blanche de Malcolm Lowry Le premier roman inédit de l’auteur d’Au-dessous du volcan. Les Equinoxes de Cyril Pedrosa Un récit choral où se croisent des solitudes.

The Shoes Chemicals Un album à la fois dansant et pop, expérimental et tubesque.

Mansfield.TYA Corpo inferno Les Nantaises sortent un nouvel album entre rages électroniques et fables zinzin.

Dix pour cent France 2 Une comédie française réussie dans le milieu des agents artistiques. Ainsi soient-ils saison 3, Arte Dernier tour de piste : une boucle brillamment bouclée. Les Revenants, chapitre 2 Canal+ Ils sont là. Perdons-nous dans ce monde où les fantômes nous ressemblent.

Funny Girl de Nick Hornby Un roman qui fait renaître l’effervescence du Londres des années 60. Et un vibrant hommage à la culture populaire.

O nuit, ô mes yeux de Lamia Ziadé Un nouveau roman graphique qui redonne voix à ces femmes qui firent rayonner la culture arabe.

Le Dernier Arpenteur des sables de Jay Hosler Une expédition scientifique menée par un petit groupe de coléoptères.

Nungesser de Fred Bernard et Aseyn La vie du célèbre aviateur dans un poétique noir et blanc.

Ne me touchez pas d’Anne Théron Passerelle de Saint-Brieuc Anne Théron réinvente le duel Merteuil/Valmont de Laclos et réserve à la femme la primeur de l’attaque et le refus de la capitulation.

Ivanov d’Anton Tchekhov, mise en scène Luc Bondy Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Le pourrissement moral d’une Russie vérolée par l’antisémitisme.

Père mise en scène Arnaud Desplechin ComédieFrançaise, Paris Une première incursion au théâtre réussie pour le réalisateur, qui trouve en Strindberg un écho à ses thèmes favoris : le couple, la famille, l’enfermement.

Shadows musée d’Art moderne de la Ville de Paris Masterpiece de cette rétrospective Warhol, Shadows est montrée pour la première fois dans son dispositif original.

Co-Workers musée d’Art moderne de la Ville de Paris Une expo générationnelle impulsée par le très actif collectif new-yorkais de DIS Magazine.

Dominique Gonzalez-Foerster Centre Pompidou, Paris Une rétrospective dont la timeline a été élargie au-delà de la biographie de l’artiste.

L’Art dans le jeu video Art ludique – Le musée, Paris Plus de huit cents œuvres, dessins, peintures, sculptures ou installations des artistes du jeu vidéo.

Until Dawn PS4 Structuré comme une série et puisant son inspiration aussi bien dans le cinéma que dans le jeu vidéo, Until Dawn propose une expérience aussi éprouvante que stimulante.

Her Story PC, Mac, iPhone, iPad Entre série policière et face-à-face intime, la nouvelle création du Britannique Sam Barlow repousse les frontières du jeu vidéo.

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Robert Longo par Renaud Monfourny

Le dessinateur présente deux nouveaux fusains dans l’expo collective Space Age à la galerie Thaddaeus Ropac, à Pantin. Jusqu’au 23 décembre, ropac.net

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Photo : Akatre

& Alias présentent

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DU 11 AU 17 NOVEMBRE 2015

PARIS, LONDRES, TOURCOING, NANTES, TOULOUSE

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