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Franz Ferdinand et Sparks

mariage pop

Melissa McCarthy

l’espionne qu’on aimait

Biennale de Venise

le guide critique

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Allemagne 5.90 € - Belgique 5.50 € - Cameroun 3700 CFA – Canada 9.20 CAD – DOM 6.30 € - Espagne 5.70€ - Grèce 5.70€ - Italie 5.70 € - Liban 15 000 LBP – Luxembourg 5.50 € - Maroc 46 MAD – Maurice Ile 7.20 € - Pays Bas 5.90 € - Portugal 5.70 € - Suisse 9.20 CHF – TOM 1 200 XPF – Tunisie 7.60 TNM

No.1020 du 17 au 23 juin 2015 lesinrocks.com

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cher Jean-Marie Le Guen par Christophe Conte

C

’est avec la rage et la brutalité du pitbull que tu as entrepris l’an dernier de répondre, par voies de presse et de justice, aux révélations du journaliste de Mediapart Laurent Mauduit, qui t’accusait d’avoir eu des accointances avec le GUD durant ta jeunesse. On ne sait où en sont vos échanges judiciaires, ni quelle part de vérité accorder à cette embarrassante casserole supposée, mais dans ton attitude des derniers jours on en a retrouvé une part du manche. A travers les violences policières qui se sont produites lors de

l’évacuation des migrants dans le quartier de la Chapelle à Paris, la gauche de gouvernement a démontré que l’épreuve de force ne lui posait plus aucun problème moral, et que la vieille rengaine des damnés de la terre avait bel et bien été remplacée dans sa playlist par des airs plus virils. Même Christiane Taubira n’a rien trouvé dans son tiroir à citations d’Aimé Césaire pour parasiter la communication officielle, laquelle tend à faire croire que c’est pour leur bien sanitaire que l’on vire à coups de crosse dans la gueule des gens qui ont eu la naïveté

de croire que le droit d’asile avait encore un sens dans ce pays vitrifié par la peur. La voix discordante de Cécile Duflot fut presque la seule à s’élever de cette accablante torpeur pour dénoncer dans une lettre adressée à François Hollande la politique migratoire de la France, qui s’apparente pour elle à un “Waterloo moral”. Pour contrer l’offensive de l’ancienne ministre, c’est donc toi, gros biceps, que l’on a envoyé au charbon. Et pour un peu, on t’aurait cru habité sur le coup par l’esprit de ton presque homonyme, le vieux has-been de Montretout, lorsque tu suggérais à la Verte dissidente d’accueillir “dans sa circonscription tous les immigrants qui sont aujourd’hui dans les rues”. Je résume ta pensée : “Toi, la harpie altermondialo, si t’es pas jouasse, t’as qu’à les ramener chez toi, les lépreux. Tu dois avoir de la place dans ton jardin bio de mes couilles, entre le compost et les chiottes sans eau courante. Ici, c’est la gauche Macron, la gauche jet privé Air Platoche. La gauche 49.3 et bombe lacrymo. La gauche de droite qui aime l’entreprise mais qui s’est fait carotter par Gattaz comme une pucelle un soir de bal des pompiers. Alors, comme elle est colère et qu’elle a un peu mal au cucul, elle se venge sur plus petit que soi, sur des mecs qui sont rien, histoire de montrer aux électeurs du FN que tout espoir n’est pas ruiné de les récupérer au vol…” C’est bien, Jean-Mariolle, à ce rythme tu vas faire économiser de l’encre aux éditorialistes de Valeurs actuelles et couper la chique à la fachosphère anonyme, qui prodigue à longueur de forums ce genre de conseils écœurants à l’adresse de tous les droits-de-l’hommistes boboïsants et limite sodomites. T’es bien sûr pour l’histoire du GUD ? Parce que, comment dire, si ça n’y ressemble pas comme un sosie parfait, y a quand même du cousinage dans les cellules. Je t’embrasse pas, j’ai la migraine pour les migrants. 17.06.2015 les inrockuptibles 3

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billet dur édito debrief recommandé interview express Denis Robert événement les raisons de l’absence de forces armées issues de l’ultragauche occidentale dans la guerre en Syrie

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Festival les InRocKs Philips 2015 le monde à l’envers démontage la courbe la loupe nouvelle tête Sourdure futurama style food

Tom Oxley pour Les Inrockuptibles

No. 1 020 du 17 au 23 juin 2015 couverture FFS par Tom Oxley pour Les Inrockuptibles

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42 cette semaine sur 46 la lune de miel de FFS les vétérans américains Sparks et les Ecossais de Franz Ferdinand créent la surprise en s’unissant le temps d’un album et d’une tournée estivale

52 Mustang au grand galop Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

ce teen-movie survitaminé fut l’un des chocs du Festival de Cannes. Portrait de Deniz Gamze Ergüven, la réalisatrice, qui défend un cinéma féministe, intime et révolté

54 Biennale de Venise : le guide morceaux choisis d’une édition 2015 en demiteinte et focus sur Danh Vo, artiste au pavillon danois et curator à la Pointe de la Douane depuis son rôle dans Mes meilleures amies, la comique américaine va de succès en succès. Rencontre à l’occasion de la sortie de Spy, réalisé par Paul Feig

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cinémas Valley of Love, Spy, Vice versa… musiques Palma Violets, Damily… livres Goliarda Sapienza, Frank Smith… scènes Bestias, L’Art du rire expos La Fondation Louis-Vuitton médias Delphine Ernotte-Cunci…

ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Printemps-été 2015 vol. 3” encarté dans toute l’édition ; un supplément de 16 pages “Camping” jeté dans l’édition kiosque et abonnés Paris-IDF.

Pamela Rosenkranz, Our Product, 2015. Pavillon suisse. Photo Marc Asekhame

60 Melissa McCarthy, drôle de dame

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Régis Duvignau/Reuters

François Hollande fait ce qu’il fait de mieux : il fait campagne et parle pour ne rien dire. Ici au départ des 24 heures du Mans, le 13 juin 2015

kairos et inégalités J’en connais qui seraient bien inspirés de lire le dernier numéro d’Alternatives économiques. Qui titre : “Toujours plus inégaux. Les chiffres qui le prouvent.” Alors que l’Assemblée discute de la loi Macron, fourre-tout néolibéral qui ferait passer Raymond Barre, mettons, pour le plus obtus des planificateurs brejnéviens, et que le Parti socialiste, désormais largement délesté de son réseau d’élus après les derniers désastres municipaux et départementaux, serait en droit de se demander à quoi il sert au juste, ce serait tout de même intéressant que la gauche française nous dise un peu où elle en est par rapport au décrochage de plus en plus évident de “la France d’en bas”. A moins que les questions de justice sociale ne l’intéressent plus du tout, ce qui expliquerait qu’elle n’en parle plus jamais… Dans Alternatives éco, donc, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, s’appuie sur les derniers chiffres de l’Insee pour affirmer que “pour les 40 % du bas de la hiérarchie sociale, les revenus ont diminué de 300 à 500 euros par an entre 2008 et 2012”, année des dernières données statistiques, et que les choses se sont sans doute aggravées depuis, puisque le nombre de personnes inscrites au RSA a augmenté de 12 %. “Jusqu’au milieu des années 2000, les inégalités s’accroissaient par le haut. Les catégories aisées voyaient leur niveau de vie progresser plus vite que les autres, mais les plus modestes continuaient eux aussi à gagner du pouvoir d’achat. Ce n’est désormais plus le cas.” Qu’en dit la gauche ? Rien, comme si elle avait déjà fait son deuil de cet électorat, sa raison d’être pourtant… Mais alors, comment peut-on s’étonner que cet électorat ne veuille plus entendre parler d’elle ?

La gauche française préfère penser à la présidentielle. Elle ne pense même qu’à ça et ça se voit, ça se voit terriblement. Au lieu de débattre, de proposer, de tenter de réinventer un projet politique qui justifierait son existence, elle a les yeux rivés sur 2017. Comme un malade qui aurait succombé tout entier à sa névrose, une maladie si française : l’élection présidentielle, la seule qui vaille, celle qui va nous occuper les deux ans à venir. Putain, deux ans. En haut de la pyramide, multipliant les déplacements, pour un oui ou pour un non, parfois avec sifflets, parfois sans, aucune importance, François Hollande fait ce qu’il fait de mieux : il fait campagne et parle pour ne rien dire, avec ce mélange – non sans charme mais lassant, à la longue – de novlangue énarchique et de blagounettes Carambar. Afin que tout le monde comprenne bien qu’il sera candidat, sans l’ombre d’un doute ni de la moindre primaire, d’autant qu’en 2016, ou peu avant, ou peu après, arrivera enfin le chiffre magique qui dira que ça y est, la courbe du chômage s’est inversée, figurez-vous, je vous l’avais bien dit, j’avais pris le risque, hein ? Mais il aura déjà tellement augmenté, le chômage, provoquant les ravages sociaux sus-cités dont la gauche ne veut plus entendre parler, que cette fameuse inversion fera l’effet d’un pétard mouillé, d’une trop tardive et trop légère amélioration. Mais Hollande croit en son kairos, c’est le mot à la mode, c’est grec – quelque chose comme “l’alliance du génie et du bon moment pour forcer un destin contraire”, tout Hollande, en somme –, et se convainc qu’entre Le Pen et Sarkozy, il y a un trou de souris pour se glisser au second tour. Ça l’occupe.

Frédéric Bonnaud 8 les inrockuptibles 17.06.2015

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de la sociologie de cour de récré grâce aux inRocKs La semaine dernière, devenir un homme avec Sattouf, intégrer sa virilité dans le football, aller au-delà des normes genrées et des chochottes à sa maman.

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on cher Inrocks, ce qui intéresse Riad Sattouf, “c’est d’explorer ce qui fait qu’on est un garçon ou une fille, et surtout à quel moment on est considéré comme un homme par les autres hommes”. Et pour cela, dans la cour de récré, au square où j’observe mon fils et ses copains, rien de tel que le foot. “Quand tu y joues, ce n’est pas tout de marquer des buts, il y a aussi la façon de se tenir sur le terrain ou de gueuler ‘Passe !’ à un mec qui joue mal parce qu’on est scandalisé et qu’on pense qu’on ferait mieux que lui.” Il y a ceux qui ont l’autorité naturelle, qui sont capitaines, qui tirent les équipes. Il y a ceux qu’on choisit en premier dans son équipe, ceux qui attendent, pétrifiés, d’être intégrés et ça ne vient pas. Ceux à qui on dit “tu es remplaçant” et ceux qui finissent arbitres. Ceux qui gueulent et ceux qui la ferment. Une hiérarchie stricte, où se jouent ta réputation et le regard que tu poses sur toi-même, bien plus que dans la salle de classe. Mon fils court, tacle, râpe ses genoux sur le béton, saigne, se pince les joues pour ne pas pleurer, et se relève. Un instant j’ai envie d’y aller. C’est bien écorché. Nos regards se croisent. Le sien m’ordonne de ne pas bouger. OK. Il saigne et ne bronche pas. Les larmes montent, mais ne coulent pas. Ses potes le regardent. Respect. Ça c’est un homme. Je suis fier de lui. Il est courageux. Je sais que si ses copains n’étaient pas là, il hurlerait. Il s’est remis à courir et a presque oublié sa douleur. Mais une partie de moi proteste : plus je vieillis et plus j’ai en horreur ces codes du masculin inoculés dès le plus jeune âge, cet imaginaire de la puissance, du courage, de l’héroïsme, du mâle dominant. Celui qui pleure, tout le monde se foutra de sa gueule. Ouh, la chochotte à sa maman ! C’est l’éducation à la dure de la cour de récré et ça peut durer toute la vie, si on n’y fait pas gaffe. “Cela n’a jamais été très évident pour moi. J’étais blond, efféminé”, raconte Riad Sattouf. Jeanne Added dit : “Les normes genrées ne m’ont jamais convenu.” Et voici mon fils qui tombe dans le panneau ! Et je suis fier en plus ! Et là, miracle : il pleure, pour de vrai. Il avait laissé son ballon offert par son grand-père sur le bord du terrain. On lui a piqué. Adieu veau, vache, cochon, couvée ! Il est dévasté. Tout le monde se met autour de lui. Personne ne se moque, en fait. Je m’approche pour le consoler quand son copain Gaspard lui tend son ballon et dit : “Tiens, Paul, je te l’offre. On joue tout le temps ensemble de toute façon.” Paul sèche ses larmes. Le jeu reprend, et je remballe ma sociologie de cour de récré. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Revoir tout et plus du réalisateur de La Soif du mal, faire le tour du monde en musiques, visiter des pavillons de verre entre garrigue et calanques et musarder entre de belles planches belges.

rosebud Orson Welles A l’occasion du centenaire de la naissance d’Orson Welles, la Cinémathèque française revient sur sa carrière foisonnante dans un cycle dense. Avec de nombreuses raretés : courts métrages, films de télévision, fragments d’œuvres inachevées et autres curiosités. Des séances seront présentées par des spécialistes du réalisateur.

Le Salaire du diable de Jack Arnold (1957)/Universal International Pictures

Edgar Pierre Jacobs, La Marque jaune, planche no 26, Journal Tintin, n o12-22 (1950-1952), Le Lombard, 1955, p. 28 © Editions Blake et Mortimer/Studio Jacobs (Dargaud-Lombard s.a)

cinéma cycle Orson Welles, jusqu’au 2 août à la Cinémathèque française, Paris XIIe, cinematheque.fr

sur la planche L’Age d’or de la bande dessinée belge Hergé, Peyo, Morris, Franquin, Edgar P. Jacobs, Jacques Martin… Tous sont représentés à Paris au Centre Wallonie-Bruxelles à travers une centaine de planches historiques provenant du musée des Beaux-Arts de Liège. Ce bel hommage à l’âge d’or de la BD belge sera complété par une série de conférences, rencontres et concerts. exposition jusqu’au 4 octobre, Centre Wallonie-Bruxelles, Paris IVe, cwb.fr 12 les inrockuptibles 17.06.2015

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radieux Observatory/Playground C’est du lourd qui attend le Mamo, le centre d’art perché sur le toit de la Cité radieuse, cet été à Marseille. Après Veilhan et Buren, c’est au tour du New-Yorkais Dan Graham d’investir cet espace atypique et sa terrasse à 360 degrés donnant sur les calanques et la garrigue, avec deux pavillons de verre – à mi-chemin entre sculpture et architecture – sept maquettes et une sélection de films.

Li Verde

exposition jusqu’au 20 septembre au Mamo, Centre d’art de la Cité radieuse, Marseille, mamo.fr

fiesta loca Avec sa ponctuation à l’espagnole, le festival toulousain annonce la couleur : latino. Mais pour ses 20 ans, ¡ Rio Loco ! voit plus loin et propose, sur les bords de la Garonne, quatre soirées autour de l’Europe, de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Occitanie. On y croisera Hugh Masekela, Bomba Estéreo (photo), Bio Ritmo, António Zambujo, Vaudou Game, Lo Còr De La Plana… Et une soirée bonus le 21, pour la Fête de la musique. festival jusqu’au 21 juin, Toulouse, rio-loco.org

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Sébastien Véronese

¡ Rio Loco !

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“une démission collective face à une idéologie montante”

Stéphane Lavoué/Pasco

Réalisateur avec sa fille Nina de Cavanna – Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai, Denis Robert parle de son admiration pour le cofondateur d’Hara-Kiri et Charlie Hebdo, de leurs héritiers, du film de Diastème, de Julien Coupat et de Podemos.

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ourquoi un film sur Cavanna ? Denis Robert – D’abord, il n’en existait aucun sur lui. Mon ami Lefred Thouron m’a suggéré cette idée lors d’un déjeuner. L’heure d’après, je donnais un cours dans une école de documentaristes. Quand les élèves m’ont demandé quels étaient mes projets, je leur ai répondu que je voulais faire un film sur Cavanna. Je me suis rendu compte que presque personne ne le connaissait. Ça m’a paru anormal, même incroyable, pour des étudiants en journalisme. J’avais aussi l’intuition que ces gens-là – Cavanna, Choron, Wolinski et toute la clique – étaient plus libres que nous le sommes, et je voulais donner envie aux gens d’aller puiser chez eux quelque chose de l’ordre

de la liberté et de l’insolence. Ils ont inventé une forme de presse qui a en grande partie disparu. Des héritiers aux journaux “bêtes et méchants” ? Je pense à CQFD, Zélium, Fluide glacial et, surtout, Siné mensuel, qui s’apparente le plus à ce qu’était l’esprit Charlie Hebdo. Il y a évidemment aussi Charlie Hebdo, qui est un peu meilleur depuis le départ de Philippe Val. Il y a de très bons chroniqueurs, comme Fabrice Nicolino, Laurent Léger, Philippe Lançon. Au niveau des dessinateurs, j’aime bien Catherine, Luz et bien sûr Willem, mais personne n’a remplacé les morts récents, ni les anciens. Il y avait une énergie et une impertinence qui ont disparu. En 1978, en plein débat sur la réédition française de Mein Kampf, Charlie Hebdo avait titré en une “Enfin, on peut le dire : Hitler

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“la bande d’Hara-Kiri a déverrouillé les cerveaux” super sympa”, avec un dessin où Hitler dansait et disait : “Alors les youpins, ça gaze ?” Ça faisait marrer tout le monde à l’époque, à commencer par les Juifs. Tu sors un truc comme ça aujourd’hui, tu vas en prison direct. Ça montre qu’en dépit des apparences, notre société ne jouit pas d’une plus grande liberté. Les religions et la bien-pensance ont gagné du terrain. La liberté est un combat permanent. Et le Canard enchaîné, qui va avoir bientôt un siècle ? Oui, mais ils s’encroûtent un peu. Je le lis presque toutes les semaines, mais je m’emmerde de plus en plus. Ils sont assez sectaires au fond, peu enclins au changement. Ils sont assis sur un tas d’or. Ce sont un peu les Picsou du journalisme. Je vais m’en prendre plein la gueule avec cette vanne (rires). Choron disait que sans Hara-Kiri, il n’y aurait pas eu Mai 68. Tu es d’accord ? C’est dit brutalement, mais c’est vrai que par son humour, ses affiches, son décalage, Hara-Kiri a débloqué la société française, qui était très puritaine. J’étais gamin, mais je m’en souviens. Serge July le dit également dans son Dictionnaire amoureux du journalisme, et à l’époque il était maoïste. Je pense que la bande d’Hara-Kiri a déverrouillé les cerveaux et a ouvert une brèche qui a mené aux révoltes de 68. Les slogans étaient très hara-kiriens. Que penses-tu de la frilosité des exploitants qui ont refusé de distribuer le film de Diastème, Un Français, qui raconte le parcours d’un skin des années 80 ? Le problème, c’est la peur. Cavanna distinguait les cons de naissance et les cons volontaires. Ces derniers sont intelligents mais préfèrent l’ignorer par peur de ce que la raison peut leur faire découvrir, ou par intérêt de boutique. Plus ces cons-là sont nombreux, plus cela provoque une démission collective face à une idéologie montante. C’est ainsi que, craignant de voir débarquer des nervis d’extrême droite, certains ont dû

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décider de ne pas mettre ce film à l’affiche. C’est de l’autocensure. Cela prouve que notre liberté repose sur des fondations instables. Que t’inspire le renvoi en correctionnelle de Julien Coupat ? Je ne comprends pas, surtout pour “terrorisme”. Je pense qu’il fallait que lui et les membres du groupe de Tarnac soient relaxés. Le dossier n’est pas solide. Le procès va être particulier : on les a vraiment persécutés, surveillés, pour les confondre. En vain. La France sarkozyste avait besoin d’exemples. Aujourd’hui, Manuel Valls veut montrer qu’il est intransigeant, que ce soit avec l’extrême droite, l’extrême gauche ou les jihadistes. Mais en les mettant sur un pied d’égalité il se met à dos une partie de la jeunesse, les zadistes, des gens intelligents qui sont capables de faire la différence entre un gauchiste, fut-il ultra, et un terroriste. Quel aveuglement du pouvoir et du parquet... La percée de Podemos en Espagne, c’est un espoir pour toi ? Je m’en réjouis. La nouvelle maire de Barcelone est formidable. Elle divise son salaire par cinq, elle a beaucoup d’humilité, alors qu’en France Manuel Valls va en jet payé par le contribuable voir les matches du Barça. Si la droite repasse, ça va être encore pire. Ils n’ont pas compris que ça devenait de plus en plus insupportable pour le peuple, les petites gens. Prenez Sarkozy  : qui l’interroge aujourd’hui sur ses piges à 100 000 dollars chez Goldman Sachs ? Ou Laurent Wauquiez, qui finançait son parti chez les traders de Londres. Il faut le dire, le répéter. propos recueillis par Mathieu Dejean Cavanna – Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai de Nina et Denis Robert lire aussi critique page 68

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Ali Jalal/Reuters

Des Occidentaux venus gonfler les rangs de Dwekh Nawsha, milice créée pour défendre les chrétiens contre l’Etat islamique

la Syrie d’aujourd’hui n’est pas l’Espagne de 36 Si les jihadistes se sont organisés massivement pour aller combattre le régime de Bachar al-Assad, les militants progressistes sont absents du terrain. Pourquoi une telle désaffection ?

L

es Lions de Rojava : c’est ainsi qu’ils se sont baptisés lorsqu’ils ont créé leur page Facebook, en octobre, pour exalter leurs faits d’armes en Syrie à grand renfort de photos couillues où ils câlinent leur Kalach. Impossible de dire combien ils sont dans ce bataillon d’étrangers à se battre aux côtés des Kurdes. Impossible également d’évaluer leur utilité. Pour un vétéran américain qui a défrayé la chronique – et dont la belle gueule a rapidement été hissée en photo de profil –, on compte un surfeur, trois bikers néerlandais, un ancien candidat de téléréalité canadien et deux grandes gueules britanniques qui ont visiblement passé leur temps planqués dans des cuisines de la ville de Kobané.

Puisqu’ils ont rejoint les rangs du YPG (acronyme kurde pour Unités de protection du peuple, la branche armée du Parti de l’union démocratique ou PYD), nul ne songerait en effet à les accabler. Certes, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) figure encore sur la liste des organisations terroristes en Europe et aux Etats-Unis, mais les Lions se battent contre l’Etat islamique. Le déferlement de commentaires extatiques sur leur page témoigne de la réserve inépuisable d’idéal romantique que constitue le conflit syrien : bon nombre de leurs 79 000 fans se fantasment en personnages du jeu Call of Duty, rêvant de mettre une raclée au “mal absolu”. Alors pourquoi aucun d’entre eux n’est-il parti combattre l’armée de Bachar al-Assad, avec les

révolutionnaires syriens ? “En 2011, les insurgés ne réclamaient pas d’aide, tempère le chercheur Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l’islam contemporain. Ils refusaient même les étrangers.” A partir de l’été 2012, pourtant, la contre-offensive sanglante du régime les pousse à appeler au secours. On aurait pu penser que l’Internationale socialiste (à laquelle appartient le PS), l’Internationale communiste (à laquelle appartient le PC), ou la IVe Internationale (à laquelle appartient le NPA), auraient dépoussiéré leurs étendards. On aurait eu tort. Il a fallu attendre l’irruption des Kurdes sur le devant de la scène pour que la Syrie devienne une cause politiquement embrassable. Pour le spécialiste des révolutions arabes Gilbert Achcar, l’explication est simple :

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“il n’y a plus de parti capable d’armer des Brigades” un dirigeant du NPA

la minorité kurde opprimée présente l’avantage d’appartenir au registre des bonnes causes. “Beaucoup se reconnaissent dans leurs opinions sur les femmes ou sur la démocratie”, explique-t-il. L’opposition syrienne, elle, était dès le départ dominée par les Frères musulmans, parrainée par la Turquie et le Qatar. Rien d’alléchant pour les militants. “On n’y a pas identifié de parti de gauche massif agitant des banderoles en criant ‘aidez-nous’”, concède Christian B., représentant français de la IVe Internationale. Les Kurdes, eux, sont occidentalocompatibles : drapeaux rouges et grand parti aux accents libertaires. Non seulement la cause des Kurdes fait plus joli, mais ils avaient déjà des contacts avec d’autres forces politiques. C’est ainsi qu’en novembre 2014, le secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, est parti serrer la pince à ses bons vieux camarades du PKK. “Nos liens s’étaient resserrés depuis dix ans, dans les campagnes pour la libération des prisonniers politiques”, précise-t-il. “Les militants ne partent pas se battre pour des idées, ajoute Achcar, ils se rangent du côté de ceux à qui ils peuvent s’identifier.” Enfermés par un régime autoritaire, les Syriens n’ont jamais eu la chance de provoquer cette compassion narcissique. Une autre raison a empêché le soulèvement contre Damas de devenir la guerre d’Espagne du XXIe siècle. Lorsqu’en 1936 les volontaires antifascistes rejoignent les républicains espagnols, la proximité de la Première Guerre mondiale rend le maniement des armes familier : comme toute la société, la gauche regorge de vétérans et de conscrits pour qui l’artillerie n’a pas de secret. A la faveur des luttes anticoloniales, la tradition guérillériste se poursuit ensuite quelques décennies, en Afrique, puis en Amérique latine ; mais déjà les volontaires se font rares et leurs initiatives sont souvent isolées. C’est la lutte des sandinistes au Nicaragua, dans les années 80, qui a marqué un tournant. La plupart des activistes se contentaient souvent d’un soutien logistique. Construction d’écoles et acheminement de vivres ont marqué l’échec du guévarisme et

l’avènement de la logique ONG. Présentée comme plus légitime à récolter des fonds, la famille des organisations “sans frontières” a remplacé l’internationalisme. Vingt ans plus tard, tenir un fusil est devenu une grande inconnue pour la gauche. “Il est loin le temps où la décision de Julien Dray de ne pas faire son service déclenchait une polémique qui enflammait la LCR”, reconnaît Christian B. Complètement désarmée, la gauche est aussi désorganisée. “Du temps de l’Espagne, il y avait le PC et l’URSS. Aujourd’hui, il n’existe plus de gros parti capable d’armer des brigades”, admet un dirigeant du NPA. Et les seuls Etats qui pourraient jouer ce rôle, comme le Venezuela, pratiquent assidûment le “campisme” : puisque Bachar al-Assad était une épine dans le pied du géant impérialiste américain, Hugo Chávez le soutenait ouvertement. “Il n’y a plus de relais institutionnel pour lever des fonds et envoyer aux insurgés les lance-roquettes dont ils ont besoin”, poursuit Christian B. La IVe Internationale se contente donc d’aider ses camarades syriens du Courant de la gauche révolutionnaire à imprimer des journaux. L’espace politique ainsi déserté a rapidement été occupé par les jihadistes. “Ils ont bénéficié des largesses de quelques émirs et d’un vivier de candidats non négligeables dans des quartiers populaires des pays européens, ajoute le responsable de la IVe Internationale. En France, toute tentative de politisation de cette jeunesse a été anéantie par SOS racisme dans les années 80, qui l’a canalisée avec l’argent et le soutien de l’Etat.” Le racisme et le chômage ont parachevé la radicalisation – même si le lien n’est pas si fort. “Les sergents recruteurs du jihad trouvent des jeunes tout disposés à recevoir leur mythologie, séduits par les faveurs sexuelles et le salaire intéressant promis par Daesh”, confirme Gilbert Achcar.  Il y a pourtant bien quelques militants politiques qui auraient pris les armes pour se battre en Syrie, assure JeanPierre Filiu. “Des identitaires, des fachos, sont allés aider le régime de Damas à se maintenir en place”, témoigne-t-il. Ceux-là non plus n’ont pas trop été embêtés à leur retour. Marie-Lys Lubrano 17.06.2015 les inrockuptibles 17

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du 10 au 17 novembre 2015 - Paris - Tourcoing - Nantes - Toulouse

Chaque semaine, nous vous dévoilons une partie de la programmation du Festival les inRocKs Philips 2015. Après Alabama Shakes, les festivités se poursuivent avec deux soirées, l’une noyée sous les guitares, l’autre sous les claviers.

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Fat White Family

guitares & cheveux Ils viennent des deux côtés de l’Atlantique mais partagent le même amour des guitares. Pourtant, ces garçons-là, pour la plupart très jeunes et capillairement insoumis, ne caressent pas leurs instruments dans le sens du poil, au contraire. Le Festival les inRocKs Philips lève ainsi le voile sur un plateau de rock indocile, qu’il célèbre dans toutes ses joyeuses déclinaisons. Il sera convulsif chez le quatuor londonien Bo Ningen, savant et fulgurant à la fois chez les jeunes Américains de The Districts, dont le premier album A Flourish and a Spoil a affolé les médias européens. Ceux qui l’aiment cagneux et grunge applaudiront les Anglais de Wolf Alice, dont le deuxième album est l’une des bonnes surprises de l’été (lire chronique page 82). Tout le monde, enfin, trouvera la joie avec les débraillés Fat White Family, jeune collectif londonien qui agence dans son squat miteux de la capitale les hymnes rock psyché les plus convaincants, dépravés et hirsutes qu’on ait entendus ces derniers mois. Johanna Seban

quand et où ? le 12 novembre à Tourcoing (Le Grand Mix), le 13 à Paris (La Cigale), le 14 à Nantes (Stereolux), le 16 à Toulouse (Bikini)

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Son Lux

beats & basses Le festival ouvre grand ses portes à une passionnante délégation d’électroniciens. On y entendra le désormais capital Son Lux, dont l’album Bones sera la bande-son fascinante de l’été, mais aussi la révélation française Flavien Berger, nouveau maître de l’expérimentation formelle dont les prestations, entre impro et découpages sonores, sont des invitations à la transe. Londres sera bien représentée avec Ghost Culture, jeune garçon dont le premier album d’electro sensible fut l’une des joies de l’hiver, et les jumeaux de Formation, originaires du sud de la capitale et héritiers directs de LCD Soundsystem, dont ils ressuscitent l’esprit funk et sensuel. A Tourcoing, Flavien Berger laisse sa place à la soul glacée de Lapsley, jeune chanteuse de Liverpool. J. S.

quand et où ? le 13 novembre à Tourcoing (Le Grand Mix) avec Lapsley, le 14 à Paris (La Cigale), le 15 à Nantes (Stereolux), le 17 à Toulouse (Bikini)

toutes les infos sur www.lesinrocks.com/musique/yntht/festival-inrocks-philips billetterie et pass disponibles dès maintenant sur fnac.com 18 les inrockuptibles 17.06.2015

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plus dure sera la chute

Portrait du président Maduro, surnommé “Mas duro” (“plus dur”) par ses opposants

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a simple lecture des unes des quotidiens vénézuéliens suffit à exposer la catastrophe : La Hora du 14 juin parle de 70 % des médicaments qui manquent en pharmacie. El Nacional du 13 juin évoque une centaine de politiques en grève de la faim. Huit jours plus tôt, La Verdad avançait le chiffre de trente-quatre grévistes. Fin mai, El Nacional étalait un dollar en une et titrait : “Cours officiel : 6 bolivars ; marché noir : 600.” Si cette chronique commence par des journaux locaux, c’est parce que tout ce qui touche au Venezuela est hautement inflammable, comme autrefois Cuba ou les zapatistes mexicains. Evoquez la catastrophe économique et vous devenez suspect. Il suffit de relire les chroniques de voyage et les commentaires de Jean-Luc Mélenchon sur le chavisme triomphant pour s’en convaincre. En 2013, dans un entretien publié par L’Humanité, il parlait du régime de Caracas comme “d’une source inspiration”. Quant à l’actuel président vénézuélien Nicolás Maduro, que l’opposition vénézuélienne a surnommé “Mas Duro” (“plus dur”), Mélenchon en parle comme d’un dirigeant ayant “une vue très ample des relations internationales”. Une telle indulgence vis-à-vis d’un homme responsable en 2014 de dizaines de morts, souvent par balles, de manifestants, souvent étudiants, laisse pantois. D’autant que le régime enferme et réprime ouvertement, sans même s’en défendre ! Pour être juste, il est difficile de brûler ce qu’on a adoré. Moi aussi, j’aurais tellement aimé que le chavisme d’Etat, si simple à comprendre et à expliquer, triomphe au Venezuela et renverse la table en Amérique latine. Je connais bien l’Amérique latine

le régime enferme et réprime ouvertement, sans même s’en défendre

Federico Parra/AFP

Comment un pays qui possède plus de réserves pétrolières que l’Arabie Saoudite a sombré dans la crise ? C’est la situation du Venezuela, symbole de l’échec du chavisme d’Etat. et je sais le poids de l’oligarchie criolla, c’est-à-dire descendante des colons espagnols, le racisme institutionnalisé (notamment contre les Noirs et les Indiens), les injustices sociales béantes et la touffeur catholique. J’ai aussi cru qu’une révolution citoyenne pouvait commencer par le Venezuela. C’est un pays bénit par la nature : il possède plus de réserves pétrolières que l’Arabie Saoudite. Sa richesse bien redistribuée pouvait donner l’exemple à tout le continent. Hugo Chávez a eu une chance que peu de révolutionnaires ont eue avant lui : arriver au pouvoir et avoir d’un coup les moyens d’une politique différente et juste. Dès les premiers mois de ses trois mandats, le prix du baril de pétrole a triplé, voire quadruplé. Programmes sociaux, médicaux, scolaires : l’argent coulait à flot et semblait enfin atteindre ceux qui en avaient le plus besoin. “Semblait” seulement, parce que l’essentiel de la manne pétrolière a été gâchée, détournée, misérablement dépensée. D’abord, le gros de cet argent a alimenté les importations. Un exemple ? Depuis quinze ans, le Venezuela est passé d’exportateur de produits agricoles à importateur net. Tout est désormais importé, notamment de la Colombie voisine qui, elle, s’enrichit. L’industrie pétrolière nationale est en lambeaux. En mars, pour la première fois de son histoire, le pays a dû importer du pétrole d’Algérie, pour faire face à un début de pénurie d’essence. Quant à la pauvreté, elle a retrouvé son niveau d’avant Chávez. Pire encore : l’armée s’est enkystée au pouvoir. Elle contrôle une bonne part de l’économie et s’est emparée des leviers du pouvoir. Le Venezuela consacre 6,5 % de son PIB à son armée. Un record absolu qui fait du pays le premier acheteur d’armes du continent. Même le régime cubain s’est détourné de cet allié en roue libre. En signant des accords avec les Etats-Unis, La Havane n’a même pas pris soin de prévenir Nicolás Maduro, laissant Caracas s’enflammer seul et à vide contre “l’impérialisme yankee”. Anthony Bellanger

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mal de mère Mathilde Seigner se noie dans une mer de clichés et d’incohérences. Un mauvais téléfilm signé Christine Carrière dont on se demande par quel miracle il est parvenu en salle.

le sujet Au bord de la mer, dans le Nord. Une femme, Marie (Mathilde Seigner), qui survit grâce à plusieurs petits boulots, élève seule Guillaume, son grand ado de fils (Kacey Mottet-Klein). Marie avait bien un compagnon (Pierfrancesco Favino), mais elle l’a fichu à la porte quand il l’a trompée. Guillaume ne fait que des bêtises (larcins, trafic de drogue, délinquance banale), elle le protège, lui fournit des alibis, l’engueule mais il crie plus fort qu’elle. Elle a peur. Ils se balancent des horreurs à la figure (qu’il n’a pas été désiré, par exemple). A bout de nerfs, elle cherche à chasser Guillaume de sa vie, à s’en débarrasser à tout prix. En vain. A la fin, il entre aux Pompes funèbres générales et il est content.

le souci D’abord Mathilde Seigner, que la réalisatrice, Christine Carrière, avait fait découvrir dans Rosine, il y a vingt ans. On ne comprend pas ce qu’elle joue et on se demande si elle le sait elle-même. Une prolétaire ou une petite bourgeoise (qui ne cesse de renvoyer à son fils qu’il est analphabète et débile) ? On ne sait pas trop. On constate surtout qu’elle semble retrouver pied quand on lui demande de piquer ces fameuses colères qui l’ont rendue célèbre sur le grand et le petit écran, à la ville comme à la scène, avec sa bouche qui se tord. Plus grave, le récit part

en chiffres

dans tous les sens, avec toute une série d’invraisemblances et d’incohérences qui ont peu à peu raison de la confiance et de la patience du spectateur. Les actes commis et les propos tenus par les personnages n’ont jamais vraiment de conséquences, comme si rien n’était grave, comme dans le téléfilm français du mercredi soir sur France 2.

le symptôme Une certaine manière de faire ou de fabriquer parfois du cinéma en France. On dirait que le film a été ballotté dans tous les sens, entre différents intérêts, le scénario réaménagé cent quarante fois pour plaire à tout le monde (producteur, financiers, avance sur recettes, chaînes de télévision, actrice principale ?). C’est le drame. Si le réalisateur ne parvient pas à garder son cap initial, il se laisse bouffer par tous les petits cochons du métier qui veulent imprimer leur marque, leurs petites manies, leurs fantasmes de succès sur tout ce qu’ils touchent. Au final : un truc informe et incohérent, des dialogues portnawak, avec des tentatives assez courageuses, mais vaines, de créer un peu d’émotion (les nuits blanches de Marie avec son ex, très dérisoires malgré tout). Christine Carrière avait réalisé au moins un beau film, Qui plume la lune ?, en 1999. Ici, on sort affligé de cet échec industriel, avec l’impression qu’elle n’en est pas la seule responsable. Jean-Baptiste Morain

172 000 Le joli petit succès en nombre d’entrées remporté par Darling (2007), le précédent film de Christine Carrière. Dans son troisième long métrage, une adaptation d’un roman de Jean Teulé, l’ancienne élève de la Fémis dirigeait Marina Foïs et Guillaume Canet.

60

Le nombre de films (ciné ou télé) interprétés à ce jour par Mathilde Seigner.

650

Faute de statistiques officielles, ce serait le nombre d’appels effectués par des parents agressés par leurs enfants que reçoit chaque année la plate-forme Jeunes Violences Ecoute (0808 807 700)

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“t’as pas chaud toi ?”

retour de hype

la tête de sociopathe du petit George

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Laure Boulleau

“mais si c’est super sympa Paris en été”

“c’est un parfum qui a de fortes notes ‘bo bun” “moi, je croyais que la vie allait ressembler à la danse du cobra dans Le Tombeau hindou”

“c’est un peu comme si elle faisait le off d’Avignon, mais toute l’année en fait”

l’Oculus Rift

saint Ignace de Loyola

Lionel Richie Orange Is the New Black l’encadrement des loyers à Paris

l’Euro 2016 le couple Simpson

le nouvel album de Foals

“C’est un parfum qui a de fortes notes ‘bo bun” L’odeur du futur. La tête de sociopathe du petit George Un peu, non ? Laure Boulleau Arrière gauche de l’équipe de France féminine de football. L’Euro 2016 La compétition qui se tiendra en France commence déjà assez mal puisque

c’est David Guetta qui en composera l’hymne officiel. Le couple Simpson serait dans la tourmente : la semaine dernière, des rumeurs persistantes de divorce ont circulé avant d’être formellement démenties par la Fox. Oké. “Mais si c’est super sympa Paris en été” C’est ça, oué. D. L.

tweetstat A quelques errances sémantiques près, le chanteur s’est enthousiasmé sur les révélations sur Pluton. Suivre

Julian Casablancas @Casablancas_J

30 % Neil Armstrong Partie en 2006, la sonde

and now i will use my twitter power to bore people with astrology news: 7:34 AM - 11 juin 2015

Répondre

“Et maintenant, je vais utiliser mon pouvoir de twittos pour ennuyer les gens avec des informations astrologiques”

Retweeter

Favori

New Horizons atteindra son premier objectif en prenant les premiers clichés nets de Pluton.

2%

Oxford Dictionary

68 %

Elizabeth Tessier Pour l’astrologie (ascendant boulette).

Où la différence entre astrologie et astronomie est bien spécifiée.

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ADD COLOR TO THE WORLD par Olivier Placet et Nicolas Barrome Forgues

#CAMPAIGN4CHANGE Dans le cadre de #CAMPAIGN4CHANGE, Ray-Ban et les inRocKuptibles s’associent pour colorer le monde (“Add Color to the World“). Le photographe Olivier Placet a été invité à réfléchir à une série de trois clichés autour de la ville, sur lesquels l’illustrateur Nicolas Barrome Forgues est venu apporter une touche de couleur et de rêverie. Une série pop qui se dévoilera sur trois semaines, tout comme l’interview, à découvrir en quatrième page.

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en partenariat avec

présentent

ADD COLOR TO THE WORLD

photo Olivier Placet

Olivier Placet - Pour la photo de La Défense, j’ai voulu changer le monde du travail en mélangeant les “suits” (costumes) avec les “sweats” à capuches.

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photo Olivier Placet, illustration Nicolas Barrome Forgues

Nicolas Barrome Forgues - C’est pour moi la photo la plus intriguante, elle m’a donné envie de regarder de vieux classiques de science-fiction. J’ai voulu avec mes personnages délirants transformer ce cliché en rencontre du troisième type.

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#CAMPAIGN4CHANGE : l’interview (2/3) Le photographe Olivier Placet et l’illustrateur Nicolas Barrome Forgues évoquent leur collaboration.

Olivier Placet par Nicolas Barrome Forgues

Nicolas Barrome Forgues par Olivier Placet

Comment avez-vous choisi les trois photos sur lesquelles Nicolas a travaillé ? Olivier Placet - Vu que j’intervenais en premier, je suis parti sur trois ambiances assez urbaines, qui retracent un peu le quotidien d’un individu. Qu’est-ce que les gens aiment faire à Paris ? Je me suis mis dans la peau d’un trentenaire. Le parc des Buttes-Chaumont était un paysage qui me semblait être un bon point de départ. J’habite juste à côté, et j’aime le contraste entre cette masse de verdure et la ville tout autour. Dimanche, il fait beau, je suis avec des potes, je vais donc sur les pelouses du parc. La semaine, je travaille. Il me faut donc une ambiance un peu “business”. Je suis donc allé faire des photos à La Défense car graphiquement, c’est un endroit avec des réflexions incroyables et des ambiances lumineuses étonnantes. La troisième étape, c’est la distraction, et quel meilleur exemple qu’aller boire un verre dans un café ? Est-ce que vous avez travaillé en ayant conscience que Nicolas passerait après ? Olivier Placet - Bien sûr. J’ai essayé de composer des images en ayant constamment en tête le fait qu’elles allaient être transformées par Nicolas. L’idée était d’avoir des plans différents et de la perspective. C’était important que les illustrations s’invitent partout : on va découvrir un petit personnage qu’on va ensuite retrouver derrière la fenêtre d’un immeuble… Nicolas Barrome Forgues - J’ai été séduit par le principe de travail sur la photo. C’est une pratique que j’avais

déjà exercée, j’adore les incrustations sur images. J’ai été bercé par les films comme Roger Rabbit. Evidemment, en regardant les images, on se doute bien qu’il n’y a pas de Martiens et de monstres de deux cents mètres : ce qui est drôle, c’est de les rendre réalistes, de faire comme si c’était normal. Vous êtes-vous concertés avant de faire les images ? Nicolas Barrome Forgues - Au début, on nous l’a proposé. A l’inverse, je trouvais ça plus intéressant de me laisser surprendre. Je savais très bien ce qu’il aurait en tête et je trouvais drôle de me demander comment j’allais intervenir dessus. Et il l’a très bien fait ! Pour chacune des photographies, les perspectives sont différentes. Qu’aviez-vous envie de mettre en scène avec vos illustrations ? Nicolas Barrome Forgues - J’avais vraiment envie de proposer mon univers, mes bestioles, mes souvenirs de science-fiction et de dessins animés. J’ai un bestiaire qui m’est propre, une envie de fantastique, mais de fantastique “normal”. C’était changer le quotidien d’Olivier, qui s’est baladé dans les rues de Paris, avec mon quotidien à moi, chargé en créatures bizarres. exposition Bon appétit de Nicolas Barrome Forgues, jusqu’au 26 juin à la galerie L’Attrape-Rêve, Paris XXe, lattrapereve.fr

#CAMPAIGN4CHANGE Jusqu’au 25 août, partagez le changement que vous désirez pour le monde et tentez de gagner un voyage à New York et votre campagne sur Times Square. Rendez-vous sur ray-ban.com

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on voulait tout casser Les grands de ce monde se sont offert une pause bucolique lors du G7 en Bavière, les 7 et 8 juin. Entre Le Cœur des hommes et Very Bad Trip.

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Matteo, François, Barack et les autres L’image pourrait presque ressembler à l’affiche d’un de ces “films de potes” qui squattent les salles de cinéma. Milieu naturel, pause détendue, copains regardant dans différentes directions et éclats de rire pris sur le vif : tous les éléments sont réunis pour une bonne comédie mainstream à la française. Le genre à alterner plaisanteries et émotion (soulignée, comme il se doit, par une musique tire-larmes) afin de dresser calmement le bilan d’une vie de quadra CSP+++ momentanément en quête de sens dans sa maison de vacances (ça rime).

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Michael Kappeler/Reuters

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les petits mouchoirs Pour le reste, on imagine, le soir tombé, les personnages principaux passablement enivrés se demander autour d’une table éclairée aux bougies à la citronnelle : “Et toi ? A quoi tu rêvais quand t’étais môme ?” A foutre la pression à un peuple et un pays étranglés par la dette ? A renoncer à s’engager en faveur de la santé (en ne renouvelant pas l’initiative du sommet du G8 de Muskoka en 2010, qui promettait de nouveaux fonds pour la santé des femmes et des enfants) ? A prendre des décisions non contraignantes et a minima concernant le grand enjeu du siècle, à savoir le climat ? Probablement pas. Ne manque plus qu’un ostréiculteur truculent déboule en hurlant : “Vous avez une carte bleue à la place du cœur !”, et le tableau sera complet. Sortez les mouchoirs. Diane Lisarelli

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Sissi face à son destin

Or il n’en est rien puisqu’il s’agit d’une photo de l’agence Reuters prise durant le G7 qui s’est tenu les 7 et 8 juin, en Bavière. L’occasion d’organiser des prises de vues bucoliques hallucinantes des dirigeants des plus grandes puissances économiques se baladant dans un décor paisible et ensoleillé. Sur la plupart, on trouve des pissenlits par milliers au premier plan. Au fond : les cimes enneigées des montagnes. De quoi produire des images nous laissant carrément fantasmer l’un d’eux partir, au péril de sa vie, cueillir un edelweiss, tel ce brave Franz dans Sissi.

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Charlotte Tournilhac

Sourdure Ce Lyonnais relève le folk auvergnat d’une sauce electro-psyché qui pique : son premier album est un choc.

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l y a une poignée d’années, le Lyonnais Ernest Bergez jouait dans le duo de techno expérimentale Kaumwald. Autant dire qu’il n’en avait pas grand-chose à cirer de la musique traditionnelle d’Auvergne (d’où est originaire une partie de sa famille). Mais à la faveur de ses études de musique, et parce qu’il se retrouve avec un violon entre les mains, il découvre ce monde perdu des chansons rurales du Massif central. Des chansons rudes et des mystères anciens, qu’il emmène dans son labo de musicien électronique, comme matière première et primaire d’une musique nouvelle, ou au moins renouvelée. Sous le nom de Sourdure, Ernest Bergez vient de sortir son premier album, La Virée, et c’est un choc :

jusqu’alors ignoré (au mieux) ou méprisé (au pire), ce folklore de France profonde rejoint grâce à Sourdure la crème (brûlée) du freak-folk international. Dans les vallées d’Auvergne, Sourdure a entendu l’écho des expérimentations du Velvet Underground ou de l’Africain Francis Bebey. Musique pechno, primitive et moderne. Sur scène, seul avec un violon et d’étranges machines, Sourdure ressemble à un Robinson en plein délire chamanique, visité par des fantômes qui ne demandaient qu’à revenir danser. Sourdure joue une musique primitive, mais son nom rime avec futur. Stéphane Deschamps album La Virée (Tanzprocesz/Astruc)

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des fringues pleines de puces Google vient de présenter un nouveau tissu dont les fils conducteurs rendront les vêtements sensibles au toucher. De quoi nous transformer en télécommandes vivantes.

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éatement, nous observions les androïdes mimer les humains. C’était oublier que, dans un mouvement inverse, l’humain allait se robotiser. Google, dans sa mission transhumaniste, a décidé d’impliquer un peu plus notre corps dans la technologie. Jacquard n’est pas seulement le nom d’horribles tricots : c’est surtout celui de l’inventeur du métier à tisser semi-automatique au début du XIXe siècle. Et c’est aussi aujourd’hui celui d’un nouveau projet de la firme de Mountain View. Le projet Jacquard permet de fabriquer un vêtement sensible au toucher et le jean devient une zone de contrôle tactile ! Ce fil conducteur, à base de fibres de cuivre, est compatible avec n’importe quelle autre étoffe. Ne restera plus qu’à tisser et notre pantalon, notre chemise ou notre bonnet péruvien deviendront une télécommande. Il suffira d’effleurer son genou pour répondre à un appel sur son smartphone, caresser sa cuisse pour allumer la télé ou se frictionner les manches du pull pour enclencher le chauffage. Des gestes tout de même plus instinctifs que d’appuyer péniblement sur un bouton “on” ; et une pichenette sur la pochette de la chemise servira de bouton “off”. Jamais la technologie n’aura été aussi proche de nous. Jusqu’à maintenant, la doublure de la veste faisait barrage entre nous et le téléphone. Dorénavant, nous nous vêtirons d’électronique. La technologie se retrouvera au contact direct de notre peau. Cependant, il faut bien alimenter tout cela et Google bute pour l’instant sur le problème de la batterie.

Mais notre corps est un générateur d’énergie qui s’ignore. Des projets pour récupérer l’énergie dégagée par nos mouvements, la chaleur corporelle, les battements cardiaques, etc., sont à l’étude. La batterie, ce sera nous. Toujours chez Google, Raymond Kurzweil, l’un des prophètes du transhumanisme, annonce, ravi, que d’ici 2030 notre cerveau, notre pensée, sera moitié biologique, moitié artificielle. Des nano-ordinateurs, de la taille d’un brin d’ADN, seront intégrés dans nos cerveaux et nous donneront accès aux bases de données du web. Le tissu de contrôle tactile aura eu le temps d’entrer dans nos épidermes d’ici là. Intriqué avec la peau, le Jacquard fera partie de nous. Et nous programmerons la cuisson du gigot à distance, en nous frottant les mains. Encore une fois, la paresse intrinsèque de l’humain moderne le perdra. Tout a commencé avec la télécommande pour zapper sans s’éloigner de la bière fraîche. Nous laissons doucement les technologies de contrôle envahir le quotidien. Mais qui contrôle qui ? Google nous pose tranquillement le petit doigt sur la couture du pantalon high-tech. Nicolas Carreau illustration Jérémy Le Corvaisier pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin Le projet Jacquard youtube.com/watch?v=qObSFfdfe7I

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printemps-été 2015 vol. 3 La rencontre au sommet Franz Ferdinand/Sparks, le single estival des Naïve New Beaters, la renaissance du cool avec St Germain, Jay-Jay Johanson opiomane bouillant et l’afro-electro from Kinshasa de Mbongwana Star. 1. Franz Ferdinand & Sparks (FFS) Johnny Delusional extrait de l’album FFS (Domino/Sony) La rencontre de l’année entre les vétérans américains Sparks et leurs descendants écossais Franz Ferdinand. Un match amical en terrain neutre, où chacun apporte son génie pour une grande fête pop et excentrique.

2. DMA’s Your Low extrait du ep DMA’s (Infectious/Pias) Ce power-trio de Sydney a délocalisé aux antipodes les guitares et la gouaille de Manchester. Inspiré par les Stone Roses, Oasis et le nord de l’Angleterre frondeuse, leur premier mini-album possède un gros potentiel pour faire chavirer les stades.

3. Du Blonde Black Flag extrait de l’album Welcome back to Milk  (Mute/Pias) Beth Jeans Houghton est une mutante : son album de 2012 était une merveille de folk étoilé, mais c’est en potentielle  rock-star universelle que la jeune Anglaise revient sous le nom de Du Blonde.

4. Gengahr She’s a Witch extrait de l’album A Dream Outside (Transgressive Records/Coop) Aperçus au dernier Festival les inRocKs Philips, les Anglais de Gengahr sortent enfin un premier album qui confirme leur don pour écrire des hymnes à guitares bondissants et électriques.

5. Alexandre Delano Nous appartenir extrait en avant-première de l’album Eau (Kütu Records/Vicious Circle) Le leader de la formation clermontoise The Delano Orchestra revient en solo avec un disque entièrement en français, journal de bord de sa vie amoureuse à la production aquatique.

6. Jay-Jay Johanson Moonshine extrait de l’album Opium (Kwaidan Record/ Universal) Deux ans après Cockroach, le Suédois Jay-Jay Johanson revient avec un disque plus musclé, à l’image de ce Moonshine fougueux aux guitares bouillantes.

7. Naïve New Beaters Run away extrait en avant-première de l’album à venir (Capitol) Sur ce nouveau single, le plus barré des groupes français reste fidèle à lui-même : ça gigote, ça sue et ça rigole sur ce Run away pensé pour l’été. Bientôt un nouvel album.

8. MBongwana Star Kala extrait de l’album From Kinshasa (World Circuit/Harmonia Mundi) From Kinshasa donc, premier album d’un groupe né de la scission de Staff Benda Bilili. De l’afro-electro envoûtante. Produit par Doctor L, Kala sonne comme Daft Punk au Congo : l’album africain du moment, et du futur.

9. St Germain Real Blues extrait en avant-première de l’album St Germain (Parlophone/Warner) C’est le retour de l’un des maîtres français du cool, d’un seigneur de la French Touch qui n’a rien perdu de son génie : agile, gracile et frénétique à la fois, entre l’Afrique, le Mississippi et Paris, son nouveau single obsède instantanément.

10. David Zincke Oh My extrait de l’ep The Ep (Capitol) L’Anglo-Niçois se dévoile et démarre plutôt fort. Avec Oh My, il trouve la recette des tubes folk qui font le tour du monde et des radios. Et des compilations à écouter sur la route des vacances.

11. Valparaiso Flowers Falling down extrait en avant-première de l’ep Winter Sessions (Zamora Productions) Anciennement Jack The Ripper, puis The Fitzcarraldo Sessions, Valparaiso s’apprête à sortir (en vinyle only) un somptueux mini-album d’americana cotonneuse, chanté par l’Australienne Phoebe Killdeer.

12. Alexis & The Brainbow No Longer Les Lyonnais d’Alexis & The Brainbow se lâchent dans cette session live. Hypnotique, fougueux et lyrique, leur No Longer est destiné à se faire remarquer. un live enregistré pour sur France 4

à retrouver

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style

où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

dans cette maison écolo Quatorze, c’est le nombre de façades que compte cette maison en bois écolo pensée dans une économie de moyens et de matériaux (1 000 euros par mètre carré). Conçue par un studio bruxellois, elle se compose d’une multitude de petites surfaces qui s’articulent pour créer des espaces, des hiérarchies et laisser entrer la lumière.

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com

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chez Ami On regarde avec un plaisir non dissimulé s’épanouir au fil des collections l’univers d’AMI, la marque qu’Alexandre Mattiussi a fondée il y a trois ans en s’inspirant de ceux qui l’entourent. Un vestiaire abordable, ultraportable et doucement sophistiqué, toujours dans l’air du temps. amiparis.fr

Grégoire Avenel

sur ce coussin La nouvelle série du toujours prolifique duo Bless (Desiree Heiss et Ines Kaag) s’appelle Bless no 53 Contenttenders et joue, entre mode, art et design, autour de l’idée du livre d’art, contenu fragile (“tender content”) mais également adressé, offert. Une double nature et un statut intime qu’elles ont traduit en le faisant reposer sur des coussins et autres formes accueillantes. jusqu’au 1er août à la galerie Michèle Didier, Paris IIIe, micheledidier.com

Au début des années 90, Naples prenait de plein fouet la vague garage, l’utopie techno et l’hédonisme ravesque. Une histoire musicale, culturelle et vestimentaire que retrace aujourd’hui en textes et en images United Tribes – La storia. Un bel ouvrage documenté avec flyers, fanzines et de nombreux témoignages. unitedtribes.it

Giovanni Calemma

à Naples, en 1992

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vous n’y échapperez pas

le retour des jumelles Olsen Ou comment ces anciennes enfants-stars rhabillent les hautes sphères de la mode.



es deux jeunes filles à la ressemblance frappante vous disent quelque chose ? Normal, il s’agit de Mary-Kate et Ashley Olsen, les jumelles les plus médiatisées d’Hollywood qui apparaissaient dès leurs neuf mois dans la série La Fête à la maison, où elles se partageaient le rôle de la benjamine de la famille. Aujourd’hui âgées de presque 30 ans et pas un film tourné depuis des années, elles ont pris un virage inattendu dans leur carrière. Sur la photo ci-contre, toutes deux de noir vêtues et le regard félin, elles nous font savoir qu’elles appartiennent aujourd’hui à une autre sphère tout aussi prisée : celle de la mode. Et pas n’importe laquelle : grâce à leur marque The Row, lancée en 2007, elles viennent d’être récompensées pour la troisième fois par les CFDA Awards, sortes d’oscars de la mode américaine, au début du mois. Elles sont, selon le jury (qui comprend Anna Wintour), la marque la plus réussie de l’année. Saisons après saisons, elles étonnent par des créations qui plaisent précisément parce qu’elles ne leur ressemblent pas. Matures, minimalistes, discrètement luxueuses, elles évoquent une sorte d’Hermès à l’américaine (d’ailleurs leur ancienne directrice du style, Nadège Vanhee-Cybulski, est aujourd’hui directrice artistique de la marque de luxe). Ce recyclage professionnel est encore plus spectaculaire quand on se souvient que les jumelles fondaient dès l’âge de 6 ans la société DualStar

leur permettant de commercialiser leurs propres produits dérivés et de produire les films dont elles partageaient l’affiche. Millionnaires à 10 ans, elles grandissent entourées de leurs visages déclinés sur des milliers de poupées, lignes de vêtements, trousses à maquillage, symbole d’une féminité ultra-américaine et d’une société de consommation hystérique. Là, elles effectuent une sorte de repentir quasi biblique : elles se cachent derrière un sigle évoquant vaguement les tailleurs anglais de Savile Row, une élégance sans âge à l’européenne et une production made in USA. Cette humilité bien ficelée réjouit la mode : c’est l’invention d’une tradition américaine – snobisme à la parisienne, storytelling façon Hollywood. En se retirant du show-biz, elles permettent leur propre pérennité ainsi que celle de la mode du pays. Elles ont grandi, la société de consommation américaine aussi. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : les chanteurs au nez percé

2012 Quand la chanteuse anglaise d’origine jamaïquaine et espagnole FKA Twigs apparaît en couverture du magazine i-D un anneau entre les narines, elle injecte par ce simple bijou un métissage transversal au cœur de son r’n’b. Tribal, antique, ce piercing évoque les Incas qui le portaient déjà – imposant la frêle chanteuse en guerrière sans frontières.

2014 Dans son clip On the Regular, le jeune Shamir développe une esthétique pop et queer. Son piercing est un doigt d’honneur à l’autorité parentale qu’il subit encore et renforce son côté punk et androgyne. Ainsi, ce morceau de métal devient le lien symbolique de toutes ses appartenances.

2015 Son père Lenny se signalait “rockeur” avec son anneau dans la narine gauche. Zoë Kravitz, au sein de son groupe Lolawolf, réitère en se perçant le septum. Ainsi, elle s’inscrit dans le prolongement de la carrière de son père et prouve, malgré son enfance dorée, qu’elle n’a rien perdu de la street cred’ familiale. A. P.

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Le Mirador de Morayma à Grenade

bouche à oreille

palais andalous Le temps d’une virée en Espagne, quelques adresses pour savourer les produits locaux.

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Séville, derrière les arènes, le tout neuf et design resto Jaime Alpresa (16 calle Adriano) sert des tapas haut de gamme (bellota tranché fin, queue de taureau confite…) arrosées d’une belle cave. A vingt mètres, calle Antonio Díaz, tapas plus terroir et ambiance taurine dans les deux bodeguitas Antonio Romero (torero mythique mort en 1802 sous les cornes d’un taureau). Ultrabranché et ultrabon, le 3 (3 calle Gracia Fernández Palacios), un gastro abordable et tranquille niché dans la ruelle juste derrière les arènes. On peut y boire l’apéro ou le digeo sur le toit-terrasse : la nuit, ça ressemble à une des 1 001 nuits. Plus au nord, dans un quartier populaire en bordure d’une vaste promenade, Casa Paco (23 alameda de Hércules) est un bar à bière, lieu tradi et bon marché qui sert d’excellentes tapas maison (salmojero, petits poivrons frits ou grillés, viandes, poissons, poulpe…), tables sur le trottoir ombragé à la coule. Si vous préférez faire votre tambouille ou piqueniquer, tous les produits locaux frais (fruits, légumes, cochonnaille, taureau dans tous ses états…) sont au marché couvert de Triana (6 calle San Jorge). Près de Séville, dans le beau village blanc

de Carmona, dégustez de la viande grillée au Molino de la Romera (8 calle Sor Angela de la Cruz) dans un splendide patio en vieilles pierres qui évoque les westerns, puis admirez la vue en 16/9. A Grenade, une adresse magique dans le quartier d’Albaicin, le Mirador de Morayma (2 calle Pianista García Carrillo), terrasse étagée et ombragée pour dîner face à l’Alhambra illuminé : un choix de mets andalous (fèves, soupe froide au melon, gaspacho, cochon, queue de taureau…) dans les senteurs d’oranger et de jasmin. Oui, ça le fait. A Tarifa, merveilleux pueblo à la pointe sud de l’Europe, face au Maroc, on trouve d’excellentes tapas de la mer chez El Frances (la nationalité du patron, Martial, et c’est 21 calle Sancho IV el Bravo), à moins d’opter pour les poissons grillés du Chiringuito, joli bar-resto sur la plage avec Atlantique à droite et Méditerranée à gauche. A Cadix, dans la vieille ville, la Meson Cumbres Mayores (4 calle Zorilla), bodega qui ne paie pas de mine mais sert des viandes canon (superbe steak de sanglier). Dernier détail : de 10 à 40 euros (au 3, ou au Mirador), aucune de ces adresses ne cogne trop fort au larfeuille. C’est ça aussi, la magie de l’Espagne. Serge Kaganski

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les pieds dans le plat Révélé le 1er juin, The World’s 50 Best Restaurants, classement britannique contesté, oppose une France narcissique coincée devant ses fourneaux à une cuisine du monde délicieusement mégalo. Enquête.

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le beau mariage Les vétérans américains Sparks et les Ecossais de Franz Ferdinand créent la surprise en publiant un album ensemble sous le nom FFS. Un clash amical et générationnel entre deux groupes qui partagent une même idée de la pop, à la fois sophistiquée et percutante. Ils poursuivront leur lune de miel tout l’été sur scène. par Christophe Conte photo Tom Oxley pour Les Inrockuptibles

De gauche à droite : Paul Thomson, Alex Kapranos, Ron Mael, Russell Mael, Nick McCarthy et Robert Hardy 17.06.2015 les inrockuptibles 47

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e mémoire, c’est la première fois qu’un tel phénomène se produit. Deux groupes majeurs, appartenant à deux générations distinctes, qui fusionnent pour ne former qu’une seule et même embarcation. D’un côté Ron et Russell Mael, duo américain qui, sous l’étincelant nom de Sparks, a enregistré pas moins de vingt et un albums depuis 1971 et laissé à la postérité des hits extravagants qui ont autant marqué le glam-rock (This Town Ain’t Big Enough for Both of Us en 1974) que le disco (Number One Song in Heaven, produit par Giorgio Moroder en 1979). De l’autre Franz Ferdinand, quatuor écossais aux états de services plus modestes (quatre albums) mais qui en matière de prestance et de distinction n’a rien à envier à ses glorieux aînés sexagénaires. Ensemble, ils ont créé FFS, le temps d’un album et d’une tournée qui voient leurs deux singularités se fondre sans que l’on puisse en déceler les coutures ni la moindre trace d’artifice. Au contraire, en douze pop-songs savantes, mélodiques et puissantes, ils sont parvenus à se réinventer en miroir, échangeant leurs fluides et mutualisant leurs énergies. La voix chaude et posée d’Alex Kapranos dialogue ainsi à la perfection avec le falsetto en feu de Bengale de Russell Mael. Les guitares obliques des Britanniques s’accordent sans grincer aux claviers effervescents de l’imperturbable Ron, le génial marxiste (tendance Groucho) qui pour la première fois a consenti à partager ses secrets de fabrication. Des bombinettes ultra-enlevées (Johnny Delusional, Police Encounters, Piss off) aux ballades (Little Guy from the Suburbs, inspirée par l’autobiographie de Mesrine) en passant par un mini-opéra au nom taquin (Collaborations Don’t Work), cette farandole folle, quasiment sans faiblesse, honore au-delà des espérances la promesse que ce mariage inattendu et improbable avait fait naître.

Les frères Mael, duo fondateur de Sparks, et (au milieu) Alex Kapranos, leader de Franz Ferdinand

Alex – Nous nous étions croisés il y a une dizaine d’années à Los Angeles, mais c’est seulement il y a deux ans que ce projet d’un album en commun a commencé à germer. Nous étions en pleine tournée américaine pour Right Thoughts, Right Words, Right Action (le dernier album de Franz Ferdinand – ndlr) et nous commencions à ébaucher de nouvelles chansons lorsque nous avons appelé Laurence Bell, le patron de notre label, pour lui signaler que nous allions changer nos plans pour faire un album avec Ron et Russell. Et qu’il allait devoir le sortir. (rires) Je crois qu’on l’a un peu pris de court. Mais comme c’est un type merveilleux et qu’il a une oreille fiable, il a tout de suite adhéré à cette idée et nous a encouragés à nous lancer dans cette folle aventure très incertaine… Vous n’étiez pas sûrs que l’alchimie fonctionne entre vous ? Russell – Quand nous avons commencé, nous n’avions aucun plan, aucune méthode. On savait juste qu’il allait falloir trouver un angle à cette collaboration, qui ne devait être ni un disque de Sparks, ni un disque de Franz Ferdinand. La méthode est venue en cours de route, on a laissé les choses se faire. On se faisait mutuellement confiance et ça suffisait pour se dire que ce projet un peu fantasque avait des chances d’aboutir à quelque chose. Ron – Il n’y avait aucune pression autour de cet album puisque personne

ne l’attendait vraiment. Ce fut un long processus, on a fait ça au fil du temps et si ça n’avait pas fonctionné, personne n’en aurait jamais rien su. Alex – Jusqu’au bout, on est restés dans l’incertitude. Une fois les chansons écrites, on s’est retrouvés une semaine avant d’entrer en studio pour répéter tous ensemble dans la même pièce. Jusque-là, nos échanges étaient restés très virtuels. On se doutait bien que ça pouvait fonctionner, mais avant de passer aux travaux pratiques, il pouvait subsister un doute. On a donc essayé et ça a marché. Comment avez-vous procédé ? Alex – C’est Ron qui a dégainé le premier en nous envoyant une chanson intitulée Collaborations Don’t Work. Ça partait bien ! (rires) Ron – Commencer par le négatif, c’est toujours mon approche… Alex – C’était assez malin de sa part parce que des collaborations qui ont mal tourné, on connaît ça ! Du coup, on a choisi de surenchérir en ajoutant au texte “Nous ne sommes pas des collaborateurs…” On voulait tester le degré de leur humour – même si on n’avait aucun doute là-dessus. La chanson s’est vite construite autour de ce double sens, collaborateurs/collabos. Mais si nous nous étions braqués, ou si en retour ils n’avaient pas saisi l’astuce de notre réponse, on aurait pu en rester là et ne plus jamais se parler.

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“je n’ai jamais eu conscience en travaillant avec eux qu’ils avaient déjà sorti deux albums quand je suis né !” Alex Kapranos, de Franz Ferdinand

Vous appartenez à deux générations très espacées. Tu n’avais pas l’impression de faire l’amour avec tes parents ? (éclat de rire général) Russell – Ah, c’est à ça que l’on se rend compte que l’on est en France : l’interview est commencée depuis sept minutes et on parle de sexe ! Alex – J’avais surtout l’impression de faire l’amour avec mes contemporains ! Il n’a jamais été question d’âge ou de rapport de génération entre nous. On s’est vite rendu compte que l’on parlait exactement le même langage, sans doute parce que Ron et Russell ont toujours été en avance sur leur époque et en éveil par rapport à la musique qui se faisait autour d’eux. Je n’ai jamais eu conscience en travaillant avec eux qu’ils avaient déjà sorti

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deux albums quand je suis né ! Maintenant, si tu veux vraiment aller sur ce terrain, alors oui, disons que notre quatuor s’est parfaitement imbriqué dans leur duo. Ron – On s’est considérés dès le départ comme égaux, il n’y avait pas de rapport de maîtres à élèves et c’est pour cela que ça a fonctionné. Alex, tu connais la musique de Ron et Russell depuis longtemps ? Alex – J’ai dû m’y intéresser vraiment au début des années 90. Avant, je ne connaissais que quelques-uns de leurs vieux hits mais je n’avais jamais écouté un seul album en entier. Quand je m’y suis plongé, en revanche, je suis devenu totalement addict. J’éprouvais un état de manque qui me poussait à écouter toujours plus leur musique, et ça tombe bien parce qu’ils ont une discographie très vaste dans laquelle il est agréable de se perdre. Ce groupe n’a pas arrêté de chercher de nouvelles pistes depuis plus de quarante ans, tout en conservant à chaque fois une identité reconnaissable. Qu’ils fassent du rock, de la pop, du music-hall, du disco ou de l’electro, c’est toujours du Sparks. La voix de Russell est unique, l’écriture de Ron également. Quelle que soit l’enveloppe, on les identifie dès les premières notes. Ron et Russell, quand vous avez entendu Franz Ferdinand la première fois, vous avez reconnu vos enfants ?

Russell – Décidément ! (rires) Sincèrement, on n’a jamais raisonné comme ça, ni avec eux, ni avec personne. On ne se dit pas : “Oh, voilà encore de beaux bébés Sparks” car nous ne sommes pas les mieux placés pour juger de notre influence. En revanche, c’est évident qu’il y a une sensibilité commune. Peut-être ont-ils emprunté des passerelles que l’on a contribué à construire il y a longtemps. Mais ils l’ont fait de manière très personnelle, ce ne sont pas des plagiaires ! On entend quand même beaucoup l’influence des premiers Sparks sur votre album en commun… Ron – Je n’entends pas vraiment cette ressemblance. Ce qui procure cette sensation, c’est sans doute la façon dont nous avons enregistré ce disque, qui correspond à celle dont on concevait nos albums les premières années. On a tout enregistré très vite, sans direction précise, comme à nos débuts. Rien n’était conscient, on ne s’est surtout pas dit qu’on allait retrouver le son Sparks des années 70. Alex – Je ne pense pas que la texture des sons ou la façon d’utiliser les instruments ressemble aux Sparks des débuts. Comme sur scène nous jouons des morceaux des deux groupes, j’ai pas mal disséqué leurs premiers albums et le son est totalement différent de celui de FFS. Les instruments ne sont pas du tout les mêmes.

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“c’était une expérience étrange. Pour moi, écrire en collaboration avec d’autres gens n’est pas naturel” Ron Mael, des Sparks

Photo de Sparks par Richard Avedon pour la cover de l’album Big Beat (1976)

Quelle est la chose que vous avez en commun et qui a rendu ce projet possible ? Alex – Avec Franz Ferdinand, nous nous sommes toujours considérés comme un groupe pop, pas comme un groupe de rock. Pour nous, la pop conjugue deux choses a priori inconciliables, c’est-à-dire une forme de complexité et de recherche musicale avec un côté immédiat qui passe par la mélodie et une certaine légèreté dans l’attitude. Sans même leur poser la question, je sais que Ron et Russell partagent avec nous cette conception de la pop et c’est pour ça que ça devait forcément coller entre nous. La pop que j’aime, et Sparks en fait partie, c’est celle qui vous frappe en pleine tête quand vous entendez un titre à la radio, mais que vous pouvez ensuite écouter des centaines de fois pour en découvrir toutes les subtilités. Ron, tu as écrit seul la musique et les textes de presque toutes les chansons des Sparks depuis quarante ans. C’était douloureux d’avoir cette fois à partager l’écriture ? Ron – C’était en effet une expérience étrange. Par le passé, quand nous avons collaboré avec d’autres musiciens, c’était essentiellement des chanteurs qui partageaient le chant avec Russell.

Pour moi, écrire en collaboration avec d’autres gens n’est pas naturel, donc j’ai dû trouver des méthodes de composition qui permettaient de laisser de la place à la modification, voire à la transformation. Je suis en circuit fermé avec moi-même sur l’écriture depuis tant d’années, mais ici c’était la base même de l’album : il fallait ouvrir le circuit, faire circuler autrement les idées, accepter celles des autres… Alex – Instinctivement, nous avons tenté d’écrire dans le style de l’autre. Sur So Desu Ne, par exemple, je me souviens m’être imaginé à l’intérieur du cerveau de Ron, en me demandant à quel accord ça pouvait correspondre pour lui. Par chance, je me suis perdu en route et j’ai fait quelque chose qui n’est pas du tout un pastiche, je voulais éviter ça à tout prix. Je sais que pour Piss off, ils ont essayé de trouver notre son de guitare sans tout à fait y parvenir. C’est en se trompant légèrement que l’on est parvenu à créer, je pense, quelque chose de nouveau et de singulier. album FFS (Domino/Sony) concerts le 26 juin à Paris (Bataclan), le 4 juillet à Bobital, le 5 à Lyon, le 28 août à Saint-Cloud (Rock en Seine) ffsmusic.com

d’autres étincelles Durant leur longue carrière, les Sparks se sont souvent mélangés à d’autres artistes, notamment des Français.

+ Les Rita Mitsouko (1988) Sur son album Marc & Robert, le duo frenchy invite ses homologues américains pour trois titres, Hip Kit, Live in Las Vegas et surtout Singing in the Shower, un tube qui donne lieu à un clip bien humide.

+ Faith No More (1997) Pour leur album Plagiarism, Ron et Russell revisitent leur répertoire en conviant à la relecture Jimmy Sommerville, Erasure et, plus étonnant, leurs voisins californiens de Faith No More sur deux titres, dont une version particulièrement virile de This Town Ain’t Big Enough for Both of Us.

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Grand Popo Football Club (2000) Fan absolu des frères Mael, le touche-à-tout Ariel Wizman les invite avec son compère Nicolas Errèra pour leur projet electro-dadaïste Grand Popo Football Club, sur l’album Shampoo Victims. On les retrouve en pleine forme délirante sur Yo quiero màs dinero ou encore La nuit est là. C. C.

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turkish girl power Révélée à Cannes grâce à son premier long métrage, le beau et survitaminé teen-movie Mustang, la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven défend un cinéma féministe, intime et révolté. par Romain Blondeau photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

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eniz Gamze Ergüven est étonnamment sereine ce matin de juin, dans le rade parisien où elle nous a donné rendez-vous. La voix douce et posée, le regard clair, presque distant, la jeune cinéaste ne laisse rien transparaître des quelques jours d’euphorie qu’elle vient de vivre au Festival de Cannes. Elle y présentait à la Quinzaine des réalisateurs son premier long métrage, Mustang – l’histoire d’une bande de cinq sœurs turques en rébellion contre les interdits religieux –, qui a conquis la presse et raflé le Label Europa Cinemas, attribué l’an passé aux Combattants de Thomas Cailley. “Avant même d’arriver sur la Croisette, on m’a fait savoir qu’il y avait un frémissement autour du film, rembobine-t-elle. Ça s’est confirmé après la première projection, mais j’ai tout de suite pris mes distances. Dans ce genre de cas, avec le rythme du Festival, tu deviens hot un jour et has-been le lendemain, alors je préfère ne pas trop m’emballer.” Plus que les critiques élogieuses, qui louèrent la séduction et l’audace politique de son film, c’est un autre souvenir qu’elle garde du Festival. Celui d’une simple discussion avec une distributrice sud-coréenne. “Elle est venue me voir pour me dire qu’elle s’était reconnue dans cette histoire, qu’elle y avait projeté quelque chose de sa propre vie de femme en Corée du Sud, où la société est encore très patriarcale. J’étais bouleversée parce que je ne m’attendais pas à ce que Mustang provoque de tels effets de miroir.” La cinéaste était d’autant plus surprise par cet écho mondial que son premier film est né d’une impulsion très autobiographique, d’une “nécessité urgente de raconter (son) expérience de femme en Turquie”. Fille de diplomate, née en 1978 à Ankara et venue au cinéma “par intuition”, Deniz Gamze Ergüven a passé une grande partie de sa jeunesse à faire des allers-retours entre Paris et Istanbul, au gré des “accidents de vie”. Elevée dans une famille recomposée, où se mêlaient des classes sociales et des niveaux

d’instruction parfois très éloignés, elle a vu et éprouvé la fracture de la société turque, partagée depuis toujours entre un vif courant progressiste et un conservatisme religieux. “La première scène du film, où des filles se font engueuler parce qu’elles ont joué avec des garçons sur la plage, c’est un truc que j’ai vécu et qui m’a longtemps marquée, raconte-t-elle. Le scénario de Mustang est nourri de tous ces souvenirs et situations réelles qui sont liés à mon enfance. Mais ce sont les réactions qui diffèrent : je fais dire à mes personnages des choses que je n’ai jamais osé prononcer. Je leur donne la possibilité de se défendre. De ne plus se soumettre.” Plutôt qu’un banal drame réaliste sur la condition des femmes en Turquie, elle a donc fait le pari de la fable, du conte, en tout cas d’une fiction explosive qui s’incarne dans ce titre mythologique, Mustang, évocation des chevaux sauvages du Nord-Ouest américain. “Ce mot symbolise la vitesse, l’énergie ; il représente très bien le caractère de mes personnages : des filles libres, un peu wild, qui se défendent face aux tentations oppressives des hommes. Et ce titre résume mon idée du cinéma, qui ne passe pas par le dialogue ou la psychologie, mais plutôt par le mouvement et l’action.” “Mustang”, c’est aussi une image qui sied à Deniz Gamze Ergüven, jeune réalisatrice au tempérament de feu dont le parcours accidenté dit toute la volonté et la conviction. Passée par les bancs de la Fémis, après une maîtrise d’histoire à Johannesburg, elle aura attendu près de dix ans avant de tourner son premier film. Une longue période de doute et d’acharnement durant laquelle elle s’est heurtée à un mur qui semble encore hanter ses nuits : Kings, un ambitieux projet de long métrage sur les émeutes raciales de Los Angeles de 1992. “J’ai longtemps été obsédée par ce film, dit-elle. J’y voyais une promesse dingue de cinéma, alors je me suis installée aux Etats-Unis, j’ai fait des recherches, j’ai rencontré de nombreux témoins. Le projet résonnait en moi parce qu’à cette époque, je me sentais sûrement un peu hors sol, moi-même victime de discrimination. J’avais demandé deux fois la nationalité française, sans succès, et je me trouvais dans une situation très inconfortable, étrange.” Des difficultés de production auront eu raison du projet, mais la réalisatrice conserva ce même état de révolte au moment de se lancer dans l’aventure Mustang, dont l’écriture fut aussi inspirée par les manifestations populaires d’Istanbul en 2013. Aujourd’hui enfin libérée, la cinéaste, qui déteste les étiquettes (elle refuse le titre de porte-voix de la Turquie et se crispe un peu lorsqu’on compare son film à Virgin Suicides), dit qu’elle veut tourner très vite, ne pas perdre son temps ni le fil de cet élan intérieur que l’on sent bouillonnant. Elle s’est mise à l’écriture de son nouveau projet avec sa pote et proche collaboratrice Alice Winocour, réalisatrice d’Augustine, déjà coauteur de Mustang. Elle ne peut encore rien en dire précisément, sinon que l’action se déroulera cette fois à Istanbul et qu’elle y racontera un autre de ses souvenirs de jeunesse : “Ce sentiment étrange de perdre un peu de son indépendance. De ne plus se sentir tout à fait en démocratie chez soi.” lire aussi la critique de Mustang p. 69

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De gauche à droite : Elit Iscan, Günes Nezihe Sensoy, Ilayda Akdogan, Doga Zeynep Doguslu, Tugba Sunguroglu et Deniz Gamze Ergüven. Cannes, mai 2015

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toutes les nuances de la lagune Morceaux choisis et visite guidée d’une 56e édition de la Biennale d’art contemporain de Venise en demi-teinte.

Pamela Rosenkranz, Our Product, 2015. Pavillon suisse. Photo Marc Asekhame

par Jean-Max Colard et Claire Moulène

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chaud, quelques jours seulement à peine après le retour de Venise, c’est une Biennale de basse intensité que nous avions dépeinte. Une exposition internationale pensée par Okwui Enwezor comme le dernier chapitre d’une trilogie dédiée à la question du postcolonialisme et des pavillons nationaux plutôt timides, voire franchement ennuyeux. Le temps aidant, il est plus facile de se

frayer un chemin dans l’offre dense de la Biennale de Venise – qui reste l’un des rendez-vous incontournables pour prendre le pouls de l’art contemporain international – pour saisir quelques-unes des perles que cette édition, comme les précédentes, ne manque pas d’offrir. Exigeant simplement du spectateur d’ouvrir l’œil un peu plus que par le passé. Visite guidée en cinq étapes, un long séjour à la Pointe de la Douane et un palmarès personnel et décalé.

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en ville le pavillon néo-zélandais (dans la somptueuse Biblioteca Nazionale Marciana, située sur la place Saint-Marc) avec ses installations vitrines évoquant l’espionnage international, le nouveau capitalisme et ses flux de données ou de finance. Sous le titre Secret Power, il montre et démonte l’univers visuel et les méthodes de communication de la NSA, l’agence de renseignement du gouvernement américain. Arsenale / Giardini / Biblioteca Marciana, Piazzetta San Marco 13/a

où est passée la nature ? Cette année à Venise, la nature est perçue à distance, comme un monde ancien, une espèce disparue. Dans le joli pavillon des Pays-Bas, herman de vries a composé un herbier in situ avec la flore sauvage de Venise. Pour les Etats-Unis, Joan Jonas a créé avec des enfants, entre vidéo et théâtre, une pastorale utopique où la nature sert d’arrièrefond bucolique et ancestral. Pour l’Autriche, Heimo Zobernig a vidé le pavillon et planté simplement des arbres dans le jardin – un geste à la fois minimal et radical, mais un peu déjà vu cela dit. Côté suisse, le Bassin aux nymphéas de Monet revisité par Pamela Rosenkranz est un bain chimique de liquide rose après une entrée en matière vert tendre (voir image d’ouverture et pochette du CD joint au numéro). Enfin, dans l’exposition internationale des jardins Giardini, le grand triptyque filmique du cinéaste anglo-ghanéen John Akomfrah fait impression : le cofondateur du collectif Black Audio Film a compilé et monté ensemble plus de 500 heures d’images du British Film Institute, de la BBC et du Natural History Program. Du fond des océans aux déserts, la nature fait ici l’objet d’un spectacle sublime, épique, peut-être un peu trop grandiloquent. On en retire la sensation que ce monde n’est désormais trouvable que dans les archives visuelles de National Geographic. Giardini

Nick Ash

la guerre, c’est quand ? Simon Denny, Secret Power, 2015. Pavillon néo-zélandais, Biblioteca Nazionale Marciana

quel concert des nations ? Dans un monde conflictuel et multipolaire, les relations internationales attirent forcément l’attention des artistes. A l’Arsenale, l’Américaine Taryn Simon recompose dans une sorte de livre-herbier les petits bouquets floraux, généralement inaperçus, qui décorent les tables des négociations ou des pactes transnationaux. Du côté du pavillon serbe, Ivan Grubanov évoque le paysage démantelé de l’Europe centrale et enterre les idéologies nationalistes avec des tas de drapeaux jetés à terre dont les couleurs éclaboussent jusqu’au moindre recoin du bâtiment. Enfin, la star montante Simon Denny (photo ci-contre) occupe

C’est “now”. Maintenant. Le bruit du monde, la guerre, la fuite panique, à toute allure, au milieu d’un paysage de montagnes désertiques, et les cris tout autour, et les tirs de mortier, sans qu’on sache d’où vient le danger. Now : avec son titre court comme une urgence, la cinéaste Chantal Akerman signe l’une des œuvres les plus fortes de cette nouvelle Biennale de Venise. Immersive avec ses multiples écrans et sa bande-son, elle plonge le spectateur dans la sensation chaotique du monde en guerre. Arsenale

Venise calling ? Tout près de l’hôtel Metropole au bord de la lagune, l’ancien guitariste de The Clash, Mick Jones, a transformé un bureau de l’assistance publique catholique en un trésor-capharnaüm de la culture populaire. Collectionneur fou de tout ce qui touche

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Danh Vo, Mothertongue, 2015. Pavillon danois. Photo Nick Ash

l’esthète, c’est lui Avec sa double casquette – artiste au pavillon danois et curator à la Pointe de la Douane –, Danh Vo pratique l’art de la (haute) couture. Avec un maillage bien senti d’œuvres démembrées ou déracinées.

C

’est sous le signe du malentendu, (l’exposition s’intitule Slip of the tongue, “lapsus” en français) que l’artiste Danh Vo a placé son exposition à la Pointe de la Douane. Pas tout à fait une expo collective tant les œuvres des artistes qu’il réunit ici, de Rodin à Paul Thek en passant par Nancy Spero, Hubert Duprat ou Lee Lozano, semblent appartenir à une même famille – la sienne. Pas non plus une expo sacrilège, même si ce qu’il met ici en jeu ressemble fort à une descente de piédestal d’œuvres désolidarisées de leur contexte de production, mais aussi parfois, plus littéralement, de leur socle ou de leur cimaise. L’accrochage érudit de Danh Vo est un clin d’œil au morphing permanent du champ de l’art, à son élasticité et à sa capacité à disséquer ou ressusciter les œuvres qu’il génère. Invité à représenter le Danemark au cœur des Giardini, dans un pavillon entièrement dépouillé où seuls les murs peints d’un rouge royal servent de caisse de résonance à d’autres caisses et œuvres remisées, ou sur le départ, (torse d’Apollon logé dans son caisson de bois, vierge en bois décapitée du XIVe siècle montée sur un sarcophage

en marbre), l’artiste s’invente à la Pointe de la Douane un autre rôle : celui du commissaire. Curator serait plus juste, estime de son côté la critique d’art Elisabeth Lebovici qui, dans le livret de l’exposition, fait coïncider l’art du curator avec la philosophie du care : “Le curator, c’est d’abord celui ou celle qui prend soin de ce qui arrive aux objets une fois fabriqués (…). Les vicissitudes de la conservation, de la circulation, du commerce, du démembrement et de la dispersion, du rafistolage et de la restauration, de la collection et de la monstration ne concernent pas seulement le bien-être des œuvres d’art. Elles participent aussi pleinement de leur histoire, faite de transitions, parfois de ruptures ou de destruction.” Pas un hasard donc si la plupart des œuvres choisies par Danh Vo sont littéralement mises à terre, terrassées par l’effet de “relecture” que leur impose toute nouvelle exposition, mais jamais totalement écrasées par le discours surplombant du maître d’œuvre. De discours d’ailleurs, il n’en existe pas vraiment dans cette expo magistrale qui mise plutôt sur le dialogue entre les pièces et des points de bascule qui (nous) font voir les choses autrement.

Cette danseuse de Rodin, par exemple : posée au sol, les jambes écartées, elle devient l’indice d’une scène de viol. L’installation miniaturiste de Paul Thek invite, elle, “à voir” à hauteur d’enfant, tandis qu’il faut tordre le cou pour saisir le “tête à cul” suspendu de Jean-Luc Moulène qui signe par ailleurs deux hybrides mutiques à partir de sculptures de jardin en ciment. Le démembrement est au cœur de cette exposition, qui donne à voir une figure de bronze désarticulée (signée Danh Vo et posée au sol) et quantité de pièces déracinées : à l’image des sculptures horizontales de Nairy Baghramian, initialement conçues pour s’adapter à l’architecture de l’Art Institute de Chicago, ou du panneau arraché de David Hammons, indiquant Central Park West. Il serait alors aisé d’aller chercher des explications dans la biographie de Danh Vo, boat people ayant fui le Vietnam avec sa famille à la fin des années 70, avant d’être recueilli par un cargo danois. Mais cela ne suffirait pas, tant chez le vorace Danh Vo, l’histoire personnelle se conjugue avec la grande histoire. Claire Moulène Slip of the Tongue jusqu’au 31 décembre à la Pointe de la Douane, et Danh Vo au pavillon danois, Giardini 17.06.2015 les inrockuptibles 57

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Cristiano Corte, courtesy British Council

Sarah Lucas, I Scream Daddio, 2015. Pavillon de la Grande-Bretagne

à la pop culture, il continue d’arpenter les marchés aux puces en quête de fanzines, figurines, néons, disques, affiches et autres badges. Pour Mick Jones, chaque objet agit sur le spectateur comme un “Je me souviens” (de The Clash, de Tarzan et de mes Dr Martens noires). “Mais il sait tout ce qu’il a”, ajuste sa fille Lauren Jones, qui fait voyager et exposer cette étrange Rock & Roll Public Library de Londres à Venise. Une fois sur place, une seule question : should I stay or should I go ? Istituto Santa Maria Della Pieta, Sestiere Castello, 3701 (entrée sur Calle Della Pieta)

les pétards sont-ils mouillés ? Si, cette année, la Biennale laisse le sentiment général d’une baisse de régime, avec peu d’excentricités et encore moins de sorties de route, deux pavillons et un collectif ont tout de même réussi à jeter le trouble. D’un côté, le Suisse Christoph Büchel, invité par l’Islande, qui a transformé une église déconsacrée dans le quartier de Cannaregio en mosquée temporaire pour les musulmans vénitiens. Tellement temporaire d’ailleurs que cette “mosquée de la Misericordia” a fermé ses portes le 22 mai suite à une décision de la mairie. Sans susciter particulièrement de réactions du côté de la Biennale et de son curateur Okwui Enwezor. Et ce fut la même chose lorsque le collectif syrien Abounaddara refusa la mention spéciale décernée

par le jury et demanda le retrait de ses “films-cocktails Molotov réalisés chaque vendredi depuis le début de la révolution syrienne”, au motif que ceux-ci n’étaient pas présentés dans les conditions négociées préalablement, tandis que le premier film de la série All the Syria’s Futures, initialement programmé pour le 5 mai, a été censuré. L’autre polémique, plus anecdotique, est venue du pavillon britannique jaune canari (photo ci-dessus), où l’Anglaise Sarah Lucas a suscité dégoût (“d’une vulgarité sans nom”, ont estimé Philippe Dagen et Harry Bellet dans Le Monde) ou enthousiasme avec ses paires de fesses et ses clopes pas vraiment placées au bon endroit. Giardini

où va l’argent ? Coup de cœur pour l’exposition de Christodoulos Panayiotou, 41 ans, au pavillon chypriote. Avec beaucoup de délicatesse, cet artiste, qui partage sa vie entre Paris et Limassol, fait coïncider la ligne de flottaison bancale d’un pavillon du XIe siècle avec une histoire de l’art complexe où se croisent influences byzantine et ottomane (mosaïque au sol, monochrome à la feuille d’or au mur) mais aussi des références à l’histoire récente de son pays comme en témoigne cet amoncellement vert pâle de billets de banque passés à la moulinette par la Banque centrale chypriote

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Aurélien Mole, courtesy Centre Georges-Pompidou, Paris, et pavillon chypriote

notre palmarès ì3DOPHGHODIHXLOOHGåRU L’artiste et curateur Danh Vo pour son art de la césure au pavillon danois et à la Pointe de la Douane.

ì/LRQGåRUGHODYR\DQFH Hito Steyerl pour sa vidéo postinternet et protobalnéaire au pavillon allemand.

ì3UL[GXS«SLQL«ULVWH Ex-aequo, Céleste Boursier-Mougenot pour sa chorégraphie arboricole au pavillon français, et Heimo Zobernig pour son jardin zen.

ì3DYLOORQGXIXWXU Le duo coréen Kyungwon Moon et Joonho Jeon qui projette un avatar féminin dans un monde technofuturiste et postnature.

ì3UL[GXSRVWFRORQLDOLVPH Le Belge Vincent Meessen parce qu’il revisite le Congo belge et dévoile un situationnisme africain ignoré de tous.

ì3UL[GXPDUFK« Martial Raysse au Palazzo Grassi. On n’est pas obligé de partager tous les goûts de François Pinault.

ì3UL[G«FRXYHUWH Le Chypriote Christodoulos Panayiotou pour la pureté de ses installations inframinces et érudites. Christodoulos Panayiotou, Two Days After Forever (2008, Cypriot Pounds), 2015. Pavillon de Chypre

lors du passage à l’euro en 2008 (photo ci-dessus). Dans le pavillon grec, laissé brut de décoffrage, Maria Papadimitriou témoigne, elle, d’un temps révolu avec un geste fort : le transfert sans perte ni fracas d’une échoppe de tanneur venue de Volos. Une reconstitution grandeur nature et doublement évocatrice de la ruine : celle de son pays d’une part, celle vers laquelle nous courrons tous, de l’autre, si nous continuons à nous considérer comme une espèce à part et à faire de l’anthropocentrisme notre seul angle de lecture. Palazzo Malipiero (pavillon chypriote), Giardini (pavillon grec)

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ì3UL[GHOå$QWLTXLW« L’exposition Portable Classics à la Fondation Prada et ses copies modernes de statues antiques. Brillant. ì3UL[GXPHLOOHXUSDYLOORQ Pamela Rosenkranz pour le grand bain bicolore et chimique dans lequel elle plonge le pavillon suisse. ì3UL[GHOå«O«JDQFH (jamais démentie) Le Palazzo Fortuny transformé une nouvelle fois en cabinet de curiosités chatoyant par l’antiquaire belge Axel Vervoordt.

ì3UL[GXSDYLOORQLQXWLOH Canadassimo, la supérette reconstituée du trio québécois BGL. ì/LRQGåRUGXPDXYDLVJR½W Les soirées du Baron. Ugly. ì3UL[MHWVHW Les afters de l’hôtel Bauer. Great. ì3UL[GXSDYLOORQ introuvable Celui du Kazakhstan est installé à Sant’Erasmo, l’île potagère de Venise, avec une résidence d’artistes. ì3UL[0DULD%RMLNLDQ (notre icono en chef) Le pavillon arménien est à San Lazzaro. Il réunit des artistes de la diaspora, de Sarkis à Mélik Ohanian en passant par les Gianikian. Lion d’or de la Biennale de Venise 2015.

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drôle de dame Il n’aura fallu que quatre ans à Melissa McCarthy pour devenir la comique américaine la plus bankable. Et ce n’est pas Spy, réalisé par Paul Feig, qui arrêtera sa fulgurante ascension. par Jacky Goldberg

Brian Bowen Smith

J

e vais faire de mes jambes des couteaux et te les planter dans la gueule, espèce de connasse. Je vais traverser ton putain de squelette de merde avec l’os de mon pied gauche, mâcher tes yeux si t’arrêtes pas de les faire cligner et t’éviscérer comme un poisson avant de boire ton sang et de traîner ta carcasse derrière mon 4 × 4.” C’est par cette chaleureuse mélopée que Melissa McCarthy clôturait le film de Judd Apatow 40 ans, mode d’emploi (2012), torrent d’injures tellement délirant que le réalisateur en offrit l’intégralité en bonus aux spectateurs restés pour le générique. S’adressant à Leslie Mann et Paul Rudd, petit couple modèle qu’elle accusait, à juste titre, d’avoir insulté son fils, elle perdait là son sang-froid et devenait une furie incontrôlable mais irrésistiblement drôle, du moins pour qui pense que la grossièreté ne devrait pas être l’apanage des hommes et qu’elle ne saurait être contenue derrière un rideau de bienséance. La comédienne, qui était ces jours-ci à Paris pour promouvoir Spy, le nouveau film de Paul Feig, est heureusement beaucoup plus amène lorsqu’il s’agit de répondre à nos questions. “J’étais dans un état second lorsque j’ai joué cette scène, reconnaît-elle. Je n’ai pas le souvenir de 90 % des mots que j’ai prononcés. Dans ces situations, ça tourne très vite dans ma tête et je cherche à atteindre un état où je ne me contrôle plus, où je laisse tout passer, sans filtre. Je crois que ça

a une vertu thérapeutique. Mais je serais incapable de dire ça dans la vraie vie.” C’est un cliché mais à quelques exceptions près, les comiques ne sont jamais à l’écran comme à la ville ; il arrive même parfois qu’ils ne soient pas si drôles face aux journalistes… Si Melissa McCarthy l’est plutôt, rien du personnage que l’on a appris à connaître depuis quatre ans, depuis sa découverte fulgurante dans Mes meilleures amies, ne transparaît durant l’interview : elle est affable, élégante, pimpante, bien sous tous rapports, loin de ses incarnations tonitruantes de rombières white-trash ou de soccer mum à qui on ne la fait pas. Qui aurait pu croire, il y a seulement cinq ans, que cette adorable quadragénaire jouerait une James Bond au féminin dans la comédie la plus chère et la plus attendue de l’été, tenant la dragée haute à Jude Law et Jason Statham ? Mariée avec le comédien et réalisateur Ben Falcone (qui l’a mise en scène dans Tammy en 2014 et le fera à nouveau dans Michelle Darnell), mère de deux petites filles, Melissa McCarthy “n’en revient toujours pas” d’être devenue, en quelques années, une des stars les plus en vue de la comédie. Même si sa réputation n’a pas encore tout à fait franchi l’Atlantique, elle fait désormais partie de celles sur qui on peut monter un financement. “Mon éclosion tardive me permet de relativiser l’importance du succès et surtout de me concentrer sur la seule chose qui compte dans ce métier : be true to the character.” Ce qu’on pourrait traduire par “respecter la vérité du personnage”. 17.06.2015 les inrockuptibles 61

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“je crois que la grossièreté a une vertu thérapeutique” Melissa McCarthy

Elle brosse en quelques phrases une enfance heureuse passée dans les années 70 et 80 dans une petite ville d’Illinois, dans un foyer progressiste où rire de soi et des autres est encouragé. Et lorsqu’on lui fait remarquer qu’un nombre incalculable de comiques américains viennent des plaines du Midwest, des deux côtés de la frontière canadienne, dans une diagonale du rire qui s’étendrait de Saint Louis à Toronto, en passant par Chicago et Detroit (citons pêle-mêle Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis, John Belushi, John Hughes, Robin Williams, Jim Carrey, Steve Carell, Stephen Colbert, Tina Fey…), elle expose sa théorie. “Les gens du Midwest ont la réputation d’avoir les pieds sur terre et sont obsédés par l’honnêteté. Or, croyez-moi, il n’y a pas de meilleur moteur comique : c’est l’irruption d’une vérité au milieu d’un tissu de balivernes qui provoque la plus forte hilarité.” De fait, la bible des comiques américains s’appelle Truth in Comedy (“Vérité dans la comédie”) et a été écrite par Del Close, qui enseigna à partir des seventies l’art de l’improvisation à… Chicago. Bien qu’elle reconnaisse l’influence de ce dernier, la première école de Melissa McCarthy a été newyorkaise : deux jours après son arrivée en ville pour y suivre des études de mode – une passion qu’elle a gardée puisqu’elle possède aujourd’hui sa propre ligne de vêtements –, elle décide de tout plaquer pour passer ses soirées devant le mur de briques de L’Improv (que les amateurs de Louis C.K. connaissent bien). “J’y suis allée avec ma meilleure amie juste pour voir, et j’ai tout de suite chopé le virus du stand-up, se souvient-elle. Seulement, j’en ai vite perdu le goût : tous les soirs, je devais me battre contre des spectateurs dans la salle qui me demandaient d’enlever mon T-shirt, ou ce genre de remarques débiles. Ç’aurait bien sûr été hyperfacile de les humilier, mais ça ne m’amusait pas. La méchanceté, c’est pas mon truc.” Mal armée pour ce champ de bataille sans pitié, elle s’oriente alors vers le théâtre dramatique et l’Actors Studio, qu’elle fréquente assidûment durant sa vingtaine, avant de déménager pour Los Angeles et de goûter à nouveau aux joies de la comédie au sein de la troupe d’improvisation The Groundlings. C’est là qu’elle fait la rencontre la plus déterminante de sa vie : Kristen Wiig. On est à la fin des années 2000 et cette dernière a réussi à vendre à Judd Apatow un scénario (écrit avec Annie Mumolo, une autre de Groundlings), qui deviendra Mes meilleures amies une fois réalisé par Paul Feig en 2011. Il reste un personnage à attribuer, pour lequel Kristen recommande sa collègue Melissa.

A 40 ans, l’âge où la plupart des actrices entament leur long hiver botoxé, celle-ci se pointe au casting. “Kristen se met en face de moi et commence à lire la scène. Comme on se connaît depuis longtemps, j’oublie mon trac et je commence à improviser. Je m’oublie complètement, mais vraiment. Et au bout de quinze minutes on en vient à parler… de la possibilité de faire l’amour avec un dauphin. Lorsque soudain je me souviens que je suis à une audition et que des gens écoutent. Je revois les visages atterrés de Paul et Judd. A ce moment précis, j’ai lu sur leurs visages : ‘Dégage.’ Je m’en voulais tellement en quittant la pièce ; en fait c’était l’inverse : ils me disaient ‘Merci’.” Paul Feig le confirme : “Melissa, c’est le genre de rencontre qu’on ne fait qu’une fois dans sa carrière – si on a de la chance. Je pensais supprimer le rôle, qui avait été réduit à peau de chagrin, avant de l’auditionner. Et puis soudain cette femme arrive et réussit l’audition la plus hallucinante que j’aie jamais vue. Si elle ne nous a pas vus rire, Judd et moi, c’est qu’on était complètement sous le choc. Mais dès qu’elle a fermé la porte, on a tous explosé et compris qu’on allait devoir réécrire le rôle pour elle.” Depuis cette date, Paul, le pygmalion dandy (lui aussi du Midwest, il ne sort jamais sans son complet trois pièces de coupe anglaise ni sa canne), et Melissa, sa muse gironde, ne se quittent plus. Fort du succès colossal de Mes meilleures amies, le créateur de la série culte mais interrompue Freaks and Geeks (1999), qui n’avait connu jusque-là que des échecs dans sa carrière, vend à la Fox le principe d’un buddy movie entre filles, “où celles-ci se révéleraient au moins aussi compétentes et drôles, si ce n’est plus, que les hommes”, glisse-t-il. Dans Les Flingueuses, Sandra Bullock assure ainsi les arrières de sa plantureuse partenaire, et c’est à nouveau un carton. Après Spy, où il revisite le film d’espionnage, ce sera au tour du mythique Ghostbusters de passer au travers du tamis féministe du duo Feig-McCarthy : dans ce troisième opus, vingt-sept ans après le précédent, les chasseurs de fantômes seront des chasseuses. Melissa McCarthy assume-t-elle l’épithète féministe ? “Bien sûr ! J’ai deux filles, et il me paraît essentiel qu’elles n’aient pas à se battre pour des trucs aussi évidents que des salaires aussi élevés que ceux des hommes ou la possibilité d’avoir le look qu’elles souhaitent sans subir de remarques sexistes.” Que ceux qui s’aviseraient de contrevenir à ces quelques principes de base soient prévenus : c’est œil crevé, éviscération et décapitation. On ne contrarie pas Melissa McCarthy. lire aussi la critique de Spy p. 70

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Valley of Love de Guillaume Nicloux Huppert, Depardieu et le désert. Un huis clos à ciel ouvert dépouillé et captivant.

I

l existe désormais une veine mineure, mais palpitante, de la filmographie de Gérard Depardieu dont l’objet serait de revisiter les grands couples de cinéma qu’il forma naguère avec les plus cruciales stars féminines du cinéma français. Ces romances-desretrouvailles ont été célébrées plusieurs fois, par exemple, avec Catherine Deneuve : vingt-quatre ans après leur immarcescible rencontre du Dernier Métro, André Téchiné faisait de ce nouveau face-à-face l’enjeu majeur des Temps qui changent (avant que six ans plus tard François Ozon les caste encore en vieux amants que la vie a séparés puis réunis dans Potiche). Dans Mammuth, c’est Isabelle Adjani que Depardieu retrouvait (trente-quatre ans après Barocco, vingt-deux ans après Camille Claudel), mais sur un mode cette fois littéralement fantomatique (l’actrice y jouait un spectre). Peut-être y aura-t-il un jour une romance-des-retrouvailles avec Miou-Miou (mais plus que jamais planera alors la présence d’un fantôme – le troisième larron de leurs valses), Carole Bouquet (Trop belle pour toi), Fanny Ardant (ils se sont certes retrouvés

mais jamais dans un film digne du souvenir de La Femme d’à côté) ou encore Nathalie Baye (mais leur filmo commune, pourtant profuse, ne comporte guère de films marquants). Pour l’heure, la femme retrouvée, c’est Isabelle Huppert. Pourquoi y a-t-il une pertinence si forte à remettre Gérard Depardieu dans les bras de ses maîtresses de fiction passées ? Peut-être parce qu’il est le plus romantique des mythes masculins du cinéma français (beaucoup plus que Gabin, Belmondo, Delon, qui furent rarement de grands amoureux – chez Grémillon néanmoins pour Gabin, chez Truffaut pour Belmondo). Il y a chez Depardieu une fébrilité, une délicatesse pour jouer la chose amoureuse, qui en font un grand acteur de couples. Et aussi, parce que ce qu’il charrie aujourd’hui, son poids d’existence, mais aussi son impressionnante masse physique, en font le support idéal pour les méditations mélancoliques sur l’usure du temps et des choses, le partenaire idéal pour les histoires de reformation douloureuse de l’amour. Malgré la fausse piste de son titre, Valley of Love n’est pourtant pas strictement une

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romance-des-retrouvailles. Si retrouvailles il y a, elles se font plutôt sous le joug de la contrainte et de l’acrimonie que de celui d’une résurgence de l’amour et du désir (même si celui-là, comme toujours, au moins le temps d’une scène, parviendra bien à se frayer un chemin). Depardieu et Huppert interprètent deux comédiens français connus. Ils furent un couple. Ils ont eu un enfant mais ne s’en sont guère occupé. Celui-ci vient de se suicider. Il a laissé une lettre, dans laquelle il demande à ses parents séparés, qui depuis longtemps déjà ne se supportent plus, de se plier à une liturgie curieuse, sept jours durant, tous les deux, dans la vallée de la Mort aux Etats-Unis. La dimension métatextuelle de Valley of Love ne tient pas seulement au fait que Depardieu et Huppert y incarnent des acteurs français connus prénommés Gérard et Isabelle (ce serait plutôt un leurre). Elle gît plutôt dans la maigre part de fiction ayant trait à la demande folle de cet enfant mort. Pour tout cinéphile de la génération de Guillaume Nicloux (disons entre 40 et 50 ans), Depardieu et Huppert constituent un tandem presque aussi familier que des figures parentales. La scène primitive de ces parents terribles, celle où l’enfant se représente pour la première fois son père et sa mère faire l’amour, ce serait la scène inoubliable des Valseuses, où Gérard dépucelait la toute jeune Isabelle, avec le renfort du copain Dewaere. Puis vient la formation du couple, sa jeunesse et ses tumultes (Loulou de Pialat). L’enfant mort, ce serait une figure

pourquoi y a-t-il une pertinence si forte à remettre Gérard Depardieu dans les bras de ses maîtresses de fiction passées ?

déléguée de ce spectateur idolâtre, qui tel l’œil sur Caïn, continuerait du tombeau de sa salle de cinéma à vouloir voir ce couple parental se reformer sans fin. Entre le rituel morbide de cet enfant de fiction qui continue à adresser des lettres à ses parents pour les mettre en scène dans la vallée de la Mort, et le désir du cinéphile de prolonger à jamais les mythes de son enfance, une même pulsion démiurgique et mortifère est à l’œuvre. La force de Valley of Love est de ne pas chercher à raconter plus que ça. Depardieu, Huppert, leur art immense projeté face à face encore une fois, jamais en surrégime et captivants de bout en bout. Une esquisse de fiction, cacochyme. Et en toile de fond le désert, l’infini granitique de la vallée de la Mort. Qui devient vallée d’un amour – filial, cinéphile. Jean-Marc Lalanne Valley of Love de Guillaume Nicloux, avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu (Fr., 2 015, 1 h 32) 17.06.2015 les inrockuptibles 65

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Disney/Pixar

Vice versa de Pete Docter

S’emparer des peurs primitives et des affects sombres pour les projeter dans des films d’aventures épiques et joyeux, tel est le grand art de Pixar, ici à son meilleur.

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ans la tête de la jeune Riley, cinq émotions sont aux commandes : Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût. Alors qu’un déménagement imprévu bouleverse la vie de la jeune fille, Joie et Tristesse disparaissent par accident du poste de pilotage, et se retrouvent perdues dans un grand pays imaginaire (le cerveau) où mémoire, personnalité, souvenirs, craintes et rêves s’incarnent en choses concrètes, en couloirs, en objets, en personnages. De l’intérieur à l’extérieur d’une tête, au rythme de jeux de bascule d’une inventivité saisissante, Vice versa fait d’un généreux film d’aventures la projection du plus simple récit d’enfance (et vice versa). Et reprend pour Pixar le cours d’un âge de raison entamé il y a cinq ans avec Toy Story 3 et Là-haut (du même réalisateur) avant d’être curieusement mis en suspens. Quelle est la signature de Pixar ? Jusqu’il y a une dizaine d’années, on aurait formulé une réponse en forme de Fée Bleue, celle qui insuffle la vie à Pinocchio. Le studio avait encore pour porte-étendard son obstination à rendre animées (et par-dessus tout, familières) toutes choses inertes, voitures, joujoux, robots – des objets voisins de nous, parfois peu disposés

à l’anthropomorphisme, que l’on ferait bien sûr remonter jusqu’à une certaine lampe de bureau. Certes, cet esprit de conquête s’est étiolé : le studio, notamment depuis qu’il fait la part belle aux suites, n’est plus cet inégalable génie figuratif, ce formidable inventeur de formes. Cependant, à ce déclin correspond un autre essor. Car même s’il vient appuyer ce constat, Vice versa confirme aussi et surtout que Pixar a déplacé son point chaud : quand il retrouve ses plus belles inspirations, le studio défriche désormais le champ du cinéma d’animation en y laissant la porte ouverte à des puits d’effroi que d’autres croient toujours bon devoir tenir éloignés des jeunes spectateurs. L’échéance fatale de l’abandon (Toy Story 3), le poids des regrets (Là-haut), l’assentiment au chagrin (Vice versa, donc)

Pixar laisse la porte ouverte à des puits d’effroi que d’autres croient toujours bon devoir tenir éloignés des jeunes spectateurs

n’étaient peut-être pas des soucis taillés pour les petits mickeys de l’animation, et pourtant ces films les embrassent, et n’en sont pas moins des films heureux, joyeux même, des films guérisseurs. Vice versa s’émancipe ainsi magnifiquement du storytelling en rase-mottes dont se rend trop souvent coupable le cinéma jeune public. C’est bête à dire, mais le film fait l’effet trop rare d’un tourbillon : sa charge tragique, son pouvoir guérisseur ont sur nous un effet physique. Peut-être cela tient-il à ce que ses héros soient des émotions essentialisées et que le film, qui ne nous conte pas tant l’histoire de ces particules abstraites que celle des émois d’une petite fille, le fasse donc du point de vue d’une fournaise intérieure. Peut-être aussi que ce qui nous emporte est sa façon de longer la bordure d’un abîme d’oubli – qui est même matérialisé par un bas-fond sans lumière où les souvenirs perdus tombent et se dissolvent. Près de ce vide, le film travaille peu à peu à apprivoiser cette terreur de la perte, avançant sereinement vers ce que les plus beaux Pixar de ces dernières années ont élu pour dénouement : une éclatante consolation. Théo Ribeton Vice versa de Pete Docter (E.-U., 2015, 1 h 34)

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La Bataille de la montagne du Tigre de Tsui Hark Un pétillant catapultage de l’esprit du kung-fu dans le film de guerre moderne. par d’autres moyens. e génial Tsui Hark, hollywoodien des Outre l’influence manifeste dernier artisan années 40-50. Héros des Sept Samouraïs d’Akira majeur du cinéma chevaleresques, orphelins Kurosawa, il y a dans ce d’action hongdésemparés et femmes film, centré sur les combats victimes fournissent kongais, délaisse un temps et les ruses étourdissantes le passé ancestral un contrepoint candide de quelques soldats pour et les intrigues de palais à la dinguerie graphique contrer la horde sauvage labyrinthiques pour du projet, sous-tendu par qui décime la région, s’attaquer à un conflit un humour permanent ; une superbe transposition presque récent – à peine il culmine lors d’un finale des techniques et gimmicks essoufflant mettant aux soixante-dix ans, une broutille pour lui… Il illustre du cinéma de kung-fu prises le bon et le méchant dans le film de guerre. en effet un épisode de la sur un avion incontrôlable. Art du montage fulgurant, Seconde Guerre mondiale : Au lieu de jouer la simple travail éblouissant sur l’étripage de certains carte du combat singulier la gestuelle et la vitesse Chinois, façon Seigneurs paroxystique, Hark des combats. Une kitscherie se délecte en multipliant de la guerre, à la suite de BD en 3D, qui magnifie du retrait de l’occupant les variantes et possibles le décor grandiloquent nippon en 1946. Rien de cette lutte à mort, du repaire des bandits de réaliste là-dedans, plus délirants les uns que et dessine des figures fort heureusement. Le film les autres. Quoi de mieux extravagantes. Notamment est l’adaptation d’un opéra pour désamorcer une geste Hawk, magistral chef révolutionnaire chinois, qui, au-delà de sa fantaisie de bande, que Hark fait Tracks in the Snowy Forest. débridée, pouvait tomber apparaître en aval du récit, Spectacle style Opéra dans le politiquement avec un sens consommé de Pékin, c’est-à-dire correct (option maoïste), du timing. Des personnages eu égard à son matériau agité et picaresque. magnifiquement ambigus En retraçant la bataille de départ ? Avec Hark, complètent la galerie, hardie et ardue d’une on peut être tranquille : comme l’agent double et poignée de militaires l’anarchie du spectaculaire patriotes contre une armada la femme fatale malgré elle, bouffon emporte tout sur représentatifs de la furia de bandits sanguinaires son passage. Vincent Ostria feuilletonesque de Hark. tapis dans un repaire sis Celle-ci est dans la montagne du Tigre La Bataille de la montagne contrebalancée par un en question, Tsui Hark du Tigre de Tsui Hark, patriotisme premier poursuit son œuvre avec Zhang Hanyu, Lin Gengxin (Chine, 2 014, 2 h 20) degré proche du cinéma de Jules Verne du kung-fu

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Cavanna – Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai de Nina et Denis Robert (Fr., 2015, 1 h 30)

Docu un peu monotone sur le pétulant Cavanna.

The Duke of Burgundy de Peter Strickland Une rêverie pornosoft entre femmes qui aiment les brimades SM et les papillons.

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vec Ben Wheatley (Kill List), Peter Strickland est un des cinéastes britanniques les plus passionnants du moment, apte à revitaliser le film de genre avec sa propre voix. Son Berberian Sound Studio rendait hommage à Dario Argento, en dépassant le fétichisme pour sonder la solitude de son personnage. The Duke of Burgundy se sert dans le film érotique européen seventies, chiadé et impur, à la Jess Franco. Voici un monde avec ses propres règles, une utopie presque SF, réduite à quelques maisons, un musée et une forêt, où ne vivraient que des femmes, passionnées de papillons et de conférence sur les papillons. Où le temps semble s’être arrêté en automne. Parmi ces lépidoptéristes, vivent Evelyn et son aînée Cynthia (Sidse Babett Knudsen, la Première ministre de la série Borgen, que l’on ne reverra plus jamais de la même façon). Au début, Evelyn arrive habillée en soubrette chez Cynthia, qui l’humilie à coups de brimades et séances SM. Le film dévoile ensuite une dynamique de couple plus retorse, où Cynthia répète cette même scène à la demande d’Evelyn, ivre de soumission et frémissante quand on parle de “toilettes humaines”. Mais la lassitude pointe entre Evelynla meneuse contrariée et Cynthia la metteur en scène maso.  Le talent de Strickland est d’emballer tout cela avec un impossible bon goût, de l’entêtant folk panoramique de Cat’s Eyes sur la BO à une séquence où Lynch re-visiterait L’Origine du monde de Courbet.

Le film est voluptueux, opulent, riche dans ses textures (du mobilier du duo aux ailes des papillons qu’elles épinglent) comme dans ses omissions. Car si Berberian Sound Studio était un giallo sans meurtre, on titille ici sans nudité. “Ce que je trouve érotique, c’est la performance, pas la chair, nous disait le cinéaste à Paris en avril. Le nu n’est pas un problème mais on serait alors resté dans le pastiche d’un Jess Franco – qui est déjà une version sordide de Franju.” Plus chargé d’émotions que prévu, The Duke of Burgundy est surtout un film sur les preuves d’amour (mêmes les plus atypiques) et comment elles modèlent les relations dominants/dominés. Chez Strickland, il n’y a pas beaucoup de différence entre la routine, les rites d’un couple et le fétichisme, qu’il porte sur le SM ou l’entomologie (remplacez ici les pinaillages sur les papillons par la cinéphilie, le foot ou le tuning, l’effet est le même). Avec ce qu’ils peuvent avoir d’excitant au début et de mortifère sur la fin. Le film en rit aussi un peu élégamment – lorsque Cynthia trébuche sur ses répliques sexy, minutieusement écrites par Evelyn. Mais les actrices, elles, appliquent avec grâce et conviction de multiples couches de dureté et de fragilité qui tirent le film vers les apocalypses en chambre des Larmes amères de Petra von Kant et de Cris et chuchotements – incidemment, le nom d’un club SM à Paris. La boucle est bouclée. Léo Soesanto The Duke of Burgundy de Peter Strickland, avec Sidse Babett Knudsen, Chiara D’Anna, Eugenia Caruso (G.-B., 2014, 1 h 46)

Vincent Ostria lire aussi l’interview de Denis Robert p. 14

Arnaud Baumann

Sidse Babett Knudsen

Pauvre François Cavanna, cofondateur d’Hara-Kiri/ Charlie Hebdo, auteur des Ritals, des Russkoffs et d’autres écrits alertes, dont la figure redevient médiatique depuis le massacre à Charlie. On n’a évidemment rien contre ce maître de l’esprit frondeur mais le film est justement trop révérencieux. Il y a d’abord un fil rouge assez plombant : la litanie des témoins amis qui dévident leur mini-oraison funèbre lors de ses funérailles en 2014. Trop d’éloges tue l’éloge. Un principe décliné dans d’autres segments du film, au détriment du sujet lui-même. A peine quelques bribes sur l’enfance mais une insistance sur des détails (l’invention du titre Charlie par exemple), et l’oubli de pans entiers de la bio du Rital. Pourquoi passe-t-on ainsi sous silence la première vocation de Cavanna : dessinateur de presse ? Il ne se consacra à l’écriture que dans un deuxième temps. On n’en dit pas très long non plus sur sa relation en dents de scie avec le Professeur Choron, auquel il intenta un procès. Certes, on voit Cavanna s’exprimer mais trop tard, au soir de sa vie. Figure attachante, sans nul doute, mais noyée dans un brouhaha hagiographique.

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Mustang de Deniz Gamze Ergüven Cinq jeunes filles face au mariage arrangé en Turquie. A la fois gracieux, ouaté et caustique.

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ontre l’obscurantisme religieux, il est bien vu de riposter par des fables de grand sage – preuve encore avec Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, récompensé de sept César. Rien de plus éloigné de cette posture que Mustang, sorte de cavalcade polissonne et féminine, joyeuse et enragée, accueilli à la Quinzaine des réalisateurs par une escalade d’applaudissements. Ce premier long métrage d’une jeune Franco-Turque, née à Ankara et diplômée de la Fémis, nous immerge dans le monde damné des jeunes filles mariées de force. Nord de la Turquie, aujourd’hui : cinq sœurs toutes plus jolies les unes que les autres, âgées peut-être de 11 à 17 ans, vivent inconscientes de leur bonheur qui va prendre fin, sous la coupe d’une grand-mère tradi et d’un oncle autoritaire. Leurs batifolages avec des garçons du voisinage leur sont reprochés : on accélère le processus de leurs épousailles. C’est alors une ombre gigantesque portée sur cette sororité, où l’on prend mari comme on va à l’échafaud. L’incontestable réussite de Mustang tient au filmage des sœurs, corps collectif superbement fluide et chatoyant, bouquet de “jeunes filles en fleurs” telles qu’on les trouve de Proust à Sofia Coppola. Mais il existe chez Deniz Gamze Ergüven un vitalisme, une scénographie vitaminée qui, à chaque instant, émeut et égaie l’œil, nous attrape. Trait qui range le film du côté d’un “féminisme joyeux”, expression

utilisée par Agnès Varda pour qualifier la couleur de ses propres films, et par capillarité Mustang, dont la doyenne des cinéastes n’a pas manqué de faire la publicité sur la Croisette alors qu’elle y recevait sa Palme d’honneur. On a bien tenté de reprocher au film sa légèreté, son infidélité à un réel autrement plus sombre. C’est gommer un peu vite sa noirceur – les sociétés liberticides, la mort parfois comme seule échappatoire –, renforcée justement par le contraste entre un corsetage moral et cette sorte de grâce ouatée de l’enfance, jusqu’à la dispersion du petit groupe, en cinq identités distinctes, avec chacune un destin plus ou moins enviable à la clé. Sans diaboliser le mariage arrangé (l’une des sœurs y trouve son compte de câlins et de baisers), la réalisatrice dénonce une tradition nuisible dès lors qu’elle se meut en tyrannie, en prison. Une menace illustrée lors de cette très belle séquence où les sœurs cloîtrées transforment leur geôle en refuge contre le monde extérieur. C’est alors les autres qui sont désignés en vrais captif d’une doctrine morale et religieuse. Il faudra toute la pugnacité costaude d’une petite fille (toutes les actrices sont formidables) pour trouver le chemin de la liberté. Emily Barnett Mustang de Deniz Gamze Ergüven, avec Erol Afsin, Günes Nezihe Sensoy (All., Tur., Fr., Qat., 2015, 1 h 34) lire la rencontre avec Deniz Gamze Ergüven p. 52 17.06.2015 les inrockuptibles 69

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L’Eveil d’Edoardo de Duccio Chiarini avec Matteo Creatini, Francesca Agostini (It., 2014, 1 h 26)

Spy de Paul Feig Après Les Flingueuses, Paul Feig poursuit sa féminisation de la comédie d’action et fait plus que jamais chuter Melissa McCarthy en beauté et en éclats de rire.

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près Les Flingueuses en 2013, et avant un reboot 100 % féminin de Ghostbusters annoncé pour 2016, Paul Feig offre avec Spy un nouveau véhicule à sa muse Melissa McCarthy. Bonne pioche : il s’agit d’un bolide. Il n’est pas anodin que, sur l’actuelle ruine de la comédie américaine – qu’elle paraît loin l’époque où deux ou trois diamants sortaient chaque mois de la mine –, Paul Feig soit l’un des derniers à tenir encore debout. C’est qu’il a compris avant tout le monde, en 2011 avec Mes meilleures amies pour être précis, que l’avenir de la comédie, pour ne pas dire plus, passerait par les femmes. Plus encore que Les Flingueuses, Spy formule cet impératif avec une clarté désarmante. Analyste pour la CIA, c’est-àdire essentiellement assistante des vrais espions (Jude Law) qui guerroient sur le terrain, Susan Cooper (Melissa McCarthy) est soudainement envoyée en mission, faute de main-d’œuvre. A Paris, Rome puis Belgrade, elle croise le fer avec une venimeuse héritière à la tête d’un réseau terroriste (Rose Byrne, toujours irrésistible en peste), quand elle ne doit pas réparer les bévues de son incapable collègue masculin (fabuleux Jason Statham, qui dévoile là son plein potentiel comique, déjà perceptible depuis quelque temps). Avec pareil pitch, on pouvait craindre

une certaine routine, mais c’est au contraire un feu d’artifice permanent qui se déploie sous nos yeux, sans que le crépitement de l’action ne recouvre les arabesques souveraines de la comédie. Feig réussit sur les deux tableaux pour une raison simple : il ne réalise pas une parodie de film d’espionnage mais un vrai film d’espionnage avec une tonalité comique – nuance. Il y a là une croyance manifeste dans les rouages du genre, qui trouve en Melissa McCarthy une courroie idéale. Parfaitement crédible dans le rôle (au moins autant que l’était Angelina Jolie dans Salt), dotée de son habituelle sulfateuse à vannes (il faut la voir humilier un minet blondinet qui se croit plus malin qu’elle), elle épate surtout par son aptitude burlesque sans équivalent aujourd’hui. On peut dire que si personne ne court mieux au cinéma que Tom Cruise, alors personne ne tombe aussi bien que Melissa McCarthy – avec un style bien à elle : la chute qui fait “pouf” plutôt que “patatras” ; la chute qui fait un bruit sourd et semble tellement gênée d’advenir qu’elle s’évanouit presque dans la coupe ; la chute qui assume le principe de gravité et fait d’un kilo de plomb un kilo de plume.

La chronique estivale d’une adolescence aux environs de Pise. Inégal. Edoardo est un adolescent italien. Comme chaque année, il passe ses vacances dans la maison familiale de la côte, pas très loin de Pise. Il va beaucoup à la pêche avec son copain Arturo, un véritable obsédé qui ne pense qu’à “niquer” les filles – ou un poulpe quand la situation est désespérée… Mais Edoardo est un sentimental. Et puis surtout, il a un problème : il a un phimosis. C’est même le premier plan du film : un enfant, les fesses à l’air, de dos donc, qui montre son zizi à ses parents qui tentent de tirer dessus… Et sa petite sœur déboule à ce moment-là. Super plan. L’Eveil d’Edoardo est un film assez curieux, totalement déséquilibré. Autant il se montre fin, délicat, respectueux, et même tendre avec ses personnages d’adolescents et leurs sentiments (notamment avec les filles, qui sont de vrais personnages), autant il est d’une crudité un peu gênante, un peu envahissante, invasive même, sur tout ce qui concerne le problème médical d’Edoardo – dont on se fiche un peu, à vrai dire. Les scènes chez le médecin sont glauquissimes, vulgaires, avec des plans insistants entre les jambes d’Edoardo. Un film assez étrange, avec de jeunes acteurs heureusement formidables, Matteo Creatini et Francesca Agostini les premiers. Jean-Baptiste Morain

Jacky Goldberg Spy de Paul Feig, avec Melissa McCarthy, Jude Law, Jason Statham (E.-U., 2015, 2 h) lire le portrait de Melissa McCarthy p. 60

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Colin Farrell

True Detective, côte Ouest La série phare de l’année dernière revient en saison 2, avec Colin Farrell et Vince Vaughn. Premières impressions.



rue Detective avait provoqué un choc de grande ampleur lors de sa première saison, réchauffant l’hiver 2014 avec ses deux flics perdus dans les terres de Louisiane, à la recherche d’un abominable serial-killer. Comment ne pas en attendre beaucoup pour son retour en deuxième saison, même sans Matthew McConaughey et Woody Harrelson ? Son créateur Nic Pizzolatto l’avait annoncé dès le départ : la série reprend le vieux gimmick narratif de l’anthologie, proposant une histoire et des personnages nouveaux. Nous voici donc translatés vers la Californie, mais pas n’importe laquelle, celle qui hésite entre des autoroutes, la mer et les collines, aux frontières de Los Angeles. Une terre à la fois belle et désolée dont les replis les plus noirs façonnent l’intrigue. Le générique, hanté par la voix de Leonard Cohen dans une version à l’os de Nevermind (chanson de son dernier album Popular Problems), laisse place à un ciel brûlant de coucher du soleil. La colonne vertébrale de cette saison se profile alors – nous avons pu voir les trois premiers épisodes. Un entrepreneur-truand (Vince Vaughn) perd la trace de son associé dans un projet immobilier de grande ampleur, ce qui pourrait le mettre sur la paille. Il travaille sous le manteau avec un flic alcoolique (Colin Farrell) séparé de son ex et incapable de surpasser un traumatisme impliquant cette dernière. Une policière (Rachel McAdams) et un officier de la Highway Patrol (Taylor Kitsch, génial) chassent leur spleen en se plongeant dans l’intensité pleine de bruit et de fureur du boulot. Si Pizzolatto a entendu les critiques sur le manque de femmes intéressantes en intronisant Rachel McAdams, c’est aussi pour mieux ironiser sur la misogynie.

la série a toujours l’art de convoquer des figures maléfiques aussi effrayantes que dans les contes pour enfants

“Je soutiens le féminisme : j’ai des problèmes avec l’image de mon corps”, lance le moustachu Colin Farrell à sa partenaire lors d’un trajet en voiture. Entre chien et loup, le soleil rasant de la côte californienne fait son office. La caméra de Justin Lin (réalisateur des deux premiers épisodes) scrute avec une insistance poisseuse les visages de héros débordants de défaites passées, souvent sexuellement contrariés. Pour ce qui est du récit, ce True Detective deuxième manière privilégie une certaine linéarité. Même si quelques flash-backs et autres états de semi-conscience surgissent çà et là, il s’agit d’une petite déception. La saison inaugurale, plus déconstruite, transformait le temps en un personnage à part entière. Cela participait largement de notre envoûtement. Dans ses moments les moins forts, True Detective ressemble désormais à un thriller comme les autres, juste un peu plus stylé, presque obséquieux. Le businessman véreux incarné par Vince Vaughn, encore assez peu concerné, n’y est pas pour rien. Inutile pour autant de déclarer la série perdue pour la cause. Son univers corrompu, sa géographie et les enjeux criminels qu’elle soulève rappellent le film noir le plus célèbre des seventies, Chinatown de Roman Polanski. Un ensemble de conjectures qui peuvent mener très loin. Ensuite, si la saison 1 avait électrisé les foules immédiatement, l’effet de surprise forcément moins fort rend aléatoire tout jugement hâtif. Même si elle semble se perdre parfois dans son propre désir de maîtrise, True Detective possède toujours l’art de convoquer des visions étonnantes, voire hypnotiques, des figures maléfiques aussi effrayantes que dans les contes pour enfants, ceux que personne n’oublie jamais. Il n’en faudrait vraiment pas beaucoup pour que ses griffes se referment à nouveau complètement sur nous. Olivier Joyard True Detective saison 2 à partir du 22 juin, 20 h 50, OCS City.

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à suivre… Hadmar tourne encore

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Réalisateur et coscénariste des Témoins, l’un des cartons des six derniers mois, Hervé Hadmar vient déjà de lancer le tournage d’une minisérie fantastique de 3 × 52 minutes qui sera diffusée sur Arte, tout en écrivant avec Marc Herpoux la saison 2 des Témoins pour France 2. Veerle Baetens (Alabama Monroe), Geraldine Chaplin et François Deblock font partie du casting.

Prison Break de retour Dans une industrie chamboulée par la concurrence toujours accrue et la puissance de la nostalgie, les séries ne meurent jamais vraiment. La chaîne Fox prévoit le reboot de Prison Break pour une nouvelle – et a priori unique – salve de douze épisodes. Voilà déjà six ans que le beau Wentworth Miller avait disparu de nos écrans de contrôle.

solide comme un Rock

L’ancien catcheur The Rock tient le premier rôle de Ballers, une nouvelle série de HBO dans le milieu du foot américain à Miami. rendre Dwayne “The Rock” Johnson pour un acteur n’est peut-être pas une mauvaise idée. Dans Ballers, la nouvelle dramédie de HBO créée par Stephen Levinson (un ancien d’Entourage), Arrested Development l’ex-catcheur parle plus qu’il ne l’a jamais aussi fait devant une caméra. Et cela se passe Dans une industrie chamboulée sans embûches. Son personnage d’ancien par la concurrence toujours sportif reconverti en agent de joueurs accrue et la puissance traîne sa carcasse à la fois imposante de la nostalgie, les séries ne et fatiguée dans un Miami bourré de pièges meurent jamais vraiment (bis). ensoleillés – le pilote a été réalisé par Deux ans après un premier Peter Berg, monsieur Friday Night Lights. revival, Netflix a annoncé On le suit en quête de deals avec de qu’Arrested Development allait jeunes footballeurs dépassés par le pouvoir bénéficier d’une cinquième qu’argent et talent leur confèrent. saison en 2016. Rappelons Sans en faire trop, The Rock tire son aux étourdis qu’il s’agit d’une épingle du jeu dans cette atmosphère comédie familiale folle née pourtant propice aux clichés, entre voitures vers le milieu des années 2000. rutilantes et yachts hors de prix. Ballers, comme Entourage avant elle, prend le risque de rester à la surface de son sujet – sea, sex and money –, notamment quand elle s’obstine à ne pas construire un personnage féminin digne de ce nom. Montrer un milieu American Crime (Canal+ Séries, le 17 à 21 h 30) qui fonctionne à la testostérone ne justifie Cette série, l’une des plus ambitieuses vues pas d’oublier les filles ou de leur laisser sur une grande chaîne US depuis des années, une place aussi anecdotique. décortique les tensions raciales et sociales aux Etats-Unis. A quand un équivalent en France ? La série parvient en revanche à endosser un costume étonnant que l’on qualifiera Hannibal (Canal+ Séries, le 22 à 20 h 50) de “tragique bling”, quand des mastards Prenons en marche le retour en saison 3 qui ont vécu sur l’adrénaline des matches de l’un des méchants les plus passionnants pendant des années se retrouvent des trente dernières années, Hannibal à la retraite à 30 ans et des poussières. Lecter en personne. Mads Mikkelsen Le plus intéressant dans les premiers fait toujours aussi peur. épisodes concerne l’un d’eux, devenu vendeur de voitures alors qu’il s’ennuie The Brink (OCS City, le 22 à 22 h 55) dans son immense villa. Cela ne suffit pas Le même soir que True Detective et Ballers, encore à faire de Ballers un attrape-cœur, HBO lance une comédie acérée dont mais donne envie d’habiter ce monde le personnage principal, incarné par encore un peu. O. J. Tim Robbins, est l’équivalent du ministre

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agenda télé

des Affaires étrangères. D’anciens scénaristes de Weeds sont aux commandes.

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Palma d’or Dignes descendants des tandems les plus flamboyants du rock anglais, de The Clash aux Libertines, les Palma Violets ont frôlé le burn-out. Revigoré, le gang londonien revient avec un fougueux deuxième album.

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uand on déclare à Chilli Jesson, le bassiste et cochanteur des Palma Violets, que les seconds albums sont souvent des déceptions mais que le leur déroge à la règle, il pousse de façon théâtrale un soupir de soulagement. “Sinon, lâche-t-il en riant, j’aurais fait ça.” Il se lève et fait mine de courir se jeter par la fenêtre, un geste grandiloquent à la hauteur de leur musique. Derrière leurs visages ingénus et leur énergie juvénile,

les quatre Londoniens ont fait preuve d’une sagesse étonnante pour défier le fameux syndrome du deuxième album, cette tendance trop courante de donner une suite indigne, bâclée ou boursouflée à un premier album pourtant prometteur. “Après deux ans de tournée ininterrompue à vivre les uns sur les autres, on ne pouvait plus se supporter, explique Chilli Jesson. Ça n’a pas été facile de faire ce nouvel album, à vrai dire. En y pensant, avec le recul, on a pris une décision un peu étrange :

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“on est allés vivre dans une grange au pays de Galles, parmi les chevaux sauvages et les champignons magiques. Le groupe s’est ressoudé et on a réappris à s’aimer” Chilli Jesson au lieu de partir chacun de son côté, on est allés vivre tous ensemble dans une sorte de grange au fin fond du pays de Galles, parmi les chevaux sauvages et les champignons magiques. Le groupe s’est ressoudé et on a réappris à s’aimer.” Il est bien question d’affection chez ces rockeurs au cœur tendre. Cette amitié fraternelle qui lie Chilli Jesson au guitariste et coleader Sam Fryer est la base fondatrice du groupe. Dans la lignée de ces innombrables duos complices qui ont enflammé le rock anglais (Joe Strummer et Mick Jones, Peter Doherty et Carl Barât…), ces frères d’armes ont créé Palma Violets par dépit. Ils se sont d’abord improvisés directeurs artistiques à la recherche de nouveaux talents, écumant les salles londoniennes toutes les nuits jusqu’à être dégoûtés par le manque de sincérité et de spontanéité qu’ils constataient sur toutes les scènes. Décomplexés par cette expérience, ils se lancent. “Pour notre premier album, on avait l’idée romantique de se laisser des messages sur nos répondeurs pour s’échanger des idées de chansons, poursuit Chilli. Cette fois-ci, on a procédé différemment, avec des guitares acoustiques, face à face. Quand tu ne t’es pas encore complètement réconcilié avec quelqu’un, c’est comme si tu lâchais tout ce que tu avais sur le cœur, en espérant que l’autre ne va pas détester. Will et Pete (respectivement batteur et claviériste – ndlr) ont brodé sur ces bases pour transformer nos idées en vrais morceaux.” C’est le légendaire John Leckie qui les a épaulés pour l’enregistrement de ce nouvel album. L’Anglais a déjà participé à plusieurs chapitres importants de l’histoire du rock made in Britain, des Stone Roses à Felt, de Radiohead à The Coral. Il a eu l’excellente idée de ne pas canaliser la flamme des Palma Violets. Résultat : les quatre Londoniens subliment leur énergie brute et passionnée sur Danger in the Club, en jouant comme si leur vie en dépendait. “Il est le dernier grand producteur de rock britannique, à l’ancienne. Pour être honnête, personne d’autre ne voulait s’en charger à part des Américains. Plein de groupes vont enregistrer à L. A. mais ça ne nous correspond pas du tout. On porte le drapeau britannique et on en est fiers !” Avant d’en devenir le bassiste, Chilli était le manager des Palma Violets. Il a de qui tenir : son père, décédé en 2007, était le manager de Nick Cave. Quand

Chilli a quitté l’ombre pour intégrer le groupe pour de bon, il était tellement terrifié à l’idée de jouer en live et avec un instrument dont il ne maîtrisait que les rudiments qu’il jouait en tournant le dos au public – difficile à imaginer aujourd’hui quand on voit ses prestations exubérantes. Si les concerts bouillonnants sont devenus l’une des forces incontestables du quatuor, Danger in the Club en capte le dynamisme explosif, en empruntant à leurs héros les différentes composantes de ce feu sacré : les guitares surf, les claviers des Doors, les refrains à reprendre en chœur du pub-rock, la tendresse fanée du music-hall (sur l’introduction, Sweet Violets) et la rage du punk. Le single épatant qui donne son nom à l’album parvient même à nous réconcilier avec les solos d’harmonica. “Je ne comprends pas pourquoi le pub-rock a une si mauvaise réputation. Beaucoup de gens décrivent ça comme du pré-punk pour avoir l’air plus cool. On a énormément écouté Dr. Feelgood en écrivant cet album, ou des artistes comme Ian Dury & The Blockheads, Graham Parker & The Rumour… Ils ont composé des pop-songs géniales, bien ficelées, en mélangeant des influences américaines des fifties à une identité bien britannique. On entend presque leur transpiration !” Les références sont forcément omniprésentes. On pense souvent à The Clash époque London Calling (notamment sur Gout! Gang! Go!) et aux Libertines (The Jacket Song, acoustique et écorchée, rappelle Radio America sur le premier album de ces derniers). Des groupes chaotiques mais brillants, qui préfèrent l’enthousiasme fiévreux à la perfection technique et dont le charme provient d’une urgence impossible à feindre. Né dans la sueur, la passion et la complicité retrouvée, Danger in the Club assure la relève avec un certain panache. Le seul danger qui existe ici, c’est celui du coup de foudre. Noémie Lecoq album Danger in the Club (Rough Trade/Beggars) palmaviolets.co.uk

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Stephanie Sian Smith

Disclosure revient bien C’est officiel, Disclosure est bel et bien de retour. Après Holding on, un nouveau morceau dévoilé le mois dernier, le duo anglais a en effet confirmé que paraîtrait en septembre Caracal, son deuxième album. L’annonce était accompagnée d’un teaser présentant un lynx du désert (un caracal, donc) et quelques notes à la croisée de la house et de la pop – du Disclosure pur jus, en attendant la suite.

Tracks fête Les Inrocks Tracks célèbre la dernière édition du Festival des Inrocks en programmant des extraits de concerts et des interviews réalisées pendant l’événement en novembre dernier. Les artistes ont été sélectionnés par le public de Tracks via l’application de l’émission et les réseaux sociaux. On retrouvera donc, sur scène et derrière le micro, Brodinski, Moodoïd, Glass Animals, Benjamin Booker, The Orwells… Diffusion le 20 juin sur Arte. tracks.arte.tv

Thomas Babeau

Brodinski

L’année dernière, Sébastien Tellier publiait L’Aventura, album bouleversant dans lequel il réinventait son enfance au Brésil. Dedans, il y avait Comment revoir Oursinet ?, une folie de quatorze minutes qu’on retrouve aujourd’hui en format ep. Au programme : un clip splendide à voir sur internet, et surtout des remixes signés Matias Aguayo, Cesare et Darius. Le tout est disponible gratuitement dès maintenant. Oursinet méritait bien ça.

Dan Auerbach, moitié des éminents Black Keys, a annoncé un nouveau projet sans son camarade Patrick Carney. Le groupe s’appelle The Arcs et publiera son premier album au début du mois de septembre. Il portera le joli titre de Yours, Dreamily et contiendra Stay in My Corner, un premier single qu’on peut d’ores et déjà écouter sur internet. Plutôt cool.

Inez and Vinoodh

revoir Oursinet

un Black Keys en solo

Björk

sur la route (du rock) Toujours très classe, la programmation estivale de la Route du rock ne déroge pas à la règle cette année. Du 13 au 16 août du côté de Saint-Malo, on retrouvera ainsi Björk, Sun Kil Moon, Flavien Berger, The Notwist, Algiers, Father John Misty, Viet Cong, Only Real, Ratatat ou encore Daniel Avery. Ouf. laroutedurock.com

neuf

Michael Head & The Strands Aude Juncker

Beau Elles sont américaines, elles sont deux et leur musique légitime le nom de leur groupe. Dans leurs premiers morceaux, Emma et Heather rêvassent dans un monde où le rock est forcément lyrique, la pop nonchalante et le folk un horizon tordu par le soleil. Pas étonnant que le label Kitsuné ait mis la main dessus.  facebook.com/beaubandnyc

Son premier ep s’appelle Le Houhouhouhouhou mais il ne faudra pas s’arrêter à cette bizarrerie. Aude Juncker fait dans le classe et le classique, ses folk-songs en français semblant hésiter entre Emilie Simon et Carla Bruni à leurs débuts. Ça tombe bien : ce n’est que le commencement pour cette Française à suivre. facebook.com/audejunckermusic

Clap Your Hands Say Yeah Fin 2005 paraissait leur premier et formidable album. On a ensuite hélas un peu lâché le fil. En tournée aux Etats-Unis, les Américains rééditent ce premier disque en version Deluxe, CD ou vinyle, agrémenté de douze versions acoustiques enregistrées par le chanteur Alec Ounsworth. cyhsy.com

De nouveau en action sous le nom de Michael Head And The Red Elastic Band, l’ancien héros cabossé des Pale Fountains verra son magnifique album de 1997, The Magical World of The Strands, réédité le 13 juillet. Précédé, le 29 juin, d’un album d’inédits enregistrés lors de la même session, The Olde World. megaphone-music.com

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Kit Monteith

“je voulais un album beau, fou, puissant, passionné, violent, sexuel” Yannis Philippakis

“Foals ? Une meute de loups” Fin août, Foals reviendra avec un quatrième album rageur, profond et ambitieux. Nous avons pu l’écouter à La Fabrique, le splendide studio provençal où les Anglais l’ont enregistré. Première interview du chanteur Yannis Philippakis, méconnaissable, confiant et visiblement heureux.

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ans quel état d’esprit étiez-vous après Holy Fire, au moment de commencer le travail sur What Went down ? Yannis Philippakis – Nous étions heureux, nous prenions beaucoup de plaisir à jouer ensemble, nous avions commencé à écrire en tournée. Nous sommes arrivés à un point où nous fonctionnons, collectivement, par télépathie. Un instinct collectif, comme une meute de loups. Ça vient du temps passé ensemble, des concerts que nous avons enchaînés. Un bon concert, pour Foals, est celui où nous avons l’impression d’être une bête à dix jambes, une masse unique de chair qui bat au même rythme, sur le même tempo. Nous voulions tout de suite utiliser cette énergie dans un nouveau

processus de création. Un processus plus rapide que pour Holy Fire – il avait des qualités mais aussi des défauts, j’avais l’impression qu’on aurait pu faire mieux. C’est ce que nous avons essayé de faire pour celui-ci, avec l’aide de James Ford, dont nous admirons le travail depuis longtemps. Et je pense sincèrement que c’est le meilleur album que nous ayons enregistré. Tu sembles être beaucoup plus confiant, plus heureux qu’il y a quelques années… Je me sens plus satisfait de certaines choses, je reste en revanche en conflit avec d’autres. Mais c’est vrai, je suis probablement une personne totalement différente de celle que j’étais il y a cinq ans. Je ne me souviens même pas qui j’étais alors – probablement un connard (rires).

Je suis plus à l’aise avec ma voix : je me sens désormais vraiment chanteur. Auparavant, on avait tendance à finir par le chant, mais j’ai découvert cette fois que ma voix pouvait structurer, mener une chanson. Quel était le fantasme initial pour What Went down, comment le décrirais-tu ? Je voulais qu’il soit beau, fou, puissant, passionné, violent, sexuel. Je dirais qu’il est audacieux, qu’il est assez animal, primal. C’est également un disque profond par ses textes, sur lesquels j’ai travaillé très dur – il parle de séparation, de disparition, de se sentir perdu dans une ville, de la fragilité humaine, de la mortalité, de l’horloge qui file inéluctablement, de la destruction programmée de la planète. Que peux-tu me dire de l’enregistrement ? Il s’est intégralement déroulé au studio La Fabrique, à Saint-Rémy-de-Provence ? Nous sommes arrivés ici fin février et avons terminé début avril. Quand nous sommes arrivés, il faisait encore froid, les arbres étaient nus, le mistral était déchaîné. Puis nous avons progressivement vu les prémices du printemps arriver. C’est ma saison préférée, et c’était particulièrement spectaculaire ici, dans cet endroit merveilleux. On a vu la vie renaître, les arbres se sont recouverts de feuilles, les libellules sont arrivées, les grenouilles se sont mises à chanter, on a croisé des serpents. Enregistrer ici a vraiment été agréable, l’endroit, l’ambiance et les conditions offertes par La Fabrique ont eu un grand effet sur le moral du groupe. Il y a toujours eu, lors de nos précédents enregistrements, un moment où nous sombrions dans quelque chose d’assez sombre, de parfois très négatif. Je pense qu’il est impossible ici de s’adonner à la colère : l’énergie est restée du côté positif, même quand les morceaux étaient rageurs ou sombres. Une des différences majeures avec les précédents albums a résidé dans l’avant-enregistrement. Nous avions l’habitude d’enregistrer, à Oxford, des demos très lo-fi, brutes, primaires, puis de les retravailler intégralement en studio. Nous avons cette fois enregistré des demos beaucoup plus abouties, des ébauches finalement assez proches des versions finales des chansons. Ça nous a beaucoup aidés. Le processus a été harmonieux : une nouveauté pour nous. propos recueillis par Thomas Burgel album What Went down (Warner/Universal), sortie le 28 août concerts le 12 juillet au Montreux Jazz Festival, le 13 août au Sziget Festival

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DMA’s DMA’s

Infectious/Pias

Abreuvés à la source d’Oasis, trois jeunes Australiens font leurs premiers pas. Teints blafards, dégaines de chavs, champs lexicaux et enchaînements d’accords hérités de Noel Gallagher… Impossible de deviner que les DMA’s viennent d’une banlieue ensoleillée de Sydney tant leur ADN les apparente à un style né à l’autre bout du globe : le rock du nord de l’Angleterre, des Stones Roses (pour la voix et les agiles digressions) aux La’s (pour la tendresse acoustique). Entre embrasement électrique et ballades candides, les six morceaux de ce premier ep ont la fougue et la désinvolture nécessaires pour un hommage en bonne et due forme à leurs héros. Mais au-delà de la simple révérence respectueuse, ce trio possède un don assez rare parmi les innombrables descendants d’Oasis : des refrains au potentiel dévastateur, assez puissants pour partir à la conquête des stades.

Harley Weir

ep

Jaakko Eino Kalevi Jaakko Eino Kalevi

Weird World/Domino

Légère et brillante, une bulle pop venue du froid et tombée du ciel. on passé de conducteur de tramway à Helsinki a déjà été beaucoup évoqué au cours de la jeune carrière de Jaakko Eino Kalevi. Si les images d’un engin électrique filant dans la nuit finlandaise ne dépareillent pas à l’écoute de ses sons au glacis sensuel, son actuelle position berlinoise fournit d’autres indices : le chaud et le froid ici soufflés évoquent lointainement une poignée de chefs-d’œuvre fomentés dans la capitale déchirée. Mais c’est avec la légèreté d’un Beck (le très cool Say n’aurait pas détoné sur The Information) que son art nous touche. Une insouciance de BO 70’s donne aux meilleurs moments de l’album un désarmant goût sucré : ici un saxo décomplexé, là le gimmick synthétique imparable de Deeper Shadows. Si quelques passages en pilotage automatique créent un petit effet tunnel en milieu d’album, il y a toujours un tube pour nous cueillir, comme ce Hush down aux accents disco. Jaakko s’abreuve aux mêmes eaux que le Jeremy Jay de Slow Dance ou le Sébastien Tellier de Sexuality. Comme chez ce dernier, le disque s’achève en apothéose grandiloquente aux lisières du kitsch. C’est ainsi qu’on préfère le brillant Eino. Rémi Boiteux

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concert le 17 juin à Paris (Espace B) facebook.com/ JaakkoEinoKalevi

Noémie Lecoq facebook.com/DMAsDMAs 17.06.2015 les inrockuptibles 79

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Brice Nauroy & Bénédict Bos

Damily Very Aomby Hélico/L’Autre Distribution Enregistré en live et en studio, le huitième album tonitruant d’un Malgache qui fait le pont entre musique africaine et rock convulsif. u sud-ouest de En vrai et en gros, l’auditeur, KO et ravi de l’être. Madagascar, la ville Mais l’endurant Damily, en il n’y a pas les musiques portuaire de Tuléar activité depuis une trentaine du monde et celles est plus proche de l’Occident. Il y a d’années, a d’autres des côtes africaines que de les musiques repues, rounds à mener, d’autres la capitale du pays. Depuis et celles qui ont tourneries endiablées les années 80 s’y développe les crocs ; le mainstream à partager sans chichis. une musique endémique et l’underground ; les Cet album a été et tradi-moderne, dont concessions au goût du jour enregistré pour partie le chanteur-guitariste et l’indépendance artistique. en live, et pour l’autre Damily est devenu au fil Damily joue dans la seconde partie en quatre jours des ans l’affûté fer de lance. dans un studio de Tuléar. catégorie : rustique et Ça s’appelle le tsapiky, unique, sa musique On y entend des guitares et oui ça pique. exprime et dépasse le chaos, du désert malgache Huitième album de Damily, irriguées par des vocalises l’urgence, l’économie Very Aomby commence de moyens, avec une énergie torrentielles, des chansons par un morceau de qui a aussi transcendé acoustiques d’affamé neuf minutes, enregistré le désespoir. En malgache, – plus un gramme en live au pays sur une sono de graisse, uniquement “very aomby” désigne celui saturée, pendant un de ces qui n’a plus de zébus, parce du muscle et du nerf –, bals poussière qui donnent qu’on les lui a volés. une rythmique à faire soif et font danser jusqu’à Pour ce qui est de l’invention danser les baobabs. la transe. Electrifié avec d’une musique malgache Chacun voit la musique les moyens du bord, joué forte à décorner les bœufs, à sa porte : ici, pendant en power-trio guitareon sait qui a fait le coup. les duels de guitares de Stéphane Deschamps basse-batterie, ce morceau Malahelo Aho ou Havandra, est un grand moment on croit entendre un pirate de rock’n’roll des confins. de Television jouant concert le 25 juin à Paris D’autres l’auraient mis de la rumba congolaise, (Maroquinerie), avec Lindigo helicomusic.com en fin d’album, pour achever et c’est magnifique.

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Major Lazer Peace Is The Mission Mad Decent/Because Moins expérimental, mais toujours plus efficace, le nouvel album de Major Lazer prolonge la fête à l’infini. iplo aurait-il succombé à la tentation numériques en tout genre. Une sauce bien de gober les mêmes pilules grasse gicle sur les dance-floors du monde magiques que les énergumènes entier, et les invités défilent au micro : en transe qui peuplent ses grandes la jeune actrice Ariana Grande, le roi orgies technoïdes ? On peut le penser de la soca Machel Montano, les Jamaïquains lorsqu’il décrit le titre d’ouverture Tarrus Riley, Mad Cobra et Chronixx, du nouvel album de Major Lazer comme les rappeurs Pusha T et 2 Chainz… “un hommage à Jay Dilla”, avant d’ajouter Vous en voulez encore ? Too Original à propos du même morceau : “C’est avec Jovi Rockwell et Elliphant s’inspire une ambiance à la Fleetwood Mac.” En réalité, de la frénésie du carnaval de Notting Hill, Be Together est d’abord un énorme tube et le refrain de Roll the Bass est un feu dance signé Wild Belle, et rien de plus. d’artifice de lasers sonores que Diplo a conçu En dopant ses beats au dance-hall, comme un “appel aux armes pour tous les à la soca, au rap, à la pop, et à tout ce sound-systems”. L’album entier sonne comme qui peut dynamiter les foules, Major Lazer le générique d’un spring break déluré est devenu une monstrueuse machine sur un yacht naviguant de Trinidad à Miami. à faire danser la planète. N’essayez pas Major Lazer devrait détourner le slogan d’y coller une étiquette, son global mash’up commercial d’une fameuse chaîne de superpose les alarmes, explosions et effets fast-food : “Nous faisons de la dance-music, et nous le faisons bien.” Ne zappez pas, les filles en bikini reviennent juste après la pub. David Commeillas

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concerts le 4 juillet aux Eurockéennes de Belfort, le 15 août au Sziget Festival, les 29 septembre et 1er octobre à Paris (Olympia) majorlazer.com

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Jordan Hughes

Wolf Alice

JP Manova

My Love Is Cool Dirty Hit/Caroline/Universal

19h07 Synth-Axe/Modulor

Autrefois cagneux, le rock de ces Anglais devient khâgneux. ’an passé, on avait découvert Ellie Rowsell parfaite en sauvageonne pyromane, éructant, postillonnant les chansons anguleuses, mal lunées de Wolf Alice. La sophistication, la patience, la complexité n’étaient pas conviées lors de ces concerts emportés, tumultueux des Londoniens. D’où la surprise de les découvrir en featurings envahissants sur une majorité des chansons de ce premier album. Surprise désagréable sur une première écoute, avec cette impression de retour à la normale, d’aseptisation par le lyrisme lourd, de minauderies FM – on est même prêt à accuser sans preuves le producteur Mike Crossey (Arctic Monkeys, Foals…) pour ce retournement de situation. Mais au fil des écoutes, des fulgurances comme Silk, Giant Peach ou Freazy révèlent un dessein autrement plus pervers que la simple électrocution comme mode de séduction. En mettant des formes pop, en jouant en toute parcimonie avec les sautes de tension, Wolf Alice aligne ce genre de tubes impétueux mais limpides qui, des Pretenders à Florence & The Machine, font la beauté des juke-box des pubs anglais. JD Beauvallet

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concerts le 12 novembre à Tourcoing, le 13 à Paris (Cigale), le 16 à Toulouse, dans le cadre du Festival les inRocKs Philips www.wolfalice.co.uk

La nouvel album d’un rappeur français économe mais essentiel. JP Manova n’ouvre la bouche que pour ajouter une perle à sa discographie. Sur ces quinze dernières années, on se souvient d’une apparition sur le disque de Flynt, sur Explicit Dix-Huit ou d’un duo avec Ekoué, mais pas plus. Ce premier album est du même calibre : le flow est souple, inventif, les images saisissantes, le verbe riche et la production originale. Ni gangsta ni player, ni conscient ni poète, Manova préfère aux tics de langage et à l’interprétation plate du rappeur moyen un regard personnel qui met tout en relief. Le verbe est précis et les argumentations fouillées, transformés en chansons efficaces par une interprétation changeante et des refrains singuliers – la bête noire du rap français. En dix titres, l’affaire est pliée : qu’il évoque la liberté, le rap, l’Amérique ou l’Afrique, sa hauteur de plume et sa cohérence rendent évident le fait que les trois quarts des rappeurs français ne charbonnent pas assez. Manova invite Rocé, cite C-Sen ou Solaar et ce n’est pas un hasard. Thomas Blondeau facebook.com/jp.manova

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Sarah Cass

Daughn Gibson Carnation

Sub Pop/Pias

L’Américain publie un troisième album qui sent bon le sexe et le bitume. vec ses chemises ouvertes, son positionnement musical. son passé de routier Il s’éloigne donc un peu (sans déconner) et sa jolie des sonorités blues et country, gueule de lover, Daughn traditions qu’il aimait mêler Gibson pourrait facilement agacer. sans retenue à l’électronique, Mais ce personnage de mec viril, pour se concentrer davantage sur qui chante forcément avec une cette dernière. Alors évidemment, grosse voix chaude, l’Américain il y a toujours des guitares l’assume avec tant de style et à la Chris Isaak, des cordes si peu de recul qu’il en devient vite romantiques et des pedal steels fascinant. Sa musique est un peu qui semblent résonner dans comme ça aussi : dedans, il y a le désert, mais l’ensemble est moins une vision déformée de l’Amérique, référencé “musique américaine”, des rêves bizarres et des couleurs et préfère se la jouer BO de luxe pas tout à fait nettes – le pourpre, pour film qui reste à inventer. le violet, l’anthracite. De préférence un road-trip érotique Sur Carnation, son troisième en plein orage. Maxime de Abreu album, il maintient cette esthétique facebook.com/daughngibson enfumée mais décale légèrement

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Delia Gonzalez In Remembrance DFA/Pias

Le piano réinventé, par une trop rare disciple de l’école minimaliste. Dix ans après The Days of Mars, album conçu avec Gavin Russom, Delia Gonzalez resurgit – toujours chez DFA – avec In Remembrance, disque entièrement instrumental dont les quatre morceaux principaux ont été créés à l’origine pour une performance donnée dans une galerie d’art napolitaine en 2010. Qu’entend-on dans ces quatre morceaux ? Du piano, uniquement du piano, Delia Gonzalez extrayant de cet instrument phare de la scène contemporaine des motifs

minimalistes et répétitifs qui, pour être familiers à nos oreilles (on pense inévitablement à Glass, Reich et consorts, ou à Francesco Tristano), n’en sont pas moins palpitants et suggestifs. Ainsi, il en émane une mélancolie particulièrement vibratile. A ces quatre morceaux matriciels s’ajoutent quatre remixes substantiels, signés du New-Yorkais

Bryce Hackford, ayant pour effet premier d’accentuer la sensation de transe – mention spéciale à l’épique Remix III, long de treize minutes. Jérôme Provençal www.dfarecords.com

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la découverte du lab L’alchimie de ce trio montpelliérain, finalistes inRocKs lab 2015, tient dans un savant mélange de pop rocailleuse et de prose surréaliste. ls se sont rencontrés lors de leurs études à Montpellier : ce sont bien des enfants du Sud, venus des quatre coins du Languedoc – Colin (auteur/chant, guitare) du Gard, Romain (basse, synthés) de Lozère et Maxime (batterie) de l’Aude. Rock, chanson, pop, tout ça se mélange dans les morceaux de Volin. Aucune hiérarchie entre la musique et les mots, tant mieux pour eux : “La mélodie des mots, la façon dont ils sonnent guident parfois l’écriture.” Leurs baskets sont usées par des kilomètres de musique anglosaxonne (Radiohead, Connan Mockasin) absorbée jusqu’à plus soif, mais aussi beaucoup de lignes jazzy et de musiques improvisées : “Nous écoutons de la musique contemporaine et toutes sortes de musiques traditionnelles.” Côté France, leur cœur balance entre Bertrand Belin et Alain Bashung (duquel ils ont déjà étudié le répertoire à la suite d’une commande de reprises), “qui repoussent plus loin la recherche autour du chant des mots. Ces gens-là redéfinissent en quelque sorte les codes de la chanson”. Accompagné par la salle de la Paloma à Nîmes, le trio a signé un ep deux titres, Canon/Le Réveil, révélant sa prose surréaliste et la “sensation de liberté qu’elle procure et véhicule”. Pour financer son album, Volin vient de lancer une levée de fonds sur KissKissBankBank. Abigaïl Aïnouz

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concerts le 11 juillet aux Francofolies de La Rochelle, le 19 septembre pour la finale du concours Sosh aime les inRocKs lab, en écoute sur volin.bandcamp.com

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Chill Okubo

Volin

Fair de lance Avec l’aide du Fair, Léonie Pernet sortira bientôt son premier album. Un projet hybride qui secoue les habitudes de la nouvelle scène française.



ans sa loge, Léonie Pernet fume des clopes et fait des blagues. Sur scène, Chassol vient de terminer un concert hallucinant et Hindi Zahra prend la relève pour le reste de la soirée. Nous sommes en février au Plan, la jolie Smac de Ris-Orangis, pendant la tournée du Fair. Le Fair, Fonds d’action et d’initiative rock, est un dispositif d’aide à l’émergence qui sélectionne chaque année une quinzaine de groupes au succès en construction. Pour 2015, la liste contenait Feu ! Chatterton, We Are Match, Isaac Delusion, Fakear, Radio Elvis, Baden Baden, We Were Evergreen… et aussi Léonie Pernet, projet féminin solitaire mais assez costaud pour retenir une bonne partie de l’attention. “Il n’y a pas d’‘esprit Fair’, ni de cohérence artistique particulière. L’idée est plutôt de prendre une photo de ce qui se fait dans la scène musicale émergente. C’est vraiment du sur-mesure pour chaque artiste. Le Fonds a tenu compte de ce dont j’avais besoin à un moment précis, en l’occurrence un studio pour préparer mon premier album”, dit-elle. Repérée par le label Kill the DJ, Léonie Pernet construit une musique qui s’affranchit des codes

“il n’y a pas d’‘esprit Fair’, ni de cohérence artistique particulière. C’est vraiment du sur-mesure pour chaque artiste” Léonie Pernet

et interroge les genres : est-ce de l’electronica ? de l’ambient ? du rock progressif ? Peu importe, sans doute, tant que l’énergie de ses percus et de ses machines secoue une scène française très souvent tournée vers la pop, et dont le modernisme revendiqué se pratique parfois à deux vitesses. “La musique, c’est encore un monde de mecs, poursuit la musicienne. Quand tu es une fille, tu peux vite douter de ta légitimité. Quand j’arrive dans une salle, on me regarde un peu chelou en général. Il faut attendre que je joue de la batterie pendant les balances pour que l’ambiance et les regards changent. Avant ça, pour eux, je ne suis qu’une petite meuf qui se balade avec ses chansonnettes.” En ce moment, Léonie Pernet enchaîne également les concerts avec Aaron, pour qui elle assure le rôle de batteuse. Quand on la croise en mai au festival Europavox, à Clermont-Ferrand, c’est toujours la même histoire : des clopes et des blagues. Car Léonie est aussi drôle que sa musique est sérieuse ; un décalage compensé par ce qui les relie plus profondément : être coûte que coûte tourné vers l’avenir. Maxime de Abreu concert du Fair le 21 juin à Paris (place Denfert-Rochereau) avec Bigflo et Oli, Isaac Delusion, Fuzeta, Smokey Joe & The Kid concert de Léonie Pernet le 2 juillet à Paris (Gaîté Lyrique, dans le cadre du festival Loud & Proud) lefair.org

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

avec Aquaserge, Chassol, Ropoporose, The Telescopes, Pierre & Bastien, Charles de Goal, Ventre De Biche… Flo Morrissey 24/6 Paris, Point Ephémère Garbage 7/11 Paris, Zénith Iceage 17/8 Paris, Batofar

sélection Inrocks/Fnac

Festival Lives au Pont les 9 et 10/7, Pont du Gard, avec Flume, Lilly Wood & The Prick, The Parov Stelar Band, Brigitte, Jungle, Brodinski, Cypress Hill, Kaytranada…

The Pop Group à Paris Les héros postpunk seront samedi au Social Club et tenteront de prouver qu’ils n’ont rien perdu de leur mordant. Après trente-cinq ans (!) de silence discographique, ils ont sorti un nouvel album cette année.

Florent Marchet 5/7 Paris, Philharmonie

Anna Calvi, Ibeyi, Hot Chip, Foxygen… Jean-Louis Murat 20/6 ClermontFerrand Paris Psych Fest du 1er au 5/7, avec Clinic, The Horrors, King Gizzard & The Lizard Wizard, Jessica93, The Feeling Of Love, Dorian Pimpernel… Festival Pause guitare du 9 au 12/7 à Albi, avec Bob Dylan, Etienne Daho, Charlie Winston, Asaf Avidan… La Route du rock du 14 au 16/8 à Saint-Malo, avec Girl Band, Savages, Rone,

sélection Inrocks/Fnac Sónar festival à Barcelone Le festival Sónar est l’un des plus gros événements electro au monde. Trois jours de fête au cœur de Barcelone qui rassemblent des artistes confirmés et des pépites en devenir. Sónar est un festival connecté qui s’appuie sur la création numérique et les nouveaux médias. L’édition 2015 s’annonce encore une fois des plus alléchante, et ne compte pas uniquement sur les musiques électroniques : Kate Tempest, The Chemical Brothers, Rone, Die Antwoord, Jamie XX, Laurent Garnier, A$AP Rocky, Flying Lotus, Erol Alkan, Squarepusher, Autechre, Daniel Avery et bien d’autres encore seront présents. Only Real, Timber Timbre, Father John Misty… SBTRKT 18/7 Carhaix Swans 8/7 Paris, Trabendo

Tess Parks & Anton Newcombe 21/7 Paris, Maroquinerie The War On Drugs 6/7 Paris, Philharmonie, avec Other Lives

aftershow

Frànçois & The Atlas Mountains

Officine K

Andrew Bird 2/7 Paris, Philharmonie, avec Matthew E. White Big Festival du 11 au 19/7 à Biarritz, avec Jeff Mills, Brigitte, Paradis, Nina Kraviz, Selah Sue, Soko, Ben Klock, The Avener… Booba 26/11 Montpellier, 27/11 Talence, 28/11 SaintHerblain, 4/12 Metz, 5/12 Paris, POPB, 26/1 Lyon, 30/1 Lille Festival Cabaret vert du 20 au 23/8 à CharlevilleMézières, avec Paul Kalkbrenner, The Chemical Brothers, Etienne Daho, Tyler The Creator, Jungle, Rone, Benjamin Clementine… Christine And The Queens 21/7 Festival de Nîmes, avec Etienne Daho, Perez, Benjamin Clementine Delta Festival 27/6 Marseille, avec Blonde, Milk & Sugar, Gush, Faul, Kristian Nairn (Hodor), Lost Frequencies, Mozambo, Ninetoes Eurockéennes de Belfort, du 3 au 5/7, avec Jeanne Added, Angus & Julia Stone, Christine And The Queens, Etienne Daho, Fakear, Grand Blanc, Forever Pavot, Major Lazer, Big Freedia, Run The Jewels… Festival Ferme électrique les 3 et 4/7 à Tournan-en-Brie,

Montreux Jazz Festival du 3 au 18/7, avec The Chemical Brothers, A$AP Rocky, Baxter Dury, D’Angelo And The Vanguard, Alabama Shakes, Benjamin Booker,

festival Villa Aperta du 4 au 6 juin à Rome (Villa Médicis) Pour sa sixième édition, le festival Villa Aperta fut l’occasion de passer trois soirées à danser sur les petits gravillons de la piazzale de la Villa Médicis grace à des DJ-sets maîtrisés de Miss Kittin, Louisahhh!!! & Maelstrom, Cassius ou Para One. Un tsunami de beats lourds à en faire tressauter de plaisir les bas-reliefs de la façade et à imprimer sur les visages un sourire persistant. Invité d’honneur, Nicolas Godin dévoilait en ouverture et en live son premier album solo, Contrepoint, projet pensé et construit durant quatre années à partir de l’œuvre de Bach. Mêlant les langues et les grammaires, Nicolas Godin abat les frontières et, malgré un volume sonore un peu faible, enchaîne les morceaux (principalement instrumentaux) avec une grande élégance. Le lendemain, c’est le duo français Torb qui déploiera sa techno moite et chamanique s’accordant à merveille avec le temps caniculaire romain, produisant un set habile et entêtant, du genre à tracer la liaison entre la grâce de la trance italienne et la techno de Detroit. Enfin, pour la dernière soirée, Frànçois & The Atlas Mountains livre un concert d’une rare beauté. Là, face au soleil déclinant et aux pins parasols, le groupe enchaîne les morceaux, petites bombes explosant à la gueule d’un public transporté. C’est beau, c’est bon et ça se donne à fond sur des chorés synchronisées. Cette débauche d’énergie et de plaisir restera le temps fort de ce festival qui offrira dans la foulée à un public comblé de belles performances du flûtiste inspiré Magic Malik et de la légende afrobeat Tony Allen. Amen. Diane Lisarelli 17.06.2015 les inrockuptibles 85

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Collection Goliarda Sapienza/Angelo Maria Pellegrino

l’ivresse de la liberté Un récit inédit, une réédition et une biographie : trois bonnes raisons de revenir à Goliarda Sapienza, résistante italienne, féministe, bisexuelle et écrivaine hors norme, auteur d’une œuvre libre et sensuelle.

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ire qu’on aurait pu passer à côté de Goliarda Sapienza. Cette captivante auteur italienne a pourtant toute sa place dans un panthéon littéraire rêvé et iconoclaste, auprès de Jean Rhys, Violette Leduc ou Jane Bowles, des femmes au style très différent mais au destin aussi romanesque que celui de leurs héroïnes ; des figures un peu marginales

mais capitales dans leur façon de bousculer les codes et d’inspirer une force, un élan transformateur à celles et ceux qui les lisent. Pendant des années, son œuvre est restée dans l’ombre. Jusqu’à la publication en France, en 2005, presque dix ans après sa mort, de son grand roman L’Art de la joie aux éditions Viviane Hamy. Cette ample fresque solaire et charnelle, passée inaperçue lors de sa première parution en

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un alliage de sensualité, d’engagement et d’esprit critique au service d’une remise en cause permanente de la société et de ses règles

Italie à la fin des années 90, rencontre enfin le succès et relance l’intérêt pour les textes de Goliarda Sapienza. Ancré dans la terre chaude de la Sicile, le livre, qui vient d’être réédité dans une traduction entièrement revue, raconte la vie de Modesta, une insoumise qui s’extirpe du milieu pauvre dans lequel elle est née, découvre le communisme, assume sa bisexualité et traverse le XXe siècle, ses guerres et ses révolutions, avec fougue et fureur. Il y a beaucoup de Goliarda chez Modesta. Elle aussi est née en Sicile, à Catane, en 1924, dans une famille socialiste anarchiste. Sa mère, Maria Giudice, institutrice, dirige un temps Le Cri du peuple, journal dont Gramsci est le rédacteur en chef. Son père, Giuseppe Sapienza, est surnommé “l’avocat des pauvres”. Entraînée au tir et à la boxe par ses frères, Goliarda combat dans la Résistance. Après la guerre, elle débute sa carrière au théâtre. Visconti la fait jouer dans Senso. Goliarda sera son assistante sur le tournage des Nuits blanches. Elle délaisse la scène et le cinéma pour se consacrer à l’écriture. Une période difficile, entre tentatives de suicide et internements en asile psychiatrique. Elle publie deux premiers récits, Lettres ouvertes et Le Fil de midi, puis se lance à corps perdu dans l’écriture de L’Art de la joie. Le roman est refusé par tous les éditeurs. L’argent manque, l’absence de reconnaissance par le milieu culturel devient pesante, cruelle. “Ce fut pour briser le silence et l’omerta imposés par la figure tutélaire de ce monde que Goliarda commit un vol symbolique”, écrit son dernier compagnon Angelo Maria Pellegrino dans le bref texte qu’il lui consacre. Invitée à une soirée mondaine, Goliarda dérobe les bijoux de la maîtresse de maison, ce qui lui vaudra d’être incarcérée dans la prison pour femmes de Rebibbia. Expérience qu’elle raconte dans L’Université de Rebibbia ainsi que dans Les Certitudes du doute, récit traduit pour la première fois en français, qui clôt son cycle autobiographique, auquel elle a donné le titre général d’Autobiographie des contradictions. Comme elle l’écrit dans ses Carnets, “dans mon cycle aussi il y aura des mensonges, personne d’entre nous ne peut en être exempt, mais au moins ils seront contredits à chaque pas, ou renversés, ou reconnus comme des erreurs nocives”. Dans son existence comme dans ses livres, elle cultive l’art du paradoxe. Son nom à lui seul est un oxymore. Goliarda, son prénom, que l’on pourrait traduire par “paillard”, vient d’un mot qui désignait des clercs itinérants, auteurs de chansons grivoises. Et son patronyme, Sapienza, signifie “sagesse”.

Un alliage de sensualité, d’engagement et d’esprit critique pour une remise en cause permanente de la société et de ses règles. Dans Les Certitudes du doute, l’écrivaine revient sur sa passion pour Roberta, une jeune fille dont elle a partagé la cellule à Rebibbia. Quand elle la retrouve dehors, elle retombe sous le charme, succombe à “sa belle voix profonde, avec des chutes argentines de monnaies mélangées à des grondements telluriques”. On est au début des années 80. Goliarda aborde la soixantaine ; Roberta a encore l’allure d’une gamine. A 24 ans, elle a déjà passé dix ans en prison. C’est là qu’elle s’est formée. Accro à l’héroïne, Roberta fréquente les Brigades rouges, trempe dans des activités louches, se radicalise. Goliarda sait qu’elle joue avec le feu. Elle s’adresse à elle-même des invectives en forme d’autocritique ironique et cinglante. Exemple : “Tu es l’habituelle foutue connasse idéaliste tout juste bonne pour cette époque naïve d’avant la bombe atomique.” Roberta est comme son “miroir diabolique”. Goliarda la désire, mais l’aime aussi comme sa fille. Doit-elle tenter de la sauver ou la fuir ? Porté par une écriture pulsatile – Pellegrino ne dit-il pas de la graphie menue de Sapienza qu’elle est semblable à un “électrocardiogramme” ? – Les Certitudes du doute prend l’allure d’une course folle, hyper cinématographique, dans les rues de Rome. En taxi, à pied, à bord d’une voiture volée. L’ivresse de la liberté propre à celles qui ont connu l’enfermement, ainsi que l’exprime Roberta : “(…) un tel appétit des rues, des magasins, des visages nouveaux que je suis prise d’un désir démesuré de mouvement que rien ne parvient à calmer.” Hormis un nouvel emprisonnement. Au cours d’un de leurs échanges, Roberta demande à Goliarda pourquoi elle écrit. Pour, répond-elle, “raconter aux autres – je ne crois pas qu’on écrive pour soi-même – les visages, les personnes que j’ai aimées et ainsi, je sais que ça peut paraître sentimental et naïf mais je m’en fous, et ainsi – disais-je – prolonger de quelques instants leur existence et peut-être aussi la mienne”. Et donner la chance à ses lecteurs de la rencontrer. Elisabeth Philippe Les Certitudes du doute de Goliarda Sapienza, traduit de l’italien par Nathalie Castagné (Le Tripode), 200 pages, 19 € L’Art de la joie de Goliarda Sapienza, traduit de l’italien par Nathalie Castagné (Le Tripode), 640 pages, 23 € Goliarda Sapienza telle que je l’ai connue d’Angelo Maria Pellegrino, traduit de l’italien par Nathalie Castagné (Le Tripode), 64 pages, 9 € 17.06.2015 les inrockuptibles 87

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Roland Allard

au cœur des ténèbres Ce sera un ballet de Preljocaj au Festival d’Avignon cet été. Retour à Berratham de Laurent Mauvignier évoque le martyre d’une femme dans une société masculine et totalitaire. Suffocant.

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maginons n’importe quelle région du monde contrôlée par un régime obscurantiste. Une jeune femme tombe enceinte après sa seule nuit avec un homme aimé, bientôt chassé par la guerre. Pour sauver les apparences, gommer la honte de ce futur orphelin, sa famille la marie de force. Elle quitte le foyer conjugal mais paie cette fugue de sa vie, victime d’un lynchage. Ecrit en vue d’une adaptation scénique par Angelin Preljocaj, Retour à Berratham rappelle le thème du premier texte de Laurent Mauvignier pour le chorégraphe. Ce que j’appelle l’oubli rapportait un fait divers survenu à Lyon en 2009 : la mise à mort d’un SDF par des agents de sécurité dans un supermarché. Cette nouvelle “création”, qui sera jouée à Avignon cet été, réunissant comédiens et danseurs, se penche sur un mécanisme commun de violence, qui désigne le processus à l’œuvre dans des actes de barbarie rendus banals par une société. Laurent Mauvignier, qui teste fréquemment de nouvelles formes

de discours, épouse ici un dispositif théâtral en faisant alterner les voix – plusieurs narrateurs, une sorte de choryphée de tragédie grecque… La pièce est centrée sur un jeune homme de retour chez lui, sur les traces de son amour de jeunesse, accueilli par un décor lugubre et postapocalyptique. Une zone de non-droit, où sévissent bandits et mercenaires, qui ne pensent qu’à lui chiper ses “grolles” et à le menacer d’une arme. La violence va crescendo, dans ce paysage d’après-guerre, en quatre-vingt pages portées par une énergie hagarde et suffocante. L’auteur joue parfaitement bien de la mythologie du rescapé, du revenant, apparu pour “frôler le fantôme de sa propre vie” mais embarqué par son chagrin et les Erinyes de la vengeance. Un texte radical, dont les accents d’inéluctable risquent de recevoir un accueil fiévreux sur la scène de la cour d’Honneur du palais des Papes. Emily Barnett Retour à Berratham (Minuit), 80 pages, 9,50 €

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seuls au monde Ancienne voix de France Culture, Frank Smith joue à merveille de sa science du langage et des sons pour décrire le quotidien déclinant d’une île de Louisiane et de ses derniers habitants, abandonnés de tous. ’Isle de Jean dans ce texte remarquable. l’île. L’auteur se lie d’amitié Charles, sur le bord Son oreille sait capter et avec les uns et les autres. du Golfe du Mexique, retranscrire les moindres Après Katrina, il décide d’y est un territoire bruits et ce qu’ils révèlent revenir une fois, deux fois, désolé. Un mélange – silence, sous-entendus, trois fois. Ainsi naît ce livre, de marécages, de bayou vent qui préfigure récit de ses séjours sur et de baraquements. un ouragan à venir. ce lopin de terre, devenu La terre s’enfonce, les L’auteur lie aussi aujourd’hui une partie vieux meurent, les jeunes les drames humains de lui-même. partent. Comme une à la géographie, l’érosion Auteur iconoclaste malédiction, des ouragans de cette langue de terre naviguant entre la fiction viennent régulièrement à la disparition du français expérimentale, la poésie frapper la communauté que parlaient les aïeuls, contemporaine et le d’Indiens qui y vit depuis peu à peu remplacé par les documentaire, Frank Smith un siècle et demi. En 2004, anglicismes et l’amnésie. est aussi une voix bien Frank Smith y passe “Entre chaque mot, écrit-il, connue des auditeurs quelques mois, dans il y a une mer de non-dits, de France Culture, où il fut le cadre d’un documentaire des flots et des rivières pendant de nombreuses radiophonique. Il enquête et des trous de silence. années coresponsable sur un projet de barrage, Ces gens s’expriment peu, de L’Atelier de création prévu par les autorités ils bredouillent, la plupart radiophonique. C’est pour protéger toutes les du temps. Avec des précisément son travail côtes de la Louisiane, mais accidents entre ce qui est sur la voix, les sons et la qui évite soigneusement dit et leurs dents.” langue qui frappe d’abord

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Figure emblématique d’une des trois tribus et personnage attachant, Marie-Lynn lui demande à un moment : “‘Est-ce qu’ils réintégreront tous un jour, les kids ?’ (“Est-ce qu’ils reviendront un jour, nos enfants ?”). Tu ne sais pas, ne réponds pas. Tu penses, tu crois que non. Tu sais qu’elle le sait aussi.” Récit durassien porté par une poésie indescriptible, Katrina est un grand livre sur la disparition d’une communauté. Aussi bouleversant que Dans le nu de la vie de Jean Hatzfeld. Yann Perreau Katrina – Isle de Jean Charles, Louisiane (Editions de l’Attente), 136 pages, 11 €

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The Idler Academy

le club des oisifs Le burn-out vous guette ? Paresseux de tous pays, unissez-vous ! Redécouvrez l’art de l’oisiveté avec la revue littéraire anglaise The Idler.

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ace au surmenage et à l’injonction de rentabilité et de productivité que nous subissons, des écrivains et penseurs rebelles revendiquent aujourd’hui le droit à la paresse. “Spécialiste mondial de la sieste”, comme il aime à se définir, Dany Laferrière, de l’Académie française, publiait l’année dernière L’Art presque perdu de rien faire, “qui est ni plus ni moins un art de vivre”, précise-t-il. Et une excellente thérapie contre le workaholism. A l’heure où le burn-out est en passe d’être reconnu par l’Assemblée nationale comme une maladie professionnelle, Michel Rocard cite Paul Lafargue en modèle pour le XXIe siècle. “Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. (...) Cette folie est l’amour du travail (...)”, écrivait le philosophe anarchiste dans son pamphlet Le Droit à la paresse en 1880. Le texte sera mis en scène à Avignon cet été, interprété par Hervé Colin. Il fait aussi l’objet de nombreuses rééditions, des éditions de La Découverte à l’excellente collection Ne travaillez jamais !

The Idler Academy, à Londres : un lieu pour se la couler douce

chez Allia, qui propose également les classiques sur le thème, de Robert Louis Stevenson (Une apologie des oisifs), Bertrand Russell (Eloge de l’oisiveté), Herman Melville (Bartleby) ou encore Clément Pansaers (L’Apologie de la paresse). Chez les dandys, si Philippe Katerine chante “c’est extraordinaire, de ne rien faire, rien faire du tout, c’est un peu fou, mais il faut le faire”, il le doit sans doute à Oscar Wilde qui, le premier, décréta l’art de ne rien faire comme but ultime de toute vie réussie. Mais il faut rendre à César : ce sont bien les Anglais qui surent faire de l’oisiveté une sorte de qualité esthétique autant qu’une forme de littérature. Série de textes initialement écrits par Samuel Johnson sous pseudonyme (“l’Oisif”), The Idler devint une revue dans laquelle sévirent, au XIXe siècle, Arthur Conan Doyle, Jerome K. Jerome ou Robert Louis Stevenson. Elle fut redécouverte il y a quelques années par un grand oisif british devant l’éternel, Tom Hodgkinson. Celui-ci la fit renaître de ses cendres, publiant tous les trois mois cette revue au graphisme

soigné, devenue aujourd’hui un laboratoire d’idées, d’utopies et d’expérimentations loufoques qui compte notamment parmi ses contributeurs Will Self, Louis Theroux ou encore Damien Hirst. Dandysme, second degré et contestation : on retrouve dans The Idler version XXIe siècle les qualités de l’ancienne revue. Elle s’est fait sponsoriser par une marque d’absinthe, a publié un numéro spécial sur les “villes les plus pourries d’Angleterre” et a érigé en héros de l’oisiveté des hurluberlus comme Homer Simpson, Kramer de Seinfeld ou encore Fat Freddy’s Cat de Gilbert Shelton (sans oublier Eric Cantona pour son côté rebelle). The Idler a désormais ouvert son propre lieu, The Idler Academy, une librairie dans le quartier de Notting Hill, à Londres. On peut s’y inscrire et suivre des cours de pêche à la ligne, de ukulélé, de calligraphie ou de philosophie sur l’art de se la couler douce. On trouvera tout cela et les archives complètes sur le site de la revue. Yann Perreau idler.co.uk

la 4e dimension Jean-Philippe Toussaint rechausse les crampons Neuf ans après La Mélancolie de Zidane, le romancier belge signe une nouvelle ode au ballon rond, simplement intitulée Football (Minuit), en librairie le 24 septembre. Un livre dans lequel il souhaite transformer la “matière vulgaire” du foot en une “forme immuable” liée à l’enfance.

le come-back de Nick Hornby L’auteur de Haute fidélité revient à la rentrée avec Funny Girl (Stock, 19 août), nouvelle comédie sur la pop culture. Il sera à Paris le 17 juin, à 19 h, pour une rencontre à la Maison de la poésie dans le cadre du festival Tandem. www.maisondelapoesieparis.com

Despentes jurée du Femina La romancière vient de rejoindre les jurées du prix Femina qui compte, entre autres, Josyane Savigneau et Camille Laurens. Interrogée à ce sujet sur France Inter, elle s’est dite encore “surprise” : “Le monde des prix littéraires n’est pas mon élément premier.”

les écrivains français, stars internationales A boire et à manger. Dans la liste des dix écrivains français les plus lus à l’étranger, on trouve certes Michel Houellebecq et Marie NDiaye, mais aussi Marc Levy, Guillaume Musso, Muriel Barbery et un certain François Lelord.

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Anneli Furmark Hiver rouge Çà et Là, traduit du suédois par Fanny Törnberg, 168 pages, 18 €

Quand l’amour et la politique s’emmêlent dans la Suède des seventies. ans la Suède des années 1970, tout en soulignant constamment Siv, mariée, mère de famille l’importance de la nature et et sociale-démocrate, tombe du climat sur ses protagonistes. amoureuse d’un jeune maoïste, Dans Hiver rouge, elle en Ulrik. Alors que Siv doit mentir profite aussi pour s’interroger à son mari et à ses trois enfants, sur l’engagement – et Ulrik tente quant à lui de cacher l’endoctrinement – en politique. la chose à ses camarades de parti. Son écriture est subtilement Tous deux finissent par poétique et ses dialogues sonnent comprendre qu’amour et politique toujours juste, autant quand ne font pas bon ménage. Les deux fillettes discutent bonbons enfants, de leur côté, s’aperçoivent que quand les deux héros causent vaguement que quelque chose passion et révolution. Les teintes tourmente leurs parents, mais crépusculaires de son aquarelle continuent néanmoins à vivre leurs contribuent à la mélancolie expériences d’enfants, à grandir. de l’album et dépeignent Comme dans son précédent et parfaitement les interrogations très beau Centre de la terre, Anneli des personnages, la froideur de Furmark décortique avec empathie cet hiver suédois et ces rues où nuit et précision les mécanismes des et faux calme règnent presque relations amoureuses et familiales, toute la journée. Anne-Claire Norot



Fabcaro Zaï zaï zaï zaï 6 pieds sous Terre, 72 pages, 13 €

Le monde délirant de Fabcaro démonte les pires travers de nos sociétés. Ne pas avoir sur soi sa carte la société de consommation les quidams qui rabâchent de fidélité du supermarché et la frénésie insensée qui des idées prémâchées. constitue une infraction peut s’emparer des médias Rien ne lui échappe, grave à la loi dans le monde lors des faits divers les plus l’égoïsme rampant caché tordu de Zaï zaï zaï zaï. insignifiants. Mettant dans derrière les bonnes Un jeune auteur de BD la bouche de personnages intentions, la solidarité l’apprend à ses dépens et inexpressifs les enfilades de surface, les se retrouve en cavale, police de clichés et les expressions conspirationnistes, les et médias sur ses traces. toutes faites venues considérations de machine La terre entière semble directement du jargon à café. Une satire cruelle suivre la course-poursuite médiatique, il étrille qui ne tombe heureusement et, surtout, tout le monde les spécialistes des plateaux pas dans le “tous pourris” a un avis sur l’affaire. Avec télé, les présentateurs, grâce à son humour acidité, Fabcaro épingle les journalistes, absurde et délirant. A.-C. N. 92 les inrockuptibles 17.06.2015

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Hugo Marty

le carnaval des animaux Entre cirque, danse et musique, avec des chevaux et même des oiseaux, Baro d’Evel Cirk comme Zingaro, vus aux Nuits de Fourvière, font le pari d’un théâtre où l’animal a autant sa place que l’humain.



e ‘fricotement’ du rien avec le tout” : cette phrase prononcée par Blaï Mateu Trias en cours de spectacle est comme le résumé de ce qui, un peu plus d’une heure durant, se passe sous le chapiteau de la compagnie Baro d’Evel Cirk. Le rien ou presque se nicherait dans ces vols d’oiseaux, perruche ou corbeau-pie, qui décoiffent le public. Le tout et le reste, ce serait un ouvrage fragile tressant cirque, danse et musique. Bestias n’entend pas réinventer le cirque d’auteur

“le cheval est un miroir. Il y a des chevaux qui t’inspirent plus ou moins, mais ça reste ce que tu as été capable de lui donner” Bartabas

mais Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias ont une vision bien à eux du rapport à l’animal. “Travailler en liberté avec le cheval, c’est se plonger dans sa pensée latérale de l’espace ; entrer en dialogue avec lui, c’est se connecter avec son centre de gravité tout en restant conscient de son ultra sensibilité à tous ceux qui l’entourent.” Il y a deux chevaux dans Bestias, Bonito et Shengo. Et un homme qui se prend pour un des leurs. Une petite fille l’encourage à coups de “caballo”. Plus tard, on verra arriver sur la piste des buissons à deux pattes – des interprètes emballés dans de la paille qu’ils répandent au sol. On pense aux Wild Men immortalisés par le photographe Charles Fréger.

Bestias est une suite de tableaux, dont certains très chorégraphiés. La musique – voix, orgue, guitare, percussions – y circule en toute liberté. Bestias est une création où il fait bon se perdre. D’une certaine façon, Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias sont des “enfants” de Zingaro, le théâtre équestre imaginé par Bartabas, avec lequel ils partagent l’affiche des Nuits de Fourvière. Bartabas arrive à Lyon en terre conquise : il est loin, cependant, le temps du Cabaret équestre. Aujourd’hui, Zingaro se déplace avec une vingtaine de semi-remorques, réunit une troupe conséquente de cavaliers et leurs montures, sans oublier un petit orchestre. Pourtant, il reste quelque chose d’artisanal dans leur métier.

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plaisir de rire Décortiquer les ressorts du comique et en faire un spectacle, il fallait oser. Jos Houben a créé L’Art du rire et c’est irrésistible. -t-on déjà vu un magicien expliquer ses tours ? La métaphore vaut ce qu’elle vaut, mais ce qu’ont en commun l’illusionniste et le comique repose bel et bien sur la production d’un phénomène, d’un événement, dont le public se fait volontairement le captif amoureux, le cobaye consentant, le crédule ébaubi. Si bien qu’on ne va pas voir, ou revoir, L’Art du rire de Jos Houben, dont la première version remonte à 1998, pour autre chose que ce qui fait le sel du comique : rire un bon coup ; mais, et cela ajoute au plaisir, en connaissance de cause. Lui appelle son show un séminaire, une masterclass dont le sujet est le rire. Et l’objet, le corps. En l’occurrence, le sien : “Un spécimen masculin, d’1,87 m, belge, vertical.” Car, tout est là, dans cette verticalité qui, du bébé à l’adulte, de l’homo erectus à l’homo ludens (celui qui joue), compartimente en trois étages les données fondamentales de son rapport au monde. Bassin, poitrine et tête se portent différemment selon les caractères et les situations vécues, dont une fine observation, maître mot du comique en herbe, permet d’hilarantes démonstrations. Arrogance, manque de confiance en soi, perte de dignité ou réflexions vaseuses ont le chic pour se localiser dans l’un des trois étages corporels et modifier ou ruiner cette belle verticalité. Le rire est toujours une réaction soudaine à un événement imprévu qui met en péril l’équilibre. D’où l’imparable chute comme point d’orgue du comique, au point que le langage s’en est emparé pour désigner la résolution d’une blague. De fil en aiguille, Jos Houben détaille l’éventail de la panoplie du comique où interviennent la durée, la tension musculaire, le conflit entre deux mouvements ou leur déconstruction, l’anthropomorphisme, ou la capacité à imiter des choses, du fromage par exemple, en leur donnant des caractéristiques humaines. Le rire est insolent, subversif, amoral, contagieux. Il ne se décrète pas, il surgit. En nous dévoilant ses ficelles et son mécanisme, Jos Houben nous offre en partage l’éclatante démonstration que le rire est le propre de l’homme. Sa soupape, son court-circuit salvateur à la raideur que le réel impose. Fabienne Arvers

A  On achève bien les anges – Elégies, de Bartabas

On achève bien les anges – Elégies est une fantastique machine à rêver qui s’accommode du timbre rocailleux de Tom Waits, dont les chansons forment une des trames musicales. Bartabas lui-même s’y est donné le beau rôle, clochard céleste maquillé à outrance. Ces dernières années, il avait privilégié les duos avec des danseurs, Ko Murobushi ou Andrès Marin. Il reprend les choses en main, convoque des anges-cavaliers, invente des nuages de mousse. Dans ce spectacle, le cheval est encore et toujours le meilleur ami de l’homme. “Le cheval est un miroir. Il y a des chevaux qui t’inspirent plus ou moins, mais ça reste ce que tu as été capable de lui donner.” On achève bien les anges – Elégies est du genre généreux et mélancolique. Philippe Noisette Bestias conception Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, du 29 juin au 25 juillet à l’Espace chapiteaux de la Villette, Paris XIXe, lavillette.com On achève bien les anges – Elégies conception Bartabas, jusqu’au 18 juillet au Parc de Parilly, Lyon, dans le cadre des Nuits de Fourvière, nuitsdefourviere.com

L’Art du rire conception et jeu Jos Houben, jusqu’au 28 juin au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, theatredurondpoint.fr 17.06.2015 les inrockuptibles 95

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Andreas Gursky, F1 Boxenstopp I-IV, série Pit Stop, 2007 © Monika Sprüth Galerie, Köln/Adagp, Paris, 2015

accrochage 3 La Fondation Louis-Vuitton dévoile une nouvelle partie de ses collections contemporaines. Gilbert & George, Andy Warhol, Andreas Gursky ou encore Christian Marclay sont au menu, jusqu’en octobre.



a Fondation LouisVuitton remodèle son paysage intérieur avec un nouvel accrochage d’œuvres de sa collection, cette fois résolument contemporaines. A la fin du mois de juillet, de nouvelles pièces récentes viendront remplacer les chefsd’œuvre “modernes” de l’exposition Les Clefs d’une passion. Mais cela dit, on y voit déjà mieux la logique qui organise la collection. L’accrochage 1 dévoilait l’architecture et son événement, exposait Frank Gehry en grandeur nature comme en version maquette et, pour conforter la chose, on avait passé commande à plusieurs artistes (Taryn Simon, Sarah Morris) pour dialoguer avec le bâtiment. Puis, accrochage 2, l’expo Les Clefs d’une passion visait à donner une dimension muséale. Se manifestait l’ambition de la Fondation et la

puissance de l’entreprise LVMH à dialoguer avec les grands musées de ce monde auxquels étaient empruntées des œuvres énormes de la modernité picturale, tel Le Cri de Munch. Enfin vient l’accrochage 3, avec au fond toujours la même question : de quoi cette collection est-elle le nom ? D’abord, on commence à s’habituer au bâtiment, qui pour autant ne s’efface pas. Par endroits, on reste soufflé par sa puissance, par son innovation technique, mais on mesure aussi toute la difficulté qu’il y a à y exposer des œuvres d’art. D’ailleurs l’artiste Douglas Gordon est venu lui-même installer les jeux de reflets, les répercussions visuelles de son œuvre vidéo (un peu trop humaniste mais impeccable esthétiquement). Dans les pleines salles des galeries, l’architecture se fait oublier et les œuvres s’inscrivent

avec force. A l’image de la très belle salle consacrée au retraitement artistique de la culture populaire, autour d’un triptyque de Gilbert & George, de deux grandes toiles imprimées d’Allora & Calzadilla montrant des soldats US jouant aux superhéros le soir d’Halloween, et d’une étonnante série photo d’Andreas Gursky (lire encadré). En vouant une sorte de chapelle à quelques cultissimes autoportraits d’Andy Warhol (le premier, 1963, le dernier, 1986, et les Polaroid en travesti), la directrice artistique de la Fondation Suzanne Pagé parvient à se jouer du lieu. C’est plus difficile ailleurs, quand les œuvres s’avèrent plus faibles (Jaan Toomik) ou quand elles occupent des couloirs traversants (Richard Prince, Mohamed Bourouissa). Ce nouvel ensemble suit deux axes thématiques :

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grand prix 2 la ligne “popiste”, qui a trait à la culture populaire, et la ligne “musique/son”. Dans les faits, ces thèmes se croisent sans cesse, n’enfermant donc pas les œuvres dans une section particulière. Au croisement, un chefd’œuvre époustouflant vous revient en pleine poire : la vidéo quatre écrans Crossfire (2007) de Christian Marclay, qui vous place au centre d’une fusillade extraite d’une myriades de films, le tout sur un rythme extrêmement travaillé par l’artiste. Mais par-delà ces lignes thématiques très basiques, s’impose surtout le goût extrême avec lequel ont été décidées ces œuvres. La collection Louis-Vuitton, c’est ça : des pièces de choix prélevées dans la forêt du contemporain. Par là, l’accrochage 3 correspond à l’idée qu’on se fait d’une maison de luxe, et à l’image qu’elle entend donner d’elle-même : une monstration d’excellence. Jean-Max Colard

Arrêt au stand sur une série de choix : Andreas Gursky. C’est le moment de l’arrêt au stand : une séquence stratégique, toujours très technique des grands prix de F1. Le photographe allemand Andreas Gursky a réalisé ses prises de vue à Monaco et à Shanghai. Les gestes, très calculés, répétés des dizaines de fois par le staff technique, se jouent en moins d’une dizaine de secondes. C’est le moment d’un arrêt sur image : ainsi figé, le direct télévisuel se mue en un ballet chromatique et fait apparaître la surfabrique d’un spectacle. Des caméras murales ou mobiles, et au-dessus du staff cette longue galerie de spectateurs qui mitraillent le changement de pneus et le plein d’essence. Mais l’histoire ne nous dit pas ce qui aura arrêté sur ces images le collectionneur Bernard Arnault : leur surface séductrice ou leur mise en abyme de la société du spectacle ? Car pour épurer sa composition, Andreas Gursky retouche et manipule ses photographies à l’ordinateur. D’où ce mélange troublant de netteté et d’irréalité, cette sensation d’atteindre là une sorte d’allégorie iconique, d’abstraction personnifiée du spectaculaire. Le format allongé, plutôt rare chez Gursky, n’est d’ailleurs pas sans évoquer La Cène de Léonard de Vinci. Sauf qu’ici ce serait peut-être la voiture qui serait devenue l’idole, entourée par les apôtres du staff technique. A moins que le vrai centre de cette scène d’adoration ne soit au fond qu’une zone obscure, vide et aveugle. Vanité du contemporain ? Non seulement le motif est doublé sur chaque image, formant en soi un diptyque, mais ce sont quatre images de la même série F1-Boxenstopp (2007) de Gursky qui sont ici exposées, d’où huit arrêts au stand, donnant l’impression très warholienne d’un spectacle en série. Vanité des vanités. jmx

jusqu’en octobre (exposition complétée à partir du 28 juillet) à la Fondation Louis-Vuitton, Paris XVIe, fondationlouisvuitton.fr 17.06.2015 les inrockuptibles 97

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Pierre Wayser

silence, on tourne la page Depuis que le CSA l’a désignée, le 23 avril, patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte-Cunci ne s’est pas exprimée. Alors que les conditions de sa nomination sont critiquées, elle prépare en coulisses ses équipes. Sans Thierry Thuillier, qui quitte la direction de France 2 et de l’information. 98 les inrockuptibles 17.06.2015

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Delphine Ernotte-Cunci devra donner des signes de son intégrité, afin d’engager son mandat dans des conditions politiques apaisées

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ue se trame-t-il à France Télévisions ? Depuis que le CSA a nommé, le 23 avril, Delphine Ernotte-Cunci à la tête du groupe, rien ou presque ne s’ébruite des changements en préparation, autant au niveau des cadres dirigeants que des orientations stratégiques. Le calme apparent du moment, à l’abri des regards, promettrait-il une tempête à venir ? Au flou manifeste de son projet présenté devant les sages du CSA, la nouvelle patronne de la télévision publique n’a encore opposé aucun éclaircissement notable. Avant de prendre officiellement ses fonctions le 22 août, l’ex-directrice générale d’Orange France a fait le choix de rester discrète et de prendre le temps nécessaire à la mise en place de sa stratégie et du recrutement de ses équipes dirigeantes. La passation de pouvoirs sera patiente. Respectant à la lettre la règle du “tuilage”, elle a au moins pris une première décision étonnante : le choix du très jeune Stéphane Sitbon-Gomez, 27 ans, comme directeur de cabinet (le poste n’existait pas sous Rémy Pflimlin). Ancien directeur de la campagne présidentielle d’Eva Joly, puis conseiller de Cécile Duflot au ministère du Logement, ce militant écologiste devra mobiliser son sens politique pour piloter le navire amiral de la télévision publique, pouvoir influent, convoité et compliqué à manier. A part son directeur de cabinet, et son conseiller en stratégie et communication, Denis Pingaud, déjà à la manœuvre auprès du patron de Radio France Mathieu Gallet, on ne sait toujours pas quelle sera sa garde rapprochée, directeurs des chaînes et des opérations transversales (stratégie et programmes, information). On sait juste que Thierry Thuillier ne sera pas de l’aventure Ernotte. Le directeur de France 2 et de l’information du groupe a donné sa démission au président Pflimlin, préférant rejoindre le groupe Canal+ pour y diriger les sports. Beaucoup en interne regrettent le départ de Thierry Thuillier, salué pour son énergie, son écoute et l’habileté avec laquelle il a su en peu de temps consolider les audiences de France 2 et reconstituer un climat de confiance au sein de la chaîne longtemps fragilisée par une instabilité managériale. Rémy Pflimlin l’a d’ailleurs remercié “très chaleureusement pour son engagement sans faille en faveur de France Télévisions”, en renforçant notamment “sa place de référence en matière d’information”. Le projet qu’il portait – la fusion des rédactions de France 2 et France 3 – a certes suscité des remous parmi les journalistes,

surtout du côté de France 3 (le syndicat SNJ-CGT évoquait dans un récent communiqué une rédaction “humiliée, brisée, brutalisée”). Mais la fusion devrait se poursuivre, sans qu’on sache encore selon quelle modalité et sous quelle autorité, depuis qu’on a appris que le directeur de l’info de BFMTV Hervé Béroud avait refusé le poste proposé par Delphine Ernotte-Cunci. Autre incertitude : qui aura la main sur les développements numériques, l’autre axe stratégique déployé sous Pflimlin ? Bruno Patino, qui assurait la fonction, devrait quitter le groupe, selon une source interne. En attendant l’installation de Delphine Ernotte-Cunci, il assurera la direction de l’antenne de France 2, en plus du numérique. La nouvelle application pour smartphone Francetv Zoom, qu’il a présentée le 2 juin, marque pour lui “la première étape de la création de chaînes mobiles pour France Télévisions” : une offre qui permet aux utilisateurs qui “vivent la diffusion linéaire comme une contrainte” de retrouver les programmes des antennes via des extraits en fonction du temps disponible. Mais, avant même de préciser quelles seront ses priorités pour les développements numériques, le premier sujet de crispation qu’affronte Delphine Ernotte-Cunci tient aux conditions de sa nomination, critiquées pour son opacité. Laurent Mauduit de Mediapart estime que sa désignation a été entachée de plusieurs irrégularités, comme le manquement aux règles d’équité de la part d’une membre du CSA, Sylvie PierreBrossolette, les modifications des règles du scrutin au sein du CSA ou le plagiat du projet d’un candidat rival, Didier Quillot. Lequel a déposé une plainte devant la justice pour “abus d’autorité”, qui s’ajoute à celles des syndicats SNPCA-CGC et CFDT. Accusés de partialité, les huit sages du CSA ont réfuté collectivement jeudi 4 juin ces critiques, en réaffirmant avoir délibéré “dans la plus totale indépendance et la plus stricte impartialité, au terme d’une procédure qui a respecté le principe d’égalité entre les candidats”. Se heurtant en tout cas à une logique du soupçon avant même d’entrer en fonction, Delphine Ernotte-Cunci devra donner des signes de son intégrité, afin d’engager son mandat dans des conditions politiques apaisées. D’autant que de multiples chantiers l’attendent… Il faudra attendre fin août pour que s’esquisse enfin l’horizon promis d’une “offre de télévision publique moderne et créative, ouverte sur le monde et accessible à tous grâce à une entreprise publique réconciliée avec elle-même”. Jean-Marie Durand 17.06.2015 les inrockuptibles 99

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Yami 2 Productions

bonjour tristesse Le point sur les acquis du féminisme prosexe par Ovidie, l’une de ses prêtresses désillusionnées.

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utrefois fer de lance du féminisme prosexe et une des rares actricesréalisatrices à tenter de concilier pornographie et réflexion, Ovidie fait le point sur l’évolution des mœurs chez les jeunes femmes d’aujourd’hui, et en particulier sur le rôle d’internet dans cette transformation. Son constat général débouche sur une certaine désillusion. Elle qui espérait libérer le sexe et les femmes, se rend compte au fil de son enquête que les vieux schémas patriarcaux de domination masculine/soumission féminine réapparaissent sournoisement à travers les nouvelles pratiques “2.0˝. Lucide, Ovidie se demande si elle n’a pas, à son niveau, contribué à cette évolution (ou plutôt à cette involution) des mœurs. “Je ne peux m’empêcher, dit-elle, de me remettre en question et de me demander si le mouvement auquel j’ai appartenu n’a pas fait fausse route en utilisant la sexualité comme une arme politique. Cette génération n’a-t-elle pas compris tout de travers ?˝ Interrogeant un sociologue, une directrice du Planning familial et surtout quelques jeunes sex-militantes d’une vingtaine d’années, qui sont respectivement blogueuse, journaliste, gameuse ou réalisatrice porno, Ovidie leur demande (et se demande) dans quelle mesure l’omniprésence du sexe sur internet n’a

pas contribué à substituer l’image au désir. D’où ces nouvelles normes implicites selon lesquelles de toutes jeunes filles, dont certaines parfois vierges, sont persuadées que la fellation (voire l’éjac faciale et autres joyeusetés) est absolument obligatoire dans une relation, que le sexe féminin doit être absolument imberbe, plastiquement parfait (avec au besoin le recours à la chirurgie plastique pour correspondre aux canons cliniques)… “Entre réseaux sociaux, nouvelles applications et mise en scène permanente de leur corps, elles m’ont parfois effrayée, tant les injonctions sexuelles qui pèsent sur elles sont lourdes”, poursuit la réalisatrice. Evidemment, les jeunes intervenantes, blogueuses et journalistes continuatrices d’Ovidie, savent, elles, éviter ces dérives sournoises. Cela n’empêche pas certaines autres femmes de se plier au désir et aux schémas masculins avec un mélange de volontarisme et de docilité, tout en prétendant être maîtresses d’elles-mêmes et de leur corps. Bref, épanouies. Le retour d’un certain machisme ironisé, glamourisé (par le biais du rap ou du gonzo porn par exemple), a fait beaucoup de dégâts en réhabilitant discrètement l’esclavage sexuel. Il ne porte pas ce nom, certes, mais on n’est pas dupe. Vincent Ostria A quoi rêvent les jeunes filles ? documentaire d’Ovidie. Mardi 23, 23 h 10, France 2

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TV Lab – La finale Finale excitante d’un concours de programmes innovants pour les 15-34 ans. “Bousculer la télévision, puisque la nouvelle libérer la création, dénicher présidente de France de nouveaux talents et Télévisions Delphine de nouveaux programmes” : Ernotte veut la recentrer le TV Lab renouvelle sur sur le très jeune public). France 4 une première Les six pilotes en lice tentative lancée en 2013 devront convaincre vouée, au terme un jury présidé par Pierre d’un concours mettant Lescure et les internautes, en scène diverses invités à donner leur avis. propositions d’émissions Parmi les pilotes, de flux, à produire on suivra avec attention un magazine censé le premier “feel good correspondre aux goûts de magazine télé”, French la “génération connectée” Touche d’Emilie Valentin des 15-34 ans. Initiée avec et Julien Potart, qui la direction des Nouvelles filmera des communautés écritures, ce TV Lab énergiques et fantaisistes organise ce soir sa finale dans toute la France ; on en mettant en compétition suivra aussi des émissions six pilotes d’émissions, de jeux – Sandbox sur dont le vainqueur aura le jeu vidéo, Tu te prends le privilège de gagner pour qui !? inspiré des un contrat de production tests de personnalité –, de quatre émissions des magazines explorant ainsi qu’une diffusion l’univers du vélo (Dynamo) sur France 4 (sans que ou des arts (Le Grand l’on sache pourtant encore Baz’Art), ou encore un très bien ce qu’il en sera talk-show intime, Tea Time de l’avenir de France 4, Club. Jean-Marie Durand

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Alex Jonas

Emission présentée par Julia Molkhou. Mardi 23, 20 h 50, France 4

Ala.ni

Fête de la musique à Radio France Samedi 20 et dimanche 21 à la Maison de la radio

La musique célébrée ce week-end à la Maison de la radio. adio France ouvre ses studios à de nombreux musiciens (rock, hip-hop, folk, jazz, classique) durant deux jours, les 20 et 21 juin, à l’occasion de la 34e Fête de la musique pour vingt-cinq heures de concerts et dix émissions. Ces rendez-vous sont proposés au public dans les différents espaces appropriés de la Maison de la radio : l’Auditorium, l’Agora, la Galerie Seine et le Studio 104. Deux moments sont particulièrement attendus : la soirée spéciale autour du label Tricatel, qui célèbre ses 20 ans, avec Bertrand Burgalat et Chassol (dans Continent musiques sur France Culture à 19 h le samedi 20 juin) ; la soirée spéciale sur France Inter, le dimanche 21 juin à partir de 21 h, en direct du studio 104 : un concert conçu par Benjamin Biolay autour du répertoire de Charles Trénet, avec Franz Ferdinand et les Sparks, les Innocents et Ala.ni, la chanteuse anglaise protégée de Damon Albarn. On pourra aussi tendre l’oreille à l’émission Dites 33 sur FIP à 15 h, le samedi, avec The Buns, Bikini Machine et DJ Anders Sicre. JMD

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the Canal+ experiment Le groupe Canal+ met le paquet sur les innovations technologiques et promet à ses abonnés une “nouvelle expérience” à travers des applications enrichies, un nouveau décodeur et un moteur de recommandations.

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ur la technologie, Canal+ is back !” L’aveu, le 9 juin, de Rodolphe Belmer, directeur général du groupe Canal+, en conclusion de la présentation des innovations technologiques, a valeur de symptôme : la puissance d’un média audiovisuel se joue aujourd’hui largement autant dans le renouvellement des circuits d’accès et de consommation des programmes que dans leur contenu propre. Il s’agit d’ajuster l’offre télévisuelle aux modes de consommation mobiles et individuels. Il n’est pas anodin qu’une chaîne comme Canal+, habituée depuis ses débuts à la mise en valeur éditoriale de ses productions, réajuste aujourd’hui son discours stratégique sur l’enjeu de la technologie. Sans occulter totalement les responsables des programmes, les nouveaux maîtres à bord du groupe Canal+ sont des ingénieurs nourris aux sirènes du marketing, parlant à tout bout de champ d’internet ouvert, d’OTT (over the top), de plug-in, d’ultra HD, de player HTLM 5, de recommandation algorithmique objective… Bref, des gros “techos”. Ils sont 1 200 dans le groupe Canal+. Ce dernier a investi beaucoup depuis deux ans dans cette voie, en recrutant 200 nouveaux jeunes ingénieurs. A Canal+, on ne dit ainsi plus qu’on regarde la télévision ; on fait “l’expérience” de regarder la télévision. Ce déplacement sémantique signifie combien le téléspectateur se transforme sensiblement, par la magie des mots performatifs, pour devenir le spectateur souverain, mobile,

autonome, d’un spectacle total, en ultra haute définition. Cette nouvelle expérience, “garantie d’une télévision augmentée à la pointe des nouveaux usages”, selon les mots du président Bertrand Meheut, prolonge au fond un vieux tropisme de Canal+, puisque la chaîne prétendait déjà il y a plus de dix ans dans un slogan publicitaire que “pendant qu’on la regardait, on n’était pas devant la télé”. Trois nouveautés, effectives dès l’automne, illustrent cette “innovation créative” : l’application mobile enrichie MyCanal, à l’ergonomie repensée, qui permet de retrouver sur tous les écrans plus d’une centaine de chaînes, en live ou à la demande ; le nouveau décodeur Le Cube S, qui intègre un processeur dix fois plus puissant que ceux de la génération de décodeurs TNT, au design épuré, compact (8,5 centimètres de côté), que l’on peut transporter partout (il suffit d’une simple connexion wifi pour accéder, chez soi ou en déplacement, à tous les programmes) ; et Suggest, moteur de recommandation censé proposer au téléspectateur, grâce à des algorithmes, une offre répondant à ses goûts… Ou comment l’intelligence artificielle se propose d’aider tous ceux qui, pris de vertige devant la masse infinie des programmes proposés, ne savent plus qui ils sont ni ce qu’ils désirent… Si la technologie “is back”, c’est aussi dans son ambition démesurée d’anticiper et de déterminer nos désirs. A l’âge de la post-télé, les algorithmes sont rois, et les applications reines. Jean-Marie Durand

les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 lesinrocks.com mail [email protected] ou [email protected] abonnements société Everial tél. 03 44 62 52 35 cppap 1216 c 85912 dépôt légal 2e trimestre 2015 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général et directeur de la publication Frédéric Roblot rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Géraldine Sarratia rédacteurs en chef adjoints Anne Laffeter, David Doucet, Jean-Marie Durand secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot actu rédacteurs Diane Lisarelli, Carole Boinet, Mathieu Dejean, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Marie Turcan style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Manon Chollot (stagiaire) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu, Azzedine Fall, Marc-Aurèle Baly (stagiaire) reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/idées Jean-Marie Durand lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Thomas Hong secrétariat de rédaction chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin, François-Luc Doyez première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Olivier Mialet, Anne-Sophie Le Goff, Laurence Morisset maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny collaborateurs Emily Barnett, A. Bellanger, R. Blondeau, T. Blondeau, D. Boggeri, R. Boiteux, N. Carreau, Coco, D. Commeillas, A. Desforges, A. Gamelin, J. Goldberg, O. Joyard, N. Lecoq, J. Le Corvaisier, M.-L. Lubrano, P. Noisette, T. Oxley, Y. Perreau, A. Pfeiffer, E. Philippe, J. Provençal, T. Ribeton, L. Soesanto publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, tv) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 traffic manager Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Elise Beltramini tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Romane Bodonyi tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand projet web et mobile Sébastien Hochart responsable du système informatique éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Marion Bruniaux tél. 01 42 44 16 62 contact agence Destination Média – Didier Devillers et Cédric Vernier tél. 01 56 82 12 06, [email protected] fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet accueil, standard ([email protected]) Geneviève BentkowskiMenais, Walter Scassolini impression, gravure SIEP, ZA Les Marchais, rue des Peupliers 77590 Bois-le-Roi brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” abonnement Les Inrockuptibles B1302 60643 Chantilly Cedex [email protected] ou 03 44 62 52 35 tarif France 1 an : 115 € fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski © les inrockuptibles 2015 tous droits de reproduction réservés. 17.06.2015 les inrockuptibles 103

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film Le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica Je suis tombé amoureux de ce film en composant Darling Arithmetic. Dans le Rome de l’après-guerre, un père part à la recherche de son vélo volé dont il a besoin pour garder son travail et nourrir sa famille. A la fin, j’ai pleuré comme un bébé.

Comme un avion de Bruno Podalydès Un homme middle-age un peu déboussolé. Le kayak comme aventure et utopie. La drôlerie poétique de Podalydès à son meilleur.

Jeanne Added Be Sensational Un premier album magnétique pour cette chanteuse venue au rock par des chemins détournés.

Œuvres littéraires de J.-B. Pontalis Un volume rassemble les textes littéraires de l’écrivain et psychanalyste. Une plongée dans une aventure intérieure.

Also in White de Bill Wells Trio Elégant sans préciosité, un magnifique recueil d’airs instrumentaux. Des accords et des textures emplis de grâce, qui semblent pouvoir s’effondrer à tout moment.

roman La Chambre de Giovanni de James Baldwin Je l’ai lu quand j’avais 19 ans. Arrêter mes études venait de laisser un grand vide dans mon esprit, que je me suis empressé de remplir avec des histoires d’isolement social et d’érotisme rêveur comme dans ce roman. propos recueillis par Noémie Lecoq

Andrew Whitton

album

Villagers Le nouvel album du projet de Conor O’Brien, Darling Arithmetic, est disponible.

sur Un Français de Diastème Plongée dans l’histoire secrète du Front national à travers une fresque romanesque et cinglante.

Casa Grande de Fellipe Barbosa Le petit théâtre de la cohabitation entre riches Blancs et Noirs pauvres dans la société brésilienne.

Fort Buchanan de Benjamin Crotty Un drôle de collage entre le soap et le marivaudage rohmérien.

Algiers Algiers Les fantômes du post-punk et du gospel hantent le premier disque de ces Américains.

Unknown Mortal Orchestra Multi-Love Psychédélique et bizarre, un album à l’image de Ruban Nielson, le garçon qui l’a conçu.

Jamie xx In Colour Le producteur et DJ entre officiellement dans la cour des grands.

Sense8 Netflix Les Wachowski continuent de n’en faire qu’à leur tête. Orange Is the New Black saison 3 Netflix La création de Jenji Kohan est toujours explosive. Louie saison 5 FX La série comique du rouquin américain dépasse le reste du troupeau haut la main.

Avant et après la chute de Richard Bausch L’Américain livre un roman sur le 11 Septembre et l’ère de suspicion qui a suivi. La limpidité de la forme y contraste avec la perte universelle des repères.

Vernon Subutex II de Virginie Despentes Deuxième volume d’un grand roman politique, puissamment contestataire.

Jours tranquilles, brèves rencontres d’Eve Babitz Les souvenirs de cette égérie de la scène artistique californienne des années 60 et 70 sont enfin traduits.

L’Arabe du futur, tome 2 de Riad Sattouf Un deuxième album toujours hanté par la figure d’un père obsédé par le panarabisme.

La Maison aux insectes de Kazuo Umezu Un recueil sombre et angoissant autour de banales mais tragiques histoires de couples.

La Fourmilière de Michael DeForge Ce jeune Canadien ouvre des gouffres de questionnement en s’attachant à la vie d’une fourmilière.

Golden Hours chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker Théâtre de la Ville, Paris La chorégraphe belge ouvre un nouveau dialogue danse-musique en se penchant sur le titre mythique de Brian Eno.

L’Art du rire de Jos Houben Théâtre du Rond-Point, Paris Jos Houben décortique les ressorts du comique. Irrésistible.

Les Fausses Confidences de Marivaux, mise en scène Luc Bondy Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Isabelle Huppert et Louis Garrel brûlent les planches dans un hymne à l’amour.

Fomo Friche Belle de Mai, Marseille Une expo collective qui prend des nouvelles de notre monde par écrans interposés et dans une fiction en trois étapes.

A Personal Sonic Geology Frac Ile-de-France, Paris Sur cinq toiles monochromes, Philippe Decrauzat et Mathieu Copeland projettent leurs balades documentaires musicales.

Leiris & Co Centre PompidouMetz Du surréalisme au postcolonialisme, portrait d’un homme et d’une traversée subjective du XXe siècle.

Splatoon sur Wii U Des créatures mi-hommes, mi-calamars s’affrontent dans des parties de paintball endiablées, et cela donne tout simplement le jeu en ligne le plus grisant du moment.

The Witcher 3 PS4, Xbox One et PC Très attendu, le troisième volet de la série de jeu de rôle est encore plus réussi que prévu. Aussi riche que plastiquement éblouissant.

Kitty Powers’ Matchmaker PC, Mac, iOS et Android Former des couples, telle est votre mission dans ce jeu indé qui vous place à la tête d’une agence de rencontres..

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Laurent Garnier par Renaud Monfourny

Le nouvel album du DJ-producteur, La HOME Box, est sorti sur F Com/Pias. Avec le même enthousiasme et la même joie qu’à ses débuts, il vient de clore en beauté le festival Yeah!, en Provence, avec un set qui a mis le public en liesse. Il recommencera le samedi 20 juin au Sónar à Barcelone

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