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Björk

renaissance

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No.1 007 du 18 au 24 mars 2015 lesinrocks.com

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cher Malek Boutih par Christophe Conte

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e tenais à t’alerter, il y a actuellement un type qui maraude dans les médias et se fait passer pour toi. La plupart des journalistes se font berner, même Maïtena Biraben s’est laissé abuser, il y a quelques semaines, en recevant l’individu sur le plateau du Supplément. L’homme, qui te ressemble il est vrai de façon troublante, y proféra des énormités du style : “Il faut faire kiffer la République. Montrer que la mode est la République. Moi, je voudrais briser la mode des racailles pour que ce soit la mode des républicains.” Je te mens pas, Malekounet, il a bien balancé “kiffer” et “racaille” dans un même

mouvement, l’usurpateur djeuniste, à mon avis il avait révisé Le Parler Banlieue pour les nuls deux heures avant, en écoutant Black M ou Maître Gims, va savoir. A ta place, je porterais plainte, parce que si le gogo en question a l’air inoffensif, à la longue son omniprésence bavarde pourrait nuire à ta réputation. Tu es député, encarté socialiste qui plus est, tu ne peux pas tolérer plus longtemps qu’un hurluberlu profite de sa ressemblance pour dézinguer tous tes collègues de parti, pour bitcher sur l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault comme sur les frondeurs, dont il juge la sédition uniquement animée par un “calcul politique”. Là où ça devient grave, c’est quand

Hollande en personne se fait empapaouter par l’escroc en question, en lui confiant la conception d’un “Plan pour les banlieues françaises”, et que le mec propose en se bidonnant “une mise sous tutelle de certains quartiers sensibles pour lutter contre la montée de l’islamo-nazisme”, idée qui a fait ronronner de plaisir l’UMP et carrément provoqué un orgasme chez Marine Le Pen. Mais, depuis la semaine dernière, le culot du farceur a encore franchi un cran, tu devrais vraiment te méfier, avec ses conneries de canulars il est en train de dilapider le peu de crédit qu’il restait dans ta tirelire morale d’ancien président de SOS racisme. A propos de la garde des Sceaux Christiane Taubira, soumise aux tirs nourris des fractions les plus réacs de la droite et à des menaces hallucinantes de la part de certains candidats FN, on a vu ton sosie dire aux caméras : “Je préfère la Taubira qui se battait pour le mariage pour tous que celle qui se plaint du racisme tout le temps.” Malek, merde, shake ton Boutih, ce malade est en train d’entacher ta réputation, imagine, le jour même où l’on apprenait qu’un élu FN de Lozère proposait de “trouver” Christiane la chouineuse “lorsque éclatera le grand soir”, ou qu’une belliqueuse UMP de Juvisy-sur-Orge l’encourageait à retourner à Cayenne, “vu qu’elle a toujours détesté la France”. Je te parle même pas des bananes et des comparaisons simiesques qui ont fleuri partout depuis deux ans, de Darmanin qui trouve qu’elle est “un tract ambulant pour le FN”, de Valeurs actuelles qui lui dégueule sur les escarpins à la moindre occasion ou des internautes déchaînés qui la pendraient volontiers à un arbre – un cocotier, de préférence. LOL. Alors tu vas me retrouver le petit mec indigne qui excuse tous ces connards et lui ordonner d’arrêter son cirque, OK ? Je t’embrasse pas, l’autre, c’est peut-être toi.

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No. 1 007 du 18 au 24 mars 2015 couverture Björk par Inez and Vinoodh

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billet dur édito debrief recommandé interview express Alex Kapranos événement Europe-Ecologie Les Verts : vers la scission ?

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le monde à l’envers la courbe la loupe nouvelle tête Jan Martens démontage futurama style food reborn Björk

Inez and Vinoodh/Wellhart Ltd & One Little Indian

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Saeed Adyani/Netflix

un album irréprochable (Vulnicura, chronique d’un drame intime) et une rétrospective au MoMA de New York : la fascinante Islandaise renaît de ses cendres

44 Kyle Chandler : un retour en série très présent au cinéma (Super 8, Argo…), le héros de l’incontournable Friday Night Lights revient dans Bloodline. Portrait

48 Terry Richardson en toute bonne foi à travers l’expo The Sacred and the Profane à la galerie Perrotin, le photographe raconte le puritanisme made in USA, entre sex-shop et propagande christique. Portfolio Terry Richardson, courtesy galerie Perrotin 

54 Goon de Tobias Jesso Jr. rencontre avec un jeune Canadien qui remet le songwriting au cœur de la pop-music

58 les obsessions de Michael Mann la sortie de Hacker est l’occasion de scanner la filmographie d’un cinéaste au lyrisme plastique rare

pp. 100 et 102

cinémas Hacker, Big Eyes, Tu dors Nicole… musiques José González, Yael Naim… livres David Bowie, Alysia Abbott… scènes En Route-Kaddish, Sacré printemps ! expos Chercher le garçon, Pierre Vadi médias The Square, Un œil sur vous…

ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Un printemps 2015” encarté dans toute l’édition.

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Si je n’étais pas parisien, donc exclu du scrutin des départementales, je serais allé voter le 22 mars. Je vous laisse imaginer pour qui. Sans grand espoir, donc. Mais ne serait-ce que pour ne pas entendre Marine Le Pen et ses sbires triompher pour la deuxième fois consécutive, après les européennes de 2014 – alors que la participation risque d’être aussi faible, à moins de 50 % des inscrits. Le FN est le parti qui a investi le plus de candidats, dans 93 % des cantons. Il s’agit de fidéliser l’électorat, de tisser un réseau de cadres et d’élus pour préparer 2017, d’enraciner le tripartisme, et de se délecter des crises de nerfs que l’UMP et les partis du centre feront quand leurs candidats enfreindront les consignes parisiennes. Et puis Philippot aimerait tellement faire la tournée des plateaux en répétant que cette fois, pas d’erreur, le FN est bel et bien “le premier parti de France”. Las, chassez le naturel, il revient au galop. Alors que la dédiabolisation paraît fonctionner mieux que jamais, la base frontiste comme ses figures de proue se laissent aller à des débordements qui rappellent leur véritable nature à qui l’aurait oubliée. Si Marine Le Pen se gargarise des débauchages réussis jusque dans les rangs du NPA, elle a beaucoup de mal à tenir ses troupes et doit gérer les candidats qui “se lâchent”, certains novices n’ayant visiblement pas compris qu’une dédiabolisation complète passe par une certaine modération sémantique, une bonne dose de camouflage idéologique, et qu’il n’est pas forcément opportun de dire tout haut sur les réseaux sociaux tout le mal qu’on pense très fort des pédés, des Arabes et des Juifs. Les mots employés agissent comme une piqûre de rappel quant à l’essence de l’extrême droite française. Désinhibée, elle se fait vite ordurière, à la limite de l’appel au meurtre. C’est son fond

Sylvain Thomas/AFP

chassez le naturel de sauce, sa fange originelle. Elle voudrait le faire oublier et puis crac !, à la faveur d’un afflux de candidats pas assez entraînés à la dissimulation rhétorique, voilà que le lifting se fendille. Ça s’est vu ? Bah, tant pis, on parlera d’exceptions et de moutons noirs, des sanctions seront prises. Air connu. Mais, malgré ces innombrables rechutes, Robert Ménard finira presque par détonner dans le décor frontiste. Depuis qu’il a été élu maire de Béziers, ce mégalomane accumule les provocations absurdes, faute de faire quoi que ce soit pour une ville sinistrée économiquement et ses malheureux habitants, et finit par embarrasser ses protecteurs du FN, alors qu’il était censé être présentable, gage d’ouverture dans le cadre du Rassemblement bleu Marine. Sa dernière en date ? Rebaptiser une “rue du 19-mars-1962”, date des accords d’Evian et de la fin de la guerre d’Algérie, en une “rue Commandant-Denoix-de-SaintMarc, héros français”, du nom d’un putschiste d’avril 1961, mais résistant et déporté, “compréhensif” quant à l’usage de la torture, niant la systématisation de son emploi par l’armée française, et définitivement transformé en “héros français” par Sarkozy, toujours très inspiré quand il s’agit d’histoire, qui l’avait fait grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de la République, sur les conseils de… Patrick Buisson. Une bien belle cérémonie sous le soleil de Béziers, en vérité, présidée par un Ménard ému, devant quelques vieillards en bérets rouges, et les derniers nostalgiques locaux du bon vieux temps des colonies. C’est de ce folklore nauséabond que le FN prétendument renouvelé est issu, d’où il vient et où il retourne irrésistiblement. Dimanche 22 mars, mieux vaudrait aller voter.

A Béziers, Robert Ménard et des nostalgiques de l’Algérie française

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organiser le clash Booba/Straub grâce aux inRocKs La semaine dernière, l’âme communiste, des singes en garde en vue, des émotions de rue, le style comme naturel ultime et l’art de sucer un pot d’échappement.

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on cher Inrocks, Booba et Straub, quel rapport ? Booba (à propos de la situation politique en France) – Pour moi, c’est un peu foutu. En France, les communautés ne se comprennent pas. Les divisions sont ancrées trop profondément dans la société. Straub – L’âme communiste (…) c’est aussi le risque communiste, cette chose que les hommes attendent encore. Et si elle ne se réalise pas, on est foutu. Booba – Ma mère est blanche (…). Lors d’une garde à vue, les flics m’ont demandé pourquoi ma mère aimait se faire baiser par des singes. Straub – Si je n’avais pas refusé dans ma jeunesse de me battre en Algérie, (…) j’aurais descendu mon lieutenant avant de prendre le lance-flammes en mains. Booba – Vivre de la musique n’a jamais été un rêve. Je me suis tout de suite dit que c’était un business. Straub – Le capitalisme ne se réforme pas. Le capitalisme s’élimine ou ne s’élimine pas. Le capitalisme, c’est la chose inhumaine. Et la chose inhumaine n’a rien à dire. Booba – J’ai tellement d’ennemis, si peu d’adversaires. Straub – Les gens dans la rue, que je les regarde de ma fenêtre ou que je les croise (…), ça m’intéresse et par conséquent ça m’émeut. Booba – Tu veux goûter la rue, suce mon pot d’échappement. Straub – On n’a pas besoin d’être communiste pour être ému par une plante qui pousse. Mais si, peut-être… Booba – Je suis un cliché, je fais tout ce que les gens ont envie de faire quand ils sont enfants. Petit, je jouais avec une Ferrari en Majorette, aujourd’hui je suis au volant. Straub – Je vois la vanité derrière toute chose. Quand je fais un film, j’espère qu’il y a encore du désir dedans, mais pour ce qui est du monde extérieur, j’ai beaucoup plus de mal. Booba – Si je suis solitaire c’est malgré moi et sans doute parce que je suis attaché à ma vision des choses. Tout le monde ne peut pas me suivre (…), je préfère être ici tout seul que dans le trou avec eux. Straub (à propos de Danièle Huillet, avec qui il vivait et tournait des films, morte en 2006) – Elle est là ou elle n’est pas là. Si elle n’est pas là, elle n’est pas là, donc ça ne peut pas être comme si elle était là (…). Elle n’est plus là, elle n’est plus là. Et moi… je suis là… hélas pour moi. Bukowski (qui débarque, bourré) – Je sais ce que c’est que le style maintenant que je connais Bill. Le style, ça veut dire pas de protection du tout. Le style, ça veut dire pas de façade du tout. Le style, ça veut dire le naturel ultime. Le style, ça veut dire un homme tout seul au milieu d’un milliard d’autres. Booba, Straub, Bukowski et Bill : quel rapport ? Le style et ton n° 1006 Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie

Alex Hochstrasser, Bilibo

Collection particulière

Assister à la naissance d’une star du rock indé, voir de beaux et poétiques objets dans un cadre stéphanois, réaliser qu’en Belgique on bouscule les fontières entre les arts et abattre le capitalisme pour sauver la planète.

manufacture design à Saint-Etienne

expo Biennale internationale du design de Saint-Etienne, jusqu’au 12 avril, biennale-design.com

marges Performatik 2015 Benoît Felix, Dessine ce par quoi tu passes, passe par ce que tu dessines, Videostill 2010

Avec Benjamin Loyauté aux commandes, il fallait s’attendre à une neuvième biennale sous le signe de la poésie. Pour preuve, les expos Réserve déboussolée, Vous avez dit bizarre ? ou Tu nais, tuning, tu meurs. A signaler également, la proposition de Florence Ostende et Jean-Luc Moulène qui, sur trois circuits géants, réunissent 130 objets d’art ou de design.

Pour sa quatrième édition, Performatik, biennale bruxelloise des arts de la performance, invite 35 artistes à explorer les frontières entre les arts de la scène et les arts plastiques. S’y croiseront Anne Teresa De Keersmaeker, Ivo Dimchev ou Xavier Le Roy pour la danse, la plasticienne Joëlle Tuerlinckx, la performeuse espagnole Esther Ferrer ou le pianiste Marino Formenti. festival du 18 au 29 mars au Kaaitheater, Bruxelles, kaaitheater.be

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love Courtney Barnett

Mia Mala McDonald

Ses géniales premières chansons ont fait de Courtney Barnett une chouchoute de la communauté indé : la parution du premier véritable album de l’Australienne, Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Think, formidable collection rock d’histoires drôles, amères et cinglantes, en fera une star internationale. album Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Think (Marathon Artists/Rough Trade), sortie le 23 mars concert le 25 mars à Paris (Divan du monde)

global warning Naomi Klein Icône de la gauche radicale depuis No Logo en 2001, Naomi Klein étend sa critique du capitalisme avec un formidable essai sur le changement climatique. La conclusion s’impose : à moins de laisser le monde courir à sa perte, il faut transformer notre modèle économique. Il est juste encore temps. livre Tout peut changer – Capitalisme & changement climatique (Actes Sud), 640 pages, 24,80 €

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“en Angleterre, la nourriture était d’un ennui mortel” Riche actualité pour Franz Ferdinand : la publication du livre des expériences culinaires du chanteur Alex Kapranos et une fructueuse collaboration entre le groupe et The Sparks. Charlie, la Grèce et les cacahuètes : conversation autour d’une table londonienne.

u publies en France La Tournée des grands-ducs, livre de souvenirs culinaires du monde entier. A quand remonte ton premier souvenir gustatif ? Alex Kapranos – J’ai 3 ans et mes parents viennent de déménager. Ils ont invité tous les voisins dans notre maison refaite à neuf et ma mère a mis les petits plats dans les grands : partout des bols avec des petits en-cas… La maison est encore vide, je goûte tout, j’adore les chips, je suis surpris par le fromage, je déteste les tomates et je me jette sur les cacahuètes. J’aime le goût, mais soudain, je me mets à gonfler, à me tordre de douleur. J’ai vomi sur chaque nouvelle moquette du rez-de-chaussée. Je venais de découvrir mon allergie aux noix – qui me poursuit depuis. Mais ça révèle aussi ma curiosité pour les saveurs inédites ! Ton père est grec. Conserves-tu des souvenirs liés à cette cuisine ? Nous allions souvent en Grèce rendre visite à la famille. Dans ma vie de tous les jours – les années 70-80, le nord de l’Angleterre –, la nourriture était d’un ennui mortel, atroce même. Alors qu’en Grèce, c’était une fête, une explosion de goûts. Depuis, l’Angleterre a bien rattrapé son retard. Londres, même si c’est hors de prix, peut revendiquer quelques-uns des meilleurs restaurants du monde. Il faut dire que nous partions de si loin que nous ne pouvions pas être écrasés, comme en France, par le poids et le prestige des traditions. Ici, tout était à inventer. Ou à réinventer, car avant les puritains, avant le XVIIIe siècle, il existait une riche tradition culinaire, aventureuse. Mais la reine Victoria considérait la nourriture comme une nécessité, jamais un plaisir. Elle détestait tout ce qui avait un goût, l’Angleterre s’est alignée sur sa souveraine. Tu as toi-même travaillé en cuisine… Sans doute par rébellion contre ma mère, qui considérait notre cuisine comme sa chasse gardée. Cette notion d’interdit m’a rendu la cuisine magique, mythique. Mais je suis devenu chef par accident : j’étudiais la théologie et, en même temps, je faisais la plonge dans un restaurant de Fort William, en Ecosse. Un jour, l’un des chefs est tombé malade et je l’ai remplacé au pied levé, j’ai appris sur

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“en Grèce, c’est l’homme de la rue qui paie et pour ça, je méprise Merkel” le tas. J’adorais cette ambiance, presque militaire, mais aux mains de parias, de rejets de la société. J’ai ensuite bossé comme sommelier à Glasgow, dans un restaurant à la carte des vins très limitée. Mais j’ai conservé de cette expérience une passion pour des bordeaux ou des blancs de Nouvelle-Zélande – où je suis allé il y a quelques années en séjour d’œnologie. Cela dit, j’ai arrêté de boire récemment, je commençais à le faire systématiquement, quotidiennement. Et pas à la légère. En tournée, je ne peux pas boire avant les concerts : ça endort le système nerveux, ça tue le stress dont j’ai besoin sur scène. Le stress est ma drogue préférée. Un autre truc qui me manque, c’est le cidre, une boisson très sous-estimée – j’adore le cidre basque. Je fais mon propre cidre en Ecosse, j’ai une vraie passion pour les pommes. Comment gères-tu la nourriture sur la route ? Le plus souvent possible, je m’éloigne de la salle de concerts, je déniche un petit restaurant et j’y bouquine en observant les gens. Je ne rate rien de ce formidable spectacle, de ses rituels. Le livre est d’ailleurs plus sur ces lieux, ces gens, que sur les plats. C’est mon carnet de bord. Parfois, dans un restaurant trop sophistiqué, je me sens intimidé, je me revois gosse face à un disque de Zappa : l’impression que c’est compliqué par frime, pour le plaisir d’exclure. Alors que quand c’est fait intelligemment, comme Sergi Arola à Madrid, ça sonne plutôt avec le naturel de Miles Davis : ça reste très technique, virtuose, mais sans poudre aux yeux. Vous venez d’annoncer une collaboration, pour un album et des concerts, entre Franz Ferdinand et The Sparks… Nous sommes devenus un groupe de six membres : nous, plus les deux Sparks, sous le nom FFS. Ensemble, nous avons composé dix-huit chansons, dont douze se retrouveront sur l’album. Sur scène, nous jouerons principalement ces titres, mais aussi des tubes des Sparks et de Franz Ferdinand. C’est drôle, car une des premières chansons que nous ayons jouées au tout début de Franz, c’était Achoo des Sparks. Ça fait plus de dix ans que nous parlons de travailler ensemble. Nous nous étions

même rencontrés à Los Angeles pour en parler. Et puis, nos emplois du temps dingues nous ont fait oublier cette idée jusqu’il y a deux ans. Je me suis cassé une dent lors d’une tournée américaine et on m’a conseillé un dentiste à San Francisco : en arpentant sans succès la rue où il était censé se trouver, j’entends “Mais, c’est toi, Alex ?” C’était Ron Mael. Le soir même, on relançait l’idée de l’album, composé en secret. Un mot sur la crise grecque ? Je trouve ce refus, ce non aux diktats très excitant. Depuis que je suis gosse, je constate le niveau de corruption et de copinage des politiciens grecs. Syriza, en rompant avec cette tradition, ne peut que susciter l’enthousiasme. J’ai passé janvier à Athènes : la situation est atroce. C’est l’homme de la rue qui paie et pour ça, je méprise Merkel et ses amis, leur manque de compassion, de flexibilité. Ils ont la mémoire courte : la Grèce, comme d’autres pays, a aidé l’Allemagne, via de nombreux prêts, à se relever dans les années 30. Or son pays n’a fini de payer ses dettes qu’en 2010. Personne n’a alors essayé d’asphyxier l’Allemagne en exigeant un remboursement rapide. Le traitement des médias anglais est lamentable : ils font leurs choux gras du fait que le Premier ministre Aléxis Tsípras ne porte pas de cravate mais un blouson de cuir sans même évoquer, ou alors avec condescendance, son projet. Comment as-tu vécu l’attaque de Charlie Hebdo ? Avec effroi. Franz Ferdinand avait fait l’objet de caricatures très drôles dans ce journal. Ça a permis une redéfinition claire de la liberté d’expression, de ce qui l’encadre aussi. Comme en Angleterre avec le meurtre de Lee Rigby (soldat assassiné à coups de machette en mai 2013 par deux islamistes – ndlr), on se rend compte que ces terroristes ne sont pas vraiment religieux, mais des gangsters de deuxième division, des losers, des parias qui n’ont que ça pour devenir quelqu’un. propos recueillis par JD Beauvallet photo Renaud Monfourny livre Franz Ferdinand – La tournée des grandsducs (Editions du Rouergue), traduit de l’anglais par Agathe Micoulaud, 144 pages, 18 € album FFS (Domino/Sony) en juin concerts FFS le 26 juin à Paris (Bataclan) et le 5 juillet à Lyon (Transbordeur) 18.03.2015 les inrockuptibles 17

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vers où vont les Verts ? Pour les départementales, EE-LV a davantage conclu d’accords avec le Front de gauche qu’avec le PS. Dans le même temps, l’aile “pragmatique” mobilise les partisans d’un retour au gouvernement. De quoi faire éclater le parti.

L

’hypothèse d’un éparpillement façon puzzle des écologistes au lendemain des élections départementales se renforce. Alors que Cécile Duflot aspire à “l’émergence d’une nouvelle force politique” à la gauche du PS, comme elle le déclarait dans Libération

le 8 mars, les pro-Hollande d’Europe EcologieLes Verts (EE-LV), flairant le remaniement ministériel après l’échec annoncé du PS, sont dans les starting-blocks. Ces derniers ont prévu de se rassembler le 4 avril à l’Assemblée nationale avec des micropartis de centre-gauche à vocation écologiste comme

Charly Triballeau/AFP

Cécile Duflot et François Hollande enm ai 2013, au temps des petits biscuitse t des petits cafés

le Front démocrate de Jean-Luc Bennahmias, le mouvement CAP 21Le Rassemblement citoyen dirigé par Corinne Lepage ou encore Génération écologie. “Une réunion des futurs Robert Hue de l’écologie”, tacle David Cormand, secrétaire national adjoint d’EE-LV. Alors que les contours d’une fédération d’écologistes centristes se dessinent, une majorité de cadres et de militants du mouvement campe sur une ligne d’autonomie. 2015 sera-t-elle l’année du divorce entre les sociaux-démocrates et les écosocialistes de la famille EE-LV ? Depuis la sortie des ministres écologistes du gouvernement en avril 2014, les “pragmatiques” digèrent mal la

gauchisation du mouvement, volontiers qualifiée de “dérive identitaire”. A la simple évocation d’une alliance rouge-verte, le coprésident du groupe écolo à l’Assemblée, François de Rugy, fulmine : “Ceux qui veulent qu’EE-LV devienne une composante du Front de gauche, sur le modèle de Syriza, Podemos et toutes ces salades, prennent le risque de faire exploser le parti. L’écosocialisme n’est pas l’écologie : je pense même que c’est antinomique.” Le vent ne souffle pas en faveur de l’élu à l’intérieur de son parti. Alors qu’au dernier congrès d’EE-LV, en novembre 2013, la motion Love (Là où vit l’écologie) qui proposait de nouvelles alliances, notamment avec le Front de gauche (FDG), ne remportait que 8 % des suffrages, aux élections départementales le mouvement s’est allié à au moins une composante du FDG dans 43 % des cas (contre 18 % seulement avec le PS). L’exemple de Grenoble, remportée par une coalition mêlant EE-LV et Parti de gauche aux dernières municipales, n’est sans doute pas étranger à cette nouvelle stratégie. Cécile Duflot y a d’ailleurs fait escale le 9 mars pour soutenir les candidats de ce Rassemblement citoyen. “A EE-LV on ne parle plus d’écologie, on parle aux électeurs d’extrême

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“à EE-LV on ne parle plus d’écologie, on parle aux électeurs d’extrême gauche, c’est triste” Jean-Vincent Placé, président du groupe EE-LV

gauche, c’est triste”, déplore Jean-Vincent Placé, président du groupe EE-LV au Sénat, tenant d’une ligne progouvernementale. “Les écologistes se demandent toujours s’il vaut mieux être dans l’institution ou dans le mouvement social, mais le clivage est aujourd’hui très déséquilibré : il est clair qu’une large majorité ne veut pas entrer au gouvernement à tout prix, car ils considèrent que le hollandisme est en train de les trahir”, analyse le politologue Erwan Lecœur, spécialiste de ce mouvement. Le chef de l’Etat a cependant prévu de rencontrer des parlementaires écologistes, et l’idée d’appeler au gouvernement ceux d’entre eux qui sont d’accord avec sa politique est envisagée. François Hollande a déjà reçu six fois en un an Jean-Luc Bennahmias, cheville ouvrière de ce rapprochement. Son objectif ? “Créer un pôle de centre gauche à vocation en partie écologiste, qui recompose un socle politique à 35-40 %, avec et au-delà du PS. Et nous sommes en train de réussir !”, veut croire l’ex-secrétaire national des Verts (de 1997 à 2001), aujourd’hui à la tête du Front démocrate. “Une opération digne des Pieds Nickelés”, tranche David Cormand, numéro deux d’EE-LV, qui n’est

pas sans en rappeler une autre, dans l’histoire tumultueuse des Verts : “Hollande fait du sousMitterrand, qui avait créé Génération écologie en 1990 pour couper l’herbe sous le pied des Verts.” L’histoire serait-elle en train de se répéter ? La direction d’EE-LV tente en tout cas de mettre des garde-fous entre le gouvernement et les écolos pris dans son champ magnétique : en cas de proposition de postes, le conseil fédéral du parti tranchera, et n’acceptera que si François Hollande change de cap politique, ce qui est “très peu probable” selon Julien Bayou, porte-parole d’EE-LV. Cette procédure laisse encore sceptiques les parlementaires progouvernementaux. “J’assume, il y a une majorité à EE-LV qui ne souhaite pas travailler avec le PS, mais cela ne représente que 4 000 ou 6 000 militants. Or l’écologie n’est pas partidaire, elle traverse la société, comme en témoignent les 3 millions d’électeurs qui ont voté pour nous aux européennes de 2009”, argumente Jean-Vincent Placé. De fait, selon un sondage Odoxa publié le 13 mars, 92 % des sympathisants écologistes souhaitent le retour d’EE-LV au gouvernement. Tout porte à croire que l’exécutif n’aurait donc aucun mal à réaliser quelques débauchages

individuels chez les écologistes. “Ceux qui sont sortis du gouvernement sans discussion préalable en 2014 ont pris la responsabilité de signifier que dorénavant les initiatives personnelles façonnent la stratégie d’EE-LV”, justifie déjà François de Rugy. Le départ de ces poids lourds provoquerait-il pour autant la dislocation d’EE-LV, inaugurant une phase crépusculaire de son histoire ? Le tableau n’est pas aussi sombre que cela, selon Erwan Lecœur : “Le différentiel est très fort entre ces quelques élus et leurs troupes d’un côté, et les centaines de militants et d’élus locaux qui pensent autrement de l’autre. Il s’agirait plus d’une petite scission façon trotskiste que d’une réelle coupure en deux.” Les Verts-roses sont d’autant plus tentés de céder aux sirènes du gouvernement que l’année 2015 comporte un enjeu environnemental symbolique : la Conférence de Paris sur le climat, qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre. “2015 va être l’année la plus écolo de l’histoire de la République française”, estime JeanVincent Placé, qui ajoute au passage que “jamais un président n’a autant parlé d’écologie”. Raison de plus pour être ministre ? L’élu esquive : “Je ne joue pas au tiercé, je suis un acteur de la vie politique.” Mathieu Dejean 18.03.2015 les inrockuptibles 19

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Le Premier ministre Dmitri Medvedev présente le nouveau passeport russe, août 2013

en retrait de la Russie

C  

omment va la Russie ? Mal si l’on en croit les uns, statistiques, prix du baril de pétrole et cours du rouble en main ; pas si mal que cela, si l’on écoute les affidés du Kremlin, qui ne nient pas les chiffres mais qui ajoutent que Moscou en a vu d’autres. Mais qu’en pensent les Russes eux-mêmes ? Difficile, voire impossible, de le savoir tant les informations sont filtrées et les sondages, peu fiables. C’est pour cette raison que les chiffres de l’immigration et de l’émigration russes sont si importants à regarder. D’abord, ils proviennent, en partie, de l’Agence fédérale russe de statistique Rosstat ou encore des Nations unies, qui comptabilisent notamment le flot des réfugiés. Or ces chiffres montrent que les Russes votent avec leurs pieds en émigrant massivement. Depuis avril 2014, un mois après l’annexion de la Crimée, plus de 200 000 Russes ont quitté leur pays pour l’Occident. C’est cinq fois plus qu’en 2010 ou 2011. Le bruit des bottes, la peur du lendemain, la crise économique expliquent une telle hémorragie. Mais le plus étonnant, c’est que ce phénomène ne date pas de la crise ukrainienne. Il a commencé en 2012 avec le troisième mandat de Vladimir Poutine. Cette année-là, 112 000 Russes ont choisi l’exil et ils étaient encore 186 000 en 2013. Et ces chiffres ne comptabilisent pas ceux qui ont demandé le statut de réfugié dans les pays où ils débarquaient.

Yekaterina Shtukina/RIA Novosti/AP

Depuis 2012, début du troisième mandat de Poutine, le nombre de Russes quittant le pays croît chaque année. Et ceux qui veulent s’y installer sont de moins en moins nombreux.

En 2013, 40 000 Russes ont demandé à bénéficier de ce sésame, c’est-à-dire 76 % de plus qu’en 2012. En clair, la Russie n’avait pas connu un tel exode depuis les années 90, c’est-à-dire depuis la fin de l’Union soviétique. A cette différence près, et elle est fondamentale, que le profil de ces migrants est aujourd’hui bien différent. Dans les années 90, les Russes qui quittaient leur pays était des hommes jeunes et peu diplômés : les laissés-pour-compte du passage à l’économie de marché. Les migrants russes d’aujourd’hui sont au contraire surdiplômés : ingénieurs, scientifiques, médecins. Où vont-ils ? Aux Etats-Unis, bien sûr mais aussi en Allemagne ou en France, comme l’économiste Sergueï Gouriev, aujourd’hui professeur à Sciences-Po. Garry Kasparov, pour sa part, a choisi un pays plus discret sur la scène internationale : la Croatie. L’hémorragie est si importante que le Kremlin a pris des mesures d’urgence, interdisant à certains fonctionnaires les voyages à l’étranger. Cette interdiction a d’abord concerné les fonctionnaires attachés aux forces de sécurité. Mais depuis le premier oukase d’août 2014, cette interdiction n’a cessé d’être renforcée et étendue pour aujourd’hui concerner, de façon discrétionnaire, toute personne ayant de près ou de loin un rapport avec un “secteur stratégique” russe. C’est-à-dire beaucoup de monde. Plus inquiétant encore : ceux qui avaient émigré

le pays n’avait pas connu un tel exode depuis les années 90 en Russie pour participer à l’essor économique de ces dix dernières années commencent à plier bagage. Là aussi, l’hémorragie est brutale. En janvier 2015, le nombre de personnes voulant entrer sur le territoire de la Fédération de Russie pour y travailler a chuté de 70 % par rapport au même mois de 2014. Un effondrement qui est, en partie, dû au durcissement des conditions d’entrée. Mais en partie seulement : le comportement des migrants est étroitement lié aux possibilités de travail dans le pays d’accueil. Les migrants qui viennent en Europe se dirigent prioritairement vers l’Allemagne et la Grande-Bretagne et évitent la France. En clair, il y a du travail à Berlin ou à Londres – en quasi-situation de plein emploi – et pas à Paris, où le chômage est élevé. A Moscou, les conséquences de la crise économique de ces derniers mois sont claires : la Russie est désormais ce pays qu’on fuit ou qu’on évite. Anthony Bellanger

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Open Culture

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Zoolander 2

“ouais, moi j’ai gravi l’Everest, mais sur Google Street View”

“oh non mais je vais attendre 2058, tkt”

“mais la vie est un poisson d’avril”

Furyo

les renoncules “j’étais tellement énervé, j’ai découpé ma carte de fidélité Super U”

Les Jours

Pharrell et Robin Thicke

le fond des océans

“non, j’ai les yeux gris-Velasquez”

Javier Pastore billclinton@ caramail.com le prochain Woody Allen

Les Jours Des ex de Libé lanceront bientôt un site payant “qui creuse ses obsessions au cœur de l’actu”. Le prochain Woody Allen avec Jesse Eisenberg, Bruce Willis et Kristen Stewart. Le fond des océans 1 500 nouvelles créatures recensées, dont un dauphin bossu. L’Everest est désormais sur Street View.

Open Culture a mis gratuitement en ligne 700 films (noirs, indés, classiques, etc.). 2058 L’année de l’égalité salariale hommes/femmes, si l’on se réfère à la progression depuis 1959. Bill Clinton aurait envoyé deux mails dans sa vie. Furyo en salle, en marge de la rétro Oshima à la Cinémathèque. D. L.

tweetstat Le 11 mars, le rappeur démentait les informations annonçant une fusillade mortelle à son domicile. Suivre

Lil Wayne WEEZY F

71 % Martin Bouygues Jamais signé sur Cash Money

@LilTunechi

Prank kall mane 20:14 - 11 mars 2015

Répondre

Retweeter

Favori

(quoique ?) mais lui aussi annoncé décédé le 28 février.

En anglais officiel, “Prank call man” ; en français adapté “Kannulard mek”.

18 %

Shakespeare Too bi or notte toobe.

11Prank %kall Carly Rae Jepsen me maybe.

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du peuple au people Dans Paris Match, le ministre des Finances grec conchie le star-system… dans un reportage qui lui est consacré, à lui et à sa femme.

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couleur locale

C’est une belle carte postale comme on les aime. Ciel bleu sans nuages, lauriers, oliviers, sourires à peine forcés : le couple que forment Yanis Varoufakis

et Danae Stratou semble gazouiller d’une seule voix : “Grosses bises d’Athènes où, malgré la crise, il fait bon vivre.” Sur leur terrasse (celle d’un immeuble appartenant

à la famille de la jeune femme) au pied du Parthénon, on serait presque tentés d’aller, nous aussi, porter un toast au peuple grec qui sait rester si digne malgré l’austérité.

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2

3 marathon médiatique

Car contrairement à ce que l’on pourrait croire en feuilletant Paris Match et en découvrant Varoufakis servir une salade verte sur la terrasse ombragée, jouer du piano les yeux plantés dans l’objectif ou même lire son propre livre sous le regard attendri de sa bien-aimée, le ministre n’est pas dupe : “Je méprise le star-system. C’est toujours le corollaire d’un déficit démocratique et d’un déficit de valeurs. Y appartenir me préoccupe et m’irrite”, affirme-t-il dans ce papier de sept pages. Un article qu’il déclarera regretter dès le lendemain de sa parution.

sophiste fucking Les photos et leurs légendes d’une niaiserie sans faille semblent en effet venir démentir les propos relayés dans cet article où Varoufakis cabotine et se définit même comme “subversif” plutôt que “rebelle”. En France comme en Grèce, c’est un certain malaise qui point. Au vu de l’espoir soulevé par la victoire de Syriza, de la perspective (fantasmée ?) d’un possible bouleversement des codes politiques, le jeu de la session photo glamour, passage obligé pour tout politique cynique, semble ici encore plus indécent que d’habitude. Se qualifiant de “marxiste libertaire”, entre deux clichés saturés, Varoufakis dénonce le capitalisme, “ce système stupéfiant dans sa capacité à engendrer d’immenses contradictions”. CQFD. Diane Lisarelli

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Jan Martens Entre danse et performance, ce Belge a trouvé le juste équilibre.

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u’il chorégraphie un solo pour Truus Bronkhorst – 62 ans ! – ou pour lui-même, il ne fait pas les choses à moitié. Diplômé de la Fontys Dance Academy de Tilburg et du conservatoire d’Anvers, Jan Martens s’est fait un nom avec une danse physique et conceptuelle. Dans Sweat Baby Sweat, le couple en scène ne cessait de se toucher une heure durant au bord de l’orgasme… chorégraphique. The Dog Days Are over voit les performeurs sauter durant tout au long de la représentation. Une façon de moquer les politiques qui voudraient remplir les théâtres avec des spectacles plus proches du divertissement. Il n’a pas connu l’âge d’or de la danse flamande et les députés de la droite dure coupent aujourd’hui sans honte dans les budgets de la culture. “Mais je me sens plus européen que belge d’une certaine façon.” La France va adorer cette danse entière qui en dit beaucoup sur nos temps troublés. Philippe Noisette

Mark van der Zouw

The Dog Days Are over du 26 au 28 mars, MAC de Créteil, Biennale de danse du Val-de-Marne, les 15 et 16 avril à Villeneuve-d’Ascq Ode to the Attempt le 29 mars au MAC/VAL, Vitry-sur-Seine 26 les inrockuptibles 18.03.2015

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Barberyturique Neuf ans après l’immense succès public de L’Elégance du hérisson, Muriel Barbery revient avec un conte rustique et passéiste à lire sous Prozac.

le sujet Après le Paris typique de L’Elégance du hérisson, Muriel Barbery a choisi de raconter un conte, et de nous entraîner sur une pente bucolique. Avec pour décor la campagne de nos grands-mères, on suit l’évolution de deux petites filles énigmatiques, Maria l’Espagnole et Clara l’Italienne, qui semblent avoir des pouvoirs magiques et une tonne de secrets. Dès les premières pages, Maria voit apparaître, dans la forêt, un animal qui tient du cheval blanc et du sanglier. Plus tard, les deux gamines, affirmant un talent prodige pour le piano, se retrouveront chez le Maestro, chargé de développer leurs dons mais aussi de les protéger. Plus tard encore, leur secret sera dévoilé : et si elles étaient des elfes ? Ou des filles d’elfes ? Ou des hybrides d’elfes ?

le souci C’est qu’on n’a pas tout compris. A force d’étirer son texte avec une lenteur à la limite du supportable, de le parsemer d’indices tellement cryptés qu’ils nous laissent indifférents, d’osciller entre l’onirisme et le réel, Muriel Barbery nous perd en cours de route. Ces scènes merveilleuses sont décevantes, déjà lues dans les contes, et ne mènent jamais à grand-chose. Quant à son ambiance bucolique, elle frise tellement le cliché rustique qu’il vous faudra du Prozac pour la supporter. Mais le véritable problème, c’est l’écriture, bourrée de tournures

à la poésie campagnarde désuète, et sombrant trop souvent dans une pléthore de détails superflus : “Le dîner, composé d’une pintade truffée encadrée d’une terrine de foie et d’un pot-au-feu en ravigote (le tout agrémenté de cardons si bien caramélisés que le jus en coulait encore dans les gorges en dépit du vin de côte), fut un éblouissant triomphe. Quand il finit par s’échouer sur une tarte à la crème qu’on avait servie avec les pâtes de coing d’Eugénie (…)”. On s’en fout, non ?

le symptôme Celui du livre d’après. Qu’écrire après le succès de L’Elégance du hérisson ? C’est le genre de réflexions dans lesquelles a dû se perdre Muriel Barbery, consciente que son nouveau roman serait attendu au tournant, ayant dès lors la fausse bonne idée d’effectuer un changement radical. Elle échange donc la ville contre la campagne, le réalisme contre le merveilleux, la vieille concierge aigrie et solitaire avec des petites filles magiques et entourées, la philosophie (elle fut prof de philo) distillée en filigrane du Hérisson avec la poésie obsolète des Elfes. Autre symptôme : l’apologie d’une campagne où il fait bon vivre, entre forêts enchantées, confitures home made, jardins de curé et repas au coin du feu, dernier refuge un brin réac pour les déçus du monde contemporain. Le poncif d’une vie “authentique”, dont la très critique concierge du Hérisson se serait moquée. Nelly Kaprièlian

en chiffres

3

C’est le nombre de romans publiés par Muriel Barbery. Avant La Vie des elfes, elle avait fait paraître Une gourmandise en 2000, et L’Elégance du hérisson en 2006. Celui-ci avait surpris tout le monde en devenant un succès international tout en ayant été peu remarqué par la critique.

75 000

Le premier tirage de son nouveau roman, mis en place par Gallimard le 12 mars.

6

En millions, le nombre d’exemplaires vendus de L’Elégance du hérisson : un peu plus de 2 millions en France et 4 millions à l’étranger, chez quarantequatre éditeurs différents.

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un avenir sans tache Après les vêtements connectés mesurant notre rythme cardiaque ou changeant de couleur avec l’humeur, voici les fringues intachables. Mais à quoi servira cet univers moins sale ?

M

ais j’ai pas le droit de me salir !”, hurle un gamin en se relevant d’un mauvais tacle lors d’une partie de foot sur le terrain boueux d’une école de campagne. Effectivement, le jean est maculé de traces vertes – la chlorophylle tenace et le vêtement dur à avoir. Cette scène banale entrera bientôt dans la catégorie nostalgie doucereuse et “première gorgée de bière”. La technologie nous fournit à présent des vêtements intachables. Lors du Consumer Electronics Show de janvier à Las Vegas, la société Vardama présentait son nouveau tissu. La fibre qui sert à la confection de leurs vêtements est traitée au niveau microscopique grâce à la nanotechnologie. Elle rend le tissu parfaitement hydrophobe : l’eau ne pénètre plus, la tache n’adhère pas. Sur leur vidéo de présentation, on observe – au ralenti bien sûr – un liquide rouge, type sirop de fraise, qui tombe sur une chemise blanche immaculée. On frémit, les muscles se tendent, les yeux s’écarquillent, la bouche s’ouvre en grand (on est au ralenti nous aussi) pour crier : “Noooooon !” Mais fausse alerte, l’angoisse est douchée. Au moment de l’impact sur l’épaule du mannequin, le fluide rouge rebondit comme une balle. Pas de tache, le tissu reste blanc. Deuxième expérience – mais on était déjà convaincu –, cette fois c’est un jus jaune qui asperge violemment le plastron. Idem, point de souillure. Ce genre d’exploit avait déjà été réalisé par d’autres marques, mais grâce à un produit chimique dont

il fallait enduire le textile et dont les conséquences sur la santé restaient incertaines. Cette fois, c’est la fibre elle-même qui est pourvue de cette propriété, les fabricants promettent qu’elle résiste au lavage – mais à quoi bon laver une chemise intachable ? Le vêtement du futur n’est pas donné : 125 dollars la chemise, à partir de 700 le costume. Mais bien coupé. L’avenir sera donc immaculé. Ce sera la faillite assurée des serviettes. Et si l’on tire un peu le fil, on imagine sans peine le procédé appliqué aux sols, aux murs, tables, bancs publics… Les voitures n’accrocheront plus les moustiques, ce qui privera le mâle occidental de son hobby dominical : les laver. Les assassins pourront courir longtemps si la police scientifique ne trouve plus les indices abandonnés sur la scène de crime. Les peintres auront bien du mal à appliquer leur gouache sur la toile. Rien sur nos chemises ou pantalons ne trahira les péripéties de la journée. Ni transpiration, ni moutarde, ni café. Pourtant, comme le marin a le visage buriné, et le guerrier une balafre, l’écolier se doit d’avoir la manche déchirée et le jean sale. Ce ne sera plus le cas à l’avenir, il rentrera à la maison sans tache, mais n’aura plus rien à raconter. Nicolas Carreau illustration Vincent Boudgourd pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin La présentation de Vardama : youtube.com/watch?v=U_N-nwZ2VSk

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où est le cool ?

Jaimie Trueblood/AMC

par Dafne Boggeri et Fleur Burlet

dans les décors de Matthew Weiner Mad Men, la série racontant le quotidien d’une agence de pub dans les 60’s, fait l’objet d’une gigantesque exposition au Museum of the Moving Image de New York. Matthew Weiner, son créateur, scénariste et producteur, y présente les décors les plus emblématiques (comme le bureau de Don Draper, en photo ci-dessus) en taille réelle, en plus d’une sélection de costumes, objets, vidéos et éléments d’archives. jusqu’au 14 juin, movingimage.us

en jouant avec ces figurines Toy Boarders Les traditionnels petits soldats délaissent leurs armes pour attraper un skate. Soucieux de limiter la promotion de la violence auprès des plus jeunes, Toy Boarders imagine des figurines faites main représentant skateurs, surfeurs, snowboarders et cyclistes. Ingénieux. toyboarders.com 32 les inrockuptibles 18.03.2015

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chez YMC YMC, acronyme de “You Must Create”, propose une sélection de silhouettes pensées comme un way of life. La dernière collection, influencée par les figures géométriques et l’esthétique de la marine, met l’accent sur un vestiaire fonctionnel rehaussé de touches inattendues, comme ici un léger imprimé à pois sur du denim. youmustcreate.com

chaussé de cette slip-on Vans × Gosha Rubchinskiy Rebelote : le créateur et photographe russe signe une deuxième collaboration avec le géant du skate. Pour la saison printemps-été 2015, Gosha Rubchinskiy imagine cette tennis slip-on en toile imprimée “soleil levant” qu’on croirait tout droit sortie de ses clichés de gamins skateurs à Moscou. En vente au concept-store pointu Dover Street Market, à Londres. london.doverstreetmarket.com

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com 18.03.2015 les inrockuptibles 33

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vous n’y échapperez pas

le signe chinois Ringarde à souhait il y a quelques années, l’inscription calligraphique marque le début d’une nouvelle ère chez Guy Laroche.

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a mode est une dialectique entre passéisme et futurisme, bon et mauvais goût. Et quand la marque Guy Laroche, longtemps alliée des bourgeoises friponnes (souvenez-vous de la robe portée par Mireille Darc en 1972 dans Le Grand Blond avec une chaussure noire, qui dévoilait la naissance de son postérieur), cherche à se redéfinir, elle brise quelques tabous. Lors de la fashion week, la marque a présenté sa première collection sous la direction d’Adam Andrascik, créateur américain basé à Londres et connu pour ses lignes futuristes et dystopiques. Pour chahuter son public et les médias, le jeune homme fait un choix simple mais radical : il calligraphie des idéogrammes sur un manteau. Ringard ou visionnaire ? “C’est précisément cette tension entre l’élégance et le mauvais goût de ce symbole qui me passionne”, explique-t-il. Il dit s’inspirer avant tout du film de Peter Greenaway The Pillow Book (1996), œuvre sensuelle autour de la fille d’un calligraphe qui se fait peindre le corps. A cette référence affriolante se greffent nos souvenirs de mode orientaliste fin de siècle – les kimonos de John Galliano, le maquillage de geisha de Björk… Mais c’est chez les raveurs que vient échouer cette tendance – ou sous forme d’un tatouage sur votre épaule, souvenir d’un week-end éméché à Brighton. Rassurez-vous, cette lettre mystérieuse (qui, vous l’avez découvert depuis, signifie “nouille” et non pas “paix”) n’a plus à vous causer d’embarras. Cet été, vous porterez à nouveau un débardeur, fier de votre body-art maintenant d’avant-garde.

Car porter le signe chinois aujourd’hui n’est pas comparable à ces réappropriations passées et colonialistes. Depuis le XVIIe siècle, la mode occidentale s’entiche de “chinoiseries”, soies luxueuses et coupes droites que Paul Poiret sublimera en robes gracieuses au début du XXe siècle, ou que Loulou de la Falaise adaptera en symbole bohème dans les années 70. Aujourd’hui, la Chine, leader de luxe certes, mais aussi terre d’avant-garde naissante, devient l’objet et le sujet de sa réappropriation – transformant la calligraphie ci-dessus en lieu d’hybridation pionnière. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : le clown mélancolique de la mode

1970 Quelques années après le satirique Qui êtesvous Polly Maggoo ? de William Klein (1966), la mode continue à brouiller les pistes entre performance et humour – bien consciente de sa valeur à la fois divertissante et commerciale. Là, cette référence à la figure tragi-comique de Pierrot sur la couverture du Vogue US joue de cette ambivalence entre spectaculaire et cynisme.

2013 La jolie top Cara Delevingne alimente son Instagram de selfies grimaçants. Le magazine i-D va jusqu’à la déguiser en bouffon du roi pour suggérer son pouvoir à divertir les grandes maisons qui l’emploient. Seulement, son décolleté plongeant révèle encore l’incapacité de la mode à rire profondément d’ellemême et des normes qu’elle véhicule.

2015 Aujourd’hui à la tête de Margiela, John Galliano opte pour un maquillage enlaidissant ses mannequins en s’inspirant de Blanche DuBois, personnage de femme folle dans Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams (1947). Il semble évoquer la période qui a suivi son renvoi de la maison Dior et l’acharnement du milieu de la mode à faire de lui une figure de la démence. A. P.

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Tommy Clarke

bouche à oreille

amour et patate douce Pasionaria sympa, Ella Woodward évangélise la planète à coups de chips de kale.

L

a légende débute comme suit : après avoir été soudainement diagnostiquée d’une rare pathologie, Ella Woodward, jolie jeune femme bien née qui ne supportait pas jusqu’à la vue d’un légume, repense de fond en comble son régime alimentaire dans le but de retrouver une vie normale. Adieu veaux, vaches, cochons mais aussi produits raffinés, édulcorants, gluten et, de manière générale, tout produit transformé, Ella ouvre son blog et tente de s’inventer une nouvelle manière de manger. Rapidement, les symptômes de son mal (parmi lesquels une sévère tachycardie l’obligeant à rester couchée une bonne partie de la journée) disparaissent et l’audience grandit. A ses recettes, simples et appétissantes, s’ajoutent des conseils – d’abord inspirés d’un livre de Kriss Carr, “cancer survivor” promouvant outre-Atlantique le régime végétalien. Tous tendent vers la promotion de produits bruts et naturels (comprendre légumes, fruits et oléagineux) pour des plats faciles, complets et gourmands, loin de tout régime restrictif. Vegan convaincue, l’ancienne “accro aux Haribo” (c’est elle qui le dit) déploie des trésors d’ingéniosité pour mettre sur pied des recettes de desserts “sains”. En témoigne son “Sweet Potatoe Brownie” qui résulte

d’un savant mélange de patate douce, d’amandes, de farine de sarrasin, de dattes (qui viennent pour sucrer, comme dans l’Antiquité), de poudre de cacao cru et de sirop d’érable, apte à en berner plus d’un. Dans la bonne humeur, Ella Woodward incarne donc aujourd’hui la défiance d’une génération à l’égard de l’industrie agroalimentaire. Celle qui a grandi dans les années 80 et s’est nourrie au plat préparé réchauffé au micro-ondes pour finalement se rendre compte que l’on peut aussi très bien manger, sainement et simplement, sans additifs, ni conservateurs. La preuve ? Deliciouslyella.com fait plus de deux millions et demi de vues par mois et son appli est la plus téléchargée dans la catégorie “food” en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis – la jeune femme écrit d’ailleurs les chroniques culinaires du Daily Telegraph et, après la sortie de son premier livre, sa maison d’édition lui en aurait commandé deux autres. Ella, qui jadis ne pouvait souffrir la vue d’un brocoli, pose désormais en brandissant fièrement tous les fruits et légumes qui lui passent sous la main. Garde la pêche, Ella. Diane Lisarelli Deliciously Ella (Yellow Kite), en anglais, 256 pages, 21,60 €, deliciouslyella.com 18.03.2015 les inrockuptibles 35

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un printemps 2015 Le crève-cœur haute couture de Björk, le punk bucolique de Courtney Barnett, l’intensité live de The Districts, la grâce sensible de Baden Baden et des Zun Zun zinzins…

1. Mini Mansions Death Is a Girl

8. Ghostpoet Off Peak Dreams

extrait en avant-première de l’album The Great Pretenders (Fiction/Caroline/Universal) Pour démarrer, une vraie pop-song, pétaradante, sexy et trouble, signée par des Californiens qui peuvent vite devenir une obsession. Attention.

extrait de l’album Shedding Skin (Pias) Entre soul languide et hip-hop enfumé, Ghostpoet continue d’élargir les rêves musicaux de l’Angleterre. Bel exemple avec ce Off Peak Dreams en noir et blanc.

9. Fyfe Solace 2. The Districts Peaches extrait de l’album A Flourish and a Spoil (Fat Possum/Pias) A la fois hirsute et parfaitement éduqué, le rock de ces jeunes Américains peinait parfois à retrouver sur disque l’intensité de la scène. Problème résolu.

3. Courtney Barnett Pedestrian at Best extrait en avant-première de l’album Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit (Marathon/Pias) Après une compilation d’ep qui a tourné en boucle, l’Australienne sort son vrai premier album : un chef-d’œuvre de punk bucolique, pas moins. Courtney = love.

4. Björk Stonemilker extrait de l’album Vulnicura (One Little Indian/Believe) Fondé sur une rupture amoureuse, le neuvième album de Björk est un crève-cœur sur le fond, et un disque de haute couture musicale sur la forme. Björk telle qu’on la préfère.

5. Saycet Mirages (feat. Phoene Somsavath) extrait de l’album Mirage (Météores) Retour de cet orfèvre français de l’electro avec un titre minutieux et élégant où, pour la première fois, il mêle sa voix à celle de Phoene Somsavath.

6. Turzi Colombe

extrait de l’album Control (Believe Recordings) Il ne faudra pas rater le premier album de ce crooner futuriste, dans lequel on retrouve ce single Solace, qui mélange beats froids et mélodies tout en souplesse.

10. Baden Baden L’Echappée extrait de l’album Mille éclairs (Naïve) Deux ans après la révélation, les Français Baden Baden transforment l’essai avec un second disque sensible, gorgé de ballades gracieuses. Comme cette Echappée au spleen élégant.

11. Kid Wise Hope extrait de l’album L’Innocence (Maximalist Records/The Wire Records) Les Toulousains de Kid Wise livrent enfin leur premier album. On y retrouve comme prévu le tubesque et mélancolique Hope, qui fera danser la tête un peu baissée. le coup de cœur inRocKs lab & Sosh à retrouver en vidéo sur

12. Balthazar Then What extrait en avant-première de l’album Thin Walls (Pias) Encore méconnus en France, les Belges Balthazar sortent ce printemps leur troisième album. Qui se dévoile avec cet extrait slacker et détendu.

13. The Wave Pictures I Could Hear the Telephone (3 Floors above Me)

extrait de l’album C (Recordmakers) Romain Turzi poursuit la déclinaison d’un alphabet personnel, et cette troisième étape s’attarde sur les musiques de film seventies, de Morricone à Michel Colomb(i)e(r).

extrait de l’album Great Big Flamingo Burning Moon (Moshi Moshi/Pias Coop) Groovy et sec, le nouvel album de ces Anglais n’a pas fini de faire tourner les têtes. Un bon aperçu avec ce morceau au titre à rallonge mais à l’efficacité sans détour.

7. Zun Zun Egui African Tree

14. Seasick Steve Summertime Boy

extrait de l’album Shackles’ Gift (Bella Union/Pias Coop) De Bristol, ce trio aux origines éparses débarque avec une énergie nucléaire, mêlant post-punk et funk comme des Talking Heads du XXIe siècle.

Extrait en avant-première de l’album Sonic Soul Surfer (Caroline/Universal) L’album s’appelle Sonic Soul Surfer et le single Summertime Boy : c’est tout un programme, voire un manifeste que nous propose ce beach bum héroïque.

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reborn Björk A quelque chose malheur est bon : Vulnicura, chronique de sa rupture amoureuse, permet de renouer le fil affectif intime entre Björk et ses fans. Un album irréprochable. par Stéphane Deschamps

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uatorze ans après Vespertine, la nuit est tombée. Cet album de 2001, sommet de grâce enneigée dans la discographie de Björk, accompagnait le début de son histoire d’amour avec le grand mogul de l’art contemporain Matthew Barney (l’union artistique était consommée quatre ans plus tard avec le projet Drawing Restraint 9, film de Barney et musique de Björk). En 2015, la boucle est bouclée et les liens sont défaits : Vulnicura, neuvième album de Björk, se rapproche musicalement d’une version très dark de Vespertine et raconte en profondeur la fin de sa relation avec Barney et la dislocation du triangle familial (en 2002, ils ont eu une fille, Isadora). Un récit : c’est sans doute ce qui manquait le plus à Björk depuis une dizaine d’années et quelques projets. On avait entendu chez elle beaucoup de concepts (Medúlla en 2004, l’album fondé sur les voix) et de discours (le cours de science-fiction multimédia Biophilia en 2011). On avait été bombardés d’infofolles et d’images extravagantes jusqu’à l’embarrassant (le visuel Orangina de l’album Volta). Björk continuait à impressionner par sa liberté, son ambition avantgardiste, sa curiosité, ses interviews, et sa capacité à rester un nom dans le monde des pop-stars avec des disques qui l’étaient de moins en moins, pop. Mais avouons-le, on se sentait moyennement concernés par sa musique, on avait perdu le fil affectif intime qui relie un artiste à ses fans. Artiste officielle des années 90, Björk a toujours suivi sa propre voie, mais sans qu’on ait toujours envie de la suivre.

L’imagerie Vulnicura, signée Inez and Vinoodh

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“je me sens proche de la Björk que j’étais il y a vingt-cinq ans, je l’aime” Il aura donc fallu sa rupture amoureuse pour qu’on renoue vraiment avec elle. Vulnicura est un disque avec une histoire, où la nécessité de raconter précède la musique, puis où la musique transcende l’expérience intime. Vulnicura est un néologisme formé à partir de “vulnerable” et “cure”. Soit un synonyme d’antidépresseur, en gros. Björk a eu mal, très mal, et elle s’est soignée en écrivant des chansons : c’est (enfin) aussi simple et sain que cela. “La séparation a été très douloureuse. Mais ça n’a pas changé ma relation à la musique. Je me suis contentée de composer des chansons comme je le fais toujours, souvent en marchant. C’est seulement ensuite, avec le recul, que j’ai réalisé ce que j’avais raconté. Il fallait que ces chansons sortent, pour laisser la place à d’autres plus heureuses”, dit-elle. Chronique d’un drame, cet album est arrivé en catastrophe : fuite sur internet deux mois avant sa sortie officielle, qui a entraîné quelques jours après sa sortie numérique précipitée. On a d’abord approché Vulnicura par sa pochette : Björk en créature multiple remontée des abysses, qui évoque une anguille, un vagin ou une plaie ouverte, une rascasse et un pissenlit. Conçue avec les photographes Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, ses collaborateurs de longue date, l’image est troublante. Elle se regarde de bas en haut, de ses jambes comme des fuseaux de noirceur plombée jusqu’au retour de la couleur, de la légèreté et de l’énergie dans la cape et le chapeau designés par la styliste Maiko Takeda. Elle représente la métamorphose de Björk, et fait écho à l’extraterrestre (et extra tout court) Scarlett Johansson dans le film Under the Skin de Jonathan Glazer (dont la musique est de Mica Levi, compositrice appréciée de Björk). La pochette de la version physique est totalement différente, plus discutable esthétiquement, et semble précéder le visuel numérique : façon alien pataud dans Starship Troopers, Björk en mauvaise posture (celle du pont en yoga, n’essayez pas ça chez vous), créature de boue dégoulinante qui n’a pas encore trouvé la position horizontale, avec toujours cette plaie féminine béante au niveau du plexus. “Toutes mes incarnations sur les pochettes sont comme des cartes de tarot, un personnage emblématique qui représente l’album”, explique Björk. Cet album, Vulnicura, évoque donc une séparation. Björk s’est surtout séparée du barnum qui l’encombrait sur le précédent Biophilia. Aussi hostile qu’éblouissant, il raconte les différents ressentis de la rupture et signe surtout le grand retour de Björk à sa nature, à sa magie : la transformation d’émotions très intimes

et normales en musique paranormale. En apparence donc, elle commence par retrouver les chemins blancs de Vespertine : une musique minimale, subtile et translucide. Vulnicura s’en rapproche et va plus loin. Dans les crevasses, sur les lacs gelés que craquelle une onde de choc venue des tréfonds, vers le crépuscule. Il y a bien des chansons, des mélodies, mais elles ouvrent la porte à l’inconnu, se laissent porter par des volutes de cordes qui annoncent la bourrasque. Tout l’album va se dérouler dans le même registre. Des orchestrations de cordes sobres et savantes, parfois chamboulées par des rythmiques électroniques souterraines. Des harmonies vocales étranges. La voix de Björk qui erre dans des incantations solitaires. Une musique à la fois éthérée et intense, parfois jusqu’à l’asphyxie. Des constructions musicales élémentaires et inédites. Des sons subliminaux, fourmillement de détails à peine audibles et pourtant essentiels à l’ensemble, à cette tension sourde qui traverse Vulnicura. Parfois, ce disque fait peur (sans jamais cesser de fasciner) : quand les cordes jouent un bourdon étale, quand les programmations électroniques des nouveaux collaborateurs de Björk (Arca et The Haxan Cloak) font surgir des coups de sabres laser comme des bouffées d’angoisse (sur Mouth Mantra), quand Antony Hegarty fait des chœurs de chanteur soul revenu d’entre les morts (Atom Dance). Clichés toujours valables avec Björk : le froid mord, la glace brûle. Parce que rien n’est jamais à sens unique ni monotone avec Björk, cet album irréductible et irréprochable sort alors que commence à New York une exposition/rétrospective que lui consacre le MoMA (lire pages suivantes). “Klaus Biesenbach, le curateur, m’a contactée et m’a proposé de collaborer. Au départ, je n’étais pas sûre que ça fasse sens de présenter un musicien dans un musée d’arts plastiques. Comme je l’ai dit avant : comment accrocher une chanson sur un mur ? Le projet m’a intéressée quand le MoMA m’a commandé un nouveau morceau (une vidéo inédite du titre Black Lake tournée en réalité virtuelle). Je me suis surtout concentrée sur ce nouveau morceau, et sur la partie audio de l’exposition. Mais la collaboration a été très proche. J’ai lu tous mes journaux intimes pour la première fois, c’était intéressant. Comme des films jamais développés qui se sont révélés, quelque chose de subconscient a fait surface. Je me sens proche de la Björk que j’étais il y a vingt-cinq ans, je l’aime. Je n’ai pas vraiment traversé de midlife crisis. J’aurai 50 ans en novembre, et j’ai hâte.” album Vulnicura (One Little Indian/Believe), bjork.com

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Photod e la pochette de l’album Debut (1993), signée Jean-Baptiste Mondino

patchwork-in-progress Dans le cadre imposant du MoMA de New York, l’Islandaise s’expose : vidéos sublimes, masques, croquis, robes ou poèmes tentent de la raconter. Mais l’exposition manque de l’espace et de la folie qui alimentent tant sa musique. par Maxime Robin

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En 1999, All Is Full of Love, de l’album Homogenic, donne lieu à un clip réalisé par Chris Cunningham (à droite). Celui de Wanderlust (2008), extrait de Volta, est signé Encyclopedia Pictura (ci-dessous)

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es cyborgs du clip All Is Full of Love, figés sous les néons en pleins préliminaires. Des vidéos de panoramas islandais, tournoyant jusqu’au vertige… Le Museum of Modern Art de New York (MoMA) tient enfin son expo sur Björk : “L’artiste ultime des nineties”, selon son curateur Klaus Biesenbach, pour qui “son art du crossover (assurément le maître-mot de l’expo – ndlr) et sa créativité collaborative” ont permis la production de vidéos de génie, à une époque pré-Google où le clip était roi, et MTV son ambassadeur. Dans les cartons depuis une éternité, le projet n’aurait pas vu le jour sans Biesenbach, qui a démarché l’artiste voici quinze ans. “Je l’avais invitée en 2000 à New York pour brosser un premier jet… A l’époque, elle avait déjà dans ses bagages assez de merveilles visuelles pour être exposée. Je pense aux collaborations avec Spike Jonze, Michel Gondry…” Björk refuse de nombreuses fois. En 2012,

soit peu de temps après la sortie de Biophilia, elle accepte. Tout en insistant : “Je veux que l’expo soit authentique, qu’elle raconte mon histoire. Pas un catalogue, ni une carte postale.” Comme l’artiste, l’expo est un patchwork. Imaginée comme une “rétrospective de milieu de carrière”, elle est organisée en trois strates. Dans la cour, quatre instruments de musique singuliers utilisés pour Biophilia, dont une “harpe de gravité” monumentale, mue par la volonté d’un ordinateur. Au premier étage, ses clips diffusés dans une salle de cinéma aux poufs moelleux et écarlates. On grimpe dessus, on y délace ses godillots et on regarde les trentedeux vidéos en boucle. Sans conteste la salle la plus envoûtante de l’exposition, où l’on prend une bonne dose d’images et de décibels. Une seconde salle de cinéma, plus étrange, diffuse une vidéo inédite de onze minutes, Black Lake (un titre de Vulnicura). Réalisée par Thomas Huang, l’œuvre a été spécialement

commanditée par le musée. La pièce est un cube de dix mètres de côté où l’on s’assoit par terre, sur la moquette. Deux écrans panoramiques se font face et diffusent les images en décalage, dans une sorte de canon visuel. Björk, dans une grotte de lave, expie sa rupture avec son partenaire Matthew Barney. Elle meurt puis renaît papillon, lévite dans une robe de feu au-dessus d’un champ de tourbe, et la caméra tournoie autour d’elle, dans un de ces décors islandais à couper le souffle. Au second étage, le cœur du dispositif : un dédale de huit pièces (une par album) réunit plusieurs robes, photos d’enfance, croquis, masques. Un casque audio est confié au visiteur : un texte du poète islandais Sjón raconte une biographiefiction de quarante minutes, plutôt alambiquée. Hybride, l’expo tente de réunir musique, vidéo et poésie… Mais il manque le tourbillon sensoriel promis. On s’interroge aussi sur l’espace qui lui est réservé, insuffisant comparé à l’ampleur du teasing.

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“je veux que l’expo soit authentique, qu’elle raconte mon histoire. Pas une carte postale, ni un catalogue” Que Biesenbach retient-il de ses années de travail avec Björk ? “Son enthousiasme contagieux, sa force de conviction.” Dans la vie, “elle est binaire ; je la trouve vulnérable et agressive à la fois. Elle a un côté petite fille et femme fatale.” La force de conviction de la petite fille semble avoir pris le dessus : Biesenbach s’est-il laissé prendre par le bout du nez, sans cornaquer l’artiste ? Même avec une volonté dure comme la pierre de lave, il est presque impossible de s’immerger dans l’expo. Le tour du labyrinthe d’objets, même pour le fan le plus consciencieux et méditatif, prend quinze minutes en tout, et laisse un arrière-goût de musée Grévin dédié à Björk. La poésie de Sjón qui babille dans nos oreilles se révèle infantilisante, absconse : on enlève vite les écouteurs. On rêverait d’entendre une voix reconnaissable entre mille, celle pour laquelle on est venus ; pourquoi Björk ne s’estelle pas racontée elle-même ? Pourquoi ne pas jouer le jeu jusqu’au bout ?

On ressort de l’expo peiné pour notre artiste majeure, à qui le MoMA coupe les ailes. La meilleure partie du show reste donc la rétrospective de ses clips – contrairement à une page de journal intime rédigée en islandais, ils se suffisent à eux-mêmes, et donnent de nombreuses clés pour comprendre l’artiste ou juste s’émerveiller. Les robots-amants de Chris Cunningham sont également une belle redécouverte : nul doute qu’ils feront un tabac sur Instagram, et avec raison, ils sont superbes. Mais c’est bien peu et ça manque cruellement de contexte. Pour qui veut percer le mystère Björk, le MoMA pose finalement davantage de questions qu’il n’offre de réponses. Sur l’artiste elle-même, mais surtout sur la capacité du musée à lui façonner un écrin à sa taille. exposition jusqu’au 7 juin au MoMA à New York moma.org 18.03.2015 les inrockuptibles 43

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la flamme de Chandler Depuis Friday Night Lights, on a beaucoup vu Kyle Chandler au cinéma – Super 8, Argo, Le Loup de Wall Street, Zero Dark Thirty… – mais pas dans une série. Un manque bientôt comblé avec l’arrivée sur Netflix de Bloodline. par Olivier Joyard

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a voix, ses postures et ses yeux pleins de fièvre résonnent pour tous les amateurs de séries comme une image doudou. L’une des plus fortes qui soient. Pendant les cinq saisons presque parfaites de Friday Night Lights, entre 2006 et 2011, Kyle Chandler a incarné le type le plus droit et néanmoins ambigu de l’histoire récente des séries. Un genre de père idéal, juste assez rock’n’roll, juste assez fou. A l’ère des antihéros limite psychopathes – comme celui de Breaking Bad, par exemple –, son personnage de coach d’une équipe de foot américain dans une petite ville du Texas a avancé contre le sens du vent. Eric Taylor figurait un homme de raison. Il parlait vite et fort, mettait beaucoup de lui et de son corps dans chaque instant, chaque geste envers les autres montrait une fascinante aptitude à la vie. Le naturel avec lequel Kyle Chandler lui a prêté ses traits a sans doute beaucoup joué dans le succès de la série, encore peu vue à l’époque de sa diffusion, mais désormais incontournable – si un fan de séries ne vous a pas conseillé Friday Night Lights, c’est soit qu’il n’y connaît rien, soit qu’il vous veut du mal. Ce naturel est peut-être tout ce que Kyle Chandler possède. A bientôt 50 ans, il demeure le contraire d’un acteur technique. C’est souvent très beau. “Partir de soi-même est une bonne base. Je n’ai jamais eu à me séparer de moi pour faire exister un personnage.” Il prononce ces quelques mots étendu sur un canapé d’hôtel de luxe à Londres, écrasé par le décalage horaire. Il accompagne lascivement une nouvelle série,

sa première depuis l’arrêt de FNL, si l’on excepte un pilote recalé par Showtime en 2013. Sous le soleil des îles Keys en Floride, Bloodline (par les créateurs de Damages) raconte l’histoire d’une famille perturbée par le retour de l’un des fils, un mouton noir qui met le bordel partout où il respire. Evidemment, Kyle Chandler joue un autre fils, celui qui redresse les situations tendues. Mais quelques indices laissent augurer une mutation du modèle car lui aussi semble capable de déraper. “Cette série m’emmène dans des terres que je n’ai jamais fréquentées. Pour incarner cet homme qui rouvre de vieilles blessures, je suis forcé de fouiller dans mon propre passé et de mettre en scène mes mensonges à l’écran. Ce n’est pas si douloureux, c’est une épreuve de vérité.” Chandler prend comme exemple le tournage d’une scène face à Sam Shepard (le patriarche dans Bloodline) qu’il a dû refaire un nombre important de fois, jusqu’à trouver la solution en apercevant bien malgré lui des flashes de son propre père, mort quand il avait 14 ans. C’est sa manière de parler de lui, avec un phrasé direct et familier, sans emphase. Son parcours l’autoriserait pourtant à tirer les fils du mélo. Après le décès de son père, ce garçon né à Buffalo, mais élevé dans l’Illinois puis en Géorgie, a traversé une période violente. “Je ne suis pas un mauvais mec, pourtant j’ai fait quelques conneries”, dit-il en paraphrasant étrangement l’accroche promo de Bloodline. Conduite en état d’ivresse, voitures encastrées, arrestations en tout genre… “J’aurais dû mourir dix fois.” Il est pourtant resté en vie, jusqu’à croiser des personnes avisées.

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Saeed Adyani/Netflix

Le coach Taylor de FNL, métamorphosé en médiateur, mi-rassurant mi-inquiétant, pour Bloodline

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NBC

“les acteurs de série sont propriétaires de leurs personnages”

Avec Connie Britton, sa femme dans Friday Night Lights

“J’étais à la fac, un soir, avec ma copine. On a taxé une clope à d’autres étudiants qui m’ont conseillé de tenter ma chance dans une pièce à l’université de Géorgie. J’ai obtenu un rôle et décidé de devenir acteur en entendant les applaudissements. Les gens avaient l’air d’aimer ce que je faisais. Comme je n’avais aucune idée de ce qu’allait devenir ma vie, j’ai choisi ça.” Quelques mois plus tard, la chaîne ABC le repère lors d’un casting géant et lui propose un contrat. Il met les voiles pour la Californie. “Le 15 janvier 1989, j’ai pris un avion Eastern Airlines avec mon pote Trent. On m’avait offert un billet en première classe, mais j’ai pris deux places en éco pour être avec lui. On a fumé des cigarettes et bu du whisky pendant tout le vol. Et on est arrivé à Los Angeles.” Il est souvent question de fumer et de boire dans les grands moments de la vie de Kyle Chandler. En 2006, quand Peter Berg lui a offert le rôle de coach Taylor dans Friday Night Lights, l’acteur rentrait d’une énorme virée. “Je n’étais pas rasé, j’avais fumé une vingtaine de cigares et ma dernière douche datait un peu. Berg m’a regardé et a dit : ‘Je veux exactement ça.’” En se redressant de son canapé, Kyle Chandler sourit : “Si moi je peux y arriver, tout le monde peut y arriver”. Comment y croire ? Bien sûr, il n’a pas vraiment pris de cours. De plus en plus courtisé par le cinéma (Super 8, Zero Dark Thirty, Argo, Le Loup de Wall Street notamment), il fait partie de ces acteurs choisis pour ce qu’ils sont et n’ont pas les atours d’un caméléon. Mais quelques principes très ancrés structurent son approche du jeu. “Que ce soit dans FNL ou dans Bloodline, j’aime qu’on me laisse donner une certaine orientation aux dialogues. Pour moi, les acteurs de série sont propriétaires de leurs personnages.” Tous les scénaristes avec lesquels il a travaillé en témoignent, il demande souvent à couper des blocs de dialogue pour s’exprimer “par le regard”. Sur les plateaux, qu’il aime “détendus”, Kyle Chandler discute avec tout le monde, refuse de s’isoler dans sa loge, traîne, pose des questions aux techniciens sur leur vie. “Je leur demande comment ils réagiraient à telle ou telle situation. J’apprends toujours quelque

chose pour la scène qui vient.” Quand on l’interroge sur son choix presque systématique de tourner loin d’Hollywood – Texas, Floride –, il n’évoque pas le hasard. “On pourrait rester à Los Angeles et faire la même chose en studio. Mais ce serait comme s’il manquait un personnage. Et un acteur a besoin de bons personnages autour de lui. N’importe quel comédien, dans un studio de la Warner à Los Angeles qui reproduit la Floride, ne sera pas aussi bon. Je préfère payer le prix de l’éloignement par rapport à ma famille pour faire mon travail correctement.” Durant les premiers mois de tournage de Friday Night Lights, Kyle Chandler organisait régulièrement des barbecues dans sa maison de location d’Austin. Autant de répétitions aux scènes collectives fulgurantes de la série, sous le soleil bluesy du Texas. Il a fini par s’installer dans la ville à la fin des années 2000 et y réside toujours. Est-ce pour sentir les odeurs qui l’auront marqué à vie ? Quand il raconte quelques moments liés à FNL, la sensation de présent reste très forte. “Je me souviens du moment où j’ai compris comment jouer le coach grâce à Peter Berg (réalisateur du film original et créateur de la série). C’était dans un gymnase. Il y avait pas mal de jeunes mecs, des joueurs de foot américain qui passaient le casting pour être figurants. C’était une ambiance masculine, pleine de testostérone. Peter me lance : ‘Tu peux dire rapidement à ces gars de se taire et de se mettre en ligne contre le mur ?’ J’y suis allé, certains m’ont écouté, d’autres non. Berg me dit d’y retourner et là, je les insulte, je leur bouge vraiment les fesses. Et ça marche ! Je suis entré dans la peau du coach.” Les fameux speeches de mister Taylor ne se limitaient évidemment pas à des hurlements. Son personnage, d’une ampleur rare, dépassait de beaucoup le cadre vaguement militaire parfois associé au sport. “C’est toute la série qui a marqué les gens, pas seulement le coach. Moi, j’étais juste aussi bon que pouvait l’être Connie Britton (interprète de son épouse Tami). Elle était fantastique et c’est peu de le dire. Le plus fun dans tout ça était de jouer avec elle. Je ne sais pas si c’était perceptible, mais on s’est tellement marrés, dans une atmosphère d’improvisation permanente. Elle pouvait me balancer dans une scène que j’étais un idiot et ça marchait toujours…” Ensemble, coach Taylor et sa femme ont dessiné une trajectoire désirable et puissante, une entité fictionnelle totalement indépendante, au-dessus des contingences et des lois. Ils formaient le plus beau couple du monde. Ils nous manquent. Bloodline saison 1, à partir du 20 mars sur Netflix

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la croix et la manière Après avoir défrayé la chronique outre-Atlantique, le photographe porno-chic Terry Richardson fait profil bas avec une exposition parisienne qui témoigne de sa bonne foi.

Adam and Eve, 2014

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Terry Richardson, courtesy galerie Perrotin 

par Claire Moulène

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Walking on Water, 2014

Terry Richardson, courtesy galerie Perrotin 

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pération rédemption pour le banni de la mode US (de multiples accusations pour agressions sexuelles, dont aucune n’a donné lieu à ce jour à un procès, l’en avaient tenu éloigné) qui signe son retour par une exposition à la galerie Perrotin, seize ans après son dernier show, en 1999. Aux murs, à quelques exceptions près, pas de jeunes filles délurées ou dénudées, mais des paysages de western et une enquête exhaustive sur les traces d’un puritanisme made in USA. Réalisées dans des parcs à thèmes bibliques en pleine décrépitude, sur les crêtes de Yellowstone ou en périphérie des highways (cernées tout autant par des pubs pour sex-shop que par la propagande christique type “Jesus is actively working for us in heaven right now”), ses images sont un pied de nez à ses détracteurs autant que le reflet d’un vrai intérêt pour cette culture si américaine qui fait de la religion un entertainment comme un autre. “I am a believer”, s’amuse Terry Richardson rencontré quelques heures avant son vernissage. Muni de son inusable chemise à carreaux rouges et de ses lunettes

Aviator, cet éternel jeune homme de presque 50 ans fait le job, avec modestie : refusant de répondre aux questions sur le contexte sulfureux, mais s’attardant sur ce road-trip d’un an où le but du voyage “n’était pas tant la destination que les bas-côtés”. Faisant de ces paysages un écrin plus précieux pour le sentiment religieux, le spiritualisme, que les jardins d’Eden toc et choc qui jalonnent les Etats-Unis.

Reste dans cette exposition passée au filtre de la bien-pensance (en tout cas en apparence) quelques dérapages savamment orchestrés. “L’humour est un bon moyen de survie”, commente Terry Richardson, le sourire aux lèvres devant un sexe féminin rasé de près et tatoué “Terry” – un ongle manucuré sur lequel est dessiné un petit pénis indique la direction.

“La fille qui a fait ça est une pro du nail art, elle fait des choses incroyables”, commente Richardson qui, décidément, cultive l’art de la diversion. Avant de conclure : “C’est une bonne chose de ne pas être là où on vous attend.” The Sacred and the Profane jusqu’au 11 avril, galerie Perrotin, Paris IIIe, perrotin.com Le visuel du CD qui accompagne ce numéro est signé Terry Richardson

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Terry Richardson, courtesy galerie Perrotin  Terry Richardson, courtesy galerie Perrotin 

Road Kill, 2014 (ci-dessus) et Nails # 1, 2014   

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No Parking Perverts or Thieves, 2014

Terry Richardson, courtesy galerie Perrotin 

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Jesus Is Watching You, 2014

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America Return to Christ, 2014

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haut de gamme Après s’être beaucoup cherché, le Canadien Tobias Jesso Jr. s’est converti au piano. Avec les chansons de son album Goon, immenses et intemporelles, il remet le songwriting au cœur de la pop-music. par JD Beauvallet photo Alexandre Guirkinger pour Les Inrockuptibles

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’est, sans contestation possible, l’un des grands albums de l’année. Que l’on ne nous demande juste pas de préciser l’année en question. Car Goon, premier essai de ce Canadien à la coupe surannée, est suffisamment intemporel pour déjà faire figure de classique, avec son absence totale de gimmicks d’époque et son écriture hors temps, hors norme. Mais si on voulait vraiment chercher des pairs à Tobias Jesso Jr., ça serait plutôt des pères : John Lennon, Harry Nilsson, Todd Rundgren, Randy Newman, voire le jeune Elton John. La beauté de Goon, c’est pourtant de ne pas sombrer dans le vintage, de ne pas avoir succombé aux obsessions anales de l’analogique, à ces régressions auxquelles tant d’artistes, soul notamment, cèdent dans un combat dérisoire contre le temps. Pas de pastiche, ni de film en costumes ici. “Même si je suis largué, je m’efforce d’être aussi contemporain que possible. Je ne suis pas dans la copie : je sais juste qui m’a nourri.” Le visage de l’escogriffe, dont le physique et les manières maladroites

feraient un carton dans une comédie grinçante sur les adulescents, s’illumine pourtant quand on parle de Randy Newman. “Je savais qu’avec mes chansons, je pénétrais dans son monde, je ne vais pas jouer l’innocent. Mais plus personne ne jouait de piano, il y avait une place à prendre ! Je suis allé le voir en concert, j’ai pleuré du début à la fin. C’est là que j’ai réalisé à quel point il m’avait accompagné, façonné. A part la musique, mon autre passion est la cuisine – je rêve d’ailleurs d’ouvrir une boulangerie. Et quand je cuisine, je n’écoute que Randy Newman.” Il existe un objet très étrange et rare de son idole : un flexi-disc qui joue à l’envers son I Love L.A. On ne sait pas si Tobias connaît ce collector, mais lui-même a adopté en masse ce format aussi désuet que charmant pour diffuser ses maquettes. Une grande partie de Goon est ainsi sortie, en amont, sous la forme d’une adorable série de disques souples, envoyés mystérieusement depuis les Etats-Unis. Des objets absurdes qui se caressent et se tordent de plaisir. Et ce n’est pas fini. “Un truc que j’adore chez les Beatles, ce sont tous ces petits collectors réservés à tel pays ou tel fan-club… Les flexi-discs, il va y en avoir d’autres, glissés au hasard

dans des albums, peut-être même une chanson tirée à un seul exemplaire ! J’ai des dizaines de chansons stockées sur mon iPhone ! En version brute : la meilleure que je pourrai en tirer. Ça ne sert à rien de les emmerder ensuite en studio… Tout le reste n’est que décoration. Je suis un amoureux des demos. J’ai déjà de quoi sortir un coffret. J’écris tellement que je vais être obligé de proposer des chansons à d’autres artistes – j’adorerais composer pour Lana Del Rey ou Sam Smith. Ou sinon, je continuerai de presser sans répit des flexi-discs.” Dans sa première série de disques souples se trouvait Hollywood, résumé fulgurant du rêve américain – et californien –, du Canadien, qu’il chante en parfait crooner du désenchantement. “Je suis parti à Hollywood pour vivre naïvement ce rêve de triomphe dans l’entertainment, que ce soit dans le rock ou l’écriture de scripts pour la télé. Je me suis inventé une nouvelle peau, celle de l’artiste, pour être moins timide, plus volontaire. Mais je me suis très vite rendu compte que tout le monde vient à Los Angeles pour cette raison : le moindre serveur est un acteur ou un musicien. La compétition est impitoyable. Hollywood m’a recraché. Mais m’a donné matière à chansons !”

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“à L. A., le moindre serveur est un acteur ou un musicien. Hollywood m’a recraché mais m’a donné matière à chansons !”

cru, de toute façon. Mais là, au piano, j’ai trouvé mon ton, mon bonheur. J’ai appris tout seul avec des tutoriaux ou des vidéos d’artistes sur YouTube. C’est pour ça que la plupart de mes chansons sont des ballades : je suis trop nul pour jouer vite ! Mais je répète au moins cinq heures par jour, au désespoir des voisins. J’ai finalement commencé à poster mes propres vidéos. Et des gens ont enfin accroché à mes chansons. Je pouvais recommencer à croire en moi.”

Déraciné, paumé entre ses rêves contrariés de grandeur et une réalité souvent glauque, le Canadien avoue ne plus savoir où est son home sweet home – ni même si ce lieu apaisé existe. Il a ainsi déménagé dix fois en quatre ans. “J’ai habité dans un entrepôt, dans un studio de répétitions, dans un manoir, dans un appartement partagé avec les cafards… Ce qui est très déstabilisant pour quelqu’un qui, comme moi, a un besoin absolu de routine, de rituels.” Maltraité par Hollywood, Tobias Jesso Jr. pourtant s’accroche, se relève miraculeusement quand il est sur le point de jeter l’éponge. Car il y a toujours, dans sa tête, le retour à Vancouver en pire des solutions : une démission, une lâcheté, un aveu d’échec qu’il ne veut même pas imaginer. Jusqu’à ce que la même semaine, il se fasse larguer par sa copine et que l’on diagnostique un cancer fulgurant à sa mère. Il en a fait une chanson poignante, Leaving L. A., qui se chante la queue entre les jambes. “C’est une réalisation abrupte que les choses peuvent avoir une fin.

C’était dur de revenir à Vancouver, je ne sortais plus : j’avais honte de m’être planté à Los Angeles, je me considérais comme un loser, j’avais 27 ans, n’avais plus de rêves, plus d’ambition et je rentrais les mains vides. J’avais l’impression d’avoir raté mon tour. Le personnage d’artiste que je m’étais créé à Hollywood ne pouvait plus exister : tous mes copains d’école se souvenaient de moi comme le petit Tobby… Je ne pouvais plus tricher.” Mais ce retour dramatique à Vancouver se révèle finalement une bénédiction : sa mère sera soignée et Tobias fait une rencontre fortuite avec un piano. Dans un camion de déménagement. Grâce à lui, il trouve finalement son style. “A Vancouver, un pote tient une entreprise spécialisée dans le déménagement de pianos. Je lui ai prêté main-forte plusieurs fois et, un jour, je me suis assis derrière le clavier : une révélation. Je suis quelqu’un de très mathématique, obsédé par le rangement… Et là, cette succession de touches noires et blanches a totalement séduit mon sens logique. J’ai alors abandonné la guitare. Je crois que je n’y avais jamais vraiment

En découvrant ces demos l’an passé, on pensait qu’il jouait ainsi, à la limite du faux, du désaccordé par choix audacieux : c’était strictement par incompétence. Il apprenait à jouer, en direct, après des années de fidélité à sa guitare. Presque totalement tricarde sur Goon, elle faisait pourtant partie, depuis le lycée, de sa panoplie de romantique éploré. Mais c’était une ruse : “J’ai commencé la guitare pour me faire remarquer par les filles, et pour susciter un peu d’admiration chez les garçons.” Il évoque ainsi avec émotion une vieille photo de classe où il porte déjà amoureusement et ostensiblement sa guitare, perdu dans ses rêves et isolé à la marge du cliché, éloigné des autres écoliers. “Je me suis toujours senti à part, à cause de ma taille, de mon poids aussi quand j’étais ado… J’étais patapouf, un peu con, nul en sport… Tout le monde semblait plus cool que moi. Et ça ne s’arrange pas depuis que je fréquente le monde de la musique, où tout le monde est plus cultivé que moi… Moi, je ne connais rien à ce qu’il se passe. Je ne suis pas cool. La preuve : je fais de la couture. Intensément.” Devant notre air perplexe, il raconte qu’enfant, il était si grand et si gros qu’il ne trouvait aucun vêtement à sa taille. Et qu’il devait donc faire ses propres fringues, ou les adapter, avec sa fidèle machine à coudre. Pas étonnant, donc, que Tobias Jesso Jr. voit sa popularité nouvelle et inédite comme la possibilité d’une nouvelle vie, d’un second départ. “Je n’ai plus de personnage, toujours pas les bonnes fringues, mais j’ai désormais les chansons”, se console-t-il. album Goon (Matador/Beggars/Wagram) tobiasjessojr.com

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method Mann Après un quasi sans-faute – Heat, Révélations, Collatéral –, Michael Mann explore un nouveau genre : le thriller informatique. La sortie de Hacker permet un scan de sa filmographie au lyrisme plastique rare, entre perfection glacée et affects qui ruissellent, abstraction et incarnation, hommes et objets. par Serge Kaganski

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Las ilhouette de Tom Cruise dans la nuit de Los Angeles. Collatéral (2004)

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Warner Bros.

Michael Mann (à gauche) agençant l’affrontement Al Pacino (de face)/Robert De Niro sur le tournage de Heat (1995)

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ann, avec deux “n”, signifie-t-il “deux hommes” ? Ou “homme double” ? Toujours est-il que la plupart de ses films s’ordonnent autour de l’affrontement gémellaire ou de l’association plus ou moins contrariée entre deux personnages masculins. Ce schéma fut emblématisé dans Heat (1995) – et dans son excellent brouillon, L. A. Takedown (1989), téléfilm inédit en France –, qui montre la traque en montage alterné entre un gangster d’envergure et un flic qui doit se mettre à même hauteur de ruse et d’intelligence. Cette opposition/miroir est redoublée par la présence de deux stars (De Niro et Pacino), et sous-tendue au maximum par l’attente fébrile de leur réunion dans le même plan. La scène attendue finit par arriver, aux deux tiers du film, faux climax d’une petite dizaine de minutes – comme si le face-à-face des deux superstars était finalement plus désirable à distance. On retrouve cette classique structure duale (la loi/ l’illégalité) incarnée par deux stars se pourchassant à distance dans Public Enemies (Johnny Depp face à Christian Bale, 2009), ou encore dans Le Sixième Sens (1986). Il arrive aussi chez Mann que la place de la loi et de l’illégalité soit plus floue et que les deux protagonistes/stars avancent ensemble, plus ou moins contraints par les circonstances comme Al Pacino et Russell Crowe dans Révélations (1999). Tout oppose ces deux hommes : le physique, la dégaine, la façon de se tenir au monde (et dans le plan), les opinions politiques (salarié du grand capital contre disciple de Marcuse), et pourtant, ils doivent fonctionner

Colin Farrell et Jamie Foxx, la team de flics de Miami Vice (2006)

ensemble. Leur relation orageuse épouse les soubresauts d’une alternance entre alliance et méfiance, mais au final, ces deux hommes dissemblables sont réunis par un même souci déontologique dans leur travail. L’association entre l’ingénieur timide de droite et le reporter extraverti de gauche fait sens face à la pression capitaliste qui détruit toute éthique professionnelle. Dans Collatéral (2004) aussi, on ne peut faire plus dissemblables que Tom Cruise et Jamie Foxx : ils passent pourtant une bonne partie du film dans l’espace exigu d’un taxi. L’un est blanc, anguleux, riche, malhonnête, manipulateur, trader-mafieux d’un sang froid qui confine au glacial ; l’autre est noir, rond, modeste, honnête, franc du collier, chauffeur de taxi qui laisse transparaître toutes ses émotions. Un hommetechno face à un homme-jazz (ou soul), une machine sans âme face à un bloc d’affects, un concept graphique face à un être de chair, de sueur et de sang. Ces deux personnages représentent sans doute les deux pôles du cinéma de Michael Mann, la perfection glacée et les affects qui ruissellent, l’abstraction et l’incarnation, les objets et les hommes… Cruise et Foxx représentent peut-être aussi les deux “man” en Mann. Dans Miami Vice – Deux flics à Miami (2006), on retrouve le binôme masculin, avec un Noir et un Blanc aux commandes du film. Les stars sont cette fois Jamie Foxx et Colin Farrell, team de flics. Là aussi, la frontière entre l’ordre et les gangsters s’estompe puisque les deux héros doivent infiltrer un réseau de trafiquants. Comme s’il existait deux sous-catégories de films de Mann dans ces oppositions/ ressemblance entre loi et hors-la-loi : les films

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Frank Connor/Legendary Pictures and Universal Pictures

Chris Hemsworth, catapulté à l’ère de la cybercriminalité dans Hacker (2015)

le cinéaste porte une conception très old school des genres et des sexes sans être un simple macho réac

de la distance et les films du proche, ceux où les deux protagonistes évoluent comme de chaque côté d’une frontière invisible mais infranchissable (matérialisée par le montage) et ceux de la traversée du miroir. et les femmes dans tout ça ? Elles sont en retrait sans être quantité négligeable, mais leur rôle évolue et prend de la consistance au fil de la filmo. Dans Le Solitaire (1981), film inaugural, le héros est un concessionnaire de voitures et braqueur de coffres à ses heures, seul, comme le dit le titre. Mais justement, il aspire à se retirer de son activité délictueuse pour se marier et fonder une famille avec la serveuse de son diner habituel. Bien qu’à l’arrière-plan de l’action, la femme constitue donc l’horizon désiré du “solitaire”. Dans Heat, l’épouse d’Al Pacino est loin du cœur de l’action mais bénéficie de quelques scènes très consistantes, montrant qu’un rapport d’égal à égal existe dans le couple californien contemporain. Dans Collatéral ou Miami Vice, les personnages féminins sont encore des enjeux sentimentaux ou sexuels à la périphérie de l’action mais elles occupent des positions professionnelles importantes : avocate pour l’une, patronne d’un important réseau de trafiquants pour l’autre. C’est dans Révélations que les personnages féminins sont le plus négligés. Il faut attendre Hacker (2015) pour voir un personnage féminin au centre d’un film de Mann, à la croisée de tous les enjeux du récit : romantiques, policiers, stratégiques, géopolitiques. Hacker propose d’ailleurs un deuxième personnage féminin fort, signe d’une féminisation bienvenue de la vision mannienne. Sur la répartition des rôles entre les hommes et les femmes,

Michael Mann n’est donc clairement pas Jane Campion. Il porte une conception très old school des genres et des sexes selon laquelle les hommes s’occupent des affaires sérieuses tandis que les femmes sont là pour les soutenir. Cela étant précisé, on ne peut pas non plus considérer le cinéaste comme un simple macho réac. Non seulement la place des femmes dans sa filmo est évolutive, mais on note que Mann a toujours casté des actrices magnifiques, parfois rares, toujours en dehors des projecteurs les plus aveuglants du star-system hollywoodien, et qu’il les a filmées avec un respect, une considération et un amour évidents : Tuesday Weld dans Le Solitaire, Madeleine Stowe dans Le Dernier des Mohicans (1992), Diane Venora et Ashley Judd dans Heat, Gina Gershon dans Révélations, Jada Pinkett Smith dans Ali (2001) et Collatéral, Gong Li dans Miami Vice, notre Marion nationale dans Public Enemies, Tang Wei et Viola Davis dans Hacker constituent un capiteux bouquet de fleurs altières, éblouissantes, parfois vénéneuses, un cortège de comédiennes toutes plus belles, intéressantes et talentueuses les unes que les autres. Comme si notre homme Mann avait toujours compensé la masculinité de ses scénarios par la féminité et l’érotisme de son filmage. Black Panthers De la vision des sexes au politique, il n’y a qu’un pas et la politique est toujours présente chez Mann. Le Dernier des Mohicans évoque la genèse coloniale et génocidaire des Etats-Unis, Révélations montre les effets néfastes des grands intérêts capitalistiques sur la santé publique et sur l’information, Collatéral 18.03.2015 les inrockuptibles 61

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De LAurentiis

Le Sixième Sens (1986) : la première apparition à l’écran d’Hannibal Lecter

oppose l’humilité de l’honnête travailleur à l’hubris du mafieux en col blanc, Public Enemies affiche une sympathie pour le gangster qui “pille les banques mais pas les gens” tout en dérangeant l’ordre établi, alors que Hacker prend en charge tout un faisceau d’inquiétudes contemporaines : espionnage, cyberterrorisme, risque nucléaire, dépendance de nos sociétés aux réseaux informatiques… Assez blanc à ses débuts (même le “dernier” des Mohicans est joué par Daniel Day-Lewis), le cinéma de Mann s’est métissé au fil des ans, de Collatéral (personnage principal noir) à Hacker (Chinois, Noire, Serbe…) en passant par Miami Vice (Noir, Chinoise, Latinos…), incluant des scènes de sexe interracial torrides. Le film décisif à ce niveau est bien sûr Ali, à la fois le plus noir et le plus explicitement politique de tous les Mann (mais pas nécessairement le meilleur). Avec une figure comme Mohammed Ali et un contexte tel que les années 60, difficile de faire un film désengagé. Clairement passionné par son sujet, le cinéaste filme le noble art mais surtout le hors-champ du ring : le contexte du racisme et de la lutte pour les droits civiques, les clivages entre les communautés noires incarnés par Martin Luther King, Malcolm X, les Black Panthers et la Nation of Islam, le refus d’Ali d’aller combattre au Vietnam au risque de sa carrière

paysages naturels majestueux ou zones urbaines paupérisées, tout ce que Mann filme est stylisé à l’extrême

de boxeur… Le film s’arrête à la reconquête du titre de champion du monde par Ali lors du fameux “combat du siècle” organisé au Zaïre au cours duquel le boxeurprêcheur-activiste invoqua la grande unité noire de l’Afrique à l’Amérique. Le film ne manque pas d’inclure la scène courte mais fondamentale du changement de nom du boxeur, né Cassius Clay, qui ne voulait pas porter son patronyme de naissance car il le considérait comme “son nom d’esclave”, ce qui déclenche une discussion orageuse avec le père. Ali montre une Amérique où le racisme est une donnée de l’ADN du pays, depuis les plus hauts rouages de l’Etat jusqu’à la base, une société où les Noirs doivent se battre pour conquérir une place et une considération égales à celles des Blancs. A ce titre, la boxe, combat codifié et circonscrit aux dimensions du ring, devient la métaphore parfaite de ces luttes plus vastes et globales. Mann a parfaitement compris qu’Ali était autant un grand sportif qu’un symbole politique et une icône, un homme qui a contribué à faire avancer son pays avec ses poings et avec ses mots. Et il le filme comme tel, dans toutes ses dimensions. Mann, c’est le style Le cinéma de Mann, ce n’est pas que du récit et des personnages, c’est aussi, surtout, de la grande forme. Michael Mann est au ciné hollywoodien ce que Richard Hawley est au rock, Ferran Adrià à la cuisine ou Roger Federer au tennis : un styliste, un esthète pur, un obsessionnel de l’élégance, un maestro. Cette aspiration à la belle facture est présente dès Le Solitaire, dont l’image recèle encore un certain grain seventies mais qui témoigne déjà d’un souci du cadre et d’une fascination pour les paysages urbains nocturnes. Ode aux néons et lumières de la ville, Le Solitaire n’est que la première occurrence d’un motif plastique que l’on retrouvera à chaque fois magnifié dans Heat, Ali, Collatéral (où la nuit de Los Angeles devient un livre ouvert, un tableau graphique), Miami Vice ou Hacker. Dans ces deux derniers, Mann se prélasse dans

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éloge de l’en-deçà Comment Michael Mann finit-il ses films ? Par la fonte du héros dans le grand bain de l’anonymat. Passage en revue.

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Gaumont Buena Vista

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Véritable effet de signature donc, généralisé à partir des années 2000 bien qu’imaginé dès le premier film, ce motif en rejoint un autre, tout aussi iconique : le regard (supposé) mélancolique vers l’horizon. Pas un film ou presque où Michael Mann ne s’autorise une pause de quelques secondes, pour permettre à son héros de scruter au loin (les rues illuminées de Los Angeles qui s’étendent à perte de vue, l’Océan à travers une baie vitrée, les mirages sur le tarmac d’un aéroport…). Les visages minéraux et neutres que le cinéaste affectionne tant ne semblent alors s’animer qu’à la faveur d’un bon vieil effet Koulechov : regarder l’horizon, c’est forcément être ailleurs, et être ailleurs, c’est regretter d’être ici, comme dans les toiles de Caspar David Friedrich. Mais est-ce bien sûr ? Et si, à y regarder de près, c’était l’inverse ; et si, au fond, Michael Mann n’était pas un romantique mélancolique, toujours en quête d’un au-delà inatteignable, mais plutôt un épicurien qui trouve la joie et la beauté où elles sont : devant lui. Non pas sur le front infernal de l’info mais au milieu d’une rue sublimement éclairée (Révélations) ; non pas sur une carte postale d’île paradisiaque, mais devant des lignes à haute tension brillantes au petit matin (Collatéral) ; non pas sur un hors-bord aux bras d’une insaisissable criminelle, mais aux urgences auprès de ses amis (Miami Vice). C’est bien là, anonyme au milieu des anonymes, dans l’en deçà du monde, que le héros mannien se libère pour de bon. Jacky Goldberg

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ames Caan marche seul dans une rue pavillonnaire, sa vengeance accomplie, sous une voûte d’arbres protecteurs (Le Solitaire). Al Pacino franchit la porte de sa rédaction, remonte le col de sa veste et retrouve son anonymat au milieu de la rue (Révélations). Jamie Foxx descend calmement sur le quai, entre chien et loup, sa fiancée dans les bras, tandis que le métro transportant le corps inerte de Tom Cruise s’éloigne (Collatéral). Colin Farrell, ayant laissé repartir la belle Gong Li, marche sur le parking de l’hôpital où il va retrouver la femme de son collègue blessée (Miami Vice). Chris Hemsworth se fond dans la foule d’un aéroport, habillé de blanc, marqué d’une petite tache rouge, somme de pixels sur un écran de surveillance (Hacker). Michael Mann aime ainsi conclure ses films dans un apaisement relatif, par le retour du héros dans le giron de la normalité, par une réintégration dans le flux qu’il aura en vain cherché à éviter ou, à l’inverse, dont il se sera écarté bien malgré lui. Toujours, ces scènes se déroulent de nuit et sont accompagnées des nappes musicales qui font la renommée du cinéaste, qu’elles soient de Tangerine Dream, Massive Attack ou Mogwai. On pourrait ajouter à cette liste les fins de Heat et de Public Enemies, qui partagent la même esthétique et reprennent l’idée d’une impossible fuite, mais doivent en passer, elles, par le sacrifice du bandit héroïque.

De dos, désormais sans visage, pure silhouette dans la nuit, un homme disparaît : Colin Farrell dans Miami Vice, James Caan dans Le Solitaire et Al Pacino dans Révélations

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James Caan dans Le Solitaire (1981), le film inaugural de Michael Mann, et déjà le goût des poudroiements lumineux

le filmage des gratte-ciel et autoroutes luminescents, filmant les villes comme des installations lumineuses ou des toponymies des circuits informatiques. Le tapis électrique nocturne d’une mégapole légèrement surplombé (Le Solitaire, Heat, Collatéral, Miami Vice, Hacker…), ou son équivalent naturel et diurne, la mer (Le Sixième Sens, Révélations, Miami Vice encore…) sont régulièrement convoqués, surfaces planes et horizontales sur lesquelles viennent s’inscrire les personnages, soit lors d’un moment-clé de leur trajectoire, soit à la fin du film, comme si l’ordre du monde, menacé le temps du film, retrouvait son intégrité apaisante par le biais d’une harmonie visuelle universelle (chacun aime contempler une vaste ligne d’horizon, se sent apaisé, en symbiose avec le monde). Cet horizon apaisé n’est pas que visuel ou graphique, il est plus littéralement l’objectif des héros manniens, la part de “paradis” à laquelle ils aspirent (voir la carte postale exotique coincée dans le pare-soleil dont rêve le chauffeur de taxi de Collatéral). Mann est friand de graphisme, de géométrie, de surfaces lumineuses ou réfléchissantes, de même qu’il aime filmer tous les fétiches chatoyants de la modernité : architecture extérieure et intérieure contemporaine, mobilier design, déco intérieures de ouf, voitures métallisées, carlingues d’avions, hélicoptères, hors-bords profilés, métro de L. A. flambant neuf, écrans de télé, d’ordinateurs et de portables, costumes… tout ce que Mann filme est stylisé à l’extrême. Les paysages

tous ses personnages sont des perfectionnistes. Nul doute que Michael Mann se projette en eux

naturels majestueux, les zones urbaines paupérisées connaissent le même traitement d’embellissement. Le sommet de ce désir de faire jouir l’œil avec classe est sans doute Miami Vice, feu d’artifice de graphisme et de design, de mouvement et de vitesse, explosion de lumières et de couleurs comme jaillies d’une sorbetière aux parfums tropicaux – mais le nouveau Hacker pourrait lui disputer ce titre de “best designed movie”. Le style visuel de Mann est complété par son traitement du son et ses BO, nappes liquides de musique synthétique en symbiose avec la fluidité du filmage et du montage, parfois trouées de moments plus pop ou plus percussifs quand le suspense le réclame. Chez Mann, certains films sont plus réussis que d’autres mais aucun plan n’est anodin, banal, ou laid. le professionnel Michael Mann est sans doute un workaholic, un professionnel obsessionnel, un réalisateur qui prend un soin manifeste à peaufiner ses films à la virgule près. Nul hasard à ce que ses personnages principaux soient eux aussi des méticuleux, quelle que soit leur activité – police ou gangstérisme, sport ou journalisme. Le solitaire James Caan est un super technicien du cambriolage, Pacino et De Niro dans Heat comme Depp et Bale dans Public Enemies sont de grands professionnels, Ali était champion du monde poids lourds et s’autoproclamait “the greatest” (il avait sans doute raison), Cruise est un expert mafieux et Foxx un excellent chauffeur dans Collatéral, les informaticiens et pirates de Hacker sont des cadors… Tous les personnages manniens sont des champions de leur discipline, des perfectionnistes. Nul doute que Michael Mann se projette en eux et qu’il se verrait bien membre à vie du club Kubrick des grands maîtres du cinéma. Ce ne serait pas usurpé. lire aussi la critique de Hacker p. 66 voir ou revoir reprise en salle et sortie en DVD du Solitaire, assorti d’un essai de Michael Henry Wilson (Wild Side)

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Hacker de Michael Mann Michael Mann catapulte à l’ère de la cybercriminalité son rêve d’un cinéma labile et gazeux. Eblouissant.

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epuis l’annonce du projet, le mystérieux titre du dernier film de Michael Mann (Blackhat, traduit pour l’exploitation française en un plus familier Hacker) suscitait de vives attentes et de nombreuses interrogations. Après avoir pris en charge au cours des années 2000 la mutation numérique du cinéma américain à la faveur de quelques chefs-d’œuvre de l’âge des caméras haute définition (Collatéral, Miami Vice, Public Enemies), quel allait être le nouveau tour de force du cinéaste ? Comment allait-il appréhender le sujet du hacking ? Quelle nouvelle forme allait-il inventer pour mettre en scène l’ère d’internet, celle des algorithmes et de la cybercriminalité ? L’auteur évacue toutes ces questions dès l’ouverture du film, par une saisissante symphonie virtuelle figurant depuis

l’intérieur d’un ordinateur l’opération de piratage qui mène à une catastrophe nucléaire, du premier clic effectué sur le clavier d’un hacker à l’explosion d’une centrale. Ce long et virtuose plan-séquence, composition entièrement numérisée entre l’abstraction picturale et le schéma scientifique ultra précis, lance le film sur la piste trompeuse d’une aventure formelle sur le motif des réseaux informatiques. Trompeuse, car Michael Mann ne se souciera ensuite que très peu de l’objet “hacking”, et il pourra en cela décevoir ses fans qui attendaient une nouvelle révolution plastique de la part du dernier auteur à réellement penser les formes du cinéma d’action américain. Ce qui intéresse Michael Mann ici, ce n’est pas le hacking comme mécanisme technique, mais plutôt comme l’expression terminale d’un monde déréalisé, un monde

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le hacking comme expression terminale d’un monde déréalisé, un monde sans univers palpable, sans frontière et sans héros

sans univers palpable, sans frontière et sans héros, produisant chez le cinéaste un sentiment de mélancolie qui nimbe le film d’un épais voile de fatalité. Une fois passée sa brillante exposition, Hacker revient ainsi aux termes les plus classiques du thriller géopolitique (deux spécialistes s’associent pour lutter contre un cybercriminel qui menace l’économie mondiale), une sorte de variation fantomatique de la série Jason Bourne, dont les enjeux auraient été dévitalisés. Ici, on ne retrouve plus les voyous mythiques ni ces puissantes figures italo-américaines qui ont peuplé la filmographie de Michael Mann ; les nouveaux héros sont éteints, presque transparents, à l’image de Chris Hemsworth (surnommé littéralement “The Ghostman”), grand blond au visage secret, sinon inexpressif, qui porte en lui tous les stigmates du monde virtuel dont le cinéaste fait le portrait. A travers ce personnage indéchiffrable, dénué de toute pesanteur psychologique, Michael Mann atteint la formule la plus radicale de cet idéal de cinéma abstrait qu’il poursuit depuis le milieu des années 2000, brouillant un peu plus

la frontière entre mainstream et art expérimental. Loin de la sécheresse hyperréaliste de Public Enemies, il renoue avec son rêve de blockbuster comme pure expérience sensitive, assemblage composite de nappes sonores et d’images hypnotiques constituant une atmosphère voluptueusement irréelle. Planante. Hacker apparaît ainsi comme une anomalie totale à l’échelle hollywoodienne, un thriller au rythme languissant scandé par des séquences d’action qui puisent leur inspiration du côté du cinéma asiatique. Deux pôles d’Orient aimantent la mise en scène de Michael Mann : celui du vieil héros hong-kongais Tsui Hark, auquel on pense lors de fulgurantes scènes de fusillade ultra chorégraphiées ; et celui du Taïwanais Hou Hsiao-hsien, dont l’ouverture flottante et technoïde de Millennium Mambo semble influencer chaque plan du film. Mais le prodige de Hacker est que cet accomplissement formel ne se fait pas aux dépens du récit ni de l’écriture du cinéaste, qui atteint une sophistication inédite, en particulier dans son traitement des personnages secondaires. Ils sont nombreux ici, telle cette femme flic endeuillée par les attentats du 11 Septembre, à laquelle le film rendra hommage via un plan fugace et bouleversant sur une tour luminescente de Hong Kong ; ou cette autre femme, complice et amante du héros, à qui Michael Mann offre la partition la plus vibrante de son Hacker. C’est grâce à elle que le personnage fantomatique de Chris Hemsworth se révèlera enfin, et accomplira dans un dernier geste la destinée de toutes les grandes figures anar et romantiques du cinéma mannien : vivre hors la loi. Romain Blondeau Hacker de Michael Mann, avec Chris Hemsworth, Tang Wei (E.-U., 2015, 2 h 13) lire aussi la story Michael Mann p. 58 18.03.2015 les inrockuptibles 67

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Big Eyes de Tim Burton Qu’est-ce qu’une imposture artistique ? Burton détricote la question avec un mélange égal de malice et de tendresse.



ig Fish en 2003, Big Eyes aujourd’hui : le nouveau film de Tim Burton s’inscrit d’évidence dans sa veine réaliste, voire même biographique (il y fait à nouveau appel à Scott Alexander et Larry Karaszewski, les deux scénaristes d’Ed Wood, l’un de ses films les plus achevés). Big Eyes raconte une histoire vraie, connue de tous les Américains. L’histoire de Walter Keane, un dessinateur qui connut une heure de gloire dans les années 50 et 60 avec ses posters hideux (sortes de poulbots ricains) représentant des enfants avec des yeux immenses (on en aperçoit parfois dans les films, par exemple dans la chambre d’un des enfants du héros de A Serious Man des frères Coen). Seulement, au début des années 80, son épouse Margaret lui intente un procès, qu’elle gagne, preuve à l’appui : elle est l’auteur des dessins, son mari a usurpé son identité artistique pendant trente ans. D’emblée, on se dit que c’est un sujet idéal pour Burton et on a raison. Car tout en se plaçant du côté de la victime d’un mari abusif, l’épouse trahie (Amy Adams), on sent très rapidement que ce personnage de raté magnifique qu’est Walter Keane (Christoph Waltz, très surprenant) a les faveurs de Burton, qu’il refuse au fond de choisir entre la femme artiste sans talent et l’imposteur mythomane (qui rappelle évidemment le personnage du père de Big Fish, entre la dadame aux prétentions artistiques et le freak qui nous raconte des carabistouilles

Burton s’est toujours placé du côté des marginaux, sans doute parce qu’il se sentait ainsi enfant et adolescent

réjouissantes. Le film suggère même délicatement que, sans la personnalité vaguement charismatique de Keane, jamais les dessins de Margaret n’auraient remporté un tel succès… Au fond, qui est des deux le plus dans l’imposture ? C’est bel et bien ce qui fait la réussite de Big Eyes : sa tendresse pour ses personnages, tous ses personnages. Son refus de juger leur comportement, sa générosité à la fois pour les spectateurs et pour les êtres humains. Tout comme dans Ed Wood, où le “plus mauvais cinéaste du monde” était mis sur un pied d’égalité avec Orson Welles (une icône du génie) parce que, bon ou mauvais cinéaste, ils font le même métier, avec la même passion, la même folie, le même enthousiasme, Burton le cinéaste refuse les échelles de valeurs bourgeoises. Tous les êtres humains n’ont pas le même talent, les mêmes aptitudes, la même intelligence, mais tous (acteurs ratés, vampires complètement déconnectés avec la réalité, superhéros mal aimé de la société, monstres et extraterrestres effrayants en tous genres) doivent avoir leur chance. La morale burtonienne serait-elle naïve ? Non, car elle continue à aller contre l’idée de réussite sociale, contre les conventions des classes moyennes, et contre l’ennui. Burton s’est toujours placé du côté des marginaux, sans doute parce qu’il se sentait ainsi enfant et adolescent. Et il suffisait de regarder les files d’attente, mêlant toutes les générations, devant la Cinémathèque française, il y a deux ans, venus voir l’exposition Tim Burton, pour s’en faire une idée : le public lui est reconnaissant de ce qu’il lui apporte. Il a bien raison : le cinéma de Burton est un cinéma bon mais jamais niais, drôle, humaniste et courageux. Big Eyes le prouve une fois de plus. Jean-Baptiste Morain Big Eyes de Tim Burton, avec Christoph Waltz, Amy Adams, (E.-U., Can., 2014, 1 h 45)

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Still Alice de Richard Glatzer et Wash Westmoreland avec Julianne Moore, Alec Baldwin (E.-U., 2014, 1 h 41)

Le naufrage de la géniale Julianne Moore dans un pathétique “rôle à oscar”. Dans une funeste conjonction, deux grandes actrices ont récemment, sous vos yeux ébahis, accepté de perdre la boule : Nicole Kidman dans Avant d’aller dormir, et Julianne Moore ici-même. Si le premier film, avec ses coutures nanardeuses, nous apparut alors surtout comme le signe d’une dégénérescence accélérée de carrière, il est à tout prendre infiniment plus respectable que celui-ci, qui valut il y a quelques semaines un oscar à son interprète principale, selon l’implacable logique du “handicapé-mental-maispas-trop”. Julianne Moore y joue une brillante linguiste (l’ironie…) qui perd peu à peu la mémoire à cause d’un Alzheimer précoce. “Entourée des siens”, comme on lit dans les mauvaises nécrologies, elle s’enfonce, et le spectateur avec, dans le brouillard le plus poisseux, chaque scène consistant à guetter, la larme à l’œil, quelle faute elle va commettre, quel neurone va défaillir. Piteux spectacle qui ne rend pas honneur au génie, authentique, de Julianne Moore et de ceux qui l’accompagnent ici (Kristen Stewart, Alec Baldwin). Jacky Goldberg

Divergente 2  – L’insurrection de Robert Schwentke avec Shailene Woodley, Theo James, Miles Teller (E.-U., 2015, 1 h 59)

Deuxième épisode inutilement bavard de la saga SF teen qui prend le relais de Hunger Games. ête de file d’une nouvelle génération de franchises SF destinées aux ados (calquées sur le hit Hunger Games et résolues à le remplacer dès que la place sera libre), la saga Divergente a pour principal intérêt une idée tout droit sortie d’un film des Wachowski : la réalité virtuelle. Très présentes dans le premier volet, les scènes de simulation sont quelque peu délaissées par ce nouvel épisode mais reprennent une place centrale dans un long finale assez vivifiant. Le jeu du vrai et du faux (la scène est-elle réelle ou virtuelle ?) est bien sûr toujours dans l’air, mais le film en joue en fait peu. L’intérêt est surtout une suppression des entraves de l’espace et du temps : le réel se dilate et se contracte autour du personnage, et même les séquences IRL semblent gangrénées par ce principe de distorsion, ces basculements impromptus du récit, comme si tout le film n’était qu’imaginé par son héroïne. Il n’empêche que Divergente 2 commence par une heure de drôle de guerre des plus ennuyeuse, troquant le training intensif et galvanisant du premier volet pour des pourparlers moraux à la petite semaine. Malgré son titre insurrectionnel, le film de Schwentke s’avère moins stimulant qu’on ne pouvait l’espérer. Dans la nouvelle donne des sagas SF (où Divergente est au coude à coude avec Le Labyrinthe), chaque épisode ne poursuit pas l’univers de son prédécesseur mais l’élargit à une échelle supérieure et inconnue : de l’atome à la molécule, puis à la cellule, etc. Problème : des univers riquiqui et ultraludiques inventés par les premiers volets, sortes de jeux de société à ciel ouvert, les avancées du récit s’étendent bien vite aux vieux poncifs de la science-fiction dystopique (totalitarisme, cobayes humains, dilemmes moraux à deux balles, etc.). Divergente ne semble hélas pas pouvoir y échapper. Théo Ribeton



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A Spell to Ward off the Darkness – Un sort pour éloigner les ténèbres de Ben Rivers et Ben Russell avec Robert Aiki Aubrey Lowe, Hunter Hunt-Hendrix (Fr., Est., 2013, 1 h 38)

Un documentaire de création qui expérimente la traversée des apparences et divers états de la nature (humaine ou pas) sur un mode quasi chamanique. iction et/ou documentaire ? Ce passeur de climats, qui vont En littérature, on s’appelle ça des ténèbres du début à la hargne un essai. Deuxième film bruitiste du groupe paganiste de la fin, est de Ben Rivers sorti cette année, une figure elfique, un arpenteur de après Two Years at Sea, cette fois l’extrême, côtoyant la quiétude absolue coréalisé par Ben Russell, il met également de la nature immobile où sa figure en scène un solitaire aux prises avec se minéralise presque et se fond avec les la nature. Celui-ci n’a pas de nom, ne parle paysages intacts de la Finlande du nord, quasiment pas et promène avant tout pour se métamorphoser en monstre son regard un peu écarquillé sur le monde. hurlant. D’où, malgré la claire volonté de Son statut de personnage n’apparaît même décrire un processus continu, l’hétérogénéité pas tout de suite. Dans la première partie, du film. Cela incitant à prendre ou à laisser on ne fait que l’apercevoir parmi ce qui nous fait vibrer ou pas. On peut trouver les membres d’une petite communauté l’aspect film-concert un peu ordinaire, et néohippie en Estonie. On assiste au l’introduction dans la communauté parfois quotidien de ces libertaires new age, à leurs aléatoire et anecdotique. Mais la longue discussions, à leurs séances de farniente, et énigmatique partie centrale, un bloc de à la construction d’un dôme géodésique. temps et de réel lumineux, vaut à elle seule Puis le non-héros devient une figure solitaire le déplacement. Signalons en passant que crapahutant dans la nature, pêchant la productrice du film n’est autre que Julie dans un lac. In fine, il surgit soudain Gayet, qui ne se repose pas sur ses lauriers maquillé au sein d’un groupe de black metal médiatiques et ose soutenir un cinéma où il chante et joue de la guitare. différent et aventureux. Vincent Ostria

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Indésirables de Philippe Barassat avec Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël (Fr., 2013, 1 h 36)

Un film sur la différence qui tourne un peu freaky. Ils sont manchots, aveugles ou boiteux et forment ensemble une petite communauté d’intouchables (le titre était déjà pris) pour qui Aldo (Jérémie Elkaïm), infirmier fraîchement limogé, va remplir un rôle qu’aucun assistant médical n’est en mesure de remplir – celui de gigolo. Indésirables est donc le film

d’un homme qui, mû par un mélange de nécessité financière et de bonté d’âme, initie les estropiés aux plaisirs de la chair. Sujet très glissant, se dit-on d’abord, avant de découvrir que le film est moins une sextape tordue qu’un petit laïus sur la différence et l’acceptation de l’autre. Cela pourrait

passer, sauf qu’Indésirables ajoute tout de même à sa tambouille un goût prononcé pour le potentiel horrifique des infirmes – jusqu’à citer dans une scène très étrange le légendaire Freaks de Tod Browning. Entre la pommade et le vitriol, le film de Barassat n’a hélas pas cru bon de choisir. Théo Ribeton

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Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur Portrait onirique et subtil d’une jeune fille en plein flou existentiel. es temps changent d’un accord de harpe, mais les jeunes comme si quelque magie filles en fleurs, elles, opérait), elle ne sait pour demeurent autant comment l’utiliser. les mêmes : tourmentées Aller ailleurs ? Pourquoi et tourmenteuses. La brune pas. Mais pour quoi faire ? Nicole (charmante Julianne “Rien, mais rien ailleurs”… Côté), qui ne dort pas Tout est ainsi indécis, tant que ça dans le troisième indéterminé, vague, long métrage de Stéphane dans ce beau film québécois Lafleur, passe son indolent découvert à la Quinzaine été à attendre que quelque des réalisateurs à Cannes, chose de “beau” lui arrive, qui, s’il baigne dans trompant l’ennui auprès l’entre-deux de de la blonde Véronique, la postadolescence, dans la maison familiale n’en est pas moins précis vidée des parents mais dans sa description du flou squattée par le frère et son existentiel. A l’aide d’une “rock band” bruitiste, dont somptueuse palette noir l’un des membres ne serait et blanc, Stéphane Lafleur pas pour lui déplaire – sans dessine les allées et venues vraiment lui plaire non plus. de son héroïne banlieusarde Galvanisée par la soudaine avec un authentique sens possession d’une carte du détail et de l’absurde. bleue (dont chaque De Ghost World (la BD apparition est accompagnée de Daniel Clowes adaptée

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Julianne Côté

par Terry Zwigoff en 2001) à Virgin Suicides, de Girls à Frances Ha (lui aussi en noir et blanc), le sujet a maintes fois été traité par le cinéma, et souvent pour le meilleur. Il faut croire qu’il y a là une cinégénie éternelle, qui se couple chez Lafleur à une progressive plongée onirique. Comme si, la torpeur et l’insomnie aidant, tout se fondait dans un subtil nuancier de gris argenté, rehaussé d’opportunes touches comiques (irrésistible

personnage de Martin, angelot à la voix de stentor). Loin de “fade to grey”, comme chantait le récemment décédé Steve Grange, chanteur du groupe Visage, Tu dors Nicole s’affirme au contraire comme une nouvelle preuve de la santé du cinéma québécois. Jacky Goldberg Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur, avec Julianne Côté, Marc-André Grondin (Can., 2014, 1 h 33)

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Souvenirs de la géhenne de Thomas Jenkoe

des nouvelles du Réel Au Centre Pompidou, le Festival international de films documentaires nous entraîne dans ses multiples mondes, entre recherche et invention.

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e 37e Cinéma du réel continue la mission publique assignée à sa naissance sous les auspices de Jean Rouch : affirmer que le réel n’est pas l’impossible, mais l’avant-garde, à quoi les films frayent ou creusent des conditions d’accès. A ces conditions, qu’on nomme image et son, parler et voir, le cinéma documentaire, peut-être plus que d’autres, cherche des solutions d’alliance et de discontinuité. Parmi d’autres : accès de joie, par voie maritime dans Rabo de Peixe de Joaquim Pinto et Nuno Leonel qui, après l’immense Et maintenant ? sorti fin 2014, recomposent les rushes tournés quinze ans plus tôt auprès des pêcheurs d’une île des Açores. La voix tendre des deux cinéastes guide le montage, cartographie mouvante des trajets répétés du port au large, de la communauté solidaire à l’effort du travail en mer, du souvenir de voyage (parler) au présent vif de l’enregistrement (voir). Accès de fureur, dans Souvenirs de la géhenne de Thomas Jenkoe, qui cherche à Grande-Synthe, ville française du Nord, les bribes du désastre que récitent ses habitants : un meurtre raciste dans un passé encore proche, un autre meurtre survenu pendant le tournage. Les voix de la ville, l’innocence brutale des discours

affirmer que le réel n’est pas l’impossible, mais l’avant-garde

de division et de haine, parcourent les images sobres d’un paysage urbain sous surveillance. Du pessimisme naît un peu de résistance, dont la formule serait une réponse filmique à l’ordre politique actuel : monter les uns avec les autres, et non plus contre. Accès de fièvre pour Nocturnes de Matthieu Bareyre, dans la nuit des parieurs à l’hippodrome de Vincennes, où les spectateurs deviennent acteurs, cavaliers seuls dont les cris d’encouragement cravachent les courses, vues par eux et par nous sur des écrans intermédiaires. L’abyme ici de mise s’inverse en film d’action : gueuler, prévoir, pour ces corps tendus par à-coups de foudre. Nouveaux accès aux anciennes gardes, l’art singulier de ceux qu’on appelle “programmateurs” s’illustre avec éclat cette année avec deux cycles rétrospectifs explorant le complot du documentaire et de son autre. L’un propose une chronique de la vampirisation des genres de la fiction, avec pour métaphore matrice le Cuadecuc, vampir de Pere Portabella (1970), making-of déliré des Nuits de Dracula de Jess Franco. L’autre montre l’œuvre de réalisateur d’Haskell Wexler, chef opérateur hollywoodien renommé qui depuis Medium Cool (1969), hybride exemplaire d’invention du réel et de critique politique, écrit jusqu’à nos jours une contre-histoire de l’actualité par ses protestataires. Luc Chessel Cinéma du réel du 19 au 29 mars au Centre Pompidou, Paris IVe, centrepompidou.fr

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Gente de bien de Franco Lolli Allégorie habile de la lutte des classes à travers la relation de deux ados colombiens. ans l’appartement moyenne petite-bourgeoise cossu où son qui n’a pas l’arrogance menuisier de père de la grande richesse mais vend ses services, qui, et ce bien malgré elle, Eric, 10 ans, tue le temps fait poids de tout son corps avec le fils de la sur la misère – malgré propriétaire : parties de Wii, sa bonté d’âme, son balade au mall, jusqu’à une impression de bien faire, invitation dans la maison sa main tendue qu’un œil de campagne familiale. vigilant surveille toujours. Nous sommes en Colombie, Gente de bien est un film où les inégalités sociales d’un marxisme insidieux. font du saut à l’élastique, et La lutte des classes la caste des “gens de bien” ne s’y exprime plus dans évoquée par le titre apparaît la sphère des adultes, sous un jour bien moins où riches et pauvres vivent radieux que son nom ne le une réconciliation de façade. laisse présager (on pouvait Pour Lolli, toute situation s’en douter) : une classe cache une confrontation en

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creux, et ce sont les enfants qui l’expriment le mieux : au fil des jeux et des disputes, les dominations font tristement leur lit. Le discours est pessimiste mais il tire son fil avec justesse, arrivant même à développer de subtils paradoxes : c’est la charité disproportionnée d’une bourgeoise qui fait éclater in fine le rêve perdu d’avance de la mixité sociale. Découvert lors du dernier Festival de Cannes, Gente de bien avait fait dans nos colonnes l’objet d’un billet plutôt réservé. Quelques

mois ont passé et l’honnêteté nous oblige à prononcer un mea culpa : le premier film de Franco Lolli nous est en effet resté en mémoire et s’est même grandement bonifié avec le temps. Grâce, sans doute, à une habile écriture des disparités sociales, qui s’incarne puissamment sur le visage dur et renfrogné de son jeune acteur, et fait mouche. Théo Ribeton Gente de bien de Franco Lolli, avec Brayan Santamarià, Carlos Fernando Perez (Col., Fr., 2013, 1 h 27)

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Eric Liebowiz/Netflix

inca(s)sable Les auteurs de 30 Rock reviennent avec Unbreakable Kimmy Schmidt, la meilleure comédie de l’année – jusqu’à preuve du contraire.

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n l’an 2000 sortait Unbreakable (Incassable en VF), le film de superhéros terminal de M. Night Shyamalan. Quinze ans plus tard, voici Kimmy Schmidt. Cette fille n’a aucun superpouvoir mais la rumeur la dit aussi unbreakable – incassable, donc – que Bruce Willis. Elle est l’héroïne tenace de la nouvelle sitcom de Tina Fey, créée par la star de la comédie US avec son compère de longue date Robert Carlock, lequel officia notamment comme showrunner de 30 Rock. Dans les premières scènes, Kimmy Schmidt est extraite d’un bunker souterrain où elle vivait depuis des années avec d’autres femmes, captive d’un gourou très Amérique profonde. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, la rousse (qui vit toujours comme dans les années 90 et sourit toute la journée malgré son trauma) débarque dans le New York contemporain. Elle trouve un appartement en colocation avec Titus, un chanteur/comédien noir et gay sur le retour. Ce n’est pas nous qui soulignons l’orientation sexuelle et la couleur de peau de Titus la folle, mais bien la série. Unbreakable Kimmy Schmidt est une sitcom que devait diffuser la chaîne grand public NBC, avant de changer d’avis brusquement devant le drôle d’objet qu’elle tenait entre les mains – un genre de refus d’obstacle digne d’un concours d’équitation – et de laisser Netflix s’emparer de l’aubaine.

S’il fallait inventer un terme pour qualifier les treize épisodes de la première saison qui vient d’être mise en ligne, celui de “néositcom” pourrait fonctionner. Unbreakable Kimmy Schmidt n’est pas la première tentative d’approche réflexive sur ce genre éternel de la télévision US. Depuis Seinfeld, celui-ci ne cesse d’être déconstruit. Sauf qu’ici tout ou presque pourrait laisser croire au spectateur distrait qu’il se trouve devant une réplique parfaite. Les éclairages sont ceux d’une sitcom classique, les placements de caméra également, à quelques exceptions près. Nous sommes loin de l’effet faux documentaire en vogue depuis le milieu des années 2000. Seuls les rires enregistrés manquent à l’appel. Ce n’est pas sur le versant formel qu’Unbreakable Kimmy Schmidt détonne mais sur les thèmes qu’elle aborde. Elle avance volontairement masquée, afin de mieux enclencher les obsessions du duo Fey/Carlock : une vision de la fiction où les minorités sexuelles, sociales et autres prennent le pouvoir symbolique. Ici, tout

tout est fait ici pour mettre en lumière les crispations encore puissantes qui sclérosent la société américaine

est fait pour mettre en lumière les crispations encore puissantes qui sclérosent la société américaine (Kimmy est employée comme bonne dans une richissime famille de Wall Street) et dénoncer du même coup les manques dans leurs représentations. 30 Rock fonctionnait déjà de cette manière, mais avec moins d’ampleur en tant que satire d’un milieu particulier – la télévision et ses grands patrons mâles et blancs. Ici, l’humour décoché par flèches aussi drôles que douloureuses brasse un spectre plus large. Seul accroc, bien étrange, le sort réservé dans les premiers épisodes au personnage d’ado, digne d’une mauvaise chanson de Jean-Jacques Goldman. Reste enfin la personnalité de Kimmy, jouée par l’ex-inconnue Ellie Kemper. Tout ce qui fait décoller la série passe par elle, sa découverte du monde actuel qu’elle tente de rendre humain malgré tout, la manière qu’elle a de gérer les plaies béantes de son passé. L’humour délirant qui structure Unbreakable Kimmy Schmidt ne vaut que parce qu’il passe par son corps spécial, à la fois aérien et profond. Elle rappelle de grandes figures féminines de l’histoire des séries comme Mary Tyler Moore – héroïne de sitcom seventies et emblème féministe. Ce burlesque-là n’est pas à prendre à la légère. Olivier Joyard Unbreakable Kimmy Schmidt saison 1 13 épisodes, netflix.fr

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à suivre… Après une belle saison 4 qui faisait table rase du passé, notre série parano préférée se transforme encore un peu plus pour sa cinquième saison, qui entre bientôt en tournage. Selon le showrunner Alex Gansa, Homeland va proposer un bon en avant dans le temps de plus de deux ans. On retrouvera son héroïne Carrie Mathison (Claire Danes) dans un nouveau job post-CIA, basé à Berlin. De là à croire que des intrigues postguerre froide constitueront désormais son quotidien, il n’y a qu’un pas. Intriguant.

Bernard Barbereau/FTV

Homeland relocalisée

Marie Dompnier et Thierry Lhermitte

Baldwin relancé Deux ans après la fin de 30 Rock, Alec Baldwin revient à la télévision dans une série HBO pour l’instant sans titre, dont le pilote a été écrit par le jeune scénariste et romancier Wells Tower – tournage en septembre. Baldwin incarnera un millionnaire qui se lance en politique un peu malgré lui. Les producteurs citent Les Soprano en exemple. Attendons de voir.

Aquarius annoncée Ecrite par l’ancien de Profit John McNamara et portée par David Duchovny, la très attendue minisérie Aquarius, située à Los Angeles durant les années Charles Manson, arrivera le 28 mai sur NBC. Et très peu de temps après en France.

agenda télé American Crime (Canal+ Séries, le 22 à 15 h) Consacrée à l’enquête et au procès suivant un crime ambigu, voici l’une des séries de network les plus ambitieuses de ces dernières années. Une véritable radiographie des rapports sociaux et raciaux sous Obama. Templeton (OCS City, le 23 à 22 h 30) Cette nouvelle comédie originale d’OCS s’intéresse au western, comme Lazy Company avant elle abordait le film de guerre. Les frères François-David et Jonathan Cardonnel sont aux commandes. The Wire (OCS Go) Petit rappel aux sériephiles qui n’auraient pas eu l’occasion de voir The Wire, diffusée sur HBO entre 2002 et 2008 : l’intégrale du chef-d’œuvre de David Simon est disponible sur la plate-forme à la demande d’OCS.

la classe scandinave Sous influence nordique, la nouvelle série du duo Hadmar/Herpoux (Signature, Pigalle, la nuit) relooke Thierry Lhermitte. ur le littéral normand, au Tréport, des cadavres sont déterrés et les corps placés dans des maisonstémoins, rejouant des scènes de vie quotidienne banales, comme pour recréer d’improbables familles… Une enquête commence aux trousses d‘un psychopathe, menée par une jeune flic (Marie Dompnier, vraie révélation) et un ancien commissaire à la retraite (Thierry Lhermitte, sobre et donc méconnaissable). Ce dernier va peu à peu réinvestir quelques douleurs passées. Valeurs sûres des séries françaises depuis Les Oubliées (France 3, 2007) et Pigalle, la nuit (Canal+, 2009), Hervé Hadmar et Marc Herpoux ont écrit ensemble ce polar qui regroupe leurs obsessions conjointes pour les affaires de mémoire trouble. Ici, leur noirceur habituelle s’accompagne d’une certaine tendance explicative dans les dialogues qu’il semble difficile de ne pas attribuer à la volonté du diffuseur, France 2, de rattraper le spectateur au moment même où il s’imagine pouvoir le perdre. C’est pourtant dans ses moments d’errance que Les Témoins brille particulièrement, que ce soit à travers des paysages arides balayés en plans très larges ou en restant collée aux visages inquiets de ses héros. Réalisateur en plus d’être coscénariste, Hervé Hadmar a mis derrière lui la part documentaire de son style pour concentrer ses efforts sur une esthétique post-séries nordiques très efficace. Le résultat est l’une des séries les plus élégantes jamais vue dans nos contrées et d’ores et déjà un succès. Les Témoins s’est vendue dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, en Australie et en Angleterre. O. J.



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minimal animal Nouveau chapitre éclatant du barbu délicat José González. Du très beau avec si peu.

F  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ût-elle une maison, on entrerait dans la musique de José González pieds nus. Il y aurait de la moquette, du thé et des couvertures en laine alpaga éclairées par un soleil d’hiver. Tout, dans la musique du Suédois, est douceur et délicatesse : imaginer José González fâché ou agressif est impossible. Loin des modes et des tendances, le beau barbu agence des folk-songs merveilleuses, qui descendent de Nick Drake et Bert Jansch. Plus brutes et acoustiques que celles qu’il fabrique aussi au sein de sa formation Junip,

ses chansons en solitaire, qu’il a réunies sur Vestiges & Claws, un troisième disque en douze ans, disent tant avec peu. Une voix et une guitare suffisent, chez González, à gravir l’Everest. “J’ai eu l’occasion de m’essayer à des styles musicaux variés avec mes différents projets. Il y a eu Junip bien sûr, mais il y a aussi eu ma reprise de This Is How We Walk on the Moon sur l’album hommage à Arthur Russell. J’ai collaboré aussi avec The Göteborg String Theory. Ces expériences, variées, ont fait que je n’ai pas ressenti le besoin d’essayer quelque chose d’inattendu quand il a été question

de composer ce nouveau disque en solo. J’ai juste voulu conserver ce schéma ‘une guitare, une voix’ qui m’est cher depuis longtemps.” On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que l’enregistrement de Vestiges & Claws s’est fait autant dans un gros studio de Göteborg en Suède que dans la cuisine de José González… “Parce que j’ai passé du temps en tournée, j’ai défini un équipement minimum que je peux emporter avec moi dans mes voyages. Du coup, je n’ai eu aucun mal à travailler avec le même matériel dans ma cuisine. Cette méthode m’a plu :

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Malin Johansson

le Suédois compose une authentique musique du monde, qui relie les boucles des hymnes de griots à l’éclat du folk du Grand Nord

j’ai aimé le fait de pouvoir travailler ainsi pendant des semaines, tout en pouvant parfois sortir déjeuner avec des amis, courir dans la forêt ou m’accorder un peu de lecture. Travailler sans cette pression de l’horloge qui tourne, qu’on ressent en studio. J’ai pu passer beaucoup de temps à essayer différentes guitares, et à trouver différentes façons d’obtenir un son à l’ancienne, autant pour les guitares que pour les voix.” Parce qu’il a appris le chant discret dans les œuvres de João Gilberto et Chet Baker, parce qu’il a, aussi, découvert la musique de l’Afrique de l’Ouest à travers les albums d’Ali Farka Touré ou Amadou & Mariam, le Suédois compose aujourd’hui une authentique musique du monde, qui relie les boucles des hymnes

de griots à l’éclat du folk du Grand Nord, qui parle aussi bien la langue du blues que celle de McCartney. De sa chanson Open Book, qu’il décrit lui-même comme une grande fierté, José González explique d’ailleurs qu’elle lui fut inspirée par trois ballades monumentales : Blackbird des Beatles, These Days de Jackson Browne et Kathy’s Song de Simon & Garfunkel. “J’ai essayé d’écrire une chanson folk qui soit simple et hors temps. Je me suis autorisé des enchaînements d’harmonies assez classiques et des paroles écrites à la première personne du singulier. Des choses que j’évitais de faire auparavant mais que j’aime entendre dans plein de chansons, comme These Days ou Blackbird.” Les analogies pourraient sembler prétentieuses si le musicien n’avait pas en effet bâti une

authentique pépite folk, où la grâce du chant le dispute au charme de la mélodie et des sifflements. Partout ailleurs, l’écriture de José González accomplit des petits miracles, invitant souvent à la transe (Let It Carry You, Leaf off/The Cave) ou à la rêverie (Vissel, morceau instrumental envisagé comme une réponse au Für Alina d’Arvo Pärt), prolongement artistique logique pour ce jeune homme qui pratique la méditation dans son temps libre. Avec Vestiges & Claws, José González a voulu composer un disque inspiré de l’idée que notre passage sur terre est court. Raison de plus pour aimer ceux qui, comme lui, le rendent savoureux. Johanna Seban album Vestiges & Claws (Imperial Recordings/ Peacefrog) jose-gonzalez.com 18.03.2015 les inrockuptibles 77

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Heather Sommerfield

FFS

Andrea Balency

le Midi brille encore

Franz Ferdinand + Sparks = FFS Tout est dans ce titre et la joie rebondit déjà dans les cœurs comme dans les zygomatiques : Franz Ferdinand et les légendaires Sparks ont décidé de fusionner, sous le nom de FFS. La joint-venture, projet zinzin et excitant, publiera dans l’année un album produit par John Congleton (St. Vincent, David Byrne, Anna Calvi, Clinic…) et se produira sur scène, notamment au Bataclan à Paris le 26 juin, puis au Transbordeur à Lyon le 5 juillet. Il y aura aussi des festivals.

Pour cause de restrictions budgétaires, on craignait que l’édition 2014 ne soit la dernière. Qu’on se rassure, le Midi Festival aura bien lieu du 7 au 9 mai. Nouveauté : ça se passera à Toulon plutôt qu’à Hyères. On y retrouvera Ibeyi, Ghost Culture, The Garden, Formation, Andrea Balency, Horsebeach, We Are Shining ou Aline, en attendant les derniers noms dans les jours qui viennent. midi-festival.com

Daniel Sannwald

appel à candidatures

M.I.A. de retour ? Ces derniers jours, M.I.A. ne s’est pas contentée de publier un nouveau morceau, l’enfantin et minimaliste CanSeeCanDo. Elle a aussi annoncé le prochain, qui portera le titre All My People et serait quasiment prêt. Mais tout ça pour quoi ? La jeune femme d’origine sri-lankaise n’a encore rien officialisé quant à la parution d’un nouvel album (ce serait le cinquième, la suite de Matangi en 2013) mais les espoirs ont de quoi être fondés. Affaire à suivre.

Distribuées depuis 1990, les bourses de la Fondation Jean-LucLagardère soutiennent les jeunes professionnels de la culture de moins de 30 ans. Après Superets en 2014, qui sera le lauréat de la bourse dédiée aux musiques actuelles ? Réponse dans quelques mois, après analyse des candidatures à déposer avant le 13 juin. Suspense. fondation-jeanluclagardere.com

Thee Oh Sees, oh oui ! Après un album l’année dernière, une refonte complète du groupe et une tournée marathon en Europe et aux Etats-Unis, Thee Oh Sees semble ne pas vouloir s’arrêter pour l’instant. Le groupe américain sortira en effet un nouvel album au mois de mai. Il s’appellera Mutilator Defeated at Last et viendra compléter une discographie déjà fourmillante, bien que trop peu connue.

neuf

Super Furry Animals The Moonlandingz

Lusts Les frères Stone de Leicester s’imposent dès leur premier single comme le juke-box parfait pour fiesta pompette. Entre clins d’œil (New Order) et Rimmel (on pense aussi à The Jesus & Mary Chain, voire The Horrors), ils maîtrisent déjà plus de trente années de pop anglaise qui fait danser l’air taciturne. C’est un compliment. facebook.com/lustsmusic

C’est le dialogue Nord-Sud, revisité par ce que l’Angleterre compte de plus turbulents branlotins. Soit The Fat White Family pour représenter le Sud et The Eccentronic Research Council en porte-étendard de Manchester et de Sheffield. Association de malfaiteurs, de gouapes, de hooligans : cosmique, comique. twitter.com/themoonlandingz

Dirty Hands Après un travail de fond sur Les Thugs, le label Nineteen Something s’attelle à la réédition numérique et intégrale de ces autres Angevins des années 90 supersoniques, soit leurs trois albums, Letters for Kings, Lost in Heaven et Bleus, ainsi qu’un live inédit. nineteensomething.fr

Avant son envol en solitaire, Gruff Rhys sévissait au sein de ses passionnants Super Furry Animals. Pour fêter les 15 ans de Mwng, leur quatrième album, sortie le 1er mai d’une réédition avec moult bonus – dont un concert enregistré au festival ATP. Et dans la foulée, une tournée de cinq dates au Royaume-Uni. superfurry.com

vintage

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various artists

Yael Naim Older

Tôt ou Tard

Retour impeccable de Yael Naim avec un album qui n’a de vieux que le nom. omment renaître après un tube (Walk Walk) que la robe d’une Diana Ross planétaire ? Avec New Soul, contemporaine (Take Me down), de saisir avec Yael Naim était, en 2007, passée la même facilité la baguette d’une chorale de l’anonymat aux ondes liturgique (Coward) et la guitare d’une internationales quand son morceau avait chanteuse blues en deuil (Meme Iren Song). été choisi pour égayer la publicité Ne serait-ce que pour la pétulante d’un lecteur MP3 à pomme. Yael Naim Make a Child, son disque mérite une petite a cette fois pris le temps. Celui palme : la chanson, sans les chichis de commencer à nous manquer d’abord. des déclarations d’amour maternelles, Mais aussi, pour elle, celui d’expérimenter est, grâce à sa mélodie tueuse aussi bien la joie de la maternité que la de bourdon et sa chorale en Technicolor, peine des départs sans retour – son disque le plus chouette hymne nataliste s’achève sur Meme Iren Song, une chanson envisageable sur une radio FM. dédiée à sa grand-mère sur laquelle on Dans cette façon de jouer autant entend des extraits des discours prononcés avec la musique que d’en jouer tout court, lors de son enterrement. Yael Naim nous apparaît aujourd’hui Le bien nommé Older, donc, est un disque comme une cousine de Feist : chevronnée émouvant et forcément personnel, souvent mais amusante, du genre à connaître écrit à la première personne. Il ne sent parfaitement son solfège pour pas du tout le vieux en revanche : porté par mieux envoyer valser ses partitions. un souffle juvénile, Older est au contraire Son nouvel ouvrage est une victoire un disque avec de l’air dedans, que de la musique. Johanna Seban rythment des envols de chœurs féminins (She Said) et une production qui pétille concerts le 28 mars au Poiré-sur-Vie, (I Walk Until). Epaulée par son complice le 10 avril à Rennes, le 11 à Ris-Orangis, David Donatien, Yael Naim s’y dévoile le 27 au Printemps de Bourges, le 27 mai à Paris, plus à l’aise que jamais, capable de (Cirque d’Hiver), le 13 juillet aux Francofolies revêtir avec le même naturel le costume de La Rochelle, le 7 août à Saint-Nazaire yaelnaim.fr de chanteuse de La Nouvelle-Orléans

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Toujours au niveau, Kitsuné publie une compilation de nouveaux venus. L’avenir aussi a ses traditions. Le label Kitsuné nous en apporte régulièrement la preuve avec ses compilations à la curiosité intacte, dans lesquelles on découvre à chaque fois de nouveaux noms à se mettre dans le viseur. De la dernière en date, on retiendra ainsi le r’n’b new-age de Danglo, la soul robotique de Mocki, le rétrofuturisme pop de Monogram, la dance déstructurée de One Bit ou encore le songwriting faussement classique de Beau. Sans pour autant prôner la révolution, tous ici possèdent ce petit quelque chose qui refuse la répétition formelle, le pur revival. Car même dans des cadres parfois bien définis, on sent le potentiel de recherche et l’innovation dans la continuité. Mais ce que prolonge vraiment cette compilation, c’est ce son, chic et acidulé, que Kitsuné semble aujourd’hui avoir inventé. Maxime de Abreu kitsune.fr Beau

Matthew Pandolfe

Isabelle Chapuis

New Faces II Kitsuné

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Only Real Jerk at the End of the Line EMI/Universal De la pop feel-good, par un jeune branleur anglais qui mélange tout et son contraire. ous le coup Angleterre où de craignait franchement de la surexcitation, sinistres comptables et que l’attente, les remises on remit pendant en question ou un entourage boursicoteurs se font l’été 2012 les clés passer pour des popplus étoffé lui aient fait du futur de la pop-music stars – alors qu’on sait tous perdre sa spontanéité, son anglaise à Only Real, qu’ils sont les enfants innocence, sa fulgurance. à un âge où on reçoit d’une pute et du diable. Mais la raison, cette généralement les clés Bénissons donc sombre peine-à-jouir, de son premier scooter, les chansons bancales, n’a visiblement pas encore voire l’argent de poche mis le grapin sur le rouquin puériles, sexy malgré de sa première cuite elles d’Only Real, tous ces coquin, qui continue sur au cidre. Son titre Cadillac Jerk, ces Backseat Kissers, ce premier album à triturer Girl rendait fou, du haut de pour leur nonchalance, leur sans doser une écriture sa glorieuse insouciance, négligence, leurs vibrations pop à l’efficacité de son songwriting farfelu, bienfaitrices, leurs histoires tonitruante (Cadillac Girl, de sa pop peu soucieuse absurdes. “Can’t get happy”, Daisychained, Blood Carpet) d’hygiène, de responsabilité, avec des beats urbains, jure Only Real en milieu de de pedigree. On conseilla parcours. Il n’a visblement de la lo-fi en caoutchouc, alors d’investir massivement du rock assoup(l)i, pas encore écouté dans ce jeune godelureau son album. JD Beauvallet du hip-hop sans-souci. à trombine de livreur Gamin, c’est-à-dire concerts le 16 avril de Daily Mail en skatedeux ou trois ans avant à Bordeaux, le 18 à Rezé, board rafistolé : le charme qu’il n’enregistre Cadillac le 20 à Tourcoing, le 21 à Paris rendait militant, voire Girl, le jeune Niall Galvin (Badaboum), le 22 à Amiens dingo. profitait des voyages facebook.com/onlyrealreal Il aura finalement fallu de classe en France pour trois ans, une éducation en rapporter des pétards patiente en public et des à mèche, toujours interdits concerts à la branlotterie en Angleterre. Et c’est savante, pour que cet effet joyeux, déconneur, le Londonien sorte son braillard, pétaradant en un premier album. A l’échelle mot, qu’offre aujourd’hui de l’adolescence, trois ans, sa pop salvatrice, qui c’est une vie, et on fait tant de bien dans une

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Carl Barât And The Jackals En renouant avec les guitares, le gentleman des Libertines retrouve une énergie flamboyante. epuis ses débuts chez les Libertines, c’est au sein d’une meute que Carl Barât s’épanouit, en privilégiant toujours l’échange d’idées pour composer. Si Dirty Pretty Things, groupe éphémère, réunissait une bande d’amis, le processus fut différent pour The Jackals, qui l’accompagnent aujourd’hui. “Après mon album solo, je me suis senti un peu seul. La musique que j’écris doit être partagée. Elle demande une certaine conviction, un investissement dans un esprit de gang.” C’est pourquoi il a choisi les membres de ce nouveau groupe en faisant passer des auditions à des musiciens inconnus, enthousiastes, pas encore blasés. Plus de quatre ans après un premier album solo inégal, où il se détournait

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Roger Sargent

Let It Reign Cooking Vinyl/Pias

temporairement des guitares, il revient aux sources sur Let It Reign, armé de mélodies pétillantes. “Après Dirty Pretty Things, j’ai eu une période de rejet de la guitare. Et puis cet amour est revenu. J’adore cet instrument et c’est avec lui que je peux m’exprimer le mieux. On a une relation harmonieuse tous les deux, même si on se dispute au moins une fois par concert.” En grande partie produit par Joby J. Ford (guitariste de The Bronx), ce nouvel album est marqué par la fougue abrasive du punk. On ne s’attendait donc pas à y retrouver la plume sophistiquée de Benjamin Biolay sur Glory Days, l’un des sommets rageurs du disque. Si ses dégringolades personnelles (dépression, alcool…) furent discrètes, Carl Barât revient de loin

lui aussi. Désormais père de famille, il a épaulé Peter Doherty tout l’hiver en lui rendant visite pendant sa cure de désintoxication en Thaïlande – de quoi déclencher les plus grandes espérances quant au troisième album des Libertines, en pleine préparation. Noémie Lecoq carlbaratandthejackals.com

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Ruby Fray Grackle Krecs Records

Death and the Maiden

Camille Vivier

Fishrider/Occultation

Turzi C Record Makers Retour vertigineux du Versaillais avec un album richement orchestré. igure clé de la scène électronique française, Romain Turzi a toujours revendiqué sa passion pour le cinéma, notamment à travers quelques cinés-concerts vivifiants : Metropolis en 2008, Nosferatu en juin 2014. Rien ne pouvait pour autant laisser présager un album aussi grandiose et futuriste que C, fait de gravité sourde, de mélodies expressionnistes et d’orchestrations baroques empruntées aussi bien à la librairie musicale Colorsound qu’à la guitare classique d’Heitor Villa-Lobos. On pense à Ennio Morricone, à Jean-Claude Vannier ou à Alain Goraguer, période La Planète sauvage. On pense surtout à Turzi, qui s’embarrasse peu des étiquettes et laisse ses neuf nouveaux morceaux au nom d’oiseaux commençant par “c” (Coucou, Cygne, Colombe…) se laisser séduire par des guitares psyché, une batterie galopante et des boucles à la fois hypnotiques et obsédantes. Maxime Delcourt

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facebook.com/TurziOfficial

Sombre et menaçante, de l’electro-pop venue de Nouvelle-Zélande. Death And The Maiden… Même si la paternité de ce nom revient à une œuvre de Munch, ou à une pièce de Schubert, nul doute que ces Néo-Zélandais l’ont plutôt emprunté à un vieux single des locaux Verlaines, chef-d’œuvre de rock exalté, hypertendu. Car tout ici – la mélancolie écrasante, le lyrisme renfrogné – renvoie à ce trésor caché. Tout, sauf les outils : loin des guitares en vertiges des Verlaines, de leurs avalanches de batteries, le groupe détourne l’electro-pop pour ses noirs desseins, ses humeurs troubles et sa danse macabre. Des slows, surtout : frappés d’effroi. JDB facebook.com/ doomandthemaiden

facebook.com/rubyfray

Mclean Stephenson

Death And The Maiden

Venu du Texas, un rock lunaire peuplé de fantômes et soufflé par les vents. Après moult collaborations, Emily Beanblossom, également productrice de savons artisanaux, s’est retirée dans la ferme parentale pour accoucher de son premier projet solo : Ruby Fray. Deux ans de tournée plus tard, elle revient avec Grackle. L’introduction hantée You Should Go laisse planer synthés mystérieux et suspensions habitées. Elle invite ensuite de nerveuses guitares sur l’incendiaire Carry Me down et souffle en blizzard sur les braises avec des rafales de chœurs incantatoires. Le summum est atteint avec It’s Mine, où la voix, en cri, décroche des trilles dans les étoiles. Un peu comme une sirène de police, mais en beau. Amandine Jean

Beat Spacek Modern Streets Ninja Tune/Pias L’Anglais aux mille visages invente une soul de science-fiction. Curtis Mayfield et beatmaker à la fois : Steve Spacek est à lui seul un prototype de soul futuriste. Au point parfois que  le chanteur-producteur anglais nous a perdu dans la pléthore de ses projets (Africa HiTech, Black Pocket), reflets de la frénésie créatrice qui traverse sa musique depuis dix ans. Sous un pseudo plus lisible, il reprend les choses là où il les a quittées avec le regretté J Dilla (qui signa la production de Space Shift en 2005). Il y a plus de tempérance et moins de schizophrénie dans cette collection de titres majoritairement composés sur sa tablette numérique voire sur son smartphone (!), ce qui explique les sons bricolo/8-bit de I Wanna Know, Modern Streets ou I Want You. Cet écrin contraste au final idéalement avec une voix dont la sensualité (Tonight, Compact n Sleep, You’re the Only One) est taillée pour traverser, intacte, la froideur et l’incertitude de l’époque. Hervé Lucien ninjatune.net/artist/beat-spacek

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ep

Velvets in the Dark/ Koala Bears Violette Le génie mélodique de Liverpool revient sur un single feutré et magnifique. Qu’importe le nom qui sert de vitrine à son songwriting de survie : Pale Fountains, Shack, The Strands ou, ici, The Red Elastic Band. Qu’importe qu’il chante seul, les yeux clos, dans la cuisine de sa mère, qu’il soit épaulé, secouru par un frère aussi discret qu’admirable ou, qu’ici, il offre ses chansons à un groupe cotonneux. Qu’importe qu’il chante parfois à la périphérie de la mort, du fait divers, dans le noir complet. Dès que Michael Head ouvre la bouche et joue de la guitare, même dans un état proche du coma, son élégance harmonique et mélodique en fait l’un des plus riches songwriters de l’histoire anglaise, un prince du clair-obscur à la voix intacte malgré les gnons, à l’innocence indemne malgré trentecinq ans d’abus et de tragédies. Confirmation sur ce single, notamment sur un Koala Bears en cristal ébréché, chancelant mais flamboyant : cette musique est un puits de lumière. JD Beauvallet

Yann Orhan

Michael Head & The Red Elastic Band

Cali L’Age d’or Columbia/Sony Plus humble, plus retenu, un Cali sous influence Ferré. n l’aime pour les mêmes raisons qu’il nous agace : des concerts excessifs ou des disques parfois trop chargés d’effets, de bons sentiments, d’impudeur. Et puis surviennent la sobriété et la pudeur de ce sixième album qui dit les désirs, la nostalgie heureuse car on élabore le présent en considérant les acquis du passé avec un œil vers l’avenir. On y retouve d’évidents et discrets parallèles avec Gainsbourg et autant d’hommages sans filet à Léo Ferré. De manière implicite (Ostende, Camarade) ou pas (qui peut aujourd’hui revisiter L’Age d’or sans risque de sortie de route, excepté Cali ?), le Monégasque anarchiste veille en ange tutélaire sur ces treize titres, rappelant que si on va tous mourir, ce n’est pas une raison pour rester figé le cul sur sa chaise. Il y a ici des fifres décharnés et des pianos solitaires, des crissements de fanfares, l’envie rédhibitoire de tout brûler jusqu’au bout, et un disque refermé comme un poing, mais chaleureux et humaniste. Pas un disque de rédemption, mais de mutation, de la part d’un homme que l’on souhaiterait pour ami s’il n’était déjà un frère à distance. Christian Larrède



calimusic.fr

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Les Ambassadeurs Adeline Mai

Les Ambassadeurs du Motel de Bamako Syllart/Stern Music

Le Noiseur Du bout des lèvres Pias Romantisme contemporain et chanson amochée : Noiseur de charme. rès proche de Daniel Darc par la voix (Si petite, Défile). Si ressemblante, parfois, à celle de Benjamin Biolay, dans le phrasé et les sujets, que l’on a du mal à croire que c’est un autre qui chante (Sexual Tourism). Comme échappée de la bande originale inédite d’un film de Christophe Honoré tant elle en récupère les thématiques classiques (le couple, la mélancolie…). Tout ça, on peut l’écrire sans mentir pour évoquer la musique du Noiseur. Il serait pourtant réducteur de ne positionner le jeune homme que dans une famille de songwriters français déjà connus. Ses chansons existent aussi à part entière, portées par une belle écriture de poète amoché (Wanted), d’ancien fan de hip-hop (Amours gothiques), d’amoureux du cinéma (24 x 36). Le Noiseur n’est pas un chanteur, d’ailleurs, c’est un chuchoteur. Assis à un piano que l’on devine aussi noir que ses cafés, il chante autant qu’il parle, déroulant des textes qui évoquent Alzheimer (La Maison d’Etretat), le spleen qui colle (Mélancolies) et les amours, forcément. Bien qu’un tantinet trop premier degré sur la longueur, l’entreprise est élégante. Johanna Seban

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facebook.com/lenoiseur

Au Motel de Bamako, c’était tous les soirs la fièvre grâce à cette dream team. La grande histoire de la pop africaine passe souvent par… des lieux de passage. Aux noctambules avides de marathons dansants, le Bamako des années 70 offrait le choix entre deux spots concurrents : le Buffet de la Gare, fief du légendaire Rail Band, et le Motel, établissement fréquenté par l’élite malienne dont la réputation devait en partie aux Ambassadeurs, dream team ouest-africaine regroupant musiciens maliens, ivoiriens, guinéens et sénégalais. Cornaqué par le guitariste Kanté Manfila, cet ensemble pratiquait un répertoire mêlant rythmes cubains, relectures de succès de la soul et grands classiques mandingues que la voix d’or d’un certain Salif Keita restituait à la manière d’un griot de cour royal. En voici un bel échantillonnage fait d’enregistrements réalisés entre 1975 et 1977, alors qu’une reformation du mythique orchestre avec Salif, mais aussi Amadou du duo Amadou & Mariam, se profile à l’horizon avec un concert en novembre prochain à la Philharmonie de Paris. Francis Dordor sternsmusic.com

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D-Bangerz Hip-Hop Centipède Underdog/La Baleine Détourné par le dubstep ou l’electro, du hip-hop français surexcitant. écouverts lors de repérages peut-être à ce premier album la démesure inRocKs lab dans l’est de la France, grotesque et l’énergie nucléaire des les agités de ce crew sont Mulhousiens sur scène, mais de Hold-up à des garçons très mal élevés, Oui mais le groupe n’a rien perdu en studio ne respectant pas plus la langue de son irrévérence, de son absurdité, que les machines, les dogmes que les de sa capacité à faire danser le pogo sous styles. Quatre MC et un beatmaker aussi les lumières et idées noires : ou comment astucieux que pousse-aux-fesses mettent se retrouver sur le dance-floor avec les ainsi à l’unisson un très beau mauvais grosses boules (à facettes). JD Beauvallet esprit, finalement héritier des Svinkels, de Stupeflip, de TTC ou même des Naive concerts le 21 mars à Niort, le 1er avril à New Beaters, rares collectifs français Strasbourg, le 6 mai à Paris (Point Ephémère) dbangerz.com à avoir ainsi dansé en tongs à ressorts sur les frontières des genres. Décharges électriques, accélérations tachycardiques de rimes et de rythmes ou détournements électroniques agitent sans répit ces tracks épiques et bilingues, parfaitement informés des dernières et turbulentes productions américaines – de la bass music aux délires psychédéliques d’Odd Future. Manque

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ep Charlie Plane Way out Bam Balam Records Venu de Bordeaux, du folk qui met le feu à l’imagination. Ce duo bordelais – elle chante et joue de la guitare et du piano, il gère simultanément tambours et basse – fracasse

avec distinction, sérénité et suavité les canons d’une pop atmosphérique enracinée dans le folk en apesanteur de la fin des sixties. Car si l’on nous prie d’évoquer Shannon Wright ou Cat Power, on mentionnera également volontiers Sandy Denny ou Laura Nyro. C’est-à-dire de petits bouts d’histoires offerts comme si de rien n’était, suspendus à la gracilité d’un chant rauque mais riche d’une force captivante, et cette croisée des chemins où l’indépendance (d’esprit)

se nourrit tout à la fois de musique progressive et de rock. Le menu modeste de ce troisième ep (six chansons, ou lorsque le dépouillement va à l’essentiel) reste inversement proportionnel à la grâce dégagée par ces mélodies : une demi-heure d’absolue beauté. Et lorsque la chanson-titre conclusive s’enflamme dans des guitares incandescentes, on prend feu avec elle. Christian Larrède bambalam.com 18.03.2015 les inrockuptibles 85

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Arnaud Giacomini

la découverte du lab Minuit

Duke Garwood

Noceuse et couche-tard, la pop en français de Minuit débarque là où on ne l’attendait plus, entre guitares funk et esthétique kitsch. inuit, c’est l’heure où tout peut basculer, entre sommeil et extase, paddock et paillettes. L’heure où une bande de copains se rassemble autour de crépitements de guitares pour composer et habiller des textes bodybuildés et poétiques à la fois. Pour sonner, on peut dire que ce nouvel échantillon de “pop française” sonne comme on casserait des bagnoles ou brûlerait des billets de banque. Biberonnés à la musique et témoins de la carrière fulgurante de leurs parents avec Rita Mitsouko, la chanteuse Simone Ringer et le guitariste Raoul Chichin reprennent à leur compte ces modèles de liberté et d’intégrité artistique pour mieux les répéter à une bande de musiciens chevronnés (Tanguy Truhé, Joseph Delmas et Clément Aubert). Difficile de ne pas tomber sous le charme du timbre puissant et souple de la voix de Simone et des mélodies groovy de ses canailles de musiciens. Kitsch et moderne, Minuit se fout des modes et privilégie les solos de guitare funky aux longs discours. Son univers s’invite aussi sur le papier grâce aux qualités de graphiste de la chanteuse. Adoubés par le concours “Sosh aime les inRocKs lab” 2015 et Adami/Deezer, le quintet parisien, qui pourrait se contenter de faire des selfies avec sa bonne étoile, préfère s’acharner au boulot, conscient d’occuper une cible trop facile d’“enfant de” attisant autant la curiosité que la suspicion. Le groupe prépare son premier ep et une tournée dans le Sud-Ouest en avril. Abigaïl Aïnouz

Heavy Love

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Heavenly/Pias Coop

Le Britannique accouche d’un grand album habité, à plus d’un titre. Compagnon de scène de Mark Lanegan, le barbu chaotique entérinait leur collaboration en mai 2013 avec Black Pudding, curiosité folk moins pastorale que brillamment aride. Même vie d’errance, semblable approche rimbaldienne de la gloire, même conception satellitaire du travail d’artiste : Garwood se fond dans l’ombre de cette figure tutélaire, parfois jusqu’au mimétisme. D’errements en boucles, de psalmodies en transes chamaniques, Heavy Love évoque, jusque dans le vibrato de son auteur (Sometimes, en ouverture), ce père fondateur et parrain, période Whiskey for the Holy Ghost. Mais pas que. Grâce à son singulier jeu de guitare (le picking ascétique de Suppertime in Hell) et un timbre aussi venimeux que dangereusement hot, Garwood élève ces dix blues d’une simplicité biblique au rang de joyaux bruts, jusqu’au final Hawaiian Death Ballad, coup de grâce vespéral et splendide.

Jam City Dream a Garden Night Slugs/Warp Star de la bass music, Jam City improvise un virage pop et politique. as d’espoir, pas de futur – la guerre permanente aux périphéries.” C’est ainsi que s’ouvre la notice d’intention accompagnant le deuxième lp de Jack Latham. Elle positionne Dream a Garden comme un acte de résistance et d’utopie, et engage l’auditeur à se débarrasser de tout cynisme ou résignation. En interview, cet ancien étudiant en art dit attaquer le “réalisme capitaliste ambiant” et quitter l’espace d’expression limité de la dance music. C’est pourquoi il s’est détourné de la bass music futuriste et urbaine qui l’avait propulsé pour se jeter dans les limbes d’une chill-wave épanouie, tellement diffuse qu’on ne saurait identifier où se situent la rage et l’insatisfaction. A l’exception de quelques décharges électriques en ouverture et de titres explicites (Unhappy, Crisis, Damage), cet album tout en vapeurs prend la forme d’une ballade dégagée, alternant entre pauses pensives instrumentales et blues électronique mou, comme si Jai Paul s’était simultanément mis au shoegaze et engagé dans Occupy Wall Street. S’il se dit “conscient que (son) cri de protestation n’est pas assez fort”, l’apprenti protestsinger demeure une des rares propositions politisées du paysage indie, une démarche romantique qui fait de Dream a Garden un manifeste original, quoiqu’un peu décoratif.



Claire Stevens dukegarwood.co.uk

concert le 28 avril au Printemps de Bourges en écoute sur lesinrockslab.com/minuit

Thomas Corlin

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Steve Gullick

soundcloud.com/jam-city

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

The Dø 27/3 Paris, Zénith Flying Lotus 25/4 Paris, Trianon Glass Animals 18/3 Lyon, 20/3 Paris, Gaîté Lyrique Dominique A 21/4 Brest, 23/4 Nîmes, 7/5 Toulouse Tony Allen 28/3 La Rochelle, 11/4 Paris, Gaîté Lyrique Arthur H 27/3 Amiens Festival Assis ! Debout ! Couché ! du 25 au 28/3 à Nantes, avec Thurston Moore, Christine And The Queens, Psychic TV, Etienne Jaumet, Grand Blanc, Lubomyr Melnyk, Flavien Berger, Rhum For Pauline… The Avener 18/4 Strasbourg Asaf Avidan 18/3 Paris, Zénith, 19/3 Tours, 23/3 Toulouse, 24/3 Marseille, 27/3 Lyon, 2/4 Lille, 6/4 Le Mans Courtney Barnett 25/3 Paris, Divan du Monde, avec Sallie Ford Festival Chorus du 27/3 au 5/4 à Paris, parvis de la Défense, avec 2 Many DJ’s, Asian Dub Foundation, Roy Ayers, Rone, Shaka Ponk, Skip The Use, Joeystarr, Feu ! Chatterton, Youssoupha, Yuksek, Cut Killer, Joke, Chassol, La Maison Tellier, Jeanne Cherhal, Bagarre, Stephan Eicher Christine And The Queens 18/3 Lille Benjamin Clementine 19 et 20/3 Paris, Trianon, 24/3 Strasbourg

Godspeed You! Black Emperor 15/4 Villeurbanne 16/4 Lille, 22/4 Paris, Bataclan, 24/4 Dijon, 28/4 Strasbourg Grand Blanc 26/3 Nantes Ibeyi 16/4 Paris, Gaîté Lyrique, 25/4 Rennes, 26/4 Brest, 30/4 Alençon

Jungle 30/3 Paris, Cigale Moon Duo 10/4 Paris, Machine 11/4 Bordeaux, 16/4 Lyon Nick Mulvey 31/3 Paris, Trianon

sélection Inrocks/Fnac Turzi à Paris Romain Turzi viendra présenter son nouvel album, C, ce mercredi au New Morning. Après les claques shoegaze, dance et psyché que représentaient A et B, ce nouveau disque était très attendu.

Festival Nuits sonores du 13 au 17/5 à Lyon, avec Ben Klock, Jamie xx, John Talabot, Daniel Avery, Factory Floor, Carl Craig feat. Mad Mike Banks, Moodymann, DJ Deep, Laurent Garnier, The Soft Moon, The Orb, Tale Of Us, Jessica93… Passion Pit 17/4 Paris, Maroquinerie Perez 2/4 Marseille 3/4 Montpellier 24/4 Lille 26/4 Bourges Festival Primavera du 27 au 30/5 à Barcelone, avec Orchestral Manoeuvres

sélection Inrocks/Fnac The Ex + Dead à Caen Groupe mythique né sur les cendres du punk il y a près de trente-cinq ans, The Ex a depuis creusé un sillon noise, expérimentateur et défricheur, allant aussi bien se frotter à des sonorités africaines qu’industrielles ou jazz. Il se produira jeudi à Caen en compagnie des Français de Dead, qui puisent leurs influences aussi bien du côté de Jesus And Mary Chain que de A Place To Bury Strangers. In The Dark, The Strokes, Alt-J, Jungle, Mac DeMarco, Patti Smith, Baxter Dury, Panda Bear, Tyler The Creator… The Prodigy 15/4 Paris, Zénith, 16/4 Lyon, 17/4 Strasbourg, 19/4 Lille

SBTRKT 25/4 Bourges, 26/4 Nantes, 27/4 Paris, Olympia, 18/7 Carhaix Soko 18/3 Paris, Maroquinerie Angus & Julia Stone 23/4 Paris, Zénith 24/4 Bourges

Michel Dufour

The Dandy Warholds 24/3 Le Havre, 25/3 Brest, 27/3 Strasbourg, 29/3 Nîmes

aftershow Kanye West le 8 mars à Paris (Fondation Louis-Vuitton)

Surprise vendredi 6 mars. Dans la torpeur d’un après-midi qui sentait déjà fort le week-end, la Fondation Louis-Vuitton annonçait quatre concerts consécutifs de Kanye West. A partir du lendemain même. Malgré des places à 100 euros pièce, au bénéfice d’une indéfinie “association caritative”, les concerts affichaient complet en moins de vingt-quatre heures. Dimanche 8 mars à 21 heures, une foule de hipsters, de jeunes du XVIe et de modeux venaient terminer la fashion week devant Kanye West, seul sur la petite scène de l’auditorium. T-shirt et pantalon blancs, pas de jeu de lumières : le show sera minimal. Mais mené au pas de course. Le rappeur enchaîne les titres On Sight, Black Skin, Jesus Walks, Wolves, sans aucun temps mort. Bientôt, l’écume de vagues géantes apparaît sur les écrans autour de la scène pour débuter Runaway. Puis vient l’heure de All Day, titre joué il y a une semaine pour la première fois, mais que la moitié du public connaît déjà par cœur. En un peu plus d’une heure et quart, le rappeur aura repris une petite vingtaine de titres. A l’instar de Jay-Z qui avait “performé” Picasso Baby pendant six heures dans une galerie new-yorkaise en 2013, Kanye West se montre ici en artiste en prise avec la création dans sa globalité : celui qui clamait “I am a god” dans son dernier album se veut plus que jamais omniprésent. François-Luc Doyez 18.03.2015 les inrockuptibles 87

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Masayoshi Sukita, 1973/The David Bowie Archive

Ziggy superstar Il a fait cogiter, danser et fantasmer leurs auteurs. Au moment où une monumentale expo célèbre la vie et l’œuvre de David Bowie, cinq livres mettent en lumière le caractère hors norme de sa trajectoire artistique.

C

e fut un enlèvement d’enfants d’une ampleur inédite. Un rapt consenti, subi dans l’allégresse par des centaines de milliers de petits Anglais : en tombant sous l’emprise d’une créature venue d’ailleurs, une génération entière découvrit un soir d’été les joies de la sédition, de l’adieu au réel et de la réinvention de soi. Quarante ans plus tard, tous se souviennent d’une insolite épiphanie, d’un vacillement de l’univers, d’une explosion de couleurs jaillies de postes de télévision en noir et blanc. Certains y consacrent même des livres : bien qu’ils n’aient été âgés que de 12 ans en juillet 1972, le journaliste Dylan Jones et le philosophe Simon Critchley gardent un souvenir d’une vivacité intacte de leur première rencontre avec David Bowie. De la Cornouaille jusqu’aux Highlands d’Ecosse, on observe, le jeudi, un même

rituel : sous peine de faire de ses enfants des parias de la cour de récré, aucun parent ne les priverait de Top of the Pops, le hit-parade regardé par plus d’un quart de la population britannique. Comme dans toute légende pop, la magie opère dès que l’écran s’anime. Dans L’Ovni Bowie, Dylan Jones se souvient : “Le 6 juillet, le monde semblait simple. Jusqu’à 19 h 25. Trente-cinq minutes plus tard, nous voulions tous être des stars du rock… Ce moment de grâce sauta en pleine lumière, comme un bouchon de champagne. Nous l’ignorions à l’époque, mais il s’inscrirait presque immédiatement dans le patrimoine du folklore adolescent.” Ce que nul ado n’ignore – et surtout pas Simon Critchley, futur auteur de Bowie – Philosophie intime –, c’est qu’avec “le look incroyable de Bowie. Son aura sexuelle, son aplomb et son étrangeté”, une porte vient de s’ouvrir “sur un monde de plaisirs inconnus”.

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Bowie/Ziggy sublime la bizarrerie, réhabilite les misfits et abolit les barrières de genre et de classe Au nombre de ces plaisirs figure l’écriture, sous toutes ses formes. Au moment où s’ouvre à Paris l’exposition David Bowie Is, cinq livres reviennent sur la vie, l’œuvre et les métamorphoses de la rock-star la plus intriguante du demi-siècle passé. Si le Bowie du Français Bertrand Dermoncourt est un habile ouvrage de vulgarisation et si le chapitre consacré à Bowie dans le Glam Rock – La subversion des genres de Philip Auslander illustre les travers du système universitaire américain – où la règle du publish or perish aboutit à la rédaction de thèses truffées de contre-vérités dont, ici, celle selon laquelle le producteur Tony Visconti et le batteur John Cambridge auraient fait partie du “noyau dur des Spiders From Mars durant la période Ziggy…” –, le trio de livres signés d’auteurs britanniques témoigne des immenses vertus du fétichisme. Animés par une même curiosité maniaque pour leur sujet, Dylan Jones, Simon Critchley et le critique musical David Buckley – auteur d’un monument d’érudition intitulé David Bowie – Une étrange fascination – ont passé des années à collectionner des disques, analyser des textes de chansons et s’efforcer d’injecter dans leurs vies un peu de la magie Bowie. En 1972, les quatre minutes que dure la retransmission télé de Starman marquent la revanche des perdants. Par un paradoxe sans précédent, la créature composite – Ziggy Stardust – dont des légions de gamins vont faire une superstar est un assemblage de parfaits losers. Pour s’élancer vers la gloire en s’appropriant la déglingue de Vince Taylor, le patronyme d’un olibrius aux chansons inaudibles (le Legendary Stardust Cowboy) et le phrasé d’un chanteur dont le groupe s’est séparé deux ans plus tôt, faute de trouver des auditeurs (Lou Reed, alors tombé dans l’oubli), il faut avoir une fort étrange conception de la célébrité. Bien qu’ils ignorent tout de la genèse du personnage de Ziggy, les gosses ne s’y trompent pas : avec le sidérant alliage d’assurance et de vulnérabilité dont se souvient Critchley, Bowie/Ziggy sublime la bizarrerie, réhabilite les misfits et abolit les barrières de genre et de classe. En 1965, les garçons rêvaient de ressembler à Mick Jagger et les

filles à Marianne Faithfull ; pendant l’été Ziggy, tous et toutes veulent ressembler à Bowie, sa propre épouse comprise. Associé à jamais à son personnage d’extraterrestre au sourire ensorcelant – pour Dylan Jones, “Ziggy Stardust a été la première pop-star postmoderne. Un messie bisexuel du beat… Un étrange hybride de cosmonaute androgyne, d’Elvis gigolo et de reine du rock & roll à paillettes” –, Bowie s’ingéniera pourtant à s’en détacher, devenant au fil des albums le Thin White Duke de Station to Station, le nightclubber berlinois de Heroes ou le playboy bronzé de Let’s Dance. Loin de s’alarmer, les fans emboîtent le pas de leur idole, voyant dans ses mues incessantes un encouragement au dépassement de soi, “comme si Bowie (…) s’était contraint à devenir une espèce de rien, un rien éminemment mobile et massivement créatif, capable d’engendrer de nouvelles illusions et de créer de nouvelles formes”. A cette analyse de Simon Critchley fait écho l’hommage de David Buckley, pour qui “le travail de Bowie a transformé l’ordinaire, l’a dénaturé et a brouillé les distinctions entre l’expérience vécue et ses versions fictives. Ce fut cette expérimentation extrêmement intelligente sur le réel et le faux qui propulsa Bowie vers des entreprises artistiques encore plus audacieuses”. De l’audace, du style, de l’humour et de la poésie, les ouvrages de Buckley, Critchley et Jones en regorgent. Quatre décennies après que Ziggy a cessé d’électriser les salles de concerts, sa poussière d’étoile scintille encore dans les pages qui lui sont consacrées. Bruno Juffin Bowie – Une étrange fascination de David Buckley (Flammarion) traduit de l’anglais par Florence Bertrand, 474 p., 22 € Bowie – Philosophie Intime de Simon Critchley (La Découverte) traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, 116 p., 10 € L’Ovni Bowie de Dylan Jones (Rivages), traduit de l’anglais par Emilien Bernard, 233 p., 21 € Glam Rock – La subversion des genres de Philip Auslander (La Découverte), traduit de l’anglais (E.-U.) par Alexandre Brunet et Christophe Jaquet, 331 p., 23 € Bowie de Bertrand Dermoncourt (Actes Sud) 136 p., 14,80 € exposition David Bowie Is à la Philharmonie de Paris, Paris XIXe, philharmoniedeparis.fr 18.03.2015 les inrockuptibles 89

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collection particulière Alysia Abbott

ouvrir Fairyland, c’est d’abord se plonger dans l’effervescence intellectuelle de San Francisco dans les années 70-80

Steve et Alysia Abbott au Mexique en 1977

San Francisco 77 Alysia Abbott raconte son enfance auprès d’un père poète et gay dans le San Francisco des seventies. Un livre intime et politique bientôt adapté par Sofia Coppola.



n papa, une maman”. Le slogan, ridiculement niais et profondément réactionnaire, a été entonné jusqu’à la lie par les petits soldats en lodens et jupes-culottes de la Manif pour tous. Autant dire qu’à leurs yeux atteints d’un glaucome idéologique, la famille dans laquelle a grandi la journaliste et critique américaine Alysia Abbott représente le mal absolu : pas de maman, un papa homo et séropo. Alysia a seulement 2 ans quand sa mère, Barbara, meurt dans un accident de voiture. Son père, Steve Abbott, poète fauché et gay, décide de l’élever seul, contre toutes les normes en vigueur. Commence alors pour eux une nouvelle vie dans le San Francisco bohème des seventies. “San Francisco était notre monde, notre royaume enchanté, notre Fairyland.” Fairyland, c’est aussi le titre du très beau livre dans lequel Alysia Abbott revient sur son enfance et sur sa relation tendre, tourmentée et unique avec son père, dont elle fait un magnifique portrait. A ses propres souvenirs, elle entrelace des photos, des dessins, des lettres et des extraits du journal intime de son père, et fait entendre la voix de celui qui fut le chef de file du mouvement New Narrative, l’un des premiers à reconnaître le talent de la romancière Kathy Acker, et une figure de la scène littéraire et militante homosexuelle. Ouvrir Fairyland, c’est d’abord se plonger dans l’effervescence intellectuelle de San Francisco dans les années 70-80, le quartier de Haight-Ashbury avec ses anciens hippies et les lectures à la librairie City Lights. Quand Alysia accompagne son père dans un festival à Amsterdam, elle papote avec

Richard Brautigan qui la met en garde contre l’herpès et prend son petit déjeuner avec William Burroughs. Mais c’est aussi l’époque où la chanteuse Anita Bryant mène une violente campagne contre les homosexuels, où le conseiller municipal gay Harvey Milk est assassiné, où l’on “casse du pédé” dans les rues et où le sida commence à faire des ravages. Steve Abbott ne sera pas épargné. Au milieu de ce bouillonnement, la petite Alysia peine à trouver sa place. Elle se sent à part, différente de ses amis de la très chic école franco-américaine, en marge au sein de sa propre famille. Elle vit parfois l’homosexualité de son père comme une honte, un tabou. Lui assume sa paternité comme il peut. Mais avec le recul, Alysia Abbott écrit : “S’il a échoué parfois en tant que parent, son échec était noble. (…) Il fut un pionnier.” Leurs rôles s’inversent quand son père tombe malade. Alysia a 20 ans et abandonne ses études pour s’occuper de lui jusqu’à sa mort, en 1992. Témoignage bouleversant et engagé, Fairyland a déjà séduit Sofia Coppola, qui devrait l’adapter au cinéma. Tout dans ce livre émeut profondément et fait écho aux questionnements qui traversent aujourd’hui la société. Steve Abbott note ainsi dans son journal, au sujet de sa fille : “Espérons que lorsqu’elle sera adulte, nous vivrons dans une société où les dichotomies homo-hétéro et homme-femme ne seront pas si importantes.” C’était en 1975. Quarante ans plus tard, il reste encore du chemin à parcourir. Elisabeth Philippe Fairyland (Globe), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, 384 pages, 21,50 €

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société de chasse Une meute de gentlemen convoite une jeune fille dans la haute société londonienne. Dans un roman de 1899, Henry James fait de la littérature galante un jeu de massacre raffiné. ’un des plus beaux romans de James, Celle-ci devra se choisir un mari parmi l’un des plus courts aussi, est sans plusieurs prétendants, dont un vieillard doute La Bête dans la jungle, constat de 103 ans et un homme riche mais fils d’une impossibilité amoureuse paru d’un cordonnier “qui pourrait être le petit-fils en 1903 et adapté en pièce en 1962 par Duras d’une sauterelle”. Mais Nanda reste tout (en ce moment au Théâtre de la Colline dans au long du livre une proie quasi invisible, une mise en scène de Luc Bondy). Un homme jamais invitée à s’exprimer et dont le sort y passe à côté d’une femme, de l’amour, est régi par les conventions d’un petit et donc de sa vie, et ne prend conscience de cercle de la haute société londonienne cet horrible gâchis qu’à la mort de celle-ci : et une mère jalouse de sa jeunesse. là réside toute la cruauté jamesienne, Le thème du mariage est un laboratoire qui condamne ainsi son personnage au lieu où s’expriment tous les travers humains : de le laisser à son ignorance. La séduction, la mesquinerie, l’ordre des convenances, les atermoiements conjugaux et amoureux la morale, l’attachement au rang social sont les clés de voûte de l’œuvre de James : et à l’argent. Eminemment politique, c’est non pour le seul plaisir de ces jeux galants un révélateur de l’âme qui fait converger infinis, mais comme une ouverture sur de vie intime et monde social, sujet tout aussi potentiels abîmes existentiels. L’Age difficile ironiquement traité dans les romans ressemble à une longue conversation de Madame de Lafayette et de Jane Austen. de salon, où des êtres, snobs et raffinés, se Henry James est le roi des oppositions livrent à de vils calculs maritaux ayant entre les générations, entre l’instinct pour cible une innocente jeune fille, Nanda. et l’éducation, l’innocence et une certaine

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Library of Congress

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perversité (à laquelle est rattachée cette vieille et aristocratique Angleterre). La spéculation galante chez James est jonchée de lâchetés et de pièges : celles d’une microsociété sans cesse rachetée par sa mise à distance mélancolique et sa diabolique intelligence. Emily Barnett L’Age difficile (Denoël), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Sager, 576 pages, 18,50 €

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ode à la branlette Dans son dernier livre, Thibault de Montaigu fait l’éloge de la masturbation. Une petite anthologie de l’onanisme qui réaffirme aussi le pouvoir de l’imaginaire et de la fiction. ous possédons tous dans nos bibliothèques des “livres qu’on ne lit que d’une main”, pour reprendre l’expression de cet hypocrite de Rousseau, l’autre étant affairée à satisfaire le désir ardent que font naître ces textes licencieux. Mais il existe aussi, à n’en pas douter, des livres écrits d’une seule main. Voyage autour de mon sexe de Thibault de Montaigu semble appartenir à cette catégorie. A 36 ans, l’auteur d’Un jeune homme triste se révèle bien plus caustique depuis qu’il a délaissé l’étiquette “néo-hussard” qu’on lui avait accolée à ses débuts. Il en a déjà fait la preuve avec son précédent roman, Zanzibar, satire délirante du journalisme. Cette fois, n’ayant plus peur de passer définitivement pour un branleur, il s’attaque avec autodérision et une certaine érudition à la masturbation, dernier tabou, selon lui, de notre civilisation occidentale. A la fin du XVIIIe siècle, Xavier de Maistre faisait le tour d’une unique pièce dans Voyage autour de ma chambre ; Montaigu fait aujourd’hui le tour d’un espace encore plus réduit (sans offense) : son sexe, et plus généralement le sexe solitaire. En mêlant des souvenirs qu’on imagine personnels, notamment un séjour en Arabie Saoudite où il a davantage contemplé les murs de ses toilettes que pu draguer les femmes (voilées, chaperonnées, interdites de conversation avec des hommes, etc.), à une réflexion sur le statut érotique, symbolique et même politique de la masturbation, Thibault de Montaigu livre une anthologie savoureuse et savante de l’onanisme. Acte libre et gratuit, hors de toute convention sociale, l’autoérotisme est ici présenté comme l’une des dernières activités humaines qui échappe au capitalisme, bien que la main invisible du marché tente de s’infiltrer dans nos sexes en nous refourguant sextoys, sexbots et autres gadgets pour

Jean-François Paga

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nous imposer une jouissance automatisée et normée. La démonstration est étayée par des références qui vont d’Aristophane à Rihanna, en passant par sœur Emmanuelle, Foucault, Sade, Proust, Catherine Millet ou Mishima. Et bien sûr Philip Roth et Portnoy et son complexe, autre ode romanesque à la branlette. Car ce qu’éclaire également très bien Voyage autour de mon sexe, ce sont les liens qui unissent masturbation, lecture et écriture. Toutes trois sont des activités – généralement – solitaires, des retours sur et en soi qui mobilisent notre imaginaire. D’autres ont déjà mis en lumière cette correspondance. L’écrivain Pierre Guyotat nomme ainsi l’intrication du textuel et du sexuel la “branlée avec texte”. “Il s’agit au fond de deux formes de masturbation, l’une naturelle et l’autre intellectuelle”, note Thibault de Montaigu. Qu’elle prenne l’une ou l’autre de ces formes, la masturbation, cette “écriture personnelle du désir”, n’a donc rien d’un geste stérile puisqu’elle féconde des rêveries, des images, voire des œuvres. En chanter les louanges, c’est aussi réaffirmer le pouvoir de la fiction, autre espace d’absolue liberté. Et de plaisir. Elisabeth Philippe Voyage autour de mon sexe (Grasset), 280 pages, 18 €

la 4e dimension à table avec Orson Welles Yann Moix dans la peau d’Antoine Doinel Le 29 avril, l’écrivain publie Les Salades de l’amour (Grasset). Ce titre est celui du roman d’Antoine Doinel dans le film de Truffaut, L’Amour en fuite. Moix explique s’être toujours demandé ce qu’il y avait dans ce livre et a donc décidé de l’écrire. Il y sera question de la lâcheté des hommes.

Sortie le 13 avril d’En tête à tête avec Orson (Robert Laffont), conversations entre le Citizen Kane d’Hollywood et le réalisateur Henry Jaglom enregistrées entre 1983 et 1985 pendant leurs déjeuners au restaurant Ma maison à L.A. Réflexions sur le cinéma, saillies vachardes…

Onfray : à droite toute ? Dans un entretien au Point, le philosophe libertaire a déclaré : “Je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL.” Alain de Benoist ? Le fondateur de la Nouvelle Droite et du Grece, labo idéologique du FN. Une provoc douteuse qui a déclenché une passe d’armes entre Onfray et Manuel Valls.

le printemps de Reinhardt, Salvayre, Deville Les trois romanciers, dont Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, feront partie des quarante auteurs présents au Printemps du livre de Grenoble. Le thème de cette nouvelle édition : le temps et la façon dont la littérature en joue. du 25 au 29 mars, printempsdulivre.bm-grenoble.fr

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Alexandre Kha Les Nuits rouges du théâtre d’épouvante Tanibis, 120 pages, 20 €

Tokyo parano Avec un thriller désenchanté, Tetsuya Tsutsui s’infiltre habilement dans les méandres de la censure et de la liberté d’expression.

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n 2019, à un an des Jeux olympiques de Tokyo, les autorités japonaises font le ménage dans les rues et dans la culture pour présenter au monde un visage “cool” et respectable. En particulier, la commission chargée d’appliquer la récente “loi pour une littérature saine” entend débarrasser les mangas de leurs excès de sexe et de violence. A la demande de son éditeur, le jeune mangaka Mikio Hibino procède à plusieurs aménagements dans sa nouvelle série Dark Walker, mais c’est encore insuffisant : la commission ordonne le retrait de la vente du magazine dans lequel est paru le premier chapitre de cette histoire de virus et de cannibalisme. S’il ne veut pas trop dénaturer son œuvre, Mikio n’a d’autre solution que de la publier en ligne. Après Duds-Hunt ou Prophecy, Tetsuya Tsutsui poursuit sa dissection paranoïaque de la société japonaise contemporaine, cette fois sur un sujet qui le touche directement, puisqu’il est lui-même victime, dans une région du Japon, d’une procédure kafkaïenne d’interdiction de sa série Manhole (dont le thème n’est pas si éloigné de Dark Walker). Peut-être en raison de cette dimension autobiographique, Tsutsui évite de brandir avec indignation l’étendard de la liberté d’expression, et aborde la question

de la censure dans toute sa complexité. Poison City n’oublie pas que les compromis, les calculs et les méthodes du business de l’édition dépossèdent aussi sûrement un artiste de sa personnalité qu’une mise à l’index pure et simple. Mikio rencontre ainsi Shingo Matsumoto, un auteur obligé de travailler sous pseudonyme depuis qu’il a été classé “nocif” et rééduqué. Réduit à décalquer des photos, il n’est plus que le rouage inoffensif d’un processus industriel, et pourtant, il soutient la loi, qu’il perçoit comme une protection de son gagne-pain. L’intervention d’un éditeur américain qui souhaite traduire Dark Walker est aussi l’occasion d’un rappel historique sur le Comics Code adopté aux Etats-Unis en 1954, et ses effets dévastateurs sur la diversité de la création. Tsutsui ne tombe cependant pas plus dans le piège de l’exposé tiède que dans celui du brûlot militant. C’est avec son habileté d’auteur de thriller qu’il mène ce récit désenchanté, où transparaît à chaque page la fatigue des auteurs et des éditeurs, soumis aux forces contraires de leurs aspirations et des réalités économiques, auxquelles s’ajoute ici le poids de ce tyran invisible des démocraties : la majorité silencieuse. Jean-Baptiste Dupin

En rouge et gris, l’histoire sensible d’une troupe de freaks en tournée. Après L’Attrapeur d’images et Les Monstres aux pieds d’argile, Les Nuits rouges du théâtre d’épouvante constitue une nouvelle visite dans l’imaginaire fantastique et lunaire d’Alexandre Kha. Dans cet hommage au GrandGuignol, une troupe de comédiens d’un théâtre d’horreur finit par voir la réalité se confondre avec ses pièces. Alexandre Kha invente une galerie de personnages à la fois repoussants et poignants – un épouvantail vivant poursuivi par des corbeaux, un homme défiguré à la tête bandée, un loup-garou, un homme sans tête, un metteur en scène habité… Tous sont en marge de la société, tous ont leurs vices et leurs problèmes, et tous tombent amoureux d’une actrice de la troupe, une jeune sans-papiers venue d’Ukraine qui se cache de la police. Evidemment, le petit ballet finira tragiquement pour l’un d’entre eux… Avec humour et empathie pour sa bande de freaks, l’auteur invente une histoire plus émouvante que gore, où le plus sanglant est finalement la bichromie rouge et grise de l’album. Anne-Claire Norot

Poison City, tome 1 (Ki-oon, collection Latitudes), traduit du japonais par David Le Quéré, 242 pages, 7,90 €, 15 € en grand format 18.03.2015 les inrockuptibles 93

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lost in translation De Tokyo à Tel-Aviv, David Geselson narre avec humour et profondeur le parcours de son grand-père en Israël-Palestine.

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urieuse coïncidence en cette première semaine de mars : tous les spectacles vus nous plongent dans la mémoire, celle des ancêtres des auteurs ou des acteurs présents sur le plateau. Seul l’âge de ces aïeux varie. Ils sont vieillissants dans Pouilles, écrit et interprété par l’Italien Amedeo Fago, qui retrace l’histoire de sa famille sur plus d’un siècle, ou Toujours la tempête de Peter Handke, mis en scène par Alain Françon, où le narrateur parle avec ses disparus, minorité slovène de Carinthie à l’heure de l’occupation nazie ; dans la fleur de l’âge avec En Route-Kaddish, un projet de David Geselson qui retrace l’histoire d’un homme qui a traversé le XXe siècle, son grand-père – Yehouda Ben Porat, parti de Lituanie pour la Palestine en 1934,

mort en 2009 à Jérusalem –, sous la forme d’un récit qui se transforme en dialogue. En exergue, David Geselson cite Marcel Proust : “Quand nous avons dépassé un certain âge, l’âme d’enfant que nous fûmes et l’âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignée leurs richesses et leur mauvais sort…” Un héritage qui donne forme au présent et trace à la fois les trajectoires d’une existence et les motifs, réels ou mythiques, d’une mémoire partagée. Le point de contact entre le parcours de Yehouda Ben Porat et celui de David Geselson se trame dans la figure de l’échec. Parti à Tokyo pour travailler sur des nouvelles d’Haruki Murakami, David Geselson apprend à son retour qu’il n’aura pas les droits

d’adaptation. En même temps, il vit une rupture amoureuse et décide d’écrire ses propres nouvelles, mêlant ses tribulations japonaises à l’histoire, vraie ou fictionnelle, de son grandpère. “Un homme dont l’idéal, la création de l’Etat d’Israël, est devenu un cauchemar” et qui, lorsqu’il meurt, “voit les idéaux qu’il aura poursuivis toute sa vie déjà fissurés, son rêve presque détruit”. David Geselson brise d’emblée le quatrième mur pour s’adresser directement au public, lui distribuant des photos, s’assurant de la compréhension des mots qu’il emploie (la yeshiva, école talmudique ; le kibboutz, un nouveau modèle d’hommes non guerriers, non violents et non religieux à leur création). Mais c’est pour

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printemps arabe, saison 4 Sacré printemps ! des Tunisiens Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou associe à la vue d’ensemble d’un groupe un zoom sur les trajectoires solitaires qui le composent. Bien vu. n titre qui oscille entre l’évocation du Sacre du printemps, monument du patrimoine chorégraphique, et le Printemps arabe dont la révolution tunisienne a été le fer de lance. Sacré printemps ! réunit les vivants et les morts, présents sous la forme d’une assemblée de silhouettes en carton qui reproduit à taille réelle les dessins projetés de Dominique Simon inspirés par ceux de Bilal Berreni, qui a peint sur les murs de la médina et des rues de Tunis les portraits des martyrs de la révolution. Une immobilité partagée avec les danseurs de la compagnie Chatha alors que retentit le chant puissant de Sonia M’Barek en hommage à la liberté. A la fois exergue et introduction à la chorégraphie qui va suivre où les danseurs, guidés par la partition musicale d’Ivan Chiossone et Eric Aldéa, se mêlent et se détachent de la foule en carton pour reprendre les gestes de la révolte. Bras tendus, lançant des projectiles, corps courbés pour se protéger, jusqu’à la chute lentement dessinée, avant de s’animer dans des roulades et des amoncellements de corps qui, à l’image du phénix, se relèvent et reprennent le combat. “Depuis nos premières créations, nous avons élaboré une grammaire spécifique afin de déjouer les embûches, l’autorité, la censure – nous avons frôlé l’autocensure. Ce langage inventé est revisité dans cette nouvelle création. Revisité avant tout par des corps qui sont mis en situation d’urgence, contraints par les enjeux du corps dans la société”, indiquent Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, conscients que si la Tunisie fait figure d’exception “le printemps cherche encore son visage, son corps et ses nouveaux alliés”. La principale qualité de Sacré printemps ! consiste alors à différencier gestuellement chacun des interprètes dans des solos ou des duos qui s’extraient de la foule pour rendre visibles l’énergie et l’élan particuliers aux êtres qui s’unissent pour forger un avenir commun sans rien lâcher de ce qui les anime individuellement. Tels les martyrs de cette révolution tunisienne qu’ils déplacent au cours du spectacle et qui composent la dernière image de la pièce, placés en avant-scène, en forme de palimpseste, viatique pour le futur… F. A.

Elios Noël et David Geselson

mieux nous faire entrer dans le décor du plateau qui reconstitue le bureau de Yehouda, historien reconnu, interprété par Elios Noël, où se mêlent les langues, l’hébreu et le français, les images filmées en Israël et à Tokyo, les histoires d’amour des deux personnages, pour poser, in fine, la seule question qui vaille : quel avenir construire sur la base du conflit israélo-palestinien, “sur l’irrésolution absolue de ce lieu-là, où se déroule une tragédie quotidienne” ? L’héritage, bien réel, des générations à venir. Fabienne Arvers En Route-Kaddish un projet de David Geselson, avec lui-même et Elios Noël, jusqu’au 22 mars au Théâtre de la Bastille, Paris XIe, tél. 01 43 57 42 14, theatre-bastille.com

Charlotte Corman

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Sacré p rintemps ! conception et chorégraphie Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, du 18 au 21 mars au Tarmac, Paris XXe, letarmac.fr, le 27 à Marseille, du 19 au 21 mai à Rouen 18.03.2015 les inrockuptibles 95

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Courtesy Mac/Val, Adagp, Paris 2015

Olivier Dollinger, Autoportrait au Locabiotal, 1995

hommes des années 90 Les attributs traditionnels de la masculinité mis à mal dans une exposition genrée autant que dérangée, au MAC/VAL.

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l y a dix jours, journée internationale de la femme oblige, fleurissait dans les couloirs du métro parisien une campagne de sensibilisation de l’association Care. A l’affiche, un portrait plein pot de Léa Seydoux ou Vincent Cassel et cette accroche bicolore : “Donne du pouvoir aux femmes si t’es un homme”. De retour du MAC/VAL où se tient actuellement Chercher le garçon, on découvre cette tribune publiée dans Libération où plusieurs membres de l’ONG et autres personnalités publiques

un paysage ultra cohérent, qui a donné à notre fin de siècle dernier une coloration échevelée et mélancolique à la fois

(dont la même Léa Seydoux) ont visiblement tenu à s’expliquer sur l’usage risqué de cette formule à double tranchant. “Cette expression apparemment anodine véhicule des valeurs qui ne le sont pas : la force (bats-toi si t’es un homme !), le pouvoir (fais-le si t’es un homme !), qui mène parfois à la domination (ne te laisse pas faire si t’es un homme !)”, pouvait-on ainsi lire dans cette lettre ouverte. Et de rappeler, dans la foulée, que ces “représentations enferment les hommes et les femmes dans des relations inégales”. Si l’on commence par ce long détour, c’est que l’exposition qui se tient aujourd’hui au MAC/VAL, avec son titre emprunté à Taxi Girl, la gueule d’ange Daniel Darc en totem, cherche justement, avec ses cinquante artistes mâles au générique, à écrire une autre histoire de la

masculinité. Où la figure du pédé, mais aussi du transgenre et de l’éphèbe deviennent des personnages clés du scénario de l’art contemporain des années 80 et 90. Si l’expo est un peu monomaniaque, au point parfois de bégayer en alignant des œuvres jumelles dont certaines ne sont que de pâles copies de l’original (et notamment des portraits du grand Michel Journiac en “femme pot-au-feu”), elle a le mérite de déployer, avec beaucoup de générosité, un paysage ultra cohérent, qui a donné à notre fin de siècle dernier une coloration échevelée et mélancolique à la fois. “On me fait savoir que certaines (de mes) idées auraient trait à la déhéroïsation de l’artiste, au crépuscule des cow-boys et autres christs dans l’écosystème de l’art, à la mise en déroute du mâle et de ses attributs spécifiques dans l’histoire de l’art”, écrit

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l’odyssée de l’espace

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Plus d’une langue jusqu’au 29 mars au Centre culturel suisse, Paris IIIe, ccsparis.com

Photo Marc Domage, Courtesy CCS Paris

– avec cette même fausse candeur qui caractérise toutes les opérations à l’œuvre dans l’exposition – le critique d’art et écrivain Jean-Yves Jouannais. Et de fait, les figures de Chercher le garçon sont bien descendues de leur piédestal, qui s’exhibent de bon matin, l’œil torve et la mèche grasse devant leur webcam (Pierrick Sorin), pratiquent un onanisme bon marché (le même Pierrick Sorin), s’affichent pendus par les pieds, la bite à l’air (Patrick Raynaud), les muscles saillants mais affublés de masques protégeant leur identité sur des sites de rencontres homosexuels (Soufiane Ababri, l’un des rares artistes à être né après 1980). La maladie (nous sommes en plein dans les années sida), la défaillance technique et la dépendance affective sont aussi au cœur de nombreuses œuvres, qui font de l’artiste une cible sexy mais vulnérable (Olivier Dollinger) et font virer les attributs traditionnels (marcel, grosse bagnole, pectoraux et sperme) au rose layette ou rouge sang. Mais cette version très genrée de la masculinité donne aussi à voir une lecture plutôt joyeuse de l’art, où le travestissement, la fête et la nudité témoignent d’une liberté que l’on peine parfois à retrouver dans les œuvres des années 2000. “Dézinguer les fétiches, les supposés attributs… de la puissance masculine”, écrit ainsi Frank Lamy, le commissaire de cette exposition finalement très féministe. Claire Moulène

L’artiste suisse Pierre Vadi parle un langage singulier, tout en pleins et en déliés. Expo sensible à Paris. uelle merveille de justesse que cette petite exposition de Pierre Vadi au Centre culturel suisse. Qui fait vaciller les évidences dès son vestibule, coupé en deux par une paroi de verre que l’on prendrait volontiers pour un miroir. Derrière, la même scène plongée dans une lumière chaude de fin d’été semble se rejouer. Sauf que rien ne se passe comme prévu dans cet avant-propos qui conjugue les couleurs (jaune soleil sur vert moutarde), les formes (toile sérigraphiée sur matelas de ciment) et les faux-semblants. Le reste de l’exposition est d’une rare délicatesse, qui découpe à même une cimaise un bout de jardin artificiel tendrement éclairé de néons roses, serpente dans l’arrière-boutique au gré d’un agencement squelettique de tubes de métal soudés et se niche dans les détails : une petite sculpture de terre galbée à la main, une portion de mur ajourée, un mandala résiné. Dans les détails donc, mais aussi dans les vides qui construisent en creux cette exposition au final assez dépeuplée. “L’exposition postule avec plus de contraste et plus de clarté ce que voudrait dire ‘espacer‘, à savoir mettre de l’écart. La production d’écarts est à la fois visuelle et verbale”, résume l’artiste suisse dans le catalogue avant d’argumenter, à propos d’un moulage de carton, seule pièce non produite spécifiquement pour l’événement : “Les plis du carton servaient à produire un agencement d’espaces. Je dramatisais leur surface en la minéralisant de façon très rugueuse. Les œuvres faisaient image (le romantisme des ruines) et avaient un aspect d’accident. J’ai voulu éteindre l’incendie et exposer davantage leur processus constructif en leur donnant une forme simple et moins bloquée.” Moralité de l’histoire : Pierre Vadi parle comme ses œuvres, en pleins et en déliés, une langue qui lui est propre. C. M.

Chercher le garçon jusqu’au 30 août au MAC/VAL, Vitry-sur-Seine, macval.fr 18.03.2015 les inrockuptibles 97

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place centrale L’incroyable documentaire de la réalisatrice Jehane Noujaim sur la révolution égyptienne vue depuis la place Tahrir, The Square, arrive enfin en France via Netflix, sans être jamais sorti en salle ici.

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n a appris la nouvelle un peu par hasard par une pub sur AlloCiné : The Square, le magnifique documentaire de Jehane Noujaim, est enfin disponible en France sur Netflix. Grand film sur la révolution égyptienne, il avait, outre-Atlantique, été nommé aux oscars de 2014, primé à Sundance et à Toronto. Noujaim, à laquelle on doit déjà les remarqués Startup.com et Control Room, fut aussi honorée par la Directors Guild of America Awards (meilleure réalisatrice de film documentaire en 2002 et 2014). Le documentaire retrace les événements qui ont bouleversé l’Egypte depuis 2011. Il est raconté du point de vue de six protagonistes, héros parmi tant d’autres qui firent tomber le régime égyptien. Gavroche au grand cœur, Ahmed ne quitte jamais “(sa) place” ; acteur assez connu de la diaspora égyptienne, Khalid Abdalla (Les CerfsVolants de Kaboul de Marc Forster) est rentré au pays pour servir la révolution. On suit aussi le quotidien d’Aida, activiste, Ragia, humanitaire d’Human Rights Watch, Ramy, le “chanteur de la révolution”, enfin Magdy Ashour, père de famille déchiré

entre son engagement auprès des Frères musulmans d’un côté et sa fidélité à la révolution et à ses camarades de l’autre. La force du film tient d’abord dans son dispositif. Construit autour de la place Tahrir, il montre celle-ci sous tous les angles, comme une sorte de cœur battant dont on suit les flux et les reflux, mouvements de foules, assauts répétés des régimes qui se succèdent. Sur les trois années que couvre The Square, on voit tour à tour Hosni Moubarak, puis les généraux de l’armée, enfin les Frères musulmans et Morsi tâcher de déloger les protagonistes de la place qu’ils occupent. Et comment ceux-ci résistent pour défendre Tahrir, symbole de la révolution. Dans l’une des scènes les plus fortes du film, le spectateur peut observer, du haut d’un balcon, la place occupée s’étendre sous ses pieds. La rumeur de la révolte gronde. Le lieu se remplit peu à peu. L’événement que l’Egypte est en train de vivre s’incarne ainsi à merveille sur cette place, dans les faits et gestes de tous ceux qui, spontanément, s’y retrouvent sans relâche. On voit comment ils circulent, passent d’un camp à l’autre, échangent,

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Netflix

The Square saisit en acte ce qui unit des gens qui se situent pourtant aux antipodes religieux, idéologiques, politiques

débattent, s’entraident. Réalisé à partir d’innombrables footages, images prises à partir de smartphones ou caméras pour amateurs, The Square saisit en acte ce qui unit des gens qui se situent pourtant aux antipodes religieux, idéologiques, politiques. Ainsi Magdy, le Frère musulman, va, par solidarité avec ses compagnons de lutte, contester son propre parti, qui lui ordonne de rompre avec eux. Révolution donc, et même incarnation de la démocratie directe, The Square capture parfaitement “l’éthique du commun” qui caractérisa les printemps arabes. “La bataille ne se fait pas seulement avec des pierres, elle se gagne aussi avec des images, explique à un moment Khalid à des activistes auxquels il enseigne les rudiments du montage vidéo. Ayez toujours un iPhone ou un appareil photo avec vous. Filmez tout.” C’est sans doute mû par la même conviction, la même “responsabilité” comme le dit l’acteur, que Noujaim décida de repartir en Egypte en 2012. Déjà primé à Sundance, The Square aurait pu s’arrêter là. Mais quand elle voit l’armée trahir la révolution, la réalisatrice décide de retourner à Tahrir, comme

ses protagonistes. Elle ajoute donc une seconde partie à son film et montre la folie qui s’empare du pays, le basculement de la révolte vers un état de quasiguerre civile. A l’enthousiasme des débuts succèdent la désillusion, la violence des combats, les déchirements entre anciens camarades. Le désespoir guette, à l’image d’Ahmed marchant au milieu de la rue, défiant les voitures de l’écraser. Pourtant la détermination des protagonistes, de ceux qui étaient là dès les débuts, ne faiblira pas. The Square se montre parfois problématique dans sa mise en scène (un des protagonistes semble “surjouer” ce qu’il vit). Il présente aussi des omissions (aucune mention des violences faites aux femmes et des viols qui se déroulèrent sur la place même). Le film n’est en pas moins un tour de force et une magistrale leçon d’histoire politique. La situation actuelle en Egypte le rend encore plus tragique. A la fin du film, qui s’arrête en 2013, on se demande si aujourd’hui nos révolutionnaires sont toujours là, place Tahrir. Qu’est devenu Magdy ? Fait-il partie du millier de Frères musulmans qui furent massacrés par le pouvoir en place depuis l’année dernière ? L’histoire de la réception de The Square est aussi instructive sur le rôle de Netflix et l’avenir de la télé en ligne. Le documentaire n’a pu trouver de distributeur aux Etats-Unis, et c’est grâce au bouche à oreille et à certains médias indépendants (la radio KCRW, l’hebdo LA Weekly) ainsi qu’au flair de Netflix qu’il a pu exister. Jusqu’à devenir l’un des chevaux de bataille de l’entreprise californienne, quand le film se retrouva aux oscars. The Square devint ainsi “production originale de Netflix”, son affiche placardée sur les billboards d’Hollywood, le film enfin programmé en salle. Une sorte d’équivalent, version documentaire, du phénomène House of Cards. Il aura néanmoins fallu plus d’un an pour qu’il sorte sur la plate-forme SVOD en France, où il n’est toujours pas distribué en salle. Yann Perreau The Square de Jehane Noujaim (E.-U., Egypte, 2013, 1 h 44) sur Netflix 18.03.2015 les inrockuptibles 99

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affres numériques Face à la place qu’occupe dans nos vies la révolution virtuelle, des philosophes insistent sur l’urgence de la penser en gardant une distance critique.

Visualisation de la carte du réseau internet mondial/The Opte Project

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élébrée ou stigmatisée, la révolution numérique divise ceux qui en subissent les effets autant qu’elle génère des réflexions articulées parmi ses analystes, entre exaltation et scepticisme. Parmi les spécialistes des technologies numériques, Eric Sadin, auteur en 2013 de L’Humanité augmentée, poursuit une réflexion ambitieuse, “à l’écart de l’ancestrale et inopérante dichotomie entre les dénommés technophiles et technophobes”. Sa dernière entreprise cartographique, contenue dans son livre théorique le plus abouti, La Vie algorithmique, se propose de réexaminer la notion même de révolution numérique. L’orientation que le philosophe privilégie consiste “à ne pas envisager la technique ou le numérique comme une unité, comme une chose au sujet de laquelle on pourrait parler en soi, mais comme un foisonnement de dispositifs et de protocoles contradictoires ou convergents, dont il s’agit de dégager les dynamiques structurantes au-delà du bruit et de la fureur des divergences idéologiques”. Le souci déployé tout au long de l’essai tient à un souhait, à moins qu’il ne s’agisse d’une impérieuse nécessité : développer une “théorie éthique de la technique”. Car l’enjeu de notre époque consiste à se demander “comment se comporter dans un monde traversé de flux se déplaçant, au propre comme au figuré, à la vitesse de la lumière”. Le capitalisme a bon dos d’être “la cible privilégiée de la philosophie politique et de la critique sociale” :

ce qui devrait, selon Sadin, être analysé et déconstruit, c’est “le modèle technicocognitif qui actuellement s’exerce partout”, la capacité des systèmes électroniques diffus de piloter nos existences, via l’extension des objets connectés. Comment décider en conscience et librement du cours des choses ? A cette interrogation sur ce qui reste de notre subjectivité et de notre liberté à l’heure des systèmes robotisés ordonnant la trame de nos existences, Sadin esquisse une réponse salutaire : introduire d’autres modalités temporelles, vivre à contretemps, “conformément à la notion nietzschéenne d’inactuel qui signale la possibilité d’observer les faits à la distance critique nécessaire et de se démarquer d’un régime normatif dominant”. C’est en cela que s’impose l’urgence de “soumettre la vie algorithmique contemporaine à une critique en acte de la raison numérique”. Cette manière d’en faire un “combat politique, éthique et civilisationnel majeur

de notre temps” rejoint une autre analyse, plus pessimiste encore, celle du philosophe allemand, d’origine coréenne, Byung-Chul Han, dans son livre Dans la nuée. Pour l’auteur, effaré devant ce média pulsionnel, nous serions entrés dans une société de la transparence, où “le psychopouvoir prend la place du biopouvoir”. Que faire pour se protéger des effets néfastes de cette “nuée numérique”, ce vacarme isolant les individus ? A défaut de s’en plaindre comme Byung-Chul Han, il importe de bâtir, comme l’y invite Eric Sadin, une théorie critique de la raison numérique, à partir de laquelle on apprendrait à mettre à distance ses effets délétères autant qu’on se gargariserait de ses vertus émancipatrices. Jean-Marie Durand La Vie algorithmique – Critique de la raison numérique d’Eric Sadin, (L’Echappée), 288 p., 17 € Dans la nuée – Réflexions sur le numérique de ByungChul Han (Actes Sud), traduit de l’allemand par Matthieu Dumont, 128 p., 12,70 €

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souriez, vous êtes filmés, écoutés, fichés ! Un documentaire d’Alexandre Valenti l’affirme : désormais, naviguer sur internet fait de nous soit un suspect, soit un client. écurité et surveillance… Et sous prétexte de surveiller Tels sont les deux pôles les méchants, les divers de ce documentaire qui, services secrets peuvent puiser d’une part, décrit comment dans diverses bases de l’obsession du contrôle des données, dont celles constituées individus – par le biais de caméras par Google ou Facebook. disséminées dans les villes – De là à parler de “prison atteint des extrêmes. Voir ce brave numérique”, comme le suggère yankee tout fier de pouvoir scruter Marc Rotenberg, président tout ce qui bouge à l’extérieur de l’Epic (Electronic Privacy de sa maison sur son écran géant. Information Center), il n’y a qu’un D’autre part, et c’est l’essentiel pas. Google conserve toutes les du propos d’Alexandre Valenti dans traces de nos recherches, en partie ce film, on explique en détail, pour des raisons commerciales, avec moult arguments pour et dans de gigantesques bases contre, à quel point notre empreinte situées dans divers lieux numérique fait l’objet d’un intérêt de la planète. Et jusqu’à l’action et d’un contrôle permanents. d’un simple internaute espagnol, Qu’est-ce donc que intentée contre le moteur de cette “empreinte numérique” ? recherche, un individu ne pouvait Tout simplement la trace même pas effacer des de notre passage sur internet. Tout propos infamants à son endroit. ce que nous y faisons est scruté, Il y a certes un mieux, mais enregistré. Y compris en France, restreint (à l’Europe). Il y a aussi un où, depuis le 1er janvier 2015, la loi pire : le contrôle du futur. En effet, de programmation militaire rend certains informaticiens américains, possible, comme aux Etats-Unis, en cheville avec la police depuis toutes sortes d’écoutes sur quelques années, développent des citoyens lambda. le concept de “predictive policing”, Le maître mot du documentaire consistant à prévoir des délits est “équilibre”. Il faut trouver avant qu’ils ne soient commis, en un équilibre entre sécurité utilisant un système d’algorithmes. et surveillance, mais chacun On se retrouve soudain projeté ne met pas le curseur au même dans Minority Report, le film endroit. Le spectre permanent du de Spielberg d’après Philip K. Dick. terrorisme, dont le 11 Septembre Finalement, la SF d’antan n’était fut un apogée, a donné un blancpas paranoïaque. Elle était seing à tous les big brothers. juste prémonitoire. Vincent Ostria A tel point qu’on a souvent envie de souscrire aux théories du complot ; Un œil sur vous le terrorisme bénéficie moins – Citoyens sous surveillance ! à ceux qui le pratiquent qu’à ceux documentaire d’Alexandre Valenti, mardi 24, 20 h 50, Arte qui prétendent l’empêcher.



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Une aventure du 23 mars au 14 avril au Théâtre de la Cité internationale, Paris XIVe

Nos limites

scènes

C’est l’histoire de deux femmes – une histoire indécidable. Sont-elles sœurs, amantes ou simplement complices ? C’est une invitation mutuelle, une provocation réciproque à repousser ses limites, à aller là où on n’oserait jamais aller sans l’autre. Par la Cie La Boca Abierta. à gagner : 10 × 2 places pour la représentation du 27 mars

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scènes Sur le plateau, Matias Pilet et Alexandre Fournier, deux danseurs acrobates, nourrissent une relation forte marquée par des regards appuyés, des gestes bienveillants. A deux, leurs corps entrelacés, ou face à une contrainte qu’ils s’imposent eux-mêmes, ils explorent une autre façon de se mouvoir et de se déplacer. à gagner : 2 × 2 places pour la représentation du 27 mars à 20 h

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Histoire de l’imposture scènes Comme sortis d’un tableau de grand maître par une porte de secours, les mannequins semblent poser dans la vitrine de l’histoire. Leur posture artificielle ne les empêche pas de faire image pour de bon, mais y croient-ils ? à gagner : 5 × 2 places

Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre du 17 mars au 18 avril au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe

Thibault Grégoire

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scènes Dialogue brillant, Les guêpes de l’été… débute en comédie de salon pour s’acheminer vers la tragédie métaphysique. Une hilarante aventure humaine. à gagner : 5 × 2 places pour les représentations du 24 mars à 21 h et du 29 mars à 15 h 30

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La Grosse Boule/Canal+

noir brillant

Une histoire complète et une analyse vivante du black dandysme. Ou la revendication par le style. ’inventer, se recréer une identité par le style, souvent en marge des diktats et des modes, tel est le credo du dandy, apôtre de la singularité et de la distinction, cher à Baudelaire et Barbey d’Aurevilly. Mais, quand elle émane des communautés afro-américaines de Harlem ou des townships de Johannesburg, l’élégance désinvolte du dandy prend une dimension politique, instille en douceur une rébellion par le look. Un art de vivre, alliant le cool flegmatique à la fierté des origines. S’il revêt autant de formes que de styles, le black dandysme impose dans les capitales européennes et américaines, sur les réseaux sociaux et jusque sur les podiums des fashion weeks son extraordinaire créativité, rappelant ainsi tout ce que la culture pop doit à l’Afrique : un art du métissage, de la couleur, une façon de mixer les textures, les tissus, les formes, de sampler, à la manière des DJ, costumes chics et streetwear, vintage customisé et motifs traditionnels, rigueur et exubérance. Dans ce film-mosaïque, Ariel Wizman et Laurent Lunetta ont rencontré ces nouveaux hérauts – blogueurs, créateurs de mode, photographes, collectifs (Street Etiquette à Brooklyn, Art Comes First à Londres, Khumbula en Afrique du Sud) – qui inventent une image inédite et racée de la beauté noire, loin des clichés stigmatisants véhiculés par la culture hip-hop (sneakers et sweat à capuche ) ou du business look bling-bling de ses icônes (Kanye West, Jay-Z) courtisées à prix d’or par les enseignes du luxe. Ce bouillonnement tous azimuts contamine l’écriture nerveuse de ce film-collage, qui revient aussi sur l’histoire du vêtement black, des premiers Afro-Américains émancipés arborant le dimanche leurs plus beaux atours pour retrouver une dignité brisée par le joug de l’esclavage, en passant par le zoot suit frondeur de la Harlem Renaissance, l’afro-psychédélisme des seventies, le look hip-hop, de plus en plus standardisé au fil des décennies, jusqu’à la frime criarde des sapeurs congolais. Un culte du style combatif qui inspire le respect. Anaïs Leehmann

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Black Dandy – Une beauté politique documentaire de Laurent Lunetta et Ariel Wizman, mardi 24, 22 h 55, Canal+

les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 lesinrocks.com mail [email protected] ou [email protected] abonnements société Everial tél. 03 44 62 52 35 cppap 1216 c 85912 dépôt légal 1er trimestre 2015 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général et directeur de la publication Frédéric Roblot rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Géraldine Sarratia rédacteurs en chef adjoints Anne Laffeter, David Doucet, Jean-Marie Durand secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot actu rédacteurs Diane Lisarelli, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Marie Turcan style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu, Azzedine Fall reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net Jean-Marie Durand lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Thomas Hong secrétariat de rédaction chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin, François-Luc Doyez première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Olivier Mialet, Vincent Richard maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny collaborateurs E. Barnett, A. Bellanger, R. Blondeau, D. Boggeri, V. Boudgourd, F. Burlet, N. Carreau, L. Chessel, Coco, T. Corlin, M. Delcourt, J.-B. Dupin, A. Gamelin, J. Goldberg, A. Guirkinger, A. Jean, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, N. Lecoq, A. Leehmann, H. Lucien, P. Noisette, Y. Perreau, A. Pfeiffer, E. Philippe, T. Ribeton, M. Robin, C. Stevens publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, tv) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 traffic manager Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Elise Beltramini tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Romane Bodonyi tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand projet web et mobile Sébastien Hochart responsable du système informatique éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Marion Bruniaux tél. 01 42 44 16 62 contact agence Destination Média – Didier Devillers et Cédric Vernier tél. 01 56 82 12 06, [email protected] fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini impression, gravure SIEP, ZA Les Marchais, rue des Peupliers 77590 Bois-leRoi brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” abonnement Les Inrockuptibles B1302 60643 Chantilly Cedex [email protected] ou 03 44 62 52 35 tarif France 1 an : 115 € fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski © les inrockuptibles 2015 tous droits de reproduction réservés. 18.03.2015 les inrockuptibles 103

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film L’Heure du loup d’Ingmar Bergman Un artiste qui essaie de résister à la folie. Les frontières entre la réalité et l’imagination se brouillent. Le titre fait référence à ce moment de la nuit où les cauchemars ont l’air réels. J’adore la majesté austère des films de Bergman.

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Kommunisten de Jean-Marie Straub Un film-testament de l’un des cinéastes français les plus singuliers.

Révolution Zendj de Tariq Teguia L’enquête captivante et labyrinthique d’un journaliste sur d’anciennes révoltes oubliées.

Father John Misty I Love You, Honeybear On retrouve en frissonnant le folk baroque de l’Américain.

Bravo de Régis Jauffret Un roman outrenoir qui s’aventure dans la zone grise de l’existence : le troisième âge.

Citizenfour de Laura Poitras Les quelques jours durant lesquels Edward Snowden devint l’un des hommes les plus recherchés de la planète.

livre Savage Messiah de Laura Oldfield Ford Un recueil de fanzines qui explore la psychogéographie urbaine – être influencé et modelé par son environnement. Je suis fascinée par les paysages industriels, l’architecture brute. Ces endroits Son nouvel album, Hinterland, se nourrissent des sons qui m’attirent. sort le 23 mars. Elle sera en concert propos recueillis par Noémie Lecoq le 16 mai à Paris (Maroquinerie).

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Theodore, Paul & Gabriel We Won’t Let You down Avec ce deuxième album, les trois filles continuent d’explorer un répertoire chic et hors du temps.

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Roland Barthes de Tiphaine Samoyault La célébration du centenaire de la naissance de Roland Barthes commence par une biographie aussi démesurée que passionnante. A la folie de Wang Bing Le grand documentariste chinois promène sa caméra magique dans le monde fermé d’un HP. D’une fascinante humanité.

Egon Schiele Son coup de crayon, ses lignes agitées mais fluides qui dévoilent les vies intérieures de ses sujets, les couleurs contusionnées, les positions angulaires… J’ai utilisé certaines œuvres pour des flyers de mes premiers concerts. Je sens un lien entre ses traits secs et ma façon de jouer de la guitare.

Black Yaya Black Yaya Sous ce nouveau patronyme, la voix d’Herman Dune a agencé un disque ample et doré par le soleil de Californie.

Soko My Dreams Dictate My Reality La Française a puisé dans ses démons pour son deuxième album.

Spotless Canal+ Deux frères nettoient des scènes de crime. Une nouveauté plutôt inspirée. Better Call Saul Netflix Le parcours de l’avocat véreux de Breaking Bad, sept ans avant ses aventures méthamphétaminées. Peaky Blinders Arte Plongée dans les bas-fonds du Birmingham des années 20.

Je cherche l’Italie de Yannick Haenel Un roman politique inspiré par quatre années passées au pays de Berlusconi.

Mémoires d’un bon à rien de Gary Shteyngart L’écrivain raconte tout : une comédie hilarante qui aurait pu tourner à la tragédie.

Médée, tome 2 de Blandine Le Callet et Nancy Peña Médée amoureuse, meurtrière, infanticide, folle et libre.

Megg, Mogg & Owl, Magical Ecstasy Trip de Simon Hanselmann Les nouvelles aventures d’un trio de défoncés.

Moonhead et la Music Machine d’Andrew Rae Un récit d’initiation en forme d’arcen-ciel graphique.

Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène Thierry de Peretti Théâtre de l’Œuvre, Paris Valeria Bruni Tedeschi en chef de troupe d’une épatante bande de filles.

Les Armoires normandes création Les Chiens de Navarre, mise en scène Jean-Christophe Meurisse Bouffes du Nord, Paris Une quête de l’amour sous forme de cadavre (exquis).

Petit Eyolf d’Henrik Ibsen, mise en scène Julie Bérès Lyon, Chalonsur-Saône D’un drame sombre, Julie Berès tire un spectacle haut en couleur et hallucinatoire.

Tania Mouraud Centre PompidouMetz Une rétrospective qui joue la carte de la dissémination, pour une œuvre pourtant très centrée, introspective et politique.

L’Appropriationniste (contre et avec) ; Le Classisme Villa du Parc, Annemasse Conçues par François Aubart, deux expositions posent et dépassent aussitôt les questions d’auteur et d’originalité en art.

David Claerbout Frac Auvergne, Clermont-Ferrand Impeccable rétrospective de l’artiste belge, qui tente de déjouer l’impact du cinéma sur nos vies. Et cherche au passage de nouvelles formes de perceptions.

Coming out Simulator 4 PC, Mac, mobiles, gratuit Difficile de ne pas succomber à ce jeu largement autobiographique de Nicky Case.

Become a Great Artist in Just 10 Seconds PC et Mac, gratuit Tiendra-t-il ses promesses ? Etes-vous sûr de savoir ce que vous faites en manipulant votre clavier pour modifier les formes et couleurs à l’écran ? Est-ce que c’est grave, tant que c’est beau ?

Shantae and the Pirate’s Curse sur 3DS Sous ses airs de gentil jeu de plate-forme se cache une grande aventure cartoon.

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Lolita Chammah par Renaud Monfourny

L’actrice interprète le rôle de la sœur dans Anton Tchekhov – 1890 de René Féret, cette semaine en salle. On peut également la voir au théâtre, dans Les Larmes amères de Petra von Kant, de Rainer Werner Fassbinder, mis en scène par Thierry de Peretti

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