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Brodinski le son d’une génération

Bowie à Paris

Birdman

superhéros des oscars

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Allemagne 5,90 € - Belgique 5,30 € - Canada 9,20 CAD - DOM 6,30 € - Espagne 5,70 € - Grande-Bretagne 7,10 GBP - Grèce 5,70 € - Italie 5,70 € - Liban 15 000 LBP - Luxembourg 5,30 € - Maurice Ile 7,20 € - Portugal 5,70 € - Suède 61 SEK - Suisse 9,20 CHF - TOM 1 200 XPF

No.1004 du 25 février au 3 mars 2015 lesinrocks.com

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cher Roland Dumas par Christophe Conte

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u sens pas comme une odeur de merde qui remonte de sous tes Berluti ? Ton grand âge, cette excuse que l’on t’accordera une autre fois, te prive-t-il de tes facultés olfactives, mon vieux Rolo ? Renifle un peu autour de toi, il y a aussi l’odeur du sang qui flotte, porte de Vincennes, sous le rideau de fer de l’Hyper Cacher, où des gens hyperinfluents se sont fait buter comme des lapins. Et à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, il y a trois ans, tous ces petits “influents”, leurs parents et professeurs morts, ça ne chatouille pas tes augustes narines ? Des gens “influents”, tu vois ce que je veux dire ou il te faut un dessin ?

Et puis il y a aussi ces autres influents, morts depuis bien plus longtemps, dont l’influence est encore telle que des gamins ont cru malin d’aller saccager leurs tombes, à Sarre-Union, dans le Bas-Rhin. Comment ne pas les comprendre, après tout, ces petits décérébrés, quand une haute éminence de la vie politique française, un ancien avocat flamboyant, grand Résistant de surcroît, leur suggère à mots calfeutrés que, bon, ILS sont partout, les influents. Y compris au sommet de l’Etat, si j’entends bien ce que tu disais l’autre jour devant le micro rétro de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, où en vieux crooner décati tu ressortais un vieil

air des années 30 à l’occasion de la promo d’un livre de mémoires baptisé Politiquement incorrect. “Vous savez, disais-tu avec ce rictus amusé, hérité de tes crapuleuses amitiés avec Vergès, Manuel Valls est marié à quelqu’un, quelqu’un de très bien d’ailleurs, qui a de l’influence sur lui…” Le tenace Bourdin se chargeait alors de combler les points de suspension : “Il est sous influence juive ?” “Probablement, je peux le penser”, suggérais-tu d’un demisourire complice. Attends, on reprend, j’essaie de comprendre. Anne Gravoin, violoniste de son état, épouse du Premier ministre, aurait une influence autre que musicale – ou vestimentaire – sur son mari ? Parce qu’elle est juive ? Sans dec ? A te croire, elle dissimule un drapeau israélien dans son étui à violon, pourquoi pas un mandat du Mossad tant qu’on y est ? “J’ai deux avocats, disait François Mitterrand. Badinter pour le droit et Dumas pour le tordu.” Désormais, il n’y a plus rien de tordu dans ta démarche, malgré ta canne. On sent bien qu’un pied dans la tombe, tu n’hésites plus à aventurer l’autre au-delà de la ligne jaune. Tu sais, cette ligne qui commence dangereusement, dans l’esprit de certains, à prendre la forme d’une étoile. Tu as même poussé le cynisme jusqu’à t’offusquer quelques jours plus tard que l’on puisse te taxer d’antisémitisme. On connaît la chanson, Roland, tu l’as entonnée il y a quelques années aux côtés de tes copains Soral, Dieudonné et Gollnisch, une photo embarrassante en témoigne. Personne n’est antisémite, l’antisémitisme n’existe pas, ou alors seulement chez les jeunes radicalisés de banlieue. Ou chez les “islamo-fascistes”, ainsi nommés par Valls sous les ordres de son épouse maléfique. Toi, tu es juste “incorrect”, c’est écrit sur ton livre. En l’ouvrant, je l’ai pourtant bien sentie, moi, l’odeur de merde. Je t’embrasse pas, je suis sous influence.

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No. 1004 du 25 février au 3 mars 2015 couverture Brodinski par Benni Valsson pour Les Inrockuptibles

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Benni Valsson pour Les Inrockuptibles

billet dur édito debrief recommandé interview express Benoît Hamon portrait Sylvie Pialat, productrice de l’année rencontre Lemine Ould Salem, un journaliste chez Boko Haram

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nouvelle tête Jeanne Added le monde à l’envers la courbe la loupe démontage futurama style food

42 Brodinski n’en fait qu’à sa tête le DJ et producteur rémois a réussi à adapter son electro noire à un hip-hop plus lascif, déniché aux Etats-Unis. Entretien

48 maxi Driver révélation masculine de la série Girls, Adam Driver est le nouveau visage en vogue du cinéma US

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52 David Claerbout et Eric Rondepierre deux plasticiens interrogent la fascination que le cinéma exerce sur nos vies

Highway Wreck de David Claerbout (2013). Courtesy Frac Auvergne

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58 Yannick Haenel au pays de Berlusconi l’anti-voyage en Italie d’un romancier français

60 David Bowie Is… a star

profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 102

cinémas Birdman, Hungry Hearts… musiques Champs, All We Are, Alex Calder… livres David Le Breton, Phil Klay… scènes Les Armoires normandes, Petit Eyolf expos Rideaux/Blinds + C’est dans l’art médias Sanctuaire, No future!, Digital Detox…

ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Objectif 2015 Vol. 2” encarté dans toute l’édition ; un supplément “2e biennale d’art flamenco” jeté dans l’édition kiosques et abonnés Paris-IDF ; un supplément “Biennale de danse du Val-de-Marne” jeté dans l’édition kiosques et abonnés Paris-IDF.

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Jeff Vespa/Contour by Getty Images

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courtesy The David Bowie Archive ® 2014

présentée à Londres en 2013, l’expositionévénement arrive à la Philharmonie de Paris

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Le livre de Béatrice Gurrey, Les Chirac – Les secrets du clan (Robert Laffont), se dévore d’une traite. Un grand livre politique par une grande journaliste politique, accréditée à l’Elysée pour Le Monde du temps du “Grand”. On croyait tout savoir, depuis quarante ans que ça dure, entre eux et nous, à notre corps le plus souvent défendant, et on découvre que c’est encore pire que ce qu’on pouvait imaginer. Ainsi de la ladrerie de Bernadette, en passe de devenir légendaire, tant madame Chirac est une femme qui a la fortune inquiète, au point d’accepter la proposition de Bernard Arnault d’entrer au conseil d’administration de LVMH, et donc de toucher 50 000 euros par an – à ne rien faire – du meilleur ennemi du meilleur ami de son mari, François Pinault. Celui-ci préférera en hausser les épaules. Bernadette fait une formidable méchante. Aussi teigneuse que rancunière, elle est capable de poursuivre de sa haine l’ancien chauffeur de son mari, Jean-Claude Laumond, trop bavard à son goût, forcément complice d’une bonne part des humiliations subies et qu’elle soupçonne de vouloir se faire élire en Corrèze, à sa place à elle, en se mariant avec la fille d’un notable local. Eh bien, une fois que Bernadette aura tout tenté pour empêcher ce mariage, le malheureux Laumond recevra une couronne mortuaire le jour de ses noces, avec une carte de l’Elysée, avant d’être placardisé en Nouvelle-Calédonie, soit aux confins du Royaume. Selon Gurrey, il lui faudra menacer Villepin – alors secrétaire général de la Présidence – de “dégainer” tout ce qu’il sait pour être rapatrié… au Père-Lachaise, dans un bureau souterrain, chargé du bon fonctionnement des vespasiennes des cimetières parisiens. Cela ne s’invente pas : elle est comme ça, Bernadette, faut pas lui manquer. Juppé est prévenu. Pour faire bonne mesure, et comme si une “méchante” de ce calibre ne suffisait pas pour pourrir l’existence d’un vieil homme malade – et transformer une chronique politique de la Ve République, ce régime si absurde et si désuet,

AFP

les Chirac, roman

en tragédie de Shakespeare (“Disons la triste histoire de la mort des rois”) –, Gurrey fait aussi sa fête à “monsieur gendre”, l’époux de Claude Chirac, Frédéric Salat-Baroux, “FSB” pour les intimes, surnommé “Amadeus” par Bernadette. Lui s’empare du pouvoir à la faveur de l’AVC présidentiel de 2005, l’annus horribilis du règne de Chirac, celle du rejet du TCE et des émeutes de banlieue. Il ne le lâchera plus, mariage compris, tout en rêvant de devenir ministre, un jour, si Juppé… Encore un beau personnage que ce FSB, fielleux à souhait, serviteur trop zélé pour être tout à fait dénué d’arrière-pensées. On objectera à raison que Gurrey est en faveur de Jacques Chirac. Contre sa femme, sa fille, son gendre, et naturellement Sarkozy. Mais son livre n’est pas une biographie, pleine de cadavres et d’argent liquide, de bruit et d’odeur, d’emplois fictifs et de prébendes. C’est le récit, incroyablement informé, d’un clan drogué à la politique, accro au pouvoir, qui se déchire sans jamais se briser. Et puis, tout compte fait, Chirac aura refusé la pax americana de la seconde guerre du Golfe, cette monstruosité politique dont nous payons tous les jours le prix exorbitant, et mis fin à la fiction gaullo-mitterrandienne de la France non comptable des crimes de la Collaboration. Ce n’est pas si mal, surtout comparé au bilan de son successeur immédiat. C’est finalement la seule chose qu’on lui reproche, à ce brave Chirac, de ne pas être parvenu à “flinguer” Sarkozy, alors qu’il l’avait si bien fait avec l’insupportable Balladur.

Claude, Bernadette et Jacques, alors Premier ministre, en août 1974

Frédéric Bonnaud 8 les inrockuptibles 25.02.2015

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aller voir chez les Grecs grâce aux inRocKs La semaine dernière, une impuissance généralisée, une vie horizontale, la dépression, des maisons dans le noir mais, soudain, l’espoir d’un troisième type.

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on cher Inrocks, “nous sommes notre propre pays, notre propre Etat indépendant”, dit Ninja, de Die Antwoord. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps j’ai fait sécession, mais je partage le constat. Comme l’héroïne de Noémi Lefebvre, je suis indifférent “à cet ensemble social fixé sur un territoire et soumis à l’autorité d’un même gouvernement”. Je ne me sens pas “faire partie d’une patrie”. Je suis ma propre patrie. Mais pour tout dire, j’affronte des problèmes de type grec. La faillite n’est pas loin. Ma souveraineté est mise à mal. Une troïka fixe de l’extérieur les règles de bonne gouvernance de ma vie. Acceptations, compromissions, soumissions, austérité, statut social, insertion, salaires, dettes et responsabilités de tous ordres. Partout des contraintes. Je me plie en quatre pour m’y plier, et ça me casse en deux. C’est comme ça. En attendant, on avance. “There is no alternative.” Et soudain, Syriza. Et soudain, ta couve ! “Un espoir de type grec”, dis-tu. Vraiment ? Il y aurait une alternative, alors ? La Grèce pourrait devenir un modèle ? Quel serait-il, cet “espoir de type grec” ? Celui, d’abord, de pouvoir sortir de “la vie horizontale” qui est celle de l’héroïne de Noémi Lefebvre, “perpétuellement alitée”. Ne plus se coucher “perpétuellement”, se redresser, sortir de son lit, “de la dépression”, “des maisons où (nous nous enfermons) dans le noir” – comme l’activiste Babis essaie de le faire pour aider les habitants de la banlieue sinistrée de Perama. Cultiver l’espoir d’avoir enfin le courage de “hâter la décomposition des vieux partis sociaux-démocrates” en moi, qui ont laissé s’imposer “l’idée d’une impuissance généralisée”. Ces forces qui prétendent me persuader que renoncer est un progrès, qu’il faut faire avec le monde tel qu’il est, avec la vie telle qu’elle va, s’adapter, être encore plus flexible, bien dans son époque, et vos gueules les frondeurs sinon 49.3. Cultiver aussi l’espoir que c’est au cœur de la crise, de l’étouffement que réside l’espoir d’une renaissance. Ninja explique ainsi le succès de son groupe Die Antwoord : “Nous avons toujours été repoussés (…) Quand vous empêchez une chose de s’exprimer, il y a de grandes chances pour qu’elle finisse par le faire avec encore plus de force.” Allez la “chose”, montre de quoi tu es capable. Bien sûr, comme le dit Christos, un poissonnier, “c’est bien tôt pour se réjouir, on est en train de crever”. Bien sûr, les espoirs “de type grec” sont aussi des menaces de lendemains qui déchantent. Bien sûr, explique Guillaume Duval à propos de la Grèce, des forces corrompues résisteront au changement et nous attendent “au tournant”. “On danse au bord de la falaise”, le glissement de terrain est possible, ça “peut aussi déraper très vite” et on pourrait bien tomber dans le vide. Mais c’est déjà mieux que de lentement se consumer au chaud dans son lit. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie courtesy of the artist

Voir les avatars de notre société à travers l’œil de Taryn Simon, dire adieu aux parcs et loisirs d’Amy Poehler, plonger dans les recoins les plus sombres de la Cité éternelle, apprécier l’influence de la neige sur pellicule et entrer dans le monde complètement fou de Yelle.

interstices Taryn Simon Vaste programme que cette première exposition monographique de Taryn Simon en France. L’occasion, à travers cinq séries emblématiques de son travail, d’apprécier la démarche singulière de cette artiste américaine qui, entre souci documentaire et création artistique, investit des champs aussi divers que la politique, les sciences, la génétique, la sécurité, l’éthique, la généalogie… pour mieux dresser un inventaire de notre société et de ses avatars. exposition Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure jusqu’au 17 mai, Jeu de Paume, Paris VIIIe, jeudepaume.org

Cigarettes, Shuangxi, China (prohibited). Detail, Cigarettes & Tobacco (Abandoned/Illegal/ Prohibited). Contraband, 2010

this is the end Parks and Recreation

NBC

série septième et dernière saison sur NBC

Maciek Pozoga

Les aventures d’Amy Poehler comme directrice adjointe du département des parcs et des loisirs d’une petite ville de l’Indiana s’achèvent. Après sept ans de bons et loyaux services, les audiences plutôt médiocres auront eu raison de la série, pourtant déjà culte. Après l’arrêt de The Office et de 30 Rock en 2013, c’est définitivement la fin d’une certaine forme de comédie sur NBC.

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ragazzi

Giovanni Lanfranco, Jeune homme nu sur un lit avec un chat (1620-1622)

Les Bas-Fonds du baroque

Cine-Tamaris

exposition jusqu’au 24 mai, Petit Palais, Paris VIIIe, petitpalais.paris.fr

collection particulière

Plongée dans le versant sombre de la Rome du Seicento. Au programme, près de 70 tableaux (de Vouet à Manfredi en passant par Pieter van Laer) dépeignant l’envers du décor de la Cité éternelle. Les tavernes et leur population interlope deviennent alors le lieu privilégié de l’inspiration. Où l’on joue et l’on jure sous la bénédiction de Bacchus, et ce en respectant les règles de la divine disproportion.

Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (1964)

tout schuss L’Attrait de la neige Chez Godard, la neige est de la lumière. Chez Skolimowski, plutôt un aplat de couleur. Chez Resnais, une matière poussiéreuse. Et chez Demy ? Et chez Ozu ? Mathias Lavin publie un essai critique d’une belle inspiration poétique sur les usages de la neige par le cinéma. livre éditions Yellow Now, 96 pages, env. 10 €

chimie physique

Maciek Pozoga

Yelle A ceux qui n’auraient pas encore pu constater les talents de Julie Budet, performeuse hors pair, la tournée française de Yelle offre une nouvelle chance. Les Bretons y promènent leur troisième album paru il y a quelques mois, et savamment nommé Complètement fou. concerts le 26 à Lyon, le 28 à Toulouse 25.02.2015 les inrockuptibles 13

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présentent

écouter soutenir partager

Bagarre “c’est un peu magique” Jeune formation parisienne, Bagarre a attiré tous les regards avec le clip de leur single Mourir au club. Au mois de décembre, le quatuor a monté une levée de fonds sur Ulule et Hello play! Pour financer leur tournée et leur merchandising. Quelques jours après la fin de leur collecte, on revient avec le groupe sur la réussite de leur projet.

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omment s’est formé Bagarre ? La Bête (guitare, synthé et chant) – Nous étions amis, et nous avons monté le groupe petit à petit. Il y a deux ans, c’était Thomas et moi. Très vite il y a eu Cyril, et quelques mois plus tard, Emma est arrivée. Vous avez une formation plutôt rock, mais vous avez choisi de présenter votre musique comme  “de la musique de club”… Tom Loup (guitare, synthé et chant) – On voulait faire une musique dansante, avec des textes. La musique de club, c’est une nébuleuse qui embrasse toutes les musiques qui nous ont faits. Cyril (Synthé, boîte à rythmes) – Quand on pense musique de club, on pense tout de suite clubbing, alors que pas forcément. Pour nous, c’est plus l’endroit à l’image d’un club de jazz. L. B. – Le club reste quelque chose d’intime. On essaie de garder ce rapport direct avec les gens. On va les faire danser, on va essayer de leur parler et d’aller les chercher. Pour votre “Mort au club Tour”, vous ne vouliez booker que des clubs ? Emma (claviers, synthé, chant) – Cette tournée était une initiative de notre ancien label, Rouge Vinyle. Cela nous permettait de finir en beauté avec eux. L. B. – En tant que groupe, tu es dans un circuit qui est quand même assez

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précis. Nous avons commencé par le côté associatif avec le label Rouge Vinyle, qui est un petit label indé. On a contacté des salles pour aller dans différentes villes, chez des gens qui nous découvrent et qui pourraient nous aimer et leur offrir quelque chose. T. L. – La tournée nous permettait aussi de présenter notre ep, chose que l’on n’avait pas forcément faite avant. Pourquoi avoir choisi le crowdfunding ? L. B. – Bien que les salles se donnaient du mal pour nous donner de l’argent, on ne gagnait rien pour vivre. C’est pour cela qu’on fait la levée de fonds. Via Ulule et Hello play!, les gens doivent défendre et aider les projets dans lesquels ils croient, à l’image de cette tournée. Je pense que ce qui fait un bon groupe actuellement, c’est quand beaucoup de choses viennent d’eux. Si tu as quelque chose d’honnête, c’est déjà beaucoup qui est fait. Il ne faut pas agir parce que c’est cool, mais parce qu’on aime ça. C. – C’est ce qu’on a voulu faire avec le Mort au club Tour. S’occuper de tout soi-même, ce n’est pas juste galérer, c’est faire les choses comme on le veut. Est-ce pour cela que vous avez choisi ce mode de financement ? T. L. – Nous avons gagné le festival Ici & Demain, qui nous a invité à faire un crowdfunding. On a attendu d’avoir un

projet qui valait le coup. Avec Hello play!, on a constaté que les gens donnaient aussi leurs écoutes et la démarche nous a plu. Vous avez été surpris de l’engouement autour de votre projet ? T. L. – Nous sommes soutenus, mais on ne sait pas vraiment qui est notre public. On sait que des gens aiment notre musique pour des raisons complètement différentes. C’est un peu magique. L. B. – Quand on a bénéficié du petit buzz notamment dû au clip, sorti en septembre, nous avons nous-mêmes freiné la cadence parce que nous n’étions pas prêts. Nous allons à notre rythme sans avoir peur que les gens soient dans le flou, parce que c’est comme ça aussi que nous fonctionnons. Qu’est-ce qui attend Bagarre en 2015 ? T. L. – Nous allons financer le merch, que nous allons envoyer aux gens et que nous utiliserons sur les différentes dates. E. – Nous travaillons aussi sur notre deuxième ep, très différent, qui sortira sur le label Entreprise, avec un premier single pour mai accompagné d’un clip. On tourne aussi pas mal en province avec de nombreux festivals. L. B. – On croise les doigts pour faire leurs homonymes en été. Vous avez utilisé vos Hello Coins ? L. B. – J’ai découvert les Hello Coins à la fin. J’en ai donc mis 60 dans le projet de Bloom.

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les projets coups de cœur Atelier K Atelier K construit des guitares grâce à des objets issus de la récupération. Passionné de bricolage, il donne vie à ses instruments et souhaite faire partager sa passion en animant des stages accessibles à tous les publics. Le porteur de projet travaille aussi sur une exposition, la création de son entreprise et la finalisation de son site internet. Pour l’aider à monter ce beau projet autour de la “Guitar Cigar Box”, vous pouvez dès à présent le soutenir grâce à vos Hello Coins !

Swann

Sophie Jarry

Jeune chanteuse parisienne, Swann possède l’élégance d’un cygne. Songwriter douée, l’artiste, désarmante de sincérité, s’accompagne de sa guitare acoustique et évoque Cat Power dans ses premières années. Swann cherche actuellement des fonds pour enregistrer son deuxième album de manière indépendante. Soutenez-là dès maintenant à l’aide de vos Hello Coins !

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“on peut s’interroger sur ce qu’on a raté” Ancien ministre frondeur, le député socialiste Benoît Hamon nous parle des divisions socialistes sur le vote de la loi Macron, des profanations de cimetières juifs, du jihad et de Melody Gardot.

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ue reprochez-vous à la loi Macron ? Benoît Hamon – Le ministre de l’Economie a eu raison de s’attaquer aux rentes des professions réglementées. Malheureusement s’ajoutent des mesures allant à contresens des valeurs de la gauche. On a beaucoup parlé du travail le dimanche, mais la loi Macron, c’est aussi une nouvelle vague de privatisations, les licenciements collectifs facilités, l’allégement de la fiscalité sur la distribution d’actions gratuites, la réforme du code de l’environnement par voie d’ordonnance, c’est-à-dire sans débat et sans contrôle parlementaire. Je vois bien qu’en annonçant être contre, on ajoute à la division et à l’écœurement de nos électeurs. Mais j’étais face à un choix cornélien : me taire et acquiescer à une politique à laquelle je ne crois pas ou m’exprimer et ajouter à la confusion. Ça n’a pas été facile, j’ai peu dormi. On vous a traité de socialiste “archéo”… On est toujours l’archéo de quelqu’un. Appliquer les solutions libérales des années 80-90 qui ne marchent pas et qui n’ont jamais résolu la question du chômage, n’est-ce pas archaïque ? Aujourd’hui, il faut être “moderne”, “pragmatique”, “en mouvement” mais ces qualificatifs ne disent rien des valeurs et de l’idéal qui doit animer l’action politique. Le gouvernement pensait-il que l’esprit du 11 janvier unirait les parlementaires de gauche ? On nous a dit de prendre nos responsabilités,

de ne pas diviser. Mais ce n’est pas nous qui proposons des mesures qui divisent. Le 11 janvier était une énorme mobilisation en faveur de la liberté d’expression, l’incarnation vivante de la démocratie. Le gouvernement a été remarquable après les attentats, mais ce serait irrespectueux d’utiliser ces événements atroces pour faire passer un texte. Que pensez-vous des mesures annoncées par le gouvernement après les attentats ? Le gouvernement accentue ses politiques en faveur de l’éducation en augmentant les moyens aux écoles primaires, on redonne des crédits à la politique de la ville, et on revient sur les réductions d’effectifs dans l’armée. Quand le Premier ministre qualifie un peu abusivement d’apartheid la situation dans des quartiers populaires, on ne peut pas concevoir que l’Etat continue sa politique de rigueur en diminuant les dotations allouées à ces communes. Quand vous vivez dans

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Frédéric Stucin/Pasco

“se rassembler dès le premier tour, ça a tout de suite plus de gueule” un village ou un territoire périurbain, que vous voyez les services publics fermer peu après l’usine, ce que vous vivez n’est pas un sentiment d’inégalité mais bien l’inégalité. C’est sur ce terreau-là que le FN progresse. Pourquoi la France est-elle particulièrement frappées par des attaques antisémites ? Ça croise l’antisémitisme violent des mouvements terroristes et l’existence du vieux et rance antisémitisme culturel français qui s’est épanoui à certaines périodes. La libération de la parole et des actes antisémites est très inquiétante. Plus généralement, la montée de la xénophobie m’inquiète. La République, c’est la possibilité de vivre en harmonie avec les autres. L’école de la République doit faire en sorte que la réussite scolaire ne soit pas réservée aux enfants et familles qui détiennent les codes de cette réussite. Sans être dans la culture de l’excuse, on peut quand même s’interroger sur ce qu’on a raté quand on voit la trajectoire des frères Kouachi. Ou dans le cas de mineurs qui profanent le cimetière juif de Sarre-Union ? A 15 ou 17 ans, on n’est pas encore un nazi chevronné. On a de la bouillie dans la tête. Il faut qu’on s’interroge sur le fait que cinq adolescents souillent des sépultures. Pour moi, ces profanations sont une marque de ce délabrement intellectuel, moral et éducatif qu’il faut combattre sans relâche. Vous êtes-vous abonné à Charlie Hebdo ? Non, pas encore, il faut que je le fasse. Le groupe socialiste a eu l’excellente initiative d’en acheter pour nous. Dans son dernier livre, Virginie Despentes écrit : “A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd’hui porter le voile suffit.” Qu’en pensez-vous ? (sourire) Pour une partie des jeunes aujourd’hui, il y a un imaginaire associé au jihad, qui se brise à la seconde où l’on rencontre la guerre, la violence et l’arbitraire de ces gens. Ces terroristes ont récupéré

un ordre inégalitaire à leur profit : celui de jeunes confinés à un territoire, un quartier, une situation sociale en bas de l’échelle. Soudain, par cette idéologie, ils sont au sommet de la pyramide en tant qu’hommes par rapport aux femmes, en tant que martyrs par rapport à tous les autres, infidèles. Que pourrait-on opposer à cet univers ? Cet imaginaire n’a guère de concurrent. Le socialisme n’est pas un imaginaire concurrentiel, le libéralisme et l’idéal républicain non plus. Il faut créer des projets mobilisateurs, une part d’utopie. On peut le trouver dans l’écologie même s’il y a aussi une forme d’engagement radical – dans le cas des zadistes par exemple. Il est vrai qu’il faut déjà être sur une trajectoire de réussite personnelle pour adhérer au PS aujourd’hui à 25 ans. L’utopie dont vous parlez pourrait être une alliance des gauches à la Syriza ? Le rassemblement de la gauche peut donner de l’espoir à plein de gens. Je préfère qu’on se rassemble dès le premier tour aux départementales en mars comme aux régionales en décembre. Ça a tout de suite plus de gueule, de sens et de force. Mais la différence avec la Grèce, c’est que la gauche gouverne à Paris alors que c’était la droite à Athènes. Quand le PS baisse, le Front de gauche baisse aussi. Il n’y a pas de vases communicants. Quels sont vos derniers coups de cœur ? J’ai fini de lire Les Croisades vues par les Arabes, d’Amin Maalouf. Passionnant. C’est fondé principalement sur le commentaire de chroniqueurs musulmans mais aussi de catholiques de l’époque, qui montrent que le fanatisme n’est le propre d’aucune religion. En musique, je vais bientôt aller voir Melody Gardot en concert. Je l’ai découverte sur Radio Nova, j’ai shazamé le titre. J’aime beaucoup Lisa Ekdahl, Marian Hill… J’aime le mélange “pop-jazzfilles” (rires). Ça me calme. J’ai besoin de douceur. propos recueillis par Mathilde Carton

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élue productrice de l’année Lauréate du prix Daniel Toscan du Plantier pour la deuxième fois consécutive, couronnée aux César grâce à Timbuktu, Sylvie Pialat est l’une des grandes gagnantes du cinéma d’auteur français de ces dernières années.

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ylvie Pialat a la voix brumeuse des lendemains de fête ce 21 février. Jusque tard dans la nuit, la productrice a célébré le sacre de son dernier film, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, qui a survolé la cérémonie des César, remportant sept statuettes dont celles de meilleur film et de meilleur réalisateur. “C’est énorme, dit-elle, encore hagarde. A partir du moment où le film a reçu des César techniques, comme le meilleur son, on a compris que quelque chose se passait. Mais sept récompenses, vraiment, personne ne s’y attendait.” Déjà couronné du prix Lumières du meilleur film francophone, Timbuktu poursuit ainsi sa belle carrière amorcée au Festival de Cannes en 2014, et confirmée dans les salles, où il a réuni près de 760 000 curieux, en attendant de nouvelles entrées provoquées par l’effet César. Un succès étonnant pour ce drame franco-

mauritanien, que la productrice attribue au sujet (la chronique d’un village pris en otage par des jihadistes) et à une part d’irrationnel : “Il y a un lien magique qui s’est créé entre le film et le public, pense-t-elle. Timbuktu raconte une histoire de résistance collective, qui passe par des petits gestes, des efforts quotidiens. Et je crois que les gens sont sensibles à l’idée de résistance aujourd’hui.” Le film a eu moins de chance aux oscars dimanche soir, où il concourait pour le prix du meilleur film étranger (finalement attribué à Ida), mais qu’importe : “On y va pour s’amuser, comme des gosses, nous assurait la productrice. Là, c’est juste du bonus.” Quelques jours auparavant, la folle semaine de Sylvie Pialat débutait à l’hôtel George-V, à Paris, où elle recevait le prix Daniel Toscan du Plantier, qui honore le travail d’un producteur français. Elle avait déjà obtenu la récompense l’année dernière pour

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“l’important est que l’on continue à produire beaucoup de films”

L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, et ne cache pas sa fierté : “La production est un milieu où l’on se sent parfois seul, alors c’est important d’être reconnue par ses pairs”, dit-elle. Le nom du prix a aussi une résonance particulière pour cette brune hyperactive de 54 ans : c’est avec Daniel Toscan du Plantier, le fidèle producteur de Maurice Pialat, qu’elle découvrit les secrets de son métier. Débarquée au cinéma un peu par hasard au début des années 80, après avoir lâché le concours de Normale Sup, celle qui s’appelait encore Sylvie Danton fit ses premières gammes dans des courts métrages de l’Idhec (l’ancêtre de la Fémis) avant sa rencontre décisive avec Pialat sur le tournage d’A nos amours, où elle fut embauchée comme régisseuse. Elle avait alors 22 ans, et devint jusqu’à la fin la compagne et proche collaboratrice du cinéaste, occupant les postes de coscénariste, monteuse, etc. “En vivant avec Pialat, forcément, on se retrouvait à faire beaucoup de choses. J’étais en première ligne, au courant de toutes les emmerdes. Et les emmerdes, c’est toujours de la production.” Aux côtés du cinéaste et de son producteur, Daniel Toscan du Plantier, elle s’initie pendant près de vingt ans aux coulisses du cinéma : “J’ai tout appris en observant leur duo fonctionner, se souvient-elle. J’ai compris grâce à Daniel comment faire du cinéma en riant, et ce que la production signifiait : être tout le temps disponible pour les metteurs en scène, être là entre les films, pour parler, pour que ça tourne !” Quelques mois après la mort de Maurice Pialat, en 2003, elle monte sa société de production, Les Films du Worso, fondée sur un principe simple : “l’accompagnement”. “Je ne me sens pas du tout auteur, dit-elle. Moi, je suis là pour aider les metteurs en scène. Je n’ai aucune velléité artistique et je pense qu’il vaut mieux avoir réglé ce problème d’ego si l’on veut faire de la production.” Elle se verrait plutôt comme une alliée des cinéastes, parfois grande gueule, autoritaire, mais toujours au service de leurs désirs. “Sylvie a une connaissance sensible et intime des auteurs, nous confirme Abderrahmane Sissako. Pendant le tournage de Timbuktu, elle était toujours présente, sans chercher à s’imposer ou à phagocyter ma vision.” “Et elle n’hésite pas à prendre des risques, ajoute Guillaume Nicloux. Pour mon dernier film (L’Enlèvement de Michel Houellebecq – ndlr), je suis arrivé avec trente pages de scénario et elle est partie à la chasse aux financements comme ça, presque

à poil. Elle y va à l’énergie.” Sans ligne éditoriale particulière, sans non plus chercher à tout prix le succès commercial, Sylvie Pialat dit qu’elle fonde ses activités sur les défis et son “goût des rencontres” avec des metteurs en scène, “des artistes pour qui faire un film est une nécessité impérieuse, un truc qui vient des tripes”. Mais sa stratégie n’a pas toujours été payante. En 2011, après sept années passées à produire sans succès de jeunes auteurs français (Julie Gavras, Sébastien Betbeder, Nicolas Boukhrief), sa société frôle la faillite. Avec un déficit “monstrueux”, qu’aggrave encore l’annulation de films ambitieux (un projet de Lodge Kerrigan, un autre de Nicolas Boukhrief), Sylvie Pialat pense mettre la clé sous la porte jusqu’à ce qu’un investisseur privé la sauve de la banqueroute. Depuis lors, la productrice semble avoir trouvé la clé de la réussite, enchaînant deux succès critiques et publics avec des films d’auteur aux sujets pas vraiment mainstream : L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie (130 000 entrées) et Timbuktu. L’aboutissement d’une méthode de production, ou d’une formule ? Sylvie Pialat conteste : “Il n’y a pas de recette miracle. J’ai dû apprendre, avancer, rencontrer les bons cinéastes avec qui travailler. Les derniers succès consacrent plutôt une nature qu’une méthode.” Cette nature, Abderrahmane Sissako pense en connaître le secret : “Sylvie a un tempérament d’aventurière, dit-il. Elle se lance à l’intuition dans des projets risqués, sans calculer son temps ni ses possibles pertes.” Après douze ans d’activité, celle qui se définit comme une “jeune productrice” entend donc poursuivre sa route dans le cinéma du milieu, cette catégorie de films compris entre 3 et 7 millions d’euros de budget dont on annonce chaque année l’appauvrissement. “Les gens qui se plaignent dans ce métier me font chier, lâche-t-elle. Ce n’est pas simple, il faut se battre sur tout, mais l’important est que l’on continue à produire beaucoup de films. Je ne vois pas le problème si l’on fait de plus en plus de films à moins de 2 millions d’euros, tant que ça vit.” Ces prochains mois, elle se consacrera à la sortie de ses nouveaux projets : les derniers films de Joachim Lafosse, de Guillaume Nicloux, Corneliu Porumboiu, Lucile Hadzihalilovic, et la préparation du prochain Alain Guiraudie (Rester vertical), dont elle ne veut rien dévoiler, sinon qu’il aura un budget supérieur à L’Inconnu du lac. “Un autre défi”, comme elle dit. Romain Blondeau photo David Balicki pour Les Inrockuptibles 25.02.2015 les inrockuptibles 19

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Ali Kaya/AFP

Des soldats de l’armée tchadiennea ffrontent Boko Haram à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, le 21 janvier 2015

“les interventions militaires ne feront pas disparaître Boko Haram” Journaliste freelance mauritanien, spécialiste des groupes jihadistes d’Afrique du Nord et de l’Ouest, Lemine Ould M. Salem évoque les racines et l’avenir des terroristes de Boko Haram.

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e conquêtes de villages en rafles de collégiennes, Boko Haram s’est taillé une réputation sanglante : celle d’un Etat islamique africain. Dans le nord-est du Nigeria, le 22 février, une fillette de 7 ans s’est fait exploser dans un marché. Au moins sept personnes ont péri. Boko Haram a plusieurs fois utilisé femmes et enfants pour commettre des attentats-suicides. Le même jour, le président nigérian Goodluck Jonathan a admis avoir dans un premier temps sous-estimé Boko Haram.

Depuis 2009, ses forces ont échoué à endiguer l’expansion du groupe terroriste, même s’il a annoncé le 21 février avoir repris la ville de Baga dans le nord-est du pays, tombée début janvier. Depuis six ans, l’insurrection du groupe islamiste et sa répression par les forces nigérianes ont fait plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés au Nigeria. Les projecteurs ont beau être braqués sur lui, le “succès” de ce groupe reste très mystérieux. Petite leçon de stratégie avec le journaliste Lemine Ould M. Salem.

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L’armée nigériane vient de reprendre la ville de Baga à Boko Haram. Début janvier, le groupe terroriste y a commis un massacre. Que s’est-il passé ? Lemine Ould M. Salem – Boko Haram avait conquis la ville. Difficile de connaître le nombre de victimes, l’armée nigériane parle de 150 personnes mais une ONG avance le chiffre de 2 000. En tout cas, plus de 11 000 habitants se sont réfugiés au Tchad et les survivants sont sous le choc. Baga était une ville gérée par des marabouts soufis, une ville peuplée de musulmans. Mais Boko Haram déteste les marabouts : il les accuse d’être de mauvais musulmans et même pour certains des mécréants qui pratiquent le culte des saints et profitent de leur position pour exploiter la population. Ces jihadistes appliquent donc le takfirisme (une forme d’excommunication – ndlr) rendant le meurtre de ces “mécréants” légitime. Quels sont les plans de Boko Haram ? J’entends souvent que leur but est de faire appliquer la charia mais elle est déjà en vigueur depuis plus de dix ans dans l’Etat de Borno, où se trouve Baga. Toute la région est dominée par des

“il s’agit de disputer aux gouvernements leur légitimité à régner sur ces populations musulmanes” courants religieux. La rébellion du Darfour l’était déjà. Il ne s’agit donc pas d’islamiser, il s’agit de disputer aux gouvernements de la région leur légitimité à régner sur ces populations musulmanes. Abubakar Shekau, le chef, veut conquérir des villes et étendre son territoire pour y installer un Etat islamique à cheval entre le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun. C’est une lutte de pouvoir. Peut-on les stopper militairement ? Les interventions militaires peuvent le ralentir mais ne feront pas disparaître Boko Haram ou son idéologie. Le groupe recrute tous les jours dans les rangs de la jeunesse nigériane, parmi les laissés-

pour-compte de la démocratie. Au nord du Nigeria, un enfant sur dix quitte l’école avant la dernière année parce que les diplômes sont inutiles. Pour eux, l’islamisme est la seule perspective politique qui leur laisse une chance. Vous n’imaginez pas le nombre de CD de prêche, de bouquins et autres biens culturels islamiques qui s’écoulent chaque année dans les pays de la région. C’est donc la pauvreté qui explique le succès des jihadistes en Afrique ? La pauvreté, l’injustice et la corruption des gouvernements. On médiatise beaucoup les rapts et les attaques de Boko Haram, mais on oublie qu’ils n’ont pas le monopole de la violence. Les populations des pays de la région sont régulièrement humiliées, se prennent des claques des policiers et se font parfois massacrer. De plus, les jihadistes s’appliquent à eux-mêmes les lois qu’ils imposent aux autres : dans des pays où les gouvernants s’affranchissent souvent des règles qu’ils dictent, ça les crédibilise. Ils enlèvent des filles parce qu’elles étudient, ont une vision très traditionnelle de la société, rêvent d’un “retour aux sources” de l’islam.

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Pourquoi détestent-ils à ce point la modernité ? Littéralement, “Boko Haram” (qui est en fait un surnom) signifie que les livres, “books”, et par extension l’éducation “occidentale”, sont “haram”, qu’il faut les interdire. Leur idéologie est fondée sur une défiance absolue envers tout ce qui est moderne, parce que c’est tout ce que les Occidentaux se sont vantés d’apporter en Afrique. Ce rejet épidermique est fondé sur la longue liste d’erreurs et de fautes des responsables occidentaux. Les livres sont “haram”, mais les vaccins aussi : au Nigeria, un enfant sur cent est vacciné. Ça vous semble rétrograde ? Rappelez-vous l’épidémie de méningite qui a frappé le pays en 1996 : à l’époque, Pfizer, le géant pharmaceutique, a gentiment proposé de soigner gratuitement deux cents enfants. En réalité, ils se sont servis de ces gamins comme de cobayes pour tester le Trovan, un médicament qui n’avait pas reçu d’autorisation... Y a-t-il un risque de voir fusionner Boko Haram avec Aqmi ou d’autres ? Il y a déjà des liens entre Boko Haram et l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, ex-émir d’Aqmi, ancien allié du Mujao, aujourd’hui l’un des chefs de la nouvelle organisation Al-Mourabitoune – qui se revendique d’Al-Qaeda. Des membres de Boko Haram ont fait des stages chez Belmokhtar, qui a également des liens avec les Libyens. Leurs zones d’influence sont différentes mais à terme, ils pourraient s’allier et constituer une choura à la tête de laquelle ils placeraient Belmokhtar, tandis que Shekau serait l’émir dans le nord du Nigeria et sa région, par exemple. La région regorge de groupes jihadistes, alors pourquoi est-ce l’Etat islamique qui progresse en ce moment de façon fulgurante en Libye ? Leur mode de conquête rapide attire de plus en plus de jihadistes et leur propagande sur internet séduit les jeunes – d’autant qu’Al-Qaeda ne fait pas grand-chose en ce moment. Pour l’EI, il s’agit d’abord d’étendre son territoire au Maghreb et en Afrique de l’Ouest : un de leurs groupes touaregs de Libye a diffusé, il y a trois semaines, une vidéo appelant les jihadistes du nord du Mali (le Mujao et Al-Mourabitoune) à prêter allégeance à Al-Baghdadi, le chef de l’EI. Mais en s’implantant en Libye, ils s’ouvrent aussi une passerelle vers l’Europe. Le scénario décrit dans une note publiée par le Daily Telegraph est plausible : l’EI peut envoyer ses soldats se faire passer pour des migrants pour atteindre l’Europe, s’y installer,

et se préparer à passer à l’action dès qu’ils en recevront l’ordre. La France est-elle menacée d’attentats par ces groupes ? Elle fait déjà partie des cibles prioritaires de l’EI. Les autres groupes jihadistes de la région ne disposent probablement pas encore d’hommes en France car ils sont difficiles d’accès pour les jeunes Français. Géographiquement d’abord : le groupe le plus proche se trouve en Algérie mais se cache dans les montagnes et se méfie des recrues car ils ont peur d’être infiltrés par les services de renseignement. Et puis Aqmi

ou le Mujao sont arabophones ; la filière qui recrute les Français pour partir en Syrie et en Irak, elle, est francophone puisqu’elle est en majorité tunisienne.Mais dans le discours de tous ces groupes, l’ennemi numéro 1, c’est la France, l’ex-puissance coloniale. Et depuis le temps que Shekau promet à François Hollande des représailles, il serait étonnant que les jihadistes ne s’en prennent pas au moins aux intérêts français dans la région : à Abidjan, à Conakry, à Dakar, ou même aux installations de Total dans le sud du Nigeria. propos recueillis par Marie-Lys Lubrano

un journaliste chez les jihadistes Dans son livre Le Ben Laden du Sahara, Lemine Ould M. Salem raconte sa plongée au cœur du djihadisme africain. Vertigineux. Comme beaucoup de journalistes freelance, Lemine Ould M. Salem vit sur un fuseau horaire un peu particulier. Ce matin du 16 janvier 2013, au fond du lit dans son appartement parisien, il rate un coup de fil. Le temps d’émerger, il rappelle le numéro affiché. C’était Jouleybib : le bras droit et gendre de Mokhtar Belmokhtar, dont la tête est mise à prix 23 millions de dollars par la CIA. Il voulait le prévenir que quarante de ses hommes venaient de prendre d’assaut un site gazier à In Amenas dans le sud de l’Algérie, capturant une centaine d’otages occidentaux pour réclamer, entre autres, l’arrêt de l’intervention française au Mali commencée cinq jours plus tôt – où, selon les autorités algériennes, 37 otages et 29 terroristes trouveront la mort. Quelques heures après ce coup de fil, l’un des chefs du commando contacte le journaliste pour le laisser interviewer un otage français sur France 24. Si Jouleybib a appelé Lemine Ould M. Salem ce matin-là, c’est parce qu’il le connaît. Ils se sont rencontrés à Gao quelques mois avant,

quand Lemine filmait la vie quotidienne de la population sous la domination des jihadistes – certaines scènes auxquelles il a assisté se retrouvent d’ailleurs dans le film de son ami Abderrahmane Sissako, Timbuktu. Ayant grandi en Mauritanie, écumant depuis des années l’Afrique du Nord et de l’Ouest, Lemine maîtrise à la fois les langues et les usages de la région. Il a suffisamment de contacts pour se faire introduire auprès des leaders jihadistes, il connaît la cartographie et l’histoire de tous les groupes, mais sait aussi quelles sont les limites. Aussi, quand Jouleybib est venu le prendre un matin devant son petit hôtel à Gao, Lemine et son fixeur, qui puaient la clope, ont essayé de monter à l’arrière du 4×4, pour ne pas se retrouver confinés dans la cabine avec l’islamiste antitabac. Mais Jouleybib, ne pouvant tolérer que son “invité” monte dans la benne, est sorti de la voiture pour faire monter Lemine et, à cet instant, laisse tomber un disque dur de la poche de sa tunique. En rentrant le soir à l’hôtel, il fonce dans sa chambre, le consulte

et se rend compte qu’il tient les fichiers d’Al-Qaeda. Il hésite un moment et comprend qu’il doit rappeler Jouleybib pour le lui rendre et ne pas risquer sa peau s’il s’agit d’un test. Lemine ne dira pas ce qu’il y avait dans ces dossiers. C’est pour cela, entre autres, que les jihadistes lui parlent et qu’il a pu rencontrer et interviewer un nombre important de proches de Belmokhtar, l’ex-émir d’Admi, ancien allié du Mujao, qui dirige aujourd’hui une organisation liée à Al-Qaeda. A travers son histoire, c’est toute l’histoire du jihadisme, né sur les cendres de la guerre d’Algérie, qui défile à la lecture de son livre. Il remonte le fil des attentats, des prises d’otage, des différentes organisations, jusqu’aux années de formation en Afghanistan, jusqu’à l’enfance du chef. Si Mokhtar Belmokhtar s’appelle ainsi, c’est en hommage à son oncle paternel, le dernier nationaliste algérien décapité par les Français à Ghardaïa en 1959. M.-L. L.

Le Ben Laden du Sahara (La Martinière), 208 pages, 19 €

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Marikel Lahana

Jeanne Added Violoncelliste, elle a fait ses gammes dans le jazz avant d’emprunter une voie rock explosive.

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34 ans, Jeanne Added a une tête à avoir été biberonnée au rock. C’est pourtant un violoncelle et non une guitare électrique qu’on lui a collé entre les mains à l’âge de 7 ans. Son parcours est prestigieux : la Rémoise est passée par le Conservatoire national supérieur de Paris et la Royal Academy of Music de Londres. En 2005, elle décide d’envoyer valser le jazz pour la voie(x) du rock. En 2011, elle chante

les poètes anglais sur un premier ep, puis tourne avec The Dø. Avec Dan Levy, moitié du duø, naît l’idée d’un premier album. Les allers-retours durent des mois : elle écrit les paroles (“en anglais, pour mettre de la pudeur”) et compose, il arrange. “J’ai suivi la prosodie des mots.” Son premier single, A War Is Coming, est une furie post-punk, sombre et explosive. En attendant l’album, Jeanne Added renfilera ses habits d’interprète pour

reprendre du Bowie dans un spectacle de Philippe Decouflé. “Ça promet d’être un grand bazar !”, lâche-t-elle, sourire aux lèvres, avant de confier “ne pas aimer les vacances” par “angoisse de ne plus être dans l’action”. Carole Boinet ep Jeanne Added (Naïve) jeanneadded.com voir Wiebo de Philippe Decouflé, du 3 au 8 mars à la Philharmonie de Paris

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Joe Raedle/Getty Images/AFP

aux Etats-Unis, le salaire minimum n’a cessé d’être augmenté

Depuis 2013, 11 millions d’Américains ont souscrit au système d’assurance santé Obamacare

yankees, go France ! Taux de pauvreté et de chômage bas, couverture santé, dépénalisation du cannabis, légalisation du mariage gay, refus de l’austérité : et si le vrai paradis de la gauche, c’était les Etats-Unis ?

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compter du 28 février, il sera légal de consommer du cannabis dans le district de Columbia. C’est-à-dire qu’on pourra fumer un joint devant la Maison Blanche ou le Congrès des Etats-Unis. La loi est même très généreuse : les résidents et les visiteurs assez âgés pour boire une bière pourront posséder sans être inquiétés assez de cannabis pour cent joints. Ils pourront le transporter, le partager, le fumer et même le faire pousser. Ce n’est pas le seul tabou qui vient de tomber : le 18 février, Kate Brown est ainsi devenue la première gouverneure bisexuelle d’un Etat américain (l’Oregon). Elle a été accueillie dans le Parlement de l’Etat par une speaker lesbienne, Tina Kotek. Au total, trente-sept Etats américains reconnaissent désormais le mariage gay, dont tout récemment l’Alabama, le second Etat de la “ceinture biblique” sudiste à le faire, après l’Arkansas en mai 2014. Or, que ce soit pour le cannabis ou le mariage gay, les Etats-Unis doivent ces bouleversements à des années de mobilisation citoyenne et à des référendums gagnés sur le terrain : de la vraie démocratie participative, en somme.

Et si les Etats-Unis étaient le paradis de la vraie gauche : celle qui, à force de mobilisations, de militantisme, de conviction et d’humanisme, finit par remporter des batailles à la loyale ? A commencer par celle de la peine de mort. En 2014, les tribunaux américains ont peu condamné à la peine capitale. C’est même le chiffre le plus faible en vingt ans : soixante-douze condamnations. Même constat pour les exécutions, en chute libre, et la tendance semble irréversible. Et la pauvreté ? Et la couverture santé ? Etre de gauche, c’est aussi s’inquiéter des laissés-pour-compte, non ? Le lieu commun voudrait que les Etats-Unis soient plus durs avec les plus faibles que nous autres Français et Européens. En fait, le taux de pauvreté américain recule depuis dix ans et s’établit aujourd’hui à 14,5 % de la population. En France, il est en progression constante et tourne aujourd’hui autour de… 14 %. Match nul entre nos deux pays (et l’Europe en général). La santé maintenant. En 2013, 86,6 % des Américains avaient une couverture santé publique ou privée. Cela laissait 42 millions de personnes sur le carreau. Depuis 2013, plus de 11 millions d’Américains ont souscrit

au fameux Obamacare. Ce qui signifie qu’aujourd’hui, un peu plus de 90 % des Américains ont une couverture santé complète. En France, seulement 89 % d’entre nous environ combinaient Sécu et mutuelle. Une fois de plus, match nul. En termes d’emplois (des vrais, industriels et à plein temps), la différence est, pour le coup, abyssale : en janvier, les entreprises américaines ont créé plus 275 000 jobs, ramenant le taux de chômage à moins de 6 %. A 5 %, ce sera le plein-emploi. Rappelons par ailleurs que le salaire minimum n’a cessé d’être augmenté avec pour but d’atteindre 10 dollars de l’heure en 2017. Mais la vraie différence est ailleurs : moins de 2 % des Américains sont aujourd’hui payés au Smic, contre 13 % des salariés français. Même contre le “lobby financier”, les Etats-Unis font largement mieux que nous : les banques américaines ont versé en deux ans plus de 100 milliards d’amendes au Trésor. Les banques européennes, rien. Ah si, plusieurs milliards… aux Etats-Unis. L’austérité ? Les Etats-Unis ne l’ont jamais pratiquée. Impôts directs progressifs plutôt qu’impôts indirects ? C’est justement le modèle américain. Aux Etats-Unis, en somme, c’est Mélenchon qui a gagné et depuis longtemps. Anthony Bellanger

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le come back de Blur

retour de hype

la minisérie de Nick Hornby

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“je passe en force, comme le 49.3”

“mars, les giboulées”

l’offre illimitée de livres Amazon

le chou grillé le mot “sagacité”

“je l’ai plus vue depuis qu’elle est tombée dans le fitness porn sur Instagram”

les jours qui rallongent

“non je peux pas, je fais un bore-out”

“pourtant, c’est l’année de la chèvre, tu devrais être content ?”

l’argent poétique de Jodorowsky

Naomi Klein

Naomi Klein Son nouvel ouvrage This Changes Everything: Capitalism vs. The Climate sortira en mars en France. Le bore-out ou le contraire du burn-out qui atteint les gens qui n’ont rien à faire au bureau. Nick Hornby L’auteur de High Fidelity écrit une adaptation du roman Love, Nina de Nina

Afroman les marmousets

Stibbe (National Book Award 2014) pour la BBC. Jodorowsky a lancé sur Kickstarter une campagne pour financer son film (Poesia sin fin). Participations rétribuées en “argent poétique”, de faux billets à l’effigie du maître. Le come-back de Blur nouvel album, douze ans après Think Tank. Woo hoo. D. L.

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Face à la guerre qui oppose Khloe Kardashian et Amber Rose, Tyler, The Creator en appelle à un accord de paix. Suivre

Tyler, The Creator @fuvktyIer

AMBER AND KHLOE NEED TO STOP BEEFING AN MAKE A SEX TAPE TOGETHER, DO SOMETHING PRODUCTIVE FOR ONCE IN THEIR FUCKING LIVE 02:19 - 18 févr. 2015

Répondre

Retweeter

“Amber et Khloe doivent arrêter de se chamailler et faire une sex-tape ensemble, faire quelque chose de productif pour une fois dans leur putain de vie”

24 % François Hollande

Juste avant les accords de Minsk.

F

73 % Ban Ki-moon

Qui œuvre aussi, au jour le jour, pour la paix.

3 % Beyoncé

Grande pop féministe de notre temps.

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ce Pompéi qui est le mien Le site, classé au patrimoine mondial établi par l’Unesco, agonise depuis des années. Détruite une première fois par le Vésuve, la ville va-t-elle mourir une nouvelle fois ?

do not cross

Une bâche ressemblant étrangement à celles qui recouvrent les cadavres, des rubans rouge et blanc intimant aux passants de respecter un périmètre de sécurité. Non, nous ne sommes pas là “sur” une scène de crime mais seulement à Pompéi. La même chose ? Depuis des années, les dégradations se succèdent sur le site situé au sud de Naples et recouvert par l’éruption du Vésuve en l’an 79. Près de deux mille ans plus tard, certains vont jusqu’à dire que Pompéi meurt en silence. Il est vrai que les médecins, généralistes et spécialistes, s’affairent autour d’un cas atypique qui, depuis de nombreuses années, agonise.

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2 1 3 Circo de Luca/Reuters

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un problème Sévère Sur cette photo, un mur s’effondre sur le jardin de la Maison dite du moraliste, en novembre 2010. Quelques mois à peine après l’écroulement de la Maison du gladiateur, événement tragique qui avait suscité en Italie une vague d’indignation quant au manque de considération pour le patrimoine, la scène est, il faut le dire, assez photogénique. Normal donc que cette image revienne régulièrement quand la presse internationale décide de relayer les nouveaux éboulements. Dernier en date : celui de ce début de mois de février. Cette fois-ci, c’est un mur de la maison de Sévère qui s’est écroulé sous l’effet des pluies diluviennes.

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à bout de bras

Pourtant, l’Union européenne a accordé 70 millions d’euros de fonds d’urgence pour la restauration du site. Une somme à laquelle s’ajoutent 30 millions d’euros de l’Etat. De quoi mener à bien le Grande Progetto Pompei dont le responsable, le général des carabiniers Giovanni Nistri, assure que les travaux sont “en bonne voie” ? Entre la lutte contre la Mafia très présente dans la région et la lenteur des institutions italiennes, Nistri a jusqu’à la fin de l’année pour transformer cet argent en plan de conservation efficace et global. Si ce n’était pas le cas, l’Unesco pourrait mettre à exécution sa menace formulée en 2013 : celle de sortir Pompéi du patrimoine de l’humanité. Diane Lisarelli 25.02.2015 les inrockuptibles 29

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en chiffres

l’homme qui vend Avec son premier livre dans lequel il raconte son enfance dans l’ombre d’un père coco et volage, Marc Lavoine détrône Eric Zemmour en tête des ventes d’essais. Les raisons d’un succès.

le sujet Sous-titré “le roman d’un enjoliveur”, L’homme qui ment ne raconte pas l’histoire d’un chapeau de roue contrairement à ce que des passionnés de tuning pourraient croire. Rien à voir non plus avec Rubber, le film de Quentin Dupieux sur un pneu psychopathe. Non, dans ce livre, le chanteur aux yeux revolver revient sur son enfance en banlieue parisienne dans les années 6070 et fait le portrait de son père, Lucien dit Lulu, employé des PTT, militant communiste, beau parleur porté sur la bouteille et surtout coureur de jupons invétéré, trompant Micheline dite Michou, sa femme et la mère de ses deux fils – Francis dit Titi et Marc dit Trouduc –, avec tout ce qui bouge. Un peu comme Bertrand, le héros du film L’homme qui aimait les femmes de Truffaut auquel Marc Lavoine rend d’ailleurs hommage dans un post-scriptum.

le souci Soyons honnête, ce livre est loin d’être le pire produit de l’industrie éditoriale. On peut même lui savoir gré d’avoir évincé l’odieux Suicide français d’Eric Zemmour de la première place des ventes d’essais. Cet exploit aurait tendance à nous le rendre sympathique. D’autant que Lavoine parvient à rendre plutôt touchant cet album de souvenirs, notamment sa relation avec son frère, sans misérabilisme ni autoapitoiement.

Reste que tout cela sent un peu la littérature gigot-flageolets. Et pas seulement à cause de l’évocation répétée des flatulences du grand-père, Henry dit Riton, mais du fait d’une écriture qui verse volontiers dans le lexique vintage avec des expressions du type “se berliner”, “ça y allait du radada” (traduction : ça baisait beaucoup), “lâcher une bulle”. Truffaut à la sauce Audiard : pas forcément très digeste.

1er

Habitué du Top 50 avec des tubes comme Elle a les yeux revolver, Le Parking des anges ou J’ai tout oublié, Marc Lavoine se hisse directement au top des ventes de livres avec sa première tentative littéraire (si l’on excepte sa préface d’un récit de Vuong Duy Binh). On peut toutefois trouver étrange que son propre récit soit classé parmi les essais.

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Le nombre d’exemplaires auquel a été tiré L’homme qui ment, selon son éditeur Fayard. A titre de comparaison, Le Suicide français d’Eric Zemmour s’est écoulé à 350 403 exemplaires, ce qui a permis à son éditeur Albin Michel de générer 7 900 034 euros de chiffre d’affaires.

le symptôme Le récit de Marc Lavoine se situe au croisement de deux grandes tendances qui ont le vent en poupe : les confessions de people ou apparentés (voir les quelque 700 000 exemplaires vendus de Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler) et la vague nostalgique en vogue depuis Les Choristes qui se repaît des images d’Epinal d’une France dans le formol. Dans ce livre aux allures de film super-8 s’esquisse la peinture d’une banlieue idéale où on roule en R8 Gordini ou sur une “meule”, où on boit de la Suze et fume des Gitanes en écoutant Jean Ferrat, mais aussi d’un monde rural de carte postale, ce Lot chantant où la famille passe ses vacances et où on part à la ferme chercher du lait et des œufs. Mais inutile de dire qu’on préfère la France de Lavoine, celle qui vendait L’Huma et prônait l’indépendance de l’Algérie, à la France de Zemmour qui achète Rivarol et vote FN. Elisabeth Philippe

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C’est l’âge du chanteur, qui doit autant son succès à ses ritournelles qu’à son physique. Il écrit dans son livre : “Un physique qui parfois se résume, le succès venu, par un mot qui se veut agréable et qui, pour moi, est assassin : beau. Ce mot a quelque chose de réducteur, beau… et con à la fois.”

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I wanna be your dog Les progrès s’accélèrent et les machines copient avec de plus en plus de précision les êtres vivants. Dernière innovation ? Spot, un robot qui a du chien.

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xcepté ce bruit de vérins hydrauliques et d’articulations mal huilées, les robots s’installent doucement dans notre quotidien. On a évoqué dans cette rubrique les robots insectoïdes, artistes, soldats, philosophes, journalistes, machines capables d’apprendre elles-mêmes, de se perfectionner grâce ou à cause des progrès de l’intelligence artificielle que craint notamment le dieu des geeks, le physicien Stephen Hawking, qui y voit la fin de l’humanité, une apocalypse façon Terminator. Brouillonnes et pas toujours fonctionnelles, ce sont des bêtes de foire conçues pour épater le chaland. Pour l’instant. Mais les ingénieurs cochent les cases et bientôt l’ensemble du monde biologique trouvera son équivalent métallique. Ainsi, la société Boston Dynamics a présenté récemment son robot-chien, Spot, qui pourrait aisément passer, grâce à ce gentillet patronyme, pour un canidé inoffensif et malicieux. Ce clébard de fer de 70 kilos n’est pourvu que d’un corps et de quatre pattes. Il peut donc sauter au cou de son maître, mais serait bien incapable de lui laper affectueusement le visage, ou d’aboyer pour chasser l’intrus. Ses seules qualités résident dans son sens de l’équilibre, comme en témoigne une vidéo où Spot évolue dans les couloirs de l’entreprise qu’il quitte en évitant les obstacles. Des employés lui donnent quelques coups dans le buffet pour le faire trébucher. Mais le robot-chien tient bon et jamais ne choit. Il se rattrape et manœuvre ses pattes articulées pour se rétablir in extremis. Ses tortionnaires se lassent et Spot continue sa route,

monte un escalier, crapahute sur une pente escarpée. Bref, il imite les mouvements de son cousin biologique. Mais ce n’est pas la seule prouesse de ces dernières semaines. Selon CNN, un nouvel hôtel ouvrira ses portes au Japon en juillet. “L’Etrange Hôtel”, c’est son nom, comptera dans son staff des robots humanoïdes. A la réception, des machines capables d’entamer une “conversation intelligente avec les clients”, selon les concepteurs : “Beau temps, n’est-ce pas ?”. Le ménage aussi sera pour partie assuré par des automates. Inutile de préciser que l’intérêt du système est de faire baisser la masse salariale en remplaçant les humains, approximatifs et râleurs. Insidieusement donc, chaque robot trouve sa place et la chaparde à un animal ou à un humain. On ne tardera pas à voir des robots réceptionnistes accueillir des robots voyageurs. Nous pourrions après tout cohabiter, mais Darwin n’est pas d’accord. Dépourvues d’âme, certes, mais sans scrupules et insensibles aux virus, les machines emporteront haut la main le match de l’évolution. C’est à peine si l’on verra la différence tant elles nous ressembleront. Ne sommes-nous pas des machines nous aussi ? Qui avons-nous remplacé à l’époque ? On est toujours le robot d’un autre. Nicolas Carreau illustration Vincent Boudgourd pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin Vidéo de démonstration de Spot youtube.com/watch?v=M8YjvHYbZ9w

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Fleur Burlet

chez l’architecte Luca Selva plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com

Un studio d’artiste, la demeure d’un collectionneur ou un foyer multigénérationnel : neuf projets signés Luca Selva sont présentés dans ce beau livre retraçant l’obsession du constructeur suisse pour la maison familiale, terrain d’exploration de la relation entre design et histoire sociale contemporaine. Luca Selva Architects – Eight Houses and a Pavilion (Park Books), 96 p., 38 €

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dans cette basket Adidas Originals by Juun.J Après le Nippon Yohji Yamamoto, c’est au tour du designer coréen Juun.J de réinterpréter l’iconique modèle Superstar. Le résultat, une version monochrome et minimaliste du classique de 1969 disponible en version haute et basse, reflète parfaitement la réunion entre le “street tailoring” du créateur et l’héritage sportswear d’Adidas Originals.

J. D. ‘Okhai Ojeikere, Untitled, HG-423-04, 2004, from the series Headties. Museum no. E.227-2013 / The Estate of J. D. ‘Okhai Ojeikere/Victoria and Albert Museum, London

juunj.com/projects.jsp

à l’exposition Staying Power du V&A Mettre en avant la contribution des photographes noirs britanniques à la culture du pays et améliorer la représentation des populations noires de Grande-Bretagne : tel est le parti pris de la nouvelle exposition du Victoria & Albert Museum de Londres qui, avec son projet Black Cultural Archives, s’attache depuis sept ans à préserver l’héritage culturel et historique de l’Angleterre noire. jusqu’au 24 mai, vam.ac.uk

chez Acne Studios Le label suédois pointu à la désignation déroutante – acronyme d’“ambition to create novel expressions” – présente un menswear estival drapé de volumes : shorts et chinos au pli impeccable se marient à l’oversize pour un vestiaire raffiné réveillé d’une touche de couleur. Solaire et soigné. acnestudios.com 25.02.2015 les inrockuptibles 35

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vous n’y échapperez pas

la it-model Les stars étranges de la téléréalité font fantasmer le luxe et tirent la haute couture vers le trash.

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Kendall Jenner au défilé haute couture Chanel, printempsété 2015

Chanel

a jeune fille ci-contre ne vous est probablement pas familière. Pourtant, elle galvanise la mode depuis quelques saisons. Il s’agit de Kendall Jenner, demi-sœur de la star de téléréalité (et accessoirement épouse de Kanye West) Kim Kardashian. Pas de quoi s’affoler, a priori. Et pourtant. Jolie brune – ni plus ni moins – elle orne cet hiver la couverture du Dazed & Confused, ainsi que celles du magazine Love et du très arty Garage. Quant aux shows, elle a fait une apparition très remarquée tous seins apparents pour Marc Jacobs l’an dernier. En janvier, on pouvait de nouveau deviner sa poitrine (décidément) sur le podium haute couture Chanel. Pour les puristes du chiffon, l’engouement autour de la jeune femme peut sembler étrange. Avec sa famille bling à souhait et sa gloire due au petit écran, elle vient d’un milieu aux antipodes du luxe classique. Kendall Jenner n’est cependant pas une exception. On peut aussi penser à Gigi Hadid, figure montante de la mode, surtout connue pour les apparitions de sa botoxée de mère (Yolanda Foster) dans le show de téléréalité The Real Housewives of Beverly Hills. Ou encore à la new face Ireland Baldwin, fille de Kim Basinger et d’Alec Baldwin. Descendantes 3.0 de Paris Hilton et Nicole Richie, ces it-girls de Hollywood ont donc été au cœur de la semaine haute couture. Pour le magazine i-D, on assiste là à la naissance de la “it-model”, un mannequin quasi accidentel qui

s’est fait connaître précisément en faisant tout ce que la mode interdit. Prenons le cas de Cara Delevingne. D’ascendance aristocratique, la petite sœur de la très mondaine Poppy passe le plus clair de son temps à faire des doigts d’honneur sur Instagram et à galocher ses copines. Plongée depuis sa tendre enfance dans un environnement people tirant sur le trash, elle est devenue, en parfaite autodidacte, une pro de l’entertainment. Cara, Kendall et Gigi sont des marques vivantes, indépendantes, aux profils savamment pimentés de selfies avec stars et pétards. Des rebelles de luxe sans complexes donc – tout bénef pour les marques – et un fantasme nouveau et décloisonnant pour sa clientèle. Enfin, le luxe peut se permettre de rêver de mauvais goût, de success stories lamentables, de rencards avec Justin Bieber un jour, avec Michelle Rodríguez le lendemain. Dans une industrie où même les désirs les plus intimes sont normés, c’est déjà un pas en avant. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : le créateur de mode nu

1971 Quand le jeune Yves Saint Laurent se fait photographier vêtu seulement de ses lunettes par Jeanloup Sieff pour la publicité de son premier parfum masculin, le photographe doit le convaincre de ne pas poser avec le flacon en guise de cachesexe. Là, le jeune créateur et mannequin d’un jour se crée un rôle novateur, à mi-chemin entre corps sujet et corps objet.

2010 Treize ans après son arrivée à la tête de Louis Vuitton, Marc Jacobs est passé d’attendrissant geek à gym queen bronzée au petit ami porn star. Pour l’ultrasexuelle campagne de parfum Bang (“boum” mais aussi “baiser”), il fait référence à la pose originale de YSL, et s’impose lui aussi en toyboy, voulant créer des objets de désir tout en en devenant un lui-même.

2015 Perché sur un tabouret, l’air chaton, pour la couverture de Têtu, le directeur de Balmain Olivier Rousteing cite lui aussi YSL. Aujourd’hui, pour le jeune homme, meilleur ami de Rihanna, expert du self-branding qui documente sa vie au millimètre près via les réseaux sociaux, cette pose timorée est paradoxalement le cliché le plus pudique qu’on connaisse de lui.

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hot spot

Etienne Jeanneret/Paris Première

L   bouche à oreille

un jambon-beurre qui envoie du pâté Sur Paris Première, François-Régis Gaudry propose Très très bon le doc, une série sur des spécialités culinaires françaises. Cette semaine, le fameux sandwich.

A

la recherche du jambonbeurre parfait. C’est ce périple culinaire alléchant et légèrement obsessionnel que propose le chroniqueur food François-Régis Gaudry dans le premier épisode de Très très bon le doc, sa nouvelle collection de documentaires sur des spécialités emblématiques de la gastronomie française, après le succès de Très très bon sur Paris Première. Le sandwich doit son nom, par antonomase, à lord John Montagu, quatrième comte de Sandwich, qui en fut le premier consommateur. Quant à cette institution de la cuisine française qu’est le jambon-beurre, il s’en vend trentecinq par seconde en France. Pourtant, dénicher un bon jambon-beurre est souvent mission impossible. D’où la volonté de quelques restaurateurs de lui redonner ses lettres de noblesse, à l’instar de Charles Compagnon du 52, bistro bobo de la rue Faubourg-SaintDenis, à Paris, qui a relevé le challenge de Gaudry : parcourir l’Hexagone pour préparer le jambon–beurre parfait. Première étape, le jambon. Direction la Bourgogne dans la Ferme de La Ruchotte chez un éleveur de porcs bio où le jambon blanc doit sa chair rose et grasse au grand Gascon, race porcine

haut de gamme, et sa pureté au parti pris de l’éleveur Frédéric Ménager de n’ajouter aucun polyphosphate (additif alimentaire qui retient l’eau) ni conservateur, seulement du sel. Deuxième étape, le beurre. Rendezvous au Ponclet, en Bretagne, un atelier de beurre de luxe dont le patron David Akpamagbo, s’est fixé comme objectif de faire de l’or avec du beurre. “Faire du bon beurre, c’est très compliqué”, explique-t-il. Car bon beurre suppose bon lait. L’ancien élève d’HEC privilégie un lait cru plutôt que pasteurisé, conservé à 33 degrés puis écrémé. Résultat : un beurre crémeux dont plusieurs grands restaurants s’arrachent les petites mottes estampillées LP (pour Le Ponclet). Dernière étape, le pain, dans les Hautes-Corbières. Exit la baguette à la farine blanche, moins nutritive que le pain de campagne de Cucugnan, fabriqué avec une palette de blé de qualité ancienne. “Un pain 100 % bio, c’est la base”, précise Roland Feuillas, apôtre du pain garanti sans pesticides. Résultat : un jambon-beurre parfait c’est possible. Mais comme le souligne François-Régis Gaudry : “Un bon jambon-beurre, c’est du temps et de l’argent !” Mathilde Samama Très très bon le doc dimanche 1er mars, 12 h 30, Paris Première

e nom de cet établissement parisien niché entre Seine et boulevard Saint-Germain résume bien l’esprit de la cuisine de Sylvain Sendra : voyages, flâneries, rencontres… Les prix pratiqués et la déco moderne bourgeoise chic réclament une occasion spéciale, ou simplement l’envie de faire plaisir aux papilles. On se laisse prendre en main par la formule “découverte” du midi. Ce jour-là, un amusebouche, une entrée parfaitement iodée de saint-jacques crue, langue d’oursin et granité d’huître, poursuivie d’un lieu de ligne rehaussé d’une jolie composition de légumes anciens et nouveaux. Place ensuite à la terre avec un agneau de Lozère rose et fondant, déclinaison de carottes et purée en deux textures (épaisse et crémeuse). Envoi sur une ganache légère de chocolat tiède avec miettes de crumble, glace vanille et ponctuations de coulis de fruits rouges. Dans une carte des vins qui recèle la plupart des beaux noms de la vigne (Foillard, Pacalet, Roch, Dagueneau…), on a opté pour l’arrosage aux Foulards rouges (domaine naturel au sud de Perpignan), en équilibre entre la finesse et la robustesse, le fruit et la garrigue. Excellents produits, travail précis et raffiné, ce gueuleton valait bien ses 49 €.

Serge Kaganski Itinéraires 5, rue de Pontoise, Paris Ve, tél. 01 46 33 60 11, fermé samedi midi, dimanche et lundi

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objectif 2015 vol. 2 Pulpe et science-fiction chez Django Django, voyage magique avec Rone, les nuits olé olé d’Aline, l’underground lascif de Brodinski, Tahiti Bowie Boy et Chassol qui trace la route… 1. Django Django First Light

9. Chassol La Route de la Trace

extrait en avant-première de l’album Born under Saturn (Because) Les Irlando-Ecossais continuent de remuer, secouer, agiter la pop sur ce nouveau single plein de pulpe et de science-fiction.

extrait en avant-première de l’album Big Sun (Almost) Pour le texte de La Route de la Trace, Chassol a fait simple : il chante le solfège. Pour le reste, musique, images et concept, Chassol a fait lumineux. Big Sun, éblouissant.

2. Brodinski Bury Me (feat. Maluca & Bricc Baby Shitro) extrait en avant-première de l’album Brava (Savoir Faire/Parlophone/Warner) Courageuse plongée dans l’underground rap américain pour un Brodinski moins techno, plus lascif, plus sombre.

3. Rone Sing Song extrait de l’album Creatures (InFiné) Prodige français de l’électronique sensible et songeuse, Rone publie un album ample, complexe, varié et ouvert aux collaborations : une collection de voyages magiques.

4. ArKaDin Valhalla extrait de l’ep Valhalla (Cinq 7/Wagram) Tube romantique, étrange et charnel que ce Valhalla d’ArKaDin, un Français dont le style étonne déjà sur son premier ep.

5. Shake Shake Go England Skies extrait en avant-première de l’ep England Skies (Beaucoup Music) Ces Anglo-Gallois installés à Londres pourraient bien cartonner rapidement : ce single folk-pop est un vrai tube en puissance.

6. Melanie De Biasio I Feel You (Eels remix) extrait de l’album No Deal Remixed (Pias) L’envoûtante chanteuse soul se soumet à l’épreuve du remix. Mais lorsque Mark Everett est aux manettes, on est plus proche du bois hanté que du dance-floor.

7. Marika Hackman Before I Sleep extrait de l’album We Slept at Last (Caroline/Universal) Après deux ep chéris, l’Anglaise Marika Hackman sort enfin son premier album. Voix blanche comme la nuit et folk dans de beaux draps, elle chante le sommeil et les rêves.

8. BC Camplight Love Isn’t Anybody’s Fault extrait de l’album How to Die in the North (Bella Union/Pias Coop) Réfugié à Manchester, l’Américain Brian Christinzio y a composé un péplum pop, qui mériterait l’amour pour cette seule merveille.

10. Tahiti Boy & The Palmtree Family Low Life extrait en avant-première de l’album Songs of Vertigo (Edge Of Town Music/Caroline/Universal) Retour du Français David Sztanke et de sa joyeuse bande avec une pop-song étincelante sous influence Bowie, avec la piquante Micky Green aux chœurs.

11. Champs 3 000 Miles extrait de l’album Vamala (Pias) Les frères Champion portent bien leur nom : avec cette ballade pop-folk mélancolique à souhait, ils confirment leur place au sein de la nouvelle scène anglaise.

12. Théodore, Paul & Gabriel In Our Dreams extrait en avant-première de l’album We Won’t Let You down (Belleville/Sony) Plus abouti que le premier, le nouvel album de ces trois filles malignes est bourré de pop-songs vintage et rêveuses.

13. Aline La Vie électrique extrait en avant-première de l’album La Vie électrique (Pias) Enregistré à Bruxelles sous la houlette du légendaire Stephen Street (The Smiths, Blur…), le deuxième album d’Aline promet moult nuits blanches avec cet extrait groovy et olé olé.

14. Las Aves Gasoline extrait de l’ep L.A. (Cinq 7/Wagram) Les Toulousains The Dodoz deviennent Las Aves, d’autres oiseaux qui semblent rêver de Californie. Leur Gasoline s’écoute sur la route, la nuit, dans le désert de préférence.

15. Disco Anti Napoleon Superhero extrait de l’album Ascent (Fvtvr/A+LSO/Sony) à retrouver en vidéo dans Monte le son Les Nantais éclairent de leur lanterne la grande parade sensorielle du psychédélisme avec cet extrait de leur album Ascent, en session pour l’émission Monte le son. le coup de cœur inRocKs lab & Sosh à retrouver en vidéo sur

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“je n’ai jamais eu ni vinyles ni CD” Tant attendu, le premier album de Brodinksi sort enfin. Le DJ et producteur rémois a réussi à adapter son electro noire à un hip-hop plus lascif, déniché aux Etats-Unis. Un style derrière lequel tout le monde cavale. parJD Beauvallet photo Benni Valsson pour Les Inrockuptibles

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epuis ses premiers DJ-sets, remixes ou collaborations, on attendait un premier album de Brodinski. Mais ce qu’on ignorait, c’est que le jeune Rémois se savait encore en chantier, ne souhaitant sans doute pas figer, statufier sur un premier album un son qu’il imaginait encore en évolution. Car Brodinski s’est révélé aussi fidèle en amitié – il le prouve encore au quotidien à travers Bromance, son label entièrement dédié aux plaisirs de collaborer – qu’infidèle aux dogmes et chapelles. Derrière ses platines, on l’a ainsi senti glisser, en quelques années, d’une techno roide et offensive à une musique plus sombre mais aussi plus sensuelle, plus épurée, sous influence directe du hip-hop venu du sud des Etats-Unis. C’est là, en partie, qu’il a finalement enregistré un premier album qui applique au hip-hop ses diaboliques techniques de production et d’édition venues de la techno. Collaborateur de Kanye West ou de Theophilus London, l’homme à la moustache la plus célèbre des bords de la Vesle raconte la genèse de Brava, fourretout d’une vie de boulimie de sons et de chansons. “J’ai l’impression d’être dans le futur.” On l’y rejoint. Comment s’est passé ton apprentissage musical ? Brodinski – Dans ma tête à 14 ou 15 ans, c’était réglé que ça serait ça et rien d’autre. Je n’ai jamais imaginé faire partie d’un groupe, ce n’était pas ma culture. A la fin de mes études de com, j’ai réclamé une année sabbatique à mes parents pour me consacrer à la musique et ça fait sept ans qu’elle dure. Mais même pendant mes études, je me débrouillais déjà pour trouver des dates à Londres ou Copenhague, via le net. Pourquoi être devenu Brodinski ? J’avais 18 ans, j’avais besoin de me créer un alias, un personnage. Sinon je n’aurais jamais grandi… J’étais depuis des années dans mon petit monde. J’ai grandi dans un village près de Reims, et je voyageais beaucoup dans ma tête. Derrière mes platines, je réglais déjà tous mes problèmes : je suis dans ma zone à moi. Elle remonte à quoi, ta passion pour l’électronique ? A Camargue, de CJ Bolland, que mon père avait sur une compile. Puis j’ai découvert Michael Mayer et le label Kompakt. Sont arrivés les mixes d’Andy Weatherall, d’Erol Alkan, d’Ivan Smagghe – j’avais trouvé ma voie. Yuksek et Guillaume des Shoes, rémois eux aussi, m’ont aidé à transformer mes idées en musique. Avec la musique, je ne peux pas théoriser, je veux rester naïf, fan. Tu fais partie de cette génération qui n’a jamais acheté de musique ? Pour mes études, mes parents m’avaient acheté un gros PC, que j’ai embarqué sur mes DJ-sets,

“avec la musique, je ne peux pas théoriser, je veux rester naïf, fan”

car je ne mixais alors qu’avec le logiciel Virtual DJ. Jusqu’au jour où Erol Alkan s’est moqué de moi… Je n’ai jamais eu de vinyles ou de CD. Internet m’a donné ma passion pour la musique. Et je n’utilise pas le verbe “donner” au hasard. Tout ce que j’ai voulu a toujours été gratuit. Avant internet, je ne suis pas du tout certain que j’aurais eu le courage d’aller fouiller dans un magasin de disques. J’ai eu la chance de me passionner avec la première vague de blogs et de Napster, puis MySpace, à une époque où je commençais à sortir en club, en Belgique ou à Lille. A Reims, grâce au festival Elektricity, on a vu Justice, Pedro Winter, Carl Craig, Tiga… Je suis un vrai geek de l’immatériel : je charge environ 70 morceaux par jour. Que je classe selon des rites complexes – je suis totalement maniaque. Si je rate deux semaines de blogs de hip-hop, je suis mort, désespéré. Ecouter de la musique reste la base de ma vie, de mon plaisir. Tu as établi ton nom en tant que DJ. Voudrais-tu parfois t’en échapper ? Je tourne sans arrêt, ça reste une grande part de mon métier. Depuis presque sept ans, je joue jusqu’à trois fois par week-end. Il n’y a pas vraiment de lassitude mais une certaine habitude, ce qui à terme pourrait mener à ne plus avoir la même objectivité, la même passion. Depuis deux ans, je traînais partout en tête ce projet d’album. Le studio m’a donné envie de moins voyager. Mais cela dit, si par miracle j’ai un week-end de libre, je sais que je vais m’emmerder. J’ai besoin d’être sur la route. Il y a deux ans, j’aurais même juré que c’était le seul endroit où je voulais être, je dédaignais alors le studio… Qu’est-ce qui a changé ? Pour l’album, je me suis inspiré du travail collectif de Kanye West ou de Trent Reznor avec Nine Inch Nails par exemple : des équipes avec des rôles déterminés, mais centrés sur la même vision. Et c’est strictement la mienne : ça me permet de trancher dans les propositions, de ne pas me perdre, de rester objectif. Sur Brava, je cherchais à créer une musique dont je rêvais, que j’entendais dans ma tête, qui mélangeait toutes mes influences mais qui n’existait pas encore… C’était un nouveau départ. Trouver ces invités, principalement du sud des Etats-Unis, ça a représenté des mois de traque, avec pas mal d’intermédiaires. En fin de compte, une centaine de personnes ont travaillé sur mon album, à tous les niveaux. Autant que producteur, j’ai assuré une grosse direction artistique, il y avait beaucoup de matière à triturer, trier. J’ai aussi été psychologue, régisseur, organisateur, metteur en scène. J’ai appris où j’avais envie d’aller en tant qu’artiste. A terme, d’ailleurs, je me vois bien ne plus sortir du studio, produire les autres. Pendant des années, je sentais que je n’y avais pas ma place, mais c’est devenu un défi. C’est ce côté technique, qui tue l’instinct premier, qui me pose problème en studio. Je veux pouvoir aimer de la musique sans en connaître les secrets de fabrication. Je suis très geek mais les machines ne m’impressionnent pas, je ne les collectionne pas. Comment gères-tu la pression du studio ? Il y a eu quelques tensions, plein de moments d’incompréhension entre nous et les Américains,

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“à terme, je me vois bien ne plus sortir du studio, produire les autres. C’est devenu un défi” mais ça a toujours fini en rigolade. Surtout avec les accents des uns et des autres. Mais il y a toujours un moment où le rire arrête, avec ces gars-là : on voit dans leurs yeux que la vie est très noire, qu’il y a beaucoup de tristesse, de drames. Un mec comme Bloody Jay a traversé des trucs très violents. Il nous a raconté la mort de son frère deux semaines avant, alors que luimême était en prison et avait manqué du coup la naissance de son fils. On n’est pas l’ONU, mais tout le temps passé en studio a été un répit pour eux. Tu te pinces quand tu te retrouves en studio aux E tats-Unis ? Ça va paraître très prétentieux, mais quand je me retrouve à Atlanta, je me sens à ma place. J’avais dit que je le ferais et une fois de plus, je l’ai fait. Sur Brava, j’ai explosé le quota de “faire ce dont j’ai envie” (rires)… Cela dit, je me pince quand on croise par hasard Fabo de D4L en studio et qu’il finit sur mon album. Son morceau Laffy Taffy reste l’un de mes plus gros chocs… Ressens-tu une grosse différence de culture entre toi et ces rappeurs d’Atlanta ou de Washington ? Certains mecs ont disparu pendant l’enregistrement, il y a parfois des embrouilles avec la justice. Une fois, les gars du studio étaient sortis fumer une clope devant le bâtiment… Une voiture passe au ralenti, fait marche arrière. Le gars voulait juste une cigarette. Mais ils avaient tous sorti leurs flingues. Nos vies sont très différentes mais ils ne m’ont jamais traité comme un corps étranger, il y a toujours eu un truc humain très fort. On a le même âge, la même culture musicale : ils sont sidérés que je connaisse tout ce qu’ils ont fait… A Atlanta, les rappeurs déboulaient avec quinze potes, ils voulaient voir les mecs de Paris, entendre ce son… Depuis que Jay-Z et Kanye West ont fait Niggas in Paris, Paris est devenu la nouvelle mecque. Ils nous parlaient d’euros, avaient l’impression que c’était l’Eldorado… Quand un rappeur me disait qu’il n’arriverait pas à faire ce que je lui demandais, je n’avais qu’à lui répondre ‘mais Kanye l’a fait, lui, quand je lui ai demandé’ pour qu’il revienne au micro ! En découvrant le résultat sur Us, Bloody Jay hurlait : “Vous êtes des magiciens, les mecs, je croyais que vous vouliez juste ma voix sur un beat !” Pas mal de vidéos brocardent joyeusement l’EDM (Electronic Dance Music, le nom générique pour ces musiques). C’est presque devenu un gros mot, non ? Ça touche des entrepreneurs et même des DJ qui ne s’intéressent pas forcément à la musique : c’est devenu un énorme business aux Etats-Unis, avec des festivals qui attirent des centaines de milliers de gens. Ce qui cartonne là-bas aujourd’hui ne me passionne pas : on croirait de la trance néerlandaise des années 19902000. La seule chose qui compte dans cette musique, ce sont les bras levés. Du coup, on a souffert de la sale réputation de l’EDM chez les rappeurs américains, mais les frontières sont clairement en train de bouger. Ces beats lents sont du pain bénit pour moi, car pour quelqu’un qui vient de la techno, c’est juste le même

beat divisé par deux, je maîtrise totalement le truc, facile de passer de 128 bpm à 64 bpm… C’est en découvrant ça que j’ai commencé à passer du rap dans mes DJ-sets. D’abord un titre pour finir – c’était Missy Elliott – puis deux ou trois, jusqu’à 50 % aujourd’hui. La vision de Brava, je l’ai eue aux platines. Même si ça semble moins évident, la musique de l’album reste tournée vers les clubs. J’ai d’ailleurs testé les nouveaux titres en tant que DJ et ils rendent les gens fous. Je n’apporterai peut-être plus rien dans le domaine de la musique instrumentale de club. Alors que là, j’ai l’impression d’être dans le futur. OK, Afrika Bambaataa avec Kraftwerk ou DJ Mehdi l’ont déjà fait avant nous, mais là, c’était nous, et ça marchait. Tu parles beaucoup d’échange : est-ce la philosophie du label Bromance, que tu diriges avec Manu Barron ? C’est une des philosophies. Comme apprendre en se marrant. La base du label, c’est l’amitié. Au même niveau d’importance que la musique. Chez Bromance, on fait tous à notre manière de la musique de club, avec un spectre très large. J’ai grandi avec une vraie culture mondiale, fondée sur internet : je n’ai pas la télé, je ne connais rien à la musique populaire française, même à plein d’aspects de la culture française… Ce n’est pas une fierté, mais un vrai manque. Bromance reflète ça : c’est un label international dès le départ. On ne va pas changer le monde, on doit laisser la musique ne pas se prendre au sérieux. On travaille avec légèreté, mais très sérieusement. Tu n’as jamais pensé à chanter ou rapper ? (rires)… Ah ça jamais ! J’ai trop d’amour pour le rap US pour passer de l’autre côté du micro. Deux fans de rap du MIT ont fait une étude sur cette musique du Sud : en plaçant des électrodes, ils se sont aperçus que leurs freestyles venaient de la partie du cerveau réservée normalement aux rêves. Ces rappeurs sont souvent dans un état second, possédés, qui explique l’omniprésence des métaphores, des double sens. Plusieurs fois, j’ai eu les yeux tout rouges en enregistrant leurs voix… Crois-tu à ta bonne étoile ? Non, car sinon, des choses ne se seraient pas passées. Bien sûr je suis très reconnaissant pour la vie que je mène. Mais tout ça, c’est sans doute une échappatoire à la vraie vie. Depuis que je suis gamin, je vis plus dans ma tête qu’à l’extérieur. J’ai toujours été un rêveur. Et aujourd’hui, finalement, je le vis. Le DJ Brodinski a-t-il souffert, en termes de crédibilité musicale, de sa belle gueule ? (rires)… Oui. Il y a quinze ans, ça n’aurait pas été une question, mais depuis, le DJ est vraiment passé sur le devant de la scène. Ça m’a poussé à bosser encore plus, pour prouver que je n’étais pas juste l’enfant Kinder. Chez nous, peu importe le contenant, seul le contenu compte. album Brava (Savoir Faire/Parlophone/Warner) facebook.com/brodinski

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Brodi, es-tu là ? Pour son premier album, bien que produit avec des proches (DJ Kore et Myd de Club Cheval), Brodinski est parti aux Etats-Unis pour s’entourer d’une flopée de rappeurs de l’ombre. Suivant quelle logique ? Selon quel lien entre le rap américain et la techno post-french touch qui le caractérise ? Si le garçon n’avait jamais touché au format album, son CV déroule un large panel d’ep, de collab et de remixes, et surtout l’expérience des clubs et des tournées. Ainsi a-t-il pu constater au fil des ans qu’en matière de dance-floor, le hiphop rendait les gens fous ; qu’un flow, un gimmick

ou une prod maligne pouvaient concurrencer un tunnel à 128 bpm ; que, peut-être, il y avait certains rapprochements à penser, à mettre en œuvre. Proche de DJ Mehdi avant sa mort tragique, Brodinski s’est familiarisé avec cette esthétique si lointaine, mais aux ambitions si proches. Quelques années plus tard, et après avoir coproduit deux morceaux du Yeezus de Kanye West, le voici avec les idées claires sur le rap US : il y consacre son premier long format avec un casting pas tape-à-l’œil, mais gonflé à bloc. On retrouve ainsi la voix de SD, figure massive de la scène drill de Chicago, sur un

single bien violent qui ouvre l’album. Une violence présente aussi sur le dernier morceau, All on Me, en feat. avec Shitro. Entre les deux, ça se calme avec Georgi Kay sur Follow Me Pt. 1, ou encore ILoveMakonnen sur Interviews (peut-être le meilleur morceau de l’album). A noter la participation de Fabo, ancien leader de D4L, ainsi que les promesses du mouvement New Atlanta en la présence de Bloody Jay ou Peewee Longway. Leurs flows sont lourds et distordus, tapageurs, parfois dissonants : un écho calibré aux coups de massue rythmiques de Brodinski. On le reconnaît bien là. Maxime de Abreu 25.02.2015 les inrockuptibles 47

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maxi Driver

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n associe généralement l’acte de naissance médiatique de Lena Dunham à une scène particulière du premier épisode de sa création Girls dans laquelle elle lance cette phrasemanifeste : “Je crois que je pourrais être la voix de ma génération… ou au moins une voix, d’une génération.” Dans le cas d’Adam Driver, son boyfriend et principal rôle masculin dans la série, la scène fondatrice se situe plutôt à la fin de la deuxième saison. Son personnage est alors seul, chez lui, lorsqu’il reçoit un appel au secours de sa copine paniquée, en pleurs. Torse nu, le corps couvert de sueur, il s’élance dans les rues de New York, esquivant les voitures et enfonçant les portes pour aller sauver sa belle, dans ce qui sera l’un des sommets romantiques de la série. Tout Adam Driver est résumé au cœur de cette courte scène : son jeu intense et sans affèterie, son hypersensibilité, sa nature imprévisible, déroutante, et ses manières hors norme. Son physique étrange, aussi, “variablement beau et laid, immense et petit, inquiétant et fragile”, note le cinéaste italien Saverio Costanzo, qui a dirigé l’acteur dans son nouveau film, le drame Hungry Hearts. “Adam n’a pas le visage des mecs ordinaires d’Hollywood, il n’est pas parfait, poursuit le photographe James Lawler, qui fut l’un des premiers à faire jouer l’acteur dans son court métrage Archangel en 2010. Il a une beauté asymétrique, une gueule bizarre, qui reste longtemps en mémoire.”

Cette singularité, associée à un magnétisme assez hallucinant, est sans doute la raison qui explique la fulgurante ascension du gars Driver. En à peine trois ans, l’acteur est passé de second rôle d’une série télé HBO à l’un des noms les plus courtisés d’Hollywood, multipliant les apparitions chez les plus grands auteurs américains, toutes générations confondues. Il a joué pour Spielberg (Lincoln), les frères Coen (Inside Llewyn Davis), Noah Baumbach (Frances Ha, bientôt While We’re Young), Jeff Nichols (Midnight Special, en postproduction) ou encore J. J. Abrams, qu’il a rejoint pour le nouveau Star Wars, l’un des blockbusters les plus attendus de l’année. Actuellement sur le tournage du prochain Scorsese, le film historique Silence dans lequel il incarne un missionnaire chrétien persécuté dans le Japon du XVIIe siècle, Adam Driver semble un peu hésitant au moment d’évoquer le phénomène qui l’entoure. “Hum, ouaip, je suis chanceux, nous dit-il au téléphone, avec sa fameuse voix grave et saccadée. Sérieusement, c’est un privilège de jouer pour des auteurs qui correspondent à l’idée que je me fais de ce métier. Bosser sur des projets hollywoodiens où tout est mécanique et casual ne m’intéresse pas. Je préfère aller vers des artistes qui ont un rapport sensible au cinéma. Scorsese ou Spielberg, ce sont des mecs qui pensent chaque détail de leurs films, même s’ils n’agissent pas comme s’ils avaient réponse à tout. Et c’est pareil avec Noah Baumbach, que je considère comme un pur génie. Il a une vision très précise de ce qu’il fait.”

Jeff Vespa/Contour by Getty Images

Révélation masculine de la série Girls, Adam Driver est le nouveau (et étrange) visage en vogue dans le cinéma US. Une drôle de destinée pour cet enfant sauvage du Midwest. par Romain Blondeau

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Jojo Whilden/HBO

Christie Mullen/Bac Films

Fuck buddy sauvageon tout le temps à poil dans la saison 1, il devient peu à peu un petit ami cool pour Lena Dunham dans Girls (2012)

Pour l’Italien Saverio Costanzo, la théorie de la chance ne suffit pas à expliquer le succès récent d’Adam Driver. Au moment de faire le casting de son dernier film, il a vite compris le mode de fonctionnement du jeune acteur : “J’ai couru pendant quatre mois après lui, explique le cinéaste. Lorsqu’on a finalement organisé une rencontre, son agent m’a dit : ‘Je te préviens, il est très, très exigeant.’ Et je crois qu’Adam a toujours eu cette exigence. Même s’il ne l’avouera jamais, il a une immense ambition. Il ne fait pas un film par hasard, pour des raisons de fric ou de prestige. Choisir ses films est quasiment un geste politique pour lui. En fait, il a une idée très européenne de la fonction d’acteur. Ce qui est paradoxal lorsque l’on connaît son parcours. Adam vient quand même du cœur le plus profond des Etats-Unis. C’est American Sniper d’Eastwood, son histoire...”

“il me fait penser à De Niro ou Sean Penn, ce genre de tempéraments un peu cash, naturels, impolis. Zéro bullshit” le réalisateur Saverio Costanzo

RT Features

Dans Frances Ha de Noah Baumbach (2012), il est le roommate fêtard de Greta Gerwig

Costanzo exagère à peine : élevé dans un trou paumé du Midwest par une famille ultrareligieuse (le beau-père est un prêtre baptiste), Adam Driver semblait destiné à une toute autre vie que le cinéma. Pas vraiment doué pour les études, il traverse sa jeunesse comme un cliché de misfit américain, entre les virées à motos, la bouteille et les soirées à se battre dans un fight-club qu’il a monté avec quelques potes à l’arrière d’une église de quartier. “On ne connaissait rien d’autre, se souvient-il. A part se bourrer la gueule et aller au mall, il n’y avait pas d’échappatoire pour les ados là d’où je viens. Le seul rapport que j’avais avec le monde extérieur, c’était une boutique de location de vidéos où j’allais souvent. Je voyais tout : les vieux westerns, les films d’Eddie Murphy, ceux de Scorsese, les classiques américains. Et puis je découvrais l’Europe grâce aux films de Bertolucci.” Instinctivement attiré par la comédie, Adam Driver joue quelques pièces de théâtre au lycée et pense un instant faire carrière au cinéma. Mais l’histoire le rattrape. Le 11 septembre 2001, à presque 18 ans, il assiste à l’effondrement des Twin Towers, et s’engage dans l’armée pendant deux ans : “Comme d’autres mecs de mon âge, je me suis découvert un sentiment patriote, raconte-t-il. Je voulais aller défendre mon pays, alors j’ai rejoint les Marines. Mais une fois dans l’armée, vos perceptions changent : la politique devient secondaire, vous voulez surtout faire la guerre pour défendre vos potes, les mecs avec qui vous servez.” A quelques semaines de partir en Irak, envoyé dans la base de Pendleton en Californie, il se blesse et voit son désir de guerre compromis. “J’étais dévasté. En revenant dans l’Indiana,

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En père inquiet pour son nouveau-né souffrant de carences alimentaires dans Hungry Hearts de Saverio Costanzo (2014)

je ne savais plus quoi faire. J’ai enchaîné les petits jobs et je me suis dit : merde, autant revenir à ma première idée et tenter le cinéma. New York me semblait être le meilleur endroit pour ça, j’ai fait mes bagages et j’ai été pris à Juilliard (une prestigieuse école d’art dramatique – ndlr).” Encore aujourd’hui, il évoque avec un peu de regret son faux départ pour le front, même s’il botte en touche lorsqu’on l’interroge sur le bilan contesté de la guerre d’Irak : “Je ne parle pas de politique, dit-il. J’ai encore les mêmes valeurs, oui, mais disons que mon patriotisme est plus mature, moins binaire.” De son expérience militaire, Adam Driver aura retenu un sens de la discipline quasi obsessionnel et une approche purement physique du cinéma. “Il n’est pas du genre à théoriser ce qu’il fait, témoigne l’Italienne Alba Rohrwacher, sa partenaire dans Hungry Hearts. Il arrive sans filtre sur un plateau de tournage, tel qu’en lui-même. Adam a un rapport primal, instinctif à ses rôles.” Interroger l’acteur sur sa filmographie ou ses méthodes de jeu relève alors d’un difficile exercice de contorsion : il évacue les questions et se définit presque comme un mercenaire, un type “qui fait le job”. “Vous n’obtiendrez rien de lui, s’amuse le réalisateur Saverio Costanzo. Adam fait partie de ces acteurs qui s’abandonnent complètement sur un plateau, mais pour qui plus rien n’existe après. Il m’a révélé qu’il n’avait jamais vu un seul de ses films, et qu’il n’en verra sûrement jamais. Pendant le tournage, je me souviens qu’il refusait même que je lui montre les rushes sur le moniteur. Il me fait penser à Robert De Niro ou Sean

Universal Pictures

RT Features

En chanteur folk sixties au côté d’OscarI saac et Justin Timberlake dans Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen(2013)

Penn quand ils étaient jeunes, ce genre de tempéraments un peu cash, naturels, impolis. Zéro bullshit.” Et personne mieux que Lena Dunham n’aura su saisir le naturel animal d’Adam Driver. Entre la socialite new-yorkaise et l’enfant sauvage du Midwest, un rapport de confiance et d’intimité s’est installé dès la première rencontre. “J’étais sorti de Juilliard depuis un an lorsque je me suis retrouvé au casting de la série, devant cette fille qui parlait vite et semblait avoir une réelle intuition artistique, rembobine l’acteur, admiratif. Lena a créé un univers très identifié avec Girls. On peut y adhérer ou pas, mais je suis fasciné par sa manière de ne faire aucune concession. Elle est l’une des seules à écrire des rôles féminins aussi complexes.” Sur son personnage d’Adam, un géant taciturne et impulsif qui entretient un rapport névrotique aux autres, l’acteur se fait un peu plus réservé. “Je ne me retrouve pas dans tout ce qu’écrit Lena, mais c’est sa création, et je n’ai aucun mot à dire, nous répond-il lorsqu’on l’interroge sur certaines scènes de baise polémiques de la saison 2, dont une qui a fait couler beaucoup d’encre (un rapport sexuel violent dans l’épisode On All Fours). Au même titre que les filles du show, Adam n’est pas blanc ou noir, ce serait réducteur de le définir d’un trait. Je le vois plutôt comme un personnage tridimensionnel. Et puis il évolue aussi. J’ai l’impression qu’il devient moins opaque et moins sombre au fil des saisons.” Mais l’acteur ne peut pas en dire plus : il n’a jamais vu un épisode de Girls en entier. lire aussi la critique d’Hungry Hearts p. 68 25.02.2015 les inrockuptibles 51

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Courtesy Eric Rondepierre, galerie Isabelle Gounod, Paris

la revanche des spectateurs Chacun à leur manière, les artistes plasticiens David Claerbout et Eric Rondepierre tentent de déjouer l’impact du cinéma sur nos vies. Et cherchent au passage de nouvelles manières de voir. par Jean-Max Colard 52 les inrockuptibles 25.02.2015

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Eric Rondepierre, DSL no 2, 2010

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n pourrait commencer par cet accident de la route. Ou plutôt cette épave d’une Ford Anglia des années 40 abandonnée sur le bas-côté, scrutée par trois enfants et un soldat allemand. Sur l’écran, on voit cette voiture de face, mais aussi de côté, du dessus, sous plusieurs angles, avec l’impression que la caméra tourne autour du véhicule en panne – mais non, ce n’est pas du film, juste une succession d’images arrêtées. Puis le cadre de ces photographies s’élargit, et l’on aperçoit, sur l’autoroute bloquée par des ambulances et des

voitures de secours, d’autres témoins de cet accident, mais appartenant à notre époque : des pompiers, un homme en T-shirt et en jean, un couple sorti d’une Mazda noire qui tente d’apercevoir les raisons de l’embouteillage. Etrange situation, étrange télescopage des temps, comme si ces gens assistaient au désastre de l’histoire. Comme si les spectres de 39-45 venaient se crasher sous nos yeux (voir pages suivantes). “Cette œuvre n’est pas habitée par son urgence, commente l’artiste David Claerbout, auteur de la vidéo Highway Wreck (2013), bien au contraire : sa source est une photographie noir et blanc vieille de plus de soixante-dix ans.” Et par ce choc des époques, par son dispositif

d’images arrêtées, Highway Wreck se propose de “désarmer le spectacle” devenu cinématique de nos existences. Des accidents, l’artiste français Eric Rondepierre en a repéré beaucoup sur les milliers de films qu’il a visionnés depuis trente ans. Au début des années 90, il relève ici un décalage amusant ou troublant entre le fond noir d’un écran et son sous-titrage (“J’éteins ? – Non…”). Puis, passant des heures à scruter des films image par image pour y trouver des anomalies (“il faut quinze jours, précise-t-il, pour voir un long métrage, à raison de 8 heures par jour”), il aperçoit comment le surgissement d’un générique de film mange l’œil, la bouche ou le visage tout entier d’un acteur. 25.02.2015les inrockuptibles 53

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Courtesy Frac Auvergne

Dans la vidéo Highway Wreck de David Claerbout (2013), des personnes coincées dans un embouteillage sont sorties de leur véhicule pour regarder une voiture accidentée sur le côté de l’autoroute, entourée d’ambulances, de pompiers et de secouristes. Spectateurs contemporains d’une épave venue de la Seconde Guerre mondiale. Montage cinématographique de photographies, l’œuvre organise un sidérant télescopage des époques.

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Courtesy Eric Rondepierre, galerie Isabelle Gounod, Paris

Plus tard, c’est en visionnant à Washington, à Bologne, des bobines de films muets atteintes par la corrosion qu’il retient des séquences où les corps sont attaqués, rongés, déformés, irradiés. Plus récemment, c’est en regardant les films sur son ordinateur qu’il enregistre ces moments où la connexion ADSL brouille l’image, donnant lieu à de nouvelles anomalies visuelles : en trente ans, l’artiste a ainsi élaboré un vrai “précis de décomposition”. A son sujet, le philosophe Jacques Rancière parle justement d’une “revanche du spectateur”. Commentant ces monstrueuses anamorphoses

recueillies “au prix de mois passés dans les sous-sols des cinémathèques, armé d’une visionneuse bricolée” pour en retenir des images arrêtées, il fait cette hypothèse : “C’est une anti-histoire du cinéma qu’Eric Rondepierre déploie dans ses photographies.” Parmi les nombreux artistes qui travaillent aujourd’hui sur ou d’après le cinéma, en voilà donc deux, absolument majeurs, profondément nourris de cinéma, qui prennent tous deux leur revanche sur le septième art. L’un est belge, David Claerbout, né en 1969, a installé ses studios de production

à Anvers et expose au Frac Auvergne de Clermont-Ferrand une impeccable rétrospective ; l’autre est français, Eric Rondepierre, né en 1950, basé à Paris. Peu nous importe qu’ils ne soient pas vraiment dans la même économie de l’art aujourd’hui : si Rondepierre n’atteint pas la même cote que Claerbout sur le marché de l’art, la liste impressionnante de ceux qui se sont penchés sur son œuvre (de l’historien Daniel Arasse au philosophe Jacques Rancière en passant par Pierre Guyotat) signale en douce l’importance d’une œuvre qui nous revient aujourd’hui avec une double exposition à la Maison européenne de la photographie

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“dans ma génération, nous ne sommes pas des inventeurs, mais des éditeurs. Nous travaillons dans une logique d’appropriation des images” David Claerbout

Eric Rondepierre, DSL no 4, 2011

et à la Maison Bernard-Anthonioz de Nogent-sur-Marne. Quant à Claerbout, souvent exposé dans les plus puissantes galeries et fondations privées, il tient à s’autoproduire entièrement, pour garder le contrôle sur ses… comment dire, images animées, ou films arrêtés, ou tableaux vivants ? Car tout se joue dans ce trouble de la vision, à coup de créations photo-vidéonumériques fabriquées dans son studio, du casting au montage, comme dans la sidérante vidéo Oil Workers montrant un groupe d’ouvriers qui attendent sous un pont la fin de la pluie, inspirée par une photo de presse ensuite

entièrement recomposée et postproduite. “Dans ma génération, nous ne sommes pas des inventeurs, mais des éditeurs. Nous travaillons dans une logique d’appropriation des images.” Mais pourquoi cette “revanche de spectateur”, pourquoi se retourner ainsi sur le septième art, surtout quand celui-ci est inquiété par d’autres régimes d’images venus de la télé ou du net ? Si l’un cherche donc à “désarmer le spectacle” (Claerbout), si l’autre retourne vers le cinéma sa puissance de dévoration (Rondepierre), c’est en raison de la force historique et massive acquise par le cinéma, devenu notre

manière de voir, de raconter, de lire, et qui s’est infiltré jusque sur l’écran intérieur de nos rêves. L’invention d’un nouveau regard ne peut se faire que dans la décomposition de l’œil cinématographique. David Claerbout jusqu’au 10 mai au Frac Auvergne, Clermont-Ferrand. Catalogue d’exposition, 22 € Eric Rondepierre Images secondes jusqu’au 1er mars à la Maison d’art Bernard-Anthonioz, Nogent-sur-Marne, et jusqu’au 5 avril à la Maison européenne de la photographie, Paris IVe Images secondes (Editions Loco), textes de Catherine Millet et Jacques Rancière, 224 pages, 400 illustrations, 55 € 25.02.2015les inrockuptibles 57

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l’anti-voyage en Italie Quels outils puiser en nous pour résister à la violence du monde ? Deux ans après Les Renards pâles, Yannick Haenel signe un nouveau roman politique, Je cherche l’Italie, inspiré par quatre années passées au pays de Berlusconi. par Nelly Kaprièlian photo Hervé Lassïnce pour Les Inrockuptibles

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annick Haenel, c’est une allure d’éternel jeune homme, une douceur, une gentillesse rare qui émanent de sa personne. On pourrait le croire retranché du monde, un romantique perdu dans ses idéaux, confiné dans sa bibliothèque. Il est tout le contraire. A peine arrivé à notre rendez-vous, il attaque : “Il y a eu trois cents morts à Lampedusa, et personne n’en a parlé à part Mediapart. Ça m’obsède. L’Union européenne avait mis en place le plan Mare Nostrum, mais ils l’ont supprimé. Depuis, il y a eu un millier de morts en un an. Lampedusa est le nom d’une infamie européenne. Le roman tourne autour de ce mot.” Je cherche l’Italie est une forme d’anti-voyage en Italie. Non pas le récit d’un crétin des Alpes qui s’extasie devant les paysages et des lasagnes, mais un geste littéraire hors genre, une méditation autour de la question du politique. Après les polémiques qu’avait suscitées son Jan Karski en 2009, violemment attaqué par Claude Lanzmann, mais aussi premier succès en librairie de l’auteur de Cercle, Yannick Haenel décide de s’installer à Florence avec sa compagne (qui est italienne). Il y passera quatre ans et y écrit Les Renards pâles, un roman manifeste, imaginant une communauté de sans-papiers menant Paris à l’émeute. A Florence, il se promène, redécouvre Fra Angelico, côtoie des sans-papiers sénégalais sous l’emprise de la Mafia, n’en peut plus de voir Berlusconi partout dans les médias, et se met à écrire ce récit minimal, sous l’influence de Bataille, déambulation aussi géographique que mentale en forme de ressassement : “Je voulais parler de l’infamie politique. Berlusconi, c’est un masque qui représente l’horreur économique contemporaine. Et aujourd’hui, Matteo Renzi, ce n’est pas mieux : c’est l’homme de paille des oligarchies, comme il y en a dans tous les pays européens. L’Italie me faisait penser à la Black Lodge à la fin de Twin Peaks de David Lynch : le nain grimaçant derrière le rideau rouge, qui représente le mal. Sauf qu’ici le rideau rouge, ce sont des murs peints par Fra Angelico, et ce rapport entre la beauté et l’horreur m’intéressait.”

“la solitude dont je parle, c’est celle de quelqu’un comme moi qui s’est dépolitisé depuis 2002, quand je n’ai pas voulu choisir entre Chirac et Le Pen”

Comment résister face à l’horreur du monde, ne pas se laisser broyer ni accepter de subir ? Si Les Renards pâles mettait en place une communauté, Je cherche l’Italie érige la solitude, le silence, la poésie comme outils de résistance intime. Pas pour autant de repli dandy sur soi, d’apologie de la tour d’ivoire, mais un homme qui écrit comme on dresse un barrage contre le mensonge de la langue politique et la propagande du marché. “Kafka dit qu’il cherche une terre de frontière entre solitude et communauté dans la littérature. La solitude dont je parle, c’est celle de quelqu’un comme moi qui s’est dépolitisé depuis 2002, quand je n’ai pas voulu choisir entre Chirac et Le Pen. Cette élection a été un moment fondateur, c’est l’histoire de notre génération. La question que pose mon livre est : y a-t-il de l’indemne, du non-damné ? Il y a l’amour, bien sûr, il y a aussi l’art, les œuvres les plus vieilles que je passais mon temps à visiter, car elles constituent un moment vivable dans l’invivable. J’ai cherché à multiplier ce lieu où la poésie et le politique se retrouvent. Un point, en soi, où la société dans ce qu’elle a de pire n’a pas de prise sur nous.” Il se voit bien continuer à écrire des romans politiques parce que “si la littérature s’extraie de la violence du monde, elle ne peut qu’être nigaude”. Yannick Haenel est revenu en France, dont il dit redécouvrir le dépressionnisme ambiant : “En Italie, il n’y a même plus d’hypocrisie au sujet de la République, mais en France, oui. J’étais prof pendant quinze ans dans les banlieues à Paris, mais je me souviens que dans les collèges du Val d’Argenteuil, à Mantes-la-Jolie, dans les années 90, je devais déjà affronter sans cesse des questions religieuses avec les enfants, qui étaient pour la plupart musulmans. La question de la République, là, était désintégrée. Il y a une question politique fondamentale que nous devrions nous poser : la France est-elle un lieu où toutes les populations peuvent se sentir à égalité ? La preuve que non. Après, dire qu’il faut croire en la République, c’est hypocrite. Je comprends Houellebecq qui dit que la République est morte. Mais c’est très difficile à dire. Car si on le dit, on a l’air d’être d’extrême droite. En France, il y a un problème avec les colonies qui n’est pas réglé. Maintenant, on stigmatise les musulmans, mais ce sont des prolétaires. Or il n’y a jamais eu de débat sur la vie des immigrés ici.” Je cherche l’Italie (Gallimard/L’Infini), 208 pages, 17,50 €

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Paris, février 2015

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Photo Brian Duffy. Courtesy Brian Duffy Archive & The David Bowie Archive ® 2012

David Bowie sur le tournage du vidéo clip Ashes to Ashes, 1980

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starman

Après des débuts triomphaux à Londres il y a deux ans, l’expo David Bowie Is poursuit son tour du monde à Paris dans le prestigieux cadre de la Philharmonie. Plus qu’une rétrospective : un fulgurant résumé de la pop-music, de la pop-culture. par Christophe Conte

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xposition. En anglais : exhibition. Personne d’autre que David Bowie, aucune pop-star, aucune star tout court, n’aura autant mérité d’être exposée, exhibée sous toutes les coutures. Exposer la musique est peut-être un non-sens, et les précédentes tentatives (Gainsbourg, Dylan, Lennon, Miles Davis, etc.) ont souvent laissé le visiteur/voyeur sur sa faim. Mettre en musique des tableaux ou des sculptures ne donnerait pas de résultats plus exaltants. David Bowie Is, exposition itinérante inaugurée en 2013 au Victoria & Albert Museum de Londres et qui débarque cette semaine à Paris, est d’un autre calibre. Déjà en raison de son lieu d’accueil, cette nouvelle Philharmonie somptueusement mégalo, vaisseau futuriste qui semble s’être posé sur terre spécialement pour l’occasion. Ensuite et surtout parce que Bowie, depuis cinquante ans, reste l’objet shakespearo-warholien d’une “étrange fascination” jamais assouvie, de plus en plus intense avec le temps, et qu’au-delà de sa photogénie de type extraterrestre, de sa nature transformiste, de son œuvre multisensorielle, David Bowie est. Ce titre génial, énigmatique, avec ses points de suspension invisibles,

son invitation à compléter soi-même, ou à l’inverse son affirmation abrupte (Il EST, un point c’est tout), traduit bien le caractère hors norme, extramusical, du sujet. Et comme le principal intéressé a joué à plein de son absence au cours des dernières années, comme il est partout sans être nulle part, l’excitation n’en est que démultipliée. Le succès de l’exposition de Londres fut phénoménal, avec plus de 300 000 visiteurs en moins de six mois, bénéficiant il est vrai de la sortie, à l’époque, d’un inespéré nouvel album de Bowie, The Next Day, son premier depuis dix ans. Partout où elle est passée ensuite (São Paulo, Chicago, Berlin), elle a remis Bowie au centre des vies de chaque visiteur, elle a actionné en chacun un curseur émotionnel, un flash égoïste, une image miroir, un “David personnel”, et fait résonner des dizaines de chansons immortelles, que l’on soit fan de Hunky Dory ou de Let’s Dance, plutôt Major Tom, Ziggy Stardust ou Thin White Duke. Un documentaire d’une heure trente tourné au Victoria & Albert Museum de Londres, qui sera projeté au cinéma durant l’exposition parisienne, propose, outre une visite filmée de l’expo, de nombreux témoignages d’anonymes qui éclairent autant de parcelles du mythe Bowie. Un homme kaléidoscope dont l’image se modèle différemment 25.02.2015 les inrockuptibles 61

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Courtesy The David Bowie Archive ® 2014

Vue de l’installation David Bowie Is : ici la tenue dans laquelle il interprétait Starman lors de son fameux passage à Top of the Pops en juillet 1972

dans la rétine et la mémoire de chacun. Moins un caméléon, comme on le dit souvent par paresse, ce qui supposerait qu’il s’est fondu dans les paysages ou décors environnants alors qu’il a souvent contribué à les créer. S’il fallait toutefois retenir un moment zénithal – tous les Britanniques en âge de l’avoir vécu en direct s’en souviennent aussi précisément que des premiers pas de l’homme sur la Lune –, c’est ce passage à Top of the Pops en juillet 1972, l’un des documents centraux de l’expo.

Courtesy The David Bowie Archive ® and Victoria & Albert Museum

David Bowie et William Burroughs, février 1974. Photo de Terry O’Neill mise en couleur par David Bowie

Ce jour-là, la star poil de carotte en tenue martienne interprète Starman, provoquant dans la seconde une fracture générationnelle ouverte entre les vieux conservateurs outrés et leurs enfants, qui en restèrent bouleversés à vie. La gestuelle calculée de cet homme qui venait d’ailleurs, lorsqu’il pointe son doigt vers la caméra comme pour désigner derrière le poste ceux qu’il souhaite embarquer avec lui, marquera durablement les esprits. Jarvis Cocker, dans le documentaire, explique par exemple qu’à Sheffield, ville industrielle plutôt virile, Bowie dès cet instant servit de parapluie à tous ceux qui se sentaient différents, en marge, sexuellement indécis ou émotionnellement fragiles. Le chanteur de Pulp rappelle aussi ce phénomène corollaire, quand dans l’Angleterre des seventies commencèrent à fleurir partout des “Bowie nights”, des soirées genre boum où chacun pouvait se laisser aller à toutes transgressions vestimentaires, chorégraphiques ou affectives que la morale réprouvait le reste du temps. Des moments clés comme celui de Top of the Pops, ceux où Bowie contribua à changer le monde, musicalement comme sociologiquement ou visuellement, l’exposition en inventorie des dizaines à travers des croquis de pochettes de disques, des story-boards futuristes, des films, des fétiches, d’hallucinants costumes – une soixantaine, de Kansai Yamamoto à Alexander McQueen – qui symbolisent autant de ruptures radicales dont chacune ou presque eut un impact déflagrant. Moins spectaculaires, les manuscrits des textes de chansons sont pourtant le vrai trésor de cette

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Bowie a archivé toute sa prodigieuse odyssée, comme s’il avait eu la certitude qu’il allait marquer son temps rétrospective, notamment parce que la graphie de Bowie subit elle aussi des métamorphoses selon les périodes, passant d’arrondis presque enfantins, voire de ronds sur les “i” comme dans les journaux intimes des jeunes filles, à des moments de raturages convulsifs plus intenses. Bowie a considérablement facilité la tâche de ses futurs exégètes et des curateurs de cette exposition en archivant, depuis ses débuts, tout ce qui concerne les différents chapitres de sa prodigieuse odyssée, comme s’il avait eu dès le départ la certitude qu’il allait de façon exceptionnelle marquer son temps. Plus de 75 000 objets, photos ou manuscrits sont ainsi répertoriés et stockés dans un entrepôt à New York, et la plupart des pièces maîtresses de David Bowie Is proviennent de là – même si Bowie n’a pas officiellement validé (ni visité) cette cathédrale pop érigée en son honneur. L’une des plus belles découvertes concerne pourtant l’un des albums mineurs parmi le presque sans-faute des seventies, Diamond Dogs, dont Bowie avait envie de faire un film autour du personnage d’Halloween Jack et de la ville de Hunger City inspirée de George Orwell et du Metropolis de Fritz Lang. Tous les croquis minutieusement annotés, ainsi que les bases du scénario sont exposés, mais les organisateurs ont également pris la liberté de demander à un spécialiste de l’animation, Zsolt Balogh, de reconstituer un film à partir du story-board dessiné par la main du chanteur.

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Malgré les nombreuses astuces scénographiques, comme les reconstitutions d’atmosphère du Soho des années 60, avant et après que David Jones se soit métamorphosé en Bowie, ou du Berlin de la période Low-HeroesLodger qui demeure l’une des plus photogéniques, l’exposition évite le piège de la gadgétisation. Elle offre aussi une vue en coupe de la généalogie bowiesque en évoquant de façon subtile sa descendance pléthorique mais surtout ses principales influences : le danseur et chorégraphe Lindsay Kemp, qui lui enseigna l’art du mime ; Andy Warhol, qui lui offrit en primeur l’acétate du premier Velvet Underground et lui servit de modèle dans l’art de se mettre en scène ; William Burroughs, qui l’initia à la technique du cut-up ; ou encore Brian Eno et son jeu de stimulation Stratégies obliques. Pour la venue en France de l’exposition, des aménagements spécifiques ont été prévus, comme l’explique la commissaire Victoria Broackes : “Nous avons récupéré des documents liés à ses enregistrements au Château d’Hérouville – notamment le livre d’or du studio. Et aussi des pochettes qui n’existent qu’en France… Nous avons travaillé main dans la main avec la Cité de la Musique, ils ont immédiatement saisi l’importance de respecter l’intégrité de l’exposition, de toute la réflexion sur l’espace et le son. Mais nous avons dû nous adapter à ce nouveau lieu, à la culture française aussi. Ils nous ont demandé qu’il y ait plus de textes

présentés, des mises en perspective par rapport au glam-rock ou à MTV par exemple. Il a fallu faire une entorse à nos règles très strictes, mais en France, vous aimez bien théoriser, non (rires) ?” La Philharmonie est l’un des rares lieux suffisamment vastes pour accueillir notamment la dernière salle de l’exposition qui évoque Bowie sur scène à travers un monumental mur d’écran, où tout l’art de l’homme kaléidoscope (y compris ses plus vilaines incarnations des eighties) scintille comme le totem d’une certaine culture du XXe siècle, et un peu du XXIe. Et aussi des prochains millénaires. Cette culture dont David Bowie est. propos de Victoria Broackes recueillis par JD Beauvallet David Bowie Is à la Philharmonie de Paris, Paris XIXe, du 3 mars au 31 mai à voir le film David Bowie Is de Hamish Hamilton sera diffusé les 12 mars et 1er juin à 20 h dans plus de 100 salles du réseau Pathé Live et pendant toute la durée de l’expo au Luminor Hôtel de Ville, Paris IVe à lire le (superbe) catalogue en édition française (Michel Lafon), disponible sur les inrockstore en kiosque notre non moins superbe hors-série David Bowie : ses racines, ses disques, ses collaborateurs, son look, son influence, des entretiens…

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Birdman

d’Alejandro González Iñárritu Dans un plan-séquence unique et virtuose, les ruminations existentielles mi-amères, mi-cocasses d’un acteur passé d’un fameux rôle de superhéros à Broadway.



aurait-il une tendance des BO à base de percussions ? Après l’horrible Whiplash, cet impressionnant Birdman est lui aussi rythmé, presque conduit, par des accélérations, freinages et syncopes de batterie. Cette BO percussive n’est pas le seul attribut notable du nouveau film d’Iñárritu. A l’instar de La Corde ou de L’Arche russe, Birdman se déploie dans le souffle d’un unique plan-séquence (ou dans son illusion). Arrêtons-nous un instant sur cet exploit technique. Hitchcock avait créé son film-plan-séquence dans le cadre d’un lieu unique et limité : un salon d’appartement new-yorkais. Il avait pensé à tout, le mouvement des nuages par la fenêtre, les lumières qui baissent au fur et à mesure de la soirée, mais il restait tributaire de la lourdeur des tournages en 35 mm, recourant au stratagème du gros plan/fondu au noir pour les changements

de bobines toutes les dix minutes. Sokourov avait lui exploité les ressources mobiles et illimitées du numérique en promenant sa caméra légère à travers les dizaines de pièces et couloirs du musée de l’Ermitage. Iñárritu pousse encore plus loin l’extension du domaine de la caméra avec son plan-séquence presque aussi libre que l’air, qui se faufile à travers toutes les pièces, coursives, coulisses, étages, cintres d’une salle de théâtre de Broadway, et jusque dans la rue, les bars, toits et immeubles voisins. Il faut l’admettre, on est saisi, souffle souvent coupé, par la virtuosité de cette caméra fluide, labile, passe-muraille, qui semble branchée sur le pouls d’un théâtre et d’un quartier de New York en se riant des murs, ou de notions telles que le dedans et le dehors. Cette caméra omnisciente est à l’aune de notre époque de transparence où, sous la pression des possibilités technologiques, l’intimité, le privé, le secret reculent face au tout-visible.

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une énergie carnassière invraisemblable, qui emporte tout, bien aidée par la performance hallucinante de Michael Keaton MichaelK eaton et Edward Norton

Cela précisé, Birdman ne se réduit pas à une performance technico-visualo-sportive, aussi impressionnante soit-elle. Le “Birdman” en question, c’est le superhéros hollywoodien qui a jadis valu richesse et célébrité à l’acteur Riggan Thomson, joué par Michael Keaton. Toute ressemblance entre l’acteur et son double, entre Birdman et Batman, entre Keaton et Riggan, etc. Détail amusant, Riggan semble doué dans la vie des superpouvoirs de Birdman, comme par exemple léviter, voler, faire bouger des objets à distance… Mais à l’instar du Vincent de Thomas Salvador, ses superpouvoirs ne lui sont d’aucune utilité. Riggan Thomson n’aspire qu’à une chose : briller dans une pièce de Raymond Carver, jouir des éloges de la critique new-yorkaise, troquer sa gloire de superhéros contre une trace artistique prestigieuse et durable. Après l’argent du beurre, Riggan Thomson voudrait le beurre, voire le cul de la crémière (et de la critique). Le film colle au train de Riggan pendant les quelques jours précédant la grande première : répétitions, changement de partenaire acteur, pressions de son agent, junkets avec la presse, défilé des anciennes maîtresses, confrontation avec sa fille, débats sur les avantages et inconvénients de la célébrité 2.0, conflit interne entre Riggan-Carver et Riggan-Birdman… En quelques heures et quelques mètres carrés sont condensés et concentrés tous les rêves, désirs, échecs, cauchemars,

paradoxes publics et privés d’un acteur –  et au-delà, de tout quinqua ou sexagénaire qui sent que les potentialités de son avenir se réduisent et qui cherche désespérément, urgemment, un sens à son existence. Car si Riggan a été un super Birdman, il a été un mari médiocre, un amant veule, un père nul, et un acteur… justement, il ne sait pas et c’est ce qu’il cherche à étalonner à travers la pièce de Carver. Il y a dans Birdman une dimension bling-bling, extravertie, “m’as-tu-vu”, consubstantielle au style d’Iñárritu, et qui souvent agace chez lui, mais il faut reconnaître aussi le côté pile de ces défauts : une énergie carnassière invraisemblable, qui emporte tout ici, bien aidée par la performance hallucinante du sosie de Julien Lepers, déployant toute son artillerie d’acteur chevronné avec une puissance et une jouissance très contagieuses (les autres, Norton, Watts, Stone… sont tous très bien aussi, mais la dynamo centrale, c’est Keaton). Et puis pour une fois qu’Iñárritu ne nous sert pas son humanisme Benetton surligné à la truelle mais dédie toute ses forces à une réflexion acide sur la culture, la célébrité et les métiers du spectacle, c’est bon à prendre. Pas bégueule, on prend. Serge Kaganski Birdman d’Alejandro González Iñárritu , avec Michael Keaton, Naomi Watts, Edward Norton, Emma Stone (E.-U., Can., 2014, 1 h 59) 25.02.2015 les inrockuptibles 65

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Annie de Will Gluck avec Jamie Foxx, Quvenzhané Wallis (E.-U., 2014, 1 h 58)

La Duchesse de Varsovie de Joseph Morder

Dans un Paris en décors stylisés à la manière de Resnais, un jeune peintre avance à pas feutrés dans le passé de sa grand-mère. Un bijou.

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chekhov reprochait parfois à ses comédiens de redoubler par leur jeu la dépression de ses personnages. Il leur expliquait que les mélancoliques sont le plus souvent des gens joyeux dans leur vie quotidienne et que leur désespoir ne s’exprime que par instants. On pourrait ajouter que le mélodrame cinématographique n’a jamais été aussi réussi et pertinent que lorsqu’il est flamboyant (Minnelli, Sirk, Almodóvar). Les couleurs vives se marient bien avec le malheur. Parce qu’il est pudique et qu’elles le mettent en valeur. C’est manifestement le choix très heureux qu’a fait le malicieux et cinéphile Joseph Morder en choisissant de placer ses deux personnages dans des décors dessinés (soixante toiles peintes, photographiées, agrandies puis imprimées sur tissu) par l’artiste Juliette Schwartz – dans un genre de dispositif qui rappelle un peu celui du dernier film de Resnais, Aimer, boire et chanter. Ce décor semble refléter le paysage mental du personnage principal masculin. Le film raconte l’histoire de Valentin (Andy Gillet, acteur révélé par Rohmer dans son dernier film, Les Amours d’Astrée et de Céladon), un jeune peintre un peu découragé. Il vit à Paris et est venu

accueillir sa grand-mère (Alexandra Stewart) de retour de villégiature. Nina est une femme exubérante et drôle, qui semble avoir décidé de vivre dans un rêve très maîtrisé de grandeur. Le petit-fils et son aïeule vont se parler comme jamais auparavant de leur vie. Valentin confiera ses doutes, son homosexualité, et Nina lui racontera les camps de la mort et l’origine de son surnom, “la duchesse de Varsovie”. Le parti pris esthétique de Morder est une réussite. Il parvient, à partir de la noirceur, à fabriquer du romanesque, qui aide à vivre ou survivre à la douleur, à l’insupportable et à l’inoubliable, et surtout du lien entre deux êtres qui s’aiment mais ne s’étaient jamais parlé avec sérieux. Il y a de la grâce dans la simplicité et la théâtralité bienheureuse de ce film frontal, qui parvient à nous attacher à deux êtres sensibles dans un décor d’opérette, et sans doute plus encore peut-être grâce à lui. Interprété de façon merveilleuse par deux acteurs formidables, au jeu intemporel, humble et déchirant, La Duchesse de Varsovie et ses jolis dialogues sont un petit bijou de cinéma. Jean-Baptiste Morain

Alexandra Stewart et Andy Gillet

Nouvelle adaptation d’un grand classique américain. Un naufrage esthétique et idéologique. A l’origine un comic strip conservateur destiné, dans les années 20 et 30, à contrer le New Deal de Roosevelt, Annie fut d’abord adapté à Broadway en 1977, avec un beau contre-pied idéologique qui en fit une œuvre progressiste, puis au cinéma par John Huston en 1982, et enfin à la télévision en 1999 par Rob Marshall. Avec à chaque fois une teneur politique diminuée. Produit par les milliardaires cool Will Smith et Jay-Z (dont le fameux Hard Knock Life est un sample d’Annie), cette nouvelle version réalisée par Will Gluck (les plutôt inspirés Easy Girl et Sexe entre amis) transpose l’histoire dans l’Amérique “postraciale” d’Obama. Annie la petite orpheline est ainsi noire (Quvenzhané Wallis, des Bêtes du Sud sauvage), de même que son bienfaiteur opportuniste (le décidément très fade Jamie Foxx), qui ne l’aide que pour parfaire son image de philanthrope et, espèret-il, se faire élire maire de New York. A l’arrivée, le film est non seulement un naufrage esthétique, mais aussi un désastre idéologique, qui en dit long sur le cynisme de ses producteurs. Totalement creux sur la question raciale, Annie prône la débrouille individuelle et la charité comme seules solutions. Devenons tous des milliardaires cool, en somme. Jacky Goldberg

La Duchesse de Varsovie de Joseph Morder, avec Alexandra Stewart, Andy Gillet, Rosette, Françoise Michaud (Fr., 2015, 1 h 26)

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Inupiluk

Inupiluk / Le film que nous tournerons au Groenland de Sébastien Betbeder Deux courts métrages du talentueux réalisateur de 2 automnes 3 hivers. Drôle. eu importe les hasards bientôt un film de poche mû qui ont mené Sébastien par une croyance enfantine Betbeder, court-métragiste dans le voyage et le récit. bien connu des habitués Tout va plutôt vite, mais un certain du circuit festivalier (et notamment sens du périple (richesse auteur de 2 automnes 3 hivers), inattendue des décors, beaux sur le chemin des Inuits. moments de suspension) Parce qu’il aurait aussi bien pu rend ces trente minutes de comédie s’agir de Papous, d’Aztèques à peu près odysséennes. ou de Schtroumpfs : simplement Le deuxième court de ce double deux bonshommes au langage programme joue la mi-temps avant incompréhensible pour ainsi dire un match retour au Groenland. tombés du ciel jusque dans Une session d’écriture filmée aux les bras de deux losers parisiens, quatre coins de Paris où Thomas Thomas et Thomas. et Thomas s’amusent à imaginer Cette idée de la rencontre le prochain épisode de leurs d’un ultra-autre, véritable bug aventures, et s’imposent malgré ethnologique, est la rampe eux comme un tandem comique de lancement d’Inupiluk. impeccable, locomotive d’un voyage La chronique filmée prend la forme filmé qui a même parfois des airs d’un happening perpétuel sur d’émission de télé buissonnière : les routes de France où Betbeder, un Nus et culottés mâtiné avec la complicité de ses de Laurel et Hardy. Théo Ribeton quatre hurluberlus, réinvente au quotidien les nœuds d’un voyage Inupiluk / Le film que nous tournerons bien réel. Fiction et documentaire au Groenland de Sébastien Betbeder, se renvoient librement la balle, avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca (Fr., 2014, 34 et 32 min) et d’une petite graine bourgeonne

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Alba Rohrwacher

Hungry Hearts de Saverio Costanzo Voyage au bout de l’enfer de la vie de couple. Un drame psy façon gothique.

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n conte de la folie ordinaire comme semble les aimer Saverio Costanzo, dont l’entêtant troisième film, La Solitude des nombres premiers, mélo lorgnant sur le giallo des années 70, nous a marqué. Cette fois, il met en scène, avec la même actrice principale (Alba Rohrwacher), un couple tout aussi névrotique, mais à New York, ce qui génère semble-t-il une inspiration plus anglo-saxonne. Avec ce drame d’un jeune couple qui déraille après la naissance de son enfant, on pense un peu à Rosemary’s Baby ou carrément au cinéma d’horreur. Ce qui surprend encore une fois, c’est la faculté de Costanzo à infuser les codes d’un genre dans un pur récit psychologique – traitant ici de l’aliénation familiale. Car a priori Hungry Hearts est moins un film d’horreur qu’un drame focalisé sur la phobie alimentaire. Ce que laisse entrevoir la première scène à moitié drolatique, où le futur couple, Mina et Jude, fait connaissance dans les toilettes d’un restaurant où il est enfermé. Par la suite, Mina sera terrifiée à l’idée que son enfant sacré ingère des aliments impurs – notamment de la viande… Mais la mère n’est pas un croquemitaine. La force du film est de ne pas charger un seul personnage. Tout en jouant de façon extrême sur la déformation visuelle dans certains plans, qui intensifie la bizarrerie des personnages et des

situations, Costanzo ne désigne pas de vrai coupable dans cette spirale délirante. Le monstre semble souvent être la mère, obsédée du bio style new-age, qui cultive ses propres légumes dans une petite serre sur le toit de son immeuble. Mais le mal pourrait aussi bien se trouver chez la partie adverse, celle du père apparemment raisonnable et de sa mère envahissante. Le cinéaste nous convainc tour à tour de la plausibilité des arguments des uns et des autres dans cette aventure gothique. Si Mina semble folle, lorsqu’on pénètre dans la demeure de la mère de Jude, littéralement tapissée de trophées de chasse menaçants, on comprend que les carnivores puissent aussi paraître monstrueux. Donc, une histoire d’amour pas anodine du tout, aux antipodes de la séduction et des conventions romantiques (grincements à tous les étages), ayant un potentiel quasiment kafkaïen. Reste à savoir quand Costanzo se décidera à tourner le vrai film de genre (thriller, horreur) autour duquel il tourne sans jamais vraiment y tomber. Pour l’instant, ce maestro de la subjectivité planche sur l’adaptation du Limonov d’Emmanuel Carrère, qui ne sera pas une gentille promenade de santé, on s’en doute. Vincent Ostria Hungry Hearts de Saverio Costanzo, avec Alba Rohrwacher, Adam Driver (It., 2014, 1 h 53) lire aussi le portrait d’Adam Driver p. 50

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Les Chevaliers du Zodiaque de Kei’ichi Sato (Jap., 2014, 1 h 33)

L’adaptation de la série culte du Club Dorothée : une catastrophe industrielle. tous ceux qui furent la déesse Athéna (et l’univers adolescents au début des tout entier) d’un grand danger… années 90, Les Chevaliers Le scénario est ici repris du Zodiaque évoqueront à l’identique, mais absurdement à n’en pas douter les glorieuses comprimé pour tenir en années du Club Dorothée et son 1 heure 30, au point où l’on a travail défricheur sur l’animation parfois l’impression d’être devant japonaise. Egalement connue un long épisode de Bref. sous le nom de Saint Seiya, la série Surtout, le graphisme, à l’époque fleuve (des centaines d’heures) rudimentaire mais non dénué plongeait un petit groupe de kids de charme avec ses effets surentraînés et franchement au ralenti, est désormais d’une embrigadés (les gentils Chevaliers laideur abyssale, piquant les yeux de Bronz, à côté de qui les scouts à chaque changement de plan d’Europe passeraient pour – ils sont nombreux – et laissant de sympathiques libertaires imaginer une catastrophe en goguette) dans un combat industrielle dans quelque sombre dantesque contre le “Grand Pope” studio d’animation sous-traitant (sic) et ses méchants Chevaliers en Corée du Nord. Bref, c’était d’Or. Tout ça pour sauver mieux avant. Jacky Goldberg

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A 14 ans d’Hélène Zimmer avec Athalia Routier, Galatea Bellugi, Najaa Bensaid (Fr., 2015, 1 h 30)

Trois collégiennes face à l’épreuve des toutes premières fois. L’adolescence est un matériau tellement rebattu par le cinéma qu’il est le sujet casse-gueule par excellence. Débutante en cinéma, coscénariste de Journal d’une femme de chambre de Benoît Jacquot, Hélène Zimmer s’en sort avec les honneurs. Rien de révolutionnaire dans A 14 ans mais une justesse d’écriture, de ton et de jeu qui suffit à emporter le morceau. Centré sur trois

copines issues de familles recomposées de la classe moyenne, A 14 ans montre une jeunesse qui n’a pas de revendications politiques ou sociales particulières mais dont l’agenda est exclusivement existentiel, centré sur soi et le groupe : comment affronter les premières expériences amoureuses et sexuelles, comment redistribuer ses amitiés, comment échapper à l’autorité

des parents (ou beauxparents), comment vivre l’écart entre soi et l’image de soi, comment affronter la cruauté sociale collégienne, telles sont les éternelles questions ado que la cinéaste observe avec beaucoup de précision et de finesse, sans surplomb, déployant une vraie acuité concernant le langage et les habitus de cet âge des premières fois. Serge Kaganski 25.02.2015 les inrockuptibles 69

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Le Bandit

il était une fois la Magnani Réédition de trois films de l’impétueuse actrice italienne, entre 1941 et 1960 : trois jalons du cinéma transalpin qui permettent de mieux mesurer l’évolution de la carrière de l’icône. Les films Deux éditeurs français luttent vaillamment pour continuer à éditer sinon des classiques, en tout cas des “vieux” films italiens, du muet jusqu’aux années 70 : Bach Films et M6 Vidéo. Trois films avec la grande Anna Magnani (inoubliable interprète de Rome, ville ouverte de Rossellini et de Mamma Roma de Pasolini), réalisés par des cinéastes renommés ou en passe de le devenir, permettent à la fois de juger de l’évolution de la carrière de l’actrice italienne dans son pays, mais aussi de trois jalons importants dans la riche histoire du cinéma transalpin. Mademoiselle Vendredi est tourné pendant la guerre, en studio (Cinecittà), et c’est le troisième film de Vittorio De Sica, jusque-là connu comme acteur (il est d’ailleurs aussi le héros du film). Magnani joue

Larmes de joie a surtout pour but de réunir deux des plus grandes stars du pays : Magnani et Totò

un rôle court et mineur dans cette comédie sentimentale un peu neuneu mais sympathique. Pourtant ce rôle lui va comme un gant et fait partie de la traditionnelle panoplie magnanienne : maîtresse trompée et artiste de music-hall capricieuse, elle est déjà un tout petit peu la Camilla du Carrosse d’or de Jean Renoir (1952). Changement de décor complet dans Le Bandit, le troisième film d’Alberto Lattuada, qui réalise un film assez curieux, à la fois film noir violent et cruel à l’américaine, mais très influencé par l’esthétique néoréaliste. La guerre est finie, Lattuada filme Turin détruite, la misère, les enfants qui font des feux de fortune dans la rue, les filles de bonne famille obligées de se prostituer pour survivre, les soldats italiens qui reviennent des camps de prisonniers d’Allemagne. Magnani est une chef de bande, une femme fatale sans concession et sans pitié, visage le plus sombre qu’elle incarne aussi

ici avec une conviction et une vérité confondantes. Et puis il y a Larmes de joie, quinze ans après, réalisé par Mario Monicelli (Le Pigeon), l’un des grands maîtres de la comédie à l’italienne. Le film, assez mal écrit mais rigolo, a surtout pour but de réunir à l’affiche deux des plus grandes stars du pays : Magnani en figurante de cinéma revêche, et Totò en vieux cabotin obligé de collaborer avec un pickpocket (Ben Gazzara, pas très à l’aise) afin de survivre. On y retrouve tous les éléments classiques de la comédie italienne héritée du néoréalisme : les bras cassés comiques, les plans foireux, etc. Mais le film bénéficie de la connaissance de Rome du décorateur Piero Gherardi, qui venait de travailler avec Fellini sur La Dolce Vita – Monicelli s’offre même le plaisir de parodier la fameuse scène de la fontaine de Trevi, cette fois-ci avec un Américain bourré qui veut absolument s’y baigner nu avec la Magnani, qui lui résiste avec sa furie coutumière…

Les DVD Bach Films réédite aussi des grandes fresques, comme notamment Les Nuits de Cabiria, Scipion l’Africain et Les Derniers Jours de Pompéi, mais également des films plus rares des années 40, tournés sous le fascisme, comme La Proie du désir, commencé par Roberto Rossellini en 1943 et abandonné à Marcello Pagliero quand il se lance dans l’aventure de Rome, ville ouverte… Chez M6, plutôt des comédies des années 60 comme Incorrigibles parents, Elle est terrible ou encore Certes, certainement, deux films inédits en France avec Catherine Spaak. Jean-Baptiste Morain Mademoiselle Vendredi de Vittorio De Sica, avec lui-même, Anna Magnani, (It., 1941, 1 h 32) ; Le Bandit d’Alberto Lattuada, avec Anna Magnani, Amedeo Nazzari, Carla Del Poggio (It., 1946, 1 h 18), Bach Films, environ 15 € chaque DVD Larmes de joie de Mario Monicelli, avec Anna Magnani, Totò, Ben Gazzara (It., 1960, 1 h 46), M6 vidéo, environ 13 €

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Urgences saison 4, photo Chris Haston/NBC

“je savais que j’avais le meilleur personnage” L’acteur culte d’Urgences, Noah Wyle, alias Carter, revient dans une série d’aventures. Il nous raconte ses belles années à l’hôpital du Cook County.



a bouille de premier de la classe prêt à tout pour faire oublier ses bonnes manières nous a suivis pendant les 255 épisodes d’Urgences auxquels il a participé – sur 331 existants–, ce qui a fait de lui l’acteur le plus présent dans cette série majeure. En pleine promo de l’amusante Flynn Carson et les nouveaux aventuriers, il a accepté de répondre à nos questions sur son glorieux passé. Urgences s’est terminée en 2009. Vous n’en avez pas assez qu’on vous y ramène toujours ? Noah Wyle – J’adore parler d’Urgences. Ça a été une partie tellement importante de ma vie. Le vingtième anniversaire de la diffusion du premier épisode a eu lieu en septembre, presque en silence, j’ai juste été interviewé pour un docu que je n’ai même pas vu. Certains d’entre nous se sont appelés ou se sont envoyé des textos. On ne regarde pas toujours en arrière. Mais quand c’est le cas, une fenêtre s’ouvre sur un territoire riche et englobant. Je vois bien qu’ici en France vous ne vous en êtes toujours pas remis ! Revoyez-vous parfois la série ? Ma femme a neuf ans de moins que moi. Quand on a commencé à se fréquenter, elle a voulu tout rattraper. Parfois, j’arrivais dans la pièce et je regardais une scène dont je me souvenais de chaque détail, même la différence entre la prise choisie et celles où

j’avais essayé d’autres options. Parfois, je ne me rappelais de rien, même pas d’avoir été là, comme si un autre s’agitait à l’écran. Devant mon travail dans les premières saisons d’Urgences, je suis indulgent. A l’époque, j’étais très critique. J’aimerais revoir le pilote de la série et observer ce petit mec de 23 ans qui tentait de voler la scène à chacune de ses apparitions. C’était subtil mais intentionnel. Je savais que j’avais le meilleur personnage, avec le parcours le plus ample. Celui du type qui commence très bas en terme de confiance en soi mais qui travaille beaucoup. Comme lui, j’avais beaucoup de choses à défendre. J’avais faim. Pour l’incarner pendant quinze ans, vous aviez forcément des points communs avec John Carter. J’ai sans doute obtenu le rôle car John Wells (showrunner des six premières saisons – ndlr) a perçu cela. Carter était né avec une cuillère d’argent dans la bouche et même si ce n’était pas mon cas j’ai eu beaucoup de mal à dépasser les privilèges de ma naissance – mon père était ingénieur. Je me suis toujours entouré de gens dont je pensais qu’ils pouvaient

“comme Carter, j’avais beaucoup de choses à défendre. J’avais faim”

me menacer ou être plus légitimes que moi. Si je les impressionnais, alors cela voulait dire que je méritais ma place. Avant d’obtenir l’approbation du Dr Benton, Carter ne pouvait pas se voir comme un homme. C’était l’opposé de la dynamique raciale en vigueur à la télé : ici, un Blanc recherchait l’approbation d’un Noir. Urgences était une série politique et sociale. Tout était équilibré entre les aspects sociaux et l’action permanente. Cela reflétait le talent des scénaristes. La série a été meilleure, disons dans ses cinq premières saisons, quand des personnalités singulières, capables de s’affronter, cohabitaient dans la salle d’écriture. Quand un scénariste important s’en allait, parce qu’il avait d’autres projets ou parce qu’il s’engueulait avec le boss, il était remplacé par un autre plus jeune et plus impressionnable. Urgences n’a pas gardé la même dynamique personnelle et intime durant ses quinze saisons. Après un certain temps, la série n’avait plus le même cœur, même si beaucoup de belles choses s’y passaient encore. propos recueillis par Olivier Joyard Flynn Carson et les nouveaux aventuriers A partir du 14 mars, 20 h 45, Syfy à voir les téléfilms Les Aventures de Flynn Carson les 28 février et 7 mars, 20 h 45, Syfy

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à suivre… Le très bon spin-off de Breaking Bad, avec comme héros l’avocat véreux interprété par Bob Odenkirk, se révèle un succès plus immédiat que sa devancière. Le premier épisode, diffusé le 8 février sur AMC, a réalisé les meilleurs audiences historiques chez les 18-34 ans pour une nouvelle série du câble américain. En France, Netflix met en ligne les épisodes chaque mardi.

Whoopi revient Animatrice de l’émission The View depuis 2007, Whoopi Goldberg va effectuer son retour à un premier rôle dans une nouvelle sitcom de la chaîne ABC. Ecrite par le comique Jermaine Fowler, Delores & Jermaine racontera la cohabitation entre un jeune homme agité et sa grand-mère, interprétée par l’actrice de La Couleur pourpre, aujourd’hui âgée de 59 ans. Diffusion prévue dans un an.

Extrait du teaser de la saison 2 des Revenants

Better Call Saul cartonne

Les Revenants sur le départ ?

La saison 2 de la série fantastique de Fabrice Gobert arrive à la rentrée de septembre. Mais après ? Rien n’est sûr. ors d’un déjeuner de presse le 10 février, le directeur de la fiction de Canal+ Fabrice de la Patellière a laissé entendre de manière informelle à quelques journalistes nouveau Tunnel que l’avenir de la série fantastique Diffusée en 2013, l’adaptation emblématique de la chaîne, acclamée lors franco-britannique de la série de sa première saison en 2012, n’irait pas policière nordique Broen au-delà de sa saison 2 actuellement en fin devait s’achever après la de tournage – son créateur, Fabrice Gobert, première saison. Mais Canal+ souhaitant se consacrer à d’autres projets, a finalement annoncé la mise probablement cinématographiques. Déjà en production d’une suite, plus de Revenants alors que cette nouvelle toujours incarnée par le duo levée, si difficile à faire sortir de terre Clémence Poésy et Stephen Dillane. Dans cette saison 2, suite à de multiples contretemps, va être l’enquête suivra un accident diffusée à la rentrée prochaine, trois ans d’avion dans la Manche. après la première ? Le sujet, assez sensible dans le microcosme des séries françaises, où Les Revenants fait office de locomotive créative, a provoqué un petit buzz auquel la chaîne cryptée a voulu mettre fin. “On n’a House of Cards (Canal+ Séries, le 28 pas du tout évoqué la fin de la série, expliqueà 20 h 45) Frank Underwood revient avec t-on à la communication. Tout reste ouvert.” une saison 3 diffusée en France en mode Même son de cloche à la production, où l’on binge watching dès le lendemain de sa assure qu’aucune décision n’a été prise et mise en ligne par Netflix aux Etats-Unis. que celle-ci appartiendra à Fabrice Gobert. Treize épisodes d’un coup. Qui tiendra ? Au-delà du gâchis que constituerait la True Blood (OCS Choc, le 1er mars disparition prématurée de la série française à 20 h 40) Même ceux qui ne suivaient la plus inventive des vingt dernières plus les aventures des vampires années, la fin des Revenants éclairerait d’Alan Ball devraient voir les une fois de plus la fragilité du micromodèle trois derniers épisodes de True Blood. français. Aux Etats-Unis, un showrunner Une fin de série est toujours serait probablement nommé pour une œuvre en soi – l’œuvre du temps. remplacer celui qui s’en va, quand bien même ce dernier possèderait une autorité Gomorra (Canal+, le 1er mars à 16 h 10) morale sur la série. Cette hypothèse ne La première saison de cette coproduction semble pas encore privilégiée par Canal+, européenne adaptée de Roberto Saviano qui pourrait tout faire pour convaincre s’achève. Une plongée intéressante le jeune et brillant réalisateur-scénariste dans les entrailles du crime organisé et un exemple d’“europudding” réussi. de poursuivre l’aventure. Pas gagné. O. J.

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agenda télé

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Les deux frères Champion sortent sous le nom de Champs un nouvel album où l’Angleterre pop renoue avec ses plus nobles traditions. L’Angleterre ? Plutôt la minuscule île de Wight, où ils ont grandi.

Ecoutez les albums de la semaine sur

avec



ongtemps, le rock s’est construit contre : contre le vieux monde, contre l’ordre établi, et particulièrement contre la famille – sa discipline, son incompréhension, sa musique même. Les frères Champion, le duo Champs à eux deux, nous arrêtent immédiatement. “Nos parents sont nos héros, jurent-il, larmes aux yeux. Comment se rebeller contre des gens qui écoutent R.E.M. ou les Byrds ? Comment s’insurger contre un père prêt à conduire

Josh Shinner

Wight spirit toute la nuit pour nous emmener jouer un concert à Londres ?” Et tant qu’on en est aux hommages de bons petits, Michael et David tiennent à remercier (en épelant religieusement son nom) Alan RamsdaleCapper, le professeur de guitare qui, à leur adolescence, les a tenus éloignés du vacarme et des tentations électriques pour leur enseigner l’art complexe et austère du songwriting à l’ancienne. Alors, premiers de la classe, enfants de chœur, les frères Champion ? “On a quand

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“ce sentiment de solitude, cette campagne sauvage et la mélancolie des petites villes de front de mer aux palais décrépits, oubliés, ont nourri notre musique” David Champion même eu plusieurs fois des ennuis avec la police, hein, il ne faut pas croire !”, ricane le cadet David. Avant d’avouer avoir fait partie de la chorale paroissiale. Lui et Michael reconnaissent ainsi sans effort leur passion pour l’écriture un peu surannée et sage de Simon & Garfunkel ou Donovan, regrettant de trouver si peu de complices et pairs parmi les jeunes Anglais de leur âge. “Le songwriting ici est devenu une école d’efficacité, au service des radios. A part Alt-J, qui tente vraiment un truc audacieux, rénovateur, il n’existe plus de songwriters en Angleterre de la trempe d’Américains comme Kurt Vile, Fleet Foxes ou War On Drugs, se lamente Michael. En Angleterre, depuis Coldplay, l’artisanat pop s’est mué en industrie lourde, à la chaîne.” C’est pourtant au nom de cette efficacité pop, flagrante sur des titres comme 3000 Miles ou Desire, que le groupe a placé ses nouvelles chansons entre les mains du producteur français Dimitri Tikovoï. Lui même batteur de compétition, il a ainsi charpenté, vitaminé des folk-songs naturellement frêles, comme le prouvait en beauté, quelques minutes avant notre interview, une magnifique session acoustique du duo dans un café londonien. “J’ai tendance à trouver les studios stériles, intimidants, avoue Michael. Mais la pièce où travaille Dimitri est trop bordélique pour ressembler à un laboratoire.” On aimerait voir la pièce où les frères composent inlassablement, dans la maison familiale de l’île de Wight. Un endroit qu’ils ne quittent qu’avec le billet de retour en poche, incapables de vraiment couper les ponts avec cette petite communauté qui les a construits – et déconstruits, dans le cas de Michael. “A 16 ans, en sortant du pub, je me suis fait défoncer la tête par un dingue. J’étais défiguré, j’ai dû passer une éternité au lit. Pour me tenir compagnie, un copain m’a prêté une guitare. C’est là que j’ai composé nos premières chansons.” En sortant de ce chaos, il décide de tenter un duo avec son petit frère. “Une fois, une journaliste nous demandé comment nous nous étions rencontrés !”, raconte David. Sur Wight, le duo démarre sous les quolibets d’une jeunesse insulaire à la culture musicale nourrie de charts – c’était avant que le brillant festival Bestival ne prêche la bonne parole dans l’île. “On se moquait de nous, il n’y avait, à part les Bees, aucun précédent de groupe venu de notre île. Il n’y a même pas un endroit où jouer. C’est très… provincial.

Je connais des gens qui n’ont jamais quitté Wight. Les esprits peuvent être étroits.” Et pourtant, de sa mélancolie tragique des hivers sans touristes aux spots de surf inlassablement visités, David et Michael parlent avec des trémolos dans la voix de ce monde à part, oublié, apaisé. “Récemment, se souvient David, j’ai fait une randonnée de quatre heures sans croiser un seul être humain. Ce sentiment de solitude, cette campagne sauvage et la mélancolie des petites villes de front de mer aux palais décrépits, oubliés, ont nourri notre musique… Quand on vient d’un endroit comme ça, on se sent forcément à la périphérie de tout. Ta vision du monde, des saisons, est forcément très différente de celle d’un citadin.” “Même après des années à Londres, je me sentais toujours extérieur à toute idée de scène, de mouvement, continue Michael. En deux ans à Londres, je n’ai écrit que deux chansons. Alors que dans notre village de Niton je compose constamment. Comme je ne suis pas très doué pour la conversation, j’ai au moins mes chansons pour m’exprimer. Je déprime quand je n’écris pas, j’y pense jour et nuit.” C’est cette frénésie que l’on entendait sur le premier album du duo, Down Like Gold (2014). Comme si, après des années d’isolement, Michael et David avaient flambé toutes leurs économies d’arrangements, d’harmonies, de mélodies en un mille-feuille extravagant. Nettement simplifié, leur folk-rock largué et ambitieux découvre le rationnement sur Vamala, second album moins riche en prouesses mais pareillement intense dans sa petite paix à lui, avec ses secousses venues du centre, de tripes étonnamment présentes dans une musique si douce, si pacifique. Car contrairement à d’autres fratries – les Davies, les Gallagher –, tout sent ici l’harmonie et le respect mutuel : une quiétude, une sérénité dont la musique porte les stigmates. Michael : “Nous avons arrêté de nous battre le jour où nous avons été assez musclés pour faire du mal à l’autre. Ceci dit, tout petit, j’étais tellement jaloux quand il est né que je l’ai mis dans un sac poubelle et je l’ai laissé devant la maison.” JD Beauvallet album Vamala (Pias) champschampschamps. com

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Andrea Montano & Marine Peyraud

Obi Blanche

Nina Kraviz

Paris capitale electro

Flavien Berger, première

Un mois après le Weather, c’est l’autre grand festival spécialisé dans l’électronique qui secouera la capitale cet été : les 10 et 11 juillet, le Peacock Society invitera Laurent Garnier, Loco Dice, Nina Kraviz, Dixon, Flume ou encore Margaret Dygas au Parc Floral. Déjà la promesse d’une jolie teuf, en attendant le reste de la programmation. peacocksociety.tumblr.com

C’est une des grandes promesses de la nouvelle scène française. Bonne nouvelle, donc : Flavien Berger, jeune Parisien aux idées larges, vient d’annoncer son premier album pour le mois d’avril. Pour patienter, il a publié un nouvel ep sur lequel on retrouve La Fête noire, single dingo à mi-chemin entre Kraftwerk et une sorte de rockabilly du futur. Vivement la suite.

jours et Nuits sonores Après l’annonce d’une programmation de jour avec Marcel Dettmann, Rodhad ou encore Jamie xx, le festival Nuits sonores embraye avec un line-up nocturne pas moins costaud. Il faudra en effet compter sur Daniel Avery, Carl Craig, Moodymann, Tale Of Us et consorts pour empêcher Lyon de dormir entre le 13 et le 17 mai. Avis aux insomniaques. nuits-sonores.com

La Défense, ses tours, son ambiance et… ses concerts. Du 27 mars au 5 avril, le festival Chorus accueillera des dizaines d’artistes parmi lesquels Feu ! Chatterton, Joke, Mina Tindle, Miossec, Rone, Camélia Jordana ou encore Chassol. Il y en aura donc pour tous les goûts lors de cette belle rencontre dans les Hauts-de-Seine. chorus.hauts-de-seine.net

extrait du clip What Kind of Man

Rodhad

Brice Robert

l’Arche de musique

Florence And The Machine à plein régime Ça faisait un moment qu’on attendait de ses nouvelles : Florence Welch a publié ces derniers jours sur internet deux nouvelles vidéos, dont l’une contient un nouveau single, What Kind of Man. Elle en a profité pour annoncer l’arrivée d’un nouvel album, son troisième, titré How Big How Blue How Beautiful et destiné à paraître début juin. Joie chez les fans, légère méfiance chez les autres.

neuf

le punk américain Algiers

Leon Bridges 2015 devrait être généreuse avec Leon Bridges et sa soul aussi vintage que turbulente, qui allie l’incandescence de Sam Cooke à la nonchalance sudiste des Alabama Shakes. Le Texan, sorti de l’anonymat par ses nouveaux complices de White Denim, viendra en Europe aérer ses costards de la vieille classe ce printemps. facebook.com/LeonBridgesOfficial

Sur son site, le groupe d’Atlanta offre un étonnant dazibao : cassettes Factory Records ou photos des Black Panthers, Sun Ra, PiL, Alan Vega ou Agnès Varda. Musique pareillement fascinante : un blues-rock déchiqueté par un crocodile défoncé, celui qui rugissait déjà dans les bayous de Gun Club ou de Birthday Party. facebook.com/Algierstheband

Chris Bell Disque aussi maudit que sublime, I’unique album solo de Chris Bell après son départ de Big Star a finalement vu le jour en 1992, quatorze ans après sa mort. Influence notoire d’Elliott Smith ou R.E.M, I Am the Cosmos est réédité, enrichi d’un album de raretés. Un des plus grands trésors cachés du songwriting américain. facebook.com/chrisbell.bigstar

Le label anglais Soul Jazz continue son tour du monde du punk en 45t, avec deux volumes consacrés à Cleveland et Akron – deux villes industrielles berceaux de groupes comme Pere Ubu ou Devo, et d’autres moins connus. Comme par exemple les swampy 15 60 75 ou Ralph Carney, le tonton du batteur des Black Keys. souljazzrecords.co.uk

vintage

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David Edwards

réchauffement global Trio sans terroir mais pas sans influences, All We Are frotte le disco au psychédélisme, le hip-hop à la pop sur un album riche, variable et bourré de tubes.

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maginons une écoute en aveugle. Imaginons ce disque sans nom ni titre, sans informations ni cases préremplies, sans hype, sans interview, sans page Facebook. Imaginons son écoute libre de tout a priori, comme préconisée par l’un de ses créateurs : “Comme une vague qui prendrait l’auditeur et l’emmènerait où elle veut, en le secouant un peu en tous sens. On ne sait pas exactement ce qui va se passer, mais au final on se retrouve quand même près du rivage, sain et sauf : il faut se laisser faire.” Sans les repères habituels, un peu perdu, on se poserait beaucoup de questions. D’où vient ce groupe, d’où vient ce son, cette pop au groove mutant, ce disco dingo, ces tubes à géométrie

“nos chansons ont une sorte de groove, un groove disco, mais c’est un disco un peu traînant, fainéant, drogué” All We Are

et sensualité variables ? Ont-ils poussé sur une colline californienne ou à Philadelphie, à Melbourne ou à Quimper, dans le béton ou sur le sable, dans le chaud ou le froid, dans les paillettes 70’s, les psychotropes 60’s ou les circuits imprimés du troisième millénaire ? Sans savoir, impossible de répondre, et pour cause. Ce disque se nomme All We Are. Il est le premier album du trio du même nom et, s’il a fini par planter ses racines dans le sol fertile du Liverpool contemporain, All We Are est un groupe à terroirs multiples. Ses trois membres, amis pour la vie depuis leur passage par le Liverpool Institute for Performing Arts, art school cofondée par Sir Paul McCartney, sont d’origine norvégienne, brésilienne et irlandaise. A la question des influences, ils citent en rafale, sans ordre ni hiérarchie, Frank Ocean et Arcade Fire, la soul music et les Kinks, Kendrick Lamar et Franz Ferdinand, le g-funk et les Beatles,

Paul Simon et leurs interactions quotidiennes avec leurs groupes frères de la capitale du Merseyside, Circa Waves, Stealing Sheep ou Dan Croll notamment. Comment, alors, définir un tel mélange ? Eux-mêmes le font systématiquement, à chaque interview, plus justement peut-être que ne le feront les journalistes : Guro, Luis et Rich décrivent leur musique comme du “Bee Gees sous diazépam”. “Nos chansons ont une sorte de groove, un groove disco, mais c’est un disco un peu traînant, fainéant, drogué. On décrit aussi notre musique comme du ‘boogie psychédélique’ pour les mêmes raisons : ce mélange d’atmosphères, dansante d’un côté, plus cérébrale et tordue de l’autre.” Noyer des langueurs des benzodiazépines dans le pétillant du champagne : un cocktail fortement déconseillé par la médecine mais très recommandé en musique. Annoncé par une poignée d’excitants singles

l’an dernier, produit par Dan Carey (Hot Chip, Kate Tempest, Nick Mulvey…), le riche et variable All We Are s’entend avec plaisir, les bras levés au ciel et lové dans la foule, autant qu’il s’écoute avec passion, le corps au repos mais les neurones en alerte. L’épique Ebb/Flow, le trip-hop rénové de la mousseuse Stone, les tubes discoïdes Feel Safe ou I Wear You, la bouillante Honey, la très sonique Keep Me Alive, les belles Go et Something about You inventent ainsi une bacchanale globale. En conviant Frank Ocean, les Scissor Sisters, Two Door Cinema Club, Pharrell Williams, les Cocteau Twins, David Lynch, Hot Chip, une electro-pop bondissante, un psychédélisme venimeux et un solide talent d’écriture à la même fête, All We Are s’assure de sa réussite tous azimuts. Thomas Burgel album All We Are (Domino/Sony) www.thisisallweare.co.uk 25.02.2015 les inrockuptibles 77

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various artists SND.PE Vol.04 Melodic Mechanisms

Alex Calder Strange Dreams Captured Tracks/Differ-ant Sur ce premier album passionnant, le Canadien suit la voie tracée par Mac DeMarco, son ami d’adolescence et ancien partenaire de groupe. n 2010, Alex Calder et souvent encadrés par des Mac DeMarco ont à peine notes de guitare qui rappellent 20 ans lorsque sort les ambiances intrigantes Ying Yang, leur premier et de Connan Mockasin. unique album commun publié Mais là où DeMarco n’hésite sous le nom de Makeout Videotape. pas à miser sur l’épure et Malgré une série de morceaux la simplicité pour faire ressortir prometteurs, le groupe se sépare. ses mélodies, Calder décide de Pendant que la carrière de son pote noyer l’intégralité de ses morceaux explose à l’autre bout du Canada, dans une production chargée qui Calder démarre un projet solo relègue sa voix en arrière-plan. plus discret. D’abord publiés sur Les morceaux de ce premier album internet, ses morceaux cotonneux s’enchaînent donc dans une torpeur attirent finalement l’attention de contemplative qui particularise Captured Tracks, label de Brooklyn l’univers d’Alex Calder et rapproche et révélateur de quelques beautés ses étranges rêveries des amours indé comme Beach Fossils, perdues chantées par The Durutti DIIV, Chris Cohen et, évidemment, Column dès la fin des seventies. Mac DeMarco. L’impression d’écouter La bromance entre les deux amis une cassette sans âge ne quitte d’adolescence continue donc à jamais l’audition de Strange distance. Pendant que l’un enchaîne Dreams, collection aussi addictive les concerts dans le monde entier, qu’imparfaite dont le geste l’autre répète ses gammes dans artistique renvoie à l’homonyme l’ombre et profite de la radiance de son auteur. Comme le sculpteur des minitubes Suki and Me et Fatal américain rendu célèbre dans Delay pour sortir un premier ep la première moitié du XXe sècle, Alex Calder brille d’un esthétisme (Time) au début de l’année 2013. aéré, d’une grâce flottante Moins précis mais plus radical dont l’équilibre délicat habille que Mac DeMarco dans la structure ces onze morceaux suspendus de ses compositions, Alex Calder comme autant de mobiles signe la plupart de ses chansons de la même indolence. Sa voix traîne abstraits et articulés. Azzedine Fall entre des marqueurs rythmiques sombres et gluants avant de se www.facebook.com/AlexCaldermusic libérer dans la clarté des refrains,

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Le credo du label Sound Pellegrino : electro et mélodies. Créé en 2009 par Teki Latex et Orgasmic, Sound Pellegrino se maintient en bonne forme, à en juger par la belle flopée de maxis sortis en 2014 et cette compilation. Quatrième volume d’une série de compilations thématiques, elle ambitionne de faire ressortir l’importance (parfois sous-estimée) de la mélodie dans la musique électronique. De fait, s’ils forment un ensemble assez éclectique du point de vue du style (oscillant entre electro, hip-hop instrumental, house et bass-music), les treize morceaux ici sélectionnés par Orgasmic et Teki Latex témoignent (presque) tous d’un sens mélodique avisé et, malgré l’absence de chant, la plupart d’entre eux s’insinuent dans la mémoire avec la même aisance accrocheuse que des tubes de pop ou de rock. Se retiennent particulièrement bien le Mauvais garçon d’Orgasmic, le Seydou de Sudanim, le (magnifique) Late Visitor de Gonzales en duo avec P. Morris et le Haunted Piano de Nicolas Malinowsky. Jérôme Provençal www.soundpellegrino.net

Keffer

Ellery Lane

Sound Pellegrino/Barclay

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Marika Hackman We Slept at Last Du folk raffiné aux arrangements soyeux, par une jeune Anglaise à suivre. n se souvient, sur le dernier album d’Alt-J, de Warm Foothills, un morceau dont le texte était partagé par plusieurs artistes amis du groupe : il y avait là Conor Oberst, Sivu, Lianne La Havas et une certaine Marika Hackman. La jeune femme, que les oreilles les plus attentives ont déjà remarquée le temps d’une triplette d’ep prometteurs, prolonge la connivence en sortant We Slept at Last, un premier album dont elle a confié la production à Charlie Andrew, producteur d’Alt-J justement. Résultat ? Un enchantement.

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Pip

Dirty Hit/Caroline/Universal

En se posant en lointaine héritière de John Martyn ou en cousine de Laura Marling, la chanteuse s’inscrit dans la longue tradition d’un British-folk d’orfèvre, où le raffinement est roi. A seulement 22 ans, elle est déjà exmannequin pour Burberry – elle fut copine de classe au lycée avec Cara Delevingne – et érudite de tout un pan de la littérature anglo-américaine, notamment de l’œuvre de D. H. Lawrence ou de Sylvia Plath. Marika Hackman a d’ailleurs vite compris qu’elle serait heureuse grâce aux mots, trouvant sa voie via sa voix. Loin des podiums et des appareils photo,

elle excelle aujourd’hui dans la musique, enchantant, d’une voix sans pesanteur, des chansons à l’ancienne dans leur essence et parfaitement taillées pour l’époque dans leur emballage. On pense parfois à des ballades de Joni Mitchell qu’auraient enveloppées des arrangements venus du trip-hop (Before I Sleep). On pense aussi à Nico ou Feist dans cet art de mettre du bleu dans les cœurs en quelques couplets (Monday Afternoon). Soyeuses et piquantes à la fois, ces douze chansons ravissent. Johanna Seban marikahackman.com

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Future (& Zaytoven) Beast Mode – Mixtape Dominic Lee & Chiara Meattelli

Freebandz

The Pop Group Citizen Zombie Freaks R Us/La Baleine Retour imprévu et fracassant du plus explosif des groupes post-punk. ’est à Paris, en 2010, Le tellurique Citizen Zombie dans le cadre prévu à cet d’ouverture rassure sur ce point, effet de L’Etrange Festival, car malgré les accalmies que la légende incendiaire au piano, on retrouve en l’état de The Pop Group a redémarré les convulsions bruitistes sur scène sa combustion. Lente, et les voix trafiquées qui font la combustion, puisqu’il aura fallu que The Pop Group n’a jamais patienter encore cinq ans pour eu de pop que son nom. Balance que le quatuor de Bristol, la plus parfaite entre assauts soniques radicale des émanations toxiques (St. Outrageous, priez pour du punk anglais, consigne cette nos tympans) et funk concassé renaissance sur disque. Le choc (Mad Truth, le presque tubesque thermique de leur rencontre avec S.O.P.H.I.A), avec quelques détours un producteur ultra mainsteam, vers le dub chimique dont Mark Paul Epworth (Adele, Coldplay…), Stewart a expérimenté en solo pouvait laisser craindre le pire. toutes les combinaisons, cet album C’est-à-dire, dans leur cas, une apparaît à l’arrivée bien moins javellisation des scories sonores affaissé et grisonnant que la bande qui sédimentèrent leur style de quinquas qui l’a tardivement à l’époque des nerveusement enfanté. Christophe Conte éprouvants We’re All Prostitutes www.thepopgroup.net ou She Is Beyond Good and Evil.

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Extreme Precautions I In Paradisum Sous ce pseudo et ce fracas techno furieux se cache le Français Mondkopf. Après avoir déversé (très) vite et (très) fort. un beau déluge de rythmes De fait, les onze morceaux infernaux avec Hadès, paru ici mitraillés ont été début 2014, Paul Régimbeau enregistrés en une (alias Mondkopf) vient semaine, sous l’influence de resurgir en force avec revendiquée du grindcore un nouveau projet baptisé – variante saignante Extreme Precautions et du hardcore, incarnée un album dont la fulgurance par des groupes aux noms évoque plutôt le rock sémillants tels que hardcore, style dans lequel Brutal Truth, Assuck ou il importe de frapper Pig Destroyer. A l’arrivée,

il s’agit pourtant bel et bien de techno mais d’une techno à l’état sauvage, faite toute entière de fracas et d’éclats, de bruits et de débris, le tout s’agglomérant en un bloc sonore d’une puissance impressionnante. Extrêmement recommandé.

Le rappeur-crooner d’Atlanta bastonne son spleen sur une belle mixtape torturée. Exhiber son cœur brisé mais le parer d’or. La pochette de Beast Mode annonce la couleur de manière littérale : rouge sang. Car même si Future fanfaronne toujours avec ses guns, sa poudre et ses produits de luxe, l’amertume gronde violemment sous le timbre du playboy dopé à l’autotune. Quittée en 2014 par la chanteuse r’n’b Ciara, la Bête est blessée mais prolifique, sortant une deuxième mixtape en seulement trois mois. D’une rare cohérence, elle est entièrement produite par Zaytoven, homme de l’ombre incontournable de la scène rap d’Atlanta (des premiers disques de Gucci Mane au tube Versace de Migos). Là encore, le beatmaker donne dans l’écrin sur mesure. Délestées de leur pesanteur habituelle, les basses de la trap music oublient d’être menaçantes. Elles se font enveloppantes et organiques, au service d’entêtantes impros au piano, d’amples orchestrations enchevêtrées et, bien sûr, de la voix de Future, plus rugueuse, gutturale et gondolée que jamais. Avec cette belle mixtape écorchée, son flow cosmique redescend un peu sur Terre. Il y croque quelques Xanax en passant, faisant fi de leur âcreté. Pour mieux redécoller. Eric Vernay

Jérôme Provençal inparadisum.bandcamp.com

www.datpiff.com/Future-BeastMode-mixtape.680672.html

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Bambounou Centrum 50 Weapons

Don Niño et, à l’arrière-plan, The Berg Sans Nipple, en 2001

various artists Twenty Years of Prohibited Records Prohibited, cassette & digital Maison droite et ouverte, le label fête vingt ans de bons sévices. ondé en 1995 pour porter sur le Magic Band de Beefheart les fonts baptismaux le (Herman Düne), des collisions troisième album de Prohibition, bienvenues entre post-rock archétype d’un certain rock d’ici, et grunge, les invraisemblables post-punk et crissant, Prohibited feux grégeois d’une Afrique Records est une affaire de famille parcourue en tapis volant et des (les deux frères Laureau) mais surprises permanentes, comme constitue également l’affaire d’une une dialectique de la nécessité. autre famille, celle réunissant des Curiosities, quant à lui, croise dans musiciens d’horizons – et d’options ce clair-obscur une inclination esthétiques – différents. Célébration à la méditation et au recueillement. donc ici de vingt ans de marge Don Niño, en prince des ténèbres rebelle (les Belges de Patton, réincarnées, revisite Sonic Youth la batterie pyrotechnique de Jérôme ou Fugazi, et c’est déraisonnable Lorichon), sous le format corsaire donc excitant. Christian Larrède d’un coffret-cassette (ou digital), concerts le 27 février à Metz rassemblant en deux mix-tapes (avec NLF3, Mendelson solo, tendues et denses deux volets Quentin Rollet & Jérôme Lorichon), génériques, Rarities et Curiosities. le 18 avril à Paris (Petit Bain, Le premier chapitre rassemble avec NLF3, Heliogabale, Quentin Rollet quelques activistes en récréation & Jérôme Lorichon), le 8 mai à Pau de Mogwai, autant de mesures (avec NLF3, Heliogabale + guest) www.prohibitedrecords.com de retrouvailles émues avec



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D’une house fiévreuse à une techno précise et mature, Bambounou voit large. Après avoir imaginé une vie extraterrestre sur un premier album au désordre savamment organisé, Bambounou livre une dystopie où la vie sur Terre laisse peu de place à la rigolade. Si Orbiting jouait avec les codes de la bass music, Centrum lorgne plutôt outre-Atlantique, vers la techno de Detroit. On retrouve certes les synthés moites que le Parisien affectionne, mais ces derniers sont pervertis et souvent enfouis sous un foisonnement de bruits métalliques. Centrum et ses échafaudages révèlent une rigueur qu’on soupçonnait à peine chez Bambounou : les kicks sont secs et les basses millimétrées. Le vingtenaire a gagné en exactitude, en acidité et même en noirceur. Il n’en abandonne pas définitivement pour autant les rythmiques emphatiques et les boucles qui invitent à la transe. Le côté charnel et voluptueux de ses productions réapparaît par endroits : des éclaircies salvatrices. Quentin Monville soundcloud.com/bambounou

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Garden With Lips La Voix de mon rêve L’Eglise de la Petite Folie

Africa Express Presents… Terry Riley’s in C Mali Transgressive/Pias Damon Albarn et ses complices maliens s’attaquent à une pièce majeure de Terry Riley : extase. u début des années 70, l’aiguille et évoluant lentement d’une couleur à l’autre, à peine posée sur le sillon de d’une tonalité à l’autre au gré de la sensibilité l’album Who’s Next, l’amateur de des musiciens”. Pareilles aux rouages d’une rock lambda faisait involontairement horloge qui s’entraînent les uns les autres, connaissance avec la musique de Terry Riley les phrases s’aboutent et se recoupent grâce à un chapelet de notes électroniques jusqu’à créer une impression d’infini, et à un titre explicite : Baba O’Riley. de “répétition-dérivation” d’où finit Cet hommage rendu par l’un des dragons par s’extraire une harmonie statique. du rock au père du minimalisme succédait Le temps dompté, restait à embrasser à d’autres. Le Soft Machine de Third l’espace. Déjà reprise par le Shangai se plaçait clairement dans l’orbite du Film Orchestra avec des instruments compositeur américain, de même que les traditionnels chinois, l’œuvre se voit éclaireurs du krautrock Tangerine Dream aujourd’hui accaparée par l’équipe et Popol Vuh. Jusqu’à ce groupe de prog d’Africa Express sous la conduite de anglais un peu oublié, Curved Air, qui l’infatigable Damon Albarn, épaulé par empruntait son nom à l’une de ses œuvres Brian Eno. Une dizaine de musiciens les plus en vue, A Rainbow in a Curved Air. maliens – balafonistes, joueurs de kora, C’est pourtant avec une autre pièce de soukou, flûtistes, chanteurs –, sous majeure de son répertoire, In C (“En do”) la conduite du chef André de Ridder, que Terry Riley a traversé le temps. Défier apportent aux quarante minutes du le temps n’a jamais été un problème pour morceau une coloration radicalement cette partition écrite il y a un demi-siècle nouvelle, celle de la terre ocre du Mandé, que constituent cinquante-trois motifs ainsi qu’une dynamique inhabituelle. répétés sans limitation de durée ni Dans l’esprit de Riley, la note do d’instruments mais selon un ordre précis. (le C en anglais), première de la gamme Dans Postmodernismes, John Rea parlait majeure, devait servir de métronome, d’“un tissu musical tournant sur lui-même outil de précision qui n’a pas lieu d’être dans la musique africaine dont la structure rythmique relève d’une autre ponctualité, mariant la justesse à l’aléatoire. D’où l’agréable sensation de flottement en spirale que procure cette version. Comme un voyage au bout d’une immobilité atemporelle. Francis Dordor

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www.africaexpress.co.uk

Charmante, la chanson bidouillée d’un inconnu. Il est français, graphiste et parfois musicien. Gildas Secretin a déjà sorti un premier album (Radeau de bois) et déroulé quelques douces reprises du Velvet Underground sur le net. La Voix de mon rêve est le deuxième chapitre d’une discographie qui mériterait davantage de lumière. Un album de chanson lo-fi plein de charme et produit avec classe, qui enveloppe le chant du musicien d’un chapelet d’arrangements home-made (maracas, xylophone, percussions…), tissant ainsi un lien bizarroïde entre Arthur H et Damon Albarn, Biolay et Beck. Johanna Seban www.eglisedelapetitefolie.com

Les Soucoupes Violentes Fort intérieur Planète Interdite

Les Soucoupes redécollent : la galaxie binaire approuve. A l’exception des frères Gilles et Eric Tandy, d’antérieurs Ronnie Bird ou Bijou, le strict rock’n’roll basique et la langue française ont rarement fait bon ménage. Les Soucoupes Violentes comptent au rayon de ces rares anomalies, en équilibre perpétuel entre simplicité et urgence. Fragile et torve, ce Fort intérieur dérape à tout-va, comme un improbable rendez-vous entre Jacques Dutronc et Johnny Thunders. Mélancolique parfois, plein de morgue négligée à l’occasion, ce nouvel album remet sur orbite un trio dont le retour nous ravit. Jean-Luc Manet lessoucoupesviolentes. bandcamp.com

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Divine Pilot A Horse inside My Head Chuck Seagal Records

Saycet Mirage Meteores

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nscrit dans la droite lignée de l’ep Volcano sorti en novembre, Mirage n’est pas une surprise mais une fascinante confirmation. Saycet est toujours à l’aise lorsqu’il distord la notion du temps, lorsqu’il fait entrer en contact gravité et légèreté au sein d’une electronica qui ne peut être que naturelle et bucolique, née d’un pacte secret avec les grands espaces du cercle polaire. Sound-designer au Centre Pompidou, le Parisien Pierre Lefeuvre – qui donne de la voix pour la première fois sur Mirages – révèle sur ce troisième album une écriture plus assurée et évasive,

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Philippe Levy

D’une sublime richesse, cette electronica laisse rêveur. empruntant aussi bien à la pop qu’à la techno des orchestrations tour à tour lumineuses ou cotonneuses, intimistes ou épiques. Il faut ainsi entendre Météores et Half Awake, tube glacial ordonné autour de la voix de Yan Wagner, pour comprendre à quel point Mirage sublime la plénitude. Maxime Delcourt concert le 10 mars à Paris (Divan du Monde) facebook.com/saycet

Quatre Parisiens jouent comme les Shins : de la sunshine-pop qui déchire. Divine Pilot n’est peut-être pas à la pointe de la nouvelle pop française, mais au moins le groupe sait-il écrire de vraies chansons – de celles qu’on garde en tête pour fredonner plus tard. Car à l’écoute de leur premier album, on se croirait un peu en 2003, époque où l’on suivait encore les Shins avec passion. Mais il y a aussi du Foals et du Vampire Weekend dans ce rock pour dimanche ensoleillé. Maxime de Abreu divinepilotmusic.com

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Lorenzo Papace

Chocolat

Ödland

Tss Tss Born Bad

Ce trio mélange dans un grand bol à salade folklore européen et étranges récitations electro-poétiques. é au début de l’hiver 2008 à Lyon, Ödland réunit Lorenzo Papace (piano, synthé, banjoline) et les sœurs Bingöllü : Alizée (chant, ukulélé, toy piano) et Léa (violon, thérémine, scie musicale). Incorporant des origines italiennes et turques, ils diluent dans leurs compositions un tourbillon de folklore européen, de musique classique et du XIXe. Au gré de leurs voyages, ils intègrent de nouveaux éléments et instruments pour surprendre l’auditeur, comme le bouzouki et le baglama, qui resurgissent sur l’album Galaktoboureko (2013), célébrant la mer Egée. Et pourtant, quand on leur demande de se définir, ils restent terriblement modernes : “de la chanson française étrange” avec un penchant pour la musique “electro-folk” et des amours cachées pour CocoRosie, Elli et Jacno ou M83. Côté chant, la diction d’Alizée est loin d’être banale : également comédienne, elle prend plaisir à réciter ses textes comme des prières. Revendiquant son indépendance artistique et financière, Ödland gère tout, de la création aux tournées, en faisant parfois appel à ses fans inconditionnels via des plates-formes de crowdfunding. Lorenzo réalise les clips et conçoit de vrais romans animés, comme pour la vidéo extraite de leur dernier ep Après avoir décroché les étoiles (2014) : un step motion en maquette de papier, mixé avec des images tournées à l’ancien siège, déserté, du Parti communiste bulgare. En attendant la sortie de son prochain album, Comète, Ödland ne chôme pas et produit des miniconcerts à suivre sur YouTube deux fois par mois : les Bedroom Live Sessions. Abigaïl Aïnouz

Records/L’Autre Distribution

Ces Montréalais chantent la gorge pleine de fuzz, de reverb et de bière tiède. Born Bad a eu une très bonne idée en mettant un peu de lumière sur les cascades alcooliques de Chocolat, groupe pourtant presque implosé après un premier album en 2008 (Piano élégant). Avec ce deuxième album, ils retrouvent l’urgence de leurs débuts. Les guitares prennent beaucoup de place et le chant de Jimmy Hunt surnage dans un délire de fuzz et de reverb qu’aucun groupe français n’a jamais réussi à assumer. Burn out, le morceau d’ouverture, se charge des présentations avec des riffs extatiques qui lacèrent la mélodie du refrain. D’autres beautés progressives comme Apocalypse, Tss Tss ou Interlude confirment la singularité de Chocolat et son incroyable capacité à maquiller sa musique organique pour lui donner une incarnation froide, presque automatique. Une des chansons gémit puis hurle le mot “fantôme” : meilleure manière d’annoncer au plus grand nombre la magnifique résurrection du groupe.

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Azzedine Fall chocolatmtl.bandcamp.com

en écoute sur lesinrockslab.com/ODLAND

John Londono

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Hugo Bernatas

la découverte du lab

Ropoporose Elephant Love Yotanka/Differ-ant Album passionnant et bricoleur, de l’électrocution rock à l’enluminure pop. eux qui ont vu les visages poupons de Pauline et Romain, frère et sœur de Ropoporose, le savent : les Vendômois sont de très jeunes gens. Mais la mythologie de l’adolescence est secondaire chez eux, leur rage n’est jamais trop juvénile et ils ne suivent les règles d’aucune école sinon celle qu’ils se sont inventée, épineuse plutôt que buissonnière. Le sang d’encre noire ou de gouache multicolore qui coule dans les artères électriques du duo, qui éclabousse les chansons indomptables de leur premier Elephant Love comme un dripping furieux de Pollock, n’a ainsi pas vraiment d’âge. Ni jeune ni vieux, il semble avoir déjà tout traversé, savoir déjà tout faire, à sa manière, bricoleuse et sans mode d’emploi : électrocuter le béton comme Sonic Youth, déplacer le soleil comme Arcade Fire, noyer l’océan comme Mogwai. Produit par Théo Laquerrière de Nestor Is Bianca, Elephant Love expérimente avec les volts, joue au clair-obscur avec les mélodies et structures, griffe les harmonies et la beauté. Et impressionne, de bout en bout. Thomas Burgel



concerts le 26 février à Tulle, le 27 à Toulouse, le 28 à Vénérand, le 4 mars à Limoges, le 5 à Châteauroux, le 6 à Lorient, le 7 à Pommerit-Jaudy, le 20 à Agen, le 21 à Niort ropoporose.com

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

FKA Twigs 4/3 Paris, Casino de Paris Flying Lotus 25/4 Paris, Trianon Grand Blanc 5/3 Caen, 26/3 Nantes Glass Animals 18/3 Lyon, 20/3 Paris, Gaîté Lyrique Hanni El Khatib 26/2 Rennes,

sélection Inrocks/Fnac festival Les Hivernales à Nyon Cette semaine sera attrayante avec notamment Talisco, La Fine Equipe ou Salut C’est Cool pour cette édition 2015, mais aussi de belles découvertes en perspective.

27/2 Lille, 3/3 Rouen, 4/3 Paris, Gaîté Lyrique Ibeyi 25/2 Tourcoing, avec June Bug, 6/3 Villeurbanne, 7/3 Sannois, 16/4 Paris, Gaîté Lyrique, 26/4 Brest, 30/4 Alençon

sélection Inrocks/Fnac Ariel Pink à Paris Le fou/génial/imprévisible/ imbuvable Ariel Pink jouera lundi, à Paris, au Trabendo. Fer de lance de tout ce que la scène rock indépendante a connu de plus fou et créatif ces dernières années, le natif de Los Angeles, dont le dernier album, Pom Pom, continue inlassablement de tourner sur nos platines, ne manquera pas d’aviver notre soif de tubes cinglés.

Isaac Delusion 12/3 Caen Jungle 30/3 Paris, Cigale Kitty, Daisy & Lewis 11/3 Strasbourg Meatbodies 26/2 Angers, 27/2 La Rochesur-Yon, 4/3 Paris, Point Ephémère Moon Duo 11/4 Bordeaux, 16/4 Lyon, 10/4 Paris, Machine

Nick Mulvey 31/3 Paris, Trianon Panda Bear 6/3 Paris, Gaîté Lyrique Red Bull Music Academy Sessions 27/2 Paris, Palais de Tokyo, avec Brodinski, 28/2 Lille, avec Canblaster, les 6 et 7/3 à Caen, avec Gilles Peterson

La Route du rock collection hiver les 25 et 26/2 à Rennes, avec My Name Is Nobody, The Cosmic Death, Hanni El Khatib, Jessica93…, du 27/2 au 1/3 à Saint-Malo, avec Ariel Pink, Grand Blanc, Allah-Las, Ghost Culture, Blonde Redhead

aftershow

Basile Trouillet

Dominique A 21/4 Brest, 23/4 Nîmes, 7/5 Toulouse ALB 26/2 Rennes, 27/2 Lorient, 11/3 Nantes Tony Allen 6/3 Le Mans, 7/3 ClermontFerrand, 28/3 La Rochelle, 11/4 Paris, Gaîté Lyrique Arthur H 6/3 Grenoble, 7/3 Cannes, 27/3 Amiens The Avener 27/2 Toulouse, 28/2 Alençon, 18/4 Strasbourg Asaf Avidan 18/3 Paris, Zénith, 19/3 Tours, 23/3 Toulouse, 24/3 Marseille, 27/3 Lyon, 2/4 Lille, 6/4 Le Mans Caribou 11/3 Paris, Olympia Benjamin Booker 5/3 Tourcoing, 9/3 Bruxelles, 13/3 Lyon, 14/3 Paris, Maroquinerie Benjamin Clementine 6/3 Lille, 10/3 Marseille, 12/3 Toulouse, 17/3 Lyon, 19 et 20/3 Paris, Trianon, 24/3 Strasbourg festival Chorus du 27/3 au 5/4, Paris, parvis de la Défense, avec 2 Many DJ’s, Asian Dub Foundation, Roy Ayers, Rone, Shaka Ponk, Skip The Use, Joeystarr, Feu ! Chatterton, Youssoupha, Yuksek, Cut Killer, Joke, Chassol, La Maison Tellier, Jeanne Cherhal, Bagarre, Stephan Eicher Christine And The Queens 18/3 Lille

Death From Above 1979 28/2 Paris, Gaîté Lyrique DM Smith 28/2 Paris, Point Ephémère, avec Anna B Savage The Dø 27/3 Paris, Zénith Baxter Dury 25/2 Paris, Olympia, 3/3 Reims, 6/3 Lyon festival Les Embellies du 3 au 8/3 à Rennes, avec Mansfield.TYA, Mina Tindle, La Féline, Chapelier Fou, Fat Supper, Centenaire Fauve ≠ 5/3 Dijon, 10/3 Paris, Nouveau Casino, 11/3 Paris, Gaîté Lyrique

ALA.NI le 12 février à Paris (Silencio) Après un passage remarqué au festival No Format! en décembre, ALA.NI s’attaquait à 2015 en passant par le Silencio, à Paris. Un endroit chic, à l’ambiance feutrée, où l’espace se tord et le temps est annulé : drôle de hasard, elle est comme ça aussi, la musique de cette Londonienne qui n’a pas grand-chose à voir avec les filles de son âge. Sorte de FKA Twigs à l’envers, ALA.NI a donc décidé de revisiter la soul dans ses recoins blues et ses reflets jazz, laissant de côté toute ambition de futurisme – et même de contemporanéité. Sur scène, ALA.NI chante avec une harpiste, un guitariste et une violoniste. Elle prend parfois elle-même un instrument mais l’effleure à peine de ses longs doigts délicats. Elle est toujours calme, ALA.NI, avec ses gestes au ralenti et ses mimiques un peu exagérées, auxquelles on a décidé de croire. Et en plus elle est belle, ALA.NI – on ne va pas faire comme si on n’avait rien remarqué. Alors quand elle chante Cherry Blossom, tube d’un monde en poussière, on pense à son premier ep qui sortira au mois de mars : le passé, ce n’est qu’une question de perspective. Maxime de Abreu 25.02.2015 les inrockuptibles 85

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faire le mort Disparaître de soi-même, se dessaisir des contraintes de l’identité : l’anthropologue David Le Breton décrypte cette tentation prégnante de notre époque, qui peut se réaliser dans des conduites à risque.

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a “fatigue d’être soi” génère chez beaucoup de nos contemporains un état de dépression diffus, expliquait à la fin des années 90 le sociologue Alain Ehrenberg en pointant une inflation des troubles de la personnalité, un sentiment de vide et d’impuissance… A la difficulté d’exister souverainement, la dépression ne constitue pourtant pas le seul mode d’(in)adapation. Comme l’éclaire brillamment le sociologue David Le Breton dans son nouvel essai, Disparaître de soi – Une tentation contemporaine, des individus ajustent leur mal-être et le poids de l’existence à une stratégie qui excède la dépression ellemême : celle consistant à se défaire des contraintes de l’identité, à se déprendre de soi et des exigences qui nous enferment en nous-même. S’échapper de soi, plus encore que du monde, cesser de vouloir contrôler son existence, se laisser couler, s’effacer face à l’obligation de s’individualiser : cette opération de “dessaisissement” est ici auscultée sous ses multiples visages. Cette “relâche de l’effort d’être soi” constitue une tentation de notre époque,

tellement travaillée par la négativité qu’elle se sent tenue d’y échapper comme elle peut, c’est-à-dire souvent par la radicalité d’un refus. Le refus de soi-même plus encore que de la société dans laquelle on ne trouve pas sa place. “Quand l’évidence de vivre se dérobe et que l’existence pèse comme un fardeau, se dépouiller de soi pour recommencer ailleurs devient parfois une nécessité intérieure, quitte à devoir reprendre son existence à partir de rien”, écrit l’auteur. Adeptes du voyage sans retour, des conduites à risque, de la défonce, les personnes auxquelles s’intéresse David Le Breton ne s’intéressent plus, elles, au monde ; elles ne veulent plus être concernées par lui comme par personne et préfèrent errer dans un “no man’s land”. Elles se tiennent “dans les limbes, ni dans la vie ni dans le lien social, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors”. Entre le lien social et le néant, cette disparition interne n’est qu’une “manière de faire le mort” pour un moment. A la fois à distance de son objet de recherche et aspiré par ce qui le motive, David Le Breton nous confie que lui-même, à un moment de sa vie, a cherché

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Gerry de Gus Van Sant (2002)

s’échapper de soi, plus encore que du monde, cesser de vouloir contrôler son existence, se laisser couler, s’effacer face à l’obligation de s’individualiser

à “disparaître sans laisser d’adresse”. En partant pour l’Amazonie à l’âge de 20 ans, il a voulu se “perdre”. “J’ai toujours été un gamin, et un homme un peu étonné d’exister : le monde m’était un peu extérieur. Il a fallu que j’apprivoise mon entrée dans l’existence.” Depuis ce voyage initiatique, la plupart des livres de David Le Breton s’enracinent dans ce souci de disparaître, comme dans la réédition de Du silence, ou encore ses essais sur les conduites à risque, les expériences de la douleur… Dans le prolongement de son passionnant travail d’anthropologie des identités et des corps, l’auteur dresse ici une cartographie des multiples manières de disparaître. Celles-ci ne se réduisent pas aux formes les plus extrêmes comme le burn-out, la transe anorexique, la toxicomanie ou même l’adhésion à une secte ou à un intégrisme religieux (le jihadisme prend pleinement place dans cette cohorte de pratiques de disparition de soi). Il existe aussi des manières discrètes de disparaître, comme la fatigue, qui forme un détachement, “une excuse pour se lover en soi et diminuer ainsi l’intensité de la relation avec le monde”. Le fait de prendre congé de soi sous une forme ou une autre à cause de la difficulté d’être soi, David Le Breton l’appelle “blancheur”. Ne dit-on pas parfois “j’ai un blanc” pour évoquer un oubli, une absence, une sorte de parenthèse ? La blancheur signifie cet “engourdissement”, “un laissertomber né de la difficulté à transformer

les choses”. Dans tous les cas, la volonté est de relâcher la pression. Le sujet se perd dans ce que les Anglais appellent le “blank” (un espace inoccupé, vide). Il maintient son existence “comme une page blanche pour ne pas se perdre ou courir le risque d’être impliqué, d’être touché par le monde”. Au fond, de tout, donc de lui-même, “il gît dans l’indifférence des choses, soulagé de l’effort d’être soi”. N’être plus personne, gagner un état de blancheur devant le monde : par-delà la réalité sociologique de notre temps, David Le Breton en perçoit l’obsession dans les récits de la littérature elle-même. Chez Pirandello, Samuel Beckett, Robert Walser, Paul Auster, Murakami, mais aussi chez Melville (Bartleby), Georges Perec (Un homme qui dort), Pessoa (“personne” en portugais), la recherche d’impersonnalité traverse le roman contemporain. Indice d’une résistance “aux impératifs de se construire une identité”, la blancheur dessine simplement une “autre modalité de l’existence tramée dans la discrétion, la lenteur, l’effacement”. Elle ouvre les portes d’un contre-monde, champ de pures sensations, d’où l’on revient, où l’on se perd aussi parfois définitivement. “La blancheur est parfois une puissance, une énergie en attente de son déploiement prochain”, insiste Le Breton. Le geste de disparition de soi oscille ainsi entre un périple et un péril. C’est aussi dans le flou de cet entre-deux que David Le Breton se perd lui-même magnifiquement, laissant ouverte à tout, au pire comme au meilleur, l’exploration innommable des gouffres dont la blancheur est le nom. Jean-Marie Durand Disparaître de soi – Une tentation contemporaine (Métailié), 208 pages, 17 € réédition de Du silence (Métailié), 304 pages, 11 €

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Hannah Dunphy

la réussite de Fin de mission tient au refus de Klay de verser dans l’antimilitarisme primaire

l’Irak en live En douze nouvelles hurlantes de vérité, Phil Klay, vétéran de la guerre d’Irak, met en évidence l’inanité des solutions militaires. Un premier livre qui, aux Etats-Unis, a donné à réfléchir jusqu’à la Maison Blanche.

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n président des Etats-Unis qui trouve le temps de lire des ouvrages de fiction ? Cela existe – au journaliste de CNN qui s’étonnait de son refus d’envoyer des troupes au sol combattre au Moyen-Orient les fanatiques de Daech, Barack Obama recommandait récemment le recueil de nouvelles d’un vétéran de la seconde guerre d’Irak, Phil Klay. Et précisait qu’aucun fantasme de guerre “antiseptique” ne survivrait à une immersion dans les douze histoires de Fin de mission – des histoires d’où la bannière étoilée ressort en lambeaux, maculée de sang, de larmes et de poussière.

Alors que la guerre du Vietnam avait eu pour bande-son les chansons pacifistes de la génération Woodstock, les engagés volontaires de Fin de mission organisent le pilonnage sonique des positions islamistes. Leurs armes ? Les guitares de Metallica et le rap d’Eminem, auxquels répondent dans les haut-parleurs du camp adverse des prêches incendiaires. Dans le vacarme et les échanges d’obscénités, l’affrontement tourne à la guerre des gangs, la bouffonnerie côtoie la boucherie, les bourdes tactiques se paient cash et les snipers des deux camps font des cartons. Confrontés aux réalités de la guerre asymétrique, des marines adorant “se voir

comme des chiens fous d’une agressivité suicidaire” sont victimes d’engins explosifs – en jargon militaire, les EEI – pouvant prendre les formes les plus diverses, laissant dans les ruelles de Falloujah membres amputés et rêves de gloire. A l’imagination des poseurs de bombes répond celle d’un artificier littéraire de tout premier ordre, dont la prose hautement inflammable se lit comme on traverserait un champ de mines, dans l’attente de la prochaine déflagration. Expert en machines infernales, Klay sait varier ses effets, dissimuler la charge dans des recoins inattendus, orchestrer des explosions à retardement, trouver dans l’effroi, l’horreur ou l’humour des projectiles auxquels nul blindage ne saurait résister. La litanie de désastres physiques et psychiques qu’égrainent ses douze narrateurs peut avoir pour origine l’incompétence, la naïveté – la nouvelle dans laquelle le “roi du matelas du nord du Kansas” prétend résoudre les problèmes de l’Irak en y popularisant le base-ball est d’une drôlerie digne du Joseph Heller de Catch 22 –, la duplicité des chefs de tribus locaux, le sadisme des tortionnaires d’Al-Qaeda ou la collusion entre des films aux messages antipodiques, de jeunes Américains ayant réussi à trouver dans les fusillades crépusculaires de Full Metal Jacket des raisons de s’enrôler faisant face à de jeunes Irakiens fans de Rambo. La réussite de Fin de mission tient toutefois au refus de Klay de verser dans l’antimilitarisme primaire. En dotant de voix hurlantes de vérité les éclopés qui, de retour aux Etats-Unis, doivent affronter le regard condescendant des élites, il évite de trancher entre patriotisme dévoyé et suffisance friquée, et se contente de mettre en lumière l’engrenage au terme duquel des objectifs flous, des alliances risquées et des méthodes brutales débouchent sur les zones grises des conflits modernes, sur la disparition de la frontière entre victoire et défaite et sur un fatal gâchis d’idéaux et de vies. Bruno Juffin Fin de mission (Gallmeister), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe, 320 pages, 23,80 €

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Sollers show

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rofesseur de désir. Le titre du roman de Philip Roth irait comme un gant à Philippe Sollers, ou du moins au narrateur de son dernier livre qui prodigue, au fil de courts paragraphes, fragments tour à tour drôles, érotiques ou tranchants, des leçons de vie plus que de choses. Cette Ecole du mystère “est évidemment le contraire de l’institution scolaire en plein naufrage” : “J’apprends en étudiant, soit, mais surtout en dormant, en rêvant, en parlant, en nageant, en baisant. Personne ne me dit ce qui est bien ou mal. J’apprends.”

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Sophie Zhang

Sexe, littérature et métaphysique. Les leçons et obsessions de Philippe Sollers réunies dans un livre à rebours de l’époque. Au sein de cette école, il y a les bons et les mauvais élèves. Parmi ces derniers, les “Fanny”, terme générique pour désigner un archétype de femme – et dans une moindre mesure d’homme – qui se caractérise par “son opposition génétique” à l’égard du narrateur. Les Fanny lisent Duras, sont féministes, en faveur de la PMA, du mariage homosexuel. Avouons que sur ces points, on s’en sent personnellement assez proche. Mais surtout, elles incarnent une forme de conformisme contemporain, dénué de grâce,

de profondeur et de liberté. En un mot, de mystère. A ces Fanny, Sollers oppose ses épiphanies, fantasmes et digressions d’un homme qui avoue ne pas être de son temps, mais qui aime s’en amuser. Ce livre qui s’inscrit dans le prolongement de Portrait du joueur condense les obsessions de l’écrivain : la foi, les femmes, Sade, Casanova, le libertinage. Et une certaine inclination à la provocation roublarde qui transparaît dans des saillies – “une saillie n’est pas seulement un accouplement d’animaux domestiques, mais aussi un trait d’esprit brillant,

imprévu” – sur les religions, le sexe, l’inceste ou la littérature d’aujourd’hui, notamment quand il évoque “un type suisse de 28 ans” qui a vendu un demi-million d’exemplaires (qui a dit Joël Dicker ?) ou quand il fait une parodie de critique littéraire. Philippe Sollers cabotine avec humour, se met en scène dans un dialogue imaginaire avec l’essayiste Marilyn Yalom, épingle la fadeur et les obscénités de l’époque. Un traité de métaphysique déluré et un vrai festival sollersien. Elisabeth Philippe L’Ecole du mystère (Gallimard), 160 pages, 17,50 €

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Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Grand Sommeil d’Howard Hawks (1946)

le revival des personnages Pierre Bayard réécrit Le Chevalier de Maison-Rouge de Dumas, Benjamin Black ressuscite Philip Marlowe… Mais un auteur peut-il impunément s’approprier un personnage créé par un autre ?

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ertains d’entre nous ont fantasmé sur Gatsby, rêvant d’être conviés à l’une de ses fêtes somptueuses voire plus si affinités ; d’autres se sont épris d’Anna Karénine, caressant l’espoir insensé à la douzième lecture du roman de Tolstoï que, cette fois, leur amoureuse de papier ne finirait pas en bouillie sous les roues d’un train. En vain. L’avantage des écrivains sur le commun des lecteurs est qu’ils possèdent le pouvoir de redonner vie à ces héros dont on se contente de rêver. Pourquoi pas en effet s’approprier un personnage sorti de l’imagination d’un autre pour lui imaginer de nouvelles aventures ou un destin alternatif ? Comme la créature de Frankenstein, il arrive aux personnages romanesques d’échapper à leur auteur, quitte à devenir monstrueux ou du moins méconnaissables sous la plume d’un autre.

Pierre Bayard, auteur d’essais littéraires iconoclastes comme Et si les œuvres changeaient d’auteur ?, tente l’expérience. Dans Aurais-je sauvé Geneviève D ixmer ?, il se propose d’entrer littéralement dans le roman de cape et d’épée d’Alexandre Dumas, Le Chevalier de Maison-Rouge, pour sauver l’héroïne qui a fait battre son cœur adolescent. Dans la version de Dumas, la belle Geneviève Dixmer finit sur l’échafaud. Bayard prend la place du héros, Maurice Lindey, pour essayer de changer le cours de l’histoire. Dans les premières pages où il analyse la complexité d’une telle entreprise, il écrit : “(…) les créatures de fiction peuvent jouer un rôle aussi important dans nos vies que des personnes réellement fréquentées.” Et plus loin : “(…) une œuvre ne se réduit pas à l’objet matériel qui l’héberge et aux caractères typographiques qui en ouvrent l’accès.”

Voilà pourquoi ressusciter un héros de fiction ne s’apparente pas à une simple opération de clonage textuel. Ou alors le personnage n’a pas plus d’épaisseur psychologique que la brebis Dolly. Ce fut le cas de certains James Bond imaginés par les successeurs de Ian Fleming. Si William Boyd a su redonner vie à 007, Jeffery Deaver n’a engendré qu’un ectoplasme d’agent secret. Ces jours-ci, c’est Philip Marlowe qui est de retour. Le détective culte de Raymond Chandler réapparaît dans un roman signé Benjamin Black (pseudo de l’écrivain irlandais John Banville), La Blonde aux yeux noirs. Tout y est : Los Angeles, la blonde fatale, l’enquête à double fond, les comparaisons saugrenues. Certaines scènes ressemblent à des copier-coller du Grand Sommeil. Mais le Marlowe nouveau n’est que l’ombre de celui de Chandler. Il lui manque l’ironie de l’original, absence qui se fait cruellement sentir dans les dialogues. L’âme du personnage, c’est l’écriture, le style. Sans cela, il erre désincarné dans les pages d’un texte aux allures de pastiche. Tel un zombie. L’un des derniers remakes littéraires à succès n’est-il pas, d’ailleurs, Orgueil et préjugés et zombies, adaptation parodique de l’œuvre de Jane Austen ? Les romanciers doivent donc réfléchir à deux fois avant de jouer les docteur Frankenstein. Ou bien nos soirées lecture au coin du feu risquent de muter en nuit des morts vivants. Elisabeth Philippe Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? de Pierre Bayard (Minuit), 160 pages, 15 € La Blonde aux yeux noirs de Benjamin Black (Robert Laffont), traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch, 378 pages, 20 €

la 4e dimension 400 000 nuances de Musso La Hune baisse le rideau C’était une des librairies historiques de Saint-Germaindes-Prés, quartier qui est de moins en moins celui des intellectuels. La Hune fermera fin 2015 pour cause de chiffre d’affaires en baisse. Ainsi en a décidé le groupe Madrigall, propriétaire des lieux.

Et c’est beaucoup trop ! En vente le 26 mars, L’Instant présent (XO), le nouveau Guillaume Musso, écrivain français qui a vendu le plus de livres en 2014, bénéficiera d’un tirage initial de 400 000 exemplaires.

quand Netanyahu s’en mêle Le Premier ministre israélien voulait limoger trois membres du jury du Prix Israël, les accusant d’avoir “nominé ces dernières années de plus en plus d’extrémistes et d’antisionistes”. Suite à l’annonce de boycott du prix par plusieurs écrivains nominés, dont David Grossman, il a fait marche arrière.

la littérature selon Eribon Rencontre avec le sociologue et philosophe Didier Eribon à l’occasion de la parution de Théories de la littérature  – Système du genre et verdicts sexuels (PUF). Il évoquera ses écrivains de prédilection : Proust, Genet, Duras, Morrison, Beauvoir. Animé par notre collaborateur Jean-Marie Durand. le 5 mars à 19 h, Maison de la Poésie, Paris IIIe, maisondelapoesieparis.com

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colore le monde L’Anglais Andrew Rae rafraîchit le récit d’initiation grâce au psychédélisme débordant d’un séduisant arc-en-ciel graphique.

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n connait déjà bien Joey, un ado rêveur, mal dans sa peau et un peu souffre-douleur. Ceux qui l’entourent nous sont également familiers : les parents inconscients du mal-être de leur fils, les fiers-à-bras cruels, la bonne copine que Joey néglige parce qu’il veut plaire à la jolie fille de sa classe… Cette histoire, celle d’un garçon paumé qui va s’intégrer grâce à son jardin secret, nous l’avons en partie déjà lue. Cependant, Andrew Rae la raconte d’une manière si rafraîchissante qu’elle paraît totalement neuve, touchante comme la première fois. S’il réinvente le récit d’initiation, c’est parce qu’il le fait pousser

sur une terre magique en quadrichromie, un univers aux doux éclats oniriques. Les archétypes, l’auteur anglais les repeint d’un psychédélisme bon enfant mais piquant. Le premier postulat délirant – la lune ronde et détachable que Joey et ses parents ont en guise de tête –, il l’impose avec brio lors de l’éblouissante séquence d’ouverture. Le désir d’évasion de Joey se traduit ainsi par une galerie d’illustrations poétiques et craquantes. Autre moment fort de ce roman graphique fort en charme(s) : la découverte de vinyles aux pochettes fantasques. La musique joue en effet ici un rôle moteur, porte ouverte vers la métamorphose. Si l’intrigue tourne autour d’un concours de talents

organisé à l’école, Rae cultive jusqu’au bout sa différence. Au thème de la très contemporaine quête de célébrité, il préfère celui de l’ivresse de la création, symbolisée ici par des débordements de couleurs. Il a d’ailleurs prolongé la vie de Joey en enregistrant avec son groupe The Moonheads un très plaisant album de rock’n’roll. Mais son étonnant livre pour les enfants qui veulent grandir et les adultes qui ont de la mémoire n’a pas besoin de bande-son : il véhicule déjà une singulière musique pour les yeux. Vincent Brunner Moonhead et la Music Machine (Dargaud), traduit de l’anglais par Fanny Soubiran, 176 pages, 22,50 € 25.02.2015 les inrockuptibles 93

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malades d’amour Le nouvel opus des Chiens de Navarre débusque la quête d’amour sous forme de cadavre (exquis).

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l y a, majoritairement, les spectacles qui démarrent en retard et ceux, beaucoup plus rares, qui ont déjà commencé quand le public s’installe. Les Armoires normandes, nouvel opus réjouissant des Chiens de Navarre, est de ceux-là. Comme, d’ailleurs, tous leurs spectacles. Le message est limpide : vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir d’un spectacle cousu main et s’en tenant aux normes habituelles pour plonger directement dans une pièce foutraque, largement improvisée et, nonobstant, réglée comme un moteur de bolide. C’est sous la harangue d’un Christ en croix sanguinolent que débute ce sombre et hilarant catalogue de “toutes nos joies et nos misères affectives”, rangeant dans le même camp

optimistes et pessimistes de tout poil, sous la devise scéniquement vérifiable : “Comme les palmiers sauvages de l’Alaska, l’amour existe.” Certes, mais nous fait-il pour autant du bien ? C’est la question que pose d’emblée ce Christ, révolté d’être depuis deux mille ans un symbole de l’amour sous la forme d’une image de torture et de mort qui a fait le tour de la planète et inspiré les peintres, selon les époques, dans des postures accablantes qu’il reproduit sous nos yeux tout en les commentant. Le jardin des délices dans un désert aride, voilà en somme ce qu’est l’amour devenu… Le vide sidérant des âmes esseulées marque la première station de ce Golgotha des temps modernes que doit gravir celui qui cherche l’amour alors qu’il est déjà totalement déconnecté

de lui-même. Traduction scénique : du réveil à la douche, du petit déjeuner au suicide, l’acteur suit à la lettre et en play-back les bruitages et les voix qui l’animent. Une écriture plateau juxtaposée à la technique d’une création radiophonique avec son lot de couacs et de décalages qui en font tout le sel. Après, tout s’accélère : la succession des couples interrogés par un journaliste sur leur vie amoureuse et sexuelle, amoureuse ou sexuelle, voire plus amoureuse du tout, ou vraiment pas sexuelle. Avec, à la clé, un fondu enchaîné du parcours du combattant des amoureux en herbe : mariage, naissance, banquet, crise de couple, disputes, séparations et amour d’outre-tombe défilent au pas de charge. La musique étant seule, peut-être, à adoucir

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fondu au noir Du drame sombre et cauchemardesque d’Henrik Ibsen Petit Eyolf, Julie Bérès tire un spectacle hallucinatoire. a chute d’un enfant qui dévale en rampant la courbe d’un escalier avant d’être avalé par une marche. Noir. C’est le premier d’une longue série de noirs entre lesquels des scènes muettes ou parlées, oniriques ou réalistes, se succèdent, se mélangent, se diffractent mutuellement. Cette séquence d’ouverture anticipe la disparition future de Petit Eyolf et, d’un bout à l’autre du spectacle, visions, au sens d’hallucinations, et images, en tant que représentations du réel, vont se côtoyer, s’influencer et guider le regard dans les profondeurs de la psyché explorées par Henrik Ibsen. Tout pourrait se passer au fond de la mer où se noie Petit Eyolf ; tout dépend de la focale du regard, ce que traduit formidablement la scénographie de Julien Peissel. De l’aquarium posé dans le salon à la chambre de l’enfant, cube transparent dont les parois se remplissent d’eau, et au poisson géant qui se déplace dans l’escalier, le réel est constamment sous l’emprise du fantastique. Ou du fantasme. A l’image de la femme aux rats, personnage énigmatique, fantomatique, qui traque “tout ce qui ronge dans les maisons” pour les noyer dans la mer et que l’enfant va suivre, lui qui ne sort jamais de chez lui, paralysé d’une jambe depuis sa chute d’une table quand il était bébé. La mère d’Eyolf est riche, hystérique, jalouse et veut son mari tout à elle. Lui est dépressif, orphelin, incestueusement attaché à sa sœur qu’il appelle Grand Eyolf, écrivain en panne d’inspiration alors qu’il travaille sur son grand-œuvre : un roman sur la responsabilité. Trop préoccupés d’eux-mêmes pour que l’amour ait une chance d’exister, entre eux et pour leur enfant. C’est cruel. D’un égoïsme qui confine à l’aveuglement. Seule la noyade d’Eyolf va leur ouvrir les yeux, les rendre conscients, c’est-à-dire humains. A cette sombre histoire d’Ibsen, Julie Bérès donne vie en mêlant adroitement l’atonie d’une existence bourgeoise privée de tout horizon, émotionnel et sensible, à son contrechamp dévastateur : l’influence envahissante de visions chatoyantes, cauchemardesques, dont Freud allait bientôt s’inspirer pour élaborer sa théorie psychanalytique. F. A.

Philippe Lebruman

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les moeurs, Les Armoires normandes se referment sur l’interprétation hautement jubilatoire d’Un homme heureux de William Sheller par Thomas Scimeca qui, fausses notes à l’appui, se demande avec nous : “Pourquoi les gens qui s’aiment sont-ils toujours les m êmes ?” La réponse, bien sûr, étant dans la question, elle s’avère insoluble. Fabienne Arvers Les Armoires normandes par les Chiens de Navarre, mise en scène JeanChristophe Meurisse, avec Caroline Binder, Solal Bouloudnine, Claire Delaporte, Céline Fuhrer, Charlotte Laemmel, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual, Jean-Luc Vincent, du 3 au 22 mars à Paris (Bouffes du Nord), les 2 et 3 avril à Saint-Médard-en-Jalles, du 9 au 11 à Toulouse, le 16 à Creil, du 10 au 14 juin à Lyon

Petit Eyolf d’Henrik Ibsen, mise en scène Julie Bérès, Cie Les Cambrioleurs, les 26 et 27 février à Bruz, tél. 02 99 05 30 62, www.legrandlogis.net, le 5 mars à Morlaix, les 11 et 12 à Valence, du 17 au 21 à Lyon. En tournée jusqu’au 2 juin 25.02.2015 les inrockuptibles 95

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Photo Blaise Adilon, courtesy Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes

JulieB éna, La Perruche bleue, 2015

fenêtres aveugles L’exposition Rideaux/Blinds, à Villeurbanne, est une traversée des coulisses de l’art avec peintures retournées, stores ou murs-écrans qui ouvrent notre désir de voir.

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ans le contexte actuel de revival des arts appliqués, de la tapisserie à la céramique, il y avait une possibilité que l’exposition Rideaux/ Blinds se concentre sur la façon dont les artistes s’intéressent à ces supports longtemps considérés comme “mineurs”. Une histoire du rideau sur la scène de l’art, allant de celui de Picasso pour le ballet cubiste Parade (1917) à ceux qui théâtralisent les expositions récentes d’Ulla von Brandenburg, en passant par les arts textiles et l’intégration à la vie quotidienne. Ce ne sera pas le cas. La curatrice Marie de Brugerolle a privilégié l’idée de rideau et ses connotations psychanalytiques (faire écran, voiler, dévoiler, image-miroir, désir de

voir) pour interpréter les rêves et les névroses du modernisme, de l’abstraction à la reproductibilité technique. Dès l’entrée, l’immense toile abstraite de Jessica Warboys, magnifique explosion de couleurs, est moins le résultat d’un programme catégorique que d’un rituel primitif : l’artiste plonge dans la mer de la côte anglaise, laissant les vagues disposer les pigments sur la toile. Suit un lourd rideau en caoutchouc noir de l’artiste autrichien Heimo Zobernig, rappelant l’entrée d’un entrepôt frigorifique dans une tentative de poursuivre le principe du monochrome avec un humour morbide. L’expo engage ici une tension dramatique qui transforme l’espace en scène, jouant brutalement du changement de scénario entre les actes. Place à l’éblouissement baroque

devant le cube géant en rideaux de paillettes de Charlotte Moth qui occupe toute une salle. Derrière, on ne trouvera rien, une absence de mystère, car il s’agit plutôt d’actualiser un rapport à la culture globalisée avec des tissus flashy des immigrés indiens installés à Londres, ambiance Bollywood. Que se passe-t-il pour que les rideaux, après avoir pratiquement quitté toutes les scènes du théâtre contemporain, resurgissent désormais dans le champ de l’art ? Si “le monde entier est un théâtre”, tel que le disait Shakespeare, les rideaux peuvent se déplacer partout où il s’agit de signifier l’artifice, la répétition des codes sociaux et le jeu de rôle quotidiens. Recouvrant une baie vitrée, le store imprimé de Julie Béna reprend l’image d’un décor de bureau parfaitement

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c’est dans l’art

modern style atone, proche de l’esthétique corporate qui domine nos vies administratives. Cela dit, quelque chose fait bruit – la fausse perspective ou le tropical de pacotille d’une perruche bleue –, donnant l’impression d’un réel interchangeable comme un montage Photoshop. L’uniformisation poussée à l’absurde se trouve aussi dans le salon domestique schizo de William Leavitt, avec canapé, rideau éclairé par les couleurs d’une mire télévisuelle et bruit d’autoroute. Décor pour une performance de 1977, il évoque l’intérêt pour les lieux communs de l’industrie du cinéma de sa bande (John Baldessari ou Guy de Cointet). Parfois on se perd dans les fils tirés par l’exposition, à l’image des nombreuses évocations de la peinture abstraite et des techniques de reproduction, tandis que la peinture vitaliste du jeune artiste Simon Bergala, avec des rideaux débordant du châssis, détonne par son emploi presque tribal des motifs de la vie urbaine. Un ancrage dans le réel qui peut devenir sombre, au vu de l’actualité, dans le cas de Gustav Metzger, 88 ans, artiste activiste de la scène londonienne : derrière une grille posée au sol, une photo montre des gens entourant des Juifs forcés de nettoyer le sol, à Vienne en 1938. La grille est recouverte d’un rideau jaune. A nous de le lever ou non. Pedro Morais Rideaux/Blinds jusqu’au 3 mai à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, i-ac.eu et aussi Julie Béna, Destiny, jusqu’au 28 mars à l’Ecole municipale des beaux-arts, galerie Edouard-Manet, Gennevilliers

On peut avoir 90 ans et être un artiste émergent de l’art contemporain. La jeunesse y est devenue un état d’esprit plus qu’une affaire d’état civil. our les chercheurs d’art affairés à dégoter la sensation que tout le monde s’arrachera, le “jeune artiste” semble avoir cédé la place à l’“artiste émergent”. Si le nouveau fait toujours saliver l’art contemporain, il est moins indexé sur l’âge. Symptomatique, la disparition progressive de la limite d’âge aux salons Jeune création et Montrouge, deux des principales plates-formes de lancement de la jeune garde. Récemment, Hans-Ulrich Obrist, commissaire des plus influents, a jeté son dévolu sur une nouvelle artiste : Etel Adnan, 90 ans. La carrière de cette Beyrouthine explose à la suite de sa participation à la Documenta 13 à Kassel, il y a tout juste trois ans. Exposées à la galerie Lelong à Paris, ses compositions semi-abstraites gardent la tentation du paysage : comme avant elle Cézanne, c’est une montagne qu’elle répète inlassablement, le mont Tamalpaïs, en Californie. Une pratique méditative et atemporelle qui pourtant fait d’elle une star. Représentée par la prestigieuse White Cube Gallery à Londres, elle y côtoie les Young British Artist des années 90, dont les turbulents Damian Hirst et Tracey Emin. Un hapax dans le monde du bling, cette redécouverte ? Loin s’en faut. Les nouvelles géographies de l’émergence, qui remettent sur le devant de la scène les laissés-pour-compte du modernisme, s’écrivent en collusion avec l’explosion du marché de l’art en Asie ou au MoyenOrient. Quelques mois plus tôt, c’est une figure fondatrice de l’art contemporain coréen que l’on découvrait à la galerie Perrotin à Paris, où s’exposaient les subtils monochromes de Park Seo-bo. Parmi les chapitres à venir de ces modernités plurielles, l’expo de Simone Fattal à la galerie Balice Hertling ou encore le double solo-show de Kazuko Miyamoto, ancienne assistante de Sol LeWitt, à Circuit (Lausanne) et à Treize (Paris).



Ingrid Luquet-Gad Etel Adnan Peintures jusqu’au 28 mars à la galerie Lelong, Paris VIIIe, et du 2 avril au 9 mai à la galerie Lelong de New York, galerie-lelong.com Simone Fattal à partir du 2 mars à la galerie Balice Hertling, Paris XXe, balicehertling.com Kazuko Miyamoto à partir du 14 novembre à Circuit, Lausanne, circuit.li, et à partir du 21 novembre à Treize, Paris XIIIe, chez-treize.blogspot.fr 25.02.2015 les inrockuptibles 97

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basques besognes Le terrorisme sévissait au Pays basque français dans les années 80. Un téléfilm nerveux restitue parfaitement les dilemmes politiques et moraux des dirigeants socialistes et des membres de l’ETA à l’époque.

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eaucoup l’ont peut-être un peu oublié, pris par l’effroi de la violence reconfigurée du terrorisme des années 2010, mais la France a traversé d’autres épreuves sanguinaires au début des années 80. Circonscrite au Pays basque, une guerre opposa les indépendantistes du groupe ETA et des Groupes antiterroristes de libération (GAL), issus des forces espagnoles de sécurité. Alors que la France, au nom de ses principes républicains, faisait de ses terres basques un “sanctuaire” pour les réfugiés politiques basques espagnols, l’Espagne ne rêvait que de l’anéantir, au nom de la défense de ses intérêts nationaux. C’est au cœur de ce sanctuaire fébrile, autant qu’à sa frontière, que se déploie le récit haletant de la nouvelle “fiction politique” de Canal+, Sanctuaire : une évocation circonstanciée et pointilliste d’une page brouillée et brouillonne de notre histoire politique récente. Avec ce téléfilm écrit par Xabi Molia (avec Pierre Erwan Guillaume), Olivier MassetDepasse restitue l’âpreté de cette guerre qui brûla les nerfs des jeunes gouvernements socialistes espagnol et français, fraîchement

arrivés au pouvoir en ce début de décennie : une époque alors vécue comme une période libératrice pour les Espagnols après la dictature de Franco, autant que pour les Français, enfin émancipés de la droite dominatrice. Collé à la réalité des Basques, consignant les événements saillants de ces années qui plombèrent le pays, le téléfilm puise surtout une énergie interne dans la peinture appuyée des affects blessés de ses personnages. La plupart d’entre eux sont inspirés de personnes réelles, comme les célèbres figures de l’ETA Txomin, Basque espagnol réfugié clandestin en France et chef de l’appareil militaire, et Yoyes, femme longtemps chef de l’organisation, alors en retrait. Habilement, le téléfilm confronte ses (anti)héros aux dilemmes d’un terrorisme dont ils furent les promoteurs mais dont ils cherchent enfin à se démarquer à la vue des dérives aveugles d’une jeune génération de terroristes exaltés. Sanctuaire explore moins les conflits guerriers que les conflits éthiques qui habitent les consciences troublées de ses personnages agités. Plus qu’un film d’action qui se contenterait de caler

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“un film crépusculaire sur la fin de l’innocence et le déclin des idéaux”

Jérôme Prébois/Haut et Court/Canal+

le scénariste Xabi Molia

sa narration sur le rythme des attentats successifs, Sanctuaire puise sa nervosité amère dans les relations tordues que chacun entretient avec les autres, mais aussi avec lui-même. Comment rester fidèle à ses engagements fondateurs et à ses croyances émancipatrices lorsqu’on en mesure les fissures et les reniements ? Qu’est-ce qu’être un combattant lorsque la vertu qui en conditionne l’origine se transforme en vice irréversible ? Par-delà le fracas des bombes, le récit fait place aux frasques d’un face-à-face tendu entre le chef historique de l’ETA Txomin (Alex Brendemühl, très juste dans sa manière de faire transpirer ses pulsions agressives et apaisantes dans un même regard), et un jeune avocat, conseiller – et protégé – de Robert Badinter au ministère de la Justice, subtilement interprété par Jérémie Renier (habité comme toujours). Cet idéaliste vient de l’extrême gauche, mais a décidé de rejoindre les socialistes au pouvoir pour, espère-t-il, faire exister pragmatiquement ses idées. Ici, il se donne pour mission de ramener à la raison politique les indépendantistes radicalisés, tout en voulant faire respecter

l’engagement de l’Etat français vis-à-vis de l’existence du sanctuaire, et à les protéger des mercenaires du GAL. Outre l’évocation précise de la furie de cette guerre, filmée sur les lieux mêmes des délits, l’idée forte du téléfilm repose sur l’exploration d’un trouble moral qui gagne chaque personnage et chaque camp, sans que jamais l’un n’écrase l’autre par son évidence exclusive. Le chef de l’ETA, coincé entre sa fidélité militante et son pragmatisme politique le poussant à négocier, est autant travaillé en son for intérieur que l’est le conseiller du gouvernement qui ne peut non plus tenir tous ses engagements. Aux grands principes et aux idéaux démocratiques vient se mêler, dans une discrète confusion, la réalité brutale de l’exercice du pouvoir. C’est cette réalité-là qu’affrontent les deux personnages, obligés, à partir de leur espace respectif et de leur stratégie personnelle, de mesurer la puissance opaque de la machine du pouvoir politique : ses doubles discours, ses trahisons, ses coups de force… Le scénariste Xabi Molia a de ce point de vue raison d’affirmer que Sanctuaire est “un film crépusculaire sur la fin de l’innocence et le déclin des idéaux”. Au Pays basque, les masques tombent en cette première partie des années 80. A la fois du côté de la gauche socialiste, convertie à l’exercice du pouvoir et de la raison d’Etat (comme l’illustre en creux son soutien ambigu des GAL), et du côté des indépendantistes, qui vont perdre peu à peu le soutien de leur propre peuple. Sanctuaire dépeint avec une grande justesse le moment d’un double basculement, celui des gouvernants et celui des assaillants, qui n’ont jamais su trouver les voies d’un compromis pour s’extraire de leur affrontement. Aride mais réflexif, le film capte l’attention en ce qu’il enterre autant des principes que des personnes. C’est dire la tragédie politique qu’il retrace. Prolongeant une ligne éditoriale ambitieuse de Canal+ sur des sujets tirés de l’histoire politique contemporaine (l’assassinat du préfet Erignac, l’affaire Elf, l’opération Turquoise au Rwanda…), Sanctuaire dégage une paradoxale force, celle que les deuils, humains et politiques, inspirent aux survivants. Jean-Marie Durand Sanctuaire téléfilm d’Olivier Masset-Depasse. Lundi 2 mars, 20 h 55, Canal+ 25.02.2015 les inrockuptibles 99

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Nicolas Sourdey

Patrick Eudeline, intarissabler ock-critic, ancien du groupe punk Asphalt Jungle

le no future a 40 ans Le regard d’un témoin privilégié, Alain Maneval, animateur radio et télé, sur la vague punk de la fin des seventies.

A

lain Maneval, animateur radio (Pogo sur Europe 1, L’Album de minuit aujourd’hui sur France Inter) et télé (Megahertz sur TF1…), retrace la légende du punk, phénomène qui explosa il y a près de quarante ans. Contrairement au hip-hop, né dans sa foulée et devenu un genre incontournable, le punk fut un mouvement musical et artistique éphémère (cinq ans au maximum : 1976-1981). Malgré une certaine résurgence hardcore aux Etats-Unis dans les années 90, il a peu à peu été dilué dans le continuum du rock, insidieusement récupéré et mêlé aux influences du metal ou autres. Passons. S’incluant dans le processus, Maneval narre en voix off de ce documentaire réalisé par Fred Aujas comment il fut aux premières loges du mouvement, qui prit son essor à Londres en 1976, bien que ses bases musicales aient été posées aux Etats-Unis dès les sixties (avec les Stooges ou les Sonics, puis plus tard les Ramones et les New York Dolls), et que l’initiateur de la pose punk fut le New-Yorkais Richard Hell, auteur du légendaire Blank Generation. Bref, Maneval décrit comment tout s’est grosso modo organisé autour du boutiquier Malcolm McLaren, féru de théorie situationniste qui, depuis sa boutique de fringues Sex, rebaptisée Seditionaries, a secoué le cocotier de l’ère Thatcher avec l’aide de la styliste destroy Vivienne Westwood. McLaren sera le créateur du célèbre boys band trash The Sex Pistols. Le reste est assez connu. Le documentaire donne la parole à quelques seconds couteaux rescapés : Glen Matlock, premier bassiste des

Pistols, ou Topper Headon, batteur des Clash. Evoquant rapidement les principales étapes et les grandes lignes du mouvement, en Amérique et surtout en Grande-Bretagne, Maneval fait aussi quelques incursions sporadiques en Europe continentale, notamment en Allemagne, où Nina Hagen brille par son absence, et en France, où manque à l’appel le groupe punk le plus important, Metal Urbain, le seul à avoir eu un écho hors de l’Hexagone. Sans doute est-ce faute de combattants, mais aussi parce qu’on peut demander à de bons clients tels que Patrick Eudeline, à la fois rock-critic et leader du groupe Asphalt Jungle, de pallier les manques avec leur bagout. Cela dit, le panorama, quoique rapide, reste riche et varié. Les documents filmés abondent et permettent d’offrir à ceux qui n’étaient pas nés un aperçu convaincant de ce qui fut la dernière manifestation provocatrice et révolutionnaire du rock. Un genre qui a été ensuite définitivement phagocyté par le système et qui n’a plus jamais fait de vagues (surtout pas la new-wave, nouvelle vague anglaise, mini-mouvement qui a immédiatement suivi et lénifié les foules, bercées par les synthés). En dehors du rap, genre musical prolétaire et intrinsèquement politique, la musique de jeunes a oublié l’esprit de rébellion et s’est noyée dans un recyclage permanent. D’une certaine manière, le rock est mort avec le punk, dont le slogan phare, “No future!”, n’était pas aussi idiot qu’on le pense. Vincent Ostria No future! – La déferlante punk documentaire de Fred Aujas, avec Alain Maneval. Samedi 28 février, 22 h 35, Arte

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Grozny underground Voyage dans la nouvelle Tchétchénie, inféodée à la Russie poutinienne, où la terreur souterraine a remplacé la guerre ouverte. rand reporter, Manon années 1930. Ce n’est pas peu dire Loizeau a découvert que les séides de Poutine ont la Tchétchénie en 1995, lors la situation en main et cadenassent de la première guerre dans cette république asiatique la région, et y est revenue plusieurs de la Fédération russe. fois, notamment en 2004, lorsque En fait, la Tchétchénie semble sa capitale, Grozny, n’était plus tout simplement être devenue qu’un amas de cendres. Dix ans un laboratoire du néo-stalinisme plus tard, elle y retourne. Surprise, poutinien. Outre les méthodes elle découvre une ville pimpante, brutales évoquées, on remarque quasiment refaite à neuf, aux une tendance locale très marquée avenues rectilignes et aux gratteau culte de la personnalité, tel ciel de verre. L’ordre et le calme qu’on ne l’oserait jamais à Moscou : règnent sur la Tchétchénie. portraits géants de Poutine et Pure apparence. Pour certains de Kadyrov à tous les coins de rue, habitants, la situation est pire voire même la célébration aujourd’hui qu’hier, où le gentil en grande pompe de l’anniversaire nervi de Poutine, Ramzan Kadyrov, du petit superman du Kremlin. un costaud en survêtement D’un autre côté, le moindre de 38 ans, est devenu le maître soupçon de nationalisme est absolu de ce pays musulman. poursuivi : interdiction de faire La population sourit le jour allusion au passé récent, ou même et frémit la nuit. Les enlèvements à la déportation des Tchétchènes sont légion. Malgré la présence par Staline il y a soixante-dix ans. d’une ou deux associations – dont C’est en bravant cet oukase un Comité contre la torture – particulier que Rouslan Koutaiev, qui observent la situation et tentent politicien en vue du pays, de porter secours aux victimes, a été arrêté, torturé et condamné le moindre soupçon de dissidence à quatre ans de prison sous est sévèrement réprimé. des prétextes fallacieux. Un D’ailleurs, pas besoin d’être un épisode récent qu’a suivi l’équipe chouïa déviant pour être supprimé de tournage de Manon Loizeau nuitamment. Selon l’un des durant l’été 2014, et qui constitue membres d’une de ces rares ONG une bonne partie du film. locales qu’a rencontrées Manon Démonstration éclatante, au-delà Loizeau, une prime d’un million de de tout jugement partisan roubles serait versée par Moscou ou politique, que la Russie actuelle pour chaque individu retiré de la file un mauvais coton. V. O. circulation sous prétexte d’activités subversives, réelles ou non. Tchétchénie, une guerre sans traces On pense aussi bien à l’Argentine documentaire de Manon Loizeau. Mardi 3 mars, 2 2 h 35, A rte de Videla qu’à l’URSS des

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Un des portraits de P outine qui ornent Grozny 25.02.2015 les inrockuptibles 101

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir encart ou sur http://abonnement.lesinrocks.com) Voix de fête du 9 au 15 mars, à Genève, Suisse

Hanni El Khatib

musiques

Hungry Hearts

le 4 mars à la Gaîté Lyrique, Paris IIIe

Pour sa 17e édition, le festival enfonce le clou en demeurant ouvert aux courants musicaux variés que la chanson rassemble, sur des esthétiques afro-rap, rock, soul, hip-hop, gypsy, electro, rock-pop, folk, avec comme point d’orgue, la présence de Christophe. à gagner : 2 × 2 places pour le concert de Miossec le 12 mars et 2 × 2 places pour le concert de Vincent Delerm le 14 mars

musiques Après Will the Guns Come out (2011), réalisé dans un esprit intimiste, et Head in the Dirt (2013), créé l’esprit grand ouvert dans un studio à Nashville, Hanni El Khatib revient avec Moonlight, le fruit de trente jours passés cloîtré dans un studio à L. A. Il sera sur la scène de la Gaîté Lyrique le 4 mars. à gagner : 3 × 2 places

un film de Saverio Costanzo

cinémas Jude est américain, Mina italienne. Ils se rencontrent à New York, tombent fous amoureux et se marient. Lorsque Mina tombe enceinte, une nouvelle vie s’offre à eux. Mais l’arrivée du bébé bouleverse leur relation. Mina, persuadée que son enfant est unique, le protège du monde extérieur de façon obsessionnelle. Jude, par amour, respecte sa position jusqu’à ce qu’il comprenne que Mina commence à perdre contact avec la réalité. à gagner : 45 × 2 places

Panda Bear le 6 mars à la Gaîté Lyrique, Paris IIIe

musiques Noah Lennox viendra présenter sur la scène de la Gaîté Lyrique son nouvel album solo, Panda Bear Meets The Grim Reaper, qui voit notre héros quitter le minimalisme délicat et ouvrir de nouveau sa boîte à outils soniques. Des textures et techniques de production hip-hop old school se mélangent aux mélodies cycliques qui ont fait sa renommée, pour créer un son dense et enjoué. à gagner : 3 × 2 places

D’après une histoire vraie du 10 au 12 mars à la Comédie de Clermont, à Clermont-Ferrand (63)

scènes

D’après une histoire vraie est un rêve éveillé. Huit hommes qui dansent, épaule contre épaule. Leurs bras noués forment de longues tresses humaines. Leurs corps se mesurent plus qu’ils se combattent. Il n’y a pas de guerre entre eux. Ni de sexe. Il ne s’agit pas de ça. Une amitié robuste les attache les uns aux autres. à gagner : 10 × 2 places pour la représentation du 11 mars à 20 h 30

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régime sans web Comment vivre quatre-vingt-dix jours sans internet ? Le journaliste Pierre-Olivier Labbé s’y est essayé avec pertes et fracas dans une enquête ludique : le journal d’un survivant conscient de sa dépendance. ivre plusieurs jours sans télé L’évidence de ce manque fut une expérience considérée dans la vie matérielle est-elle comme ultraradicale il y a pour autant comparable à ce à peine quelques années. qu’elle suscite dans la vie sociale ? Aujourd’hui, les cobayes de cette Le journaliste creuse la question épreuve ultime doivent rire de leurs de cette injonction massive souffrances passées, surtout si on à la sociabilité en ligne pour saisir les compare à celles qu’a endurées l’étendue de notre dépendance le journaliste Pierre-Olivier Labbé : mentale à l’outil, incarnée par vivre quatre-vingt-dix jours sans différents phénomènes désormais internet. Un calvaire plus qu’une bien connus, comme l’infobésité libération. Car si la télé fut ou le fomo (fear of missing out : longtemps un compagnon de vie peur de rater quelque chose). domestique, dont beaucoup ont Des Etats-Unis, où se appris à se désintoxiquer, internet développent des camps de a pris possession de nos corps, désintoxication numérique au point de faire de nous des organisés par un mouvement de “addicts” de la vie en ligne, perdus “digital detox”, à la Corée du Sud, dans les limbes d’une existence où tous les habitants vivent comme déstabilisée dès qu’on nous prive s’ils étaient quasiment dans de sa substance évanescente. un jeu vidéo, Pierre-Olivier Labbé L’enquête in situ de Pierre-Olivier découvre les visages contrastés Labbé, partie d’une idée de d’une furie généralisée : la technoJean-Marie Michel, consigne les dépendance, face à laquelle multiples sensations générées par une seule alternative semble cette privation, qui tend parfois vers se dessiner : soit s’y soumettre une émancipation, le plus souvent aveuglément, soit y résister vers une amputation. En troquant de manière artificielle. son smartphone et ses centaines Or, comme le suggère d’applications au profit d’un pauvre évidemment le journaliste “dumbphone”, en rangeant son au terme de son calvaire, il n’y a ordinateur et sa tablette, en se que l’usage raisonné et raisonnable coupant de ses mails et des réseaux d’internet qui puisse constituer sociaux, le reporter renoue avec un horizon pratique. En cumulant quelques émotions effacées de sa dans un même geste la posture vie d’avant : le goût de la lecture du cobaye et celle de l’analyste, d’un livre, de la lenteur des gestes le journaliste tire au moins au quotidien, des promenades de son expérience ludique et solitaires dans la nature, de la lunaire un modeste enseignement : tranquillité éloignée de l’agitation apprendre à vivre mieux stérile des conversations superflues avec internet, plus détaché des zozos des réseaux sociaux… et moins obsessionnel, plutôt Au fil des jours et de ses rencontres qu’en faire le deuil impossible. avec des psys, experts en nouvelles Jean-Marie Durand technologies, le dépossédé mesure combien l’aspect pratique d’internet Digital Detox, comment lui manque cruellement (réserver j’ai vécu 90 jours sans internet un billet d’avion, gérer ses comptes documentaire de Pierre-Olivier Labbé. Mercredi 25 février, 20 h 50, Canal+ bancaires…).



les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 lesinrocks.com mail [email protected] ou [email protected] abonnements société Everial tél. 03 44 62 52 35 cppap 1216 c 85912 dépôt légal 1er trimestre 2015 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général et directeur de la publication Frédéric Roblot rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Géraldine Sarratia rédacteurs en chef adjoints Anne Laffeter, David Doucet, Jean-Marie Durand secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot actu rédacteurs Diane Lisarelli, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Marie Turcan style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu, Azzedine Fall reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net Jean-Marie Durand lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Thomas Hong secrétariat de rédaction chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin, François-Luc Doyez première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Olivier Mialet, Vincent Richard maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny collaborateurs D. Balicki, A. Bellanger, R. Blondeau, V. Boudgourd, V. Brunner, F. Burlet, N. Carreau, M. Carton, Coco, M. Delcourt, A. Gamelin, J. Goldberg, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, H. Lassïnce, M.-L. Lubrano, I. Luquet-Gad, J.-L. Manet, Q. Monville, P. Morais, A. Pfeiffer, E. Philippe, J. Provençal, T. Ribeton, M. Samama, B. Valsson, E. Vernay publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, tv) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 traffic manager Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Elise Beltramini tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Romane Bodonyi tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand projet web et mobile Sébastien Hochart responsable du système informatique éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Marion Bruniaux tél. 01 42 44 16 62 contact agence Destination Média – Didier Devillers et Cédric Vernier tél. 01 56 82 12 06, [email protected] fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini impression, gravure SIEP, ZA Les Marchais, rue des Peupliers 77590 Bois-leRoi brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” abonnement Les Inrockuptibles B1302 60643 Chantilly Cedex [email protected] ou 03 44 62 52 35 tarif France 1 an : 115 € fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski © les inrockuptibles 2015 tous droits de reproduction réservés. 25.02.2015 les inrockuptibles 103

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album

Photo © diane arques/ ADAGP

Pom Pom d’Ariel Pink Son dernier album est vraiment bien, bourré d’idées et drôle. Sinon il y a le dernier D’Angelo, avec un son très particulier. En travaillant sur mon projet des producteurs (une série de portraits des plus grands producteurs vivants), j’ai réécouté tout Lee Scratch Perry, génial. Le dernier Sébastien Tellier est très beau aussi.

livre

Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador Un premier long métrage inventif : l’histoire d’un garçon beaucoup plus fort quand il se mouille.

Ibeyi Ibeyi Deux jumelles francocubaines viennent sauver du froid cette fin d’hiver.

Dans la tête de Vladimir Poutine de Michel Eltchaninoff Ou comment instrumentaliser les livres pour servir ses intérêts impériaux.

l’autobiographie de Quincy Jones Une vie folle pleine de musique : aussi bien arrangeur de bebop et de big band avec Sinatra et Miles Davis que compositeur de musiques de film et producteur de hip-hop contemporain. Je l’ai rencontré pour faire son portrait dans sa maison de Bel-Air. Un grand moment.

spectacle Ivanov de Tchekhov par Luc Bondy Avec Micha Lescot, un comédien génial qui joue dans mon prochain film. C’est la première fois que je travaille avec un comédien, en général ce sont des amis non professionnels qui sont devant la caméra. propos recueillis par Ingrid Luquet-Gad

Réalité de Quentin Dupieux Une nouvelle rêverie hallucinée et absurde signée Quentin Dupieux.

American Sniper de Clint Eastwood Si l’histoire de Chris Kyle est parfaite pour satisfaire le patriotisme américain, le cinéaste y instille une bonne dose d’équivoque.

Les Merveilles d’Alice Rohrwacher Le deuxième film, gracieux et sensible, d’une jeune réalisatrice italienne très douée.

Xavier Veilhan Xavier Veilhan présente sa nouvelle double expo, Music, à la galerie Perrotin, jusqu’au 11 avril à New York, du 7 mars au 11 avril à Paris.

The Avener The Wanderings of the Avener Un premier album où l’électronique s’affranchit des codes et lorgne en direction de la pop.

sur

L’Enfance politique de Noémi Lefebvre Dans ce troisième et singulier roman, l’auteur entreprend la radiographie politique d’une souffrance. Fauve ≠ Vieux frères – Partie 2 Un bilan de deux années passées dans la tempête des médias et de la scène.

Rone Creatures Le Français ouvre son troisième album aux quatre vents, aux brillantes collaborations et aux “créatures”.

Chefs France 2 Un drame filial plutôt aiguisé dans l’univers de la cuisine. Une bonne surprise. Paris Arte Une sorte d’essai et de divagation fictionnelle. Il est possible de s’y amuser. Gomorra Canal+ L’adaptation âpre et mordante du livre de Roberto Saviano sur la mafia napolitaine.

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie L’histoire d’une jeune Nigériane aux Etats-Unis et, au-delà, la difficulté d’être noir.

Parapluie de Will Self Les répercussions de la mécanisation du monde sur les êtres.

Tueur de moustiques de John Porcellino Le quotidien d’un exterminateur d’insectes.

Quand vous pensiez que j’étais mort de Matthieu Blanchin Roman graphique vivifiant où l’auteur, resté trois mois dans le coma, raconte son expérience.

Ici de Richard McGuire Un coq-à-l’âne temporel bourré de sens.

Les Armoires normandes création Les Chiens de Navarre, mise en scène Jean-Christophe Meurisse Bouffes du Nord, Paris Une quête de l’amour sous forme de cadavre (exquis).

Petit Eyolf d’Henrik Ibsen, mise en scène Julie Bérès Bruz, Morlaix et en tournée Du drame sombre d’Henrik Ibsen, Julie Bérès tire un spectacle haut en couleurs et hallucinatoire.

Ivanov d’Anton Tchekhov, mise en scène Luc Bondy Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Tchekhov fut le chroniqueur lucide du pourrissement moral d’une Russie vérolée par l’antisémitisme.

Nina Childress Crac, Sète La peintre franco-américaine fut une égérie punk et membre d’un collectif d’artistes-activistes des années 80.

Pedro Cabrita Reis Hôtel des Arts, Toulon L’artiste portugais s’intéresse à notre capacité à habiter des lieux abstraits.

Balthus Gagosian Gallery, Paris Censurés en Allemagne, les clichés retrouvés après la mort du peintre sont enfin visibles à Paris.

Life Is Strange, épisode 1 sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC Une merveille de récit interactif avec une BO composée par Syd Matters, Angus & Julia Stone ou Mogwai.

Saints Row IV  Re-Elected & Gat out of Hell sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC La preuve qu’un blockbuster vidéoludique peut encore être libre, inventif et audacieux.

Metal Gear Solid V: The Phantom Pain sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC Un jeu d’Hideo Kojima est toujours un événement.

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Andy Gillet et Alexandra Stewart par Renaud Monfourny

Ils sont les interprètes du nouveau film de Joseph Morder, La Duchesse de Varsovie, inspiré de l’histoire de la mère du cinéaste, en salle cette semaine (lire critique p. 66). 106 les inrockuptibles 25.02.2015

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