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« On fera pousser des maisonsplantes au lieu de couper des arbres pour les bâtir » Interview : Christelle Gérand

— Faire pousser les matériaux. C’est l’idée de TerreForm One, association new-yorkaise d’architectes, de designers et de scientifiques. Mitchell Joachim, à l’origine du projet, raconte comment son collectif entend révolutionner l’industrie depuis Brooklyn.

© Terreform



À l’image des Fab Tree Hab, maisons végétales élevables grâce à des outils à commandes numériques, Terreform One invente un monde où nature, habitat et technologie ne feront plus qu’un.

Respirer

C’est aux designers de s’assurer que la population pourra continuer à jouir des mêmes commodités que par le passé sans conséquences environnementales.

page de gauche : Afin d’accroître l’activité – déjà bouillonnante – de TerreForm, installée dans un open space, Mitchell Joachim (ici accompagné par Maria Aiolova, cofondatrice de l’association) projette d’installer ses équipes dans les immenses locaux d’une usine désaffectée de Brooklyn. ci-dessous : imaginées par terreform, les Green Brain sont des capsules à microclimat abritant des algues en culture.

Diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT), de Harvard et de Columbia, Mitchell Joachim a vite cédé sa place d’architecte au sein de l’agence Gehry Partners pour créer ­Terreform One, une organisation installée à Brooklyn qui promeut le design écologique. Il collectionne depuis les distinctions et les prix qui permettent à ce think tank de huit personnes de vivre. Et d’inventer un futur où la nature nous fournira directement la matière nécessaire pour construire nos objets, nos meubles, voire nos maisons.

Depuis, vos recherches vous ont conduit à modifier la nature grâce à la biologie… MJ : Nous avons mis en place des manipulations génétiques qui nous permettent de modeler les bactéries. Nous travaillons par exemple avec des Acetobacter xylinum, qui produisent naturellement de la cellulose. Fusionnées avec du mycélium [les filaments souterrains des champignons, ndlr], ces bactéries créent un nouveau biopolymère, une sorte de papier très résistant qui peut être utilisé pour faire des fauteuils. À la différence d’une chaise Ikea qui a une durée de vie de trois ans et vient encombrer les ­décharges, notre fauteuil peut être utilisé quelques années, puis jeté dans le jardin où il nourrira de nombreux organismes, à la manière d’une pomme tombée d’un arbre. 4

Vous avez également des idées assez révolutionnaires pour les voitures. MJ : J’ai conçu un véhicule adapté aux villes, au lieu de concevoir les villes autour des voitures – ce qu’on a fait durant tout le xxe siècle, en particulier aux États-Unis. On ne peut pas se déplacer dans des boîtes de métal lustré toujours plus nombreuses et espérer qu’il n’y ait pas d’embouteillages ou d’accidents. Notre solution est une voiture souple fabriquée à base de coussins en soja. Avec elle, il n’y aura plus d’accidents de la route ; le stationnement sera simplifié, puisqu’on pourra percuter les autres voitures sans conséquences ; et puisque les voitures seront « intelligentes » et fonction­ neront en réseau, il n’y aura plus d’embouteillages. Quelle est la différence entre vos idées et les pratiques de recyclage existantes ? MJ  : Nous sommes beaucoup plus exigeants. Nous ne croyons pas en l’idée de « déchet » : on ne peut pas jeter quelque chose, ce quelque chose finit toujours quelque part. Nous ne croyons pas en l’idée de recyclage, mais en celle de revalorisation : les objets

© Thomas Haley, Terreform

We Demain : Comment vous est venue l’idée de concevoir des objets avec des matériaux vivants ? Mitchell Joachim  : Quand j’étais en doctorat au MIT, il y a douze ans, le président de l’université nous a demandé de réfléchir à des solutions pour réduire drastiquement la consommation énergétique des bâtiments – de l’ordre de 300 %. Un projet impossible sans repenser intégralement notre façon de construire. Du coup, on s’est demandé pourquoi on coupe les arbres : cela nécessite une énergie incroyable pour les apporter en usine, pour faire fonctionner les machines qui coupent et assemblent le bois, et pour transporter ce bois sur le lieu de construction. Pourquoi ne pas utiliser ce qui existe naturellement sur place ? Cette réflexion a donné naissance à notre projet de maison Fab Tree Hab [une « maison-plante » formée par des arbres dont la croissance est dirigée par un programme informatique, ndlr].

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© Alberto T. Estévez, Ferdinand Ludwig

ne sont jamais jetés mais remis à jour. Nous devons revoir nos valeurs. On attache de l’importance au diamant mais pas au plastique. Or le plastique est un matériau fabuleux que chacun d’entre nous utilise partout et tout le temps, mais que l’on traite comme une ordure. Il finit dans les océans ou dans les décharges. C’est ridicule. Si l’on traitait le plastique comme le diamant, on ne lui permettrait pas de s’échapper. On le revaloriserait pour ce dont on a besoin.

Le collectif espagnol Genetic Architectures a conçu à Barcelone Biodigital Chair, un banc recouvert de gazon. Plus au nord, L’architecte allemand Ferdinand Ludwig a, lui, concrétisé un projet

très bien. Nous faisons, par exemple, beaucoup de recherche et développement pour Ecovative Design [une entreprise de matériaux de construction et d’emballage fabriqués à partir de résidus agricoles et de mycélium, ndlr]. Nous mettons nos recherches à la disposition de tous, et multiplions conférences et présentations. Cela fait partie de notre mission d’éduquer la population, que ce soit des écoliers ou des chefs d’entreprise.

Vous qualifiez votre travail de « design socioécologique ». Qu’entendez-vous par là ? MJ  : J’utilise ce terme à la place de « durable », qui relève du greenwashing : toutes les entreprises prétendent être vertes ou durables parce que certains éléments de ce qu’elles vendent sont « respectueux de l’environnement ». Mais ni « durable » ni « respectueux de l’environnement » n’ont de définition légale. Du coup, il y a eu beaucoup de bons projets, mais aussi de nombreuses fraudes. Le terme « socio-écologique » est plus précis : il allie la science de l’écologie, qui repose sur des données quantitatives précises, et la sociologie : l’influence des gens et des régulations politiques.

Vos projets sont écologiques et peu onéreux, ce qui devrait susciter l’engouement. Pourtant, très peu ont vu le jour. Pourquoi ? MJ : Nos propositions s’élèvent contre des millions d’usines, en Chine, en Europe ou aux États-Unis, qui produisent avec du plastique ou du métal. Nous luttons contre tout le système industriel. Pourtant, de nombreuses solutions socio-écologiques existent depuis le milieu du xxe siècle, mais on a choisi de ne pas les utiliser. À l’origine, le plastique était biosourcé [fait à partir de biomasse animale ou végétale, ndlr]. Je pense à Henry Ford avec sa Ford T faite à partir de soja. Mais ce n’était pas ce que le consommateur voulait. Les gens désiraient des matériaux durs et bien polis, qui donnaient à la classe moyenne l’impression d’être noble.

Pourquoi partager toutes vos recherches en « open source », permettant ainsi à d’autres designers et entreprises de s’en inspirer ? MJ  : Nous sommes une organisation à but non lucratif. Notre but est de trouver de nouveaux territoires de pensée, pas de faire de l’argent. Si des entreprises commercialisent nos idées, c’est

La plupart des architectes novateurs espéraient changer l’homme en modifiant son environnement. Est-ce également votre objectif ? MJ : Nous ne cherchons pas à changer les individus. Nous pensons que les gens tiennent à leur mode de vie. Ça ne fonctionne pas d’enjoindre à quelqu’un de prendre des douches de cinq mi-

de pont soutenu par des arbres sur le lac de Constance.

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« notre fauteuil peut être utilisé quelques années, puis jeté dans le jardin où il nourrira de nombreux organismes, à la manière d’une pomme tombée d’un arbre. »

nutes, si cette personne aime rester sous la douche pendant une demi-heure. Ça ne fonctionne pas de demander aux gens d’abandonner leur voiture. C’est aux designers de s’assurer que la population pourra continuer à jouir des mêmes commodités que par le passé sans conséquences environnementales. L’architecture, c’est aussi la mémoire de nos sociétés. Travailler avec des matériaux vivants condamne le « construit » à une mort certaine. Est-ce que cela vous tracasse ? MJ : L’architecture est mémoire. C’est vrai. Mais cette mémoire peut être collectée de différentes manières. Nous sommes au tout début de la mémoire génétique, mais travailler avec du vivant­veut aussi dire que la mémoire est intégrée dans nos gènes. En synthétisant ces changements pour créer une nouvelle architecture, on ajoute de la mémoire à la mémoire. Concevoir des choses pour mourir a une fonction : il s’agit de transmettre la vie à d’autres systèmes. Que répondez-vous à ceux qui pensent que vos recherches relèvent du domaine du rêve ? MJ : Rêver est fondamental. Jules Verne a été l’un des plus grands scientifiques, en imaginant ce que serait le monde si on pouvait aller sur la Lune. Il a écrit un récit très détaillé sur la façon d’y aller. Une centaine d’années plus tard, des ingénieurs ont développé sa façon de voir avec les missions Apollo. Star Trek a imaginé le smartphone, etc. L’imagination est aussi puissante et aussi importante que la science. u 7